Description de la Chine (La Haye)/Dynasties/Avant la première Dynastie

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Scheuerleer (Tome Premierp. 267-281).


DES EMPEREURS
qui ont gouverné la Chine jusqu’au temps de la première Dynastie.


FO HI. Premier empereur.


Il naquit dans la province de Chen si : un mérite supérieur le fit choisir pour gouverner ses compatriotes, qui l’appelèrent Tien tse, c’est-à-dire, fils du Ciel, voulant marquer par là qu’il avait été plus chéri du Ciel que le reste des hommes, puisque c’est du Ciel qu’il avait reçu ces qualités supérieures et extraordinaires, qui l’avaient élevé sur le trône.

Dans ces commencements les hommes n’étaient guère différents des bêtes, dit un auteur chinois ; ils connaissaient leur mère, mais ils ignoraient qui était leur père ; ils étaient impolis et grossiers, ils ne cherchaient à manger que quand la faim les pressait ; dès qu’ils étaient rassasiés, ils jetaient les restes : ils avalaient le poil, buvaient le sang, et s’habillaient de peaux.

Fo hi leur apprit à faire des filets pour pêcher des poissons, et des lacets pour prendre les oiseaux : il leur enseigna pareillement à élever des animaux domestiques, soit pour leur nourriture, soit pour les sacrifices. Par là il pourvut à la subsistance de ses peuples. Ce prince voyant ensuite que les cordes nouées, qui tenaient lieu de caractères, et dont on se servait pour l’instruction des enfants, étaient peu propres à publier ses lois, et à laisser à la postérité les instructions qu’il voulait lui transmettre, il traça les huit koua : ces koua sont trois lignes, qui combinées différemment, en font soixante-quatre, et il traça ces fameuses lignes, comme autant de symboles, pour exprimer ce qu’il voulait.

Ces huit koua ou symboles, chacun de trois lignes, ou droites, ou brisées, signifiaient certaines choses générales, dont dépendent la corruption et la génération des choses particulières : l’un représente le ciel, l’autre la terre, le troisième la foudre et les éclairs, le quatrième les montagnes, le cinquième le feu, le sixième les nuages, le septième les eaux, le huitième le vent. Il apprit à faire usage de ces symboles, et pour donner plus de crédit à ses nouvelles lois, il publia qu’il les avait vu marquées sur le dos d’un dragon-cheval qui sortait du fond d’un lac ; il le nomma dragon-cheval, parce qu’il avait la figure d’un cheval, et les écailles d’un dragon avec les ailes.

Ce prodige l’ayant accrédité parmi les peuples, lui donna lieu de créer des officiers ou mandarins sous le nom de dragon. Il nomma l’un dragon volant, et son occupation fut de faire des livres ; il nomma un autre dragon qui se cache, et c’était à lui de faire le calendrier ; un troisième fut nommé dragon qui demeure, et il eut l’intendance des bâtiments ; un quatrième appelé dragon protecteur, fut chargé de prévenir les misères du peuple, et de le soulager ; un cinquième sous le nom de dragon terrestre, eut soin des terres ; un sixième appelé dragon des eaux, fut chargé de faire croître les bois et les plantes, et de procurer la communication des sources d’eau vive.

Il établit un premier ministre, et partagea le gouvernement de son État entre quatre mandarins, qu’il envoya, l’un au nord, l’autre au sud, le troisième à l’est, et le quatrième à l’ouest. C’est ainsi qu’il fit fleurir ses lois.

Alors les deux sexes n’étaient point distingués par des habits particuliers, et confondus ensemble, ils vivaient sans pudeur, et dans une parfaite ignorance des lois du mariage.

Fo hi réforma ce désordre : il ordonna que les femmes seraient vêtues d’une manière différente de celle des hommes : il établit des lois pour la société conjugale : une de ces lois portait qu’on ne pourrait pas se marier avec une femme de même nom, soit qu’elle fût parente, ou non.

Cette coutume subsiste encore aujourd’hui : ceux, par exemple, qui portent le nom de Yong, de Ly etc. ne peuvent épouser des femmes de ce même nom, fussent-ils éloignés de vingt générations, et de familles différentes. Pour adoucir le naturel farouche de ses nouveaux sujets, et tranquilliser des esprits sauvages et turbulents, il inventa la musique, fit l’instrument kin auquel il donna par-dessus une figure ronde, pour représenter le ciel ; et par dessous une figure plate, pour représenter la terre.

Si cette harmonie inventée par Fo hi n’est pas meilleure que celle d’aujourd’hui, on ne voit pas quelle impression elle put faire sur les cœurs. Aussi les Chinois se retranchent-ils à dire, que la musique de Fo hi était toute divine, mais que c’est un trésor qu’on a perdu, et qui n’a jamais pu se recouvrer.

Fo hi mourut, et fut enterré dans un lieu nommé Tchin. Il eut pour successeur Chin nong. Un historien chinois met sur le trône quinze princes avant Chin nong mais d’autres, et c’est l’opinion commune, assurent que ces quinze princes n’étaient que des seigneurs de provinces tributaires, à peu près comme l’ont été depuis les Tchu heou.


CHIN NONG. Second empereur.


Le peuple s’étant extrêmement multiplié, les herbes et les animaux n’étaient plus suffisants pour le garantir de la faim ; Chin nong sensible à la misère de ses sujets, songea à rendre la terre féconde : il inventa les outils nécessaires au labourage, et il apprit au peuple à semer cinq sortes de grains ; c’est ce qui le fit appeler Chin nong, c’est-à-dire, laboureur céleste. Il leur apprit pareillement à tirer du sel de l’eau de la mer.

Les peuples devinrent sujets à beaucoup de maladies, et l’on ne connaissait point de remèdes propres à les guérir. Chin nong éprouva sur lui-même la vertu des simples, et il découvrit leurs bonnes et leurs mauvaises qualités : il considéra, dit l’historien chinois, leur nature, ou chaude, ou froide, ou tempérée, et s’en servit à proportion, comme un roi se sert de ses sujets.

En un seul jour il découvrit soixante-dix herbes venimeuses, et il eut le secret de les rendre utiles, c’est-à-dire, qu’il trouva le contrepoison. Après quoi il composa des livres de médecine, il enseigna la manière de rendre la santé aux malades. C’est ce qui le fait regarder comme l’auteur et le prince de la médecine.

La simplicité des mœurs bannissait alors tout esprit de contention ; chacun avait de quoi vivre, les lois étaient en petit nombre, et l’on n’eut pas besoin de les multiplier. Le gouvernement était majestueux et sévère. Chin nong donna l’idée du commerce, il établit des marchés publics, où le peuple se rendait vers le milieu du jour, et chacun s’étant fourni de ce qui lui était nécessaire, retournait paisiblement chez soi.

Pendant que ce prince ne s’occupait que du bonheur de ses sujets, un prince tributaire nommé So cha se révolta contre lui, et refusa d’obéir à ses ordres. Mais les propres sujets de ce prince punirent sa désobéissance, et lui ôtèrent la vie. Tout rentra dans le devoir, et il n’y eut personne dans l’empire qui ne fût volontiers soumis à la justice et à la douceur du gouvernement de Chin nong.

Il mourut à Tcha hiang, lieu dépendant de Tchang tcha. Un auteur chinois dit, que Tcha hiang est la ville qu’on nomme maintenant Tcha lin tcheou qui est du ressort de Tchang tcha fou capitale de la partie méridionale de la province de Hou quang.

Il y a des historiens qui donnent à Chin nong sept successeurs, jusqu’à Hoang ti, savoir Lin koue, Tcheng, Ming, Y, Lay, Ly, et Yu Ouang : ce dernier fut déposé, et il n’était plus empereur lorsqu’il mourut. Il se peut faire aussi que les autres n’étaient que des princes tributaires. Quoiqu’il en soit, il est certain que l’histoire chinoise ne met au rang des premiers empereurs que Fo hi, Chin nong et Hoang ti à qui les arts et les sciences doivent leur commencement et leur progrès.


HOANG TI. Troisième empereur.


L’histoire rapporte que Yu Ouang était un prince emporté et violent, que son gouvernement était dur, et que les peuples gémissaient dans l’oppression ; que les princes tributaires se soulevèrent, que l’un d’eux nommé Tchi yeou fut le premier qui leva l’étendard de la révolte ; que l’empereur fut déposé et que tous les princes placèrent sur le trône Hoang ti qui n’avait encore que douze ans ; que la mère de Chin nong avait un frère cadet, qui était prince héréditaire de la principauté de Chao tien ; que celui qui en était Régulo, du temps que régnait Yu ouang, avait pour femme Fou pao, laquelle ayant été fort agitée par l’éclat du tonnerre, accoucha de Hoang ti sur une montagne nommée Suen yuen.

C’était, dit l’histoire, un enfant merveilleux : à peine eut-il quitté la mamelle qu’il sut parler ; dans l’enfance, il montra beaucoup d’esprit et d’adresse ; dans la jeunesse, une bonté et une douceur d’un naturel admirable ; et dans l’âge viril, une pénétration et un discernement extraordinaire.

Tchi yeou dont je viens de parler, était un prince inquiet, et dont l’ambition qui était sans bornes, causait de grands désordres. Hoang ti l’entreprit, et lui livra jusqu’à trois batailles.

Comme il s’aperçut que des brouillards épais dérobaient l’ennemi à sa poursuite, et que les soldats s’égaraient et perdaient les rumbs de vent, il fit un char qui leur montrait le midi et les quatre points cardinaux. Par ce moyen il vint à bout de joindre le prince Tchi yeou. Il se saisit de sa personne et le fit mourir.

Quelques-uns disent que sur ce char on voyait gravé dans un plat les caractères du rat, et du cheval, et au-dessus une aiguille pour déterminer les quatre parties du monde. Ce serait là l’usage de la boussole, ou de quelque chose d’approchant bien ancien et bien marqué : c’est dommage qu’on n’en explique pas l’artifice, mais les interprètes ne sachant que le fait tout simple, n’ont osé hasarder leurs conjectures.

Après avoir réglé les affaires les plus importantes de l’empire, Hoang ti ne s’occupa plus que du soin de rendre les sujets heureux, en leur procurant toutes les commodités qu’il put imaginer. Il coupa et aplanit les montagnes ; il fit faire des grands chemins pour faciliter le commerce ; il étendit les bornes de son empire, qu’il poussa vers l’orient jusqu’à la mer, du côté du nord jusqu’à l’ancienne Tartarie, et au midi jusqu’au fleuve Kiang, qui servit de barrière à ses États.

Il créa six ministres pour l’aider à gouverner l’empire, et il fit Tsang kiai mandarin pour composer l’histoire.

Il chargea Ta nao du soin de faire le kia tse, ou le cycle de soixante ans. Ce cycle est composé d’un côté de dix caractères, qu’on nomme tien kan, et de l’autre de douze qu’on nomme ti tchi. Ces caractères ne signifient rien, mais tiennent lieu de nombres, ou de signes : les dix premiers sont appelés les dix tiges ; et les autres les douze branches. Ces signes se prennent deux à deux pour marquer les années, et se combinent de telle manière, que les deux mêmes signes ne reviennent qu’au bout de soixante ans.

Yong tcheng fut chargé de faire une sphère et un calendrier : ce fut lui qui découvrit l’étoile polaire, et les autres astres qui l’environnent. On ignore quelle était la figure de l’instrument en forme de sphère qu’il inventa, et qui représentait les orbes célestes. Enfin, au moyen de plusieurs expériences, il sut prévoir les changements du temps et de l’air.

Le partage de Li tcheou, fut de régler les nombres et les mesures ; la méthode qu’il inventa pour supputer, est encore en usage : c’est une petite boîte séparée en deux par le milieu, et traversée par des fils de fer, dans lesquels de petites boules sont enfilées : il n’y en a que deux dans chaque fil du rang supérieur qui valent chacun cinq : le rang d’en bas, qui est beaucoup plus large, a cinq boules dans chacun de ses fils et chaque boule n’est comptée que pour un. Quand on les compte de la droite à la gauche, les nombres se multiplient de même que par nos chiffres. Cette manière de compter, est plus prompte et plus sûre, que notre calcul à la plume.

Pour ce qui est des mesures, il prit un grain de millet pour la grandeur d’une ligne, dix lignes pour un pouce, dix pouces pour un pied, etc. La différente manière dont ces grains de millet, qui sont de figure ovale, peuvent se ranger, ont mis de la différence dans les mesures sous les diverses dynasties.

Sous la dynastie régnante, il y a trois sortes de mesures : 1° Le pied du palais : il est au pied de Paris, comme de 97 ½ à 100. 2° Le pied du tribunal des ouvrages publics, qui s’appelle Kong pou, et dont les ouvriers se servent : il est d’une ligne plus court que celui du palais. 3° Le pied des tailleurs, et dont se servent les vendeurs d’étoffes : il a sept lignes plus que celui du Kong pou.

Ling lun eut le soin de perfectionner la musique, et d’expliquer l’ordre et l’arrangement des divers tons.

Yong yuen eut ordre de faire douze cloches de cuivre, qui représentaient les douze mois de l’année.

Hoang ti inventa ensuite le bonnet, appelé mien, pour lui servir de diadème. Ce bonnet baissait un peu par devant, et se relevait par derrière ; il avait sept pouces de large, et un pied deux pouces de long.

Il se fit pareillement des habits et des ornements propres de sa dignité. Sa robe était bleue et jaune, pour imiter les couleurs du ciel et de la terre.

Après avoir considéré attentivement les plumes du faisan, et les différentes couleurs des oiseaux et des fleurs, il trouva le secret de la teinture, et ordonna que les étoffes, dont les riches et les pauvres seraient vêtus, fussent de couleurs différentes.

Il fit faire divers instruments utiles au public, des machines à piler le riz, des fourneaux de cuisine, des chaudières, etc. et le peuple commença à manger, tantôt du riz clair, ou de la bouillie, et tantôt du riz cuit plus épais.

Il fit construire des ponts sur les rivières, des cercueils pour les morts. Il enseigna à fabriquer des arcs et des flèches, des instruments à vent, des flûtes, des fifres, des orgues, des trompettes qui imitaient la voix du dragon, et des tambours qui faisaient le bruit du tonnerre.

Voyant que les bois vides surnageaient, il fit faire des barques, et inventa les rames. Il inventa pareillement des chariots, et fit dresser les bœufs et les chevaux pour les traîner.

Les peuples ne logeaient alors que dans de misérables huttes : Hoang ti donna le modèle des bâtiments, et il fit bâtir un palais nommé Ho kong, où il sacrifia au souverain seigneur du Ciel.

Pour rendre le commerce plus facile, il fabriqua de la monnaie, qu’il appela kin tao parce qu’elle avait la figure d’une lame de couteau, et il mit un si bel ordre dans les dépenses de l’empire, que les richesses augmentèrent à l’infini.

Les hommes étaient tourmentés au dehors par la rigueur des saisons, et au dedans par les passions qui les agitaient, et ils mouraient avant le temps. Hoang ti considéra avec attention les cinq éléments, les saisons, la nature de l’homme, et il ordonna à trois docteurs, nommés Ky pe, Yu fou et Ley kong d’examiner les vaisseaux sanguins, après quoi il détermina les remèdes propres de chaque maladie, et les hommes vécurent tout le temps qu’ils doivent vivre selon l’ordre de la nature.

Il chargea l’impératrice d’enseigner au peuple la manière d’élever des vers à soie, de filer leurs cocons, et de se faire des habits.

Ce prince ne goûtait pas un moment de repos, et quoiqu’il eût appris à ses sujets à se bâtir des maisons, et à former des villes, et qu’il se fût fait bâtir à lui-même un palais, il n’avait point de demeure fixe, et il campait avec ses soldats.

Il fit mesurer le pays, et le partagea en tcheou : il établit plusieurs principautés de cent lis chacune, où il bâtit des villes. Il régla que 240 pas en long, sur un pas de large, feraient un mou ; que cent mou feraient un king ; ainsi les pas étant de cinq pieds, il y avait dans un mou de terre six mille pieds carrés, et six cent mille dans un king. Il régla encore que neuf king seraient appelés tsing, et que ce serait la part de huit familles, qui auraient chacune un king ou cent mou pour soi, et que le king qui resterait au milieu, appartiendrait à l’empereur, et serait cultivé à frais communs par ces huit familles. Il fit faire quatre chemins à chaque tsing ,et il ordonna que trois tsing fussent appelés ho ki, trois ho ki une rue, cinq rues une ville, dix villes un tou, dix tou un che et dix che un tcheou.

Hoang ti mourut sur la pente de la montagne King chan, et fut enterré dans la province de Chan tong. Les écrivains chinois en font les plus grands éloges : la vertu et les talents de ce prince, disent-ils, égalaient le ciel et la terre. Son gouvernement était admirable, ses lois fermes, sa conduite immuable : il répandit ses bienfaits sur toute la terre, et sa libéralité est parvenue jusqu’à nous, de sorte que tout mort qu’il est, on dirait qu’il vit encore. Il eut vingt-cinq enfants, et l’un d’eux nommé Chao hao lui succéda à l’empire.


CHAO HAO. Quatrième empereur.


Ce prince gagna l’estime et l’amour de ses peuples par la douceur et la beauté de son naturel : on publia que le fong hoang avait paru à son avènement à la couronne, ce qui était regardé comme le présage d’un règne heureux, parce que, disent les Chinois, cet oiseau merveilleux ne se montre que quand les bons rois occupent le trône.

Ce fong hoang est un oiseau très rare, ou plutôt fabuleux, à peu près comme notre phénix : selon la peinture qu’en font les Chinois, il ressemble à un aigle, mais il est fort différent par l’admirable variété de ses couleurs.

La prétendue apparition de cet oiseau, fit naître au nouvel empereur l’idée de distinguer ses officiers par la figure de divers oiseaux qu’ils porteraient sur leurs vêtements. L’ordre en fut donné, et cet usage s’observe encore aujourd’hui. Les mandarins de lettres ont sur leurs habits pour marque de leur dignité, des oiseaux en broderie d’or, et les mandarins de guerre y portent des animaux, tels que sont le dragon, le lion, le tigre, etc. Ces marques d’honneur font connaître au peuple, le rang que tiennent ces officiers dans les neuf premiers ordres de l’État.

Parmi les mandarins de nouvelle création, les uns, qu’on nommait les cinq kieou, devaient assembler le peuple ; d’autres avaient soin de gouverner les cinq espèces d’artisans ; l’emploi des autres était de présider au labourage, et de veiller sur les mœurs des peuples.

Ce prince gouverna ses États avec beaucoup d’équité : les auteurs chinois disent qu’il fut un parfait imitateur de Fo hi. Il réforma les mesures des grains ; il fit dresser un tambour pour battre les veilles ; il rendit libre le cours des rivières, et aplanit les chemins sur les montagnes ; enfin il inventa une nouvelle musique pour unir les esprits avec les hommes, et accorder le haut avec le bas : c’est pourquoi on l’appela Ta yuen.

L’empereur mourut dans un âge fort avancé : il laissa cinq fils, dont quatre avaient chacun leur mérite : mais comme il trouva de plus grands talents dans son neveu, nommé Tchuen hio qui était petit-fils de Hoang ti, il lui donna la préférence sur ses propres enfants, et le choisit pour son successeur à l’empire.


TCHUEN HIO. Cinquième empereur.


Il ne fut pas plutôt monté sur le trône, que loin de prendre de la défiance de ceux dont il remplissait la place, il leur confia des emplois considérables et conformes à leurs talents. Comme ces princes connaissaient parfaitement la nature des métaux, les eaux, et les bois, etc. il donna à l’un l’intendance des mines, à l’autre la charge de maître des eaux et forêts, etc. et s’étant assuré de leur fidélité, il les éleva dans la suite à des emplois plus honorables et plus importants.

Sur la fin du règne de Chao hao, le peuple avait commencé à s’ingérer dans le sacré ministère. Chaque famille voulait avoir chez soi des sacrificateurs. Tchuen hio réforma cet abus ; il joignit le sacerdoce à la couronne, et régla qu’il n’y aurait que l’empereur qui offrirait solennellement des sacrifices au seigneur du Ciel.

C’est ce qui s’est toujours observé, et ce qui s’observe encore maintenant ; car l’empereur seul, est le pontife, et a droit d’offrir les sacrifices dans le temple du Ciel ; s’il arrive que son grand âge, ou quelque maladie ne lui permette pas d’aller au temple y faire les fonctions de sacrificateur, il députe un prince, ou un Grand de l’empire pour tenir sa place, et s’acquitter de ce devoir de religion.

Comme cet empereur était habile astronome, il changea la manière de calculer et d’observer les mouvements célestes ; et parce que ces mouvements ne paraissaient que dans un lointain, il inventa une machine qui aidait à en avoir une idée plus claire, et qui servait aux équations, aux ascensions, etc.

Les interprètes n’ont rien dit sur la construction, sur la figure, et sur les proportions de cet instrument ; apparemment qu’ils l’ont ignoré. Ils parlent seulement de la conjonction des cinq planètes dans la constellation Che, arrivée sous le règne de Tchuen hio ; mais, comme le remarque un habile astronome chinois, c’est une conjonction de système, et qui n’est nullement réelle.

Les conjonctions des planètes ont toujours été regardées comme de bon augure pour les princes : on voit de ces fausses conjonctions dans la suite de l’histoire, surtout au changement de dynasties ; et sans en chercher des exemples bien loin, c’est ce qui arriva à la seconde année du règne de l’empereur, qui est maintenant sur le trône. La conjonction de quatre planètes fut une raison suffisante, pour en faire une de cinq en faveur du nouveau règne.

L’empereur en fit paraître de la joie, et en reçut les compliments de toute sa Cour ; tout le monde en profita, surtout le tribunal des mathématiques, qui ne pécha pas par ignorance. Ayant trouvé certain rapport de planètes qui n’étaient pas en place avec celles qui y étaient, cela lui suffit pour fonder une conjonction qui flattait l’empereur, et qui leur devenait utile.

Cette fausse conjonction, qu’on a eu soin de marquer dans les registres, pourra bien donner lieu à de grands raisonnements, et à de faux systèmes dans les siècles à venir. Que dans deux ou trois mille ans, on s’avise de calculer en Europe, on cherchera vainement Saturne dans cette conjonction de planètes : sera-ce une raison de douter des autres faits de l’histoire d’Yong tching ? Ce n’en sera certainement pas une pour les Chinois, qui étant au fait de ces flatteries assez ordinaires, savent bien rabattre des compliments qu’on fait en cette occasion aux empereurs.

Tchuen hio régla aussi le calendrier, et ordonna que l’année commencerait le premier jour du mois, que la conjonction du soleil serait le plus proche du quinzième degré du verseau ; c’est ce qui l’a fait appeler l’auteur et le père des éphémérides. Il fit choix du temps que le soleil parcourt le milieu de ce signe, parce que c’est la saison où la terre s’embellit de fleurs et de plantes, où les arbres reprennent leur verdure, et où tout se ranime, et semble renaître dans la nature.

Ce prince mourut fort âgé, et fut enterré à Pou yang : il eut pour successeur Ti co ou Kao sin, petit-fils de l’empereur Chao hao. Les descendants de Tchuen hio qui furent en grand nombre, eurent dans la suite pour partage différents petits États, dont ils étaient rois ou princes tributaires.

C’est toujours l’empereur qui accorde ces États aux princes, ou parce qu’ils sont ses parents, ou à cause de leur mérite. Ils relèvent de l’empire à peu près comme les ducs et les comtes en Europe, et s’il survient une guerre à l’empereur, ils sont obligés de lui mener un certain nombre de troupes, pour grossir son armée, et le défendre contre ses ennemis.


TI CO ou KAO SIN. Sixième empereur.


Les écrivains chinois font de grands éloges de ce prince : il était éclairé, disent-ils, il voyait tout ; il examinait tout par lui-même ; il entrait dans les plus grands détails ; il était populaire, sans rien perdre de sa Majesté ; il aimait tendrement ses sujets ; il répandait partout ses bienfaits ; il se réformait lui-même ; il était religieux dans le culte du souverain seigneur du Ciel, qu’il servait respectueusement ; son air grand et auguste attirait de la vénération, sa vertu était éminente, il n’agissait qu’à propos et gardait en tout un juste milieu. Enfin il n’y eut aucune nation éclairée par le soleil, et arrosée par les pluies, qui ne se fît un plaisir d’obéir à ses ordres.

Il établit des maîtres pour enseigner la vertu aux peuples, et il inventa la musique vocale ; ce fut Hien he, qui le premier fit par son ordre des chansons : il donna le soin à d’autres de faire divers instruments, des flûtes droites et traversières, un tambour, une cloche, un king[1] ; il fit jouer cette musique qu’il nomma lou ing, c’est-à-dire, la beauté du ciel, de la terre, et des quatre saisons.

Ce fut le premier qui donna l’exemple de la polygamie : il épousa quatre femmes. Il eut de la première un fils, nommé Ki, dont les descendants firent la dynastie des Tcheou ; de la seconde, il eut un fils nommé Sie, dont les descendants firent la dynastie des Chang. La troisième lui donna Yao et le fils qu’il eut de la quatrième s’appela Tchi. Les grandes espérances que donnait ce dernier prince, portèrent l’empereur à le choisir pour successeur préférablement à ses trois frères.


TCHI. Septième empereur.


Ce prince ne soutint guère l’idée qu’il avait donné d’abord de son mérite ; il ne se servit de son autorité, que pour se livrer brutalement à ses infâmes plaisirs. Les princes tributaires accoutumés à obéir à de sages empereurs, ne purent soutenir l’excès de ses dérèglements. Ils lui firent plusieurs fois des remontrances sur sa conduite ; et comme leurs avis étaient inutiles, ils le firent descendre du trône, l’envoyèrent en exil, et mirent à sa place son frère Yao.

Ce n’est qu’au règne de Yao qu’on peut appliquer le cycle sexagénaire, car quoiqu’il ait été inventé par le célèbre Hoang ti, la durée de ces premiers règnes est très incertaine ; au contraire depuis l’empereur Yao, jusqu’à Jésus-Christ, la chronologie est parfaitement bien conduite, et les auteurs chinois ont tout marqué par année, et dans un grand détail, jusqu’aux divisions qui ont troublé l’empire, et aux interrègnes, avec le temps de leur durée. C’est ce qui m’a porté à ne commencer l’ordre des cycles que par l’empereur Yao.


Cycle I. Année avant J. C. 2357.


YAO. Huitième empereur.
A régné seul 72 ans, et 28 avec Chun qu’il associa à l’empire.


Ce fut la quarante-unième année du cycle précédent que ce prince monta sur le trône : il est regardé comme le premier législateur de la nation, et comme le modèle de tous les souverains ; c’est sur lui et sur son successeur, que tous les empereurs jaloux de leur réputation tâchent de se former, et c’est encore maintenant faire le plus grand éloge d’un empereur de la Chine, que de dire qu’il ressemble à Yao, à Chun etc.

La vertu, disent les historiens, lui était comme naturelle ; il était actif, laborieux, vigilant, d’une pénétration, et d’une intelligence qui prévoyait tout ; d’une modération et d’une équité, qui maintenait la vigueur des lois, et en même temps les faisait aimer, n’employant jamais son autorité que pour procurer le bien de ses sujets ; d’une modestie égale à sa grandeur ; elle éclatait jusque dans les hommages que son rang lui attirait. Grande frugalité dans ses repas, il se contentait des viandes les plus grossières. Nulle magnificence dans ses meubles ; son palais était dénué de tout ornement, et ses vêtements n’étaient que d’étoffes de laine pendant l’été, ou de peaux de cerf durant l’hiver. S’il arrivait quelque calamité publique, ou qu’un de ses sujets se fût rendu coupable de quelque crime, il attribuait ce malheur à son peu de vertu, ou il le regardait comme un châtiment du Ciel, qui punissait sa négligence à bien instruire les peuples. Il ne faisait jamais la visite de son empire qu’après avoir offert des sacrifices au souverain Maître du Ciel : ses sujets aspiraient au bonheur de le voir, et ils attendaient ce moment heureux avec la même impatience, que les campagnes arides attendent la pluie. Enfin son règne fut si doux et si aimable, que ses sujets ne s’apercevaient presque pas qu’ils eussent un maître.

Les philosophes chinois ont coutume d’appuyer leurs maximes de morale, sur la conformité qu’elles ont avec la conduite et les actions de cet empereur, et de ses deux successeurs : cette conformité une fois prouvée donne à leurs maximes une autorité, contre laquelle il n’y a point de réplique.

Yao qui se plaisait singulièrement à observer les astres, chargea deux habiles mathématiciens, l’un nommé Hi, et l’autre qui s’appelait Ho, d’examiner avec soin le cours de la lune et des astres, et de composer des instruments propres à ces sortes d’observations. Ce fut avec leur secours qu’il régla les douze mois lunaires, et qu’il rétablit les mois intercalaires, qui revenaient sept fois dans l’espace de 19 ans.

L’impératrice fut chargée du soin d’élever des vers à soie, et d’enseigner aux autres femmes la manière de fabriquer de meilleures étoffes qu’on en avait fait auparavant.

Ce travail au temps de son invention était fort grossier, et c’est ce qui arrive toujours, surtout dans les arts, qui ne se perfectionnent que par l’expérience, et par un long usage. Ce prince mit un nouvel ordre dans l’administration des affaires de l’empire, par l’établissement de six tribunaux souverains, tels qu’ils subsistent encore aujourd’hui.

La réputation de sa vertu, et la sagesse de son gouvernement, attirèrent dans ses États plusieurs des nations voisines : ses sujets s’augmentèrent à un point, que ces provinces ne purent contenir tant d’étrangers, qui venaient s’y établir, principalement à cause des eaux dont les terres basses étaient couvertes ; soit que cette inondation fût un reste du Déluge universel, comme plusieurs le croient, soit que quelque obstacle interrompant le cours naturel des eaux vers la mer, forçât les rivières à sortir de leur lit, et à répandre leurs eaux dans tout le plat pays.

L’empereur prit le dessein de mettre à profit tant de terres submergées, et par là devenues inutiles à son peuple. Il donna à un officier nommé Kouen la commission de dessécher les campagnes, en procurant une issue aux eaux, qui les fissent couler dans la mer. Cet officier ou négligent, ou peu capable d’une entreprise, dont il n’eût pas dû se charger, employa neuf ans à ce travail, sans y réussir : sa négligence ou sa témérité fut punie de mort.

Yu son fils répara sa faute. Pendant treize ans d’un travail infatigable il vint à bout d’aplanir les montagnes, de faire rentrer de grands fleuves dans leur lit naturel, de dessécher les lacs et les marais, de renfermer entre des chaussées plusieurs torrents rapides, et de partager les rivières en différents canaux, qui aboutissaient à la mer. Par ce moyen il donna une plus grande étendue aux provinces, et les rendit bien plus fertiles. On verra dans la suite qu’un service si important ne fut pas sans récompense.

Cependant Yao songeait à se donner un successeur, et sans écouter les mouvements de la tendresse paternelle, il n’eut égard qu’aux intérêts de son peuple. Il découvrit un jour son dessein aux seigneurs de sa Cour. L’un d’eux lui représenta qu’il avait dans son fils aîné un prince aussi digne du trône, qu’il était digne d’être son fils, et que les peuples ne manqueraient pas de respecter dans son sang des vertus héréditaires : Je déteste autant ceux qui louent les méchants, répondit Yao, que ceux qui blâment les gens de bien ; je connais mon fils, sous de beaux dehors de vertu, il cache des vices qui ne sont que trop réels. Cette réponse ferma la bouche à tous les seigneurs.

A quelque temps de là, Yao fit venir un de ses ministres, en qui il avait le plus de confiance, par l’estime qu’il faisait de sa prudence et de sa probité, et voulut déposer entre ses mains sa couronne. Ce sage ministre s’excusa de recevoir cet honneur, sur ce que le fardeau était trop pesant, pour des épaules aussi faibles que les siennes, et en même temps il lui proposa un laboureur nommé Chun, que la vertu, la probité, la patience dans les plus dures épreuves, la confiance qu’il s’attirait de tous les gens de bien, et une infinité d’autres excellentes qualités rendaient digne du trône.

Yao le fit venir, et pour éprouver ses talents, il lui confia le gouvernement d’une province. Chun se fit une si grande réputation de sagesse, de prudence, de modération, et d’équité, qu’au bout de trois ans Yao l’associa à l’empire, et lui donna ses deux filles en mariage.

L’empereur vécut encore 28 ans, dans une grande union de sentiments, avec le nouveau collègue qu’il s’était donné. Se voyant prêt de mourir, il appela Chun et l’exhorta à gouverner ses sujets en vrai père, et à se souvenir qu’il était plus pour les peuples, que les peuples n’étaient pour lui, et qu’un empereur n’est élevé au-dessus du reste des hommes, que pour procurer leur avantage, et prévenir leurs besoins. En finissant ces mots il rendit le dernier soupir à l’âge de 118 ans, laissant après lui neuf enfants. Tous les peuples qui trouvaient dans ce prince l’amour et la tendresse d’un père et d’une mère, le pleurèrent pendant trois ans.


CHUN. Neuvième empereur.
A régné seul 50 ans.


C’est la vingtième année de ce cycle que mourut Yao, et Chun commença l’année suivante à gouverner seul l’empire. Il est regardé, de même qu’Yao, comme l’un des législateurs de la nation.

Aussitôt après la mort de l’empereur, Chun confia le gouvernement de l’État à ses ministres, et s’enferma dans le sépulcre de Yao pendant trois ans, pour se livrer plus librement aux sentiments de douleur, que lui causait la mort d’un prince, qu’il regardait comme son père. C’est de là qu’est venu l’usage de porter pendant trois ans le deuil de ses parents.

Les historiens chinois attribuent l’élévation de Chun à la soumission et à l’obéissance qu’il eut toujours pour ses parents ; quoiqu’il ne reçût d’eux que de mauvais traitements, et que sa vie fût plusieurs fois en danger, il n’opposa que sa douceur à leur mauvaise volonté ; et peu à peu par son respect, et par sa patience, il vint à bout de reformer leurs cœurs, et de les rendre vertueux.


Cycle II. Année avant J. C. 2277.

D’où les philosophes chinois tirent deux grands principes de morale : le premier, que quelque méchants que soient les pères et les mères, les enfants ne leur en doivent pas moins de respect et d’obéissance ; le second, qu’il n’y a point de si méchant homme, qu’on ne gagne enfin par des bienfaits.

Chun après avoir satisfait aux devoirs de sa piété et de sa reconnaissance envers Yao, se mit en possession du palais impérial, et reçut les hommages de tous les princes tributaires. Il trouva dans le palais quantité d’or et de pierreries ; il fit faire une sphère, qui représentait les sept planètes, et il y employa les pierreries qui symbolisaient le mieux avec chaque planète. Il fit de nouvelles lois pour l’administration de son État, et ordonna que chacun des six tribunaux établis par son prédécesseur, aurait des officiers subalternes pour l’aider dans ses fonctions ; il honora toujours de sa protection et de sa bienveillance les philosophes et les gens de lettres. Chaque année il visitait ses provinces, et dans cette visite il récompensait ou punissait les princes tributaires, avec une équité qui lui attirait l’estime et l’admiration des peuples.

Une de ses principales attentions fut de faire fleurir l’agriculture, et de mettre l’abondance dans ses États : c’est pourquoi il défendit sous des peines sévères aux gouverneurs, de détourner les laboureurs de leur travail, et d’en exiger des corvées, toujours onéreuses, et capables de ralentir leur ardeur pour la culture des terres.

Il était également attentif à ne confier le gouvernement de ses sujets, qu’à des personnes d’un mérite, et d’une capacité éprouvée ; enfin il fit plusieurs autres ordonnances, dont la sagesse et l’équité l’ont fait regarder dans tous les temps, comme un des grands héros qu’ait eu la Chine.

Une de ces ordonnances paraîtra peut-être assez extraordinaire, c’est celle qui permet à chacun de ses sujets, de marquer sur une table exposée en public, ce qu’il aurait trouvé de répréhensible dans sa conduite. Il admit dans les conseils six seigneurs, qui étaient des descendants de Tchuen hio et six autres qui étaient de la famille de Tico. On trouve dans le Livre canonique appelé Chu king dont je donnerai le précis, des discours, que quelques-uns de ces seigneurs firent à l’empereur, sur les maximes d’un sage gouvernement.

L’année 54 de ce cycle il pensa à un successeur, mais il n’envisagea dans ce choix que le bien de ses peuples. Il préféra Yu à ses enfants, et il ne se porta à cette préférence, que par l’idée qu’il s’était formée de la capacité et du mérite de ce grand homme, et en quelque sorte par reconnaissance des avantages qu’il avait procurés à l’empire, en desséchant les terres, qu’une inondation générale dans les pays plats rendait inutiles. Il vécut dix-sept ans, depuis qu’il eut fait asseoir Yu sur son trône, et l’union fut si grande entre ces deux princes, qu’il ne parut jamais que l’autorité fut partagée.

L’année dixième de ce cycle, l’empereur Chun mourut âgé de 110 ans, et fut enterré dans la province de Chen si.


  1. plaque plate et mince qu’on frappe avec un maillet de bois