Description de la Chine (La Haye)/Des peuples nommés Si fan

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Scheuerleer (Tome Premierp. 49-63).



DES PEUPLES NOMMÉS
SI FAN ou TOU FAN


Pour mieux comprendre ce que je vais dire, il faut se rappeler, ce que je n’ai touché qu’en passant, savoir que la petite ville de Tchouang lan est comme à l’angle de deux vallées : l’une va vers le nord jusqu’à la porte de la grande Muraille nommée Kia yu koan, longue de plus de cent lieues, occupée par les trois grandes villes de Lan tcheou, de Kan tcheou, de Sou tcheou et par plusieurs forts qui en dépendent ; l’autre vallée s’étend à l’ouest plus de vingt lieues jusqu’à Si ning, et est pleine aussi de petites places qui lui sont soumises, et qui rendent les Chinois maîtres absolus de tout le plat pays. Mais il n’en est pas de même des montagnes ; elles sont habitées par une nation différente de la nation chinoise qu’elle a au sud, et de la nation tartare qu’elle a au nord.

Les Chinois partagent cette nation en deux sortes de peuples, ils appellent les uns Si fan noirs, He si fan : et les autres Si fan jaunes, Hoang si fan ; non pas que les uns soient moins blancs que les autres ; car ils sont d’ordinaire un peu basanés, mais parce que les tentes de ceux-là sont noires, et les tentes de ceux-ci sont jaunes.

Les noirs habitent encore quelques méchantes maisons, ils paraissent peu civilisés, ils sont gouvernés par de petits chefs qui dépendent d’un plus grand. Ceux que vit le père Régis étaient habillés à la manière des habitants de Ha mi : les femmes avaient leurs cheveux partagés en tresses pendantes sur les épaules, et chargés de petits miroirs d’airain.

Les Si fan jaunes sont soumis à certaines familles, dont l’aîné se fait lama ou bonze tartare, et prend l’habit jaune, d’où sans doute est venu, comme j’ai dit, la distinction chinoise de Si fan noir, et de Si fan jaune.

Ces lamas pris dans la même famille, et qui gouvernent dans leurs quartiers, ont le pouvoir de décider les procès et de punir les coupables : ils habitent dans le même canton, mais séparés, sans faire cependant de gros villages. Ils ne forment le plus souvent que de petits hameaux composés de six à sept familles de leurs parents : ce sont comme autant de petits campements, siao in, car c’est ainsi qu’en parlent les Chinois dans des livres assez récents de géographie.

Le grand nombre loge dans des tentes ; plusieurs ont des maisons bâties de terre et quelquefois de brique ; ils ne manquent point des choses nécessaires à la vie ; ils nourrissent un grand nombre de troupeaux ; leurs chevaux sont petits, mais bien faits, vifs, et robustes.

Les lamas qui les gouvernent ne les inquiètent pas beaucoup, pourvu qu’ils leur rendent certains honneurs, et qu’ils paient exactement les droits de Fo, ce qui va à très peu de choses. Les Arméniens qui étaient à fort contents du lama qui en est le maître, et qui n’avait alors que 25 à 26 ans : loin de vexer ses sujets, il ne tirait de chaque famille qu’un léger tribut, à proportion de l’emplacement qu’elle occupait.

On dit qu’il y a quelque différence dans le langage de ces deux sortes de Si fan, mais comme ils s’entendent suffisamment pour commercer ensemble, on peut croire que ce qu’il y a de différence, ne consiste que dans les dialectes d’une même langue.

Les livres et les caractères dont se servent leurs chefs, sont ceux du Thibet, pays du grand lama. Les uns et les autres ne sont qu’à demi soumis aux mandarins chinois leurs voisins, auxquels ils se présentent quelquefois lorsqu’ils sont cités, mais c’est ce qui est rare, et le plus souvent ils n’obéissent point. Il ne paraît pas qu’on ose user avec eux de rigueur, ni les forcer à l’obéissance. Les montagnes qu’ils habitent, dont le sommet est couvert de neiges, même au mois de juillet, les met à couvert de toutes poursuites.

Comme ils ont en leur disposition la rhubarbe qui croît en abondance sur leurs terres, ils se font rechercher des Chinois, qui les laissent sans peine en possession d’une si affreuse contrée, pourvu qu’ils puissent tirer d’eux la marchandise telle qu’ils la demandent.

Ils ont des manières et ils usent de cérémonies assez différentes de celles des Chinois : par exemple, c’est l’usage parmi eux de présenter un grand mouchoir blanc de toile ou de taffetas, quand ils vont au-devant des personnes qu’ils veulent honorer. Ils ont pareillement certains usages qui sont semblables à ceux des Tartares Kalkas, et d’autres qui approchent des coutumes de Coconor.

Le gouvernement présent des Si fan ou Tou fan est bien différent de ce qu’il était autrefois ; ils n’ont maintenant aucune ville, et ils sont resserrés entre le fleuve Ya long et le fleuve Yang tse kiang : anciennement leur royaume était fort peuplé, également bien fortifié et très puissant.

On voit par les livres chinois de géographie un peu anciens, par les histoires des provinces de Chen si et de Se tchuen, et par les grandes annales Nien y che, qu’ils ont eu une domination très étendue, et des princes d’une grande réputation, qui se sont rendus redoutables à leurs voisins, et qui ont même donné de l’inquiétude et de l’occupation aux empereurs chinois.

Du côté de l’orient non seulement ils possédaient plusieurs terres qui font maintenant partie des provinces de Se tchuen et de Chen si mais encore ils avaient poussé leurs conquêtes dans la Chine, jusqu’à se rendre maîtres de plusieurs villes que les Chinois nomment tcheou, et dont ils avaient formé quatre grands gouvernements. Du côté de l’occident ils étaient maîtres de tous les pays qui sont au-delà d’Ya long jusqu’aux limites de Cachimir. Telle était l’étendue de leur royaume.


630.

Dès le septième siècle le roi des Tou fan, nommé Ki tson possédait cette vaste étendue de terres ; il eut même plusieurs petits rois tributaires, auxquels il envoyait des patentes et des sceaux d’or. Il voulut s’allier avec la Chine du temps de l’empereur Tai tsong de la dynastie des Tang, l’un des plus grands princes qu’ait eu cette monarchie. Il lui envoya une célèbre ambassade. Tai tsong agréa cette politesse, et les ambassadeurs furent reçus et renvoyés avec les plus grandes marques d’honneur et de distinction.

Ki tson y prit goût, et par une seconde ambassade il fit demander une princesse du sang impérial pour être l’épouse de son fils Long tsang. Une pareille proposition parut bien hardie au conseil de l’empereur ; elle fut rejetée avec hauteur, sans même qu’on daignât en délibérer.

Long tsang devenu roi par le décès de son père vint à la tête de deux cent mille hommes demander la princesse, et après avoir défait quelques princes tributaires de la Chine qui s’opposaient à son passage, il pénétra jusqu’aux frontières de la province de Chen si où l’empereur tenait alors sa cour. Le conseil impérial s’était reposé sur la résistance de ces princes, parce que tout autre chemin était impraticable à une nombreuse armée.

Après ces premières démarches de son armée victorieuse, Long tsang chargea un de ses officiers d’une lettre fière et hautaine qu’il écrivit à l’empereur. Il demandait qu’on lui remît incessamment la princesse avec une certaine quantité d’or, d’argent, et de pièces de soie, qui était due, disait-il, à l’époux d’une princesse du sang impérial, lequel venait la recevoir en personne avec tant d’appareil et de magnificence.

L’empereur offensé d’une telle demande, envoya ordre sur-le-champ aux troupes de ses frontières de s’assembler et pour leur en donner le temps, il amusa l’envoyé de belles espérances, en le régalant, et en lui donnant chaque jour des fêtes nouvelles ; mais il n’eut pas plutôt appris que l’armée impériale était prête à se mettre en marche, qu’il congédia honteusement cet envoyé, sans lui donner de réponse à la lettre du roi son maître.

Le général Heou hien partit en même temps, aussitôt qu’il eut joint l’armée, il attaqua l’armée de Long tsang, et la mit en déroute. La perte ne fut pas si considérable que ce prince après avoir rallié ses soldats, ne se trouvât encore en état de donner de l’inquiétude ; c’est pourquoi comme il promit de se retirer, si on lui envoyait la princesse avec un équipage convenable à sa dignité, le conseil de l’empereur fut d’avis qu’il y donnât son agrément.


640.

La princesse fut conduite avec pompe ; et après les cérémonies du mariage, Long tsang se retira et devint un allié fidèle : il servit même l’empire en diverses occasions ; la principale fut, lorsque le général Alena usurpa un royaume tributaire de la Chine. Long tsang aida de toutes ses forces le général de l’empereur, il combattit lui-même en personne, et il eut beaucoup de part à la victoire par la perte du rebelle Alena.


Environ 696.

Kiliso qui succéda à Long tsang, ne fit rien qui pût troubler la paix qu’il avait avec l’empire, et avec tous ses voisins : il ne songea qu’à la maintenir par les traités qu’il fit avec les différentes nations des Tartares, et surtout avec les Hoei he. Ainsi il rendit son royaume également puissant, et par ses propres forces, et par le secours de ses alliés. Il mourut sans laisser après lui de postérité.

Sou si son plus proche héritier et son successeur eut l’âme plus guerrière. Il fut appelé avec ses alliés tartares et quelques autres alliés de l’empire au secours de l’empereur Huen tsong, qui se vit obligé de quitter sa cour de Tchang gan, (c’est la ville qui s’appelle maintenant Si ngan) et de l’abandonner aux rebelles commandés par le général Gan lo chan.

Le prince héritier qui les avait appelés, leur avait promis de grandes récompenses après la victoire. Il tint sa parole, et non content de leur abandonner le pillage de quelques villes rebelles, et entr’autres de celle de Loyang qui était très riche, il leur fit encore présent de quantité d’étoffes de soie, et de tout ce que la Chine fournit de plus rare.


757.

Mais soit qu’ils ne fussent pas contents de ces présents, soit que l’épreuve qu’ils venaient de faire de leurs forces les eût rendus plus entreprenants, ou que la politique leur inspirât de profiter de la faiblesse d’un empire épuisé par tant de guerres civiles, aussitôt qu’ils eurent appris la mort de l’empereur, ils se mirent en marche avec une formidable armée, et firent une diligence incroyable ; on ne s’aperçut de leur irruption, que quand ils arrivèrent sur les frontières de l’empire.

Les commandants des places de Ta tchin koen, de Lan tcheou, et de tout le pays de Ho si ou furent surpris, et forcés de se rendre. La nouvelle n’en vint à la Cour que par quelques fuyards : le ministre eut d’abord peine à la croire, cependant comme il était de la sagesse de prendre ses précautions, il ordonna au plus habile des officiers généraux qui se trouvaient à la Cour, de partir à la tête de trois mille hommes de cavalerie pour en apprendre des nouvelles certaines.

A peine Co tsey (c’est le nom de ce général) fut-il arrivé à Hien yang voisine de la Cour, qu’il fut informé que l’armée ennemie composée de trois cent mille combattants devait arriver ce jour-là même. Il dépêcha aussitôt un courrier au ministre, pour le presser de lui envoyer du secours, sans quoi avec le peu de troupes qu’il avait, il ne lui était pas possible de s’opposer à l’irruption des Tou fan qui étaient prêts à fondre sur la ville où résidait l’empereur avec sa Cour.

Le ministre ne s’en remua pas davantage : cependant les généraux des ennemis qui connaissaient le pays, ne furent pas plutôt arrivés à Hien yang, qu’ils détachèrent un corps de troupes considérable, pour s’emparer d’un pont qui était sur la rivière. Le lendemain le reste de l’armée suivit, et y arriva en bon ordre.

L’empereur à qui on avait caché jusque-là le danger où il se trouvait, fut tout à coup si consterné, qu’il abandonna son palais, et prit la fuite : les Grands de sa Cour, les officiers, le peuple, tout suivit son exemple.

Ainsi l’armée victorieuse entra sans résistance dans les palais de l’empereur et des princes, où ils trouvèrent des richesses immenses qu’ils pillèrent, après quoi ils y mirent le feu de même qu’en différents quartiers de la ville.

Co tsey s’était retiré avec ses trois mille cavaliers pour aller joindre les troupes, qui dans la première surprise étaient sorties à Tchang gan ; et moyennant cette jonction, il se vit bientôt à la tête de quarante mille hommes.

Afin de suppléer par son adresse à ce qui lui manquait de force, il eut recours au stratagème suivant : il ordonna à un détachement de cavalerie commandé par un de ses meilleurs officiers d’aller camper sur les collines voisines, de se ranger tous sur une même ligne, de faire un bruit effroyable de tambours, et d’allumer pendant toutes les nuits de grands feux en différents endroits à la vue des ennemis.

Cette ruse lui réussit : les Tou fan commencèrent à craindre d’être enveloppés et accablés par toutes les forces réunies de l’empire, que conduisait un général dont ils connaissaient la bravoure et l’habileté : ils reprirent le chemin de l’occident, et bloquèrent la ville de Fong siang.

Ma lin qui commandait dans ce district, vint au secours de sa place, et ayant forcé un corps de l’armée ennemie dont il tua plus de mille hommes, il se jeta dans la ville pour la défendre. Dès qu’il y fut entré, il en fit ouvrir toutes les portes pour faire voir aux ennemis qu’il ne les craignait point.

Les Tou fan étonnés d’une conduite si extraordinaire, se confirmèrent dans leurs premières défiances, et ne doutèrent plus qu’il n’y eût quelque embûche dressée pour les surprendre. D’ailleurs, disaient-ils, ce gouverneur paraît ne faire nul cas de sa vie, il nous en coûterait trop pour nous rendre maîtres de la place, et affaiblis comme nous sommes par les fatigues que nous avons eu à essuyer, pourrions-nous soutenir l’effort d’une armée peut-être plus nombreuse que la nôtre, et composée de troupes fraîches ? Sur cela ils prirent le parti de se retirer, se contentant du butin qu’ils venaient de faire et par leur retraite, il donnèrent le temps aux Chinois de réparer la ville royale de Tchan gan, où l’empereur revint quelques mois après qu’il en fut sorti d’une manière si honteuse.

Ce temps ne fut pas long, et les troupes chinoises furent obligées de se mettre en campagne contre un nouveau rebelle nommé Pou cou qui s’était uni d’intérêt avec les Tartares Hoei he. Une mort subite enleva fort à propos ce rebelle. Les Chinois eurent l’adresse de désunir les deux nations, en excitant parmi elles la jalousie du commandement.

Yo Kolo qui commandait les Hoei he, voulut être nommé général de toute l’armée. Les Tou fan s’y opposèrent comme à une prétention contraire aux ordres qu’ils avaient reçus du roi leur maître, et déshonorante pour leur royaume fort supérieur au petit État de ces Tartares. Les généraux chinois qui étaient campés à leur vue, appuyaient secrètement les prétentions de Yo Kolo et enfin se joignirent à lui. Les Tou fan furent attaqués comme ils décampaient, ils perdirent dix mille hommes dans cette attaque, et furent fort maltraités dans leur retraite.

Le roi des Tou fan songea à réparer ses pertes. Il apprit que les Hoei he s’étaient retirés peu satisfaits des Chinois : il fit partir son armée avec ordre d’assiéger Ling tcheou. Le commandant de cette ville et de tout le pays qui en dépend, n’avait que peu de troupes. Il n’eut garde d’aller combattre l’ennemi avec des forces si inégales.

Le parti qu’il prit, fut de se mettre à la tête de cinq mille cavaliers, et tournant tout à coup vers les magasins où étaient les munitions pour le siège, non seulement il les brûla, mais il enleva tout le butin qu’ils avaient fait, et une partie de leur bagage. Cette perte obligea les Tou fan de lever le siège, et de rentrer au plus tôt sur leurs terres.

Ils demeurèrent pendant cinq ans dans l’inaction, ne songeant qu’aux préparatifs d’une nouvelle guerre. Au bout de ce temps-là ils mirent en campagne une armée formidable, qui s’étant partagée vint fondre presque en même temps sur les terres de King tcheou et de Ping tcheou.

Ces nombreuses troupes n’eurent pas de peine à défaire plusieurs corps de troupes impériales ; le brave Ma lin qui les avait chassés auparavant de Fong tsiang, fut battu de même que les autres officiers généraux ; mais enfin le général Co tsey les défit entièrement dans une embuscade qu’il avait dressée sur leur passage, et les mit en fuite.


779.

Cette défaite inspira au roi des Tou fan des projets plus pacifiques : il envoya à la Chine une ambassade plus nombreuse que magnifique. L’ambassadeur avait cinq cents hommes à sa suite. L’empereur pour le mortifier le retint longtemps à la cour, sans lui donner audience, et sans le congédier. Une si désagréable réception choqua fort le roi des Tou fan et il se disposait à en tirer vengeance, lorsque l’empereur vint à mourir.

Un des premiers soins de son fils nommé Te tsong qui lui succéda à l’empire, fut de délibérer sur la manière de renvoyer l’ambassadeur et sa suite. Il prit une conduite toute différente de celle de son prédécesseur : il régala les principaux de l’ambassade, il leur fit donner et à tous ceux de sa suite de riches habits à proportion du rang qu’ils tenaient, il les combla de présents, et les fit conduire par un de ses officiers nommé Ouei ling. Cet officier avait ordre de justifier le peu d’égard qu’on avait eu pour ses ambassadeurs, en rejetant ce qu’il y avait d’odieux sur leur mauvaise conduite, et sur leur suite trop nombreuse.

Ouei ling contre son attente fut reçu non seulement avec honneur, mais encore avec une magnificence qui surprit l’empereur, et lui donna de l’estime pour cette cour. Il fut défrayé et renvoyé avec un ambassadeur chargé de riches présents qu’il fit à l’empereur de la part du roi son maître, avec promesse de ne rien faire désormais qui pût rompre la bonne intelligence où il voulait être avec l’empire de sorte que la cour ne doutant plus que cette réconciliation ne fût sincère, se persuada trop aisément qu’il n’y avait plus de trouble à craindre de la part des Tou fan.


786.

Cependant le roi mourut : Tsang po son successeur ne fut pas plus tôt sur le trône, qu’il mit son armée en campagne avec ordre d’entrer dans le Chen si. Elle arriva plus tôt qu’on ne put s’en apercevoir ; et elle défit dans sa marche tout ce qu’elle rencontra des troupes impériales jusqu’à la ville de Kien tching, appelée maintenant Kien yang.

La cour en fut alarmée : mais le général Li tching voyant les conséquences de cette irruption, ne crut pas devoir attendre les ordres de l’empereur : il se mit au plus tôt en marche avec toutes ses troupes et celles de la province qu’il avait rassemblées : il atteignit les ennemis lorsqu’ils étaient sur le point de former le siège de la ville, et remporta sur eux une victoire si complète qu’il les força de demander la paix. Ils promirent d’en jurer les conditions, aussitôt que l’empereur aurait envoyé un des Grands de sa cour avec plein pouvoir de les terminer à l’amiable, et de les confirmer en son nom par serment. C’est ce qui s’exécuta : mais on s’aperçut bientôt de leur mauvaise foi.

Quelques-uns de leurs officiers qui souhaitaient la continuation de la guerre, tâchèrent de surprendre l’envoyé de l’empereur, et de l’entraîner dans leur camp ; à la vérité ils furent désavoués par leur général, et l’envoyé de l’empereur crut avoir assez gagné par sa négociation avec les chefs de l’armée ennemie, en les engageant de retourner dans leur pays, sans faire aucun tort aux sujets de l’empire.

Cette première expédition n’ayant pas eu le succès que le roi des Tou fan se promettait, il se prépara à une seconde. Il leva une armée assez puissante pour faire tête et aux Tartares Hoei he qui s’étaient alliés tout récemment avec l’empereur, et aux troupes chinoises. Ils emportèrent d’abord quelques forts importants qui étaient sur leur route, et après s’être emparés de Gan si, ils avancèrent jusqu’à Pe ting au sud de Ning hia. Ce fut là qu’ils furent surpris et battus par les Tartares Hoei he.


791.

Cependant loin de se retirer, ils continuèrent leur route vers la cour avec une hardiesse et une intrépidité incroyable : mais peu de temps après, lorsqu’ils s’y attendaient le moins, le général Ouei cao tomba sur eux, tailla en pièces les corps qui s’étaient mis en ordre de bataille, enleva cinquante de leurs campements, et les poursuivit jusque sur les frontières. Il dépêcha en même temps un officier au roi d’Yun nan pour l’engager à venir le joindre avec toutes ses forces, mais ce prince s’en excusa sur la crainte où il était d’attirer contre lui un ennemi si redoutable.

Après cette victoire Ouei cao proposa à l’empereur un moyen d’arrêter les Tou fan : c’était de faire bâtir quelques villes ou forteresses sur les frontières occidentales. La cour entra dans ses vues : il y eut ordre d’en construire quatre dans le département de Ning yang fou de la province de Chen si, savoir Tang ka, Ho tao, Mou pou et Ma ling.


801.

Cette précaution fut inutile : à peine eut-on achevé de bâtir ces villes, que les Tou fan revinrent à l’ordinaire, et prirent enfin la ville de Lin tcheou, ce qu’ils avaient tenté de faire plusieurs fois vainement. Le général Ouei cao ne leur donna pas le temps de réparer leurs brèches : il parut avec son armée ; dès qu’il fut en présence, les Tou fan abandonnèrent la ville et prirent le chemin de Ouei tcheou, une de leurs meilleures places qui est dans la province de Se tchuen. Ouei cao les poursuivit, et voyant qu’ils ne cessaient pas de fuir devant lui, il prit le parti d’assiéger la ville d’Ouei tcheou.

Cette nouvelle consterna le roi des Tou fan. Il envoya aussitôt Lun mang son premier ministre avec un secours considérable. Ouei cao l’ayant appris, fort de ses lignes, va au-devant du secours, défait l’armée du premier ministre, et l’oblige à se rendre prisonnier. Aussitôt après cette expédition, les portes de la ville lui furent ouvertes. Il résolut d’en faire une place d’armes, et il alla assiéger la forteresse de Koen min tching. Mais il y échoua par la bravoure du gouverneur, dont la résistance fut invincible.


802.

La ville de Ouei tcheou était une des villes royales, et les rois des Tou fan depuis Kiliso y passaient une partie de l’année. Aussi la première chose que fit le roi Y tai, qui venait de succéder à son frère, fut de ne rien épargner pour la reprendre. Il leva une armée de cent cinquante mille hommes, et envoya l’assiéger.

Au premier bruit de la marche de cette armée, le général chinois, s’était jeté dans la place. Il soutint le siège pendant vingt-cinq jours, et se défendit avec beaucoup de valeur contre les assauts continuels de l’ennemi : mais enfin le secours qu’il attendait n’arrivant point, et se voyant réduit à l’extrémité, il fut contraint de se rendre.

Les Tou fan fiers de leur conquête, avancèrent vers Tching tou fou, capitale de la même province de Se tchuen. Le général chinois, qui, avec le peu de troupes qu’il commandait, ne pouvait pas s’opposer à leur marche, répandit le bruit qu’il allait s’emparer des défilés des montagnes par où ils avaient passé, et il fit faire à sa petite armée tous les mouvements nécessaires, pour persuader que c’était là son vrai dessein. Ils en furent si convaincus, que dans la crainte d’être surpris à leur passage, ils se contentèrent d’avoir exécuté l’ordre principal de leur prince, et se retirèrent à Ouei tcheou.

Y tai était un prince naturellement doux, paisible, et plein de tendresse pour son peuple. Comme il n’avait fait la guerre que pour recouvrer une place qui avait été enlevée à son prédécesseur, dès qu’il vit les troupes de retour, il fit dire aux généraux des frontières de l’empire, qu’il ne tiendrait qu’à eux de vivre en paix ; et pour leur persuader combien ses intentions étaient sincères, il publia un ordre, qui enjoignait à tous ses officiers de se tenir simplement sur la défensive.

Les Chinois de leur côté se comportèrent avec générosité en différentes occasions. Si ta meou, Tou fan de nation, et gouverneur de Ouei tcheou, offrait de livrer sa place à Ly ti yeu, qui commandait les troupes chinoises sur les frontières de l’empire. Les officiers étaient presque tous d’avis qu’il fallait accepter ses offres, mais un des principaux nommé Ni ou fan, s’y opposa fortement.

« Un grand empire comme le nôtre, dit-il, doit faire plus de cas de la bonne foi que de la prise d’une place. Si nous sommes les premiers à rompre la paix, nous autorisons les infidélités passées des Tou fan ; les plaintes que nous en avons fait, deviennent dès lors injustes ; tout ce qu’ils pourraient faire dans la suite, soit en pillant, soit en ravageant nos frontières, va être justifié par notre exemple. On se rendit à ses raisons, et il fut conclu qu’on refuserait les offres du gouverneur.

Y tai profita du loisir que lui donnait la paix, pour policer ses peuples, par de nouvelles lois, et par le soin qu’il prit de n’avancer aux emplois publics, que ceux qui en étaient les plus dignes. S’il apprenait que quelqu’un se distinguât par sa science et par son application à l’étude, il le préférait à ceux qui avaient une égale habileté dans le maniement des affaires.

Ayant entendu parler d’un lettré de grande réputation nommé Cham pi pi, qui n’avait d’autre mérite connu que celui de se rendre très habile, il le fit venir à la cour de l’extrémité du royaume. Il voulut l’interroger lui-même, et l’entendre discourir sur différents sujets : il en fut si satisfait, qu’il le nomma gouverneur de la ville et du département de Tchen tcheou, c’est maintenant Si ning.

Champ pi pi eut beau représenter qu’il n’était né que pour les livres ; que ce poste demandait un homme de guerre, et qu’à l’âge de quarante ans il n’était plus temps de faire son apprentissage des affaires d’État, le roi lui ordonna d’accepter ce gouvernement, et d’aller incessamment en prendre possession.

Ce prince, qui, par la sagesse et la douceur de son gouvernement, avait gagné le cœur de tous ses sujets, mourut sans laisser après lui de postérité. Ta mo, que les droits du sang approchaient le plus près du trône, fut reconnu sans nulle difficulté de tous les États pour le successeur légitime.

Ce fut un prince entièrement livré à ses plaisirs. Il vécut en paix avec ses voisins mais ses emportements, ses violences, et les cruautés qu’il exerça, le rendirent si odieux à ses sujets, qu’ils abandonnaient en foule leur patrie, pour se mettre à couvert de ses continuelles vexations. Ce fut par lui que commença la décadence de ce royaume.


842.

Le désordre augmenta bien davantage après sa mort : comme il n’avait point laissé d’enfants, ni nommé de successeur, un des ministres gagné par la reine veuve, fit d’abord proclamer roi le fils de Paivé son favori, et l’un des plus grands du royaume.

Au premier bruit qui se répandit du choix qu’on venait de faire, Kie tou na premier ministre d’État, courut au palais, et s’y opposa. — La famille royale est-elle donc éteinte, s’écria-t-il ? et n’est-ce pas un crime de chercher ailleurs un roi ? Son zèle lui coûta la vie : on le tua dans le temps qu’il se retirait.

Cette conduite de la cour révolta presque tous les esprits ; mais ils furent bien plus irrités, lorsqu’ils apprirent que ce roi qu’on leur donnait, n’était qu’un enfant de trois ans, dont le nom ne servirait qu’à autoriser toutes les entreprises du favori. Enfin le parti de la reine se trouva si puissant à la cour, qu’on fut contraint de plier, et de reconnaître ce jeune prince avec les cérémonies ordinaires.

Quand cette nouvelle vint à l’armée, qui était alors près des frontières, le grand général Lu kong ge refusa de recevoir les ordres qui lui furent envoyés de la cour, et pensa même à se faire roi.

C’était un homme d’une ambition démesurée, fier, plein de son mérite, extrêmement colère, et souvent cruel ; mais d’ailleurs il avait de la bravoure, et de l’adresse, et il était capable des plus grandes entreprises. Il saisit donc sans balancer cette occasion de monter sur le trône. Il fit d’abord courir le bruit qu’il se préparait à venger la maison royale, en exterminant les usurpateurs de la couronne : il leva de nouvelles troupes, dont il grossit son armée, et vint en diligence au-devant de celle du nouveau roi : il la défit entièrement, il prit et pilla Ouei tcheou et par la jonction d’un grand nombre d’officiers et de mécontents qui étaient venus le trouver avec leurs troupes, il se trouva à la tête de cent mille combattants. Il ne s’agissait plus que de faire entrer les gouverneurs des provinces dans son projet, et c’est à quoi il pensa d’abord.

Cham pi pi était un des principaux : il s’était fait une grande réputation, parmi tous les gens de guerre. Dès qu’il fut chargé du gouvernement de Tchen tcheou par le roi Y tai, il s’était tellement appliqué à discipliner ses troupes en leur faisant faire souvent l’exercice, et en leur apprenant divers stratagèmes de guerre, qu’on les regardait comme les meilleures troupes de l’État.

Lu kong ge voulut le sonder d’abord, et après lui avoir écrit une lettre captieuse, il s’avança vers sa ville. Cham pi pi pénétra le dessein du général, et résolut de le traverser. Pour le tromper à son tour, il lui fit une réponse si modeste, que Lu kong ge ne douta point qu’il ne l’eût gagné à son parti. Aussitôt après le départ du courrier, Cham pi pi se mit en marche avec toutes ses troupes il fit tant de diligence, qu’il arriva presque en même temps que sa lettre. Il fit attaquer sur-le-champ l’armée de Lu kong ge beaucoup plus forte que la sienne mais dans la surprise où il trouva ce général, il n’eut pas de peine à la défaire.

Lu kong ge après avoir rallié le reste de ses troupes, se retira la rage dans le cœur. Il vit bien que Cham pi pi serait un grand obstacle à ses vues ambitieuses, d’autant plus qu’il avait publié dans son gouvernement qu’il fallait se donner un roi qui fût du sang royal et que si cela n’était pas possible, il valait mieux se soumettre à l’empereur de la Chine, que de favoriser l’ambition d’un sujet rebelle.


846 et 849.

Lu kong ge après avoir rétabli son armée, crut que pour se faire un nom, et gagner l’affection de sa nation, il fallait entrer sur les terres des Chinois, et les abandonner au pillage. Il eut au commencement quelque succès, mais bientôt il fut battu par les généraux chinois, qui enlevèrent ensuite aux Tou fan la ville de Yen tcheou et plusieurs forteresses.

Ces pertes n’étonnèrent point Lu kong ge : il crut que s’il était une fois le seul maître du royaume, il ne lui serait pas difficile de les réparer ; c’est pourquoi il ne songea plus qu’à réduire Cham pi pi. Il avait grossi son armée de nouvelles recrues, et des Tartares anciens alliés des Tou fan auxquels il avait promis le pillage des frontières de la Chine. Il se mit en marche, et arriva près de Tchen tcheou avec une armée formidable.

Cham pi pi sans trop dégarnir sa ville, s’était campé à une certaine distance près de la rivière, et s’était fortifié dans son camp à la première nouvelle de l’approche des ennemis. Il y fut attaqué par Lu kong ge et forcé de l’abandonner. Le parti qu’il prit, fut de passer la rivière, de rompre le pont, et de suivre l’ennemi dans toutes les marches de l’autre côté de la rivière, quoiqu’il vît les dégâts et les ravages que Lu kong ge faisait sur ses terres, à dessein de l’attirer à une action générale, et il ne permit jamais à ses soldats de passer la rivière, ne fut-ce que pour escarmoucher.

La brutalité naturelle de Lu kong ge et sa mauvaise humeur augmentée par le peu de succès de ses entreprises, le rendirent si insupportable à ses soldats, qu’ils désertaient en foule. Cham pi pi les recevait avec bonté, et en formait de nouvelles compagnies.

Les Tartares de leur côté, qui ne pouvaient plus souffrir un joug si dur, et qui entrevirent les projets ambitieux du général, se retirèrent. Enfin la désertion qui continuait de plus en plus chaque jour, effraya Lu kong ge : il se crut perdu, et dans le désespoir ou il était, il crut ne pouvoir mieux faire que de se donner à l’empereur de la Chine à certaines conditions. Il partit pour la cour, traita avec Sa Majesté impériale. Quoiqu’il ne pût obtenir tout ce qu’il demandait, il feignit d’être content, et se retira à Co tcheou, ville chinoise, où il passa tranquillement le reste de ses jours.

Pendant que l’ambitieux Lu kong ge s’était rendu le maître de presque toutes les forces de l’État, les princes du sang royal s’étaient retirés en différents quartiers du royaume, où ils avaient de petits domaines. Les uns avaient cherché un asile dans quelques forts qui leur appartenaient vers le Se tchuen, résolus de s’assujettir à l’empereur de la Chine, plutôt que de se soumettre à un usurpateur : d’autres s’étaient cantonnés dans leurs montagnes. Il y en eut, et des plus considérables, qui restèrent dans les terres qu’ils possédaient au voisinage du gouvernement de Cham pi pi. C’est ce qui produisit dans l’État une infinité de troubles, que la sagesse et la valeur de Cham pi pi et de son successeur ne purent jamais apaiser, et c’est ce qui ruina enfin cette monarchie.


951.

Quand les Tou fan divisés en différents partis, furent las de se battre, plusieurs des officiers et des soldats se réunirent auprès de Pan lo tchi prince de Lou cou, qui était dans les confins du département de Tchen tcheou que les enfants de Cham pi pi avaient conservé à leur nation. Lorsqu’ils se virent un chef du sang royal, ils formèrent bientôt un corps d’armée, et pour rétablir l’honneur de leur patrie par quelque expédition glorieuse, ils résolurent d’attaquer le roi de Hia.

Ce nouveau roi se disait Tartare, et originaire de Tou pa, qui est encore au pouvoir des Tou fan. Il s’était fait un État malgré les Chinois près du fleuve Hoang ho dont la capitale était Hia tcheou et qui s’appelle maintenant Ning hia. C’est de cette ville que ce nouveau royaume a été nommé Hia.

Les Tou fan avaient fort aidé ce prince dans son entreprise, mais ils se plaignaient que leurs services avaient été mal récompensés, et que leurs plaintes avaient été suivies de mauvais traitements de la part des ministres du nouvel État. C’est pourquoi se voyant réunis sous un de leurs princes, ils songèrent à se venger de leur ingratitude.


1103.

Le roi de Hia qui était comme le fondateur de ce petit État, se nommait Li ki tsien. Il avait renouvelé la guerre avec l’empire que gouvernait alors la famille impériale des Song. Il entra tout à coup avec une armée nombreuse dans la partie occidentale du Chen si, laquelle était limitrophe du petit État qui restait encore aux Tou fan.


1103.

Pan lo tchi offrit au commandant chinois d’unir ses forces aux siennes pour détruire cette domination naissante pourvu que l’empereur voulût bien l’honorer d’un titre qui lui donnât plus d’autorité parmi ceux de sa nation. L’empereur agréa la proposition, et lui envoya des patentes de gouverneur général des Tou fan.

Le roi de Hia qui ne savait rien de ces conventions secrètes, après avoir fait quelques ravages, assiégea la ville de Si leang, et s’en étant rendu maître il fit tuer le gouverneur. Il songeait à pousser plus loin ses conquêtes, dans la persuasion où il était que Pan lo tchi venait joindre son armée à la sienne, pour favoriser ses projets. Pan lo tchi se mit en marche avec soixante mille cavaliers, et ayant atteint le roi de Hia en peu de jours, il l’attaqua avec tant de valeur, qu’il défit entièrement sa grande armée. Mais ce prince fut blessé, et mourut ensuite de sa blessure.


1015.

Sossolo son successeur pensa sérieusement à rétablir la monarchie ancienne de ses ancêtres. Son petit État ne consistait qu’en sept ou huit villes et quelques pays voisins. Mais il comptait fort sur l’expérience et la valeur de ses troupes qui étaient très aguerries et il espérait que le reste des Tou fan viendrait le joindre, et rechercher sa protection, lorsqu’ils le verraient assez puissant pour les soutenir. Il mit sa cour à Tsong ko tching, où il reprit le même nombre d’officiers avec les mêmes noms qu’avaient les rois ses prédécesseurs. Il leva de nouvelles troupes dans les terres de Li tsing tchin, de Ho tcheou, d’Y tchuen, de Tsing tang, et généralement dans tout ce qui lui restait des anciens États des Tou fan. Il fit entrer plusieurs fois ses troupes sur les terres de l’empire, mais il fut toujours battu. Enfin il fit sa paix avec la cour impériale.

On n’y était pas sans inquiétude des entreprises du roi de Hia. La puissance de ce prince croissait tous les jours : son orgueil et sa fierté étaient montés à un tel excès, qu’il avait pris le titre d’empereur de Hia. L’empereur fut bien aise d’avoir à lui opposer le prince Sossolo, et pour l’attacher davantage à ses intérêts, il le fit gouverneur général de Pao chun qui était à sa bienséance.

Sossolo mourut sur ces entrefaites, aussitôt après sa mort, la division qui se mit entre ses enfants, achemina la ruine entière de l’État des Tou fan. Ce prince avait eu de sa première femme deux enfants, l’un nommé Hia tchen et l’autre qui s’appelait Mo tchen tsou. Il eut ensuite d’une seconde femme le prince Ton chen.

Le crédit et la faveur de celle-ci prévalurent si fort, que pour rendre son fils plus puissant, elle persuada à son mari d’emprisonner les enfants du premier lit, et d’obliger leur mère à se faire bonzesse. Mais ils trouvèrent le moyen de se sauver, et de tirer leur mère du monastère où on l’avait enfermée. Alors le peuple qui les avait aidé à sortir de prison, se déclara pour eux.

Sossolo qui était revenu de son entêtement, approuva ce qui venait d’arriver. Il permit que Mo tchen tsou demeurât à Tsong co tchin qu’il lui donna en apanage, car il avait transporté sa cour à Tchen tcheou. Il assigna de même Kan ku à son autre fils Hia tchen pour le lieu de son séjour.

A l’égard de son troisième fils Ton chen qui lui parut plus capable de soutenir sa famille, il lui abandonna ses droits et le reste de ses États. Il demeurait à Li tsing tchin, où il était également aimé de ses peuples et redouté de ses voisins ; de telle manière que tous les Tou fan qui habitaient au nord du Hoang ho (Fleuve jaune), lui étaient parfaitement soumis. De plus l’empereur de la Chine lui accorda le gouvernement de tout le pays de Pao chun à la prière de Sossolo qui s’en démit en sa faveur.

Cette grande puissance dont on avait revêtu le cadet, donna de l’ombrage aux deux aînés et à leurs familles, qui craignaient d’en être quelque jour opprimés. Ils se rassurèrent néanmoins sur leur droit d’aînesse, et sur les précautions qu’ils prirent, et ils moururent tranquilles dans les villes de leur apanage.

Mou tching fils de Hai tchen moins tranquille que son père sur ce qu’il avait à craindre de la puissance du prince Ton chen, prit la résolution de se donner à l’empereur, et de lui livrer Kan ku, Ho tcheou, et toutes les terres dont il était le maître. Comme la ville de Ho tcheou était une place très importante pour la sûreté des frontières de l’empire, l’empereur reçut avec joie la proposition de Mou tching : il lui accorda à lui et à ses descendants généralement tout ce qu’il demanda pour vivre avec honneur dans l’empire.

Mo tchen tsou eut pour héritier son fils Kiao kiting qui fut fort aimé dans son petit État, mais qui ne survécut que quelques années à son père. Son fils Hia tcheng lui succéda : c’était un prince emporté, violent, et cruel ; il révolta ses sujets de telle sorte, qu’ils entreprirent de le déposer, et de mettre en sa place son oncle Sounan. La conjuration fut découverte ; Sounan et presque tous les complices furent égorgés.

Un des principaux officiers nommé Tsien lo ki trouva le moyen de s’échapper, et emmena avec lui Tchosa qui était de la famille du prince. Il s’empara de la ville de Ki kou tching, et il le fit proclamer prince de ce petit État. Hia tcheng y accourut aussitôt avec toutes ses troupes, emporta la place et fit mourir Tchosa. Tsien lo ki au milieu de tous ces troubles trouva encore le moyen de se sauver à Ho tcheou.

Le général Van tchao avait été fait gouverneur de cette place par l’empereur de la Chine. Tsien lo ki lui persuada que la conquête du pays de Tsing tang était très facile, et qu’il ne tiendrait qu’à lui de s’en rendre le maître. Van tchao le crut, et attaqua d’abord la petite ville de Mo tchouen, qu’il n’eut pas de peine à prendre. Ce fut alors que le prince Hia tcheng se voyant détesté de ses peuples et vivement attaqué par les Chinois, prit le parti de se donner à l’empereur à des conditions avantageuses ; il vint lui-même trouver Van tchao, lui offrit toutes les terres de sa dépendance, et obtint tout ce qu’il demandait. L’empereur ratifia le traité, et donna le gouvernement de ce département à Hou tsong hoa.


1099.

La même chose arriva à Lonc su, un des fils de Mou tching qu’un des chefs des Tou fan avait introduit dans la ville de Hi pa ouen. Après plusieurs combats que lui livra Van tchao où ce prince se distingua par une valeur surprenante, tantôt vainqueur, tantôt vaincu, il se soumit par un traité avantageux que l’empereur ratifia : et par là toutes ses terres furent réunies à l’empire.

La famille du troisième fils de Sossolo subsista plus longtemps dans la splendeur. Elle ne fut dépouillée de sa principauté que par les Mongoux, qui prirent le nom d’Yuen et de Yuen tchao après la conquête de la Chine.

Au milieu des troubles qui s’élevèrent dans le XIIe siècle entre les empereurs Chinois de la dynastie des Song, et les rois des Tartares orientaux Nu tche, qui prirent le nom de Kin, la famille de Ton chen s’allia avec les rois de Hia, et sous cette protection elle gouverna assez paisiblement ses États : mais enfin elle fut enveloppée dans la ruine commune par les victoires du fondateur des Yuen, que nos livres européens nomment Ging hiscan, et les Chinois Tchin ki se han.


1227.

L’année 1227 suivant l’histoire chinoise est l’époque de la ruine entière des Tou fan. Depuis ce temps-là ils sont demeurés dans leur ancien pays, sans nom, sans force, et trop heureux d’y vivre en repos. Tant il est vrai que la division du gouvernement renverse presque toujours les monarchies les plus florissantes. Les Tou fan se firent toujours respecter de leurs voisins, tandis qu’ils eurent des rois capables de les bien conduire.

Quoique la forme du gouvernement ait changé parmi les peuples de Tou fan, leur religion a toujours été la même. L’idolâtrie de Fo était la religion de leurs rois et de leurs princes, comme elle l’est encore des chefs de la nation. Les bonzes Lamas, et quelquefois aussi les bonzes Ho chans avaient beaucoup d’autorité dans leur cour : on les choisissait même pour être ministres d’État, en certaines occasions pour commander les armées.

La superstition n’a fait que croître parmi les Tou fan depuis leur décadence. Sous les empereurs Yuen les lamas devinrent si puissants, que les familles tartares se faisaient un honneur d’avoir un de leurs parents parmi ces bonzes. C’est là apparemment ce qui introduisit chez les Tou fan alors soumis aux Yuen, la coutume de donner à un lama de la famille le pouvoir de gouverner et de punir.

C’est aussi ce qui a beaucoup contribué à l’extrême attachement qu’ils ont pour Fo. Ils ne sont libéraux que quand il s’agit d’honorer cette idole qu’ils enrichissent par leurs offrandes : car ils ont de l’or dans quelques-unes de leurs rivières, et ils savent assez bien le mettre en œuvre, surtout pour en faire des vases et de petites statues.

L’usage de l’or est même très ancien parmi eux, puisque les livres chinois rapportent que sous un empereur de la dynastie des Han, un officier ayant été envoyé chez les Tou fan, pour se plaindre des ravages qu’avaient fait quelques-uns de leurs chefs réunis en corps d’armée, ils tâchèrent de l’apaiser en lui offrant de la vaisselle d’or. Cet officier la refusa, en faisant dire aux Tou fan que le riz dans des plats d’or était pour lui sans saveur.

Leur pays est fort montagneux : il est entre les fleuves Hoang ho au nord, Ya long à l’occident, et le Yang tse kiang à l’orient. Néanmoins entre ces montagnes, il y a d’assez belles plaines, qui sont semblables à celle de Se tchuen et d’Yun nan. On en trouve principalement sur les bords du grand et beau fleuve Ya long. Mais on ne voit nulle part ni ville ni forteresse : on doit cependant y trouver des vestiges de villes puisqu’il est certain qu’il y en a eu autrefois. La source du Ya long est entre le 34e et le 35e degré de latitude, et au 19e de longitude. Il est large et profond.

Les sources du grand fleuve Yang tse kiang qui traverse toute la Chine, sont dans le pays des Tou fan. La plus célèbre dont parlent les livres les plus anciens de la Chine, est nommée par les Chinois He choui au-dessous du 33e degré de latitude, et au 15e de longitude : mais elle est appelée par les Tou fan, Tchounac, et vient d’une chaîne de montagnes qu’ils nomment Tchourcoula.

On a cru devoir marquer ceci en particulier, parce qu’on trouve dans les livres chinois de géographie, bien des choses fausses sur le grand fleuve Yang tse kiang. Ces auteurs n’ont écrit que sur des bruits populaires, et dans un temps où il n’y avait presque aucun commerce avec le Thibet, ni avec les Tou fan.