Description de la Chine (La Haye)/De la Province de Pé tche li

La bibliothèque libre.
Scheuerleer (Tome Premierp. 133-148).


PREMIÈRE PROVINCE
DE L’EMPIRE DE LA CHINE.


PE TCHE LI, ou TCHE LI, ou LI PA FOU.


Cette province, qui est la première et la capitale de tout l’empire, est bornée à l’orient par la mer ; au septentrion, par la grande Muraille, et par une partie de la Tartarie ; au couchant, par la province de Chan si, dont elle est séparée par des montagnes ; et au midi, par les provinces de Chan tong et de Ho nan. Sa forme est triangulaire. Elle se divise en neuf contrées différentes qui ont chacune un fou, ou ville principale et du premier ordre, dont plusieurs autres villes dépendent. Ces villes sont au nombre de 140 dont 20 sont des tcheou, ou villes du second ordre et cent vingt sont des hien ou des villes du troisième ordre, sans parler des bourgades et des villages sans nombre, dont quelques-uns sont aussi grands que des villes, mais auxquels on ne donne point ce nom, parce qu’ils ne sont ni ceints de murailles, ni entourés de fossés, comme sont quelquefois les villes. L’air y est tempéré ; cependant quoique l’élévation du pôle ne passe pas le 42e degré, les rivières sont glacées durant quatre mois de l’année ; c’est-à-dire, depuis environ la fin de novembre jusqu’au milieu du mois de mars. A moins qu’un certain vent de nord ne souffle, on ne sent point ces froids piquants que la gelée produit en Europe, ce qui peut s’attribuer aux exhalaisons de nitre qui sortent de la terre, et surtout à la sérénité du soleil, qui même pendant l’hiver, n’est presque jamais obscurci d’aucun nuage.

La saison des pluies n’est qu’à la fin de juillet et au commencement d’août ; du reste il y pleut assez rarement ; mais la rosée qui tombe pendant la nuit, humecte la terre, qu’on trouve humide tous les matins. Cette humidité se sèche au lever du soleil, et se change en une poussière très fine, qui pénètre partout, et s’insinue jusques dans les chambres les mieux fermées. Ceux qui y voyagent à cheval, et qui ont les yeux délicats, portent un voile délié qui leur couvre le visage, et qui, sans les empêcher de voir, les garantit de ces tourbillons de poussière dont ils sont environnés, ou ils prennent d’autres précautions, dont nous parlerons ailleurs.

Le terroir y est uni, mais sablonneux, et assez peu fertile : il donne moins de riz que dans les parties méridionales, parce qu’il y a peu de canaux ; cependant outre celui qui se sème le long des rivières, on en sème encore à sec en plusieurs endroits qui vient fort bien, mais qui est un peu plus dur à cuire.

Du reste, il produit abondamment toutes sortes de grains, et principalement du froment et du millet, des bestiaux de toutes les espèces, des légumes, des fruits en quantité, tels que sont les pommes, poires, prunes, châtaignes, noix, figues, pêches, raisins, etc.

Ses rivières sont remplies de poissons et d’excellentes écrevisses. On tire de ses montagnes quantité de charbon de pierre qu’on brûle au lieu de bois, qui y est très rare ; depuis le temps que les mines en fournissent à cette province, il faut qu’elles soient inépuisables. Parmi les animaux de toute espèce, on y trouve des chats singuliers, que les dames chinoises recherchent fort, pour leur servir d’amusement, et qu’elles nourrissent avec beaucoup de délicatesse : ils ont le poil long, et les oreilles pendantes.

Mais ce qui rend cette province bien plus considérable, c’est qu’elle est comme le rendez-vous de toutes les richesses de l’empire, et que les provinces du nord et du midi lui fournissent à l’envi tout ce qu’elles ont de plus rare et de plus délicieux.

Les peuples y ont moins de politesse, et de disposition aux sciences, que dans les parties méridionales ; mais ils sont beaucoup plus robustes, plus belliqueux, et plus capables de soutenir les fatigues et les travaux de la guerre. Il en est de même des autres Chinois, qui habitent les provinces septentrionales.


PREMIÈRE VILLE

capitale de la province et de tout l’empire,

CHUN TIEN FOU,

ou

PEKING, c’est-à-dire, Cour du Nord


Cette capitale de tout l’empire de la Chine, et le siège ordinaire des empereurs, est située dans une plaine très fertile, à vingt lieues de la grande Muraille. On la nomme Peking, qui veut dire, cour du septentrion, de même qu’on donnait à la capitale de la province de Kiang nan, le nom de Nan king, qui signifie cour du midi, lorsque l’empereur y résidait autrefois. Mais alors les Tartares, peuples inquiets et belliqueux, qui faisaient de continuelles irruptions sur les terres de l’empire, obligèrent ce prince de transporter sa cour dans les provinces du nord, afin d’être plus à portée de s’y opposer avec le grand nombre de troupes qu’il a d’ordinaire auprès de sa personne.

La ville est de figure parfaitement carrée : elle est divisée en deux villes : celle où est le palais de l’empereur est nommée nouvelle ville, Sin tching : on l’appelle aussi ville tartare, parce que les maisons ont été distribuées aux Tartares dans l’établissement de la monarchie présente.

La seconde est appelée vieille ville, Lao tching : on peut la nommer vieille ville chinoise, puisque les Chinois chassés de l’autre ville, s’y retirèrent en partie, tandis qu’une autre partie fuyait vers les provinces méridionales, et se vit même obligée d’abandonner le pays, parce qu’on distribua non seulement les maisons de la nouvelle ville bâtie autrefois sous Yung lo, vers 1405 lorsque la cour quitta Nan king ; mais encore les terres des environs, et des villes voisines jusqu’à une certaine distance, avec une exemption perpétuelle de taille, et de toutes sortes de tributs.

En moins de quatre-vingt ans, les Tartares se sont si fort multipliés, qu’ils occupent presque toute la nouvelle ville, les Chinois occupent le reste, de sorte qu’on n’y voit aucun endroit vide, quoiqu’il s’en trouve encore dans l’ancienne.

Le circuit des murailles des deux villes ensemble, sans y comprendre les faubourgs, a été mesuré, et ne passe pas cinquante deux lis chinois. Ainsi il est moins grand que celui de Nan king  : mais la différence est entière entre la largeur, la hauteur, et la beauté des murailles de l’une et de l’autre ville. Celles de Peking sont superbes, et dignes de la capitale du plus grand empire du monde. Mais celles de Nan king ont été bâties étroites, et ne paraissent pas avoir été meilleures que celles de l’ancienne ville de Peking qui ne valent pas mieux que les murailles des villes ordinaires des provinces.

On peut monter à cheval sur les murs de la nouvelle ville, par une rampe qui se prend de fort loin. Il y a en plusieurs endroits des maisons pour les corps de garde ; les tours sont à la portée de la flèche ; on en trouve, après un certain nombre, de beaucoup plus grandes, où l’on peut placer de petits corps de réserve.

Les portes de la ville hautes et bien voûtées portent des pavillons extrêmement larges et à neuf étages, chacun percé de fenêtres ou de canonnières. L’étage d’en bas forme une grande salle, où se retirent les soldats et les officiers qui sortent de garde, et ceux qui doivent les relever.

Devant chaque porte on a laissé un espace de plus de trois cent soixante pieds, qui fait comme une place d’armes, entourée d’un demi cercle d’une muraille, dont la hauteur et la largeur sont égales au reste de l’enceinte, dans laquelle on entre toujours par celui des côtés qui n’enfile pas le grand chemin par où l’on vient de dehors. Ce chemin est encore dominé par un pavillon semblable au premier, de sorte que si le canon de celui-ci peut ruiner toutes les maisons de la ville, le canon de celui-là bat toute la campagne voisine.

Toutes les portes qui sont au nombre de neuf, ont un double pavillon, bâti de même sur le terre-plein de ces murailles, et garni d’artillerie, sans qu’il soit besoin d’autre fort ni d’autre citadelle car cette artillerie est plus que suffisante pour tenir le peuple en respect.

Les rues de cette grande ville sont droites, presque toutes tirées au cordeau, longues d’une bonne lieue, et larges d’environ six vingt pieds, bordées la plupart de maisons marchandes : c’est dommage qu’il y ait si peu de proportion entre les rues et les maisons, qui sont assez mal bâties sur le devant, et peu élevées.

On est étonné de voir la multitude innombrable de peuples qui remplissent ces rues, où il ne paraît aucune femme, et l’embarras que cause la quantité surprenante de chevaux, de mulets, d’ânes, de chameaux, de charrettes, de chariots, de chaises, sans compter divers pelotons de cent ou deux cents hommes, qui s’assemblent d’espace en espace, pour écouter les diseurs de bonne aventure, les joueurs de gobelets, les chanteurs, et d’autres qui lisent ou qui racontent quelques histoires propres à faire rire, et à inspirer de la joie, ou bien des espèces de charlatans qui distribuent leurs remèdes, et en exposent éloquemment les effets admirables. Les personnes qui ne sont pas du commun, seraient arrêtées à tout moment, si elles n’étaient précédées d’un cavalier qui écarte la foule, en avertissant de faire place.

C’est dans cette ville qu’arrivent continuellement toutes les richesses et les marchandises de l’empire. On se fait porter dans les rues en chaise, ou l’on y va à cheval, ce qui est beaucoup plus ordinaire. On trouve facilement et en beaucoup d’endroits des chevaux à louer, ou des chaises avec leurs porteurs. Douze ou quinze sols peuvent quelquefois suffire pour aller une journée entière à cheval ou sur une mule : et comme la foule extraordinaire du peuple remplit toutes les rues, les muletiers mènent souvent les bêtes par la bride, afin de se faire passage. Ces gens-là ont une connaissance parfaite des rues et des maisons, où demeurent les Grands et les principaux de la ville : on vend même un livre qui enseigne les quartiers, les places, les rues, et la demeure de toutes les personnes publiques.

Le gouverneur de Peking qui est un Tartare Man tcheou de considération, s’appelle le général des neuf portes : Kiou men titou, et a sous sa juridiction non seulement les soldats, mais encore le peuple, dans tout ce qui concerne la police et la sûreté publique.

Cette police ne saurait être plus grande, et l’on est surpris de voir que dans une multitude presque infinie de Tartares et de Chinois, on jouisse d’une si parfaite tranquillité. Il est rare qu’en plusieurs années, on entende dire qu’il y ait eu des maisons forcées par les voleurs, ou des gens assassinés. Il est vrai qu’on y observe un si grand ordre, qu’il est comme impossible que ces sortes de crimes se commettent avec quelque impunité.

Toutes les grandes rues tirées au cordeau d’une porte à l’autre, et larges d’environ six vingts pieds, sont garnies de corps de garde. Il y a jour et nuit des soldats l’épée au côté et le fouet à la main, pour frapper sans distinction ceux qui font quelque désordre. Ils ont droit d’arrêter par provision quiconque leur résiste, ou excite des querelles.

Les petites rues qui aboutissent aux grandes, ont des portes faites de treillis de bois, qui n’empêchent pas de voir ceux qui y marchent : elles sont gardées par les corps de garde placés vis-à-vis dans la grande rue. Il y a même vers le milieu de presque toutes ces rues des soldats qui sont en faction. Les portes à treillis sont fermées la nuit par le corps de garde, il ne la fait ouvrir que rarement à des gens connus, qui ont une lanterne à la main, et qui sortent pour une bonne raison, comme serait celle d’appeler un médecin.

Aussitôt que le premier coup de veille est donné sur une grosse cloche, un ou deux soldats vont et viennent d’un corps de garde à l’autre, comme s’ils se promenaient, et jouant continuellement d’une espèce de cliquette, pour faire connaître qu’on veille. Ils ne permettent à personne de marcher la nuit, et ils interrogent même ceux que l’empereur aurait envoyé pour quelques affaires. Si leur réponse donne lieu au moindre soupçon, on les met en arrêt au corps de garde. D’ailleurs ce corps de garde doit répondre à tous les cris de la sentinelle qui est en faction.

C’est par ce bel ordre, qui s’observe avec la dernière exactitude, que la paix, le silence, et la sûreté règnent dans toute la ville. Il faut ajouter que non seulement le gouverneur de la ville, obligé de faire la ronde, arrive lorsqu’on y pense le moins, mais encore que les officiers qui sont de garde sur les murailles et sur les pavillons des portes, où l’on bat les veilles sur de grands tambours d’airain, envoient des subalternes pour examiner les quartiers qui répondent aux portes où ils se trouvent. La moindre négligence est punie dès le lendemain, et l’officier de la garde est cassé.

Cette police, qui retranche les assemblées nocturnes, paraîtra sans doute extraordinaire en Europe, et ne sera pas du goût des seigneurs, des gens riches, et de tout ce qu’on appelle le grand monde. Mais ne semble-t-il pas que les principaux d’un État, qui se trouvent à la tête des affaires, devraient préférer le bon ordre et la sûreté publique à des divertissements, qui tout au moins donnent lieu à une infinité d’attentats contre les biens et la vie des citoyens. Rien d’ailleurs ne paraît plus conforme à la raison, puisque les Tartares, gens sans étude, sortis du milieu des bois, et qui ne sont point éclairés des lumières de la vraie religion, se conduisent selon ces principes, et par cette sage vigilance coupent la source de tant de crimes, qui ne sont que trop ordinaires dans les États moins policés.

A la vérité il en coûte beaucoup à l’empereur, car une partie des soldats dont je viens de parler, ne sont entretenus que pour avoir soin des rues. Ils sont tous piétons, et leur paie est forte. Outre qu’ils doivent veiller sur ceux qui excitent du tumulte pendant le jour, ou qui marcheraient durant la nuit, c’est encore à eux d’avoir soin que chacun nettoie les rues devant sa porte, qu’il les balaie chaque jour, qu’il les arrose matin et soir dans les temps secs, ou qu’il enlève la boue après la pluie ; et comme les rues sont fort larges, un de leurs principaux emplois est de travailler eux-mêmes, et de tenir le milieu des rues fort net pour la commodité du public. Après avoir levé la terre, ils la battent, car la ville n’est point pavée, ou ils la font sécher après l’avoir renversée, ou ils la mêlent avec d’autres terres sèches : de sorte que deux heures après de grandes pluies, on peut aller dans tous les quartiers de la ville sans crainte de se salir.

Si les écrivains de quelques relations ont avancé, que les rues de Peking étaient ordinairement mal propres, ils ont voulu apparemment parler de la vieille ville, où les rues sont petites et ne sont pas si bien entretenues que dans la nouvelle ; car dans la nouvelle, les soldats sont continuellement occupés à tenir les rues nettes, même lorsque l’empereur est absent.

Dans la nouvelle ville se voit une seconde muraille peu haute et nullement épaisse, ornée cependant de grandes portes où sont des gardes. Cette muraille est appelée Hoang tching, c’est-à-dire, muraille impériale. Sa porte méridionale est la porte même du palais impérial, à cent toises environ de la principale porte de la ville, qui est également tournée au midi, et nommée par le peuple Sien men, quoique son vrai nom qui est gravé en tartare et en chinois, soit Tching yang men, qui veut dire, porte droit au soleil du midi.

Ce palais est un amas prodigieux de grands bâtiments, de vastes cours, et de jardins : il est fermé d’une muraille de brique d’environ douze lis chinois de tour. Cette muraille est crénelée le long de la courtine, et dans les angles elle est ornée de petits pavillons. Sur chaque porte est un pavillon plus élevé, plus massif, et entouré d’une galerie, laquelle porte sur des colonnes, et ressemble à nos péristyles. C’est là proprement ce qui s’appelle le palais, parce que cette enceinte renferme les appartements de l’empereur et de sa famille.

Le vide qui est entre cette enceinte du palais, et le premier mur nommé Hoang tching, qui a plus de quinze lis de circuit, est occupé, surtout par les maisons, soit des officiers particuliers de la maison de l’empereur, soit des eunuques, et par les différents tribunaux dont les uns ont soin de fournir les choses nécessaires au service du prince, et les autres doivent maintenir l’ordre, juger des différends, terminer les procès, et punir les crimes commis par les domestiques de la famille impériale. Néanmoins lorsqu’il s’agit de grands crimes et avérés, ces tribunaux du palais nommés tribunaux intérieurs, renvoient les criminels aux tribunaux extérieurs, qui sont les grands tribunaux de l’empire.

Quoique l’architecture du palais impérial soit tout à fait différente de la nôtre, elle ne laisse pas de frapper par la grandeur, par la disposition régulière des appartements, et par la structure des toits à quatre pentes fort élevées, ornés sur l’arête d’une plate bande à fleurons, et relevés par les bouts. Le tout est couvert de tuiles vernissées d’un si beau jaune, que de loin elles ne paraissent guère moins éclatantes, que si elles étaient dorées. Autour règne un second toit également brillant, qui naît de la muraille, et qui est soutenu par une forêt de poutres, de tirants, d’appuis, tous enduits de vernis vert, semés de figures dorées. Ce second toit, avec le débordement du premier, forme une espèce de couronnement à ces édifices, qui fait un très bel effet ; et peut-être est-ce par l’impression de beauté que fait un bâtiment, qu’on doit juger de la bonté des règles de l’art, puisque celles que nous avons en Europe, et dont les autres nations ne s’accommodent pas, ne nous ont paru bonnes, que parce que nous avons trouvé de la grâce et de la beauté dans les ouvrages, où les Romains semblent les avoir suivis.

Quoiqu’on pense sur le goût de l’architecture, il est certain que ces salles bâties de la sorte avec leurs avant-cours, entourées de galeries, et rangées l’une après l’autre dans un ordre suivi et régulier, fait un tout très magnifique, tout à fait auguste, et digne du plus grand empire de l’univers.

Les terrasses sur lesquelles sont placés ces appartements, contribuent aussi beaucoup à leur donner cet air de grandeur qui frappe les yeux. Ces terrasses sont hautes d’environ quinze pieds, revêtues de marbre blanc, ornées de balustrades assez bien travaillées, et ouvertes seulement aux entrées des escaliers posés sur les côtés, et sur le milieu, aussi bien que vers les coins de la façade. L’escalier du milieu n’est proprement qu’une rampe d’un ou de deux quartiers de marbre, sans marches et sans repos. Il n’est permis à personne d’y passer pour entrer dans les appartements. Il n’y a que l’empereur qui y passe porté dans sa chaise couverte les jours de cérémonie.

Ces terrasses font devant les portes et les fenêtres de l’appartement, une plate-forme pavée de marbre fort large, et qui dans sa longueur de l’est à l’ouest, déborde toujours hors de la salle de sept à huit pieds. Tel est l’appartement où loge l’empereur ; tel est celui qui est plus avancé vers la partie méridionale, et qui est exposé aux yeux de tous les mandarins de l’empire, nommé Tai ho tien comme qui dirait la Salle de la grande union.

C’est dans son avant-cour que se rangent tous les mandarins, lorsqu’aux jours marqués, ils font les cérémonies déterminées par les lois de l’empire, pour renouveler leurs hommages. Ces cérémonies s’observent, soit que l’empereur y soit présent, soit qu’il soit absent : rien n’est plus ordinaire que de frapper la terre du front devant la porte du palais, ou d’une des salles royales, avec le même rit et le même respect, que s’il paraissait lui-même sur son trône.

Cette salle a environ cent trente pieds de longueur, et est presque carrée : le lambris est tout en sculpture vernissé de vert, et chargé de dragons dorés ; les colonnes qui soutiennent le toit en dedans, sont de six à sept pieds de circonférence par le bas ; elles sont incrustées d’une espèce de pâte enduite d’un vernis rouge. Le pavé est en partie couvert de tapis façon de Turquie très médiocres ; les murailles sont dénuées de tout ornement, fort bien blanchies, mais sans tapisserie, sans miroirs, ni lustres, et sans peinture.

Le trône qui est au milieu de la salle, consiste en une estrade haute, fort propre, mais ni riche ni magnifique, sans autre inscription que la lettre Ching, que les auteurs de relations ont traduit par le mot de Saint ; mais elle n’a pas toujours cette signification, car elle répond quelquefois mieux au mot latin eximius, ou au mot français excellent, parfait, très sage. Sur la plate-forme de devant, sont des vases de grand bronze fort larges et très épais, dans lesquels on brûle des parfums au temps de la cérémonie, et des candélabres façonnés en oiseaux propres à porter des flambeaux.

Cette plate-forme continue au-delà de la salle Tai ho tien en s’étendant vers le septentrion, et porte deux autres salles moins grandes, mais dont le Tai ho tien dérobe la vue. Une des moindres salles est une rotonde fort jolie, percée de tous côtés de fenêtres, et brillante de vernis de diverses couleurs. C’est là que l’empereur, à ce qu’on assure, repose quelque temps devant ou après la cérémonie, et change d’habits.

Cette rotonde n’est éloignée que de quelques pas d’une seconde salle plus longue que large, dont la porte est tournée au septentrion. C’est par cette porte que l’empereur sortant de son appartement, doit nécessairement passer pour venir sur son trône, et y recevoir les hommages de tout l’empire. Alors il est porté en chaise par des porteurs habillés d’une longue veste rouge brodée de soie, et couverts d’un bonnet avec une espèce d’aigrette.

La cour qui est devant cette salle impériale Tai ho tien est la plus grande de toutes les cours du palais ; elle a bien en longueur trois cents pieds, sur deux cent cinquante de largeur. Sur la galerie qui l’environne, sont les magasins des choses précieuses qui appartiennent à l’empereur ; car le trésor, ou les finances de l’empire se gardent dans le tribunal souverain nommé Hou pou. On ouvre ces magasins en de certaines occasions, comme à la création d’un prince héritier, d’une impératrice, des reines, etc. L’un est de vases et d’autres ouvrages de différents métaux. Un second renferme les espèces les plus belles de peaux, et en grande quantité. Un troisième contient des habits fourrés de petit gris, de renards, d’hermine, de zibeline, dont l’empereur récompense quelquefois ses gens. Il y en a un de pierres précieuses, de marbres extraordinaires, et de perles pêchées en Tartarie. Le plus grand qui est à deux bas étages, est plein d’armoires, qui renferment les diverses étoffes de soie, qu’on fait exprès à Nan king, à Hang tcheou, et à Sou tcheou pour l’usage de l’empereur et de sa famille, et qui sont les meilleures de l’empire, parce qu’elles se font par les soins et sous les yeux d’un mandarin qui préside à ces ouvrages, et qui serait puni, s’ils n’étaient dans la dernière perfection.

Les autres magasins renferment les flèches, les arcs, les selles, soit qu’on les ait travaillées à Peking, soit qu’on les ait apportées des pays étrangers, ou qu’elles aient été offertes par de grands princes et qu’on les ait destinées à l’usage de l’empereur et des princes ses enfants. Il y en a un aussi, où l’on ramasse tout ce que la Chine a de meilleur en espèces de différent thé, avec divers simples, et d’autres drogues les plus estimées.

On peut sortir de cette galerie par cinq portes : l’une est à l’est, et l’autre à l’ouest ; les trois autres sont à la façade du sud, mais celles du milieu ne servent jamais qu’à l’empereur. Les mandarins qui viennent faire la cérémonie devant la salle impériale, entrent par celles qui sont à côté.

Cette façade n’a rien de singulier : elle a une grande cour, dans laquelle on descend par un escalier de marbre orné de deux grands lions de cuivre, et d’une balustrade de marbre blanc, qui fait un fer à cheval bordant un ruisseau, lequel traverse le palais en serpentant, et qui a ses ponts de la même matière. Je ne finirais pas si j’entreprenais de décrire les autres édifices que l’on voit dans un si grand palais. Ceux-ci sont d’ailleurs les plus magnifiques au jugement des Chinois et des Tartares, et suffisent pour se former l’idée de tout cet ouvrage.

Les palais des enfants de l’empereur, et des autres princes du sang, sont très propres en dedans, fort vastes, et bâtis avec beaucoup de dépense ; c’est partout le même dessein dans le corps de l’ouvrage, et dans les embellissements. Une suite de cours ornées sur les ailes de bâtiments, et en face d’une salle vernissée, élevée sur une plate-forme haute de trois ou quatre pieds, bordée de grands quartiers de pierre de taille, et pavée de larges carreaux de brique. Les portes qui donnent ordinairement dans de petites rues peu fréquentées, ont pour tout ornement deux lions de bronze ou de pierre blanche assez mal travaillés, sans aucun ordre d’architecture, ni aucune sculpture de pierre, telle qu’on en voit dans les arcs de triomphe.

Je ne m’étendrai pas d’avantage sur ce superbe édifice, le seul de cette grande ville qui mérite de l’attention, d’autant plus que j’en parle encore ailleurs, et que ce que j’en dirai dans la suite, joint à ce que je viens de dire, en donnera toute la connaissance qu’on peut désirer.

Les tribunaux des juridictions souveraines sont aussi fort vastes, mais mal bâtis, encore plus mal entretenus. Ils ne répondent nullement à la majesté de l’empire. On sait qu’il y en a six, dont je ne dis ici qu’un mot, parce que j’en parlerai plus au long dans la suite.

Le premier, qui est le Lji pou, propose les mandarins qui doivent gouverner le peuple.

Le second, appelé Hou pou, est chargé des tributs.

Le troisième, nommé Li pou, est pour maintenir les coutumes et les rits de l’empire.

Le quatrième, qu’on nomme Ping pou, a soin des troupes et des postes qui sont dans toutes les grandes routes, et qui sont entretenues des revenus de l’empereur.

Le cinquième, qui s’appelle Hing pou, juge des crimes.

Le dernier, nommé Kong pou, a l’inspection sur les ouvrages publics.

Tous ces tribunaux sont divisés en différentes chambres, auxquelles les affaires sont distribuées. Leur nombre n’est par le même dans chacun, les uns ayant bien moins à travailler que les autres.

Sous ces six Cours souveraines, sont encore divers autres tribunaux qui en dépendent : par exemple le tribunal des mathématiques Kin tien kien, dépend de celui que j’ai nommé le troisième. Il est aussi divisé en deux chambres, dont la principale et la plus nombreuse appelée Li ko n’a soin que du calcul du mouvement des astres, et de tout ce qui est vraie astronomie : l’autre nommé Lou ko, outre les affaires propres de son tribunal, s’applique encore à déterminer les jours propres pour les mariages, pour les enterrements, et pour les autres actions civiles, se conformant pour la plupart, sans se donner beaucoup de peine, à un ancien livre chinois, dans lequel tout est presque déjà réglé, suivant l’année courante du cycle sexagénaire, ou siècle chinois.

Ces six juridictions souveraines n’entrent dans les affaires d’État, que lorsque l’empereur les leur renvoie, et leur ordonne d’en délibérer, ou qu’il leur en commet l’exécution ; car alors ayant besoin les uns des autres, ils sont obligés de concourir ensemble, afin que l’argent, les troupes, les officiers, et les équipages se trouvent prêts au temps marqué.

Hors de ces cas-la, chaque cour ne se mêle que des affaires de son ressort, et elle a sans doute assez d’affaires. Dans une aussi vaste étendue qu’est celle de la Chine, les soins d’entretenir les ouvrages publics, le gouvernement des troupes, le règlement des finances, le maintien de la justice, et surtout le choix des magistrats, toutes ces diverses fonctions, si elles étaient réunies dans un seul tribunal, produiraient sans doute une grande confusion dans les résolutions, une lenteur dans l’action qui ruinerait les affaires. Ainsi il a été nécessaire de multiplier les mandarins, et à la cour, et dans les provinces.

Mais comme dans une si grande multitude, il ne serait pas aisé de s’adresser à celui auquel on aurait affaire, pour prévenir cet inconvénient, on vend un livre qu’on peut appeler l’état de la Chine, qui contient leurs noms, leurs surnoms, leurs emplois, et qui marque s’ils sont Chinois ou Tartares, s’ils sont bacheliers, docteurs, etc. Il marque encore en détail les changements des officiers des troupes, tant de celles qui sont en garnison, que de celles qui sont en campagne, et pour marquer ces changements, sans imprimer de nouveau tout le livre, on se sert de caractères mobiles.

Toutes les familles tartares demeurent à Peking ou aux environs, et il ne leur est pas permis de s’en écarter sans un ordre spécial de l’empereur. C’est pourquoi toutes les troupes de cette nation, qui sont la garde de l’empereur, sont, pour ainsi dire, toujours auprès de sa personne. On y voit aussi des troupes chinoises, qui se sont rangées autrefois sous les bannières tartares, et qu’on nomme pour ce sujet, Chinois tartarisés. Elles sont fort bien entretenues, et toujours prêtes à voler au premier ordre, pour éteindre le feu de la sédition, quelque part qu’il prenne, ce qui se fait avec un secret et avec une promptitude admirable.

Ces troupes sont divisées en huit corps, dont chacun a sa bannière distinguée, ou par la couleur jaune, blanche, rouge, bleue, ou par la bordure, savoir jaune à bordure rouge, blanche à bordure rouge, rouge à bordure blanche, et bleue à bordure rouge. La couleur verte est celle des troupes purement chinoises, qu’on appelle pour cela Lou ki, les soldats de la bannière verte. Chaque bannière tartare a son général nommé en tartare man tcheou, Cou fanta : celui-ci a sous lui de grands officiers, qu’on appelle meirein tchain, qui sont à notre égard comme nos lieutenants généraux d’armée, et de qui dépendent plusieurs autres officiers subordonnés les uns aux autres.

Comme chaque corps est maintenant composé de Tartares man tcheoux, de Tartares mongols, et de Chinois tartarisés, le général a sous lui deux officiers généraux de chaque nation, et ces officiers ont pareillement leurs subalternes de même nation. Chaque corps a dix mille soldats effectifs divisés en cent nu rous, ou compagnies, de cent soldats chacun. Ainsi si l’on compte la maison de l’empereur, et celle de tant de princes qui ont leurs gens, Po jo nu rous, avec la paie d’officiers et de soldats, on conviendra aisément de la vérité de l’opinion commune, qu’il y a toujours cent mille cavaliers entretenus à Peking.

Par là même, on peut se former une idée des forces de l’empire, car outre la cavalerie, dont je viens de parler, si l’on supputait les troupes d’infanterie, qui sont encore à Peking, celles qui sont le long de la grande Muraille, dans la multitude de places d’armes bâties pour la défendre, quoique moins nombreuses qu’elles n’étaient, lorsqu’on avait à craindre les irruptions des Tartares, avec les autres troupes répandues dans tout l’empire, on trouverait, comme on l’assure, que le nombre monte au moins à six cent mille hommes, de sorte qu’on peut dire que la Chine entretient dans le temps même de la plus grande paix, une armée capable de résister aux plus formidables puissances, et cela seulement pour maintenir la tranquillité publique, et se précautionner contre les séditions, et les moindres étincelles de révolte.

Un aussi grand corps qu’est la Chine, ne peut manquer d’être terriblement agité, quand une fois il est en mouvement. Aussi toute la politique des magistrats chinois, est de les prévenir, et de les arrêter au plus tôt. Il n’y a point de grâce à attendre pour un mandarin dont le peuple se révolte : quelque innocent qu’il puisse être, il est regardé tout au moins comme un homme sans talent, dont la moindre punition qu’il mérite, est d’être déposé de sa charge par ordre des tribunaux de la cour, auxquels ces sortes de causes sont toujours renvoyées par les vicerois et par les gouverneurs des provinces, et ces tribunaux délibèrent sur les informations, et présentent leur délibération à l’empereur, qui la confirme ou la rejette.

Ces Cours souveraines n’ont proprement au-dessus d’elles que l’empereur, ou le grand conseil, quand ce prince juge à propos de l’assembler sur quelque affaire importante, qui a déjà été jugée par une de ces Cours. Elles offrent leurs placets les jours marqués, et traitent souvent immédiatement avec le prince, qui les approuve ou les rejette, en les souscrivant de sa propre main. Que s’il les retient, on attend quelque temps ses ordres, et c’est ensuite au grand mandarin, qui s’appelle en Chinois calao, et en tartare aliagata, de s’informer de ses intentions.

Les placets offerts par les présidents de ces Cours souveraines, nommées en chinois chang chu et en Tartare aliagamba, doivent avoir à la tête, et pour titre le sujet de l’affaire dont il s’agit, et finir par le sentiment de la cour que cette sorte d’affaire regarde.

L’empereur dispose de même de toutes les charges de l’empire, sans être obligé de les donner à ceux que ces tribunaux ont proposés, quoique néanmoins il les confirme pour l’ordinaire, après avoir examiné par lui-même ceux qui ont tiré leurs charges au sort, de la manière que nous l’expliquons ailleurs. Pour ce qui est des premiers emplois, tels que celui de tsong tou, de viceroi, etc. c’est toujours Sa Majesté même qui les nomme.

On aura peine à croire, que l’empereur régnant daigne examiner par lui-même cette foule de mandarins, dont chaque jour les uns montent à des degrés plus élevés, et les autres commencent à se mettre sur les rangs : cependant rien n’est plus certain, et c’est ce qui marque son application au gouvernement de l’État. Il veut tout voir de ses yeux, et il ne s’en fie qu’à lui-même, lorsqu’il s’agit de donner des magistrats à son peuple.

Son autorité est absolue, et presque sans bornes. Un prince de la maison impériale n’en peut prendre la qualité, ni en recevoir les honneurs, si l’empereur ne les lui fait décerner. Que si par sa conduite il ne répond pas à l’attente publique, il perd son rang et ses revenus par l’ordre de l’empereur, et n’est plus distingué que par la ceinture jaune, que portent les hommes et les femmes du sang impérial, et qui jouissent d’un revenu assez modique sur le trésor royal.

Il n’y a guère contre l’abus de l’autorité, que la voie des remontrances, qui soit permise par les lois. Elles ont établi des censeurs publics, dont le devoir est de donner des avis à l’empereur, par des requêtes qui se répandent dans l’empire, et que le prince ne peut rejeter sans faire tort à sa réputation. La nation ayant d’ailleurs attaché une idée de magnanimité héroïque à cet emploi, l’empereur les honorerait trop, s’il venait à les maltraiter ; et il s’attirerait à lui-même des noms odieux, que l’histoire aurait grand soin de transmettre à la postérité.

Au reste ces censeurs ne prennent presque jamais le change : si la cour, ou les grands tribunaux, cherchent à éluder la justice de leurs plaintes par quelque défaite, ils reviennent à la charge, et font voir qu’on n’a point répondu conformément aux lois. On en a vu persévérer deux années entières, à accuser un viceroi soutenu par les Grands, sans se rebuter des délais et des oppositions, sans s’épouvanter des plus effrayantes menaces, et enfin forcer la cour à le dégrader, pour ne pas révolter les esprits, et ternir sa réputation.

Mais si dans cette espèce de combat entre le prince, et l’État, au nom duquel le censeur parle, le prince vient à céder, il reçoit aussitôt des louanges dans des placets publics, et est comblé d’éloges par tout l’empire. Les Cours souveraines de Peking lui en font leur remerciement, et ce qu’il a fait par justice, est regardé comme un singulier bienfait. C’est à ce bon ordre, qui s’observe à Peking et qui donne le branle aux autres villes, que l’empire est redevable de l’heureuse tranquillité, et de la longue paix dont il jouit. On peut encore l’attribuer à la favorable situation de la Chine, qui n’a pour voisins que des peuples peu nombreux, à demi-barbares, et incapables de rien entreprendre sur un si vaste royaume, s’il a ses forces bien unies sous l’autorité de son souverain. Les Mantcheoux qui l’ont conquis, profitèrent des troubles de l’État, qui était rempli de rebelles et de brigands, et furent introduits par les Chinois fidèles, qui voulaient venger la mort de l’empereur.

Je n’ai pu me dispenser de m’étendre assez au long sur cette capitale, parce qu’elle est comme l’âme de ce grand empire, qu’elle lui donne le mouvement, et qu’elle en entretient toutes les parties dans l’ordre ; je serai beaucoup plus court en parlant des autres villes, surtout de celles qui n’ont rien de particulier, qui les distingue du commun. J’ajouterai seulement, qu’outre la juridiction générale que Peking a sur tout l’empire, par les six Cours souveraines, elle a comme les autres capitales des provinces, un ressort particulier, qui comprend vingt-six villes, dont six sont du second ordre, et les vingt autres sont du troisième ordre.


PAO TING FOU. Seconde ville.


Cette ville est la demeure du viceroi de la province. Elle a vingt villes dans son district, dont trois sont du second ordre, et les dix-sept autres du troisième ordre. Son territoire est très agréable et également fertile. Au midi de la ville on découvre un petit lac célèbre par la quantité de ces fleurs qu’on y trouve, et que les Chinois appellent lien hoa. Ce sont des fleurs, lesquelles ressemblent assez au nénuphar ou nymphéa, qui sont peu estimées en Europe, mais dont on fait grand cas à la Chine, parce qu’elles sont bien différentes de celles d’Europe, en ce que les fleurs en sont doubles, que les couleurs en sont bien plus vives et plus variées, et qu’elles ont beaucoup d’autres qualités que j’explique ailleurs.

Il faut nécessairement passer par cette ville pour se rendre de Peking dans la province de Chan si : c’est une des plus belles et des plus agréables routes qu’on puisse tenir. Tout le pays est plat et cultivé, le chemin uni, et bordé d’arbres en plusieurs endroits, avec des murailles pour couvrir et garantir les campagnes : c’est un passage continuel d’hommes, de charrettes, et de bêtes de charge. Dans l’espace d’une seule lieue de chemin, on rencontre deux ou trois villages qu’on traverse, sans compter ceux qu’on voit de tous côtés à perte de vue dans la campagne. On passe les rivières sur de fort beaux ponts à plusieurs arches.


HO KIEN FOU. Troisième ville.


La situation de cette ville entre deux rivières, lui a fait donner le nom de Ho kien : ses murailles tirées au cordeau, sont hautes, belles, et bien entretenues. On lui donne près de quatre mille pas de circuit. Elle a dans sa dépendance deux villes du second ordre, et quinze du troisième. Ses rivières sont remplies de bons poissons, et les écrevisses qu’on y trouve en abondance sont de très bon goût.


TCHIN TING FOU. Quatrième ville.


C’est une grande ville, qui a près de quatre mille pas de circuit : sa forme approche d’un carré oblong : ses murailles sont belles, et flanquées de tours carrées de distance en distance : elle est située assez près d’une belle rivière, dont les eaux vont se décharger à quelques lieues de là dans le Lac Pai hou.

Son ressort est fort étendu : il comprend trente-deux villes, dont cinq sont du second ordre et vingt-sept du troisième. Elle a au nord des montagnes, où les Chinois prétendent trouver quantité de simples, et d’herbes rares, pour l’usage de la médecine. On y voit quelques monuments ou espèces de temples, élevés en l’honneur de leurs héros, et un entr’autres consacré à la mémoire du premier empereur de la dynastie des Han.


CHUN TE FOU. Cinquième ville.


Le district de cette ville n’est pas fort étendu : elle n’a dans son ressort que neuf villes du troisième ordre, mais toutes célèbres et très peuplées. La campagne y est riante et fertile par l’abondance des eaux dont elle est arrosée. Les rivières fournissent diverses sortes de beaux poissons. On y trouve un sable très fin et très délié, dont on se sert pour polir les pierres précieuses, et qui se débite dans tout l’empire. On en fait aussi de la vaisselle de terre, mais il s’en faut bien qu’elle approche de cette belle porcelaine qu’on travaille à King te tching bourgade de la province de Kiang si. C’est aussi à Chun te fou qu’on vient chercher des pierres de touche pour éprouver la bonté de l’or. On prétend que ce sont les meilleures qui se trouvent dans tout l’empire.



QUANG PING FOU. Sixième ville.


Cette ville est située dans la partie méridionale de Peking entre les provinces de Chan tong et de Ho nan. Elle n’a dans sa dépendance que neuf villes du troisième ordre. Tout son territoire est arrosé de diverses rivières qui fournissent de bons poissons. Le pays est agréable et fertile. Du reste on n’y voit rien de remarquable, qui la distingue des autres villes de Chine.


TAI MING FOU. Septième ville.


Il n’y a rien de singulier dans cette ville non plus que dans la précédente, dont elle n’est pas fort éloignée. Les campagnes y sont encore plus fertiles et plus agréables, et ses rivières également poissonneuses. Elle n’a sous sa juridiction qu’une ville du second ordre, et dix-huit du troisième.


YUNG PING FOU. Huitième ville.


La situation de cette ville est fort avantageuse, mais sa juridiction n’est pas d’une grande étendue : elle ne compte dans son ressort qu’une ville du second ordre, et cinq autres du troisième. Elle est environnée de la mer, de rivières, et de montagnes couvertes la plupart de fort beaux arbres. Son terroir en est moins fertile, mais elle trouve dans le golfe voisin, le supplément à ce qui lui manque, et par là elle a en abondance tout ce qui est nécessaire à la vie.

Non loin de cette ville est un fort nommé Chan hai, qui est comme la clef de la province de Leao tong. Ce fort est proche de la grande Muraille, laquelle depuis le boulevard bâti dans la mer, s’étend durant une lieue dans un terrain tout à fait plein. Ce n’est qu’après cette plaine, qu’elle commence à s’élever sur les penchants des montagnes.


SUEN HOA FOU. Neuvième ville.


C’est une ville considérable par sa grandeur, par le nombre de ses habitants, par la beauté de ses rues, et de ses arcs de triomphe. Elle est située au milieu des montagnes, et assez près de la grande Muraille. Deux villes du second ordre, et huit du troisième sont de son ressort ; elle a aussi dans sa dépendance quelques places ou forts élevés le long de la grande Muraille, qui défendent l’entrée de la Tartarie dans la Chine. Les garnisons y sont nombreuses. On tire de ses montagnes de beau cristal, du marbre, et du porphyre.

Parmi les animaux que produit cette contrée, on y trouve quantité de rats jaunes plus grands que ceux d’Europe, dont les peaux sont fort recherchées des Chinois.

Outre le fort de Chan haï, dont je viens de parler, et qui défend l’entrée du Leao tong dans la province de Pe tche li, les portes de la grande Muraille sont fortifiées en dedans par plusieurs forts assez grands, qui y ont été construits. Ces forts sont Hi fong keou à quarante degrés vingt-six minutes, Cou pe keou à quarante degrés quarante-trois minutes. C’est par cette porte que l’empereur sort d’ordinaire pour aller chasser en Tartarie. Tou che keou à quarante-un degrés dix-neuf minutes, vingt secondes ; et Tchang kia keou a quarante degrés cinquante-une minutes, quinze secondes. Ces deux entrées sont célèbres, parce que c’est par ces passages que les Tartares soumis à l’empire viennent à Peking. Toutes ces places qui se trouvent dans cette province le long de la grande Muraille, sont terrassées et revêtues des deux côtés de brique.

Je ne parle point des villes du second et du troisième ordre : le détail en serait infini et peu agréable. Il y en a pourtant une que je ne puis omettre, laquelle sans être au rang des villes principales, et sans avoir de juridiction, est sans comparaison plus marchande, plus peuplée, et plus opulente que la plupart des autres villes. Elle se nomme Tien tçing ouei, et depuis qu’on a fait la carte, elle a été mise au rang des tcheou, ou villes du second ordre.

Elle est située à l’endroit, où le canal royal qui vient de Lin tçin tcheou se joint à la rivière de Peking. C’est là que cette rivière rencontre le canal, avant que de se jeter dans l’océan. Un grand mandarin nommé Yen yuen y réside, et c’est de lui que dépendent les officiers, lesquels président au sel, qui se fait le long de la mer des provinces de Pe tche li, et de Chan tong. Tous les bâtiments qui portent le bois de la Tartarie orientale pour la grosse charpente, après avoir traversé le golfe de Leao tong, qu’on nomme Tien tung ouei, viennent se faire décharger dans ce port, qui n’est éloigné de Peking que de vingt lieues.