Description de la Chine (La Haye)/Des Tartares de Coconor

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Scheuerleer (Tome Premierp. 63-65).


DES TARTARES DE COCONOR


Au-delà de Si ning, hors des portes de la grande Muraille, sont ses terres des Tartares de Coconor. Ils sont proprement Eluth de nation : mais depuis l’extinction de la famille royale, nommée Yuen tchao, ils habitent à l’occident de la Chine le long de la province Se tchuen, entre cette province et le Thibet. Ils ont pris leur nom d’un grand lac que les Chinois nomment Si hai c’est-à-dire, mer occidentale, et qu’ils appellent en leur langue, Coconol, ou Coconor.

Tout ce pays est assez étendu : il a plus de sept degrés nord et sud, et est séparé de la Chine par des montagnes si hautes et si escarpées, qu’elles servent de grande Muraille presque partout ; on en voit cependant quelques pans vers les gorges des montagnes, surtout dans les lieux qui sont fréquentés par les Coconor, et par d’autres étrangers, comme par exemple, Tsong sang ouei, où sont quelques bataillons sous la conduite d’un tsong ping, qui a encore d’autres troupes en différents postes, dont il dispose suivant le besoin.

La marchandise principale de Tsong sang ouei, est une espèce d’étoffe de laine nommée pou lou, assez semblable à notre frise, mais trois ou quatre fois plus étroite. C’est l’ouvrage des Tartares de Coconor et des Si fan qui savent fort bien la teindre, et qui en vendent de toutes sortes de couleurs. Dans le pays on en fait assez souvent des habits longs, et à Peking on en couvre les selles.

Le pays de ces Tartares, qui borde en dehors le Se tchuen, n’est point contigu au royaume de Pegou et d’Ava, que les Chinois nomment Mieu, et Ya oua, quoiqu’il soit à son midi, parce qu’entre l’un et l’autre sont des montagnes affreuses et inaccessibles, habitées par des nations presque inconnues, et qui, au rapport des Chinois d’Yun nan leurs voisins, sont fort sauvages, sans nulle police, et sans lois.

Celle qui est la plus septentrionale, et qui confine avec les Tartares Coconor, est appelée Nou y, et la plus méridionale au-dessus du royaume d’Ava au 25e degré 33 minutes est nommée Li se sur les limites de Yun tchang fou.

Les entrées de ces montagnes, qui font aussi une bonne partie des bornes occidentales, ne sont pas plus fortifiées que celles de Se tchuen : mais eu égard au pays, elles suffisent pour la sûreté de l’État et du commerce qui se fait avec Ava par Teng ye tcheou, ville médiocre, d’où dépendent les gardes de la gorge la plus voisine, et la plus fréquentée par les marchands.

Il a été encore moins nécessaire de munir les entrées qui laissent les montagnes au midi d’Yun nan et de la Chine, le long des confins des royaumes de Laos et de Tong king : car outre que l’air de ce pays est mortel aux étrangers, il arrive que la plus grande partie de l’année tout y est inculte, sauvage, plein de rivières et de torrents très dangereux ; ce qui fait qu’il y a peu de Chinois qui fassent commerce, soit avec le royaume de Laos, qu’ils nomment Lao choua, ou Lao se, soit avec le Tong king.

Cependant le père Régis en a trouvé à Yun nan fou qui étaient allés faire leur trafic jusque sur les limites de l’un et de l’autre royaume, et il a profité de leurs mémoires et de leur journal, pour déterminer quelques points de la partie méridionale à Yun nan, proportionnant leurs journées à des distances mesurées entre les lieux, par où l’on avait passé en faisant la carte des villes voisines.

La nation chinoise a étendu sa domination jusqu’à ces chaînes de montagnes inaccessibles, qui, dans une si prodigieuse longueur, ne sont interrompues que par de grosses rivières, et semblent avoir été faites pour servir de bornes naturelles à un grand royaume.

On s’est mis peu en peine des plaintes et des efforts de quelques nations peu considérables, qui demeuraient enclavées dans cette enceinte, ainsi qu’on l’a remarqué des Si fan, lesquels ont été enfermés par la grande Muraille de Si ning et de Kia yu koan. Les Chinois n’ont pas cependant tenu une conduite égale avec ces diverses nations, ainsi que nous allons l’expliquer.