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Deux voyages en Asie au XIIIème siècle/Avant-propos

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Eugène Müller
Deux Voyages en Asie au XIIIe siècle, Texte établi par Eugène MüllerDelagrave (p. 5-20).



AVANT-PROPOS




Quelque vingt ans avant d’avoir découvert le Nouveau Monde, et alors que déjà l’idée de cette expédition obsédait sans cesse son esprit, Christophe Colomb recevait d’un savant physicien florentin nommé maître Paul des lettres où se trouvaient les passages suivants :


J’apprends le noble désir que tu as de passer dans les régions où croissent les épices (les Indes). C’est pourquoi, en réponse à la lettre où tu me demandes mon avis sur ton projet, je t’envoie la copie de ce que j’écrivais dernièrement à mon ami Fernand Martinez, chanoine de Lisbonne.

Je suis heureux de savoir que tu as un grand crédit auprès de ton illustre roi. Tu m’annonces que, malgré nos fréquents entretiens au sujet de la route qui doit exister entre l’Europe et les Indes, et que je crois beaucoup plus courte que celle que suivent ordinairement les Portugais en côtoyant la Guinée, tu m’annonces, dis-je, que Sa Majesté désirerait encore quelques éclaircissements sur cette nouvelle route, afin que ses vaisseaux pussent la tenter. Quoique je ne doute pas que l’étude de la sphère ne vienne à l’appui de mon opinion sur la conformation du globe, je t’envoie, pour rendre mes explications plus faciles à saisir, une carte où j’ai tracé toutes les îles qui, selon moi, se trouvent le long de la route qui de l’Occident doit mener aux Indes et représente l’extrémité orientale du continent asiatique, avec les îles et les ports où l’on doit mouiller…

… Ne t’étonne point que je désigne sous ce nom d’Occident les contrées où croissent les aromates, et que l’on appelle vulgairement aujourd’hui Orient, puisque, la terre étant sphérique, en faisant voile vers le couchant, on doit finir par trouver ces régions que trop de gens prétendent ne pas s’étendre au delà du Levant…

Ce pays, considérablement peuplé, est divisé en beaucoup de provinces et même de royaumes, contenant d’innombrables villes, qui sont sous la domination d’un prince appelé le Grand Khan, qui fait le plus souvent sa résidence en la province du Cathay. Les prédécesseurs de ce prince furent très désireux d’entrer en relation avec les princes chrétiens. Il y a environ deux siècles, l’un d’eux envoya des messagers au souverain pontife, pour l’engager à lui donner des savants, des docteurs, qui l’instruisissent, lui et ses peuples, dans notre foi ; mais les envoyés trouvèrent sur leur route de tels obstacles qu’ils durent s’en retourner sans avoir accompli leur mission. (Voy. Marco Polo, liv. Ier, chap. iv.)

De notre temps, le pape Eugène IV (qui régna de 1431 à 1447) reçut de la part de ce souverain un ambassadeur qui lui rappela l’estime que sa nation professait pour les chrétiens. Me trouvant alors à Rome, je m’entretins avec lui de son pays et notamment de la beauté des villes, des monuments, des rivières qui s’y trouvent. Il me rapporta toutes sortes de choses merveilleuses sur la multitude des cités, des bourgs bâtis le long des cours d’eau ; il m’en cita surtout un qui baigne plus de deux cents villes, où l’on voit des ponts de marbre très larges, ornés de milliers de colonnes…

Cette contrée mérite donc qu’on en cherche le plus court et le plus facile chemin ; car il peut nous en venir de grandes richesses en or, argent, pierres précieuses, qui n’ont pas encore été apportées chez nous… Cette vaste contrée est, paraît-il, gouvernée de fait par des philosophes, des savants, qui excellent dans les arts, les lettres, et qui ont aussi le commandement des armées.

Tu verras qu’à partir de Lisbonne, en allant par mer vers l’occident, j’ai tracé les degrés à franchir pour atteindre la célèbre cité de Quittai, qui mesure environ trente-cinq lieues de tour. Son nom signifie la Ville céleste. On raconte des merveilles des hommes de génie auxquels elle a donné le jour, de ses richesses, de ses édifices…

J’ai marqué aussi l’île de Zipangu, qui doit être rencontrée d’abord, et où se trouvent en quantités considérables de l’or, des perles et pierres précieuses. C’est avec des plaques d’or fin qu’on y couvre les temples et les demeures des souverains… La route pour atteindre cette île est inconnue, mais je suis certain qu’on peut s’y rendre avec toute sûreté…


Or, si le savant florentin envoyait au « futur amiral des mers océanes » ces lettres, qui – à ce qu’affirme Fernand Colomb, dans l’histoire qu’il a écrite des découvertes de son père – furent d’une grande et décisive autorité sur ses déterminations, nous avons la preuve que ce n’était pas seulement à ses entretiens avec l’ambassadeur du souverain asiatique qu’il devait la connaissance des choses énumérées par lui pour surexciter l’esprit d’entreprise du hardi navigateur.

Cette preuve nous l’avons en cela que, depuis plus d’un siècle et demi, d’assez nombreuses reproductions avaient été faites, en diverses langues, de la relation que le Vénitien Marco Polo avait publiée de ses voyages et de son long séjour en ces lointaines contrées. Les principaux détails que contiennent les lettres du savant se retrouvent, en effet, mentionnés dans cette relation.

Les frères Nicolo et Matteo Polo, marchands vénitiens, après un premier voyage en Orient, avaient momentanément reparu à Venise, d’où ils étaient repartis, l’un d’eux emmenant son fils Marco, alors âgé de quinze ans[1]. Ils n’étaient revenus qu’après avoir passé vingt-six ans au milieu des populations asiatiques. « Ils eurent, dit M. Pauthier, beaucoup de peine à se faire reconnaître par les parents et amis qu’ils avaient laissés dans leur patrie. Ils ressemblaient à des Tartares par leur costume, leur figure même et leur langage, qui était à peine intelligible ; car ils avaient presque oublié leur langue maternelle ; ils ne la parlaient qu’avec un accent étranger, et sans doute aussi avec un singulier mélange de mots en usage aux pays d’où ils revenaient. » Ils ne tardèrent pas cependant à reprendre les habitudes européennes et à se voir d’autant mieux recherchés par la société distinguée de Venise qu’ils faisaient volontiers montre des objets précieux qu’ils avaient rapportés de leur voyage ; et comme, en outre, quand ils parlaient des richesses des Tartares, ils ne comptaient jamais que par millions, leur logis avait reçu le nom de maison des millionnaires, et le plus jeune n’était jamais appelé autrement que Marco Millioni. »

Il va de soi qu’en vertu même de l’opulence résultant de leur voyage, les voyageurs auraient dû trouver quelque créance pour les récits qu’ils faisaient sur les pays visités par eux. Mais il y avait dans ces récits tant de prodigieuses assertions ; la généralité des faits qui en formaient le fond s’éloignait tellement des réalités européennes, qu’on soupçonnait les trois millionnaires de traduire non de fidèles souvenirs, mais les suggestions d’une très féconde et très fantaisiste imagination.

« A beau mentir qui vient de loin, » disait déjà le proverbe, qui leur était communément appliqué. Et c’était avec des sourires d’incrédulité que leurs compatriotes les écoutaient affirmer à qui mieux mieux les merveilles du lointain empire. « Bah ! paroles en l’air ; autant en emportera le vent ! »

Et autant, en effet, en eût emporté le vent si un jour Marco, alors prisonnier de guerre des Génois, ne se fût avisé de dicter à un nommé Rusticien, de Pise, son compagnon de captivité, – qui d’ailleurs les transcrivit en français du temps, – la relation circonstanciée de son voyage et le tableau des choses vues et observées par lui[2] Et ainsi fut fait le livre que nous reproduisons aujourd’hui, et qui longtemps encore ne fut considéré, aussi bien que les récits verbaux des trois voyageurs, que comme une très romanesque et très amusante fiction, bonne tout au plus à fournir des thèmes et des situations invraisemblables aux poètes et aux conteurs, qui d’ailleurs ne se gênèrent pas pour y puiser des types de héros et des descriptions imaginaires. (L’Arioste notamment parle souvent de la reine du Cathay.)

Peu à peu toutefois l’attention et la curiosité que le livre de Marco Polo avaient dirigées sur l’extrême Asie eurent à compter avec une suite de témoignages bien propres à changer du tout au tout le caractère attribué jusqu’alors aux assertions extraordinaires du Vénitien. Tantôt c’étaient des voyageurs qui avaient contrôlé sur divers points ses itinéraires ; tantôt des cosmographes qui reconnaissaient, démontraient la certitude de ses données . topographiques ; puis, la facilité, la fréquence des relations devenant plus grande, des envoyés des diverses cours d’Asie arrivant en Europe confirmaient à qui mieux mieux les dires du narrateur.

Tel celui avec lequel s’était entretenu le correspondant de Christophe Colomb. Nourri de la lecture du livre de Marco Polo, le savant florentin devait naturellement en faire une sorte de questionnaire à l’adresse de l’étranger, qui ne trouvait rien à démentir dans ces récits qu’on avait si longtemps regardés comme absolument fabuleux.

À ce moment, la preuve semblait donc déjà faite pour l’ensemble de l’œuvre, qui, cessant d’être une production de fantaisie, devenait le plus respectable, le plus magistral des documents historiques, et devait exercer d’ailleurs une influence considérable sur le mouvement cosmographique d’un siècle où, comme le dit un poète historien, « l’homme, prisonnier terrestre, allait enfin savoir faire le tour de sa prison ».

Une conséquence, indirecte en réalité, de cette influence ne fut rien moins que la découverte du Nouveau Monde. Ainsi que nous l’avons remarqué, les arguments que le savant florentin fit valoir, de par Marco Polo, auprès de Christophe Colomb, achevèrent de fixer les projets de l’illustre Génois, qui, en partant de Palos avec ses trois caravelles, ne doutait nullement qu’il dût atterrir aux pays visités et décrits par Marco Polo : savoir le Cathay (la Chine) ou l’île de Zipangu (le Japon). Quelques jours après avoir découvert les premières Antilles : Les indigènes, écrivait-il sur son journal, m’ont fait comprendre que l’or suspendu à leurs narines se trouve à l’intérieur de leur île ; mais je ne le fais pas rechercher pour ne pas perdre mon temps, voulant aller voir si je puis aborder à l’île de Zipangu.

Et ailleurs : Lorsque j’arrivai à l’île que j’avais nommée de la Juana, j’en suivis la côte, vers le couchant ; je la trouvai si grande que je pus croire que c’était la terre ferme, ou province du Cathay.

L’erreur, si grande qu’elle fût, était explicable en l’état des connaissances possibles à cette époque ; mais, en somme, quel résultat !

Toujours est-il que plus les temps ont passé, rendant moins rares les communications entre les points extrêmes de la terre, et plus s’est confirmée la véracité, partant la haute valeur du livre de Marco Polo. « Il ne faut pas s’étonner si la relation de Marco Polo a tant occupé les savants, écrivait en 1826 Walckenaer dans son Histoire générale des voyages. Lorsque, dans la longue série des siècles, on cherche les trois hommes qui par la grandeur et l’influence de leurs découvertes ont le plus contribué au progrès de la géographie ou de la connaissance du globe, le modeste nom du voyageur vénitien vient se placer sur la même ligne que ceux d’Alexandre le Grand et de Christophe Colomb. »

Et nul aujourd’hui n’est tenté de contredire cette flatteuse appréciation.


Quelques mérites qu’ait un homme, encore lui faut-il l’aide de certaines circonstances pour qu’on les lui reconnaisse. Marco Polo fut, en ce sens, servi à souhait.

Au commencement de ce treizième siècle où il vivait, les destinées de l’extrême Orient avaient été soumises à une profonde perturbation, par l’avènement du fameux Djengis-Khan, qui, devenu, encore enfant, chef d’une bande mongole, avait successivement envahi et asservi tous les grands royaumes de l’Asie centrale. Mais le terrible conquérant, même au milieu de ses victoires sur les peuples les plus avancés en civilisation, était resté le Tartare vivant de la vie en quelque sorte sauvage de ses pères. Cette vie, ses premiers descendants la continuèrent, bien que par la conquête ils fussent en contact avec l’état social dont le merveilleux tableau devait faire paraître imaginaires les relations de Marco Polo.

À quelques années près, c’est-à-dire à la distance d’un règne assez court, tout autres eussent été pour Marco Polo et l’accueil du monarque et l’aspect de la région et de la cour où il eût été reçu. La preuve nous en est fournie par le très curieux récit qui, dans le présent volume, précède celui du Vénitien.

Vers le milieu du treizième siècle, le roi Louis IX, alors engagé dans sa première croisade, avait ouï dire que le grand khan des Tartares mongols, petit-fils de Djengis, avait témoigné d’assez formelles sympathies à un prince chrétien d’Arménie. Il lui sembla de bonne politique de chercher, par delà les limites de l’islam qu’il combattait, de puissantes alliances morales, dont l’influence pût, au cas échéant, fournir un appui efficace aux revendications des peuples chrétiens. De Chypre, où il était alors, il députa donc une ambassade caractérisant bien les idées qu’elle devait tâcher de faire prévaloir auprès du souverain mongol. Trois pauvres moines partirent chargés de démontrer au prince asiatique tous les avantages moraux et matériels qui pourraient résulter pour lui et pour ses peuples d’embrasser la foi chrétienne, ou tout au moins d’accueillir et protéger les hommes qui viendraient la prêcher dans son empire.

Comment ces moines furent reçus par le petit-fils de Djengis-Khan et quel fut le résultat de leur mission, on le verra dans la relation même du voyage que l’un d’eux, Guillaume de Rubruquis, d’origine flamande, rédigea en latin, sous forme de lettre au saint roi.

Or ce voyage eut lieu dans les années 1252-1254. Alors sur le vaste domaine de Djengis régnait Mangou-Khan, qui, en vrai Tartare, avait gardé les goûts et les mœurs de son aïeul. Les envoyés de saint Louis durent l’aller chercher dans ses campements des montagnes et le visiter sous la tente du nomade.

Six ou sept ans plus tard, à Mangou-Khan succédait son frère Koubilaï, qui, s’étant définitivement rendu maître des dernières provinces du grand empire civilisé, s’y établit en s’assimilant, avec une véritable supériorité d’instinct, toutes les traditions de grandeur et de magnificence de la dynastie détrônée. C’est à la cour de Koubilaï et sur divers points de ses opulents domaines que vécut pendant plus de vingt ans Marco Polo.

Ainsi s’explique le contraste des deux récits, le premier d’ailleurs ne le cédant en rien au second pour l’évidente véracité, et pour le pittoresque, pour l’intérêt des tableaux.

Bien que le récit sincère du moine fût de nature à parler moins vivement à l’imagination des lecteurs d’Occident, nul doute que s’il eût été connu peu après sa rédaction, comme le fut celui du Vénitien, il n’eût valu à l’auteur l’honneur des reproductions, des traductions, qui donnèrent une notoriété universelle au livre de Marco Polo.

Mais la précieuse épître, que peut-être même le royal destinataire ne reçut jamais, devait rester dans l’ombre jusque vers la fin du seizième siècle, où un compilateur anglais (Hakluit) la découvrit et l’inséra dans un recueil de navigations et découvertes. Quelque cinquante ans plus tard, Pierre Bergeron, géographe français, écrivain assez habile, en publia la traduction que nous reproduisons.


Comme nous l’avons remarqué plus haut, d’après l’autorité des commentateurs les plus compétents, il serait aujourd’hui avéré que la relation de Marco Polo fut primitivement écrite en français. Plusieurs versions de ce texte ont été publiées, dont l’une en 1845, à la librairie Didot, avec des notices, remarques et annotations du très savant sinologue G. Pauthier, qui a fait de cette publication un véritable monument à la gloire du célèbre voyageur.

Si curieux et intéressant que soit le texte publié par M. Pauthier, d’après deux magnifiques manuscrits de la Bibliothèque nationale, ayant appartenu à Jean, duc de Berry, frère de Charles V, nous ne pouvions songer à le reproduire dans une collection populaire, où sa forme par trop archaïque eût assurément déconcerté la majorité des lecteurs.

Il nous a semblé préférable d’adopter le texte que ce même Bergeron, traducteur du récit de Rubruquis[3], donna, d’après un manuscrit latin de la bibliothèque de Brandebourg, qui fut publié vers 1670 par le célèbre orientaliste André Muller, et que l’on considéra longtemps comme une des versions les plus exactes, – selon quelques-uns même comme l’original du fameux voyage. Dans ce texte, en effet, comme il résulte de l’attentive révision que nous en avons faite sur les meilleures éditions modernes, et notamment sur celle de Pauthier, rien n’est omis des faits généraux ni des détails qui caractérisent le récit primitif. Tout au plus y voyons-nous une tendance à la condensation des parties, dont le développement peut, dans un texte archaïque, offrir de l’intérêt aux philologues, mais qui a le désavantage de paraître oiseux quand le document est destiné aux lecteurs ordinaires. Toutes les fois d’ailleurs que l’abréviation nous a paru passer sous silence la moindre indication curieuse, nous avons eu soin de combler la lacune à l’aide des meilleurs textes. Le présent volume renferme donc bien, en substance toujours, et le plus souvent avec ses expressions simplement modernisées pour la lecture courante, la véritable et entière relation de Marco Polo.

Mais si, pour les raisons que nous venons de dire, nous nous sommes éloignés du précieux texte reproduit par M. Pauthier, une raison majeure nous a fait n’en appeler pour ainsi dire qu’à la seule autorité du docte commentateur, quand il s’est agi des annotations indispensables à une œuvre de ce genre, et plus particulièrement en tout ce qui concerne les nombreuses concordances géographiques. Sa vaste et magnifique étude ayant fait partout et définitivement la lumière sur les points les plus obscurs de la vieille narration, nous ne pouvions que recourir sans cesse à ce guide sûr. Nous avons d’ailleurs marqué de l’initiale du savant les emprunts textuellement faits par nous à son travail, objet de notre reconnaissante admiration.

Eug. Muller.
  1. Marco Polo, né à Venise en 1251, y mourut en 1324.
  2. Cette relation, que le Vénitien avait tout simplement intitulée : le Livre de Marco Polo, changea plusieurs fois de titre dans les reproductions et traductions qui en furent faites à diverses époques et en divers pays, par exemple : le Devisement du monde, le Livre des Merveilles d’Asie, le Livre de Marco Polo et des Merveilles du monde, le Livre des mœurs et coutumes des pays d’Orient, etc.
  3. Bien que portant l’une et l’autre l’empreinte littéraire du temps où elles furent publiées, chacune de ces deux traductions — dont nous avons cru devoir respecter presque toujours l’extrême simplesse et même les naïves incorrections — affectent cependant une forme particulière évidemment due à l’art instinctif du traducteur, qui a su se pénétrer intimement, en quelque sorte, du tempérament propre à chacun des narrateurs. La première version, faite d’après un assez pauvre latin, conserve bien l’humble et touchante ingénuité qui caractérise le messager du saint roi, tandis que la seconde, non moins simple pourtant, se ressent, par une allure plus ferme, du naturel et de la condition du conteur. Ainsi se trouve établie une différence vraiment intéressante entre le pèlerin en robe de bure et aux pieds nus, qui ne rapporte de la visite faite aux tentes des Tartares que sa pieuse indigence, et le marchand vénitien qui, tout fringant d’honneurs et d’opulence, revient éblouir ses compatriotes avec ses souvenirs du pays des merveilles.