Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre XXIX

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Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 197-199).

CHAPITRE XXIX.

DES DUELS.


Lhonneur, qui n’est que le besoin des suffrages publics, donna naissance aux combats singuliers, qui n’ont pu s’établir que dans le désordre anarchique des mauvaises lois.

Si les duels ne furent point en usage dans l’antiquité, comme quelques personnes le croient, c’est que les anciens ne se rassemblaient pas armés, avec un air de défiance, dans les temples, au théâtre et chez leurs amis. Peut-être aussi, le duel étant un spectacle assez commun que de vils esclaves donnaient au peuple, les hommes libres craignirent-ils que des combats singuliers les fissent regarder comme des gladiateurs.

Quoi qu’il en soit, c’est en vain qu’on a essayé chez les modernes d’arrêter les duels par la peine de mort. Ces lois sévères n’ont pu détruire une coutume fondée sur une espèce d’honneur, qui est plus cher aux hommes que la vie même. Le citoyen qui refuse un duel, se voit en butte aux mépris de ses concitoyens ; il faut qu’il traîne une vie solitaire, qu’il renonce aux charmes de la société, ou qu’il s’expose sans cesse aux insultes et à la honte, dont les coups répétés l’affectent d’une manière plus cruelle que l’idée du supplice.

Par quelle raison les duels sont-ils moins fréquens parmi les gens du peuple que chez les grands ? Ce n’est pas seulement parce que le peuple ne porte point d’épée, c’est parce qu’il a moins besoin des suffrages publics que les hommes d’un rang plus élevé, qui se regardent les uns les autres avec plus de défiance et de jalousie.

Il n’est pas inutile de répéter ici ce qui a déjà été dit quelquefois, que le meilleur moyen d’empêcher le duel est de punir l’agresseur, c’est-à-dire, celui qui a donné lieu à la querelle, et de déclarer innocent celui qui, sans chercher à tirer l’épée, s’est vu contraint de défendre son honneur, c’est-à-dire, l’opinion, que les lois ne protègent pas suffisamment, et de montrer à ses concitoyens qu’il a pu respecter les lois, mais qu’il ne craint pas les hommes[1].


  1. « En quoi consiste ce préjugé du duel qu’il s’agirait de détruire ? Dans l’opinion la plus extravagante et la plus barbare qui jamais entra dans l’esprit humain ; savoir, que tous les devoirs de la société sont suppléés par la bravoure ; qu’un homme n’est plus fourbe, fripon, calomniateur ; qu’il est civil, humain, poli, quand il sait se battre ; que le mensonge se change en vérité ; que le vol devient légitime, la perfidie honnête, l’infidélité louable, sitôt qu’on soutient tout cela le fer à la main ; qu’un affront est toujours bien réparé par un coup d’épée, et qu’on n’a jamais tort avec un homme, pourvu qu’on le tue.

    » Il y a, je l’avoue, une autre sorte d’affaire, où la gentillesse se mêle à la cruauté, et où l’on ne tue les gens que par hasard ; c’est celle où l’on se bat au premier sang. Au premier sang, grand Dieu ! Et qu’en veux-tu faire de ce sang, bête féroce ? Le veux-tu boire ?… (J. J. Rousseau, Lettre à d’Alembert, sur les spectacles.)