Description de la Chine (La Haye)/Dynasties/Cinquième Dynastie, Han

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Scheuerleer (Tome Premierp. 346-369).


CINQUIÈME DYNASTIE


NOMMÉE HAN


qui compte vingt-cinq empereurs, dans l’espace de quatre cent vingt-six ans.


CAO TSOU. Premier empereur, Qui s’appelait auparavant LIEOU PANG.
A régné douze ans.


Lieou pang, devenu le fondateur de cette dynastie, en a été le premier empereur sous le nom de Cao tsou ; il ne prit d’abord que la qualité de roi de Tsin, parce qu’il ne s’était rendu maître de la capitale de l’empire, qu’au nom du roi de Tsou, qui lui avait promis ce royaume.

Hiang yu, l’autre général, dont j’ai déjà parlé, qui avait été aussi envoyé pour détrôner l’empereur, ne put retenir son dépit, de ce que Lieou pang lui avait ravi par sa célérité et par son adresse, la gloire et la principauté, à laquelle il aspirait. Comme c’était un homme brutal et cruel, et qu’il se trouvait à la tête d’une armée très forte et très aguerrie, Lieou pang fut assez heureux pour l’empêcher d’en venir à un éclat : une entrevue de ces deux généraux, ménagée par le père de Hiang yu, les raccommoda et ils entrèrent ensemble dans la capitale.

Hiang yu, peu satisfait de la clémence et de la douceur de Lieou pang, et voulant assouvir sa haine contre les princes de Tsin, fit mettre le feu à la ville et au palais impérial, fouilla dans les tombeaux pour en tirer les ossements de ces princes, et les jeter dans des lieux inconnus, et tua de sa main le prince détrôné, que Lieou pang avait toujours traité avec respect depuis sa disgrâce.

Un grand nombre de soldats du dernier empereur, qui avaient été incorporés dans ses troupes, ayant désapprouvé ces cruautés par leurs murmures, il leur fit ôter adroitement leurs armes, et les ayant fait entourer par son armée, ils furent impitoyablement égorgés par ses ordres. On eut horreur de l’auteur de tant de massacres ; et des actions si barbares servirent beaucoup à relever la justice, la clémence, et la modération de Lieou pang, et à le faire chérir des soldats et des peuples.

Le tyran n’était pas au terme de ses cruautés : s’étant rendu absolu dans l’État de Han, il avait mis des garnisons dans la plupart de ses places ; et il aspirait depuis longtemps à l’empire ; il crut se l’assurer en donnant la mort à son souverain, de qui il tenait toute l’autorité qu’il avait ; sa vue était aussi de se venger de la préférence que ce prince avait donné sur lui à Lieou pang, en le récompensant de la principauté de Tsin.

Plein de ces idées, il s’avança vers la ville de Kieou kiang de la province de Kiang si, où était le roi de Tsou. Ce prince, pour faire honneur à son général, vint à sa rencontre, et à l’instant il fut assassiné. Lieou pang, touché du malheur de ce prince son bienfaiteur, lui fit faire les obsèques les plus magnifiques, ce qui lui concilia encore plus l’amitié des peuples, et son armée grossit considérablement des troupes, qui se joignirent à lui, pour venger la mort de leur souverain.

Depuis ce temps-là il y eut guerre ouverte entre ces deux généraux, qui ne cessèrent de se disputer l’empire ; et après dix-sept batailles, où la victoire penchait, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, Lieou pang en gagna une enfin qui fut décisive ; l’armée de son rival fut détruite sans ressource, et il se tua de désespoir pour ne pas tomber entre les mains de son vainqueur.

Un soldat, qui trouva son corps étendu par terre, lui coupa la tête, et l’apporta à Lieou pang ; on la mit sur le fer d’une pique pour la faire voir à tous les habitants de Tsou. Le vainqueur usa de la victoire avec modération. Il fit faire de superbes funérailles à Hiang hiu, pour montrer l’estime qu’il faisait de la valeur, et il accorda à son père une province en souveraineté.

Cette guerre étant terminée, il assembla les États généraux de l’empire, où il fut reconnu et déclaré empereur sous le nom de Cao tsou, par les princes tributaires, et par tous les Grands et les gouverneurs des provinces. Il établit d’abord sa cour dans la province de Chen si, et ensuite il la transporta dans celle de Ho nan, où elle a toujours été pendant 196 ans sous douze empereurs.

Dans la gaieté d’un grand festin qu’il donna à ses officiers, et à ses soldats, et où il s’entretenait avec eux familièrement, il leur demanda à quoi ils attribuaient son élévation à l’empire. Chacun ne manqua pas de répondre à cette question dans les termes les plus flatteurs attribuant au mérite, à la bravoure, et aux autres grandes qualités du nouvel empereur.

— Vous vous trompez, leur répondit-il ; si vous me voyez aujourd’hui sur le trône, c’est que j’ai su connaître les divers talents de ceux que j’honorais de ma confiance, et les appliquer aux emplois dont ils étaient les plus capables.

Cao tsou étant tombé malade, et se voyant à l’extrémité, nomma son fils Hoei ti pour son successeur, et lui désigna les ministres auxquels il devait donner sa confiance. Il mourut la quarante-troisième année du cycle. L’histoire chinoise en fait les plus grands éloges.


HOEI TI. Second empereur.
A régné sept ans.


On espérait beaucoup de ce prince ; il joignait à un grand courage beaucoup de douceur et de modération : mais ces bonnes qualités furent gâtées par de plus grands défauts : la passion qu’il eut pour les femmes, ruina absolument sa santé, et sa complaisance pour sa mère le porta à lui abandonner le soin de son État.

Cette princesse s’empara de toute l’autorité, et se fit détester par sa cruauté et par ses crimes : elle dépouillait suivant sa passion et son caprice, les ministres et les gouverneurs, et elle donnait leurs emplois à ses créatures. Le poison qu’elle faisait donner subtilement à ceux dont elle voulait se défaire, était l’instrument ordinaire de ses vengeances.

Le roi de Tsi, frère aîné de l’empereur, qui l’était venu voir dans sa maladie, aurait péri de la sorte, si l’empereur ne lui eût arraché la coupe empoisonnée qu’elle lui présenta, et dans laquelle il était prêt de boire. Elle éleva ses parents aux plus grandes charges, et confia à deux de ses créatures le commandement de toutes les troupes de l’empire.

Cependant Hoei ti accablé des infirmités que lui avaient causé ses débauches, mourut la cinquantième année du cycle. Liu heou sa mère, qui craignit qu’on ne pensât, comme il était naturel, à mettre sur le trône un des frères de l’empereur, supposa un enfant qu’elle acheta d’une paysanne, et s’en déclara tutrice ; et comme cette supercherie pouvait être découverte tant que vivrait la mère, elle la fit étrangler.


LIU HEOU. Usurpatrice.
A régné huit ans.


Ce n’était pas assez pour cette princesse d’avoir tiré ses parents de la poussière, pour les élever aux principales dignités de l’Empire ; elle voulut encore se rendre maîtresse des couronnes tributaires, et il en coûta la vie à un de ses ministres, qui eut le courage de lui représenter, que ces souverainetés appartenaient de droit aux princes de la race de Han, et que son mari avait fait jurer tous les gouverneurs, qu’ils maintiendraient ce droit, même par la voie des armes, s’il en était nécessaire.

Elle se crut assez puissante pour n’avoir rien à craindre ; et en effet elle disposa de quelques provinces, qu’elle donna en souveraineté à ses parents, à condition de lui en faire hommage. Elle fit mourir ensuite le jeune enfant dont elle s’était déclarée tutrice, et révéla par là le secret de l’artifice que son ambition lui avait suggéré.

Sa famille abusant de la faveur où elle se trouvait, se rendait insupportable par ses hauteurs et par sa fierté, et les Grands prenaient des mesures pour la faire rentrer dans le néant, d’où elle était sortie, lorsque la mort enleva cette abominable princesse. Elle mourut tout à coup la cinquante-huitième année du cycle.

Sa mémoire fut si détestée, qu’il ne se trouva personne qui prît les intérêts de sa famille. L’empire en fut purgé par le massacre qu’on fit de tous ceux qui la composaient. On songea aussitôt à élire un empereur, et l’on jeta les yeux sur le souverain d’un petit État, qui était le second fils de Cao tsou, lequel monta paisiblement sur le trône, et prit le nom de Ven ti.


Cycle XXXVII. Avant J. C. 177.


VEN TI. Troisième empereur.
A régné vingt-trois ans.


L’empire reprit son ancienne splendeur sous le règne de ce prince, et ses vertus lui concilièrent en peu de temps le respect et l’amour des Grands et du peuple.

Dans les sacrifices qu’il offrait selon la coutume, au seigneur du Ciel, ses premiers vœux avaient d’abord pour objet la félicité et le bonheur de ses sujets, et ensuite la conservation de sa personne. Il porta la frugalité, jusqu’à ne pas permettre qu’on fît le moindre changement dans ses meubles, ni qu’on le servît dans des plats d’or ou d’argent, et il défendit à ses femmes, même à l’impératrice, de porter des étoffes de différentes couleurs, et enrichies de broderies.

Il donna des témoignages publics de sa tendresse pour les peuples, en remettant l’impôt sur le sel, et la moitié des impôts ordinaires, et en ordonnant que les vieillards pauvres de chaque province qui auraient atteint l’âge de 80 ans, fussent nourris et entretenus à ses dépens.

On ne battait des monnaies de cuivre que dans la capitale de l’empire : le trésor impérial y trouvait du profit ; mais le public en souffrait à cause de la distance des lieux ; il permit d’en fabriquer dans tout l’empire, et il voulut que les pièces de cette monnaie fussent rondes, et percées en carré par le milieu, afin qu’elles pussent se transporter plus aisément.

Les guerres précédentes avaient désolé les campagnes, ruiné l’agriculture, qui est une des principales ressources de l’État : il cultiva la terre de ses mains royales pour ennoblir en quelque sorte une profession si pénible ; il fit planter des mûriers dans son palais, et y fit nourrir des vers à soie, pour engager les Grands à suivre son exemple, et il obligea l’impératrice et ses femmes à travailler des ouvrages à l’aiguille, pour animer les dames chinoises à se faire une semblable occupation.

Il devint le protecteur des sciences, et l’on eut toute liberté de reproduire les livres qui avaient été sauvés de l’incendie. Jusqu’alors on n’écrivait que sur des feuilles ou sur des écorces avec un poinçon de fer : c’est sous son règne qu’on trouva le secret de faire du papier, en broyant du bambou dans des moulins faits exprès, qu’on inventa les petits pinceaux qui se font de poil, et l’encre qui se détrempe avec un peu d’eau sur un marbre.

Pendant que ce prince était ainsi occupé du bonheur de ses peuples, les Tartares firent de temps en temps des irruptions sur les terres de l’empire : mais ils furent toujours repoussés avec perte, et chassés bien loin des frontières.

La réputation de sa vertu et de la sagesse de son gouvernement, fit de si fortes impressions sur les nations les plus éloignées, que les habitants des provinces de Quang tong et de Quang si s’offrirent de suivre ses lois, de lui payer le tribut, et de vivre sous son obéissance. Il envoya des ambassadeurs pour recevoir leurs hommages.

Tout le défaut qu’on reproche à ce prince, c’est de s’être entêté follement des visions d’un imposteur, qui lui présentant un breuvage d’un très grand prix, l’assura que s’il le prenait, il deviendrait immortel. Il eut la faiblesse de se laisser éblouir d’une espérance si chimérique : mais c’est la seule qu’on puisse lui reprocher. Il mourut à l’âge de quarante-six ans, la vingt-unième année du cycle, et eut pour successeur son fils nommé King ti.


KING TI I. Quatrième empereur.
A régné dix-sept ans.


Ce prince se distingua par sa douceur et par sa clémence. Dès le commencement de son règne il publia une ordonnance qui diminuait la rigueur des supplices dont on punissait les criminels : il rétablit néanmoins les impositions que son père avait réduites à la moitié, et il apporta pour raison que l’agriculture étant rétablie, il était juste que le trésor impérial se remplît, pour subvenir aux besoins de l’État.

La trop grande indulgence de ceux qui présidaient à l’éducation des jeunes princes, causa sous ce règne de grands désordres : c’était la coutume d’élever les enfants des princes tributaires avec ceux de l’empereur. Le fils aîné de King ti en aimait un plus que tous les autres. Dans un festin qu’il leur donna, ils poussèrent l’intempérance jusqu’à cet excès, que le jeune prince ayant pris querelle avec son favori, le tua d’un coup de couteau. Le père ayant appris cette mort funeste de son fils, jura de s’en venger. Il intéressa dans son ressentiment six princes tributaires, qui prirent les armes en sa faveur.

L’empereur averti de cette ligue, prévint leurs efforts, et mit à la tête de son armée un général habile : il eut le secret d’attirer les ennemis dans une province, où il ne leur était pas aisé de faire venir des vivres, tandis que fortifié dans son camp, il avait en abondance toutes les munitions nécessaires pour la subsistance de son armée.

Ces princes, dans la crainte de se voir bientôt affamés, résolurent de partager leurs forces, et d’attaquer de tous côtés le camp impérial. Mais ayant été repoussés avec de très grandes pertes, ils s’enfuirent en désordre : alors il se fit une sortie générale de tous les endroits attaqués. On poursuivit les assiégeants avec tant de vigueur et de courage, que ce fut plutôt un carnage, qu’une défaite ; et ces six princes confédérés furent, ou tués par les soldats de l’empereur, ou se tuèrent eux-mêmes pour ne pas tomber entre les mains du vainqueur.

L’empereur mourut la trente-septième année du cycle, et son fils Vou ti lui succéda.


VOU TI. Cinquième empereur.
A régné cinquante-quatre ans.


La prudence et la modération de ce prince, sa valeur, son application au gouvernement, son inclination pour les sciences, et la protection dont il honora les savants, l’ont fait regarder comme un des plus grands empereurs qu’ait eu la Chine. A peine eut-il rendu les derniers devoirs à son père, qu’il fit venir à sa cour les plus grands philosophes de l’empire, pour prendre leurs conseils sur le gouvernement de son État.

Comme il avait l’âme guerrière, il ne douta point que ces savants ne cherchassent à favoriser son inclination, et qu’ils ne lui proposassent de nouvelles conquêtes, afin d’établir l’ordre et la tranquillité dans les pays, dont il se rendrait le maître ; mais il fut étrangement surpris, lorsqu’au contraire ces sages ne lui parlèrent que du soin de maintenir la paix parmi ses peuples, et d’écarter les plus justes guerres, qui sont tôt ou tard très funestes à un État.

Quelque passion qu’eût Vou ti pour la guerre, il renonça dès lors à tous ses projets, pour ne s’occuper que des soins du gouvernement. Le seul plaisir de la chasse qu’il aimait, lui servait de délassement. Il avait fait entourer de murailles une grande étendue de terres, où l’on avait renfermé toutes sortes de gibier et de bêtes fauves : mais ayant fait réflexion que toutes ces terres n’étant point cultivées, devenaient inutiles pour son peuple, il aima mieux se priver d’un plaisir si innocent, que de donner lieu à ses sujets de se plaindre, ou de murmurer ; il se contenta de chasser dorénavant dans les parcs anciens, que ses prédécesseurs avaient fait faire.

Il fit plusieurs règlements très importants pour le repos de l’empire. Les princes, à qui on avait accordé une certaine étendue de pays en souveraineté, ne devaient avoir que cent lis de terres en carré, et quelques-uns d’eux s’étaient tellement accrus, qu’ils possédaient plus de mille lis.

Il remédia à ce désordre. Il régla qu’un prince étant mort, son État serait partagé entre tous ses enfants légitimes, n’étant pas juste qu’un seul fût enrichi, tandis que les cadets, livrés à une honteuse indigence, ne pourraient remplir avec décence l’obligation indispensable d’honorer leur père après sa mort. Enfin il ordonna que faute d’héritiers légitimes, ces souverainetés seraient réunies à la couronne.

Dans le dessein qu’il eut de faire fleurir les sciences, il chargea les savants hommes, que ses libéralités avaient attirés à la cour, de mettre en ordre ces anciens et précieux livres, qui avaient échappé à l’incendie général, et il les fit enseigner publiquement, de même que les maximes morales de Confucius et de Mencius.

Ces livres s’écrivaient à la main ; car l’imprimerie n’avait pas encore été inventée, et elle ne le fut qu’environ cinquante ans avant l’ère chrétienne.

Les belles qualités de ce prince furent ternies, par la faiblesse qu’il eut d’écouter des imposteurs, qui lui promettaient un élixir dont ils avaient le secret, en l’assurant que cette potion le ferait vivre éternellement. Un jour qu’un de ces souffleurs lui apporta le breuvage d’immortalité qu’il venait d’achever, et que mettant la coupe sur une table, il le conjurait d’en faire l’expérience, un de ses ministres s’efforçant inutilement de le désabuser, prit brusquement la coupe, et but la liqueur.

L’empereur au désespoir que son ministre lui eût dérobé l’immortalité, prit la résolution de le punir du dernier supplice, sur quoi son ministre lui dit avec un doux sourire : « Prince, si ce breuvage m’a rendu immortel, pouvez-vous m’ôter la vie ? Et si vous avez le pouvoir de me faire mourir, le frivole larcin que j’ai fait mérite-t-il la mort ? » L’empereur se radoucit, et loua la sagesse de son ministre : mais il ne fut pas pour cela tout à fait désabusé.

Quelque temps après un magicien parut à la cour, qui excita la curiosité de l’empereur par ses prestiges. Il s’engagea de lui faire voir aussi souvent qu’il lui plairait, une de ses femmes du second ordre qui était morte, et que ce prince avoir tendrement aimée. Elle demeurait, disait-il, dans la lune, où elle était pleine de vie, pour avoir bu la liqueur qui rend immortel. Il fit bâtir une tour fort élevée, où il assurait que par le pouvoir qu’il avait sur les esprits, il la ferait descendre autant de fois qu’on le voudrait.

L’empereur assista aux cérémonies qu’employait le magicien : mais l’immortelle fut sourde à sa voix, et le charme n’eut aucun effet. L’imposteur qui craignait la colère de l’empereur, eut recours à un artifice : il écrivit sur une étoffe de soie les raisons qui retenaient la concubine dans la lune, et l’empêchaient de descendre. Il fit avaler ensuite ce morceau d’étoffe à une vache, et la montrant à l’empereur : « Je ne sais, lui dit-il d’un ton effrayé, quel crime nous avons commis, mais je vois dans le ventre de cette bête des choses qui m’étonnent ; commandez, prince, qu’on l’ouvre en votre présence. » La vache fut ouverte, et l’on trouva l’étoffe dans ses entrailles ; mais après l’avoir bien examinée, on découvrit que l’écriture était de la main du fourbe : il ne put le nier et il fut exécuté à mort. Cette histoire, revêtue de beaucoup d’autres circonstances, a servi de sujet à plusieurs comédies.

Vou ti signala sa puissance par quatre célèbres victoires qu’il remporta sur les Tartares, et après les avoir éloignés fort loin de la grande Muraille, il porta ses armes victorieuses jusqu’aux royaumes voisins de l’Inde, c’est-à-dire, jusqu’au Pegou, à Siam, à Camboye et à Bengale.

Il partagea les pays conquis entre les deux généraux, et les officiers, qui avaient le plus contribué à cette conquête : il y fit bâtir des villes, et honora les deux chefs du titre de roi. Ces Chinois prirent avec le temps les manières et les inclinations des Tartares, et ils devinrent dans la suite les plus cruels ennemis de ceux dont ils tiraient leur origine.

Un de ces rois Tartares prévint le ressentiment de l’empereur, en s’abandonnant à sa clémence, et se faisant son tributaire. Il lui donna même son fils aîné pour être élevé sous ses yeux.

Ce jeune prince était d’une taille avantageuse, et avait dans son air je ne sais quoi de doux et de fier tout ensemble. Il plut à l’empereur, qui aimait à le voir exercer le talent rare qu’il avait de dresser les chevaux ; il le fit d’abord son grand écuyer, et le mit ensuite à la tête de ses troupes, en l’honorant du nom de Kin, comme s’il eût été originaire de la Chine, et afin de le distinguer des Tartares.

Lorsque Vou ti sentit les approches de la mort, il déclara pour son successeur le fils d’une de ses concubines : il aimait plus que tous ses autres enfants ce jeune prince, qui n’avait encore que huit ans : il lui donna pour tuteur un de ses ministres, en qui il avait une entière confiance ; et de crainte que la mère du jeune empereur ne causât des troubles dans l’empire, comme avait fait Liu heou, il crut devoir la punir de plusieurs crimes dont on l’accusait. L’unique grâce qu’il lui accorda, fut de lui laisser le choix du genre de mort qu’elle redoutait le moins.

L’empereur mourut la 31e année du cycle à l’âge de 71 ans ; le jeune prince Tchao ti lui succéda.


TCHAO TI. Sixième empereur.
A régné treize ans.


Ce prince, tout jeune qu’il était, fit paraître les plus belles inclinations, et une prudence qui était fort au-dessus de son âge. Docile aux instructions du sage tuteur que son père lui avait donné, il se signala dans les commencements de son règne par les récompenses, dont il gratifia les officiers qui avaient bien servi l’État ; par les magistrats intègres et habiles qu’il envoya secrètement dans les provinces, pour s’informer si les peuples n’étaient pas opprimés ; et par le moyen qu’il prit pour soulager les pauvres dans un temps de stérilité.

Il ordonna que les riches, qui avaient des grains au-delà de ce qui était nécessaire pour leur subsistance, en fourniraient aux pauvres, autant qu’il en fallait pour les nourrir, et ensemencer leurs terres, avec obligation de rendre la même quantité au temps de la récolte ; et pour dédommager les riches, qu’on forçait à ces avances, il leur remit les impôts qui se levaient sur les grains. Par un règlement si sage, il conserva la vie à une infinité de malheureux.

En même temps qu’il veillait ainsi au bonheur de ses sujets, il affermit leur repos par la paix honorable qu’il conclut avec les Tartares : mais il ne survécut pas longtemps à cette paix, car il mourut sans laisser d’enfants mâles, la quarante-quatrième année du cycle, ayant à peine vingt-deux ans. Ses grandes qualités le firent extrêmement regretter de tout l’empire.

Hiao ti son oncle lui succéda du consentement de toute la nation. Mais on se repentit bientôt du choix qu’on avait fait, la négligence de ce prince dans le gouvernement de l’État, son indifférence, ou plutôt son insensibilité pour les peuples, ses excès de débauches, où il employait les jours et les nuits, le mépris qu’il fit des conseils salutaires qu’on lui donnait, tout cela obligea les Grands et les ministres de le faire descendre du trône où ils l’avaient placé.

Ils allèrent au palais, et s’étant saisis des sceaux et des autres marques de la dignité impériale, ils le déclarèrent déchu de toute autorité, et le firent conduire dans le petit État, dont auparavant il était souverain, sans qu’aucun de ses sujets, ni de ses domestiques parût même y trouver à redire, tant il s’était rendu odieux et méprisable. On jeta les yeux sur le prince Suen ti, qui était petit-fils de l’empereur Vou ti.


SUEN TI. Septième empereur.
A régné vingt-cinq ans.


Les disgrâces qu’éprouva ce prince dès sa plus tendre enfance, ne contribuèrent pas peu aux belles qualités, qui le rendirent digne de l’empire : il avait été nourri et élevé dans une prison, où la princesse sa mère fut renfermée par ordre de l’empereur Vou ti, qui la soupçonna, quoique faussement, de sortilèges, et de magie, dont on s’était servi pour faire périr des princes et des princesses du sang impérial. Celui qui gardait la prison, en prit un grand soin, et Suen ti, devenu empereur, le récompensa d’une principauté.

Ce prince était d’un accès facile, d’un naturel doux et compatissant pour les malheureux, et d’une application constante aux affaires de l’État.

Comme il voulut le gouverner seul, il rétablit une ancienne charge, que ses prédécesseurs avaient supprimée, et dont la fonction était d’avertir l’empereur des fautes où il tombait, et de l’exhorter à réformer sa conduite, quand il s’écartait du devoir.

Il se faisait instruire exactement de la manière dont se comportaient les gouverneurs et les magistrats à l’égard du peuple : il donnait souvent audience surtout aux veuves, aux orphelins, et aux pauvres : il permit à tous ses sujets de lui présenter des mémoires instructifs de leurs affaires, parce que ces mémoires donnaient la liberté de mieux s’expliquer, et que d’ailleurs par la lecture qu’il en faisait, il pouvait y apporter plus d’attention que dans des audiences.

Les lois étaient devenues embarrassantes par leur multitude, et donnaient lieu à la chicane, d’embrouiller les affaires les plus claires, et d’éterniser les procès : il réduisit toutes ces lois à un certain nombre d’articles, et annula toutes les autres.

Pendant qu’il était ainsi occupé du gouvernement de son État, il apprit que les royaumes conquis dans les Indes par son aïeul, avaient secoué le joug de leur obéissance, et il se préparait à châtier ces rebelles ; mais il fut détourné de ce dessein par ses ministres, qui lui représentèrent que le sang de ses sujets devait lui être plus précieux que des conquêtes si éloignées, et que des peuples qui résistaient à sa sagesse et à sa vertu, ne méritaient pas de goûter les douceurs de son gouvernement.

L’année quarante-huitième[1] il y eut de si furieux tremblements de terre, que des montagnes se détachèrent, et comblèrent les vallées. Les peuples en furent d’autant plus effrayés, que ces tremblements étaient plus rares, et ils les regardèrent comme un signe du courroux céleste, et comme un présage de quelque grande calamité.

Un roi des Tartares, nommé Tan yu, envoya des ambassadeurs à l’empereur pour lui rendre ses hommages, et se déclarer son tributaire. On penchait d’abord à ne leur pas donner audience, parce qu’on se défiait de la sincérité de leur soumission, et qu’on craignait qu’ils ne voulussent reconnaître les forces de l’empire, et empêcher par cet artifice, qu’on ne leur déclarât la guerre avant qu’ils eussent réparé leurs pertes ; mais on jugea, par les belles fourrures qu’ils apportèrent, que le seul intérêt d’un libre commerce avec les Chinois, les avait engagés à cette démarche ; ainsi ils furent admis à une audience publique, et traités comme les envoyés d’un prince ami.

Suen ti qui était monté sur le trône à l’âge de dix-huit ans, n’en avait que quarante-trois, quand la mort l’enleva la neuvième année de ce cycle, Il laissa sa couronne à son fils nommé Yuen ti.


YUEN TI. Huitième empereur.
A régné seize ans.


Le goût singulier que ce prince eut pour l’étude, et sa passion pour les gens de lettres, qu’il fit venir à sa cour, et avec lesquels il avait de fréquents entretiens, le rendirent très habile, mais non pas dans l’art de régner.

Ce n’est pas qu’il n’eût de belles qualités : on loue surtout sa modération, son penchant à soulager les peuples, et sa frugalité, dont il donna des preuves dès le commencement de son règne. Il avait pour maxime, que quand on savait se contenter de peu, on ne manquait de rien.

Il régla sa maison selon cette maxime. Il diminua le nombre de ses officiers, et retrancha tout ce qu’il y avait de superflu dans sa table, dans ses meubles, dans son écurie, et dans ses équipages, se réduisant pour toutes ces choses au pur nécessaire.

Mais ces qualités, et beaucoup d’autres, furent tout à fait obscurcies par son peu de discernement dans le choix qu’il fit de ses ministres. Il n’avait égard, ni à leur capacité, ni à leur expérience. C’était, selon sa manière de juger, avoir un mérite accompli, et être propre aux plus grandes charges, que de savoir s’exprimer poliment, et faire un discours éloquent. C’était tout le talent de ceux sur qui il se reposait des plus grandes affaires de l’État.

D’ailleurs ces ministres, qui n’avaient en vue que leur propre élévation, remplirent la cour de factions et de cabales, pour se détruire les uns les autres dans l’esprit du prince, qui par sa crédulité, donnait dans tous les pièges qu’on lui tendait : chacun cherchait à se rendre maître d’un esprit si faible et si peu éclairé, et à élever les parents et les amis, tandis qu’on écartait de tout emploi ceux qui avaient le plus d’expérience et de mérite.

Nonobstant la paix qui avait été conclue avec les Tartares, les troupes qui étaient le long de la grande Muraille, prirent deux de leurs princes, qui sur la foi des traités, chassaient tranquillement dans les montagnes, et leur firent trancher la tête.

L’empereur, loin de punir cette perfidie, récompensa les chefs de ces troupes ; il n’ouvrit les yeux, que lorsqu’il apprit que le successeur d’un de ces princes armait de toutes parts, pour tirer une vengeance éclatante d’une pareille infraction de la paix. Pour prévenir cette guerre, apaiser le courroux de ce prince, il n’eut pas d’autre moyen que de lui donner en mariage une princesse de son sang, avec une dot considérable.

Les guerres intestines que se faisaient les ministres à la cour, étaient sur le point d’éclater dans l’empire, par le grand nombre de partisans que chacun avait eu soin de se faire, lorsque l’empereur mourut la vingt-sixième année du cycle à l’âge de quarante-trois ans. Il eut pour successeur son fils nommé Tching ti.


TCHING TI. Neuvième empereur.
A régné vingt-six ans.


La passion qu’eut ce prince pour le vin et pour les femmes, l’engagea dans toutes sortes de crimes : livré aux plus infâmes plaisirs, il en fit sa seule occupation, et confia les charges les plus importantes de l’État aux parents de l’impératrice sa mère, qui était de la famille Leang, et pour laquelle il avait la plus aveugle déférence, sans prévoir les malheurs qu’il attirait par-là sur sa personne, et sur sa propre famille.

Celui des Grands, qui avait le plus de part au gouvernement sous le précédent règne, ne croyant pas pouvoir demeurer à la cour avec honneur, demanda la permission de se retirer, et il l’obtint. Mais comme il était en chemin pour se rendre à une de ses maisons, il fut assassiné, et l’on ne douta point que ce ne fût par ordre de l’empereur.

Après avoir ouï chanter une comédienne, il s’entêta de sa beauté avec tant de fureur, qu’il chassa du palais sa femme légitime, pour mettre à sa place l’infâme objet de ses nouvelles amours : il la fit déclarer impératrice, et pour ôter de devant ses yeux la bassesse de son extraction, il éleva son père à une principauté. Ses ministres ayant eu le courage de lui présenter plusieurs placets, où ils lui reprochaient la honte d’une alliance si monstrueuse, il les fit tous égorger.

Ce n’est là qu’une partie des crimes que commit Tching ti, que les plus affreuses débauches avaient entièrement abruti. Une mort subite délivra tout à coup l’empire d’un si mauvais prince. Il mourut la cinquante-unième année du cycle, sans laisser de postérité. Ce fut son neveu, nommé Hiao ngai ti qui lui succéda.


HIAO NGAI TI. Dixième empereur.
A régné six ans.


Quoique ce prince n’eût que dix-huit ans lorsqu’il monta sur le trône, on conçut de grandes espérances de la douceur et de la modération de son caractère, et des projets qu’il forma d’abord pour le rétablissement de l’ordre dans l’empire, et pour le soulagement des peuples.

Il commença par destituer plusieurs gouverneurs, qui étaient indignes de ces grandes places : il déposséda le premier ministre, dont la famille était devenue extrêmement puissante, et si fort accréditée, qu’elle balançait le pouvoir du souverain. Enfin il fit d’autres règlements très utiles, et qui promettaient un règne des plus heureux, s’il eût vécut plus longtemps.

La cinquième année de son règne Tan yu, roi des Tartares, demanda la permission de venir rendre ses hommages au nouvel empereur : elle lui fut accordée. On lui fit une réception magnifique, et la paix fut affermie entre les deux nations. Un an après la visite du roi tartare, l’empereur mourut à l’âge de vingt-cinq ans. C’est en cette même année qu’arriva la naissance de Jésus-Christ, sauveur et rédempteur des hommes. On mit sur le trône un prince qui descendait de Yuen ti huitième empereur de cette dynastie, et qui n’avait que neuf ans.


HIAO PING TI. Onzième empereur.
A régné cinq ans.


L’impératrice, grand-mère du jeune empereur, agit très imprudemment, lorsque pendant la minorité de son fils, elle confia le gouvernement de l’État à un nommé Vang mang, qu’elle établit colao, ou premier ministre : c’était un homme double et artificieux, d’une ambition démesurée, et qui se faisait un jeu des actions les plus cruelles, pour satisfaire par des voies secrètes l’envie qu’il avait d’usurper l’autorité souveraine.

On lui avait associé un homme de mérite, pour partager avec lui les fonctions du ministère : son ambition ne put souffrir de rival, il trouva le moyen de s’en défaire, et de s’en rendre seul le maître absolu.

Alors suivant son projet il ne pensa plus qu’à augmenter le nombre de ses créatures : il érigea plusieurs terres en principautés, dont il gratifia ceux qui étaient le plus dévoués à ses intérêts : il osa même offrir un sacrifice solennel au seigneur du Ciel, et quoiqu’il le fît au nom de l’empereur, il cherchait à accoutumer insensiblement les peuples, à le voir exercer des fonctions attachées à la seule autorité impériale : enfin il feignit divers prodiges qui se répandirent bientôt dans le public, et les créatures eurent grand soin de les faire passer dans l’esprit des peuples pour des signes certains, par lesquels, le Ciel déclarait qu’il avait envoyé Vang mang au secours de l’empire.


Cycle XL. Année de J. C. 4.

L’année deuxième de ce cycle, le perfide Vang mang fit couler du poison dans les mets de l’empereur, qui le réduisirent en peu de jours à l’extrémité. Ce traître feignit aussitôt de ressentir la plus vive douleur du danger où était la vie du jeune prince : il fit retentir le palais de ses cris, il poussait continuellement des vœux vers le Ciel, il alla même jusqu’à offrir sa vie, et se dévouer comme une victime pour la conservation d’une santé si chère ; et par ces artifices, il éloigna les soupçons qui pouvaient naître de son crime.

Il ne crut pas néanmoins que le temps fût favorable au dessein qu’il avait formé d’envahir l’empire ; mais il ne différa l’exécution de son projet, que pour en mieux assurer le succès : il fit mettre la couronne sur la tête d’un jeune enfant de deux ans nommé Iu tse yng, qui descendait de Suen ti, septième empereur de la dynastie régnante.


IU TSE YNG. Douzième empereur.
A régné trois ans.


L’enfance de ce prince maintint Vang mang dans toute l’autorité qu’il s’était donnée ; il en profita pour augmenter par ses bienfaits le nombre de ses partisans ; à peine trois ans furent écoulés, qu’il leva le masque : il fit descendre du trône le jeune prince qu’il y avait placé, et se fit proclamer empereur.


VANG MANG. Usurpateur.
A régné quatorze ans.


Aussitôt que l’usurpateur fut sur le trône, dont il s’était emparé par les crimes les plus noirs, il donna à sa famille le nom de Tsin, qui veut dire, nouveau : il renouvela en effet la face de l’empire par divers règlements qu’il fit. Il le partagea en neuf provinces, et chaque province en diverses contrées, où il établit des gouverneurs, sur la fidélité desquels il pouvait compter ; il érigea encore plusieurs terres en principautés, pour multiplier le nombre des créatures, dont la fortune serait attachée à son élévation.

Après toutes ces précautions, et les autres mesures qu’il avait prises de longue main, il crut son autorité tellement affermie, que rien ne serait capable de l’ébranler.

Le tyran se trompa dans ses vues, et l’empire fut bientôt tout en feu. On vit paraître en peu de temps des armées nombreuses : les unes commandées par des seigneurs qui s’étaient ligués ensemble, et qu’on appelait Tche mou y, parce que les soldats, pour se reconnaître et pour se distinguer des ennemis, avaient peint leurs sourcils en couleur rouge ; les autres qui avaient pour chefs deux frères de la famille des Han qui se nommaient Lieou Sieou et Lieou Yng. Ces guerres durèrent longtemps, et furent cruelles. L’année dix-neuvième du cycle les campagnes furent couvertes d’une si grande multitude de sauterelles, qu’elles obscurcissaient le soleil ; elles ravagèrent les moissons, et causèrent une famine presque générale, ce qui donna lieu à quantité de révoltes et de brigandages.

L’année vingtième l’armée de l’usurpateur fut entièrement défaite, son palais abandonné au pillage et réduit en cendres, lui-même fut égorgé ; l’on coupa son corps en plusieurs morceaux, et on exposa sa tête au haut d’une fourche dans la place publique, pour servir de jouet à la populace.

L’armée victorieuse choisit pour empereur Hoai yang vang qui descendait de King ti quatrième empereur de la présente dynastie.


HOAI YANG VANG. Treizième empereur.
A régné deux ans.


La vie molle et sensuelle de ce nouvel empereur, donna bientôt lieu à l’armée de lui ôter la couronne qu’elle lui avait mis sur la tête, et qu’il était indigne de porter. Elle mit d’abord à sa place un nommé Vang lang : c’était un imposteur qui se faisait passer pour le fils de Tching ti neuvième empereur. Mais on ne fut pas longtemps sans découvrir sa fourberie, et on lui trancha la tête.

Lieou sieou fut choisi pour lui succéder : il prit le nom de Quang vou ti : il descendait du dixième fils de King ti, quatrième empereur de la dynastie régnante.


QUANG VOU TI. Quatorzième empereur.
A régné trente-trois ans.


Ce prince transporta sa cour de la province de Chen si dans la province de Ho nan ; il se rendit célèbre par ses vertus guerrières et politiques. Il eut d’abord une éducation grossière parmi les gens de la campagne, avec lesquels il partageait leurs travaux et leurs besoins : c’est ce qui le rendit très sensible aux misères du peuple.

Du reste il était doux, affable dans ses manières, libéral, et très affectionné aux gens de lettres ; il les fit chercher de tous côtés, et les ayant attirés à sa cour, il les chargea de fonctions honorables. Il affecta toujours une grande modestie dans ses habits, dans sa table, et dans son palais ; il joignit à cela un air de popularité, qui lui gagnait tous les cœurs.

Lorsqu’il fit la visite de l’empire et qu’il se trouva dans sa terre natale, il fit venir plusieurs laboureurs ses compatriotes, et les admit à sa table. S’étant informé si un de ses anciens amis, nommé Nien quang qui gagnait sa vie à pêcher, vivait encore, il l’envoya chercher, le reçut avec honneur, et passa toute la nuit à s’entretenir avec lui, et à rappeler le souvenir de leurs aventures passées.

Il employa douze années à dompter les rebelles, et à pacifier l’empire : cependant l’armée, dont les soldats s’étaient peint les sourcils de couleur rouge, avait fait choix d’un empereur de la famille des Han, nommé Pouan tse. Celui-ci voyant ses troupes défaites, alla se jeter aux pieds du vainqueur, s’abandonna à sa clémence. L’empereur usa de la victoire avec modération, non seulement il accorda la vie au vaincu, mais il l’honora encore d’une principauté.

Les annales chinoises rapportent que l’année vingt-huitième du cycle, le dernier jour de la septième lune, il y eut une éclipse totale du soleil, et qu’elle parut avant le temps qu’elle avait été prédite. C’est aux astronomes à examiner si cette éclipse est la même, que celle qui arriva à la mort de Jésus-Christ.

Quang vou ti mourut âgé de soixante-un ans, la cinquante-quatrième année du cycle. Il laissa dix enfants ; l’un d’eux nommé Ming ti fut son successeur.


MING TI. Quinzième empereur.
A régné dix-huit ans.


Les historiens louent la sagesse, la clémence, et le discernement de ce prince. Il établit dans son palais une académie des sciences, pour y former les enfants des seigneurs de son empire ; les étrangers y étaient aussi admis, et souvent il assistait lui-même à leurs exercices. Il fit peindre les grands hommes qui s’étaient le plus distingués, soit pendant la paix, soit durant la guerre, et il en fit orner une de ces salles.

Le choix qu’il fit de la fille d’un de ses plus grands généraux d’armée, pour la déclarer impératrice, fut extrêmement applaudi : cette princesse fut en effet pour toutes les personnes de son sexe un modèle de retenue et de modestie : elle ne voulut jamais porter de vêtements qui fussent travaillés en broderie.

Le Hoang ho ou Fleuve Jaune sortait fréquemment de son lit, et par le débordement de ses eaux, portait le ravage et la désolation dans les villes et les campagnes voisines, qui se trouvaient subitement inondées. Ming ti arrêta ces fréquentes inondations par une digue longue de dix lieues qu’il fit construire. Cent mille hommes furent employés à cet ouvrage.


Cycle XLI.Année de J. C. 64.

A l’occasion d’un songe qu’il eut l’année deuxième du cycle, où il crut voir un homme d’une figure gigantesque, il se rappela le souvenir d’une parole qu’on avait entendu dire assez souvent à Confucius, savoir que le Saint était en occident ; et il en fut si frappé, qu’il envoya des ambassadeurs aux Indes, pour y chercher la véritable doctrine qui y était enseignée.

Ces ambassadeurs s’arrêtèrent dans un lieu où l’idole Fo était en grande vénération, et menant avec eux des bonzes à la Chine, ils y introduisirent cette secte impie, et la ridicule opinion de la métempsycose. Tous les écrivains chinois blâment fort cet empereur, d’avoir infecté l’empire d’une si détestable doctrine. Il mourut la douzième année du cycle, et laissa la couronne à son fils nommé Tchang ti.


TCHANG TI. Seizième empereur.
A régné treize ans.


Le règne de ce prince fut pacifique, n’ayant été troublé, ni par les guerres ni par aucune révolte. On attribue cette tranquillité à la réputation de sagesse et de probité qu’il s’était faite, à la bonté pour ses peuples, qui le porta à diminuer les impôts, à la protection qu’il accorda aux gens de lettres, et à l’aversion qu’il parut avoir pour le luxe et les dépenses inutiles.

Il remettait souvent devant les yeux de ses sujets la sage économie des anciens, et la proposant pour modèle aux Grands et aux magistrats, il leur défendit toute somptuosité dans leurs tables, dans leurs habits, et dans leurs meubles. Il mourut la vingt-cinquième année du cycle à l’âge de trente-un ans, et son fils Ho ti, qui n’avait que dix ans, lui succéda.


HO TI. Dix-septième empereur.
A régné dix-sept ans.


La jeunesse de cet empereur, qui n’avait que dix ans, le mit sous la tutelle de l’impératrice mère. Sa puissance s’étendit jusque dans les pays les plus éloignés, par la conduite et par la bravoure d’un de ses généraux nommé Pan tchao, qui porta fort loin ses armes victorieuses, qui força un grand nombre de souverains de rendre hommage à l’empereur son maître, et de se mettre sous sa protection. On prétend même qu’il avança jusqu’en Judée que les Chinois appellent Ta tsin. Il employa plusieurs années à ces expéditions.

La femme de l’empereur ayant donné lieu à certains soupçons, fut répudiée, et cette princesse en mourut de chagrin. L’empereur fit choix à sa place de la petite-fille d’un de ses généraux qu’il créa impératrice. Elle avait un mérite extraordinaire, et ce qui est rare dans des personnes du sexe, elle s’était rendue très habile dans les sciences chinoises : mais ses talents recevaient encore plus de lustre de sa grande modestie.

Lorsque selon la coutume on vint la féliciter de son élévation, de tous les présents qu’on lui offrit, elle ne voulut accepter que des pinceaux, et une nouvelle sorte de papier, qui avait été inventé tout récemment.

Ho ti fut le premier qui accrédita extrêmement les eunuques du palais, en les élevant aux plus grandes charges de l’État. Cette autorité, qui leur fut donnée, devint dans la suite la source d’une infinité de troubles et de désordres.

Ce prince mourut à l’âge de vingt-sept ans, la quarante deuxième année du cycle. Son second fils nommé Chang ti lui succéda.


CHANG TI. Dix-huitième empereur.
A régné un an.


On ne devrait pas compter ce prince au nombre des empereurs. C’était un enfant au berceau, quand on lui mit la couronne sur la tête, et à peine vécut-il un an. Ngan ti petit-fils de Tchang ti lui succéda au trône.


NGAN TI. Dix-neuvième empereur.
A régné dix-neuf ans.


Comme ce prince n’avait que treize ans, l’impératrice fut chargée de l’administration de l’État : elle prit tant goût à l’autorité souveraine, qu’elle ne s’en dessaisit que le plus tard qu’elle put et elle trouva le moyen à prolonger sa régence bien au-delà des bornes prescrites par les lois.

Dans un temps de stérilité, dont l’empire fut affligé, elle visita en personne les prisons, et s’efforça de procurer aux peuples les soulagements dont elle fut capable.

Elle trouva que l’empire avait une étendue trop vaste, et qu’il y avait à craindre qu’une domination, dont les limites étaient si fort éloignées, ne fût pas durable. C’est pourquoi elle prit le parti de renoncer aux hommages des nations étrangères, et des souverains qui s’étaient soumis en grand nombre à l’empereur, et elle resserra l’empire dans des bornes plus étroites.

Ce fut vers ce temps-là qu’un fameux corsaire nommé Tchang pe lou désola les mers de la Chine par ses pirateries ; mais il ne jouit que cinq ans du fruit de ses brigandages, et il eut la tête tranchée.

Il y eut pendant ce règne plusieurs tremblements de terre : mais celui qui arriva la huitième année, fut des plus considérables, il s’étendit fort au loin, et la terre s’entr’ouvrit en plusieurs endroits, et causa de grands ravages.

Ngan ti avait créé impératrice une de ses femmes. Mais cette princesse, au désespoir de se voir stérile, s’avisa de s’attribuer le fils d’une autre femme, et fît mourir secrètement la vraie mère par le poison.


Cycle XLII. Année de J. C. 124.

L’année deuxième du cycle l’empereur visitant les provinces de son empire, mourut à l’âge de trente-deux ans. Il eut pour successeur son fils nommé Chun ti.


CHUN TI. Vingtième empereur.
A régné dix-neuf ans.


Ce prince signala les commencements de son règne par différentes victoires qu’il remporta sur les barbares. L’impératrice, qui avait empoisonné la concubine, mère de Chun ti, ne vécut pas longtemps après ce crime. L’empereur, qui en fut informé, vengea la mort de sa mère, en défendant qu’on rendît à l’impératrice défunte, les honneurs funèbres qui étaient dus à sa dignité.

Dès la quatrième année de son règne, il porta une loi, par laquelle personne ne pourrait être élevé à la magistrature, qu’il n’eût atteint l’âge de quarante ans. Il n’y avait qu’un mérite des plus reconnus et des plus distingués, qui pût suppléer le défaut de l’âge. L’année neuvième du cycle, plusieurs brigands s’attroupèrent, et formèrent une armée considérable, qui avait pour chef un nommé Ma mien : ils ravagèrent plusieurs villes des provinces méridionales ; ce chef de rebelles enflé de ses succès, songeait même à envahir l’empire : mais il fut tué dans le temps qu’il formait ce grand projet.

L’année vingt-unième du cycle l’empereur mourut à l’âge de trente-deux ans. Tchung ti son fils fut son successeur.


TCHUNG TI. Vingt-unième empereur.
A régné un an.


Il monta à deux ans sur le trône, et la même année il mourut. Le règne de son successeur ne fut pas de plus longue durée.


TCHE TI. Vingt-deuxième empereur.
A régné un an.


Il n’avait que huit ans lorsqu’il prit possession de l’empire : mais on remarquait en lui une maturité d’esprit, qui était fort au-dessus de son âge, et qui donnait de grandes espérances.

La jeunesse de ce prince n’imposait pas assez de respect au frère de l’impératrice nommé Leang ki, qui, abusant de l’autorité de sa sœur, parlait et agissait en maître. Sa fierté et ses hauteurs éclatèrent plus que jamais dans une assemblée publique, où se trouva l’empereur.

Ce prince, qui tout jeune qu’il était, sentait ce qui lui était dû, jeta un regard menaçant sur Leang ki et dit, quoique d’une voix un peu basse, mais cependant assez haute pour être entendue : Voilà un arrogant personnage.

Cette parole coûta cher à ce prince. Leang ki voyant ce qu’il avait à craindre un jour des mauvaises impressions que l’empereur prenait de sa conduite, résolut de s’en défaire, et le fit mourir par le poison. Ainsi ce prince ne fut qu’un an sur le trône. Son frère aîné nommé Houan ti lui succéda.


HOUAN TI. Vingt-troisième empereur.
A régné vingt-un ans.


Les magistratures devinrent vénales sous cet empereur : il fut grand partisan de la secte de Leao kiun et les eunuques eurent le plus de part à sa faveur : c’est ce qui écarta de son palais tous les gens de lettres. Ce prince tâcha néanmoins de les attirer à sa cour, et par de fréquentes invitations qu’il leur fit faire, et même par les riches présents qu’il leur envoya : ce fut inutilement. Ces sages préférèrent la tranquillité de leur solitude aux agitations d’une cour, où toute l’autorité était entre les mains des eunuques.

Cependant Leang ki, qui avait été le meurtrier du précédent empereur, fut élevé aux premières charges de l’État, et sa femme fut honorée du titre d’héroïne, avec un revenu de cinq cent mille taëls qu’on lui assigna. Cette haute fortune augmenta son humeur impérieuse, et il se crut en droit de tout oser.

Au commencement de l’année chinoise, que tous les Grands viennent rendre leurs respects à l’empereur, il eut la hardiesse, contre toutes les lois, d’entrer dans le palais le sabre au côté. On lui fit l’affront de le désarmer, et reconnaissant aussitôt son crime, il en demanda pardon, et l’empereur lui accorda la grâce. Mais peu de temps après s’étant rendu odieux à tout le monde par son insolence et par sa fierté, il se vit comme assiégé d’une troupe d’eunuques, et désespérant d’échapper à leur vengeance, il se donna la mort et à sa femme. Ses parents et ses amis, qu’il avait placés dans les plus importants emplois, en furent aussitôt dépouillés, et ses richesses, qui étaient immenses, furent confisquées.

Dans une amnistie générale que l’empereur accorda, on ouvrit toutes les prisons, et on rendit la liberté aux criminels. Un mandarin nommé Pouan qui n’était coupable d’aucun crime, refusa de sortir et la raison qu’il apporta, c’est que si on ne le lavait pas du crime qui lui était calomnieusement imputé, il serait confondu avec tant de scélérats, et qu’il serait couvert le reste de ses jours de l'infamie d’une action criminelle dont il était innocent. L’année vingt-huitième du cycle, il y eut en divers endroits de l’empire une disette si affreuse, que la famine contraignit plusieurs Chinois à se nourrir de chair humaine.

L’empereur n’avait que trente-six ans lorsqu’il mourut la quarante-quatrième année du cycle ; quoiqu’il eût un très grand nombre de concubines, il ne laissa point après lui de postérité : Ling ti de la famille de Tching ti fut son successeur.


LING TI. Vingt-quatrième empereur.
A régné vingt-deux ans.


Entre les mauvaises qualités de ce prince, on blâme principalement son extrême affection pour les eunuques, auxquels il donna encore plus de pouvoir que ses prédécesseurs, son aversion de ceux qui pouvaient lui donner de sages conseils, son insatiable avarice, et son esprit mordant et satirique. La fantaisie lui prit d’établir une foire dans son palais, où l’on vendait toutes sortes de curiosités, son plaisir était de voir ses concubines y mettre l’enchère, et en venir souvent aux querelles et aux injures.

Par une autre bizarrerie d’esprit, il se faisait un divertissement ordinaire de se promener dans ses jardins porté sur un char traîné par des ânes ; et comme les usages de la cour ont coutume de passer aussitôt dans les provinces, il arriva que dans tout l’empire, on ne fit presque plus d’état des chevaux, et qu’on leur préféra les ânes.

La seule action de cet empereur, qui lui attira des éloges, fut le soin qu’il prit de faire graver sur des tables de marbre, les sages instructions des anciens empereurs renfermées dans les cinq livres classiques, et de les faire exposer à l’entrée de l’académie.

La puissance des eunuques était devenue si grande, qu’ayant découvert que plusieurs Grands de l’empire avaient conspiré leur perte, ils s’en vengèrent en les faisant tous mourir.

L’autorité impériale, ainsi négligée ou dégradée, ne pouvait manquer de donner lieu à bien des révoltes. Aussi vit-on bientôt paraître de nombreuses troupes de brigands, qui se faisaient appeler les bonnets jaunes et qui formèrent de grosses armées. Elles avaient à leur tête trois frères, nommés Tchang, fort attachés à la secte de Leao kiun, qui se répandirent dans plusieurs provinces, et y firent de grands ravages ; mais enfin les différents corps d’armées qu’ils commandaient, furent défaits les uns après les autres, et les trois chefs y périrent.


Cycle XLIII. Année de J. C. 184.

Les Barbares (car c’est ainsi que les Chinois appellent les étrangers) essayèrent à plusieurs reprises de faire des conquêtes dans l’empire : mais ils furent toujours vaincus par un habile général chinois, nommé Touan kiong.

On rapporte de ce général, que pendant dix ans que dura la guerre, il ne se mit jamais au lit pour prendre son repos. 

L’année cinquième du cycle, on vit reparaître quelque reste des rebelles nommés Bonnets jaunes, qui cherchaient à remuer et à exciter de nouveaux troubles.

L’empereur mourut l’année suivante à l’âge de trente-quatre ans, sans avoir nommé d’héritier. Ce fut son second fils nommé Hien ti qui lui succéda.


HIEN TI. Vingt-cinquième empereur.
A régné trente-un ans.


On ne compte point au nombre des empereurs le frère aîné de ce prince nommé Pien ti, qui, au bout de quelques mois, abdiqua la couronne, et la laissa à son frère cadet qui n’avait encore que neuf ans. La faiblesse de ce jeune prince, sa nonchalance, ou plutôt sa stupidité donnèrent lieu à une infinité de guerres étrangères et intestines.

La Chine fut partagée d’abord en trois, et ensuite en quatre parties différentes, qui avaient autant de souverains. La partie orientale conspira contre Tong tcho, général des troupes impériales. Celui-ci tua l’empereur, et son frère aîné brûla le palais ; et ayant ouvert les sépulcres des empereurs, il en tira des richesses immenses, et transporta la cour dans la province de Chen si.

Tant de crimes ne furent pas longtemps impunis ; il fut massacré l’année suivante. Son cadavre suspendu au haut d’une fourche dans la place publique, devint le jouet de la populace en fureur, et tous les trésors furent confisqués.

Les Bonnets jaunes profitèrent admirablement de ces troubles pour grossir le nombre des rebelles. Ils furent exterminés peu à peu par Tsao sao qui s’empara de l’autorité souveraine : mais l’année trente-septième du cycle, il en fut dépouillé par son propre fils nommé Tsao poi, et relégué dans une principauté qu’on lui donna, et où il mourut quatorze ans après dans un mépris général.


  1. du cycle XXXIX. Année avant J. C. 57.