Description du royaume Thai ou Siam/Tome 1/Chapitre 1

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La mission de Siam (1p. 5-20).


DESCRIPTION
DU
ROYAUME DE SIAM





CHAPITRE PREMIER.

DIVISION GÉOGRAPHIQUE ET POLITIQUE DU ROYAUME DE SIAM.



ÉTENDUE, POSITION ET LIMITES DU ROYAUME.

Le pays que les Européens nomment Siam, s’appelle Muang-Thai (le royaume des libres) ; son ancien nom était Sajám (race brune), d’où vient le nom de Siam.

Avant que les Portugais se fussent emparés de Malacca, la domination de Siam s’étendait sur toute la presqu’île malaise jusqu’à Syngapore ; plus tard, à l’instigation et par l’appui des Anglais, les États de Djohore, Rumbo, Salangore, Pahang et Perah se sont soustraits à l’empire de leur suzerain, de sorte qu’aujourd’hui le royaume de Siam ne commence qu’à Tringanu, et s’étend depuis le 4e degré de latitude nord jusqu’au 22e degré, ce qui fait une longueur d’environ quatre cent cinquante lieues. Sa plus grande largeur de l’est à l’ouest est d’environ cent cinquante lieues depuis le 96e jusqu’au 102e degré de longitude.

Il est borné au nord par plusieurs principautés Lao, tributaires d’Ava ou de la Chine à l’est par l’empire d’Anam ; à l’ouest par la mer et par les possessions anglaises de la presqu’île, et au sud par les petits royaumes de Pahang et Perah.

SUPERFICIE.

On évalue la superficie territoriale du royaume de Siam à environ 12,330 milles géographiques carrés.

DIVISION POLITIQUE.

Outre le royaume de Siam proprement dit, qui est au centre, ce pays comprend encore au midi le royaume de Ligor et quatre petits États malais, à savoir : Quédah, Patani, Calantan, Tringanu, a l’est, une partie du royaume du Cambodge, Muang Korât et plusieurs principautés Lao ; au nord, les royaumes Lao de Xiang-Mai, de Laphun, de Nakhon, Muang-Phrë, Muang-Nan, Muang-Lom et Luáng-Phrabang.

Tous ces petits États, tributaires de Siam, sont tenus d’offrir tous les trois ans des arbres d’or et d’argent, et de fournir leur contingent de troupes quand ils en sont requis. De plus, chacun de ces États paie à son suzerain un tribut d’étain, d’ivoire, de benjoin, cire, cardamome, laque, bois de teck ou autres productions qui varient selon le pays.

POPULATION DU ROYAUME RÉPARTIE ENTRE LES DIVERSES NATIONS.

La population de ce vaste pays n’est pas en rapport avec son étendue ; elle ne s’élève guère qu’à six millions d’âmes. On peut les répartir entre les différentes nations à peu près comme il suit

Siamois ou Thai 
 1,900,000
Chinois 
 1,500,000
Malais 
 1,000,000
Lao 
 1,000,000
Cambogiens 
 500,000
Pégouans 
 50,000
Karieng, Xong, Lava 
 50,000
 
________
                                   Total 
 6,000,000

ASPECT DU PAYS

La grande plaine de Siam est bordée à l’est et à l’ouest par deux chaînes de montagnes qui viennent de la Chine et sont des ramifications de l’Hymalaya. La chaîne qui est à l’est se termine au Camboge, et celle de l’ouest s’étend jusqu’à l’extrémité de la presqu’île malaise. Au nord, ces deux chaînes se rapprochent et forment une multitude de petites branches qui font du Lao un pays presque tout montagneux. La grande plaine, qui a cent cinquante lieues de long sur cinquante de large, est sillonnée et arrosée par le grand fleuve Më-nam (qui prend sa source en Chine), par plusieurs rivières et des canaux innombrables bordés de bambous, de tamarins et autres arbres fruitiers. Elle est aussi parsemée çà et là de groupes d’antiques palmiers, asile d’une multitude d’oiseaux aquatiques. Les montagnes, qui s’élèvent en amphithéâtre, sont toutes bien boisées, et la plupart sont couvertes de forêts presque impénétrables. Les bords de la mer présentent des sites très-pittoresques et très-variés le long de la côte, de distance en distance, on voit s’élever des îles nombreuses, la plupart ornées d’une riche végétation, et cependant un très-petit nombre d’entre elles sont habitées.

PORTS.

Sur ses côtes maritimes, Siam possède un certain nombre d’excellents ports ; mais je ne parlerai ici que du port principal où se fait presque tout le commerce. Au fond du golfe et à l’embouchure du fleuve Më-Nam, les navires rencontrent une longue et large barre formée de boue et de sable, sur laquelle il n’y a que trois ou quatre pieds d’eau quand la mer est basse ; mais avec l’aide d’un pilote et de la marée montante, un navire ordinaire passe aisément la barre en suivant le lit du fleuve ; il entre dans le Më-Nam, et dans une demi-journée il vient jeter l’ancre au milieu de la capitale, par une profondeur de cinquante à soixante pieds. Il est rare de trouver un port aussi vaste, aussi sûr et si commode car il n’y a à craindre ni bancs de sable, ni écueils, ni tempêtes, et il pourrait y tenir jusque dix mille navires. Ajoutez à cela qu’on est à portée des boutiques flottantes, du bazar et des magasins, et que la provision d’eau est très-facile à faire, puisque l’eau du fleuve est excellente.

Il me paraît utile de consigner ici une méthode fort simple de purifier l’eau des rivières, méthode qui est généralement usitée à Siam. Dans cent litres d’eau, par exemple, jetez une cuillerée à café d’alun en poudre, agitez avec un bâton pendant une ou deux minutes, et laissez reposer. Dans une heure ou deux l’eau devient très-limpide, et il se forme au fond du vase un dépôt abondant. Tous ceux qui ont quelques notions de chimie comprendront aisément que cette méthode est bien préférable à une simple filtration, parce que l’alun décompose les sels d’urine et autres sels insalubres, tandis que le filtre ne peut en dépouiller l’eau qui retient toutes les matières salines en dissolution.

Il faut observer néanmoins que les navires d’un fort tonnage sont obligés, pour pouvoir passer la barre, de décharger une partie de leur cargaison, et de la repasser à demi chargés ; la cargaison se complète en dehors de la barre au moyen de grosses barques de transport.

GOLFE, COURANTS.

Le golfe de Siam n’est point sujet aux tempêtes ni aux typhons dévastateurs comme la mer de Chine ; aussi les naufrages y sont extrêmement rares ; sa profondeur est de neuf à dix toises le long des côtes, et de cinquante à soixante au milieu. Depuis le mois d’octobre jusqu’à la fin de mars, il y règne un courant dont la direction est du nord au sud, et depuis le mois d’avril, le courant prend une direction contraire, c’est-à-dire qu’il vient du sud au nord ; sa vitesse est de trois milles (une lieue) à l’heure. Dans les mois de mai, juin et juillet, on éprouve souvent des calmes plats ; la surface du golfe est comme un miroir immense qui réfléchit l’azur des cieux et les rayons d’un soleil brûlant.

CLIMAT.

Le climat de Siam est plus ou moins chaud selon la latitude ; mais on peut dire que la chaleur y est supportable, vu qu’on peut la tempérer par des bains et des ablutions fréquentes. D’ailleurs, les pluies abondantes qui tombent dans la saison chaude rafraîchissent la température. Dans la grande plaine, où !e vent souffle comme en pleine mer, le climat y est salubre aussi bien pour les étrangers que pour les indigènes ; mais dans les montagnes couvertes d’épaisses forêts il règne des fièvres si pernicieuses aux voyageurs, qu’il suffit souvent d’y avoir passé une nuit pour être attaqué d’une maladie mortelle, qu’on appelle fièvre des bois. Quant aux indigènes et aux habitants des forêts, ils en sont quittes pour des fièvres intermittentes, auxquelles ils sont sujets deux ou trois fois l’année.

SAISONS.

À proprement parler, il n’y a que deux saisons, celle des pluies et celle de !a sécheresse. Dès que la mousson du sud-ouest commence à souffler, les vents qui ont passé sur les mers amènent chaque jour une quantité de nuages blancs qui, le soir, s’amoncèlent le long des sommets de la grande chaîne de montagnes bornant la partie occidentale de Siam ; et, lorsque le soleil est sur son déclin, il s’élève un vent impétueux ; ces nuages condensés sont dispersés au bruit du tonnerre ; et, au milieu de la tempête, une pluie abondante arrose toute la plaine. Tout le temps des pluies ce phénomène se renouvelle presque chaque jour, et tous les soirs on est presque sûr d’éprouver un grand orage. Quelquefois la pluie dure toute la nuit ; mais les pluies durant la journée sont fort rares.

Quand la mousson du nord vient à souffler, elle occasionne quelques fortes pluies qui ne sont pas orageuses ; mais bientôt le ciel devient d’une sérénité parfaite et le jour et la nuit. Il règne constamment un vent du nord-est frais et sec qui devient un peu froid pendant la nuit de manière à faire descendre le thermomètre centigrade de 12 à 10 degrés au dessus de zéro. Cette saison du froid ou de la sécheresse est très-agréable et favorable à la santé ; aussi est-ce l’époque des fêtes et des divertissements. Le temps le plus chaud de l’année est le mois de mars et d’avril, où le thermomètre centigrade, même à l’ombre, monte ordinairement de 30 à 35 degrés.

MOUSSON.

Il règne à Siam deux moussons ou vents réguliers qui soufflent alternativement chacun pendant six mois environ. La mousson du sud-ouest commence au mois de mars ; au mois d’août elle tourne à l’ouest, et à la fin de septembre commence la mousson du nord et du nord-est, laquelle au mois de février tourne au sud-est, puis au sud, enfin au sud-ouest, de sorte que la transition d’une mousson à l’autre n’est point brusque et subite, mais s’opère comme par degrés, le vent parcourant dans l’espace d’une année tous les points du compas.

ROSÉE.

Chaque année, au mois de mars, et pendant une quinzaine de jours, a lieu un phénomène de rosée assez singulier. Au point du jour, l’atmosphère se remplit de brouillards épais, et à peine le soleil est-il levé, que ces brouillards se résolvent en une rosée abondante au point de couler, en forme de pluie, des toits des maisons et des feuilles des arbres.

RIVIÈRES, FLEUVES, INONDATIONS.

Dans la presqu’île malaise il n’y a que des ruisseaux et des petites rivières dont le cours n’est que de dix, vingt et tout au plus trente lieues, mais dont l’embouchure est considérable et qui peuvent servir de port, même pour les petits navires européens. La partie orientale du Lao et le Camboge sont arrosés par un très-grand fleuve appelé Më-Kong, dont le cours a plus de cinq cents lieues. Pour donner une idée de sa largeur, des habitants de Lanxang me disaient qu’un éléphant vu à l’autre rive ne paraissait pas plus gros qu’un chien ; mais à ses embouchures des bancs de sable et des bas-fonds gênent la navigation des gros bâtiments. Chanthabun a une jolie rivière qui, dans la saison des pluies, inonde et fertilise une petite plaine de douze lieues de long. Les fleuves de Pët-Riu, de Thà-Chin et de Më-Khong ont une embouchure majestueuse et fertilisent aussi la grande plaine de Siam par une inondation annuelle, en confondant leurs eaux à celles du fleuve Më-Nam. Le Më-Nam (mère des eaux), dont le cours est d’environ trois cents lieues, prend sa source dans les montagnes de l’Yunan en Chine, passe à Xieng-Mai, reçoit un gros affluent venant de Phitsalôk et, un peu plus bas, se divise en plusieurs branches qui arrosent la grande plaine, viennent se réunir au dessus de Bangkok, et enfin se déchargent dans la mer à huit lieues au dessous de la capitale.

Ce fleuve inonde et submerge la plaine une fois tous les ans. Dès le mois de juin, ses eaux deviennent rouges du limon qu’elles entraînent, le fleuve devient rapide, son niveau s’élève chaque jour de quelques pouces, et à la fin d’août il se répand dans les campagnes et monte peu à peu jusqu’à un mètre et quelquefois deux mètres au dessus du rivage. Le riz croît à mesure que les eaux montent, et l’inondation, loin d’y faire tort, contribue au contraire à son développement. Les eaux stationnent ainsi dans les campagnes jusqu’au commencement de novembre ; pendant ce temps-là une infinité de barques sillonnent la plaine en tous sens à travers les rizières espacées de manière à former mille petits canaux laissés libres pour la circulation. Enfin les eaux commencent à baisser chaque jour un peu jusqu’à ce que le fleuve rentre dans son lit et reprenne son niveau ordinaire. Une chose qui paraîtra bien extraordinaire, c’est que la partie basse de la plaine, à douze lieues de la mer, n’est jamais inondée, tandis que la partie supérieure reste submergée pendant plusieurs mois. J’ai tâché de me rendre compte de ce phénomène, et je ne vois pas d’autre manière de l’expliquer qu’en l’attribuant à l’effet des marées. Car, quand la marée monte, elle repousse les eaux par une force irrésistible, et, dès que la marée descend, ces eaux se précipitent dans le lit du fleuve ou des canaux que la marée leur laisse libre, de manière que l’écoulement ayant lieu par le lit du fleuve ou des canaux, à mesure que les eaux supérieures descendent, elles prennent cette même direction d’écoulement sans avoir le temps de se répandre dans la partie basse de la plaine.

De temps en temps il y a des années où les pluies sont bien moins abondantes que de coutume ; alors le fleuve n’inonde qu’une partie de la plaine ; toutes les rizières où l’eau n’arrive pas sont perdues, parce que la plante du riz se dessèche et meurt sans porter de fruits, ce qui occasionne la cherté du riz, mais jamais la famine.

FERTILITÉ, ABONDANCE.

Je ne sais pas s’il y a au monde une contrée aussi fertile que Siam ; le limon du Më-Nam féconde tous les ans la plaine qui, presque sans culture, fournit une si grande quantité d’excellent riz, que non seulement il suffit pour nourrir les habitants, mais on en exporte encore annuellement en Chine et ailleurs plus de cinq cent mille quintaux. Année commune, la mesure du riz (de la capacité d’environ vingt litres), suffisante pour nourrir un homme pendant un mois, ne coûte que quinze sous. Les récoltes pourraient être doublées et même triplées ; car on ne cultive pas la moitié de la plaine, et, au moyen d’une irrigation très-facile, on pourrait faire deux récoltes, tandis que, par paresse, on se contente d’une seule.

Pendant l’inondation, le poisson se multiplie à l’infini dans les rizières, les roseaux et les herbes aquatiques ; quand le fleuve rentre dans son lit, une partie des poissons y rentre aussi on les voit fourmiller, pour ainsi dire, dans les rivières et les canaux ; des nuées de cigognes, de plongeons. de pélicans, de canards et autres oiseaux aquatiques en font leur pâture jour et nuit. L’autre partie des poissons reste dans la plaine et va peupler des milliers d’étangs naturels plantés de lotus. de cresson et autres herbes aquatiques.

Le fond du golfe, où se jettent quatre grandes rivières, est aussi très-poissonneux ; une grosse espèce de sardine y abonde tellement que, outre qu’elle est la principale nourriture du peuple pendant six mois, on en charge encore douze ou quinze gros navires pour l’île de Java.

La volaille est très-commune, et une poule se vend trois sous ; les tortues abondent ; à certaines époques on peut acheter un cerf pour quatre ou cinq francs ; le sucre est à trois ou quatre sous la livre ; pour un fûong (sept sous et demi) on achète une charge de bananes ; les fruits et les légumes s’y trouvent en abondance. Toutefois, qu’on ne s’imagine pas que le bon marché des choses provient de la rareté de l’argent ; car le salaire d’un ouvrier ordinaire est de vingt à trente sous par jour, encore on le nourrit ; le bon marché n’est dû qu’à la grande abondance qui règne dans cette contrée. Ce n’est pas seulement la plaine qui est fertile ; dans les vallées, sur les collines et même dans les hautes montagnes on n’aperçoit partout qu’une végétation luxuriante et de riches productions.



Ruche bourdonnante d’abeilles et symboles divers
Ruche bourdonnante d’abeilles et symboles divers