Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Commentaire de Voltaire

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COMMENTAIRE
SUR LE LIVRE
DES DÉLITS ET DES PEINES,
Par VOLTAIRE.
1766.

N. B. Cet ouvrage, dont la date n’est pas indiquée dans les éditions antérieures à celle de M. Beuchot, est certainement de 1766, et probablement du mois de juillet, car l’auteur y parle du supplice du chevalier de La Barre, qui eut lieu le 5 juin. Une lettre du 28 juillet, à Damilaville, dit que ce Commentaire va paraître ; et une autre, du 13 septembre, à M. D’Argental, lui annonce l’envoi de cet ouvrage.R.

COMMENTAIRE
SUR LE LIVRE
DES DÉLITS ET DES PEINES,
Par VOLTAIRE.
1766.

§ PREMIER.

Occasion de ce Commentaire.

J’étais plein de la lecture du petit livre des Délits et des Peines, qui est en morale ce que sont en médecine le peu de remèdes dont nos maux pourraient être soulagés. Je me flattais que cet ouvrage adoucirait ce qui reste de barbare dans la jurisprudence de tant de nations ; j’espérais quelque réforme dans le genre humain, lorsqu’on m’apprit que l’on venait de pendre dans une province, une fille de dix-huit ans, belle et bien faite, qui avait des talens utiles, et qui était d’une très-honnête famille.

Elle était coupable de s’être laissé faire un enfant ; elle l’était encore davantage d’avoir abandonné son fruit. Cette fille infortunée, fuyant la maison paternelle, est surprise des douleurs de l’enfantement ; elle est délivrée seule et sans secours, auprès d’une fontaine. La honte, qui est dans le sexe une passion violente, lui donna assez de force pour revenir à la maison de son père, et pour cacher son état. Elle laisse son enfant exposé ; on le trouve mort le lendemain ; la mère est découverte, condamnée à la potence, et exécutée.

La première faute de cette fille, ou doit être renfermée dans le secret de sa famille, ou ne mérite que la protection des lois, parce que c’est au séducteur à réparer le mal qu’il a fait ; parce que la faiblesse a droit à l’indulgence ; parce que tout parle en faveur d’une fille dont la grossesse cachée la met souvent en danger de mort ; que cette grossesse connue flétrit sa réputation, et que la difficulté d’élever son enfant est encore un grand malheur de plus.

La seconde faute est plus criminelle ; elle abandonne le fruit de sa faiblesse, et l’expose à périr.

Mais parce qu’un enfant est mort, faut-il absolument faire mourir la mère ? Elle ne l’avait pas tué ; elle se flattait que quelque passant prendrait pitié de cette créature innocente ; elle pouvait même être dans le dessein d’aller retrouver son enfant, at de lui faire donner les secours nécessaires. Ce sentiment est si naturel, qu’on doit le présumer dans le cœur d’une mère. La loi est positive contre la fille, dans la province dont je parle ; mais cette loi n’est-elle pas injuste, inhumaine et pernicieuse ? Injuste, parce qu’elle n’a pas distingué entre celle qui tue son enfant et celle qui l’abandonne ; inhumaine, en ce qu’elle fait périr cruellement une infortunée à qui on ne peut reprocher que sa faiblesse et son empressement à cacher son malheur ; pernicieuse, en ce qu’elle ravit à la société une citoyenne qui devait donner des sujets à l’état, dans une province où l’on se plaint de la dépopulation.

La charité n’a point encore établi dans ce pays des maisons secourables, où les enfans exposés soient nourris. Là où la charité manque, la loi est toujours cruelle. Il valait bien mieux prévenir ces malheurs, qui sont assez ordinaires, que se borner à les punir. Le véritable jurisprudence est d’empêcher les délits, et non de donner la mort à un sexe faible, quand il est évident que sa faute n’a pas été accompagnée de malice, et qu’elle a coûté à son cœur,

Assurez, autant que vous le pourrez, une ressource à quiconque sera tenté de mal faire, et vous aurez moins à punir.

§ II.

Des Supplices.

Ce malheur, et cette loi si dure, dont j’ai été sensiblement frappé, m’ont fait jeter les yeux sur le code criminel des nations. L’auteur humain des Délits et des Peines n’a que trop raison de se plaindre que la punition soit trop souvent au-dessus du crime, et quelquefois pernicieuse à l’état, dont elle doit faire l’avantage.

Les supplices recherchés, dans lesquels on voit que l’esprit humain s’est épuisé à rendre la mort affreuse, semblent plutôt inventés par la tyrannie que par la justice.

Le supplice de la roue fut introduit en Allemagne, dans les temps d’anarchie, où ceux qui s’emparaient des droits régaliens voulaient épouvanter, par l’appareil d’un tourment inouï, quiconque oserait attenter contre eux. En Angleterre, on ouvrait le ventre d’un homme atteint de haute trahison, on lui arrachait le cœur, on lui en battait les joues, et le cœur était jeté dans les flammes. Mais quel était souvent ce crime de haute trahison ? C’était, dans les guerres civiles, d’avoir été fidèle à un roi malheureux, et quelquefois de s’être expliqué sur le droit douteux du vainqueur. Enfin les mœurs s’adoucirent ; il est vrai qu’on a continué d’arracher le cœur, mais c’est toujours après la mort du condamné. L’appareil est affreux, mais la mort est douce, si elle peut l’être.

§ III.

Des Peines contre les Hérétiques.

Ce fut sur-tout la tyrannie qui, la première, décerna la peine de mort contre ceux qui différaient de l’église dominante, dans quelques dogmes. Aucun empereur chrétien n’avait imaginé, avant le tyran Maxime, de condamner un homme au supplice, uniquement pour des points de controverse. Il est bien vrai que ce furent deux évêques espagnols qui poursuivirent la mort des priscillianistes auprès de Maxime ; mais il n’est pas moins vrai que ce tyran voulait plaire au parti dominant, en versant le sang des hérétiques. La barbarie et la justice lui étaient également indifférentes. Jaloux de Théodose, espagnol comme lui, il se flattait de lui enlever l’empire d’Orient, comme il avait déjà envahi celui d’Occident. Théodose était haï pour ses cruautés ; mais il avait su gagner tous les chefs de la religion. Maxime voulait déployer le même zèle, et attacher les évêques espagnols à sa faction ; il flattait également l’ancienne religion et la nouvelle ; c’était un homme aussi fourbe qu’inhumain, comme tous ceux qui, dans ce temps-là, prétendirent ou parvinrent à l’empire. Cette vaste partie du monde était gouvernée comme l’est Alger aujourd’hui. La milice faisait et défaisait les empereurs ; elle les choisissait très-souvent parmi les nations réputées barbares. Théodose lui opposait alors d’autres barbares de la Scythie. Ce fut lui qui remplit les armées de Goths, et qui éleva Alaric le vainqueur de Rome. Dans cette confusion horrible, c’était à qui fortifierait le plus son parti, par tous les moyens possibles.

Maxime venait de faire assassiner, à Lyon, l’empereur Gratien, collègue de Théodose ; il méditait la perte de Valentinien II, nommé successeur de Gratien à Rome, dans son enfance. Il assemblait à Trèves une puissante armée, composée de Gaulois et d’Allemands. Il faisait lever des troupes en Espagne, lorsque deux évêques espagnols, Idacio et Ithacus ou Itacius, qui avaient alors beaucoup de crédit, vinrent lui demander le sang de Priscillien, et de tous ses adhérens, qui disaient que les âmes sont des émanations de Dieu, que la trinité ne contient pas trois hypostases, et qui de plus poussaient le sacrilége jusqu’à jeûner le dimanche. Maxime, moitié payen, moitié chrétien, sentit bientôt toute l’énormité de ces crimes. Les saints évêques Idacio et Itacius obtinrent qu’on donnât d’abord la question à Priscillien et à ses complices, avant qu’on les fît mourir ; ils y furent présens, afin que tout se passât dans l’ordre, et s’en retournèrent en bénissant Dieu, et en plaçant Maxime, le défenseur de la foi, au rang des saints. Mais Maxime ayant été défait par Théodose, et ensuite assassiné aux pieds de son vainqueur, il ne fut point canonisé.

Il faut remarquer que saint Martin, évêque de Tours, véritablement homme de bien, sollicita la grâce de Priscillien ; mais les évêques l’accusèrent lui-même d’être hérétique, et il s’en retourna à Tours, de peur qu’on ne lui fît donner la question à Trèves.

Quant à Priscillien, il eut la consolation, après avoir été pendu, qu’il fut honoré de sa secte comme un martyr. On célébra sa fête, et on le fêterait encore, s’il y avait des priscillianistes.

Cet exemple fit frémir toute l’église ; mais bientôt après, il fut imité et surpassé ; on avait fait périr des priscillianistes par le glaive, par la corde et par la lapidation. Une jeune dame de qualité, soupçonnée d’avoir jeûné le dimanche, n’avait été que lapidée dans Bordeaux[1]. Ces supplices parurent trop légers ; on prouva que Dieu exigeait que les hérétiques fussent brûlés à petit feu. La raison péremptoire qu’on en donnait, c’était que Dieu les punit ainsi dans l’autre monde, et que tout prince, tout lieutenant du prince, enfin le moindre magistrat, est l’image de Dieu dans ce monde-ci.

Ce fut sur ce principe qu’on brûla partout des sorciers qui étaient visiblement sous l’empire du diable, et les hétérodoxes, que l’on croyait encore plus criminels et plus dangereux que les sorciers.

On ne sait pas bien précisément quelle était l’hérésie des chanoines que le roi Robert, fils de Hugues, et Constance sa femme, allèrent faire brûler en leur présence à Orléans, en 1022. Comment le saurait-on ? il n’y avait alors qu’un très-petit nombre de clercs et de moines qui eussent l’usage de l’écriture. Tout ce qui est constaté, c’est que Robert et sa femme rassasièrent leurs yeux de ce spectacle abominable. L’un des sectaires avait été le confesseur de Constance ; cette reine ne crut pas pouvoir mieux réparer le malheur de s’être confessée à un hérétique, qu’en le voyant dévorer par les flammes.

L’habitude devient loi ; et depuis ce temps jusqu’à nos jours, c’est-à-dire, pendant plus de sept cents années, on a brûlé ceux qui ont été, ou qui ont paru être souillés du crime d’une opinion erronée.

§ IV.

De l’Extirpation des Hérésies.

Il faut, ce me semble, distinguer dans une hérésie l’opinion et la faction. Dès les premiers temps du christianisme, les opinions furent partagées : les Chrétiens d’Alexandrie ne pensaient pas, sur plusieurs points, comme ceux d’Antioche. Les Achaïens étaient opposés aux Asiatiques. Cette diversité a duré dans tous les temps, et durera vraisemblablement toujours. Jésus-Christ, qui pouvait réunir tous ses fidèles dans le même sentiment, ne l’a pas fait ; il est donc à présumer qu’il ne l’a pas voulu, et que son dessin était d’exercer toutes ses églises à l’indulgence et à la charité, en leur permettant des systèmes différens, qui tous se réunissaient à le reconnaître pour leur chef et leur maître. Toutes ces sectes, long-temps tolérées par les empereurs, ou cachées à leurs yeux, ne pouvaient se persécuter et se proscrire les unes les autres, puisqu’elles étaient également soumises aux magistrats romains ; elles ne pouvaient que disputer. Quand les magistrats les poursuivirent, elles réclamèrent toutes également le droit de la nature ; elles dirent : laissez-nous adorer Dieu en paix, ne nous ravissez pas la liberté que vous accordez aux Juifs. Toutes les sectes aujourd’hui peuvent tenir le même discours à ceux qui les oppriment. Elles peuvent dire aux peuples qui ont donné des priviléges aux Juifs : Traitez-nous comme vous traitez ces enfans de Jacob ; laissez-nous prier Dieu comme eux, selon notre conscience. Notre opinion ne fait pas plus de tort à votre état, que n’en fait le judaïsme. Vous tolérez les ennemis de Jésus-Christ, tolérez-nous donc ; nous qui adorons Jésus-Christ, et qui ne différons de vous que sur des subtilités de théologie ; ne vous privez pas vous-mêmes de sujets utiles. Il vous importe qu’ils travaillent à vos manufactures, à votre marine, à la culture de vos terres ; et il ne vous importe point qu’ils aient quelques autres articles de foi que vous. C’est de leurs bras que vous avez besoin, et non de leur catéchisme.

La faction est une chose toute différente. Il arrive toujours, et nécessairement, qu’une secte persécutée dégénère en faction. Les opprimés se réunissent et s’encouragent. Ils ont plus d’industrie pour fortifier leur parti, que la secte dominante n’en a pour l’exterminer. Il faut ou qu’ils soient écrasés ou qu’ils écrasent. C’est ce qui arriva après la persécution excitée en 303 par le césar Galérius, les deux dernières années de l’empire de Dioclétien. Les Chrétiens, ayant été favorisés par Dioclétien pendant dix-huit années entières, étaient devenus trop nombreux et trop riches pour être exterminés : ils se donnèrent à Constance Chlore ; ils combattirent pour Constantin son fils, et il y eut une révolution entière dans l’empire.

On peut comparer les petites choses aux grandes, quand c’est le même esprit qui les dirige. Une pareille révolution est arrivée en Hollande, en Écosse, en Suisse. Quand Ferdinand et Isabelle chassèrent d’Espagne les Juifs qui y étaient établis, non-seulement avant la maison régnante, mais avant les Maures et les Goths, et même avant les Carthaginois, les Juifs auraient fait une révolution en Espagne, s’ils avaient été aussi guerriers que riches, et s’ils avaient pu s’entendre avec les Arabes.

En un mot, jamais secte n’a changé le gouvernement que quand le désespoir lui a fourni des armes. Mahomet lui-même n’a réussi que pour avoir été chassé de la Mecque, et parce qu’on y avait mis sa tête à prix.

Voulez-vous donc empêcher qu’une secte ne bouleverse un état, usez de tolérance, imitez la sage conduite que tiennent aujourd’hui l’Allemagne, l’Angleterre, la Hollande. Il n’y a d’autre parti à prendre en politique avec une secte nouvelle, que de faire mourir sans pitié les chefs et les adhérens, hommes, femmes, enfans, sans en excepter un seul, ou de les tolérer quand la secte est nombreuse ; le premier parti est d’un monstre, le second est d’un sage.

Enchaînez à l’état tous les sujets de l’état par leur intérêt ; que le Quaker et le Turc trouvent leur avantage à vivre sous vos lois. La religion est de Dieu à l’homme ; la loi civile est de vous à vos peuples.

§ V.

Des Profanations.

Louis IX, roi de France, placé par ses vertus au rang des saints, fit d’abord une loi contre les blasphémateurs. Il les condamnait à un supplice nouveau : on leur perçait la langue avec un fer ardent. C’était une espèce de talion ; le membre qui avait péché en souffrait la peine. Mais il était fort difficile de décider ce qui est un blasphème. Il échappe dans la colère, ou dans la joie, ou dans la simple conversation, des expressions qui ne sont, à proprement parler, que des explétives, comme le sela et le vah des Hébreux, le pol et l’œdepol des Latins, et comme le per deos immortales dont on se servait à tout propos, sans faire réellement un serment par les dieux immortels.

Ces mots, qu’on appelle juremens, blasphèmes, sont communément des termes vagues, qu’on interprète arbitrairement ; la loi qui les punit semble prise de celle des Juifs, qui dit : « Tu ne prendras point le nom de Dieu en vain. » Les plus habiles interprètes croient que cette loi défend le parjure, et ils ont d’autant plus de raison, que le mot shavé qu’on a traduit par en vain, signifie proprement le parjure. Or, quel rapport le parjure peut-il avoir avec ces mots, qu’on adoucit par cadédis, cabo de dios, sangbleu, ventrebleu, corbleu, corpo di dio ?

Les Juifs juraient par la vie de Dieu : Vivit Dominus. C’était une formule ordinaire. Il n’était donc défendu que de mentir au nom du Dieu qu’on attestait.

Philippe-Auguste, en 1181, avait condamné les nobles de son domaine, qui prononceraient têtebleu, ventrebleu, corbleu, sangbleu, à payer une amende, et les roturiers à être noyés. La première partie de cette ordonnance parut puérile ; la seconde était abominable. C’était outrager la nature, que de noyer des citoyens pour la même faute que les nobles expiaient pour deux ou trois sous de ce temps-là. Aussi cette étrange loi resta sans exécution, comme tant d’autres, sur-tout quand le roi fut excommunié, et son royaume mis en interdit par le pape Célestin III.

Saint Louis, transporté de zèle, ordonna indifféremment qu’on perçât la langue, ou qu’on coupât la lèvre supérieure à quiconque aurait prononcé ces termes indécens. Il en coûta la langue à un gros bourgeois de Paris, qui s’en plaignit au pape Innocent IV. Ce pontife remontra fortement au roi, que la peine était trop forte pour le délit. Le roi s’abstint désormais de cette sévérité. Il eût été heureux pour la société humaine, que les papes n’eussent jamais affecté d’autre supériorité sur les rois.

L’ordonnance de Louis XIV, de l’année 1666, statue : « Que ceux qui seront convaincus d’avoir juré et blasphémé le saint nom de Dieu, de sa très-sainte mère, ou de ses saints, seront condamnés pour la première fois, à une amende ; pour la seconde, tierce et quatrième fois, à une amende double, triple et quadruple ; pour la cinquième fois, au carcan ; pour la sixième fois, au pilori, et auront la lèvre supérieure coupée ; et la septième fois, auront la langue coupée tout juste. »

Cette loi paraît sage et humaine ; elle n’inflige une peine cruelle qu’après six rechutes, qui ne sont pas présumables.

Mais pour des profanations plus grandes, qu’on appelle sacriléges, nos collections de jurisprudence criminelle, dont il ne faut pas prendre les décisions pour des lois, ne parlent que du vol fait dans les églises ; et aucune loi positive ne prononce même la peine du feu ; elles ne s’expliquent pas sur les impiétés publiques, soit qu’elles n’aient pas prévu de telles démences, soit qu’il fût trop difficile de les spécifier. Il est donc réservé à la prudence des juges de punir ce délit. Cependant la justice ne doit rien avoir d’arbitraire.

Dans un cas aussi rare, que doivent faire les juges ? consulter l’âge des délinquans, la nature, de leur faute, le degré de leur méchanceté, de leur scandale, de leur obstination ; le besoin que le public peut avoir ou n’avoir pas d’une punition terrible. Pro qualitate personæ, proque rei conditione et temporis et ætatis et sexûs, vel severius, vel clementius statuendum[2]. Si la loi n’ordonne point expressément la mort pour ce délit, quel juge se croira obligé de la prononcer ? S’il faut une peine, si la loi se tait, le juge doit sans difficulté prononcer la peine la plus douce, parce qu’il est homme.

Les profanations sacriléges ne sont jamais commises que par de jeunes débauchés ; les punirez-vous aussi sévèrement que s’ils avaient tué leurs frères ? leur, âge plaide en leur faveur. Ils ne peuvent disposer de leurs biens, parce qu’ils ne sont point supposés avoir assez de maturité dans l’esprit, pour voir les conséquences d’un mauvais marché ; ils n’en ont donc pas eu assez pour voir la conséquence de leur emportement impie.

Traiterez-vous un jeune dissolu[3], qui, dans son aveuglement, aura profané une image sacrée sans la voler, comme vous avez traité la Brinvilliers, qui avait empoisonné son père et sa famille ? Il n’y a point de loi expresse contre ce malheureux, et vous en feriez une pour le livrer au plus grand supplice ! Il mérite un châtiment exemplaire, mais mérite-t-il des tourmens qui effraient la nature, et une mort épouvantable ?

Il a offensé Dieu ! oui, sans doute, et très-gravement ; usez-en avec lui comme Dieu même. S’il fait pénitence, Dieu lui pardonne ; imposez-lui une pénitence forte, et pardonnez-lui.

Votre illustre Montesquieu a dit : « Il faut faire honorer la divinité, et ne la venger jamais[4]. » Pesons ces paroles : elles ne signifient pas qu’on doive abandonner le maintien de l’ordre public ; elles signifient, comme le dit le judicieux auteur des Délits et des Peines, qu’il est absurde qu’un insecte croie venger l’Être-Suprême : ni un juge de village, ni un juge de ville, ne sont des Moïse et des Josué.

§ VI.

Indulgence des Romains sur ces objets.

D’un bout de l’Europe à l’autre, le sujet de la conversation des honnêtes gens instruits roule souvent sur cette différence prodigieuse entre les lois romaines et tant d’usages barbares qui leur ont succédé, comme les immondices d’une ville superbe, qui couvrent ses ruines.

Certes, le sénat romain avait un aussi profond respect que nous pour le Dieu suprême, et autant pour les dieux immortels et secondaires, dépendans de leur maître éternel, que nous en montrons pour nos saints.

Ab Jove principium, …

(Virg. Ecl. iii.)

était la formule ordinaire[5]. Pline, dans le panégyrique du bon Trajan, commence par attester que les Romains ne manquèrent jamais d’invoquer Dieu en commençant leurs affaires ou leurs discours. Cicéron, Tite-Live, l’attestent. Nul peuple ne fut plus religieux ; mais aussi il était trop sage et trop grand pour descendre à punir de vains discours, ou des opinions philosophiques. Il était incapable d’infliger des supplices barbares à ceux qui doutaient des augures, comme Cicéron, augure lui-même, en doutait, ni à ceux qui disaient en plein sénat, comme César, que les dieux ne punissent point les hommes après la mort.

On a cent fois remarqué que le sénat permit que sur le théâtre de Rome, le chœur chantât, dans la Troade :

« Il n’est rien après le trépas, et le trépas n’est rien. Tu demandes en quel lieu sont les morts ? Au même lieu où ils étaient avant de naître[6]. »

S’il y eut jamais des profanations, en voilà sans doute ; et depuis Ennius jusqu’à Ausone, tout est profanation, malgré le respect pour le culte. Pourquoi donc le sénat romain ne les réprimait-il pas ? c’est qu’elles n’influaient en rien sur le gouvernement de l’état ; c’est qu’elles ne troublèrent aucune institution, aucune cérémonie religieuse. Les Romains n’en eurent pas moins une excellente police, : et ils n’en furent pas moins les maîtres absolus de la plus belle partie du monde, jusqu’à Théodose II.

La maxime du sénat, comme on l’a dit ailleurs, était, Deorum offensæ Diis curæ : les offenses contre les Dieux ne regardent que les Dieux. Les sénateurs étant à la tête de la religion, par l’institution la plus sage, n’avaient point à craindre qu’un collége de prêtres les forçât à servir sa vengeance, sous prétexte de venger le ciel. Ils ne disaient point : Déchirons les impies, de peur de passer pour impies nous-mêmes ; prouvons aux prêtrs que nous sommes aussi religieux qu’eux, en étant cruels.

Notre religion est plus sainte que celle des anciens Romains. L’impiété parmi nous est un plus grand crime que chez eux. Dieu la punira ; c’est aux hommes à punir ce qu’il y a de criminel dans le désordre public que cette impiété a causé. Or, si dans une impiété il ne s’est pas volé un mouchoir, si personne n’a reçu la moindre injure, si les rites religieux n’ont pas été troublés, punirons-nous {il le faut dire encore) cette impiété comme un parricide ? La maréchale d’Ancre avait fait tuer un coq blanc dans la pleine lune, fallait-il, pour cela, brûler la maréchale d’Ancre ?

Est modus in rebus, sunt certi denique fines.

(Hor. L. i, sat. i.)

Ne scuticâ dignum horribili sectere flagella.

(Hor. L. i, sat. iii.)

§ VII.

Du crime de la prédication, et d’Antoine.

Un prédicant calviniste, qui vient prêcher secrètement ses ouailles dans certaines provinces, est puni de mort, s’il est découvert[7] ; et ceux qui lui ont donné à souper et à coucher, sont envoyés aux galères perpétuelles.

Dans d’autres pays, un jésuite qui vient prêcher, est pendu. Est-ce Dieu qu’on a voulu venger, en faisant pendre ce prédicant et ce jésuite ? S’est-on, des deux côtés, appuyé sur cette loi de l’évangile : Quiconque n’écoute point l’assemblée, soit traité comme un païen et comme un receveur des deniers publics ? Mais l’évangile n’ordonna pas qu’on tuât ce païen et ce receveur.

S’est-on fondé sur ces paroles du Deutéronome[8]: « S’il s’élève un prophète,… et que ce qu’il a prédit arrive,… et qu’il vous dise : suivons des dieux étrangers ;… et si votre frère ou votre fils, ou votre chère femme, ou l’ami de votre cœur vous dit : Allons, servons des dieux étrangers,… tuez-le aussitôt, frappez le premier, et tout le peuple après vous » ? Mais ni ce jésuite, ni ce calviniste ne vous ont dit : Allons, suivons des dieux étrangers.

Le conseiller Dubourg, le chanoine Jehan Chauvin, dit Calvin ; le médecin Servet, espagnol ; le calabrois Gentilis, servaient le même dieu ; cependant le président Minard fit pendre le conseiller Dubourg, et les amis de Dubourg firent assassiner Minard ; et Jehan Calvin fit brûler le médecin Servet à petit feu, et eut la consolation de contribuer beaucoup à faire trancher la tête au calabrois Gentilis ; et les successeurs de Jehan Calvin firent brûler Antoine. Est-ce la raison, la piété, la justice, qui ont commis tous ces meurtres ?

L’histoire d’Antoine est une des plus singulières dont le souvenir se soit conservé dans les annales de la démence. Voici ce que j’en ai lu dans un manuscrit très-curieux, et qui est rapporté en partie par Jacob Spon : Antoine était né à Brieu en Lorraine, de père et de mère catholiques, et avait étudié à Pont-à-Mousson, chez les Jésuites. Le prédicant Ferri[9] l’engagea dans la religion protestante, à Metz. Étant retourné à Nancy, on lui fit son procès comme à un hérétique ; et si un ami ne l’avait fait sauver, il allait périr par la corde. Réfugié à Sédan, on le soupçonna d’être papiste, et on voulut l’assassiner.

Voyant par quelle étrange fatalité sa vie n’était en sûreté ni chez les protestans, ni chez les catholiques, il alla se faire juif à Venise. Il se persuada très-sincèrement, et il soutint jusqu’au dernier moment de sa vie, que la religion juive était la seule véritable, et que, puisqu’elle l’avait été autrefois, elle devait l’être toujours. Les Juifs ne le circoncirent point, de peur de se faire des affaires avec le magistrat ; mais il n’en fut pas moins juif intérieurement. Il n’en fit point profession ouverte ; et même, étant allé à Genève en qualité de prédicant, il y fut premier régent du collége, et enfin il devint ce qu’on appelle ministre.

Le combat perpétuel qui s’excitait dans son cœur, entre la secte de Calvin qu’il était obligé de prêcher, et la religion mosaïque à laquelle seule il croyait, le rendit long-temps malade. Il tomba dans une mélancolie et dans une maladie cruelle ; troublé par ses douleurs il s’écria qu’il était juif. Des ministres vinrent le visiter, et tâchèrent de le faire rentrer en lui-même ; il leur répondit qu’il n’adorait que le dieu d’Israël ; qu’il était impossible que Dieu changeât ; que Dieu ne pouvait avoir donné lui-même et gravé de sa main une loi pour l’abolir. Il parla contre le christianisme, ensuite il se dédit. Il écrivit une profession de foi, pour échapper à la condamnation ; mais après l’avoir écrite, la malheureuse persuasion où il était ne lui permit pas de la signer. Le conseil de la ville assembla les prédicans, pour savoir ce qu’il devait faire de cet infortuné. Le petit nombre de ces prêtres opina qu’on devait avoir pitié de lui ; qu’il fallait plutôt tâcher de guérir sa maladie du cerveau, que la punir : le plus grand nombre décida qu’il méritait d’être brûlé, et il le fut.

Cette aventure est de 1632[10]. Il faut cent ans de raison et de vertu pour expier un pareil jugement.

§ VIII.

Histoire de Simon Morin.

La fin tragique de Simon Morin n’effraie pas moins que celle d’Antoine. Ce fut au milieu des fêtes d’une cour brillante, parmi les amours et les plaisirs, ce fut même dans le temps de la plus grande licence, que ce malheureux fut brûlé à Paris, en 1663. C’était un insensé qui croyait avoir eu des visions, et qui poussa la folie jusqu’à se croire envoyé de Dieu, et à se dire incorporé à Jésus-Christ.

Le parlement le condamna très-sagement à être enfermé aux petites maisons. Ce qui est extrêmement singulier, c’est qu’il y avait alors, dans le même hôpital, un autre fou qui se disait le Père éternel, de qui même la démence a passé en proverbe. Simon Morin fut si frappé de la folie de son compagnon, qu’il reconnut la sienne. Il parut rentrer pour quelque temps dans son bon sens ; il exposa son repentir aux magistrats, et malheureusement pour lui, il obtint son élargissement.

Quelque temps après, il retomba dans ses accès ; il dogmatisa. Sa mauvaise destinée voulut qu’il fit connaissance avec Saint-Sorlin Des Marêts, qui fut pendant plusieurs mois son ami, mais qui bientôt, par jalousie de métier, devint son plus cruel persécuteur.

Ce Des Marêts n’était pas moins visionnaire que Morin : ses premières inepties furent à la vérité innocentes ; c’étaient les tragi-comédies d’Érigone et de Mirame, imprimées avec une traduction des psaumes ; c’étaient le roman d’Ariane et le poëme de Clovis, à côté de l’office de la Vierge mis en vers ; c’étaient des poésies dithyrambiques, enrichies d’invectives contre Homère et Virgile. De cette espèce de folie, il passa à une autre plus sérieuse ; on le vit s’acharner contre Port-Royal ; et après avoir avoué qu’il avait engagé des femmes dans l’athéisme, il s’érigea en prophète. Il prétendit que Dieu lui avait donné de sa main la clé du trésor de l’Apocalypse ; qu’avec cette clé il ferait une réforme de tout le genre humain, et qu’il allait commander une armée de cent quarante mille hommes contre les jansénistes.

Rien n’eût été plus raisonnable et plus juste que de le mettre dans la même loge que Simon Morin ; mais pourra-t-on s’imaginer qu’il trouva beaucoup de crédit auprès du jésuite Annat, confesseur du roi ? Il lui persuada que ce pauvre Simon Morin établissait une secte presque aussi dangereuse que le jansénisme même. Enfin, ayant porté l’infamie jusqu’à se rendre délateur, il obtint du lieutenant-criminel un décret de prise de corps contre son malheureux rival. Osera-t-on le dire ? Simon Morin fut condamné à être brûlé vif.

Lorsqu’on allait le conduire au supplice, on trouva dans un de ses bas un papier dans lequel il demandait pardon à Dieu de toutes ses erreurs : cela devait le sauver ; mais la sentence était confirmée : il fut exécuté sans miséricorde.

De telles aventures font dresser les cheveux. Et dans quel pays n’a-t-on pas vu des événemens aussi déplorables ? Les hommes oublient partout qu’ils sont frères, et ils se persécutent jusqu’à la mort. Il faut se flatter, pour la consolation du genre humain, que ces temps horribles ne reviendront plus.

§ IX.

Des Sorciers.

En 1749[11], on brûla une femme dans l’évêché de Würtzbourg, convaincue d’être sorcière. C’est un grand phénomène dans le siècle où nous sommes. Mais est-il possible que des peuples qui se vantaient d’être réformés, et de fouler aux pieds les superstitions, qui pensaient enfin avoir perfectionné leur raison, aient pourtant cru aux sortiléges ; aient fait brûler de pauvres femmes accusées d’être sorcières, et cela plus de cent années après la prétendue réforme de leur raison ?

Dès l’année 1652[12], une paysanne du petit territoire de Genève, nommée Michelle Chaudron, rencontra le diable en sortant de la ville. Le diable lui donna un baiser, reçut son hommage, et imprima sur sa lèvre supérieure et à son téton droit, la marque qu’il a coutume d’appliquer à toutes les personnes qu’il reconnaît pour ses favorites. Ce sceau du diable est un petit seing qui rend la peau insensible, comme l’affirment tous les jurisconsultes démonographes de ce temps-là.

Le diable ordonna à Michelle Chaudron d’ensorceler deux filles. Elle obéit à son seigneur ponctuellement. Les parens des filles l’accusèrent juridiquement de diablerie. Les filles furent interrogées et confrontées avec la coupable ; elles attestèrent qu’elles sentaient continuellement une fourmilière dans certaines parties de leur corps, et qu’elles étaient possédées. On appela les médecins, ou du moins ceux qui passaient alors pour médecins. Ils visitèrent les filles. Ils cherchèrent sur le corps de Michelle le sceau du diable, que le procès-verbal appelle les marques sataniques. Ils y enfoncèrent une longue aiguille, ce qui était déjà une torture douloureuse. Il en sortit du sang, et Michelle fit connaître par ses cris, que les marques sataniques ne rendent point insensible. Les juges ne voyant pas de preuves complètes que Michelle Chaudron fût sorcière, lui firent donner la question, qui produit infailliblement des preuves : cette malheureuse, cédant à la violence des tourmens, confessa enfin tout ce qu’on voulut.

Les médecins cherchèrent encore la marque satanique. Ils la trouvèrent à un petit seing noir, sur une de ses cuisses. Ils y enfoncèrent l’aiguille. Les tourmens de la question avaient été si horribles, que cette pauvre créature expirante sentit à peine l’aiguille ; elle ne cria point : ainsi le crime fut avéré. Mais comme les mœurs commençaient à s’adoucir, elle ne fut brûlée qu’après avoir été pendue et étranglée.

Tous les tribunaux de l’Europe chrétienne retentissaient alors de pareils arrêts. Les bûchers étaient allumés partout pour les sorciers comme pour les hérétiques. Ce qu’on reprochait le plus aux Turcs, c’était de n’avoir ni sorciers ni possédés parmi eux. On regardait cette privation de possédés, comme une marque infaillible de la fausseté d’une religion.

Un homme zélé pour le bien public, pour l’humanité, pour la vraie religion, a publié dans un de ses écrits en faveur de l’innocence, que les tribunaux chrétiens ont condamné à la mort plus de cent mille prétendus sorciers. Si on joint à ces massacres juridiques, le nombre infiniment supérieur d’hérétiques immolés, cette partie du monde ne paraîtra qu’un vaste échafaud couvert de bourreaux et de victimes, entouré de juges, de sbires et de spectateurs.

§ X.

De la Peine de mort.

On a dit, il y a long-temps, qu’un homme pendu n’est bon à rien, et que les supplices inventés pour le bien de la société, doivent être utiles à cette société. Il est évident que vingt voleurs vigoureux, condamnés à travailler aux ouvrages publics toute leur vie, servent l’état par leur supplice, et que leur mort ne fait de bien qu’au bourreau que l’on paie pour tuer les hommes en public. Rarement les voleurs sont-ils punis de mort en Angleterre : on les transporte dans les colonies. Il en est de même dans les vastes états de la Russie : on n’a exécuté aucun criminel[13] sous l’empire de l’autocratrice Élisabeth. Catherine II, qui lui a succédé avec un génie très-supérieur, suit la même maxime. Les crimes ne se sont point multipliés par cette humanité ; et il arrive presque toujours que les coupables relégués en Sibérie, y deviennent gens de bien. On remarque la même chose dans les colonies Anglaises. Ce changement heureux nous étonne, mais rien n’est plus naturel. Ces condamnés sont forcés à un travail continuel pour vivre ; les occasions du vice leur manquent ; ils se marient, ils peuplent. Forcez les hommes au travail, vous les rendrez honnêtes gens. On sait assez que ce n’est pas à la campagne que se commettent les grands crimes, excepté peut-être quand il y a trop de fêtes, qui forcent l’homme à l’oisiveté, et le conduisent à la débauche.

On ne condamnait un citoyen romain à mourir, que pour des crimes qui intéressaient le salut de l’état. Nos maîtres, nos premiers législateurs, ont respecté le sang de leurs compatriotes ; nous prodiguons celui des nôtres.

On a long-temps agité cette question délicate et funeste : s’il est permis aux juges de punir de mort quand la loi ne prononce pas expressément le dernier supplice. Cette difficulté fut solennellement débattue devant l’empereur Henri[14]. Il jugea et décida qu’aucun juge ne peut avoir ce droit[15].

Il y a des affaires criminelles, ou si imprévues, ou si compliquées, ou accompagnées de circonstances si bizarres, que la loi elle-même a été forcée, dans plus d’un pays, d’abandonner ces cas singuliers à la prudence des juges[16]. Mais s’il se trouve en effet une cause dans laquelle la loi permette de faire mourir un accusé qu’elle n’a pas condamné, il se trouvera mille causes dans lesquelles l’humanité, plus forte que la loi, doit épargner la vie de ceux que la loi elle-même à dévoués à la mort.

L’épée de la justice est entre nos mains ; mais nous devons plus souvent l’émousser que la rendre plus tranchante. On la porte dans son fourreau devant les rois, c’est pour nous avertir de la tirer rarement.

On a vu des juges qui aimaient à faire couler le sang ; tel était Jeffreys en Angleterre ; tel était en France un homme à qui l’on donna le surnom de coupe-tête[17]. De tels hommes n’étaient pas nés pour la magistrature ; la nature les fit pour être bourreaux.

§ XI.

Des Témoins[18].

Faut-il que, dans tous les cas, deux témoins constans, invariables dans leurs dépositions uniformes, suffisent pour faire condamner un accusé ? Deux hommes également prévenus se trompent si souvent, et croient avoir vu ce qu’ils n’ont point vu ! sur-tout quand les esprits sont échauffés, quand un enthousiasme de faction ou de religion fascine les yeux.

............

Pour ne citer que des exemples connus, et au-dessus de tout reproche, rapportons l’incroyable, mais publique aventure de La Pivardière. Madame de Chauvelin, mariée en secondes noces avec lui, est accusée de l’avoir fait assassiner dans son château. Deux servantes ont été témoins du meurtre. Sa propre fille a entendu les cris et les dernières paroles de son père : Mon Dieu, ayez pitié de moi ! L’une des servantes, malade, en danger de mort, atteste Dieu, en recevant les sacremens de son église, que sa maîtresse a vu tuer son maître. Plusieurs autres témoins ont vu les linges teints de son sang ; plusieurs ont entendu le coup de fusil par lequel on a commencé l’assassinat. Sa mort est avérée : cependant il n’y avait eu ni coup de fusil tiré, ni sang répandu, ni personne tué. Le reste est bien plus extraordinaire. La Pivardière revient chez lui ; il se présente aux juges de la province, qui poursuivaient la vengeance de sa mort. Les juges ne veulent pas perdre leur procédure ; ils lui soutiennent qu’il est mort, qu’il est un imposteur de se dire encore en vie, qu’il doit être puni, de mentir ainsi à la justice, que leurs procédures sont plus croyables que lui. Ce procès criminel dure dix-huit mois, avant que ce pauvre gentilhomme puisse obtenir un arrêt comme quoi il est en vie[19].

§ XII.

De l’Exécution des arrêts.

Faut-il aller au bout de la terre, faut-il recourir aux lois de la Chine, pour voir combien le sang des hommes doit être ménagé ? Il y a plus de quatre mille ans que les tribunaux de cet empire existent, et il y a aussi plus de quatre mille ans qu’on n’exécute pas un villageois à l’extrémité de l’empire, sans envoyer son procès à l’empereur, qui le fait examiner trois fois par un de ses tribunaux ; après quoi il signe l’arrêt de mort, ou le changement de peine, ou de grâce entière[20].

Ne cherchons pas des exemples si loin ; l’Europe en est pleine. Aucun criminel en Angleterre n’est mis à mort, que le roi, n’ait signé la sentence ; il en est ainsi en Allemagne, et dans presque tout le nord. Tel était autrefois l’usage de la France, tel il doit être chez toutes les nations policées. La cabale, le préjugé, l’ignorance, peuvent dicter des sentences loin du trône. Ces petites intrigues, ignorées à la cour, ne peuvent faire impression sur elle ; les grands objets l’environnent. Le conseil suprême est plus accoutumé aux affaires, et plus au-dessus du préjugé ; l’habitude de voir tout en grand, l’a rendu moins ignorant et plus sage ; il voit mieux qu’une justice subalterne de province, si le corps de l’état a besoin ou non d’exemples sévères. Enfin, quand la justice inférieure a jugé sur la lettre de la loi, qui peut être rigoureuse, le conseil mitige l’arrêt suivant l’esprit de toute loi, qui est de n’immoler les hommes que dans une nécessité évidente.

§ XIII.

De la Question.

Tous les hommes étant exposés aux attentats de la violence ou de la perfidie, détestent les crimes dont ils peuvent être les victimes. Tous se réunissent à vouloir la punition des principaux coupables et de leurs complices ; et tous cependant, par une pitié que Dieu a mise dans nos cœurs, s’élèvent contre les tortures qu’on fait souffrir aux accusés dont on veut arracher l’aveu. La loi ne les a pas encore condamnés, et on leur inflige, dans l’incertitude où l’on est de leur crime, un supplice beaucoup plus affreux que la mort qu’on leur donne quand on est certain qu’ils la méritent. Quoi ! j’ignore encore si tu es coupable, et il faudra que je te tourmente pour m’éclairer ; et si tu es innocent, je n’expierai point envers toi ces mille morts que je t’ai fait souffrir, au lieu d’une seule que je te préparais ! Chacun frissonne à cette idée. Je ne dirai point ici que saint Augustin s’élève contre la question dans sa Cité de Dieu. Je ne dirai point qu’à Rome on ne la faisait souffrir qu’aux esclaves, et que cependant Quintilien, se souvenant que les esclaves sont hommes, réprouve cette barbarie.

Quand il n’y aurait qu’une nation sur la terre qui eût aboli l’usage de la torture, s’il n’y a pas plus de crimes chez cette nation que chez une autre ; si d’ailleurs elle est plus éclairée, plus florissante depuis cette abolition, son exemple suffit au reste du monde entier. Que l’Angleterre seule instruise les autres peuples ; mais elle n’est pas la seule ; la torture est proscrite dans d’autres royaumes, et avec succès. Tout est donc décidé. Des peuples qui se piquent d’être polis, ne se piqueront-ils pas d’être humains ? S’obstineront-ils dans une pratique inhumaine, sur le seul prétexte qu’elle est d’usage ? Réservez au moins cette cruauté pour des scélérats avérés qui auront assassiné un père de famille, ou le père de la patrie : recherchez leurs complices ; mais qu’une jeune personne qui aura commis quelques fautes qui ne laissent aucunes traces après elles, subisse la même torture qu’un parricide, n’est-ce pas une barbarie inutile ? J’ai honte d’avoir parlé sur ce sujet, après ce qu’en a dit l’auteur des Délits et des Peines. Je dois me borner à souhaiter qu’on relise souvent l’ouvrage de cet amateur de l’humanité.

§ XIV.

De quelques Tribunaux de sang.

Croirait-on qu’il y ait eu autrefois un tribunal suprême plus horrible que l’inquisition, et que ce tribunal ait été établi par Charlemagne ? C’était le jugement de Westphalie, autrement appelé la Cour vémique. La sévérité ou plutôt la cruauté de cette cour, allait jusqu’à punir de mort tout Saxon qui avait rompu le jeûne en carême. La même loi fut établie en Flandre et en Franche-Comté, au commencement du dix-septième siècle.

Les archives d’un petit coin de pays appelé Saint-Claude, dans les plus affreux rochers de la comté de Bourgogne, conservent la sentence et le procès-verbal d’exécution d’un pauvre gentilhomme nommé Claude Guillon, auquel on trancha la tête le 28 juillet 1629. Il était réduit à la misère, et pressé d’une faim dévorante ; il mangea, un jour maigre, un morceau d’un cheval qu’on avait tué dans un pré voisin. Voilà son crime. Il fut condamné comme un sacrilége. S’il eût été riche et qu’il se fût fait servir à souper pour deux cents écus de marée, en laissant mourir de faim les pauvres, il aurait été regardé comme un homme qui remplissait tous ses devoirs. Voici le prononcé de la sentence du juge :

« Nous, après avoir vu toutes les pièces du procès et ouï l’avis des docteurs en droit, déclarons ledit Claude Guillon duement atteint et convaincu d’avoir emporté de la viande d’un cheval tué dans le pré de cette ville ; d’avoir fait cuire ladite viande le 31 mars, jour de samedi, et d’en avoir mangé, etc. »

Quels docteurs que ces docteurs en droit, qui donnèrent leurs avis ! Est-ce chez les Topinambous et chez les Hottentots que ces aventures sont arrivées ? La cour vémique était bien plus horrible ; elle déléguait secrètement des commissaires qui allaient, sans être connus, dans toutes les villes d’Allemagne, prenaient des informations sans les dénoncer aux accusés, les jugeaient sans les entendre : et souvent quand ils manquaient de bourreaux, le plus jeune des juges en faisait l’office, et pendait lui-même le condamné[21]. Il fallut, pour se soustraire aux assassinats de cette chambre, obtenir des lettres d’exemption, des sauvegardes des empereurs, encore furent-elles souvent inutiles. Cette cour de meurtriers ne fut pleinement dissoute que par Maximilien Ier ; elle aurait dû l’être dans le sang des juges. Le tribunal des dix, à Venise, était, en comparaison, un institut de miséricorde.

Que penser de ces horreurs et de tant d’autres ? Est-ce assez de gémir sur la nature humaine ? Il y eut des cas où il fallut la venger.

§ XV.

De la différence des Lois politiques et des Lois naturelles.

J’appelle lois naturelles, celles que la nature indique dans tous les temps, à tous les hommes, pour le maintien de cette justice que la nature, quoi qu’on en dise, a gravée dans nos cœurs. Partout le vol, la violence, l’homicide, l’ingratitude envers les parens bienfaiteurs, le parjure commis pour nuire et non pour secourir un innocent, la conspiration contre sa patrie, sont des délits évidens plus ou moins sévèrement réprimés, mais toujours justement.

J’appelle lois politiques, ces lois faites selon le besoin présent, soit pour affermir la puissance, soit pour prévenir des malheurs.

On craint que l’ennemi ne reçoive des nouvelles d’une ville, on ferme les portes ; on défend de s’échapper par les remparts, sous peine de mort.

On redoute une secte nouvelle, qui, se parant en public de son obéissance au souverain, cabale en secret pour se soustraire à cette obéissance ; qui prêche que tous les hommes sont égaux, pour les soumettre également à ses nouveaux rites ; qui enfin, sous prétexte qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et que la secte dominante est chargée de superstitions et de cérémonies ridicules, veut détruire ce qui est consacré par l’état ; on statue la peine de mot contre ceux qui, en dogmatisant publiquement en faveur de cette secte, peuvent porter le peuple à la révolte.

Deux ambitieux disputent un trône ; le plus fort l’emporte : il décerne peine de mort contre les partisans du plus faible. Les juges deviennent les instrumens de la vengeance du nouveau souverain, et les appuis de son autorité. Quiconque était en relation, sous Hugues Capet, avec Charles de Lorraine, risquait d’être condamné à la mort, s’il n’était puissant.

Lorsque Richard III, meurtrier de ses deux neveux, eut été reconnu roi d’Angleterre, le grand jury fit écarteler le chevalier Guillaume Colingburn[22], coupable d’avoir écrit à un ami du comte de Richemont, qui levait alors des troupes, et qui régna depuis sous le nom de Henri VII ; on trouva deux lignes de sa main, qui étaient d’un ridicule grossier : elles suffirent pour faire périr ce chevalier par un affreux supplice. Les histoires sont pleines de pareils exemples de justice.

Le droit de représailles est encore une de ces lois reçues des nations. Votre ennemi a fait pendre un de vos braves capitaines qui a tenu quelque temps dans un petit château ruiné contre une armée entière : un de ses capitaines tombe entre vos mains ; c’est un homme vertueux, que vous estimez et que vous aimez ; vous le pendez par représailles. C’est la loi, dites-vous ; c’est-à-dire, que si votre ennemi s’est souillé d’un crime énorme, il faut que vous en commettiez un autre !

Toutes ces lois d’une politique sanguinaire n’ont qu’un temps ; et l’on voit bien que ce ne sont pas de véritables lois, puisqu’elles sont passagères. Elles ressemblent à la nécessité où l’on s’est trouvé quelquefois, dans une extrême famine, de manger des hommes. On ne les mange plus dès qu’on a du pain.

§ XVI.

Du crime de haute trahison. De Titus Oates, et de la mort d’Auguste De Thou.

On appelle haute trahison, un attentat contre la patrie ou contre le souverain qui la représente. Il est regardé comme un parricide ; donc on ne doit pas l’étendre jusqu’aux délits qui n’approchent pas du parricide. Car si vous traitez de haute trahison, un vol dans une maison de l’état, une concussion ou même des paroles séditieuses, vous diminuez l’horreur que le crime de haute trahison où de lèse-majesté doit inspirer.

Il ne faut pas qu’il y ait rien d’arbitraire, dans l’idée qu’on se forme des grands crimes. Si vous mettez un vol fait à un père par son fils, une imprécation d’un fils contre son père, dans le rang des parricides, vous brisez les liens de l’amour filial. Le fils ne regardera plus son père que comme un maître terrible. Tout ce qui est outré dans les lois, tend à la destruction des lois.

Dans les crimes ordinaires, la loi d’Angleterre est favorable à l’accusé ; mais dans celui de haute trahison, elle lui est contraire. L’ex-jésuite Titus Oates, ayant été juridiquement interrogé dans la chambre des communes, et ayant assuré par serment qu’il n’avait plus rien à dire, accusa cependant ensuite le secrétaire du duc d’York, depuis Jacques II, et plusieurs autres personnes, de haute trahison, et sa délation fut reçue : il jura d’abord devant le conseil du roi qu’il n’avait point vu ce secrétaire, et ensuite il jura qu’il l’avait vu. Malgré ces illégalités et ces contradictions, le secrétaire fut exécuté.

Ce même Oates et un autre témoin, déposèrent que cinquante jésuites avaient comploté d’assassiner le roi Charles II, et qu’ils avaient vu des commissions du P. Oliva, général des Jésuites, pour les officiers qui devaient commander une armée de rebelles. Ces deux témoins suffirent pour faire arracher le cœur à plusieurs accusés, et leur en battre les joues. Mais, en bonne foi, est-ce assez de deux témoins pour faire périr ceux qu’ils veulent perdre ? Il faut au moins que ces deux délateurs ne soient pas des fripons avérés ; il faut encore qu’ils ne déposent pas des choses improbables.

Il est bien évident que si les deux plus intègres magistrats du royaume accusaient un homme d’avoir conspiré avec le Muphti, pour circoncire tout le conseil d’état, le parlement, la chambre des comptes, l’archevêque et la sorbonne, en vain ces deux magistrats jureraient qu’ils ont vu les lettres du Muphti, on croirait plutôt qu’ils sont devenus fous qu’on n’aurait de foi à leur déposition. Il était tout aussi extravagant de supposer que le général des Jésuites levait une armée en Angleterre, qu’il le serait de croire que le Muphti envoie circoncire la cour de France. Cependant on eut le malheur de croire Titus Oates, afin qu’il n’y eût aucune sorte de folie atroce qui ne fût entrée dans la tête des hommes.

Les lois d’Angleterre ne regardent pas comme coupables d’une conspiration, ceux qui en sont instruits et qui ne la révèlent pas. Elles ont supposé que le délateur est aussi infâme que le conspirateur est coupable. En France, ceux qui savent une conspiration et ne la dénoncent pas, sont punis de mort. Louis XI, contre lequel on conspirait souvent, porta cette loi terrible. Un Louis XII, un Henri IV, ne l’eussent jamais imaginée.

Cette loi non-seulement force un homme de bien à être délateur d’un crime qu’il pourrait prévenir par de sages conseils et par sa fermeté, mais elle l’expose encore à être puni comme calomniateur, parce qu’il est très-aisé que les conjurés prennent tellement leurs mesures, qu’il ne puisse les convaincre.

Ce fut précisément le cas du respectable François-Auguste De Thou, conseiller d’état, fils du seul bon historien dont la France pouvait se vanter, égal à Guichardin par ses lumières, et supérieur peut-être par son impartialité.

La conspiration était tramée beaucoup plus contre le cardinal de Richelieu que contre Louis XIII. Il ne s’agissait point de livrer la France à des ennemis ; car le frère du roi, principal auteur de ce complot, ne pouvait avoir pour but de livrer un royaume dont il se regardait encore comme l’héritier présomptif, ne voyant entre le trône et lui qu’un frère aîné mourant, et deux enfans au berceau.

De Thou n’était coupable ni devant Dieu ni devant les hommes. Un des agens de Monsieur, frère unique du roi, du duc de Bouillon, prince souverain de Sédan, et du grand écuyer d’Effiat Cinq-Mars, avait communiqué de bouche le plan du complot au conseiller d’état. Celui-ci alla trouver le grand écuyer Cinq-Mars, et fit ce qu’il put pour le détourner de cette entreprise ; il lui en remontra les difficultés. S’il eût alors dénoncé les conspirateurs, il n’avait aucune preuve contre eux ; il eût été accablé par la dénégation de l’héritier présomptif de la couronne, par celle d’un prince souverain, par celle du favori du roi, enfin par l’exécration publique. Il s’exposait à être puni comme un lâche calomniateur.

Le chancelier Seguier même en convint, en confrontant De Thou avec le grand écuyer. Ce fut dans cette confrontation que De Thou dit à Cinq-Mars ces propres paroles mentionnées au procès-verbal : « Souvenez-vous, Monsieur, qu’il ne s’est point passé de journée que je ne vous aie parlé de ce traité, pour vous en dissuader. » Cinq-Mars reconnut cette vérité. De Thou méritait donc une récompense plutôt que la mort, au tribunal de l’équité humaine. Il méritait au moins que le cardinal de Richelieu l’épargnât ; mais l’humanité n’était pas sa vertu. C’est bien ici le cas de quelque chose de plus que summum jus, summa injuria. L’arrêt de mort de cet homme de bien porte : « Pour avoir eu connaissance et participation desdites conspirations. » Il ne dit point pour ne les avoir pas révélées. Il semble que le crime soit d’être instruit d’un crime, et qu’on soit digne de mort pour avoir des yeux et des oreilles.

Tout ce qu’on peut dire, peut-être, d’un tel arrêt, c’est qu’il ne fut pas rendu par justice, mais par des commissaires[23]. La lettre de la loi meurtrière était précise. C’est non-seulement aux jurisconsultes, mais à tous les hommes, de prononcer si l’esprit de la loi ne fut pas perverti. C’est une triste contradiction, qu’un petit nombre d’hommes fasse périr, comme criminel, celui que toute une nation juge innocent et digne d’estime. :

§ XVII.

De la Révélation par la confession.

Jaurigni et Balthazar Gérard, assassins du prince d’Orange Guillaume Ier ; le dominicain Jacques Clément, Châtel, Ravaillac, et tous les autres parricides de ce temps-là, se confessèrent avant de commettre leurs crimes. Le fanatisme, dans ces siècles déplorables, était parvenu à un tel excès, que la confession, n’était qu’un engagement de plus à consommer leur scélératesse : elle devenait sacrée, par cette raison que la confession est un sacrement.

Strada dit lui-même que Jaurigni non ante facinus aggredi sustinuit, quàm expiatam necis animam apud dominicanum sacerdotem cœlesti pane firmaverit. « Jaurigny n’osa entreprendre cette action sans avoir fortifié, par le pain céleste, son âme purgée par la confession aux pieds d’un dominicain. »

On voit, dans l’interrogatoire de Ravaillac, que ce malheureux, sortant des Feuillans, et voulant entrer chez les Jésuites, s’était adressé au jésuite d’Aubigni ; qu’après lui avoir parlé de plusieurs apparitions qu’il avait eues, il montra à ce jésuite un couteau, sur la lame duquel un cœur et une croix étaient gravés, et qu’il dit ces propres mots au jésuite : « Ce cœur indique que le cœur du roi doit être porté à faire la guerre aux huguenots. »

Peut-être si d’Aubigni avait eu assez de zèle et de prudence pour faire instruire le roi de ces paroles, peut-être s’il avait dépeint l’homme qui les avait prononcées, le meilleur des rois n’aurait pas été assassiné.

Le 20 auguste de l’année 1610, trois mois après la mort de Henri IV, dont les blessures saignaient dans le cœur de tous les Français, l’avocat-général Servin, dont la mémoire est encore illustre, requit qu’on fît signer aux Jésuites les quatre articles suivans :

1o  Que le concile est au-dessus du pape ;

2o  Que le pape ne peut priver le roi d’aucun de ses droits par l’excommunication ;

3o  Que les ecclésiastiques sont entièrement soumis au roi, comme les autres ;

4o  Qu’un prêtre qui sait, par la confession, une conspiration contre le roi ou l’état, doit la révéler aux magistrats.

Le 22, le parlement rendit un arrêt par lequel il défendait aux Jésuites d’enseigner la jeunesse, avant d’avoir signé ces quatre articles ; mais la cour de Rome était alors si puissante, et celle de France si faible, que cet arrêt fut inutile.

Un fait qui mérite d’être observé, c’est que cette même cour de Rome, qui ne voulait pas qu’on révélât la confession quand il s’agissait de la vie des souverains, obligeait les confesseurs à dénoncer aux inquisiteurs ceux que leurs pénitentes accusaient en confession de les avoir séduites, et d’avoir abusé d’elles. Paul IV, Pie IV, Clément VIII et Grégoire XV, ordonnèrent ces révélations. C’était un piége bien embarrassant pour les confesseurs et pour les pénitentes. C’était faire d’un sacrement un greffe de délations et même de sacriléges. Car, par les anciens canons, et surtout par le concile de Latran, tenu sous Innocent III, tout prêtre qui révèle une confession, de quelque nature que ce puisse être, doit être interdit et condamné à une prison perpétuelle.

Mais il y a bien pis ; voilà quatre papes, aux seizième et dix-septième siècles, qui ordonnent la révélation d’un péché d’impureté, et qui ne permettent pas celle d’un parricide. Une femme avoue, ou suppose dans le sacrement, devant un carme, qu’un cordelier l’a séduite ; le carme doit dénoncer le cordelier. Un assassin fanatique, croyant servir Dieu en tuant son prince, vient consulter un confesseur sur ce cas de conscience ; le confesseur devient sacrilége, s’il sauve la vie à son souverain.

Cette contradiction absurde et horrible est une suite malheureuse de l’opposition continuelle qui règne, depuis tant de siècles, entre les lois ecclésiastiques et les lois civiles. Le Citoyen se trouve pressé dans cent occasions, entre le sacrilége et le crime de haute trahison ; et les règles du bien et du mal sont ensevelies dans un chaos dont on ne les a pas encore tirées.

La confession de ses fautes a été autorisée de tout temps, chez presque toutes les nations. On s’accusait dans les mystères d’Orphée, d’Isis, de Cérès, de Samothrace. Les Juifs faisaient l’aveu de leurs péchés le jour de l’expiation solennelle, et ils sont encore dans cet usage. Un pénitent choisit son confesseur, qui devient son pénitent à son tour, et chacun, l’un après l’autre, reçoit de son compagnon trente-neuf coups de fouet pendant qu’il récite trois fois la formule de confession, qui ne consiste qu’en treize mots, et qui, par conséquent, n’articule rien de particulier.

Aucune de ces confessions n’entra jamais dans les détails, aucune ne servit de prétexte à ces consultations secrètes que des pénitens fanatiques ont faites quelquefois pour avoir droit de pécher impunément, méthode pernicieuse qui corrompt une institution salutaire. La confession, qui était le plus grand frein des crimes, est souvent devenue, dans des temps de séduction et de trouble, un encouragement au crime même ; et c’est probablement pour toutes ces raisons que tant de sociétés chrétiennes ont aboli une pratique sainte, qui leur a paru aussi dangereuse qu’utile.

§ XVIII.

De la fausse monnaie.

Le crime de faire de la fausse monnaie est regardé comme haute trahison au second chef, et avec justice ; c’est trahir l’état que voler tous les particuliers de l’état. On demande si un négociant qui fait venir des lingots d’Amérique, et qui les convertit chez lui en bonne monnaie, est coupable de haute trahison, et s’il mérite la mort ? Dans presque tous les royaumes on le condamne au dernier supplice ; il n’a pourtant volé personne : au contraire, il a fait le bien de l’état en lui procurant une plus grande circulation d’espèces. Mais il s’est arrogé le droit du souverain ; il le vole, en s’attribuant le petit bénéfice que le roi fait sur les monnaies. Il a fabriqué de bonnes espèces, mais il expose ses imitateurs à la tentation d’en faire de mauvaises. C’est beaucoup que la mort. J’ai connu un jurisconsulte qui voulait qu’on condamnât ce coupable, comme un homme habile et utile, à travailler à la monnaie du roi, les fers aux pieds.

§ XIX.

Du Vol domestique.

Dans les pays où un petit vol domestique est puni par la mort, ce châtiment disproportionné n’est-il pas très-dangereux à la société ? n’est-il pas une invitation même au larcin ? Car s’il arrive qu’un maître livre son serviteur à la justice pour un vol léger, et qu’on ôte la vie à ce malheureux, tout le voisinage a ce maître en horreur ; on sent alors que la nature est en contradiction avec la loi, et que par conséquent la loi ne vaut rien.

Qu’arrive-t-il donc ? les maîtres volés, ne voulant pas se couvrir d’opprobre, se contentent de chasser leurs domestiques, qui vont voler ailleurs, et qui s’accoutument au brigandage. La peine de mort étant la même pour un petit larcin que pour un vol considérable, il est évident qu’ils chercheront à voler beaucoup. Ils pourront même devenir assassins, quand ils croiront que c’est un moyen de n’être pas découverts.

Mais si la peine est proportionnée au délit, si le voleur domestique est condamné à travailler aux ouvrages publics, alors le maître le dénoncera sans scrupule ; il n’y aura plus de honte attachée à la dénonciation ; le vol sera moins fréquent. Tout prouve cette grande vérité, qu’une loi rigoureuse produit quelquefois les crimes.

§ XX.

Du Suicide.

Le fameux Duverger de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, regardé comme le fondateur de Port-Royal, écrivit vers l’an 1608 un Traité sur le Suicide[24], qui est devenu un des livres les plus rares de l’Europe.

Le Décalogue, dit-il, ordonne de ne point tuer. L’homicide de soi-même ne semble pas moins compris dans ce précepte que le meurtre du prochain. Or, s’il est des cas où il est permis de tuer son prochain, il est aussi des cas où il est permis de se tuer soi-même ; on ne doit attenter sur sa vie qu’après avoir consulté la raison.

L’autorité publique, qui tient la place de Dieu, peut disposer de notre vie. La raison de l’homme peut aussi tenir lieu de la raison de Dieu, c’est un rayon de la lumière éternelle[25].

Saint-Cyran étend beaucoup cet argument, qu’en peut prendre pour un pur sophisme ; mais quand il vient à l’explication et aux détails, il est plus difficile de lui répondre. On peut, dit-il, se tuer pour le bien de son prince, pour celui de sa patrie, pour celui de ses parens[26].

On ne voit pas en effet qu’on puisse condamner les Codrus et les Curtius. Il n’y a point de souverain qui osât punir la famille d’un homme qui se serait dévoué pour lui ; que dis-je ? il n’en est point qui osât ne la pas récompenser. Saint-Thomas, avant Saint-Cyran, avait dit la même chose. Mais on n’a besoin ni de Thomas, ni de Bonaventure, ni de Hauranne, pour savoir qu’un homme qui meurt pour sa patrie est digne de nos éloges.

L’abbé de Saint-Cyran conclut qu’il est permis de faire pour soi-même ce qu’il est beau de faire pour un autre. On sait assez tout ce qui est allégué dans Plutarque, dans Sénèque, dans Montaigne et dans cent autres philosophes, en faveur du suicide. C’est un lieu commun épuisé. Je ne prétends point ici faire l’apologie d’une action que les lois condamnent ; mais ni l’ancien Testament, ni le nouveau, n’ont jamais défendu à l’homme de sortir de la vie quand il ne peut plus la supporter. Aucune loi romaine n’a condamné le meurtre de soi-même. Au contraire, voici la loi de l’empereur Marc-Antonin, qui ne fut jamais révoquée.

« Si votre père ou votre frère, n’étant prévenu d’aucun crime, se tue, ou pour se soustraire aux douleurs, ou par ennui de la vie, ou par désespoir, ou par démence, que son testament soit valable, ou que ses héritiers succèdent par intestat[27]. »

Malgré cette loi humaine de nos maîtres, nous traînons encore sur la claie, nous traversons d’un pieu le cadavre d’un homme qui est mort volontairement ; nous rendons sa mémoire infime. Nous déshonorons sa famille autant qu’il est en nous. Nous punissons le fils d’avoir perdu son père, et la veuve d’être privée de son mari. On confisque même le bien du mort, ce qui est en effet ravir le patrimoine des vivans auxquels il appartient. Cette coutume, comme plusieurs autres, est dérivée de notre droit canon, qui prive de la sépulture ceux qui meurent d’une mort volontaire. On conclut de là qu’on ne peut hériter d’un homme qui est censé n’avoir point d’héritage au ciel. Le droit canon au titre de pænitentiâ, assure que Judas commit un plus grand péché en s’étranglant, qu’en vendant-Notre-Seigneur Jésus-Christ.

§ XXI.

D’une espèce de Mutilation.

On trouve dans le digeste une loi d’Adrien, qui prononce peine de mort contre les médecins qui font des eunuques, soit en leur arrachant les testicules, soit en les froissant[28].

On confisquait aussi par cette loi les biens de ceux se faisaient ainsi mutiler. On aurait pu punir Origène, qui se soumit à cette opération, ayant interprété rigoureusement ce passage de Saint-Mathieu : Il en est qui se sont châtrés eux-mêmes pour le royaume des cieux.

Les choses changèrent sous les empereurs suivans, qui adoptèrent le luxe asiatique, et sur-tout dans le bas empire de Constantinople, où l’on vit des eunuques devenir patriarches et commander des armées.

Aujourd’hui à Rome l’usage est qu’on châtre les enfans pour les rendre dignes d’être musiciens du pape, de sorte que castrato et musico del papa sont devenus synonymes. Il n’y a pas longtemps qu’on voyait à Naples, en gros caractères, au-dessus de la porte de certains barbiers : Qui si castrano maravigliosamente i putti.

§ XXII.

De la Confiscation attachée à tous les délits dont on a parlé.

C’est une maxime reçue au barreau : Qui confisque le corps confisque les biens ; maxime en vigueur dans les pays où la coutume tient lieu de loi. Ainsi, comme nous venons de le dire, on y fait mourir de faim les enfans de ceux qui ont terminé volontairement leurs tristes jours, comme les enfans des meurtriers. Ainsi une famille entière est punie dans tous les cas, pour la faute d’un seul homme.

Ainsi lorsqu’un père de famille aura été condamné aux galères perpétuelles par une sentence arbitraire[29], soit pour avoir donné retraite chez soi à un prédicant, soit pour avoir écouté son sermon dans quelque caverne ou dans quelque désert, la femme et les enfans sont réduits à mendier leur pain.

Cette jurisprudence, qui consiste à ravir la nourriture aux orphelins, et à donner à un homme le bien d’autrui, fut inconnue dans tout le temps de la république romaine. Sylla l’introduisit dans ses proscriptions. Il faut avouer qu’une rapine inventée par Sylla n’était pas un exemple à suivre. Aussi cette loi, qui semblait n’être dictée que par l’inhumanité et l’avarice, ne fut suivie ni par César, ni par le bon empereur Trajan, ni par les Antonins, dont toutes les nations prononcent encore le nom avec respect et avec amour. Enfin, sous Justinien, la confiscation n’eut lieu que pour le crime de lèse-majesté.

Il semble que dans les temps de l’anarchie féodale, les princes et les seigneurs des terres étant très-peu riches, cherchassent à augmenter leur trésor par les condamnations de leurs sujets, et qu’on voulût leur faire un revenu du crime. Les lois chez eux étant arbitraires, et la jurisprudence romaine ignorée, les coutumes ou bizarres ou cruelles prévalurent. Mais aujourd’hui que la puissance des souverains est fondée sur des richesses immenses et assurées, leur trésor n’a pas besoin de s’enfler des faibles débris d’une famille malheureuse. Ils sont abandonnés pour l’ordinaire au premier qui les demande. Mais est-ce à un citoyen à s’engraisser des restes du sang d’un autre citoyen ?

La confiscation n’est point admise dans les pays où le droit romain est établi, excepté le ressort du parlement de Toulouse. Elle ne l’est point dans quelques pays coutumiers, comme le Bourbonnais, le Berri, le Maine, le Poitou, la Bretagne, où au moins elle respecte les immeubles. Elle était établie autrefois à Calais, et les Anglais l’abolirent lorsqu’ils en furent les maîtres. Il est assez étrange que les habitans de la capitale vivent sous une loi plus rigoureuse que ceux des petites villes ; tant il est vrai que la jurisprudence a été souvent établie au hasard, sans régularité, sans uniformité, comme on bâtit des chaumières dans un village.

Qui croirait que l’an 1675, dans le beau siècle de la France, l’avocat général Omer Talon ait parlé ainsi en plein parlement, au sujet d’une demoiselle De Canillac[30] ?

« Au chapitre xiii du Deutéronome, Dieu dit : Si tu te rencontres dans une ville et dans un lieu où règne l’idolâtrie, mets tout au fil de l’épée, sans exception d’âge, de sexe ni de condition. Rassemble dans les places publiques toutes les dépouilles de la ville, brûle-la tout entière avec ses dépouilles, et qu’il ne reste qu’un monceau de cendres de ce lieu d’abomination. En un mot, fais-en un sacrifice au Seigneur, et qu’il ne demeure rien en tes mains des biens de cet anathème.

» Ainsi, dans le crime de lèse-majesté, le roi était maître des biens, et les enfans en étaient privés. Le procès ayant été fait à Naboth, quia maledixerat regi, le roi Achab se mit en possession de son héritage. David étant averti que Miphiboseth s’était engagé dans la rébellion, donna tous ses biens à Siba, qui lui en apporta la nouvelle : Tua sint omnia quæ fuerunt Miphiboseth. »

Il s’agit de savoir qui héritera des biens de mademoiselle De Canillac, biens autrefois confisqués sur son père, abandonnés par le roi à un garde du trésor royal, et donnés ensuite par le garde du trésor royal à la testatrice. Et c’est sur ce procès d’une fille d’Auvergne, qu’un avocat général s’en rapporte à Achab, roi d’une partie de la Palestine, qui confisqua la vigne de Naboth après avoir assassiné le propriétaire par le poignard de la justice ; action abominable, qui est passée en proverbe pour inspirer aux hommes l’horreur de l’usurpation. Assurément la vigne de Naboth n’avait aucun rapport avec l’héritage de Mademoiselle De Canillac. Le meurtre et la confiscation des biens de Miphiboseth, petit-fils du roi Saül, et fils de Jonathas, ami et protecteur de David, n’ont pas une plus grande affinité avec le testament de cette demoiselle.

C’est avec cette pédanterie, avec cette démence des citations étrangères au sujet, avec cette ignorance des premiers principes de la nature humaine, avec ces préjugés mal conçus et mal appliqués, que la jurisprudence a été traitée par des hommes qui ont eu de la réputation dans leur sphère. On laisse aux lecteurs à se dire ce qu’il est superflu qu’on leur dise.

§ XXIII.

De la Procédure criminelle, et de quelques autres formes.

Si un jour des lois humaines adoucissent en France quelques usages trop rigoureux, sans pourtant donner des facilités au crime, il est à croire qu’on réformera aussi la procédure dans les articles où les rédacteurs ont paru se livrer à un zèle trop sévère. L’ordonnance criminelle, en plusieurs points, semble n’avoir été dirigée qu’à la perte des accusés. C’est la seule loi qui soit uniforme dans tout le royaume ; ne devrait-elle pas être aussi favorable à l’innocent que terrible au coupable ? En Angleterre, un simple emprisonnement fait mal à propos est réparé par le ministre qui l’a ordonné ; mais en France, l’innocent qui a été plongé dans les cachots, qui a été appliqué à la torture, n’a nulle consolation à espérer, nul dommage à répéter contre personne ; il reste flétri pour jamais dans la société. L’innocent flétri ! et pourquoi ? parce qu’il a été disloqué ! il ne devrait exciter que la pitié et le respect. La recherche des crimes exige des rigueurs : c’est une guerre que la justice humaine fait à la méchanceté ; mais il y a de la générosité et de la compassion jusque dans la guerre. Le brave est compatissant ; faudrait-il que l’homme de loi fût barbare ?

Comparons seulement ici, en quelques points, la procédure criminelle des Romains avec la nôtre.

Chez les Romains, les témoins étaient entendus publiquement, en présence de l’accusé, qui pouvait leur répondre, les interroger lui-même, ou leur mettre en tête un avocat. Cette procédure était noble et franche, elle respirait la magnanimité romaine.

Chez nous tout se fait secrètement. Un seul juge, avec son greffier, entend chaque témoin l’un après l’autre. Cette pratique, établie par François Ier, fut autorisée par les commissaires qui rédigèrent l’ordonnance de Louis XIV, en 1670. Une méprise seule en fut la cause.

On s’était imaginé, en lisant le code de Testibus, que ces mots[31], testes intrare judicit secretum, signifiaient que les témoins étaient interrogés en secret. Mais secretum signifie ici le cabinet du juge. Intrare secretum, pour dire parler secrètement, ne serait pas latin. Ce fut un solécisme qui fit cette partie de notre jurisprudence..

Les déposans sont pour l’ordinaire des gens de la lie du peuple, et à qui le juge, enfermé avec eux, peut faire dire tout ce qu’il voudra. Ces témoins sont entendus une seconde fois, toujours en secret, ce qui s’appelle récolement. Et si après ce récolement ils se rétractent dans leurs dépositions, ou s’ils les changent, dans des circonstances essentielles, ils sont punis comme faux témoins. De sorte que lorsqu’un homme d’un esprit simple, et ne sachant pas s’exprimer, mais ayant le cœur droit et se souvenant qu’il en a dit trop ou trop peu, qu’il a mal entendu le juge, ou que le juge l’a mal entendu, révoque ce qu’il a dit, par un principe de justice, il est puni comme un scélérat, et il est forcé souvent de soutenir un faux témoignage, par la seule crainte d’être traité en faux témoin.

En fuyant, il s’expose à être condamné, soit que le crime ait été prouvé, soit qu’il ne l’ait pas été. Quelques jurisconsultes, à la vérité, ont assuré que le contumax ne devait pas être condamné, si le crime n’était pas clairement prouvé ; mais d’autres jurisconsultes, moins éclairés, et peut-être plus suivis, ont eu une opinion contraire ; ils ont osé dire que la fuite de l’accusé était une preuve du crime ; que le mépris qu’il marquait pour la justice, en refusant de comparaître, méritait le même châtiment que s’il était convaincu. Ainsi, suivant la secte des jurisconsultes que le juge aura embrassée, l’innocent sera absous ou condamné.

C’est un grand abus dans la jurisprudence française, que l’on prenne souvent pour loi les rêveries et les erreurs, quelquefois cruelles, d’hommes sans aveu qui ont donné leurs sentimens pour des lois.

Sous le règne de Louis XIV on a fait deux ordonnances qui sont uniformes dans tout le royaume. Dans la première, qui a pour objet la procédure civile, il est défendu aux juges de condamner, en matière civile, sur défaut, quand la demande n’est pas prouvée ; mais dans la seconde, qui règle la procédure criminelle, il n’est point dit que faute de preuves l’accusé sera renvoyé. Chose étrange ! La loi dit qu’un homme à qui on demande quelque argent ne sera condamné par défaut qu’au cas que la dette soit avérée ; mais s’il est question de la vie, c’est une controverse au barreau, de savoir si l’on doit condamner le contumax, quand le crime n’est pas prouvé ; et la loi ne résout pas la difficulté.

Quand l’accusé a pris la fuite, vous commencez par saisir et annoter tous ses biens ; vous n’attendez pas seulement que la procédure soit achevée. Vous n’avez encore aucune preuve ; vous ne savez pas encore s’il est innocent ou coupable, et vous commencez par lui faire des frais immenses !

C’est une peine, dites-vous, dont vous punissez sa désobéissance au décret de prise de corps. Mais l’extrême rigueur de votre pratique criminelle ne le forcera-t-elle pas à cette désobéissance ?

Un homme est-il accusé d’un crime, vous l’enfermez d’abord dans un cachot affreux ; vous ne lui permettez communication avec personne : vous le chargez de fers, comme si vous l’aviez déjà jugé coupable. Les témoins qui déposent contre lui sont entendus secrètement. Il ne les voit qu’un moment à la confrontation : avant d’entendre leurs dépositions, il doit alléguer les moyens de reproches qu’il a contre eux : il faut les circonstancier : il faut qu’il nomme au même instant toutes les personnes qui peuvent appuyer ces moyens : il n’est plus admis aux reproches après la lecture des dépositions. S’il montre aux témoins, ou qu’ils ont exagéré des faits, ou qu’ils en ont omis d’autres, ou qu’ils se sont trompés sur des détails, la crainte du supplice les fera persister dans leur parjure. Si des circonstances que l’accusé aura énoncées dans son interrogatoire sont rapportées différemment par les témoins, c’en sera assez à des juges, ou ignorans ou prévenus, pour condamner un innocent.

Quel est l’homme que cette procédure n’épouvante pas ? quel est l’homme juste qui puisse être sûr de n’y pas succomber ? Ô juges ! voulez-vous que l’innocent accusé ne s’enfuie pas ? facilitez-lui les moyens de se défendre.

La loi semble obliger le magistrat à se conduire envers l’accusé plutôt en ennemi qu’en juge. Ce juge est le maître d’ordonner la confrontation du prévenu avec le témoin, ou de l’omettre[32]. Comment une chose aussi nécessaire que la confrontation, peut-elle être arbitraire ?

L’usage semble en ce point contraire à la loi qui est équivoque ; il y a toujours confrontation, mais le juge ne confronte pas toujours tous les témoins ; il omet souvent ceux qui ne lui semblent pas faire une charge considérable : cependant tel témoin qui n’a rien dit contre l’accusé dans l’information, peut déposer en sa faveur à la confrontation. Le témoin peut avoir oublié des circonstances favorables au prévenu ; le juge même peut n’avoir pas senti d’abord la valeur de ces circonstances, et ne les avoir pas rédigées. Il est donc très-important que l’on confronte tous les témoins avec le prévenu, et qu’en ce point la confrontation ne soit pas arbitraire.

S’il s’agit d’un crime, le prévenu ne peut avoir d’avocat ; alors il prend le parti de la fuite : c’est ce que toutes les maximes du barreau lui conseillent ; mais en fuyant il peut être condamné, soit que le crime ait été prouvé, soit qu’il ne l’ait pas été. Ainsi donc un homme à qui l’on demande quelque argent n’est condamné par défaut qu’au cas que la dette soit avérée ; mais s’il est question de sa vie, on peut le condamner par défaut quand le crime n’est pas constaté. Quoi donc ! la loi aurait fait plus de cas de l’argent que de la vie ? Ô juges ! consultez le pieux Antoine et le bon Trajan ; ils défendent que les absens soient condamnés[33].

Quoi ! votre loi permet qu’un concussionnaire, un banqueroutier frauduleux, ait recours au ministère d’un avocat ; et très-souvent un homme d’honneur est privé de ce secours ! S’il peut se trouver une seule occasion où un innocent serait justifié par le ministère d’un avocat, n’est-il pas clair que la loi qui l’en prive est injuste ?

Le premier président de Lamoignon disait contre cette loi, que « l’avocat ou conseil qu’on avait accoutumé de donner aux accusés n’est point un privilége accordé par les ordonnances ni par les lois ; c’est une liberté acquise par le droit naturel, qui est plus ancien que toutes les lois humaines. La nature enseigne à tout homme qu’il doit avoir recours aux lumières des autres, quand il n’en a pas assez pour se conduire, et emprunter du secours quand ils ne se sent pas assez fort pour se défendre. Nos ordonnances ont retranché aux accusés tant d’avantages, qu’il est bien juste de leur conserver ce qui leur reste, et principalement l’avocat qui en fait la partie la plus essentielle. Que si l’on veut comparer notre procédure à celle des Romains et des autres nations, on trouvera qu’il n’y en a point de si rigoureuse que celle que l’on observe en France, particulièrement depuis l’ordonnance de 1539[34]. »

Cette procédure est bien plus rigoureuse depuis l’ordonnance de 1670. Elle eût été plus douce, si le plus grand nombre des commissaires eût pensé comme M. de Lamoignon.

Le parlement de Toulouse a un usage bien singulier dans les preuves par témoins. On admet ailleurs des demi-preuves, qui au fonds, ne sont que des doutes ; car on sait qu’il n’y a point de demi-vérités : mais à Toulouse on admet des quarts et des huitièmes de preuves. On y peut regarder, par exemple, un ouï-dire comme un quart, un autre ouï-dire plus vague, comme un huitième ; de sorte que huit rumeurs, qui ne sont qu’un écho d’un bruit mal fondé, peuvent devenir une preuve complète ; et c’est à peu près sur ce principe que Jean Calas fut condamné à la roue. Les lois romaines exigeaient des preuves luce meridianâ clariores.

§ XXIV.

Idée de quelque réforme.

La magistrature est si respectable, que le seul pays de la terre où elle est vénale fait des vœux pour être délivré de cet usage. On souhaite que le jurisconsulte puisse parvenir par son mérite à rendre la justice qu’il a défendue par ses veilles, par sa voix et par ses écrits. Peut-être alors on verrait naître, par d’heureux travaux, une jurisprudence régulière et uniforme.

Jugera-t-on toujours différemment la même cause en province et dans la capitale ? Faut-il que le même homme ait raison en Bretagne, et tort en Languedoc ? Que dis-je ? il y a autant de jurisprudences que de villes ; et dans le même parlement, la maxime d’une chambre n’est pas celle de la chambre voisine[35].

Quelle prodigieuse contrariété entre les lois du même royaume ! À Paris, un homme qui a été domicilié dans la ville un an et un jour, est réputé bourgeois. En Franche-Comté, un homme libre qui a demeuré un an et un jour dans une maison mainmortable, devient esclave ; ses collatéraux n’hériteraient pas de ce qu’il aurait acquis ailleurs ; et ses propres enfans sont réduits à la mendicité, s’ils ont passé un an loin de la maison où le père est mort. La province est nommée franche, mais quelle franchise !

Quand on veut poser des limites entre l’autorité civile et les usages ecclésiastiques, quelles disputes interminables ! où sont ces limités ? Qui conciliera les éternelles contradictions du fisc et de la jurisprudence ? Enfin, pourquoi dans certains pays les arrêts ne sont-ils jamais motivés ? Y a-t-il quelque honte à rendre raison de son jugement ? Pourquoi ceux qui jugent au nom du souverain ne présentent-ils pas au souverain leurs arrêts de mort avant qu’on les exécute ?

De quelque côté qu’on jette les yeux, on trouve la contrariété, la dureté, l’incertitude, l’arbitraire. Nous cherchons dans ce siècle à tout perfectionner ; cherchons donc à perfectionner les lois, dont nos vies et nos fortunes dépendent.

FIN DU COMMENTAIRE SUR LE LIVRE DES DÉLITS ET DES PEINES.
  1. Voyez l’Histoire de l’Église.
  2. Titre xiii, ad legem Juliam.
  3. Le chevalier De La Barre.
  4. Esprit des lois, Liv. xii, chap. 4.
  5. Benè ac sapienter patres conscripti majores instituerunt ut rerum agendarum ita dicendi initium à præcationibus capere, etc. (Pline le jeune, Panégyrique de Trajan, chap. ier.)
  6. Post mortem nihil est, ipsaque mors nihil.
    ..................................................
    Quæris quo jaceas post obitum loco ?
    Quò non nata jacent.

    (Sénéq. Trag. des Troades, chœur à la fin du 2e  acte.)
  7. Édit de 1724, et édits antérieurs.
  8. Chap. 13.
  9. Ferri (Paul), ministre protestant à Metz, né en 1591, mourut en 1669, et non en 1699 comme l’a imprimé M. Renouard. — On lit dans quelques éditions de Voltaire, le président Feri ; il faut le prédicant Ferri. (Br.)
  10. Jacob Spon, page 500 ; et Gui Vances.
  11. En 1750, suivant le Dict. phil., art. Bekker.
  12. Voyez dans le Dict. phil., au mot Bekker.
  13. Qu’un très-petit nombre, suivant une note de Voltaire, dans l’ouvrage intitulé Prix de la justice et de l’humanité. Art. iii, du meurtre. Br.
  14. On lit l’empereur Henri V dans l’édition de Voltaire, publiée par M. Renouard ; dans l’édition de Kehl et dans celle de madame Perronneau, on trouve Henri viii ; l’édition originale du commentaire de Voltaire, et M. Dufay dans sa traduction du livre des Délits et des Peines, mettent Henri vii. Aucune de ces citations n’est exacte : car en consultant l’ouvrage de J. Bodin, on trouve que cette question, qui fut agitée devant un empereur d’Allemagne, le fut par Azon (Azo Portius), jurisconsulte distingué de Bologne, qui florissait vers la fin du douzième siècle ; que Popinion d’Azon fut combattue par Lotaire, autre jurisconsulte, auquel l’empereur accorda le prix. Or, l’empereur Henri V était mort dès l’an 1125, Azon n’était pas encore né, puisqu’il fut condamné à mort l’an 1200, dans un âge peu avancé ; Henri VII ne naquit que l’an 1262. Azon était mort depuis plus d’un demi-siècle. Il est inutile de combattre ceux qui citent Henri VIII : l’Allemagne ne compte que sept empereurs du nom de Henri.

    Nul doute que l’empereur cité par Bodin ne soit Henri VI, fils de Frédéric Barberousse, qui, l’an 1190, après la mort de Guillaume II, roi de Sicile, se mit à la tête d’une puissante armée, passa en Italie, et s’arrêta quelque temps à Bologne, où, à l’exemple de son père, il montra beaucoup de zèle pour l’administration de la justice.

    L’ouvrage de Bodin nous aurait laissé dans la même incertitude où nous étions avant d’y recourir, si nous n’eussions discuté les dates ; car des six éditions que nous avons consultées, l’édition latine, in-8o, Francfort 1582, page 468, dit Henri V, et les cinq éditions françaises, in-folio, qui se trouvent à la bibliothèque du roi, disent Henri VII. — Des empereurs d’Allemagne, Henri VI est seul contemporain d’Azon, donc il faut Henri VI.

    Voici le passage de Bodin :

    « Quæsitu est ab jurisconsultis et adhc sub judice lis est ; an gladii potestas quam ipsi merum imperium appelant, principis propria sit, executio verò magistratuum quoque, sit illa potestas communis ? Quæ quidem quæstio disputata est ab Azone et Lotario juris peritissimis ; ejusque, arbitrium delatum est ad imperatorem Henri V (VI) qui tunc Bononiam venerat, equi sponsione facta. Lotarius sponsione vicit, arbitrii recepti sententia ; sed jurisconsultorum penè omnium suffragiis Lotarius quidem equum Azo verò æquum tulisse dicitur, plerique tamen Lotarii sententiam secuti sunt. » (J. Bodini, de republicâ, Lib. iii, cap. 5, p. 468, édit. Francf. 1582.)

    Brière
  15. Bodin, de republicâ, Liv. iii, chap. 5.
  16. Il y aura toujours beaucoup moins d’inconvénient à laisser un crime impuni, qu’à condamner à une peine capitale sans y être autorisé par une loi expresse. On ôte à la punition le seul caractère qui puisse la rendre légitime, celui d’être infligée pour le crime, et non décernée contre tel coupable en particulier. Une loi qui permet à un juge de punir de mort, lui assure l’impunité, s’il use de cette permission ; mais elle ne le disculpe point du crime de meurtre. Comment d’ailleurs imaginer qu’un crime grave soit tellement nuisible à la société, que l’existence du coupable soit dangereuse, et que cependant ce crime puisse échapper à un législateur attentif, qu’il soit difficile de le prévoir ou de le bien déterminer ?
  17. M. de Machault avait été surnommé coupe-tête, à cause de la sévérité qu’il avait exercée dans ses commissions de magistrature. Il était père de M. Machault d’Arnouville, intendant du Hainaut, puis contrôleur général des finances, et ensuite ministre de la marine, disgracié en 1757. B.
  18. Ce paragraphe ne se trouve ici que dans deux ou trois éditions séparées de ce commentaire. Dans les éditions des œuvres complètes de Voltaire, il fait ordinairement partie de l’article xxii de l’ouvrage intitulé : Prix de la justice et de l’humanité. Nous avons pensé que le lecteur ne serait pas fâché de retrouver ce paragraphe dans le commentaire que nous joignons à une édition du chef-d’œuvre de Beccaria, que nous voulons donner aussi complète que possible.
  19. Voyez aussi le paragraphe xxiii.
  20. L’auteur de l’Esprit des lois, qui a semé tant de belles vérités dans son ouvrage, paraît s’être cruellement trompé, quand, pour étayer son principe que le sentiment vague de l’honneur est le fondement des monarchies, et que la vertu est le fondement des républiques, il dit des Chinois : « -J’ignore ce que c’est que cet honneur chez des peuples à qui l’on ne fait rien faire qu’à coups de bâton (*). » Certainement de ce qu’on écarte la populace avec le pantsé, et de ce qu’on donne des coups de pantsé aux gueux insolens et fripons, il ne s’ensuit pas que la Chine ne soit gouvernée par des tribunaux qui veillent les uns sur les autres, et que ce ne soit une excellente forme de gouvernement.

    (*) Montesquieu (après le P. Du Halde), de l’Esprit des lois, Liv. viii, chap. 21.

  21. Voy. l’excellent Abrégé chronolog. de l’Histoire d’Allemagne et du Droit public, (par Pfeffel,) sous l’année 803.
  22. L’an 1483. Br.
  23. Voyez à ce sujet le supplément au chap. vii, p. 40. Br.
  24. Il fut imprimé in-12, à Paris, chez Toussaint Dubray, en 1609, avec privilége du roi ; il doit être dans la bibliothèque de S. M.
  25. Voici le texte de l’abbé de Saint-Cyran :

    « Au commandement que Dieu a donné de ne tuer point, n’est pas moins compris le meurtre de soi-même que celui du prochain. C’est pourquoi il a été couché en ces mots généraux sans aucune modification, pour y comprendre toute sorte d’homicide. Or, est-il que, nonobstant cette défense et sans y contrevenir, il arrive des circonstances qui donnent droit et pouvoir à l’homme de tuer son prochain. Il en pourra donc arriver d’autres qui lui donneront pouvoir de se tuer soi-même, sans enfreindre le même commandement. Ce n’est dont pas de nous-mêmes, ni de notre propre autorité que nous agirons contre nous-mêmes ; et puisque cela se doit faire honnêtement et avec une action de vertu, ce sera par l’aveu et comme par l’entérinement de la raison. Et tout ainsi que la chose publique tient la place de Dieu quand elle dispose de notre vie, la raison de l’homme en cet endroit tiendra le lieu de la raison de Dieu : et comme l’homme n’a l’être qu’en vertu de l’être de Dieu, elle aura le pouvoir de ce faire, pour ce que Dieu le lui aura donné ; et Dieu le lui aura donné, pour ce qu’il lui a déjà donné un rayon de la lumière éternelle, afin de juger de l’état de ses actions. » Pages 8, 9, 16 et 15 du volume intitulé : Question royale et sa décision, Paris, Toussaint Dubray, 1609, in-12, avec privilége du roi. B.

  26. Voici encore le texte de Saint-Cyran :

    « Je dis que l’homme y sera obligé pour le bien du prince et de la chose publique, pour divertir par sa mort les maux qu’il prévoit assurément devoir fondre sur elle s’il continuait de vivre… Mais, pour montrer encore, outre ce que j’en ai déjà dit, l’obligation du père envers les enfans, comme à l’opposite de celle des enfans envers les pères, je crois que sous les empereurs Néron et Tibère, ils étaient obligés de se tuer, pour le bien de leur famille et de leurs enfans, etc. » id. pages 18, 19, 29, 30. B.

  27. Leg. i, Cod. Lib. ix, tit. 50. De bonis eorum qui sibi mortem, etc.
  28. Leg. 4, § 2, Lib. viii, tit. 8. Ad legem Corneliam de sicariis.
  29. Voyez l’édit de 1724, 14 mai, publié à la sollicitation du cardinal de Fleury, revu par lui.
  30. Journal du palais, tome I, page 444.
  31. Voyez Bornier, titre vi, art. 2 des informations.
  32. Et, si besoin est, confrontez, dit l’ordonnance de 1670, titre 15, article premier.
  33. Digest. L. i, lib. 49, tit. 17 de requirendis vel absentibus damnandis ; et L. v, lib. 48, tit. 19 de Pœnis.
  34. Procès-verbal de l’ordonnance, page 163.
  35. Voyez sur cela le président Bouhier.