Derrière les vieux murs en ruines/78

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Calmann-Lévy, éditeurs (p. 316-318).

31 mars.

Kaddour passe du rire à la fureur sans s’arrêter jamais aux états intermédiaires.

Hors de lui ce matin, il vocifère dans la cuisine. De ma chambre j’entends ses éclats, mais je ne perçois point les réponses du Hadj Messaoud, l’homme paisible.

— Oui ! oui ! J’ai répudié ma femme I Elle ne m’est plus rien ! Où se cache-t-elle, cette chienne fille du chien cet autre ?…

» Elle a quitté ma maison pendant que j’étais ici.

 
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— C’est vrai, je l’avais battue. Que pouvais-je faire ?… Ô Allah ! le croirais-tu ! Elle a mis ma sacoche en gage chez le marchand d’épices pour s’acheter du henné !

 
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— Je n’ai plus qu’à partir de la ville ! Les gens ont pu voir ma sacoche pendue chez ce marchand d’épices ! — Allah le confonde ! — Il l’avait accrochée a la face de sa boutique !… Honte sur moi !… Quand je suis passé, j’ai dit : Ha !

 
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» Je l’ai répudiée devant notaires. Elle ira chez son oncle voler tout ce qu’elle trouvera de sacoches !…

La chose paraît grave. J’appelle Kaddour. Il a sa figure sauvage des mauvais jours. Son nez frémit, sa petite barbe se hérisse et son regard a noirci…

— Qu’as-tu raconté au Hadj Messaoud ? Tu as répudié Zeïneb devant notaires ?

— Oui, c’est une voleuse sans vergogne, une impudente, une…

— Doucement ! Par combien de fois l’as-tu répudiée ?

— Deux fois, pas davantage. Les notaires m’ont demandé d’attendre un peu avant la troisième répudiation, mais je veux le faire tout de suite, et ce sera fini.

— Voyons, Kaddour ! à cause d’une sacoche, tu oublies tout son bien.

— Tout son bien ! Elle ne m’apporta que le malheur et la honte.

— Tu ne sais te passer d’elle, et tu connais votre loi musulmane : quand tu l’auras répudiée trois fois, tu ne pourras plus la reprendre que si elle a épousé, entre temps, un autre homme… Voudrais-tu la savoir dans la maison d’un autre ? Et que diraient les gens ?

À cette idée Kaddour est devenu très jaune de teint. Il fronce les sourcils, halette un peu.

— Pour ton visage ! finit-il par répondre, je vais chercher Zeïneb. C’est une fille de gens honorables. Elle s’est évidemment réfugiée chez sa mère… Il lui fallait du henné, car elle doit aller à des noces demain, et j’avais oublié de lui laisser de l’argent… Avant de prononcer la troisième répudiation, j’écouterai ce qu’elle dira de ma sacoche…