Description de la Chine (La Haye)/De la Province de Quang tong

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Scheuerleer (Tome Premierp. 229-242).


DOUZIÈME PROVINCE
DE L'EMPIRE DE LA CHINE

QUANG TONG


C’est la plus considérable des provinces méridionales de la Chine. La province de Fo kien la borne au nord-est ; celle de Kiang si au septentrion ; celle de Quang si et le royaume de Tong king au couchant ; tout le reste est environné de la mer, où l’on trouve quantité de ports commodes. On la divise en dix contrées, qui contiennent dix villes du premier ordre, et quatre-vingt-quatre villes tant du second que du troisième ordre, sans y comprendre plusieurs forts ou places de guerre, la ville de Macao et l’île de Sancian dont je dirai un mot, parce que l’une et l’autre sont devenues célèbres en Europe.

Le pays est partie plat, partie montagneux, les campagnes sont si fertiles, qu’elles produisent du grain deux fois chaque année. Tout ce qui peut contribuer aux délices de la vie, s’y trouve en abondance. Elle fournit de l’or, des pierres précieuses, de la soie, des perles, de l’étain, du vif argent, du cuivre, du fer, de l’acier, du salpêtre, de l’ébène, du bois d’aigle, et plusieurs sortes de bois de senteur.

La terre y produit toutes sortes de fruits, des grenades, des raisins, des poires, des prunes, des châtaignes, et des pêches ; mais ces fruits ont de la peine à mûrir, on en peut faire cependant d’assez bonnes confitures. Elle en produit d’autres qui sont excellents ; tels sont les bananes, les ananas, les li tchi, les long yuen, les orangers, et les citrons de toutes les sortes.

Une espèce particulière de citron croît sur des arbres aussi épineux que le sont les citronniers, mais beaucoup plus grands : la fleur en est blanche, et répand une odeur exquise ; on en tire par distillation une eau très agréable ; son fruit est presque aussi gros que la tête d’un homme, sa peau ressemble assez à celle des autres oranges, mais la chair est ou rougeâtre, ou blanche, et a un goût aigre-doux.

Il y croît un autre fruit, le plus gros qui se voie, lequel est attaché non pas aux branches de l’arbre, mais au tronc ; son écorce est très dure ; il y a au-dedans quantité de petites loges qui contiennent une chair jaune, fort douce et fort agréable, lorsque le fruit est mûr.

Sur les côtes de la mer on y pêche des poissons de toutes les espèces, des huîtres, des écrevisses, des crabes de très bon goût, et des tortues extraordinairement grosses. Les Chinois font de leurs écailles une infinité de jolis ouvrages. On y trouve encore quantité de paons sauvages et domestiques, qu’on transporte dans les autres provinces.

Il y a une multitude prodigieuse de canards domestiques, que ces peuples nourrissent avec industrie : ils font éclore leurs œufs dans un four ou dans du fumier ; ils les mettent sur de petits bateaux, et en mènent de grandes bandes, pour paître sur les bords de la mer, quand elle est basse, où ils trouvent des huîtres, des coquillages, et plusieurs insectes de mer. Quantité de bateaux y vont ensemble, et par conséquent plusieurs bandes de ces canards se trouvent mêlés sur le rivage. Dès qu’on frappe sur un bassin, chaque bande retourne sur son bateau, comme les pigeons se rendent à leur colombier.

Ce qu’il y a encore de rare dans cette province, c’est l’arbre que les Portugais ont appelé bois de fer : en effet il ressemble au fer par sa couleur, par sa dureté, et par sa pesanteur, qui ne lui permet pas de flotter sur l’eau.

On y voit aussi un autre bois particulier, qu’ils ont nommé bois de rose, dont les ouvriers chinois font des tables, des chaises, et d’autres ameublements : il est d’un noir tirant sur le rouge, marqué de veines et peint naturellement.

Sur les côtes, et dans un lac de l’île de Hai nan, on prend des cancres, lesquels, à ce qu’on assure, dès qu’ils sont tirés de l’eau, s’endurcissent comme les pierres les plus dures : c’est, dit-on, un bon remède contre les fièvres chaudes.

Il croît encore sur les montagnes une quantité prodigieuse d’un osier admirable, qui n’est pas plus gros que le doigt : il rampe à terre, et pousse des scions fort longs, qui ressemblent à des cordes entortillées. Le passage en est tellement embarrassé, que les cerfs mêmes ne sauraient s’en tirer.

Cet osier est très souple et ne se rompt pas aisément ; on en fait des


câbles et des cordages de navire ; on les sépare en des filets fort déliés, dont on fait des corbeilles, des paniers, des claies, des sièges, et des nattes fort commodes, sur lesquelles la plupart des Chinois couchent en été, parce qu’elles sont fraîches.

Les peuples de cette province sont très industrieux, et quoiqu’ils soient peu inventifs, ils sont très adroits à imiter tous les ouvrages qu’ils voient. Quand on leur montre quelque nouvel ouvrage venu d’Europe, ils le font aussitôt, et dans une grande perfection.

Comme la province de Quang tong est maritime, et la plus éloignée de la Cour, son gouvernement est un des plus considérables de l’empire. Celui qui en est le tsong tou l’est aussi de la province de Quang si ; et c’est pour cette raison qu’il réside à Tchao king qui en est plus voisine, afin d’être plus à portée d’y donner ses ordres.


Première ville et capitale de la province.
QUANG TCHEOU FOU


La ville que les Chinois nomment Quang tcheou, est celle que les Européens appellent Canton. C’est une des plus peuplées et des plus opulentes de la Chine : peut-être tient-elle le premier rang, depuis qu’à son commerce avec les royaumes voisins, elle a joint celui de l’Europe. Elle est d’ailleurs bâtie sur une des plus belles rivières de l’empire, qu’on a raison de nommer Ta ho, surtout à Canton, parce que venant de la province de Quang si, elle en rencontre une autre assez profonde pour porter d’assez grands vaisseaux depuis la mer jusqu’auprès de la ville, et que ce grand fleuve, par les canaux qu’il remplit d’eau, aboutit à diverses provinces.

Son embouchure est large, et plus terrible par son nom, Hou men c’est-à-dire, porte du tigre, que par ses forts, qui n’ont été construits que pour arrêter les pirates chinois. Ses bords, les campagnes voisines, les collines mêmes y sont bien cultivées, et pleines de riz ou d’arbres toujours verts.

La grande quantité d’argent qu’on y apporte des pays les plus éloignés, y attire les marchands de toutes les provinces, de sorte qu’on trouve dans ce port presque tout ce qu’il y a de curieux et de rare dans tout l’empire. Les habitants d’ailleurs sont fort laborieux, très adroits, et surtout extrêmement habiles à imiter les ouvrages qu’on leur montre, à exécuter proprement les dessins qu’on leur donne, et à embellir les ouvrages, lesquels pour la plupart ne sont pas fort estimés à Peking, ni d’un grand prix, parce que les ouvriers de Peking ne les trouvent pas assez solides, ni assez exactement travaillés, soit que la matière y soit épargnée, ou mal choisie, soit que le travail y soit négligé dans ce qui ne paraît pas au dehors.

Néanmoins les étoffes de soie, nommées cha, qu’on fait à Canton, sont estimées à Peking comme les meilleures en ce genre, et surtout celles qui sont semées de fleurs, percées à jour comme des dentelles, dont l’usage est fort commun pendant l’été, parce qu’elles sont à bon marché, et d’une propreté achevée.

Les ouvriers de la ville, dont le nombre est presque incroyable, ne suffisent pourtant pas pour le commerce qui s’y fait : on a établi une si grande quantité de manufactures à Fo chan, que ce bourg est devenu célèbre dans toute la province.

Fo chan n’est qu’à quatre lieues de Canton : dans le temps des troubles, dont cette grande ville fut agitée, le trafic se transporta dans cette bourgade, qui a au moins trois lieues de circuit, qui est d’un très grand abord, et qui ne cède en rien à Canton ni pour les richesses, ni pour la multitude de ses habitants, qu’on dit cependant être de plus d’un million d’âmes.

C’est à Canton que réside le viceroi ; le ressort de cette capitale comprend dix-sept villes, dont une est du second ordre, et les seize autres du troisième.

Il n’y a guère de spectacle plus charmant que celui qui se présente à la vue, lorsqu’on entre dans la rivière qui conduit à cette belle ville : tout est varié, tout est riant ; ce sont des prairies à perte de vue d’un vert exquis, ce sont des bocages ou de petits coteaux qui vont en amphithéâtre, et sur lesquels on monte par des degrés de verdure faits à la main ; tantôt on voit des rochers couverts de mousse, tantôt des villages qu’on découvre entre de petits bois ; ce sont quelquefois des canaux qui forment des îles, ou qui se perdant dans les terres, laissent voir des rivages d’une beauté vive et naturelle : tout ce paysage est enchanté.

On entre ensuite dans une grande ville, qui est comme composé de trois villes différentes, séparées par de belles et hautes murailles, mais tellement jointes, que la même porte sert pour sortir de l’une, et rentrer dans l’autre : le tout forme une figure à peu près carrée.

Le circuit ne le cède pas beaucoup à celui de Paris : ceux qui sont éloignés du centre, marchent quelquefois une heure entière en chaise pour faire une visite : il n’y a cependant ni vides, ni jardins fort spacieux : on y voit seulement d’assez belles places, qui ont leur agrément.

Les rues sont longues, droites, pavées de pierres de taille fort dures, et assez étroites, à la réserve de quelques-unes plus larges, où l’on trouve de distance en distance des arcs de triomphes : il y en a de couvertes, où sont les plus belles boutiques. Les maisons n’y sont rien moins que magnifiques : elles sont presque toutes des rez de chaussée, bâties de terre avec des accompagnements de briques, et couvertes de tuiles.

Dans les rues tout est boutique, et il y règne une grande propreté. Les honnêtes gens se sont porter en chaise ; le peuple remplit les rues, surtout les portefaix, la plupart nus pieds et jambes nues, et même nue tête, ou avec un chapeau de paille d’une vaste circonférence, et d’une figure assez bizarre, pour se garantir de la pluie, ou des ardeurs du soleil. On trouve presque tous ces pauvres gens chargés de quelque fardeau ; car il n’y a point d’autre commodité pour voiturer ce qui se vend et ce qui s’achète, que les épaules des hommes.

Si les maisons des particuliers n’ont rien de remarquable que leur propreté, on ne laisse pas d’y voir d’assez beaux édifices. Les temples d’idoles, environnés de cellules de bonzes, ont quelque chose de singulier. La salle de Confucius, aussi bien que l’académie où les lettrés s’assemblent, pour faire leurs compositions, sont des morceaux curieux.

Les ya men ou palais des mandarins ont aussi leur beauté et leur grandeur, avec différence néanmoins de ce qu’en ce genre on appelle grand et beau en Europe.

La rivière est chargée, le long des deux rivages, d’une quantité prodigieuse de barques à rangs multipliés, qui sont les seules habitations d’un peuple infini, et qui sont une espèce de ville flottante : ces barques se touchent et forment des rues ; chaque barque loge toute une famille, et a, de même que les maisons, des compartiments pour tous les usages du ménage. Le petit peuple qui habite ces barques, sort dès le grand matin pour aller pêcher, ou travailler au riz, qu’on sème et qu’on recueille deux fois l’année.

A compter tout ce qui compose la ville de Canton, on prétend, comme je viens de le dire, qu’il y a au moins un million d’âmes : ce qui rend la chose croyable, c’est l’étendue de la ville, et la grande affluence du peuple, qui remplit sans cesse les rues, où il ne paraît presque jamais aucune femme.

Au bout de chaque rue se trouve une barrière, qui se ferme tous les soirs un peu plus tard que les portes de la ville. Ainsi il faut que chacun se retire en son quartier, aussitôt que le jour commence à manquer ; cette police de la Chine prévient bien des désordres, et il arrive que pendant la nuit tout est aussi tranquille dans les plus grandes villes, que s’il n’y avait qu’une seule famille.


CHAO TCHEOU FOU. Seconde ville.


C’est une ville située entre deux rivières navigables, qui se joignent à l’endroit où elle est bâtie, l’une qui vient de la ville de Nan hiong, et l’autre qui coule de la province de Hou quang. Le bord d’une de ces rivières, qui est au couchant, est joint à la ville par un pont de bateaux, et est fort habité. Tout ce pays, qui est semé de bourgades, est très fertile en riz, en herbages, en fruits, en bétail, et en poissons : mais l’air n’y est pas sain, et souvent depuis la mi-octobre jusqu’au mois de décembre, il y règne des maladies, qui enlèvent quelquefois un grand nombre de ses habitants. Elle a dans sa dépendance six villes du troisième ordre. Près d’une de ces villes il croît des roseaux noirs, dont on fait diverses sortes d’instruments, qu’on croirait être d’ébène.

A une lieue de Chao tcheou est un célèbre monastère de bonzes, qui étaient autrefois, à ce qu’on assure, au nombre de mille. On ne peut rien voir de plus agréable que sa situation. Du milieu de la grande montagne, nommée Nan hoa, où il est placé, on découvre un agréable désert, qui s’étend dans une vaste plaine, toute environnée de collines, sur la cime desquelles on a planté au cordeau des arbres fruitiers, et d’espace en espace des bocages d’un plan toujours vert. Toute la contrée d’alentour appartient à ce monastère, dont on fait monter l’origine jusqu’à huit et neuf cents ans.

Le démon, qui est le singe des œuvres de Dieu, a ses pénitents, comme il a ses vierges et ses martyrs ; on prétend que le fondateur de ce monastère, dont le corps y est révéré, passa sa vie dans la plus affreuse austérité, et qu’un chaîne de fer qu’il portait, lui ayant pourri la chair, et s’y étant engendré des vers, il avait tant de soin de ménager ses souffrances, qu’il ramassait ces vers à mesure qu’ils tombaient de son corps, et les remettait en leur place, disant qu’il y avait encore de quoi ronger.

Les bonzes ses successeurs suivent mal ses exemples, car quoiqu’ils fassent profession de chasteté, on dit qu’ils s’abandonnent à toutes sortes de débauches. Autrefois le peuple qui allait chez eux en pèlerinage, se plaignait fort de leurs vols et de leurs brigandages mais à présent on y a mis ordre.


NAN HIONG FOU. Troisième ville.


C’est une grosse ville très marchande, et un des plus grands abords de l’empire : elle est située au pied d’une montagne, qui sépare la province de Quang tong de celle de Kiang si. Il en sort deux grosses rivières, dont l’une a son cours vers le midi, et l’autre vers le septentrion ; celle-ci se partage tellement en diverses branches, qu’elle ne perd rien de ses eaux, parce qu’elle s’enfle continuellement des chutes d’eau qui viennent des montagnes. Cette ville n’a sous sa juridiction que deux villes du troisième ordre. Entre Nan hiong, qui est la dernière ville de la province de Quang tong et Nan ngan, qui est la première de la province de Kiang si, se trouve une grande montagne nommée Mei lin, sur laquelle on fait un chemin assez extraordinaire. Le chemin qu’on fait d’une ville à l’autre, est d’environ dix lieues ; celui qu’on fait sur la montagne, est d’un peu plus d’une lieue ; il est bordé de précipices, mais comme il est assez large, on n’apprend point qu’il y soit arrivé aucun accident.

Du haut de la montagne la vue s’étend fort loin dans l’une et l’autre province : on y voit une espèce de temple bâti en l’honneur et à la mémoire du mandarin, qui a fait faire ce chemin admirable, et le plus célèbre de la Chine, parce que c’est le passage de tout ce qui vient de l’orient et du midi, ce qui le rend si fréquenté presque en tout temps, que les rues des grandes villes ne le sont guère davantage. Les marchands de diverses provinces y ont fait ériger tout récemment à leurs frais un monument de pierre, sur lequel ils ont fait graver l’éloge du viceroi qui avait soin des douanes de la province de Quang tong, et qui en fit diminuer considérablement les droits.


HOEI TCHEOU FOU. Quatrième ville.


Cette ville est presque environnée d’eau, et dans un pays dont les terres sont les meilleures de toute la province, et fertilisées par quantité de sources d’eau vive. Elle a dans son district onze villes, dont une est du second ordre, et les dix autres du troisième.

Tout ce pays qui est voisin de la mer, abonde en poissons, en huîtres, en écrevisses, et en certains cancres ou crabes qui sont d’un fort bon goût ; on y trouve aussi des tortues d’une grosseur extraordinaire, et les ouvriers chinois font de leurs écailles toutes sortes de jolis ouvrages.

On y voit deux ponts remarquables ; l’un qui est de quarante arches, et qui joint à l’orient les bords des deux rivières qui s’y assemblent. L’autre est au couchant sur un petit lac qui baigne les murs de la ville. Ce lac qui n’a qu’une lieue de circuit, est revêtu tout autour d’une digue de pierre. Le rivage est embelli de jardins, et de grands arbres qu’on y a plantés : deux îles qui sont dans ce lac, et où l’on a bâti des maisons de plaisance, communiquent l’une à l’autre par un beau pont qui y a été construit.

C’est dans une montagne de ce district, qu’on trouve des papillons singuliers par leur beauté et par leur grosseur, qui s’envoient à la Cour, et qui s’emploient à certains ornements qu’on fait au palais. J’en ai fait la description ailleurs.


TCHAO TCHEOU FOU. Cinquième ville.


C’est presque à l’embouchure de la rivière Han kiang, que cette ville est située : elle reçoit le flux et le reflux de la mer jusque sous ses murailles. Elle a au levant un pont magnifique qui est très long et également large. Son district contient onze villes du troisième ordre.

Tout ce pays n’est séparé de la province de Fo kien que par des montagnes, et il est si bien arrosé, que la terre y est partout très fertile, excepté dans quelques endroits ou le sol est pierreux et incapable de culture.


TCHAO KING FOU. Sixième ville.


C’est dans cette ville, qui au sentiment des connaisseurs, est la mieux bâtie, et la plus belle de la province, que réside le tsong tou des deux provinces de Quang tong et de Quang si ; elle est située sur la rivière Ta ho ; vers l’orient on voit sur ses bords une belle tour à neuf étages. Le port est fort spacieux, au confluent de trois rivières ou grands canaux, dont l’un conduit à Canton. Ce canal est si resserré entre des montagnes, que dans le temps des pluies, il cause quelquefois le débordement de la rivière.

De Tchao king jusqu’à Canton, on ne voit des deux côtés de la rivière que de gros villages, et ils sont si près les uns des autres, qu’on les prendrait pour un seul village ; on en laisse surtout un à gauche d’une longueur extraordinaire. On y compte près de deux cents maisons qu’on prendrait pour des tours carrées, et qui servent d’asile aux habitants à leurs effets, dans des temps de révoltes, ou dans des irruptions subites de voleurs. On passe ensuite au bout du village de Fo chan où l’on compte un million d’âmes.

Il y a sur la rivière seule plus de cinq mille barques, qui sont aussi longues que nos médiocres vaisseaux, et chaque barque loge une famille entière, sans compter une infinité de bateaux de pêcheurs, et de canots qui servent à passer d’un bord à l’autre, car sur ces grandes rivières il n’y a point de ponts.

On trouve dans ce pays quantité de paons sauvages et apprivoisés, qu’on voit rarement dans les autres provinces, à moins qu’on ne les y transporte. On trouve aussi quantité de bois d’aigle, et de ce bois marqué de veines et peint naturellement, que les Portugais ont nommé pao de rosa ou bois de rôle, dont les ouvriers chinois font différents meubles qui méritent d’être recherchés. Les montagnes fournissent aussi de grands arbres qu’ils ont nommés bois de fer, à cause de sa dureté et de sa pesanteur.

Tchao king compte sous sa juridiction une ville du second ordre, et cinq du troisième.


KAO TCHEOU FOU. Septième ville.


Le flux et le reflux de la mer monte jusqu’à cette ville, de sorte que les sommes chinoises peuvent y entrer, et c’est avec la fertilité des terres, ce qui y répand l’abondance. Elle a dans son ressort une ville du second ordre, et cinq du troisième.

Tout ce district est entouré en partie de la mer, et en partie de montagnes, qui sont comme autant de murailles dont elle est enfermée. On y trouve quantité de paons et d’excellents oiseaux de proie ; on en tire des pierres qui approchent du marbre, et qui représentent naturellement des eaux, des montagnes, et des paysages ; on les taille en espèce de feuilles, et on en fait des tables et d’autres meubles curieux.

On pêche dans cette mer une sorte de cancres assez semblables aux cancres ordinaires : ce qu’ils ont de singulier, c’est qu’étant hors de l’eau ils se pétrissent sans perdre leur forme naturelle. C’est selon les médecins chinois un excellent remède pour guérir des fièvres chaudes.


LIEN TCHEOU FOU. Huitième ville.


Cette ville est située près de la mer qui y forme un port fort commode pour les sommes et les barques : son ressort est peu étendu : il ne comprend qu’une ville du second ordre, et deux du troisième.

Ce pays confine avec le royaume de Tong king dont il est séparé par des montagnes inaccessibles. On y trouve beaucoup de paons, on y pêche des perles, et on y travaille à plusieurs jolis ouvrages d’écaille de tortue.


LOUI TCHEOU FOU. Neuvième ville.


Le terroir où est située cette ville est des plus agréables, et le plus abondant de toutes les villes occidentales de cette province ; il est presque environné de la mer, et n’est séparé de l’île de Hai nan que par un petit détroit où l’on dit qu’on pêchait autrefois des perles.

Il y a quantité de bourgades dont les habitants ne s’occupent que de la pêche qui les fait subsister : car les côtes fournissent quantité de poissons de toutes les sortes ; il y croît partout de ces osiers rampants, qui traînent de longs scions semblables à une corde entortillée, dont les Chinois font une infinité de jolis ouvrages. Cette ville n’a sous sa juridiction que trois villes du troisième ordre.


Dixième ville et capitale de l’île de Hai Nan.
KIUN TCHEOU FOU


Hai nan signifie midi de la mer : c’est une grande île qui a au septentrion la province de Quang si, que l’on voit distinctement dans un temps serein ; au midi le canal que forme le banc Paracel avec la côte orientale de la Cochinchine ; à l’occident une partie de ce même royaume, et une partie du Tong king ; et à l’orient la mer de la Chine.

La plus grande étendue de l’île de Hai nan, est de l’orient à l’occident : elle est d’environ soixante à soixante-dix lieues ; celle du septentrion au midi, de quarante à cinquante. Ainsi cette île a à peu près cent soixante lieues de circuit.

Le terrain de la partie du nord ne forme, pour ainsi dire, qu’une plaine depuis la côte jusqu’à quinze lieues d’enfoncement. Celui du sud au contraire, de même que celui de l’est, sont couverts de très hautes montagnes.

Ce n’est qu’entre ces montagnes et celles qui occupent le centre de l’île, qu’on trouve des campagnes cultivées, et ces plaines, quoiqu’une très petite portion de l’île, sont encore incultes en plusieurs endroits, et remplies de sables.

Cependant la grande quantité de rivières, et les pluies que donnent les changements des saisons, rendent les campagnes de riz assez fertiles, et la récolte que l’on fait souvent deux fois l’année, suffit aux besoins d’un peuple assez nombreux.

Le climat de la partie méridionale est fort malsain : les eaux surtout, à ce qu’assurent les Chinois, y sont pernicieuses, et ils ont la précaution de faire bouillir le matin toute celle qu’ils doivent consommer pendant la journée.

L’île est du ressort de la province de Quang tong : Kiun tcheou fou sa capitale est située sur un promontoire, et les vaisseaux viennent mouiller jusque sous ses murs. Deux sortes de mandarins y commandent, comme dans les autres parties de la Chine : c’est-à-dire, des mandarins de lettres, et des mandarins d’armes, ou officiers de guerre. Trois villes du second ordre, et dix autres villes du troisième sont soumises à sa juridiction. Ces villes sont presque toutes sur le rivage.

La plus grande partie de l’île obéit à l’empereur de la Chine. Il n’y a que le pays du milieu nommé Li mou chan, ou Tchi chan, qui est indépendant. Il est habité par des peuples libres qui n’ont pas encore été conquis, et qui ne reconnaissent point l’autorité des mandarins. Obligés d’abandonner aux Chinois leurs plaines et leurs campagnes, ils se sont fait une retraite dans les montagnes du centre de l’île, où ils sont à couvert de toute insulte de la part de leurs conquérants.

Ces peuples ne laissaient pas d’avoir autrefois avec les Chinois une correspondance ouverte : ils exposaient deux fois par an l’or qu’ils avaient tiré de leurs mines, et leur bois d’aigle et de calamba si estimé de tous les orientaux. Un député allait examiner sur la frontière les toiles et les denrées des Chinois ; et les principaux de ceux-ci se rendaient à l’étalage préparé dans les montagnes. On convenait des prix, et après que les marchandises des Chinois y avaient été transportées, on leur remettait fidèlement les choses dont on était convenu. Les Chinois faisaient dans cet échange des profits immenses, dont les gouverneurs tiraient la meilleure partie.

L’empereur Cang hi informé de la quantité prodigieuse d’or, que ce commerce donnait à ses mandarins, eut plus d’un motif de défendre sous peine de mort à tous ses sujets, d’avoir communication avec ces peuples. Cependant quelques émissaires secrets des gouverneurs voisins, trouvent encore le moyen de pénétrer chez eux, mais ce qu’on en tire depuis trente ans par ce commerce caché, n’est rien en comparaison de ce qu’on en tirait autrefois.

Ces insulaires ne paraissent donc presque plus, à moins que le caprice ou le souvenir de leur ancienne liberté, ne les porte à faire irruption dans les villages voisins des Chinois. Ils ont quelquefois tenté d’en surprendre, mais ils sont si mal disciplinés et si peu courageux, que cinquante Chinois, quoiqu’assez mauvais soldats, en feront fuir mille : c’est assez qu’ils se montrent pour les mettre en déroute.

Il y a cependant de ces insulaires, qui plus dociles, se sont rendus tributaires des Chinois, auxquels on a laissé des villages entiers dans les plaines, parce qu’ils n’ont nulle communication avec ceux des montagnes.

Plusieurs autres servent les Chinois, gardent leurs troupeaux, labourent leurs terres, et sont sujets aux corvées communes ordonnées par les gouverneurs des différents lieux. On les voit répandus dans les campagnes de la partie orientale et méridionale de l’île. Généralement parlant ils sont très difformes, d’une taille fort petite, et d’une couleur rougeâtre.

Les hommes et les femmes portent leurs cheveux passés dans un anneau sur le front, et par dessus un petit chapeau de paille, ou de rotin, d’où pendent deux cordons qu’ils nouent sous le menton.

Leur vêtement consiste dans un morceau de toile de coton noir, ou de bleu foncé, qui les couvre depuis la ceinture jusqu’aux genoux : les femmes sont vêtues d’une espèce de chemisette de la même étoffe, et se distinguent encore par des raies bleues qu’elles se font avec de l’indigo, depuis les yeux jusqu’au bas du visage. Les uns et les autres portent des boucles d’oreilles d’or et d’argent, faites en forme de poire, et très bien travaillées.

Leurs armes sont l’arc et la flèche, dont ils ne se servent pas avec beaucoup d’adresse, et une espèce de coutelas qu’ils portent dans un petit panier attaché derrière eux à la ceinture. C’est le seul instrument qui leur sert à faire leurs ouvrages de charpente, et à couper les bois et les broussailles, lorsqu’ils traversent les forêts.

Outre les mines d’or qui sont dans le centre de l’île, il y a encore dans la partie du nord, des mines d’azur que l’on porte à Canton et dont l’on peint toute la porcelaine bleue. Les plus beaux bois pour l’odeur et pour la sculpture se tirent des montagnes de Hai nan. L’empereur régnant en fait transporter jusqu’à Peking avec des frais immenses, pour un palais qu’il destine à sa sépulture.

Le plus précieux de ces bois, après le bois d’aigle, est le Hoa li, nommé par les Européens, bois de rose ou de violette, à cause de son odeur. Il y a aussi un bois jaune très beau et incorruptible, dont les colonnes, d’une certaine grosseur, sont sans prix, et réservées de même que le Hoa li, au service de l’empereur.

Cette île, outre tous les fruits qui se trouvent à la Chine, produit encore beaucoup de sucre, de tabac, et de coton. L’indigo y est commun. Si l’on y joint la récolte des noix d’arecquier, la coupe des rotins, la pêche des différents poissons qu’on prend sur les côtes, et que l’on fait sécher et saler pour le transport, on ne sera point surpris que le commerce de Canton y amène chaque année vingt ou trente jonques assez grandes et l’on ne fera point de difficulté de mettre Hai nan par sa situation, par sa grandeur, et par ses richesses, au rang des îles les plus considérables de l’Asie.

C’est dans le nord de cette île que viennent aborder presque toutes les barques de Canton. Le port est formé par une rivière assez large, dont l’entrée est défendue par deux petites forteresses ; des vaisseaux, autrement construits que ceux des Chinois, auraient peine à y entrer ; il n’y a que dix à douze pieds d’eau ; le commerce y attire tous les marchands de l’île, qui n’ont que des commissionnaires dans les autres quartiers. C’est environ à deux lieues de ce port qu’est la capitale, qui n’en est séparée que par une grande plaine couverte de plusieurs beaux sépulcres chinois, parmi lesquels on voit une croix élevée sur le tombeau d’un jésuite italien, le premier missionnaire qui ait passé dans cette île.

Dans le sud de l’île, où des vaisseaux de la compagnie ont relâché, on trouve une grande baie, dans l’enfoncement de laquelle est un des meilleurs ports qui se puisse rencontrer. On mouille à vingt pieds d’eau et à une portée de pistolet du rivage ; six vaisseaux peuvent y passer les deux moussons dans l’abri le plus assuré.

On trouve sur les rivages de ce port des plantes maritimes, et des madrépores de toute espèce ; on y voit aussi quelques arbres qui donnent le sang de dragon, et plusieurs autres de différentes sortes, qui distillent par l’incision un jus blanc, lequel en durcissant prend une couleur rougeâtre, et dont la consistance formée, n’a aucun rapport parfait avec les gommes, ou avec les résines. Cette matière jetée dans une cassolette, brûle lentement, et répand une odeur moins forte et plus agréable que celle de l’encens.

On voit parmi les rochers, à une médiocre profondeur d’eau, de petits poissons bleus, qui ressemblent bien mieux au dauphin, que la dorade. Les Chinois en font plus de cas que des poissons dorés de leurs rivières, qu’ils conservent avec tant de soin dans leurs maisons. Ce qu’il y a de fâcheux, c’est que ces petits poissons bleus ne vivent que peu de jours, quand on borne leur élément.

On a publié dans des relations, qu’un lac de cette île avait la vertu de pétrifier tout ce qu’on y jetait. Sans nier ce fait, on en pourrait douter, parce que ces insulaires n’en ont aucune connaissance. Ce qu’il y a de vrai, et qui aura pu donner lieu à cette opinion, c’est que rien n’est plus commun à Canton que ces fausses pétrifications, que les Chinois savent parfaitement imiter. On a débité de même que nulle part ailleurs on ne trouvait tant de perles que sur les rivages de l’île du côté du septentrion. Si cela a été vrai autrefois, il faut que la côte en soit maintenant entièrement dépeuplée : car on n’y en trouve plus. On en pêche de très petites sur les côtes de la province de Quang si, qui sont très chères. C’est des Indes qu’il s’en transporte à la Chine.

Parmi les animaux que l’île produit, on y voit une espèce curieuse de grands singes noirs, dont la physionomie approche assez de la figure humaine, tant ils ont les traits bien marqués, mais cette espèce est rare : il y en a de gris, qui sont fort laids et fort communs.

Le gibier y abonde, et l’on y peut chasser de toutes les manières. Les perdrix, les cailles, et les lièvres ne valent pas ceux d’Europe ; mais les bécassines, les sarcelles, et tous les oiseaux de rivière sont très bons. Il y a une poule de bois, qui est d’un goût exquis, l’on a en abondance les tourterelles, et deux espèces de ramiers. Les cerfs, de même que les cochons marins, qui sont une espèce de sangliers, y sont fort communs.

On y voit aussi plusieurs oiseaux curieux, tels que sont des corbeaux avec une cravate blanche, des étourneaux qui portent sur le bec une petite lunette, des merles d’un bleu foncé, qui ont deux oreilles jaunes, élevées d’un demi pouce, qui parlent et qui sifflent parfaitement bien ; de petits oiseaux de la grosseur d’une fauvette, qui sont du plus beau rouge qu’on puisse voir, et d’autres, dont le plumage est d’un jaune doré, qui a beaucoup d’éclat. Ces deux espèces d’oiseaux, quoique différentes, se trouvent toujours ensemble.

Il faut que les reptiles n’y soient pas dangereux, vu la confiance avec laquelle ces insulaires marchent jour et nuit dans les plaines, et au milieu des bois épais, sans armes, et presque toujours nus pieds. Il y a cependant des serpents et des couleuvres d’une prodigieuse grandeur mais comme ils sont fort timides, le simple mouvement, ou le moindre cri, les écarte bien loin.

Ce port dont les Portugais sont en possession depuis plus d’un siècle, est célèbre par le grand commerce qu’ils y faisaient, lorsqu’ils étaient les maîtres d’une partie considérable des Indes. Ils y ont une forteresse avec une très petite garnison, parce qu’ils ne sont pas en état d’y entretenir beaucoup de troupes.


PORT DE MACAO


Ce port dont les Portugais sont en possession depuis plus d'un siècle, est célèbre par le grand commerce qu'ils y faisaient, lorsqu'ils étaient les maîtres d'une partie considérable des Indes. Ils y ont une forteresse avec une très petite garnison, parce qu'ils ne sont pas en état d'y entretenir beaucoup de troupes.

La ville est bâtie dans une petite péninsule, ou si l’on veut, dans une petite île, parce qu’elle est séparée de la terre par une rivière, que le flux et le reflux grossit. Cette langue de terre ne tient au reste de l’île que par une gorge fort étroite, où l’on a bâti une muraille de séparation.

Quand on mouille au dehors, on ne voit de tous côtés que des îles, qui font un grand cercle, et l’on ne découvre que deux ou trois forteresses sur des hauteurs, et quelques maisons qui sont à un bout de la ville, on dirait même que les maisons et les forteresses tiennent à une terre fort élevée, qui borne la vue de ce côté-là. Mais entre cette terre, qui fait une île assez grande, et Macao il y a un port sûr et commode, et la ville s’étend par dedans le long de ce rivage.

Les maisons sont construites à l’européenne, mais un peu basses : Les Chinois y sont en plus grand nombre que les Portugais : ceux-ci sont presque tous métis et nés dans les Indes, ou à Macao. Comme ils ne sont pas fort riches, les Chinois en font peu de cas.

Les fortifications de Macao sont assez bonnes, le terrain fort avantageux, et il y a beaucoup de canon, mais la garnison est mal entretenue, et comme les Chinois fournissent à tous ses besoins, ils n’ont pas de peine à être les maîtres.

Il y a dans la place un gouverneur portugais, et un mandarin chinois, dont tout le pays dépend. Son palais est au milieu de la ville : quand il veut quelque chose, c’est aux Portugais d’obéir, surtout dans les affaires où les Chinois ont quelque intérêt.

Voici ce qui procura cet établissement aux Portugais. Pendant les années de Hong tchi, les Européens venaient faire leur commerce dans la ville de Canton ou dans celle de Ning po de la province de Tche kiang, jusqu’à ce que durant les années de Kia tsing un pirate nommé Tchang si lao qui rôdait sur les mers de Canton, s’empara de Macao et assiégea la capitale de la province. Les mandarins appelèrent à leur secours les Européens, qui étaient sur les vaisseaux marchands : ceux-ci firent lever le siège, et poursuivirent le pirate jusqu’à Macao, où ils le tuèrent. Le tsong tou ayant fait savoir à l’empereur le détail de cette victoire, ce prince publia un édit, par lequel il accordait Macao à ces marchands d’Europe, afin qu’ils pussent s’y établir.


Île de CHANG TCHUEN CHAN,
ou
de SAN CIAN


La mort de S. François Xavier apôtre des Indes, arrivée dans cette île, et son sépulcre, qu’on y voit encore, l’ont rendu célèbre. Ce tombeau est placé sur une colline qui est au pied d’une montagne. A côté du tombeau est une petite plaine couverte de bois d’un côté, et de l’autre ornée de plusieurs jardins.

L’île n’est pas déserte, comme on l’a publié ; il y a cinq villages, dont les habitants sont de pauvres pêcheurs : ils sèment un peu de riz pour leur subsistance, du reste ils vivent de la pêche. La chapelle que les jésuites portugais y firent bâtir il y a trente ans, est assez jolie ; elle n’est que de plâtre, mais les Chinois y ont répandu du vernis rouge et bleu, qui rend ce monument assez propre.