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Deux voyages sur le Saint-Maurice/01/04

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À LA MATAWIN

Nous partons à une heure et un quart, dans une barge bien commode. Nos rameurs, un seul excepté, sont les mêmes qu’hier : nous sommes sûrs d’être bien conduits. Trois canots nous font escorte… Parmi ces canots se trouve celui de M. Paterson, un commis de la Compagnie de la Baie d’Hudson qui se fait conduire à Montachingue. Ce monsieur a la complaisance de rendre avec lui M. Gravel, et de soulager ainsi notre barge qui se trouvait un peu chargée.

Sur la route que nous avons à parcourir, il y a un espace de trois lieues sans habitations, mais l’intérêt du voyage ne diminue pas. Si l’homme ne paraît pas ici avec ses œuvres d’un jour, l’œuvre de Dieu nous apparaît dans toute sa variété et sa majesté.

Voici que nous doublons une pointe de roches appelée la pointe à Château. Vous allez penser qu’il se trouve là quelque château rustique, ou un projet d’édifice quelconque ; mais il n’en est rien. Château est ici un homme. Cet homme-là n’a pas joué un rôle comme celui de Bonaparte ou d’Alexandre-le-Grand, nous ne savons ni ce qu’il était ni ce qu’il faisait, mais son nom va tout de même passer à la postérité.[1]

La pointe à Château est célèbre par un évènement sinistre qui s’y passait il y a quelques années.

Aux eaux basses, cette pointe paraît assez inoffensive, mais quand le niveau des eaux s’élève, et quand la rapidité du courant augmente, le fleuve vient s’y briser avec fracas, et forme un remous des plus redoutables. Or, un chaland chargé d’hommes et de provisions remontant un jour le Saint-Maurice, dans la saison des pluies, il arriva que celui qui était au gouvernail fit dévier quelque peu son vaisseau de la direction qu’il lui fallait suivre ; le chaland fut emporté immédiatement par un courant irrésistible, et chavira dans le remous. Douze hommes perdirent la vie : c’était un malheur comme le Saint-Maurice n’en avait jamais vu de semblable. Un poète populaire[2] a composé sur cet évènement tragique une complainte qui se chante encore sur les bords du Saint-Maurice. On ne trouve qu’un défaut à cette complainte : elle fait trembler la voix de celui qui la chante, et elle fait pleurer ceux qui l’entendent chanter.

Voici les mots de ce chant, tels que nous avons pu les recueillir ; la musique, sans aucun doute, en augmente de beaucoup la valeur.

La rime échappe bien souvent, les incorrections de toute sorte abondent, mais il faut laisser les chants populaires tels qu’ils sont.

Vous me demandez que je chante
À tout moment
Une chanson très-affligeante.
Dernièrement
Sur la rivière Saint-Maurice,
Il n’y a pas longtemps,
Dans l’automn’ de soixante-neuf,
Un accident.
II
Dans la classe des voyageurs,
C’est très-souvent
Qu’on est exposé à sa perte
Dans un moment.
Souvent la prudence nous manque
En voyageant,
C’est sur la rivière Saint-Maurice,
Dans ces chalands.

III
Donc aujourd’hui de Mékinac
Monte un chaland,
Chargé de monde et de bagage
Solidement,
Horrible, triste et trop fatale
Pointe à Château !
Là s’sont noyés douz’ d’nos confrères
En chavirant.
IV
Ô horrible spectacle à voire
Ce matin-là !
Des lamentations horribles
Des cris perçants.
Cett’journée est le neuf octobre
Assurément.
Elle est restée très remarquable
En y pensant.
V
Trent’huit hommes sont à la nage
En chavirant,
Parmi les chevaux, le bagage,
Charge du chaland.
Treiz’propriétair’s s’y noyèrent
Ainsi qu’Souci
Des gens bien connus par icite,
De nos amis.
VI
Ah ! malheureux le gouvernaille
De ce chaland !
Il est rayé d’la list’des hommes
Depuis longtemps.
Je n’mentionn’ pas son caractère,
Non plus son nom ;
L’arsenic, le corde attend c’brute
Assurément.

VII
La voiture des voyageures
C’est un chaland,
À partire depuis les Piles,
Post’ bien plus haut.
Quand on est rendu à la Tuque,
Post’ bien connu,
Les barg’s ensuit’sont nos voitures
Ou les canots.


Un peu plus loin que la pointe à Château on découvre la pointe à Doré. Pour donner l’origine de ce nom, il faut recourir à la légende sauvage. Les Sauvages donc virent en cet endroit un doré d’une grandeur prodigieuse ; c’était le grand serpent de mer du Saint-Maurice ; il avait les yeux de la grosseur d’une tonne, et pendant que sa tête touchait l’une des rives du Saint-Maurice, sa queue dérangeait les cailloux de la rive opposée. Le prodigieux doré s’enfonça ensuite mystérieusement sous le rocher.

Mon cher lecteur, vous ferez de cette légende ce que bon vous semblera, mais il faut bien laisser à la pointe de terre dont nous parlons son joli nom de pointe à Doré.

En approchant du rapide Manigonse, le canotier ne manquera pas de vous montrer, avec une émotion visible, le lieu où périt Théodore Olscamp, frère de l’ancien curé de Saint-Stanislas, avec sa femme et son enfant. M. Olscamp était l’homme le plus aimé et le plus respecté de tout le Saint-Maurice. C’était un père pour tous ceux qui voyageaient dans ces endroits éloignés, mais un père plein de foi et de religion. M. Xavier Normandin, le poète populaire de la Rivière-aux-Rats, résidant aujourd’hui à Saint-Maurice, a composé sur la mort de M. Olscamp une complainte que nous croyons devoir mettre sous les yeux de nos lecteurs.

I
Écoute, chrétien, la triste complainte ;
Que tout l’genre humain entende la plainte,
De sept enfants affligés
Qui virent leurs parents noyés.

II
Un jeudi au matin mil huit cent soixante-dix-huit,
Le vingt-neuf août, sur la rivière Saint-Maurice,
Ont péri subitement
Le père, la mère et l’enfant.
III
Ce canot chargé faisant diligence,
Part de Mékinac, monte à la Grande-Anse,
Arrivée d’un frison d’eau
Qu’a fait verser ce canot.
IV
Ce qui a causé ce ravage étrange,
C’était une pointe où l’eau se tourmente ;
N’oubliez pas de prier,
Ce sont des amis qu’vous connaissez.
V
Ce coup est terrible. Près du Manigonse,
Et en bas du rapid’ de ce bois si sombre,
Voyageur a remarqué
Là qu’une croix est plantée.
VI
On s’en fut avertir dans le voisinage,
Chacun a couru avec grand courage,
Ils ont fait tous leurs efforts
Pour trouver ces pauvres corps.
VII
Ont fait les recherches, descendant sur le sable
En bas d’Mékinac suivant les écores,
Et c’est au pied d’un rocher
Qu’ont trouvé le père noyé.
VIII
Pendant les recherches personne se lasse,
Tout le mond’ s’empresse de chercher de tout bord ;
D’un quart d’heure assurément
Trouve la mère et l’enfant.

IX
Cher enfant chéri qu’accompagnait son père,
Il a subi aussi le même sort de sa mère :
Ils seront tous regrettés,
Ils partent pour l’éternité.
X
Ô Vierge Marie, fill’ d’la bonne Sainte Anne,
Vous qui soulagez tant de millions d’âmes,
Je vous supplie humblement
De soulager les parents.
XI
Parents et amis qu’avez tous le cœur tendre,
C’est à vous aussi que je le demande :
Priez Dieu donc humblement,
Dieu sera reconnaissant.


Cette complainte a été admirée sur les bords du Saint-Maurice, et il est peu de familles où elle n’ait été chantée bien des fois.

On avait élevé une croix, ainsi que le dit la complainte, pour rappeler cet évènement funeste, mais l’inondation du printemps dernier a emporté cette croix. On la remplacera sans doute par une autre, car la mémoire de cet homme de bien est vivante dans tous les cœurs.

Enfin nous voici au rapide Manigonse. On va me dire : N’est-ce pas plutôt le rapide de la Manigance, parce qu’il faut se donner beaucoup de mouvement pour le remonter ? Allons, ne vous creusez pas la tête inutilement ; c’est un sauvage qui a donné son nom à ce rapide.

Manigonse est une abréviation du mot Ménahigonse qui veut dire épinette blanche.

Nous voyons figurer plusieurs fois ce nom dans les registres de la paroisse des Trois-Rivières, mais presque toujours avec quelque variante. Ainsi, dès l’an 1730, le 25 janvier, Dominique Manigonse vient aux Trois-Rivières pour faire baptiser un de ses enfants âgé de neuf jours. C’est le frère Siméon Dupont, récollet, qui fait le baptême. Plus de cent ans après, Pierre Manigonse vient à son tour réclamer les services du prêtre pour un de ses enfants. Voici l’acte de baptême, tel qu’il se lit aux registres : « Le premier février mil huit cent trente-sept, nous prêtre curé soussigné avons baptisé Pierre Paul, né depuis six jours, du légitime mariage de Pierre Menahigonse algonquin et de Marie Anawenwet de cette paroisse. Le parrain a été Louis Anawenwet et la marraine Ursule Mikinac qui ont, ainsi que le père, déclaré ne savoir signer.

T. Cooke, Ptre.

Enfin, quelques mois plus tard, ce même Pierre meurt aux Trois-Rivières, et son acte mortuaire se lit comme suit :

«  Le vingt-quatre août mil huit cent trente-sept, je curé soussigné ai inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps de Pierre Manaïgonse, décédé depuis deux jours, âgé de vingt-quatre ans, époux de Marie-Louise Ananwawit de cette paroisse. Furent présents à la sépulture Léandre Cadieux et François Lachance qui ont déclaré ne savoir signer.

T. Cooke, Ptre.

Maintenant, n’allez pas me demander si c’est Dominique ou si c’est Pierre qui a donné son nom au rapide, car je serai obligé de vous répondre que je n’en sais rien, et que je ne connais personne qui puisse aujourd’hui nous renseigner sur ce point.

Pendant que nous vous parlons ainsi du Manigonse, notre marche ne se ralentit pas. Nous traversons le fleuve pour trouver un chenal plus propice à notre barge, et nos braves canotiers remontent hardiment ce grand rapide, le plus considérable qu’il y ait entre les Piles et la Tuque.

Ici qu’on nous permette de décrire une jolie scène de la vie des habitants du Haut Saint-Maurice. Parmi les canots qui nous suivaient, il y en avait un chargé d’une famille complète. L’homme était à l’avant et poussait le canot à la perche, la femme était à l’arrière et maniait vigoureusement l’aviron. Les enfants étaient au milieu, et nous nous plaisions à regarder ces chères petites têtes qui s’élevaient juste au-dessus des bords du canot. Quand le courant était trop rapide, comme au Manigonse, l’homme descendait sur le rivage, et traînait le canot à la cordelle pendant que la femme gouvernait.

Ce brave canadien avait donc avec lui, sur une frêle écorce, tout ce qu’il a de plus cher au monde. Nous trouvions en cela une image mélancolique de la vie humaine.

Il nous suivit longtemps ainsi ; mais au haut du rapide Manigonse, nous le vîmes se hâter et prendre les devants. Sa demeure s’élève un peu plus loin, solitaire au pied d’un rocher ; il s’y rendit avec sa petite famille et nous salua à notre passage. Que cette famille soit bénie, nous l’aimons sans la connaître.

Pour se reposer de la fatigue éprouvée en remontant le Manigonse, nos canotiers abordèrent à un endroit où il descend de la montagne de petits ruisseaux d’une eau extrêmement douce à boire, M. Nestor Desilets courait en chantant sur les roches qui vont en pente douce ; tout-à-coup il tombe, et les pieds lui glissent dans le petit ruisseau qui coule en cet endroit. Il reste sans mouvement, le visage tout contracté, et fait entendre une plainte sourde. Je cours à lui, un de nos hommes vient aussi à son secours ; nous lui retirons les pieds du ruisseau, et nous le conduisons vers notre barge. Après une vingtaine de pas, il pouvait déjà marcher seul, bien que péniblement. En se frappant le genou sur la pierre, il avait ressenti une douleur extrêmement vive, mais passagère. Il reprit vite sa gaieté accoutumée, mais il resta blême tout le reste du jour. À cause de cet accident, nous donnâmes à cette fontaine le nom de fontaine du Genou. C’était bien notre droit, n’est-ce pas ?

Nous nous remettons en marche, et nous longeons l’île des Cinq, ainsi nommée à cause de cinq sauvages qui y sont morts et qui y sont enterrés. Le nom de cette île s’est étendu à une petite rivière qui coule un peu plus loin, et à un lac où cette rivière prend sa source.

À la pointe de l’île des Cinq, nous apercevons le canot de M. Paterson qui nous avait quitté au rapide Manigonse. Ce canot, qui portait M. Gravel, s’approche de nous et nous jette une boîte de magnifiques bleuets cueillis sur l’île,

Cependant nos canotiers font de nouveau de grands efforts pour faire avancer notre embarcation, nous sommes encore dans un rapide : celui-ci s’appelle le rapide de la Cuisse. On dit que ce nom vient d’un pauvre noyé, dont le corps en décomposition se serait tellement brisé sur les pierres, qu’on n’en aurait retrouvé qu’une cuisse au pied du rapide. Nous voulons bien accepter cette explication, mais tout le monde est frappé de la forme d’un rocher qui s’étend sur la longueur de la rivière, en haut du rapide ; ne serait-ce pas là plutôt l’origine de ce nom un peu étrange ? Je vous laisse à juger cela, mon cher lecteur ; dans tous les cas, vous ne manquerez pas d’admirer le rapport qu’il y a entre le rapide de la Cuisse et la fontaine du Genou. Hem ! c’est nous qui avons donné ce dernier nom, souvenez-vous-en.

Mais nous voici au milieu des habitations de la Matawin. Devant chaque porte s’élèvent de beaux mâts, avec de splendides pavillons. On nous salue partout, et Monseigneur bénit les bonnes gens qui viennent se mettre à genoux sur la rive.

Notre escorte augmente ; elle se compose maintenant de huit canots, bien chargés. Monseigneur chante un cantique, mais pour aider les rameurs il faudrait des chansons. Elles commencent à se faire entendre un peu timidement. Monseigneur qui sait bien que le chant est presqu’indispensable à nos rameurs canadiens, invite lui-même les gens à chanter. Une bonne vieille chante alors deux de nos belles chansons du temps passé ; avirons et pagaies frappent l’onde en cadence, et de tous les esquifs s’élèvent des voix pour répéter le refrain en chœur. Cette Canadienne avait une voix forte et magnifique, et Monseigneur lui-même voulut l’applaudir. Des hommes, des femmes, continuèrent à chanter soit des chansons à répondre, soit des cantiques sacrés.

Mais savez-vous qu’à l’embouchure de la rivière Matawin il y a une quantité de belles et bonnes cerises ? Nos braves rameurs n’ignorent pas cela, et ils ont un petit faible pour les bonnes cerises ; nous faisons donc une petite station en cet endroit.

Nous en profitons pour aller voir de près la rivière Matawin, qui roule une masse d’eau considérable. Son nom vient d’un mot algonquin, Matawane, qui veut dire décharge des eaux. Quelques minutes à peine étaient écoulées, quand nos gens reparurent les bras chargés de branches de cerisier ; nous avions des cerises à revendre. On a coutume de dire que les cerises sont chargeantes pour l’estomac, mais parle-t-on de cela quand on voyage en plein air, quand on voyage sur le Saint-Maurice ?

Nous reprenons notre course, cependant, et nous sommes bientôt devant la maison de M. Isaïe Neault ; c’est ici le plus ancien colon de la Matawin, et la mission s’est faite chez lui pendant plusieurs années.

Enfin nous sommes en vue de la maison de M. Antoine Vaugeois, où nous allons donner la mission ; Monseigneur entonne l’Ave maris stella ; nous avons le temps de chanter cette hymne d’un bout à l’autre, et puis nous abordons vers six heures du soir.

La demeure de M. Vaugeois est formée de deux maisons placées l’une près de l’autre, et communiquant ensemble ; l’une de ces maisons est changée en chapelle, et est mise absolument à notre disposition. Les murs sont couverts de toile blanche, l’autel est bien orné ; nous ne sommes pas si mal dans ces missions du Saint-Maurice !

Monseigneur chante le cantique « Travaillez à votre salut ; » il fait ensuite sur l’Importance du salut à peu près la même instruction qu’à Saint-Roch de la Mékinac ; puis, prenant la mitre et la crosse, il donne la bénédiction solennelle.

Le souper nous est servi dans la chapelle. M. Paterson mange avec nous.

Après le souper, M. Vaugeois intéresse beaucoup Monseigneur en rappelant ses souvenirs français. M. Antoine Vaugeois, frère de M. Louis Vaugeois de la Mékinac, est né et a vécu en France. Avant de venir au Canada, il demeurait chez M. le comte de Morny, bras droit de l’empereur Napoléon. Il a une juste admiration pour son ancien maître, et il sait rapporter à propos des traits caractéristiques, pour montrer quels étaient l’esprit d’entreprise, l’habileté hors ligne, l’intégrité et aussi la générosité de cet homme si célèbre. Il a connu aussi un grand nombre des principaux personnages de France, il les a vus de près chez M. le comte de Morny, et il en parle avec un intérêt saisissant.

Même au milieu des charmes d’une si instructive conversation, nous sentons le besoin du sommeil. La journée a été bien remplie, il est temps de se reposer. Nous étions contents, la nuit dernière, de coucher sous une tente ; cette nuit, nous ne sommes pas fâchés de trouver un bon lit, sous un bon toit : la température est si froide !

Le lendemain matin, il y avait une brume un peu froide encore, mais tout annonçait un beau jour. Je dis la première messe à cinq heures et demie, M. Prince dit la deuxième, et Monseigneur dit la troisième un peu après sept heures. M. Gravel dit la dernière messe, et Monseigneur chante trois cantiques à cette messe, comme il a fait à la Mékinac.

Nous donnons alors une instruction sur l’efficacité de la prière. Franchement, pour cette circonstance nous aurions voulu être orateur. Ces chrétiens qui nous écoutent ne peuvent assister au très-saint sacrifice de la messe et recevoir les sacrements de l’Église, tout au plus, que deux fois par année. Ils sont privés des plus grands avantages ; mais il leur reste, comme à tous les chrétiens, le bienfait de la prière. Que ne sommes-nous capables de faire comprendre à ces chères âmes la valeur de ce bienfait de Dieu ! Que ne pouvons-nous leur faire comprendre que le don de la prière peut remplacer tous les autres dons ! Nous faisons au moins notre possible pour les porter à bien employer ce grand moyen de salut qui est mis à leur disposition.

Après le sermon, 12 personnes reçoivent le Sacrement de Confirmation, et parmi ces personnes, le plus ancien colon de l’endroit, M. Isaïe Neault, âgé de 79 ans. Trente personnes ont reçu la sainte communion.

Monseigneur adresse des avis paternels à cette population animée d’un très bon esprit, et il donne pour patron à la mission S. Nicolas, évêque de Myre, en mémoire de M. Nicolas Sévère Dumoulin, vénérable curé d’Yamachiche, qui fut l’un des premiers à visiter les postes du Saint-Maurice, après le père Buteux.

La mission de la Matawin renferme 69 âmes, 11 familles et 40 communiants. Tous y sont catholiques et cultivateurs.

La mission de Saint-Nicolas de la Matawin n’est pas considérable aujourd’hui, mais il nous semble qu’elle a de l’avenir. Il ne faut pas vous laisser tromper par ces montagnes qui bordent la rive gauche du Saint-Maurice, vis-à-vis l’embouchure de la Matawin ; gravissez cette côte abrupte, et vous trouverez un terrain plan et très fertile. On trouve aussi des terres cultivables le long de la Matawin, dans les limites de la mission. Le gouvernement devrait favoriser l’établissement des colons dans ces endroits, afin que l’excellent groupe qui se trouve à la Matawin puisse former une paroisse, avoir un curé et établir des écoles.

Disons en passant, puisque le nom de la rivière Matawin est sous notre plume, que si l’on remonte cette rivière, on sort de la région des hautes montagnes, et l’on trouve, au témoignage de M. James Barnard, un beau territoire où pourront se former un bon nombre de paroisses. Quelques-unes de ces nouvelles paroisses feraient partie de notre diocèse. On sait que l’établissement des MM. Brassard se trouve sur cette rivière.

M. Vaugeois a de grandes propriétés, et sa récolte a une apparence magnifique ; il nous affirme que les céréales y mûrissent bien, et que la température en cet endroit est à peu près la même qu’aux Trois-Rivières.

La demeure actuelle de M. Vaugeois se trouve à l’embouchure de la rivière Caribou, mais il doit se bâtir une nouvelle maison, cet automne même, à une dizaine d’arpents plus bas, vis-à-vis l’établissement de M. Louis Descoteaux. Je n’hivernerai certainement pas ici, nous dit-il avec conviction ; et cet homme fort se mit à pleurer comme un enfant ;

Oui les cœurs de lion sont les vrais cœurs de père.

Cet homme a vu de trop grands deuils dans la maison qu’il habite aujourd’hui, il n’en peut plus supporter la vue ; l’air de ces chambres l’étouffe, il y a vu trop de cercueils ; il ira demeurer plus loin. En effet, l’hiver dernier, des fièvres malignes jointes à la terrible diphtérie se jetaient sur cette maison, et y faisaient l’une de ces moissons qui font dresser les cheveux sur la tête. Dix personnes furent emportées dans l’espace de quelques jours. Le soleil du joyeux jour de Pâques éclairait quatre cadavres dans la maison de ce père malheureux, les cadavres de ses quatre filles. Non seulement ses enfants furent ainsi moissonnés, mais la mort alla aussi frapper ses petits-fils : Tous les enfants de sa fille furent emportés avec leur mère. La mort semblait ne vouloir plus borner ses fureurs. Vraiment Dieu n’envoie de pareilles épreuves qu’à ceux qu’il préfère, et qu’il veut récompenser ensuite d’une manière digne de lui : Quia acceptus eras Deo, necesse fuit ut tentatio probaret te, Tob. XII, 13 ; parce que vous étiez agréable à Dieu, il a été nécessaire que la tentation vous éprouvât.

Père tendre, mère chrétienne et dévouée, je sais que votre douleur a été terrible et qu’elle dépasse toute expression, mais consolez-vous en regardant au ciel. Le ciel a des splendeurs qui peuvent nous faire pénétrer l’énigme de cette vie. Vous avez été traités moins sévèrement que le saint homme Job, puisque Dieu vous a laissé l’aîné de vos fils, l’espoir de votre maison. Quand vous aurez accompli votre tâche ici-bas, quand la mort vous détachera des bras de ce cher enfant, votre cœur devra éprouver peu d’angoisses et de terreur, toute une famille vous sourira du haut du ciel.

Monseigneur donna des souvenirs à Monsieur et à Madame Vaugeois, et il consola par des paroles suaves ces cœurs si profondément affligés. Il les remercia de l’hospitalité généreuse qu’ils donnent depuis longtemps au missionnaire, et de cette réception princière qui nous avait été faite.

Monseigneur donna aussi des souvenirs à ceux de nos rameurs qui n’en avaient pas encore reçu, à M. Neault comme premier colon ; et apercevant alors la vieille femme qui avait si bien chanté la veille, il lui donna aussi une petite récompense.


  1. Ce nommé Château était du district de Montréal. Il paraît qu’il se noya à la pointe qui porte son nom.
  2. Joseph Varin.