Description de la Chine (La Haye)/Exemples par rapport à ces maximes, tirés de l’antiquité

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Scheuerleer (2p. 446-448).


CHAPITRE QUATRIÈME.


Exemples par rapport à ces maximes, tirés de l’antiquité.


PARAGRAPHE I.
Exemples des anciens sur la bonne éducation.


La mère de Mencius avait la maison proche d’un lieu où étaient grand nombre de sépulcres. Le jeune Mencius se plaisait à considérer toutes les cérémonies qui se pratiquaient, et dans ses jeux enfantins, il se plaisait à les imiter. Sa mère qui s’en aperçut, jugea que cet endroit n’était pas propre à l’éducation de son fils : elle changea aussitôt de demeure, et alla loger proche d’un marché public. Le jeune Mencius à la vue des marchands, des boutiques, et des mouvements que se donnait un grand peuple qui s’y assemblait, se faisait un jeu ordinaire de représenter les mêmes mouvements, et les différentes postures qu’il avait remarquées. Ce n’est pas encore ici, dit sa mère, un endroit propre à donner à mon fils l’éducation qui lui convient. Elle quitta ce logement, et choisit une maison auprès d’une école publique. Le petit Mencius examinant ce qui s’y passait, vit un grand nombre de jeunes gens qui s’exerçaient à l’honnêteté et à la politesse, qui se faisaient des présents les uns aux autres, qui se traitaient avec honneur, qui se cédaient le pas, qui faisaient les cérémonies ordonnées lorsqu’on reçoit une visite, et son plus grand divertissement fut de les imiter. C’est maintenant, dit sa mère, que je suis à portée de bien élever mon fils.

Le jeune Mencius voyant un de ses voisins qui tuait un cochon, demanda à sa mère pour quelle raison il tuait cet animal. C’est pour vous, lui répondit-elle en riant : il veut vous en régaler ; mais faisant ensuite réflexion que son fils commençait à avoir l’usage de la raison, et craignant que s’il s’apercevait qu’on eût voulu le tromper, il ne s’accoutumât à mentir et à tromper les autres, elle acheta quelques livres de ce cochon et lui en fit servir à son dîner.


PARAGRAPHE II.
Exemples des anciens sur les cinq devoirs.


Le prince de Ki, qui avait le titre de tsu, c’est-à-dire, de marquis ou de baron, voyant que l’empereur Tcheou son neveu, se livrait tout entier au luxe, à la mollesse, et aux plus sales débauches, lui donna des avis sérieux sur sa conduite ; mais l’empereur, loin de déférer à ses conseils, le fit mettre en prison. On conseillait à ce prince de s’évader, et on lui en fournissait les moyens : Je n’ai garde, répondit-il, partout où j’irais, ma présence instruirait les peuples des vices et de la cruauté de mon neveu. Le parti qu’il prit, fut de contrefaire l’imbécile, et de faire des actions de démence : on ne le traita plus que comme un vil esclave, et on lui laissa la liberté de se dérober aux yeux du public.

Le prince Pi kan, qui était pareillement oncle de l’empereur, voyant que les sages conseils du prince Ki avaient été inutiles : Que deviendra le peuple, dit-il, si on laisse croupir l’empereur dans ses désordres ? Je ne puis pas me taire, et fallut-il perdre la vie, je lui représenterai le tort qu’il fait à sa réputation, et le danger où il met l’empire. Il alla aussitôt le trouver, et lui reprocha le dérèglement de sa vie. L’empereur l’écouta d’un air d’indignation mêlé de fureur. On prétend, dit-il, que le cœur des sages est différent de celui des autres hommes : je veux m’en instruire. et à l’instant il fit couper son oncle par le milieu du corps, avec ordre de bien examiner quelle était la forme de son cœur.

Cette cruelle exécution étant venue aux oreilles du prince de Ouei frère de l’empereur : Lorsqu’un fils, dit-il, a averti son père, jusqu’à trois fois, sans aucun succès, il n’en demeure pas là : mais il tâche d’attendrir son cœur par ses cris, ses larmes, et ses gémissements. Quand un ministre a donné jusqu’à trois fois des conseils salutaires à son prince, et qu’ils n’ont eu nul effet, il est censé avoir rempli tous ses devoirs, et il lui est permis de se retirer. C’est ce que je vais faire. Et en effet il s’exila lui-même de sa patrie, emportant avec lui les vases qui servent aux devoirs funèbres, afin que du moins il restât quelqu’un de la famille impériale, qui pût rendre deux fois l’année les honneurs accoutumés aux ancêtres défunts. Confucius vante fort ces trois princes, et il en parle comme de vrais héros qui ont signalé leur zèle pour la patrie.

La jeune princesse Kung kiang avait été promise en mariage au prince Kung pé ; celui-ci mourut avant que de l’avoir épousée. La princesse résolut de lui garder la fidélité promise, et de ne jamais prendre d’autre mari. Ses parents eurent beau la presser de passer à de nouvelles noces, elle ne voulut jamais y consentir ; elle composa une ode, où elle faisait serment de mourir, plutôt que de se marier.

Deux princes de deux royaumes voisins avaient quelques contestations sur une terre, dont chacun d’eux prétendait être le seigneur : ils convinrent l’un et l’autre de prendre le prince Ven vang pour arbitre : C’est un prince vertueux et équitable, dirent-ils : il aura bientôt terminé ce différend. Ils partent ensemble, et à peine furent-ils entrés dans son royaume, qu’ils virent des laboureurs, qui se cédaient les uns aux autres certaine portion de terre, qui pouvait être litigieuse ; des voyageurs, qui se cédaient par honneur le milieu du chemin. Quand ils entrèrent dans les villes, ils aperçurent que les jeunes gens déchargeaient les vieillards de leurs fardeaux, pour s’en charger eux-mêmes, et les soulager. Mais lorsqu’ils furent arrivés dans la ville royale, et qu’ils virent les manières civiles et respectueuses de ces peuples, les témoignages d’honneur et de déférence qu’ils se donnaient les uns aux autres : Que nous sommes peu sensés ! dirent-ils. Nous ne méritons point de marcher sur les terres d’un si sage prince ; et aussitôt ils se cédèrent l’un à l’autre la terre qui servait de matière à leur contestation ; et comme chacun d’eux refusa toujours de l’accepter, cette terre est demeurée indépendante, et exempte de tout droit seigneurial.

Je ne dirai rien du paragraphe troisième qui est sur le règlement des mœurs ni du paragraphe quatrième qui est sur l’honnêteté et la modestie ; parce que les exemples qu’ils contiennent, sont tirés des livres précédents, et que je les ai déjà rapportés.