Dialogue (Corneille)
XII
Dialogue.
Il faut se rappeler que Tirsis[1] est le nom que Corneille s’est choisi lorsqu’il a mis au théâtre l’aventure qui fait le sujet de Mélite. Il n’est peut-être pas trop hasardé de supposer qu’il a écrit ces vers lorsqu’il a obtenu de Mlle Milet l’aveu qu’il n’osait espérer. Ce dialogue n’a pu, comme le sonnet que nous avons vu plus haut (p. 44), entrer textuellement dans la comédie ; mais Corneille semble se l’être rappelé en écrivant la scène iv de l’acte V, où Tircis et Mélite s’entretiennent seuls ; on y retrouve (vers 1635) ces mots que le poëte tenait à conserver et qui font ici l’effet d’un refrain : « Tu t’en peux assurer. » Faut-il croire que ce soient là les propres paroles de Mlle Milet ?…
Caliste, mon plus cher souci,
Prends pitié de l’ardeur qui me dévore l’âme.
Tirsis, ne vois-tu pas aussi
Que mon cœur embrasé brûle de même flamme ?
Je n’ose l’espérer.
Tu t’en peux assurer.
Mais mon peu de mérite
Défend un si haut point à ma présomption.
Mais cette récompense est plutôt trop petite
Pour tant d’affection.
Je croirai, puisque tu le veux,
Que maintenant mon mal aucunement[2] te touche.
La mort seule éteindra mes feux,
Et j’en ai plus au cœur mille fois qu’en la bouche.
Je n’ose l’espérer.
Tu t’en peux assurer.
Hélas ! que ton courage
M’apprête de rigueurs à souffrir sous ta loi !
Ce que j’ai de rigueurs, j’en réserve l’usage
Pour tout autre que toi.
Si quelqu’un plus riche ou plus beau,
Et mieux fourni d’appas, à te servir se range ?
J’élirois plutôt le tombeau,
Que ma volage humeur se dispensât[3] au change.
Je n’ose l’espérer.
Tu t’en peux assurer.
Mais pourrois-tu, ma belle,
Dédaigner un amant qui vaudroit mieux que moi ?
Pourrois-je préférer à ton amour fidèle
Une incertaine foi ?
Si la rigueur de tes parents
À quelque autre parti plus sortable t’engage ?
Les saints devoirs que je leur rends
Jamais dessus ma foi n’auront cet avantage.
Je n’ose l’espérer.
Tu t’en peux assurer.
Quoi ? parents, ni richesses,
Ni grandeurs ne pourront ébranler tes esprits ?
Tout cela, mis auprès de tes chastes caresses,
Perd son lustre et son prix.
- ↑ Dans l’édition de 1632 ce nom est écrit par un c au troisième vers ; partout ailleurs, par une s.
- ↑ Aucunement, en quelque manière, jusqu’à un certain point. Voyez le Lexique.
- ↑ Voyez tome I, p. 208, note 2 ; tome II, p. 201, vers 1443 ; et le Lexique. — Se disposât, dans les Œuvres diverses, publiées par Granet, et dans toutes les éditions suivantes.