Derrière les vieux murs en ruines/76

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Calmann-Lévy, éditeurs (p. 307-309).

14 mars.

La beauté bien cachée qui surpasse toutes les autres beautés, certes je la connais ! Et les fleurs de son teint, et les grenades parfumées de ses lèvres, et l’éclat de ses yeux fascinateurs… Pourquoi donc Lella Meryem, aujourd’hui, m’apparaît-elle plus éblouissante, d’un charme inattendu, étincelant, renouvelé, d’une gaîté sans égale ? Serait-ce déjà l’effet du sortilège que j’apporte ?

Dès les premiers mots elle m’arrête.

— Qu’Allah te rende le bien, ô ma sœur ! le remède, je n’en ai plus besoin, Aoud el Ouard est partie…

— Ô Seigneur ! la nouvelle bénie !… Qu’est-elle devenue ?

— Cette chienne ! Puisse le malheur l’accompagner ! Mouley Hassan l’a reprise.

— Louange à Dieu ! Comment se fait-il que le Chérif ait retiré le présent offert à son fils ?

— Qui le sait ? Peut-être avait-il entendu vanter son attrait… Il aura voulu s’en assurer… Cela n’importe guère ! dans quelques mois, elle ne sera plus qu’une esclave d’entre ses esclaves…

Lella Meryem triomphe avec insolence et naïveté… Je devine les petites ruses qu’elle mit en œuvre pour éloigner sa rivale, les louanges perfidement colportées sur Aoud El Ouard, afin d’éveiller la concupiscence du Chérif, la requête qu’elle-même fit parvenir à son beau-père…

Mouley Hassan, changeant et sensuel, regrettait sans doute de n’avoir pas cueilli cette tige de rose. II dut être facile à convaincre.

— Sais-tu, poursuit Lella Meryem, que les noces de Lella Oum Keltoum seront bientôt célébrées ?

— C’est une honte ! Elle n’a pas donné son consentement.

— Lella Oum Keltoum est folle, affirma Lella Meryem, ses refus font parler tous les gens.

— Ô mon étonnement de t’entendre ! Ne m’as-tu pas dit mille fois que Lella Oum Keltoum avait raison ?…

Cette contradiction n’émeut pas la Cherifa.

— Je t’ai dit cela, dans le temps ! À présent, il est clair qu’elle est folle. Puisque le Sultan a fait savoir au Cadi, par son chambellan, qu’il désire ce mariage, Lella Oum Keltoum n’a qu’à se soumettre. Les unions entre parents sont bénies d’Allah, à cause de leur ressemblance avec celle de Lella Fatima, fille du Prophète, et de son cousin, notre seigneur Ali. Les noces de Lella Oum Keltoum et de Mouley Hassan seront un bonheur dont il faut se réjouir.

— Ô chérie ! Ô celle dont la langue est experte ! répondis-je en souriant, Mouley Hassan t’a donc achetée toi aussi ?

Le petit visage de la Cherifa rosit, lumineux, ainsi que la lune surgissant à l’horizon.

— Seulement, ajoutai-je, il ne t’a rien donné. C’est toi qui lui rendis Aoud El Ouard…