Description de la Chine (La Haye)/Au Roi

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Scheuerleer (Tome Premierp. iii-viii).



AU ROY


SIRE


Le favorable accueil que Votre Majesté a daigné faire au grand nombre de cartes répandues dans cet ouvrage, m’a inspiré la confiance avec laquelle j’ose le faire paraître sous son auguste nom, et m’a fait même espérer qu’elle pourra prendre quelque plaisir à le lire. J’ai cru qu’une description exacte de tant de pays soumis à l’empereur de la Chine, et si peu connus, ne serait pas tout à fait indigne de l’attention de Votre Majesté.

Vous y verrez, SIRE, que la plus ancienne monarchie de l’univers ne doit sa durée, sa splendeur, et sa tranquillité qu’à la parfaite subordination qui a régné constamment entre les différents membres d’un vaste État.

Vous y trouverez ces grandes maximes gravées de si bonne heure dans votre âme par les mains habiles qui ont cultivé vos vertus naissantes, qu’un prince n’est si fort élevé au-dessus du reste des hommes, que pour procurer leur bonheur, en protégeant la vertu et en réprimant le vice ; que la bonté et la justice sont les deux plus fermes appuis du trône ; qu’un souverain est né le père de son peuple, et que sa plus solide gloire est de régner sur les cœurs de ses sujets.

Mais, ce qui ne touchera pas moins Votre Majesté, c’est sans doute le progrès de la vraie religion chez une nation, à laquelle, à en parler en général, il ne manque pour son bonheur que le don précieux de la Foi.

Dans le dernier siècle on vit naître en faveur des ouvriers évangéliques un merveilleux concours de protection entre le plus puissant monarque de l’Europe, et le plus grand prince de l’Orient. L’ardeur infinie que l’empereur Cang hi eut pour les sciences, donna aux ministres de l’Évangile un accès facile auprès de sa personne, et leur assura un ferme appui contre les ennemis du nom chrétien.

D’une autre part, Louis le Grand, tout occupé qu’il était des affaires les plus importantes, et dans le fort des plus cruelles guerres, porta ses vues jusqu’à cette extrémité de l’Asie : dans le dessein qu’il avait formé d’y étendre le royaume de Jésus-Christ, et d’en tirer des connaissances utiles à l’avancement des sciences, il jeta les yeux sur un nombre de jésuites, dont il connaissait la vertu et la capacité. À leur départ pour la Chine, il les honora du titre de ses mathématiciens ; il accrédita leur ministère, il leur assigna des pensions, il les combla de bienfaits.

Il n’y a guère eu d’années dans la suite qu’on n’ait vu des successeurs de leur zèle, partir de nos ports, pour aller partager leurs travaux, et tâcher de remplir les intentions d’un si religieux monarque.

Comme en succédant au trône de ce grand prince, que vous avez pris pour modèle, vous vous êtes fait une loi, SIRE, de succéder à ses grandes vues, à son amour pour les lettres, à sa piété sincère, et à son zèle pour la religion, ces hommes apostoliques éprouvent la même protection de la part de Votre Majesté ; ils jouissent des mêmes grâces et des mêmes libéralités.

Ce n’est pas vainement, SIRE, que vos peuples se sont flattés de voir revivre ce grand roi en la personne de Votre Majesté. Cette longue paix ménagée par vos soins, et affermie par votre sagesse, a été le fruit des dernières instructions qu’il vous fit, en vous remettant son sceptre et sa couronne. L’Europe entière l’a si bien reconnu, qu’elle a cru devoir vous confier ses intérêts, en vous rendant le médiateur et l’arbitre de ses différends.

Elle jouirait encore de cette heureuse paix, si des ennemis secrets de votre grandeur et de votre modération, ne vous avaient forcé de prendre les armes, non pas pour reculer vos frontières ou pour augmenter votre puissance, mais uniquement pour venger la majesté de votre trône offensée, et pour soutenir les droits d’une nation libre, et d’un illustre allié qu’on voulait opprimer.

Mais, ce qu’on ne saurait assez admirer, SIRE, c’est qu’au milieu de ses succès et de ses triomphes, Votre Majesté n’en est pas moins disposée à écouter des paroles de paix, et qu’elle préfère le repos public et la félicité de ses peuples aux plus éclatantes victoires.

Ces vertus pacifiques versées dans votre sein par l’esprit de sagesse, qui préside à vos conseils, ne pouvaient manquer d’attirer sur votre personne et sur votre État, les plus précieuses faveurs du Ciel. Nous en avons des témoignages bien sensibles.

Combien la divine Providence a-t-elle été attentive à la conservation de vos jours dans ces premières années, où la délicatesse de votre santé, et diverses atteintes de maladies nous causaient les plus justes alarmes !

Quelles bénédictions le Seigneur ne continue-t-il pas de répandre sur les nœuds sacrés, qui vous unissent à une Reine née dans le sein de la piété, et qui en donne chaque jour les plus grands exemples !

De quelle protection le Ciel ne favorise-t-il pas la justice de vos armes ! On n’en peut douter, c’est le dieu des armées qui a inspiré à vos troupes ce courage et cette intrépidité, dont il y a si peu d’exemples, et qui dans une seule campagne couronne la droiture de vos intentions, par une suite de prospérités à de victoires.

Mais, qu’il vous est glorieux, SIRE, de n’avoir que des pensées de paix dans le temps même de vos continuels succès ! Qu’il est rare de trouver, même dans les plus grands princes, un pareil désintéressement ! Il forcera sans doute la même puissance qui vous a contraint de prendre les armes, à en reconnaître la justice et l’équité. L’Europe pacifiée par votre modération, ne vous laissera plus d’autres ennemis à combattre, que les ennemis de la Religion : votre zèle et votre autorité dissiperont bientôt les noirs complots de l’erreur et de l’incrédulité ; et ces monstres n’auront pas plutôt disparu, que vous ferez régner sans peine dans tous les cœurs, celui par qui vous régnez avec tant de gloire.

Puissiez-vous, SIRE, en marchant ainsi sur les traces de votre auguste bisaïeul, voir comme lui, une postérité nombreuse élevée sous vos yeux, et formée sur vos vertus ! Puissiez-vous, s’il se peut, surpasser même la gloire et le nombre des années de ce grand monarque ! Ce sont les vœux de celui de vos sujets qui vous est le plus dévoué, et qui est avec le plus profond respect,


_____SIRE,


__________de Votre Majesté,


Le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur et sujet, JEAN-BAPTISTE DU HALDE, de la Compagnie de JÉSUS.