Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Escalier

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ESCALIER, s. m. Degré. Nous distinguerons les escaliers extérieurs (qu’il ne faut pas confondre avec les perrons) des escaliers intérieurs, les escaliers à rampes droites des escaliers à girons et à vis, les escaliers de pierre des escaliers de bois. Dans les édifices romains, les théâtres et amphithéâtres exceptés, les escaliers sont assez étroits et peu nombreux. D’ailleurs les Romains employaient les escaliers à rampes droites et à vis ; mais ils ne paraissent pas (du moins dans les intérieurs) avoir jamais considéré l’escalier comme un motif de décoration monumentale, ainsi qu’on l’a fait dans les temps modernes. Les escaliers des édifices antiques sont un besoin satisfait de la manière la plus simple, un moyen pour communiquer d’un étage à l’autre, rien de plus. Nous ne déciderons pas si, en cela, les anciens avaient tort ou raison ; nous constatons seulement le fait, afin qu’on ne puisse accuser les architectes des premiers temps du moyen âge d’être restés en cela fort au-dessous de leurs maîtres.

D’ailleurs les architectes du moyen âge, comme les architectes romains, n’eussent jamais établi, dans un bâtiment, un escalier dont les rampes auraient bouché une ordonnance de baies, ainsi que cela se fait volontiers de notre temps, même dans de grands édifices. Les Romains gardaient les dispositions monumentales des escaliers pour les degrés extérieurs à ciel ouvert. À l’intérieur, ils plaçaient toujours les rampes perpendiculairement aux murs de face, afin que les hauteurs des paliers pussent concorder avec les hauteurs des planchers et par conséquent avec l’ordonnance des baies ; mais nous reviendrons sur cette question importante.

Pour peu qu’on se soit occupé de distributions intérieures, on sait combien il est difficile de disposer convenablement les escaliers, soit pour satisfaire aux programmes, soit pour ne pas gêner des dispositions architectoniques extérieures ou intérieures. Les anciens ne soulevaient pas la difficulté ; c’était un moyen de ne pas avoir besoin de la résoudre.

L’escalier romain le plus ordinaire est ainsi disposé (1). Il se compose de deux rampes séparées par un mur de refend, la première arrivant à un palier d’entresol A, la seconde au palier de premier étage B, et ainsi de suite. Les marches sont alors portées sur les voûtes rampantes, si les degrés sont très-larges, ou simplement engagées par les deux bouts dans les murs, si ces degrés sont étroits. C’est ainsi que sont conçus et exécutés les escaliers des thermes, des théâtres et amphithéâtres romains. On ne chercha pas d’autre système d’escalier dans les premiers monuments du moyen âge. Mais il est facile de voir que ces doubles rampes conduisaient toujours au-dessus du point dont on était parti, ce qui pouvait, dans bien des cas, ne pas s’arranger avec les distributions ; on eut donc recours à l’escalier à vis ou en limaçon, qui présente cet avantage de faire monter dans un petit espace et de donner accès sur tous les points de la circonférence du cylindre dans lequel s’élèvent ces sortes de degrés. Ces premiers principes posés, nous nous occuperons d’abord des escaliers à rampes droites, extérieurs, découverts ou couverts.

Escaliers extérieurs. — Bien qu’on ne fasse plus guère aujourd’hui de ces sortes d’escaliers, il faut reconnaître qu’ils étaient fort commodes, en ce qu’ils ne gênaient en rien les dispositions intérieures et ne coupaient pas les bâtiments du haut en bas, en interceptant ainsi les communications principales. L’un des plus anciens et des plus beaux escaliers ainsi disposés se voit encore dans l’enceinte des bâtiments de la cathédrale de Canterbury. Cet escalier, bâti au XIIe siècle, est situé près de l’entrée principale et conduisait à la salle de réception (salle de l’étranger) ; il se compose d’une large rampe perpendiculaire à l’entrée de la salle, avec palier supérieur ; il est couvert, et le comble, dont les sablières sont horizontales, est supporté par une double arcature à jour fort riche, dont les colonnes diminuent suivant l’élévation des degrés[1].

La plupart des grand’salles des châteaux étaient situées au premier étage, et on y montait soit par de larges perrons, soit par des rampes droites couvertes, accolées ou perpendiculaires à ces salles.

La grand’salle du château de Montargis, qui datait de la seconde moitié du XIIIe siècle, possédait un escalier à trois rampes avec galerie de communication portée sur des arcs (voy. Château, fig. 15).

Cet escalier était disposé de telle façon que, de la grand’salle A (voy. le plan fig. 2), on pouvait descendre sur l’aire de la cour par les trois degrés BCD. Il était couvert par des combles en bois posant sur des colonnes et piliers en pierre[2]. On appelait, dans les palais, ces sortes d’escaliers le degré, par excellence. La rampe avait nom épuiement[3] :

« El palès vint, l’épuiement
De sanc le truva tut sanglant. »

Les couvertures de ces rampes droites étaient ou en bois, comme à Canterbury et à Montargis, ou voûtées, comme, beaucoup plus tard, à la Chambre des comptes et à la Sainte-Chapelle de Paris. Ces deux derniers degrés montaient le long du bâtiment.
Celui de la Chambre des comptes, élevée sous Louis XII, était un chef-d’œuvre d’élégance ; il aboutissait à une loge A s’ouvrant sur les appartements (fig. 3, voy. le plan). Cette loge et le porche B étaient voûtés ; la rampe était couverte par un lambris. Sur la face du porche, on voyait, en bas-relief, un écu couronné aux armes de France, ayant pour supports deux cerfs ailés, la couronne passée au cou et le tabar du héraut d’armes de France déployé au dos. Sous l’écu, un porc-épic surmonté d’une couronne, avec cette légende au bas :

« Regia Francorum probitas Ludovicus, honesti
Cultor, et æthereæ religionis apex. »


Le tout sur un semis de fleurs de lis et de dauphins couronnés. Le semis de fleurs de lis était sculpté aussi sur les tympans des arcs et sur les pilastres. La balustrade pleine présentait, en bas-relief, des L passant à travers des couronnes, puis des dauphins[4].

Pour monter sur les chemins de ronde des fortifications, on établissait, dès le XIIe siècle, de longues rampes droites le long des courtilles, avec parapet au sommet. Les marches reposaient alors sur des arcs et se profilaient toujours à l’extérieur, ce qui permettait de donner plus de largeur à l’emmarchement et produisait un fort bon effet, en indiquant bien clairement la destination de ces rampes, fort longues, si les chemins de ronde dominaient de beaucoup le sol intérieur de la ville.

À Aigues-Mortes, à Avignon, à Villeneuve-lès-Avignon, à Jérusalem, à Beaucaire, à Carcassonne, on voit encore quantité de ces escaliers extérieurs découverts qui ont un aspect très-monumental (4)[5].
Mais il arrivait souvent que, faute de place, ou pour éviter la construction de ces arcs, ou lorsqu’il fallait monter, le long d’un rempart très-élevé, au sommet d’une tour carrée, on posait les marches des escaliers découverts en encorbellement. Afin de donner à ces marches une saillie suffisante pour permettre à deux personnes de se croiser et une parfaite solidité, les architectes obtenaient la saillie voulue par un procédé de construction fort ingénieux.
Chaque marche était taillée ainsi que l’indique le tracé A (5), la partie B étant destinée à être engagée dans la muraille. Posant ces marches, ainsi combinées, les unes sur les autres, de manière à ce que le point C vînt tomber sur le point D, elles étaient toujours portées par une suite de retraites présentant un encorbellement des plus solides, ainsi que le font voir le tracé perspectif G, l’élévation H et le profil K. On voit encore un de ces escaliers, parfaitement exécuté, à l’intérieur de la tour dite d’Orange, à Carpentras (commencement du XIVe siècle). Ordinairement, il faut, pour qu’un escalier soit facilement praticable, que chaque marche ait en largeur la longueur d’un pied d’homme, soit 0,28 c. à 0,30 c., et en hauteur de 0,15 c. à 0,20 c. au plus, ce qui donne une inclinaison de 22 degrés ou environ. Mais, parfois, la place manque pour obtenir une pente aussi douce, et on est obligé, surtout dans les ouvrages de fortifications, de monter suivant un angle de 45 degrés, ce qui donne des marches aussi larges que hautes et ce qui rend l’ascension dangereuse ou fort pénible. En pareil cas, les constructeurs, observant avec raison que l’on ne met jamais qu’un pied à la fois sur chaque marche, soit pour monter, soit pour descendre, et que par conséquent il est inutile qu’une marche ait la largeur nécessaire à la pose du pied dans toute sa longueur, ces constructeurs, disons-nous, ont disposé leurs marches en coins, ainsi que l’indique la fig. 6,


de manière à ce que deux marches eussent ensemble 0,30 c. de hauteur et chacune 0,30 c. d’emmarchement par un bout, ce qui permettait d’inscrire la rampe dans un angle de 45 degrés. Seulement il fallait toujours poser le pied gauche sur la marche A, le pied droit sur la marche B en descendant, ou le contraire en montant. Le tracé perspectif C fait comprendre le système de ces degrés[6]. On le reconnaîtra, ce n’est jamais la subtilité qui fait défaut à nos architectes du moyen âge. Mais ces derniers exemples ne fournissent que des escaliers de service.

Escaliers intérieurs. — C’est-à-dire, desservant plusieurs étages d’un bâtiment, posés dans des cages comprises dans les constructions ou accolées à ces constructions. Les escaliers à vis, comme nous l’avons dit précédemment, furent employés par les Romains ; les architectes du moyen âge adoptèrent ce système de préférence à tout autre, variant les dimensions des escaliers à noyau en raison des services auxquels ils devaient satisfaire. Ces sortes d’escaliers présentaient plusieurs avantages qu’il est important de signaler : 1o ils pouvaient être englobés dans les constructions ou n’y tenir que par un faible segment ; 2o ils prenaient peu de place ; 3o ils permettaient d’ouvrir des portes sur tous les points de leur circonférence et à toutes hauteurs ; 4o ils s’éclairaient aisément ; 5o ils étaient d’une construction simple et facile à exécuter ; 6o ils devenaient doux ou rapides à volonté ; 7o pour les châteaux, les tours, ils étaient barricadés en un moment ; 8o ils montaient de fond jusqu’à des hauteurs considérables sans nuire à la solidité des constructions voisines ; 9o ils étaient facilement réparables.

Les plus anciens escaliers à vis du moyen âge se composent d’un noyau en pierre de taille, d’une construction en tour ronde, d’un berceau en spirale bâti en moellon, reposant sur le noyau et sur le parement circulaire intérieur. Cette voûte porte des marches en pierre dont les arêtes sont posées suivant les rayons d’un cercle.
La fig. 7 représente en plan et en coupe, suivant la ligne AB du plan, un de ces escaliers si fréquents dans les édifices des XIe et XIIe siècles. La porte extérieure de l’escalier étant en D, la première marche est en C. Ces marches sont posées sur un massif jusqu’au parement G ; à partir de ce point commence la voûte spirale que l’on voit figurée en coupe. Les tambours du noyau portent un petit épaulement H pour recevoir les sommiers du berceau qui, de l’autre part, sont entaillés dans le mur circulaire I. Les marches sont posées sur l’extrados du berceau rampant et se composent de pierres d’un ou de plusieurs morceaux chacune. Généralement ces voûtes rampantes sont assez grossièrement faites en petits moellons maçonnés sur couchis. Les voûtes des escaliers du chœur de l’église abbatiale d’Eu, qui datent du XIIe siècle, sont cependant exécutées avec une grande précision ; mais les Normands étaient dès lors de très-soigneux appareilleurs.
Voici, fig. 8, comme sont taillés les tambours du noyau qui reçoivent les sommiers du berceau rampant ; il arrive aussi que les portées de la voûte sont fréquemment entaillées dans le noyau cylindrique, ce qui affaiblit beaucoup celui-ci. Ces sortes d’escaliers ne dépassent guère 1m,00 c. d’emmarchement, et souvent sont-ils moins larges, les cages cylindriques n’ayant que six pieds, ou 1m,90 c. environ, dont déduisant le noyau, qui dans ces sortes d’escaliers a au moins un pied de diamètre, reste pour les marches 0,80 c. au plus. On reconnut bientôt que les voûtes rampantes pouvaient être supprimées ; lorsqu’au commencement du XIIIe siècle on exploita les pierres en plus grands morceaux qu’on ne l’avait fait jusqu’alors, on trouva plus simple de faire porter à chaque marche un morceau du noyau, de les faire mordre quelque peu l’une sur l’autre, et de leur ménager une portée entaillée de quelques centimètres le long du parement cylindrique de la cage. Ce procédé évitait les cintres, les couchis, une main-d’œuvre assez longue sur le tas ; il avait encore l’avantage de relier le noyau avec la cage par toutes ces marches qui formaient autant d’étrésillons. Ces marches pouvant être taillées à l’avance, sur un même tracé, un escalier était posé très-rapidement. Or, il ne faut pas perdre de vue que parmi tant d’innovations introduites dans l’art de bâtir par les architectes laïques de la fin du XIIe siècle, la nécessité d’arriver promptement à un résultat, de bâtir vite en un mot, était un des besoins les plus manifestes.
La fig. 9 donne le plan et la coupe[7] d’un de ces escaliers. La porte extérieure est en A, la première marche en B. Les recouvrements sont indiqués par lignes ponctuées, et le détail C présente une des marches en perspective, avec le recouvrement ponctué de la marche suivante. Quelquefois, pour faciliter l’échappement, les marches sont chanfreinées par-dessous ainsi qu’on le voit en D. Les dimensions de ces escaliers varient ; il en est dont les emmarchements n’ont que 0,50 c. ; les plus grands n’ont pas plus de 2m,00, ce qui exigeait des pierres très-longues ; aussi, pour faire les marches du grand escalier du Louvre, Charles V avait-il été obligé d’acheter d’anciennes tombes à l’église des Saints-Innocents[8], probablement parce que les carrières de liais de Paris n’avaient pu fournir à la fois un nombre de morceaux de la dimension voulue ; en effet cet escalier était très-large ; nous y reviendrons. Dans l’intérieur des châteaux les escaliers à vis étaient singulièrement multipliés ; en dehors de ceux qui montaient de fond, et qui desservaient tous les étages, il y en avait qui établissaient, dans l’épaisseur des murs, une communication entre deux étages seulement, et qui n’étaient fréquentés que par les personnes qui occupaient ces appartements superposés. À propos de la domination que la reine Blanche de Castille avait conservée sur l’esprit de son fils, Joinville raconte : « Que la royne Blanche ne vouloit soufrir à son pooir que son filz feust en la compaingnie sa femme, ne mez que le soir quand il aloit coucher avec li (elle). Les hostiex (logis)là où il plesoit miex à demourer, c’estoit à Pontoise, entre le roy et la royne, pour ce que la chambre le roy estoit desus et la chambre (de la reine) estoit desous. Et avoient ainsi acordé leur besoigne, que il tenoient leur parlement en une viz qui descendoit de l’une chambre en l’autre ; et avoient leur besoignes si attirées (convenues d’avance), que quant les huissiers veoient venir la royne en la chambre du roy son filz, il batoient les huis de leur verges, et le roy s’en venoit courant en sa chambre, pour ce que (dans la crainte que) sa mère ne l’i trouvast ; et ainsi refesoient les huissiers de la chambre de la royne Marguerite quant la royne Blanche y venoit, pour ce qu’elle (afin qu’elle) y trouvast la royne Marguerite. Une fois estoit le roy de côté la royne sa femme, et estoit (elle) en trop grant péril de mort, pour ce qu’elle estoit bleciée d’un enfant qu’elle avoit eu. Là vint la royne Blanche, et prist son filz par la main et li dist : --Venés-vous-en, vous ne faites riens ci[9]. »

Ces escaliers, mettant en communication deux pièces superposées, n’étaient pas pris toujours aux dépens de l’épaisseur des murs ; ils étaient visibles en partie, posés dans un angle ou le long des parois de la chambre inférieure, et ajourés sur cette pièce. À ce propos, il est important de se pénétrer des principes qui ont dirigé les architectes du moyen âge dans la construction des escaliers. Ces architectes n’ont jamais vu dans un escalier autre chose qu’un appendice indispensable à tout édifice composé de plusieurs étages, appendice devant être placé de la manière la plus commode pour les services, comme on place une échelle le long d’un bâtiment en construction, là où le besoin s’en fait sentir. L’idée de faire d’un escalier une façon de décoration théâtrale dans l’intérieur d’un palais, de placer cette décoration d’une manière symétrique pour n’arriver souvent qu’à des services secondaires, de prendre une place énorme pour développer des rampes doubles, cette idée n’était jamais entrée dans l’esprit d’un architecte de l’antiquité ou du moyen âge. Un escalier n’était qu’un moyen d’arriver aux étages supérieurs d’une habitation. D’ailleurs les grandes salles des châteaux étaient toujours disposées presque à rez-de-chaussée, c’est-à-dire au-dessus d’un étage bas, le plus souvent voûté, sorte de cave ou de cellier servant de magasins. On arrivait au sol des grandes salles par de larges perrons, comme à celles des palais de Paris et de Poitiers, ou par des rampes extérieures comme à celle du château de Montargis (voy. fig. 2). Les escaliers proprement dits n’étaient donc destinés généralement qu’à desservir les appartements privés. Toute grande réunion, fête, cérémonie ou banquet, se tenait dans la grande salle ; il n’y avait pas utilité à établir pour les étages fréquentés par les familiers de larges degrés ; l’important était de disposer ces degrés à proximité des pièces auxquelles ils devaient donner accès. C’est ce qui explique la multiplicité et l’exiguïté des escaliers de châteaux jusqu’au XVe siècle. Cependant nous venons de dire qu’au Louvre, Charles V avait déjà fait construire un grand escalier à vis pour monter aux étages supérieurs du palais ; mais c’était là une exception ; aussi cet escalier passait-il pour une œuvre à nulle autre pareille. Sauval[10] nous a laissé une description assez étendue de cet escalier, elle mérite que nous la donnions en entier.

« Le grand escalier, ou plutôt la grande vis du Louvre (puisqu’en ce (temps-là le nom d’escalier n’était pas connu), cette grande vis, dis-je, fut faite du règne de Charles V, et conduite par Raimond du Temple, maçon ordinaire du roi[11]. Or, il faut savoir que les architectes des siècles passés ne faisoient point leurs escaliers ni droits, ni quarrés, ni à deux, ni à trois, ni à quatre banchées, comme n’ayant point encore été inventés[12], mais les tournoient toujours en rond, et proportionnoient du mieux qu’il leur étoit possible leur grandeur et leur petitesse à la petitesse et à la grandeur des maisons[13]. La grande vis de ce palais étoit toute de pierre de taille ainsi que le reste du bâtiment, et de même que les autres de ce temps-là : elle étoit terminée d’une autre (vis) fort petite, toute de pierre encore et de pareille figure, qui conduisoit à une terrasse, dont on l’avoit couronnée (dont on avait couronné la grande vis) ; chaque marche de la petite (vis) portoit trois pieds de long et un et demi de large ; et pour celles de la grande, elles avoient sept pieds de longueur sur un demi d’épaisseur, avec deux et demi de giron près de la coquille qui l’environnoit. »

« On voit, dans les registres de la Chambre des comptes, qu’elles portoient ensemble dix toises un demi-pied de hauteur[14], que la grande (vis) consistoit en quatre-vingt-trois marches[15], et la petite en quarante et une[16] ; elles furent faites à l’ordinaire de la pierre qu’on tira des carrières d’autour de Paris. Et comme si pour les faire, ces carrières eussent été épuisées, pour l’achever on fut obligé d’avoir recours au cimetière Saint-Innocent, et troubler le repos des morts : de sorte qu’en 1365, Raimond du Temple, conducteur de l’ouvrage, enleva vingt tombes le 27 septembre, qu’il acheta quatorze sols parisis la pièce de Thibault de la Nasse, marguillier de l’église, et enfin les fit tailler par Pierre Anguerrand et Jean Colombel pour servir de pallier. »

« Nous l’avons vu ruiner (cet escalier), en 1600, quand Louis XIII fit reprendre l’édifice du Louvre, sous la conduite d’Antoine Lemercier. Pour le rendre plus visible et plus aisé à trouver, maître Raimond le jeta entièrement hors-d’œuvre en dedans la cour[17], contre le corps de logis qui regardoit sur le jardin[18] ; et pour le rendre plus superbe (l’escalier), il l’enrichit par dehors de basses-tailles, et de dix grandes figures de pierre couvertes chacune d’un dais, posées dans une niche, portées sur un piédestal : au premier étage, de côté et d’autre de la porte, étoient deux statues de deux sergens-d’armes, que fit Jean de Saint-Romain[19], et autour de la cage furent répandues par dehors, sans ordre ni symétrie, de haut en bas de la coquille, les figures du roi, de la reine et de leurs enfans mâles[20] ; Jean du Liége travailla à celles du roi et de la reine ; Jean de Launay et Jean de Saint-Romain partagèrent entre eux les statues du duc d’Orléans et du duc d’Anjou ; Jacques de Chartres et Gui de Dampmartin, celles des ducs de Berri et de Bourgogne ; et ces sculpteurs, pour chaque figure, eurent vingt francs d’or, ou seize livres parisis. Enfin, cette vis étoit terminée des figures de la Vierge et de saint Jean de la façon de Jean de Saint-Romain ; et le fronton de la dernière croisée[21] étoit lambrequiné des armes de France, de fleurs de lis sans nombre[22], qui avoient pour support deux anges, et pour cimier un heaume couronné, soutenu aussi par deux anges, et couvert d’un timbre chargé de fleurs de lis par dedans. Un sergent-d’armes haut de trois pieds, et sculpté par Saint-Romain, gardoit chaque porte des appartemens du roi et de la reine qui tenoient à cet escalier ; la voûte qui le terminoit étoit garnie de douze branches d’orgues (nervures), et armée dans le chef (à la clef) des armes de Leurs Majestés, et dans les panneaux (remplissages entre les nervures) de celles de leurs enfans[23] et fut travaillée (la sculpture de cette voûte), tant par le même Saint-Romain que par Dampmartin, à raison de trente-deux livres parisis, ou quarante francs d’or. »

Il faut ajouter à cette description que cet escalier communiquait avec la grosse tour du Louvre au moyen d’une galerie qui devait avoir été bâtie de même sous Charles V, car du temps de Philippe-Auguste, le donjon était entièrement isolé. Essayons donc de reconstituer cette partie si intéressante du vieux Louvre, à l’aide de ces renseignements précis et des monuments analogues qui nous restent encore dans des châteaux des XVe et XVIe siècles. La grande vis du Louvre était entièrement détachée du corps de logis du nord, et ne s’y reliait que par une sorte de palier ; cela ressort du texte de Sauval ; de l’autre côté l’escalier était en communication avec le donjon par une galerie. Cette galerie devait nécessairement former portique à jour, à rez-de-chaussée, pour ne pas intercepter la communication d’un côté de la cour à l’autre. Ménageant donc les espaces nécessaires à l’amorce du portique et de l’entrée dans le corps de logis du nord, tenant compte de la longueur des marches et de leur giron, observant qu’à l’extérieur l’architecte avait pu placer dix grandes statues à rez-de-chaussée dans des niches surmontées de dais, que, par conséquent, ces figures ne pouvaient être posées que sur des faces de contre-forts, tenant compte des douze branches d’arcs de voûtes mentionnées par Sauval, de la longueur et du giron des marches de la petite vis, nous sommes amené à tracer le plan du rez-de-chaussée, fig. 10.
En A est la jonction de l’escalier avec le corps de logis du nord B. En C est le portique portant la galerie de réunion de l’escalier avec le donjon. La première marche est en D. Jusqu’au palier E, tenant compte du giron des marches, on trouve seize degrés. Seize autres degrés conduisaient au second palier posé au-dessus de la voûte F. Seize degrés arrivaient au troisième palier au-dessus de celui E. De ce troisième palier on montait d’une volée jusqu’au quatrième palier, toujours au-dessus de celui E, par trente-cinq marches, total, quatre-vingt-trois. Le noyau central, assez large pour porter le petit escalier supérieur, devait être évidé pour permettre, à rez-de-chaussée, de passer directement du portique C au logis B. Au-dessus ce noyau vide pouvait être destiné, ainsi que cela se pratiquait souvent, à recevoir des lampes pour éclairer les degrés pendant la nuit. La première rampe était probablement posée sur massif ou sur voûtes basses ; la seconde reposait sur des voûtes G qui permettaient de circuler sous cette rampe. Notre plan nous donne en H dix contre-forts pouvant recevoir les dix grandes statues.
Une coupe, fig. 11, faite sur la ligne CB, explique les révolutions des rampes et les divers paliers de plain-pied avec les étages du logis B. Elle nous indique la structure du noyau ajouré, et, en K, le niveau du dernier palier de la grande vis, à partir duquel commence à monter la petite vis portant quarante et une marches jusqu’au niveau de la terrasse supérieure. Cette petite vis prenait ses jours dans la cage de la grande au moyen d’arcatures ressautantes. Nous ne prétendons pas, cela va sans dire, présenter ces figurés comme un relevé scrupuleux de ce monument détruit depuis le XVIIe siècle, et dont il ne reste aucun dessin ; nous essayons ici de résumer dans une étude les diverses combinaisons employées par les architectes des XIVe et XVe siècles, lorsqu’ils voulaient donner à leurs escaliers un aspect tout à fait monumental. On comprend très-bien comment Raymond du Temple s’était procuré difficilement un nombre aussi considérable de marches et de paliers de grandes dimensions, devant offrir une parfaite résistance, puisque, suivant la méthode alors adoptée, ces marches, sauf celles des deux premières révolutions, ne portaient que par leurs extrémités. Quant aux paliers, qu’il eût été impossible de faire d’un seul morceau, nous les avons supposés portés, soit par des voûtes, soit par des arcs ajourés,


ainsi que l’indique la vue perspective (12) prise au-dessous du palier supérieur.

Les architectes, devenus très-habiles traceurs-géomètres dès la fin du XIIIe siècle, trouvaient dans la composition des escaliers un sujet propre à développer leur savoir, à exciter leur imagination. Leur système de construction, leur style d’architecture se prêtait merveilleusement à l’emploi de combinaisons compliquées, savantes, et empreintes d’une grande liberté ; aussi (bien que les monuments existants soient malheureusement fort rares) les descriptions de châteaux et de monastères font-elles mention d’escaliers remarquables.

Souvent, par exemple, ces grandes vis de palais étaient à double révolution, de sorte que l’on pouvait descendre par l’une et remonter par l’autre sans se rencontrer et même sans se voir. D’autres fois, deux vis s’élevaient l’une dans l’autre ; l’une dans une cage intérieure, l’autre dans une cage extérieure ; combinaison dont on peut se faire une idée, en supposant que la petite vis figurée dans la coupe, figure 11, descend jusqu’au rez-de-chaussée. La vis intérieure devenait escalier de service, et le degré circonvolutant, escalier d’honneur. Indépendamment des avantages que l’on pouvait tirer de ces combinaisons, il est certain que les architectes, aussi bien que leurs clients, se plaisaient à ces raffinements de bâtisses ; dans ces châteaux où les journées paraissaient fort longues, ces bizarreries, ces surprises, étaient autant de distractions à la vie monotone des châtelains et de leurs hôtes.

On voyait aux Bernardins de Paris, dit Sauval[24], « une vis tournante à double colonne (noyau) où l’on entre par deux portes, et où l’on monte par deux endroits, sans que de l’un on puisse être vu dans l’autre ; cette vis a dix pieds de profondeur (3m, 25), et chaque marche porte de hauteur huit à neuf pouces (0m, 23). Les marches sont délardées, et ne sont point revêtues d’autres pierres. C’est le degré de la manière la plus simple, et la plus rare de Paris ; toutes les marches sont par dessous délardées. Sa beauté et sa simplicité consistent dans les girons de l’un et de l’autre, portant un pied ou environ, qui sont entrelassés, enclavés, emboîtés, enchaînés, enchâssés, entretaillés l’un dans l’autre, et s’entremordant d’une façon aussi ferme que gentille. Les marches de l’autre bout sont appuyées sur la muraille de la tour qui l’environne ; ces deux escaliers sont égaux l’un à l’autre en toutes leurs parties ; la façon du noyau est semblable de haut en bas, et les marches pareilles en longueur, en largeur et en hauteur. L’église et le degré furent commencés par le pape Benoît XII du nom, de l’ordre de saint Bernard, continué par un cardinal du même ordre nommé Guillaume. Ces degrés n’ont que deux croisées, l’une qui les éclaire tous deux par en haut, l’autre par en bas[25]. » En cherchant à expliquer par une figure la description de Sauval, on trouverait le plan (13).
En A et B sont les deux entrées, en C et D les deux premières marches ; le nombre de marches à monter de C en E, vu la hauteur de ces marches, permet de dégager sous le giron E pour prendre la seconde rampe D ; les degrés continuent ainsi à monter en passant l’un au-dessus de l’autre. Il est clair que deux personnes montant par C et par D ne pouvaient ni se voir ni se rencontrer. Sauval décrit encore de très-jolis escaliers qui se trouvaient à Saint-Méderic de Paris et qui dataient de la fin du XVe siècle. Voici ce qu’il en dit[26] : « Il existait deux vis de Saint-Gille dans les deux tourelles qui sont aux deux côtés de la croisée hors-d’œuvre. L’une est à pans et l’autre ronde. Toutes deux ont été dessinées par un architecte très-savant et fort entendu à la coupe des pierres. La ronde est couverte d’une voûte en cul-de-four ou coquille, si bien et si doucement conduite, qu’il est difficile d’en trouver une dont les traits fort doux et hardis soient ni mieux conduits ni mieux exécutés. Sa beauté consiste particulièrement en six portes qui se rencontrent toutes ensemble en un même endroit et sur un même palier aussi bien que les traits de tous leurs jambages, et cela sans confusion, chose surprenante et admirable. La colonne de cette vis ronde est en quelques endroits torse ou ondée, et quoique les traits partent des deux arêtes où l’onde est renfermée, ils sont toutefois si bien conduits que la voûte en est toujours et partout de semblable ordonnance.

« L’autre vis à pans est tantôt pentagone et tantôt hexagone. Son noyau est des plus grêles et ses arêtes des plus pointues, et est de haut en bas conduit avec la même délicatesse et la même excellence de l’autre. La merveille de ces deux vis consiste en leur petitesse et en la tendresse des murailles qui les soutiennent, ne portant pas neuf pouces d’épaisseur (0m,23). »

Nous n’en finirions pas si nous voulions citer tous les textes qui s’occupent des escaliers du moyen âge et particulièrement de ceux du commencement de la Renaissance, car à cette époque c’était à qui, dans les résidences seigneuriales, les hôtels et les couvents mêmes, élèverait les plus belles vis et les plus surprenantes. Dans la description de l’abbaye de Thélème, Rabelais ne pouvait manquer d’indiquer une vis magistrale « cent fois plus magnifique » que n’est celle de Chambord. « Au milieu (des bâtiments, dit-il)[27] estoit une merveilleuse viz, de laquelle l’entrée estoit par les dehors du logis en un arceau large de six toises. Icelle estoit faite en telle symétrie et capacité, que six hommes d’armes, la lance sur la cuisse, pouvoient de front monter jusques au-dessus de tous le bastiment[28]. »

Nous avons vu comment Raymond du Temple avait disposé le grand escalier du Louvre en dehors des bâtiments afin de n’être point gêné dans la disposition des entrées, des passages de rampes et des paliers. Cette méthode, excellente d’ailleurs, persiste longtemps dans la construction des habitations seigneuriales ; nous la voyons adoptée dans le château de Gaillon (14).


Ici l’escalier principal était posé à l’angle rentrant formé par deux portiques E F. On pouvait prendre la vis en entrant par deux arcs extérieurs A A et par deux arcs B B donnant sous le portique, la première marche étant en D. Cette disposition permettait, aux étages supérieurs, d’entrer dans les galeries par une ouverture percée dans l’angle en G[29]. Un pareil escalier ne pouvait en rien gêner les distributions intérieures. À Blois nous retrouvons un escalier indépendant des corps de logis et placé au milieu d’une des ailes au lieu d’être élevé dans un angle. Dans la construction du palais des Tuileries, Philibert Delorme avait encore conservé cette tradition de la grande vis du moyen âge, et son escalier placé dans le pavillon dit de l’Horloge aujourd’hui passait, comme celui de Chambord, pour une merveille d’architecture. D’ailleurs, les vis de Gaillon, de Blois, de Chambord et des Tuileries étaient terminées par des lanternes qui, comme celle du grand escalier du Louvre, couronnaient le faîte et donnaient entrée sur une terrasse[30]. Quelquefois aussi ces vis étaient intercalées dans les constructions, mais de telle façon qu’elles conservaient leurs montées indépendantes. On retrouve cette disposition adoptée dans des châteaux du XVe siècle et du commencement du XVIe. Alors la vis, au lieu d’être en dehors du portique comme à Gaillon, laissait le portique passer devant elle.


La figure 15 présente en plan un escalier établi d’après cette donnée. Un portique A B est planté à rez-de-chaussée devant les pièces d’habitation. La cage d’escalier est en retraite et carrée, son entrée est en E, la première marche en C. Dans les angles du carré des trompes arrivent à une corniche spirale et soutiennent les marches d’angles, qui sont plus longues que les autres. De cette manière les gens qui montent ou descendent profitent entièrement de la cage carrée, et, cependant, les marches délardées par dessous sont toutes de la même longueur, comme si elles gironnaient dans un cylindre.


La coupe de cet escalier, faite sur la ligne A B, figure 16, indique clairement la disposition des rampes, de leurs balustrades, des arrivées sur le sol du portique à l’entresol en G, et au premier en H. Il existe une disposition d’escalier absolument semblable à celle-ci dans le château de Châteaudun[31]. Mais dans la vis de Châteaudun les trompes d’angle arrivent du carré à l’octogone, et des culs-de-lampes posés aux angles de l’octogone portent la corniche spirale, dont la projection horizontale étant un cercle parfait soutient les bouts des marches.


Une vue prise à la hauteur de la première révolution de l’escalier de Châteaudun, figure 17, là où cette révolution coupe le portique du rez-de-chaussée dans sa hauteur, fait saisir l’arrangement des trompes, des culs-de-lampes, de la corniche en spirale et des marches délardées en dessous. Cet arrangement est d’ailleurs représenté en projection horizontale dans le plan (18).

Les trompes de la vis de Châteaudun sont appareillées ; ce sont des plates-bandes légèrement inclinées vers l’angle ; cet escalier était d’un assez grand diamètre pour exiger cet appareil. Dans des vis d’un moins grand développement, les angles, qui du carré arrivent à un octogone, n’ont pas autant d’importance ; ces angles forment seulement un pan abattu de façon à donner en projection horizontale un octogone à quatre grands côtés et à quatre plus petits. Alors ces trompes, ou ces goussets plutôt, sont appareillés d’une seule pierre. L’escalier de l’hôtel de la Trémoille à Paris[32] donnait en plan un carré avec un grand pan abattu ; les trois angles droits restant à l’intérieur étaient, sous les marches, garnis de trompillons pris dans une seule pierre sculptée.


Nous donnons, figure 19, l’un de ces trompillons. C’était dans ces angles que l’on plaçait les flambeaux destinés à éclairer les degrés. Ces flambeaux étaient, soit portés sur de petits culs-de-lampes, quelquefois dans de petites niches, soit scellés dans la muraille en manière de bras.

Les textes que nous avons cités précédemment indiquent assez combien, dans les habitations seigneuriales, on tenait à donner (au moins à dater du XIVe siècle) une apparence de luxe aux grands escaliers. Les architectes déployaient les ressources de leur imagination dans les voûtes qui les terminaient et dans la composition des noyaux. Il existe encore à Paris, dans la rue du Petit-Lion-Saint-Sauveur, une grosse tour qui dépendait autrefois de l’hôtel que les ducs de Bourgogne possédaient rue Pavée-Saint-Sauveur. Cette tour, bâtie sur plan quadrangulaire, couronnée de mâchicoulis, contient une belle vis fermée à son sommet par une voûte retombant sur le noyau ; les nervures de cette voûte en arcs d’ogive figurent des troncs de chêne d’où partent des branches feuillues se répandant sous les voussures[33]. Les noyaux des escaliers à vis primitifs, ou portaient une voûte spirale (figure 7), ou faisaient partie des marches elles-mêmes (figure 9). Lorsque l’on donna un grand diamètre à ces escaliers, il ne fut plus possible de prendre le noyau dans la marche ; on élargit ces noyaux pour éviter l’aiguïté des marches se rapprochant du centre, et celles-ci furent encastrées dans ce noyau bâti par assises, ou bien encore on composa les noyaux de grandes pierres en délit comme on le fait pour les poteaux des vis en charpente. Ce fut alors que l’on enrichit ces noyaux de sculptures délicates, qu’on les mit à jour quelquefois, et que les appareilleurs eurent l’occasion de faire preuve de science. Ces noyaux portèrent des mains-courantes prises dans la masse et des saillies en forme de bandeau spirale, pour recevoir les petits bouts des marches.

Le noyau de l’escalier de Châteaudun, donné fig. 17, est couvert d’ornements très-délicats ; il est monté en assises hautes ; nous en donnons, fig. 20, un morceau.
En A est la main-courante, et en B le bandeau recevant les marches dont l’incrustement est indiqué dans notre dessin. Le noyau de la vis de l’hôtel de la Trémoille était fait de trois morceaux de pierre du haut en bas, posés en délit, couverts de sculptures, et recevant de même, dans des encastrements, les bouts des degrés[34]. Les morceaux superposés de cet arbre de pierre étaient reliés entre eux au moyen de forts goujons de pierre dure. Inutile de dire que la taille de pareils noyaux, faite avant la pose, devait exiger une adresse et une connaissance du trait fort remarquables.

Parfois, dès le XIVe siècle, lorsqu’on n’avait qu’un très-petit espace pour développer les escaliers à vis intérieurs, on supprimait entièrement le noyau afin de laisser du dégagement pour ceux qui montaient ou descendaient. Les marches étaient alors simplement superposées en spirale, et portaient chacune un boudin à leur extrémité, près du centre, pour offrir une main-courante ; à la place du noyau était un vide.


Voici (21), en A la moitié du plan d’une vis de ce genre, en B sa coupe sur la ligne CD, et en G une de ses marches en perspective, avec l’indication au pointillé des surfaces non vues et du lit inférieur. Il arrivait aussi que dans les intérieurs des appartements, et pour communiquer d’un étage à l’autre, on élevait des escaliers prenant jour sur les salles, des vis enfermées dans des cages en partie ou totalement à claire-voie. Il existe deux charmants escaliers de ce genre, qui datent du commencement du XIIIe siècle, dans les deux salles de premier étage des tours de Notre-Dame de Paris. Nous ne croyons pas nécessaire de les donner ici, car ils ont été gravés plusieurs fois déjà, et sont parfaitement connus. On voit une de ces vis, enclose entre des colonnes, dans la cathédrale de Mayence, et qui date du milieu du XIIIe siècle ; nous donnons (22) la moitié de son plan et une révolution entière[35].


À partir du mur circulaire qui ne monte que jusqu’au niveau A, la construction consiste seulement en des marches portant noyau, et en des colonnettes, toutes d’égale hauteur, soutenant chacune l’extrémité extérieure d’une marche. Rien n’est plus simple et plus élégant que cette petite construction. On voit aussi des escaliers de ce genre à la partie supérieure des tours des cathédrales de Laon et de Reims. Ces vis s’élèvent au milieu des grands pinacles qui, du dernier étage de la façade, forment aux quatre angles des tours une décoration ajourée dans toute leur hauteur. Les vis des tours de Reims ont cela de particulier, que trois marches sont prises dans une seule assise (les matériaux avec lesquels ce monument fut élevé sont énormes), et que les bouts extérieurs de ces marches sont soulagés par des morceaux de pierres en délit. Chaque bloc est donc taillé conformément au tracé perspectif, fig. 23.


Des chandelles de pierre B viennent soulager les portées A, puis se poser au-dessus des extrémités des marches en C. Par le fait, c’est le noyau D qui porte toute la charge, et les pierres B ne sont qu’une suite d’étançons formant clôture à jour. Il arrive aussi que ces vis sont mi-partie engagées dans la muraille, mi-partie ajourées ; c’était ainsi qu’étaient disposés la plupart des escaliers intérieurs qui mettaient en communication deux pièces superposées. L’escalier de la tribune de l’église Saint-Maclou de Rouen (XVIe siècle), celui du chœur de la cathédrale de Moulins (XVe siècle), fournissent de très-jolis exemples de ces sortes de vis prenant jour sur les intérieurs.

Nous avons vu comment les marches des vis forment naturellement plafond rampant par-dessous les degrés ; comment ces marches sont délardées ou simplement chanfreinées, ou même laissées à angles vifs, donnant ainsi comme plafond la contre-partie du degré. Mais il arrivait que l’on était parfois obligé d’établir des rampes droites ou circulaires à travers des constructions massives, dans les châteaux, dans les tours. Les couvertures de ces rampes avaient alors un poids considérable à porter.


Si ces rampes étaient larges (comme le sont en général les descentes de caves dans les châteaux), les architectes n’osaient pas fermer ces escaliers par des plafonds rampants, composés d’une suite de linteaux, dans la crainte des ruptures. Alors, que faisaient-ils ? Ils bandaient une suite d’arcs brisés A ou plein ceintres A′ juxtaposés (24), mais suivant la déclivité des degrés, ainsi que l’indique la coupe B. Ces arcs avaient tous leur naissance sur le même nu ; ils étaient tous taillés sur la même courbe. Si l’intrados de leurs sommiers venait mourir au nu du mur, l’extrados arrivait en C. Ces sommiers étaient donc également assis, et les appareilleurs ou poseurs évitaient les difficultés de coupe et de pose des voûtes rampantes, dont les sommiers sont longs à tracer, occasionnent des déchets de pierre considérables et nécessitent des soins particuliers à la pose. Si ces degrés, à travers des constructions, étaient étroits, si les architectes possédaient des pierres fortes, ils se contentaient de juxtaposer, suivant la déclivité des rampes, une série de linteaux soulagés par des corbeaux au droit des portées (voy., fig. 24, le tracé D et la coupe E). Ces constructions, fort simples, produisent un bon effet, ont un aspect solide et résistant ; elles indiquent parfaitement leur destination et peuvent impunément être pratiquées sous des charges considérables. Les voûtes bandées par ressauts n’ont pas, sous des gros murs ou des massifs, l’inconvénient de faire glisser les constructions supérieures, comme cela peut arriver lorsque l’on établit sous ces charges des berceaux rampants. Quelquefois dans les rampes couvertes par des linteaux, au lieu de simples corbeaux posés sous chacun de ces linteaux, c’est un large profil continu qui ressaute d’équerre au droit des pierres formant couverture, ainsi que l’indique la fig. 25.


D’une nécessité de construction ces architectes ont fait ici, comme partout, un motif de décoration.

escaliers de charpente et de menuiserie. — Des escaliers de bois antérieurs au XVIe siècle, il ne nous reste que très-peu de fragments. Les plus anciens sont peut-être les deux vis du sacraire de la Sainte-Chapelle de Paris[36] ; il est vrai que ce sont des chefs-d’œuvre de menuiserie du XIIIe siècle. Cependant les architectes du moyen âge avaient poussé très-loin l’art de disposer les escaliers de bois dans des logis, et en ceci leur subtilité avait dû leur venir en aide, car de toutes les parties de la construction des édifices ou maisons particulières, l’escalier est celle qui demande le plus d’adresse et d’étude, surtout lorsque, comme il arrivait souvent dans les villes et même les habitations seigneuriales du moyen âge, on manquait de place. Ainsi qu’on peut le reconnaître en examinant les intérieurs des châteaux et des maisons, les architectes faisaient des escaliers de bois à un ou deux ou quatre noyaux, à double rampe ; ils allaient jusqu’à faire des escaliers à vis en bois tournant sur un pivot, de manière à masquer d’un coup toutes les portes des appartements des étages supérieurs. Dans son Théâtre de l’art du Charpentier, Mathurin Jousse (1627) nous a conservé quelques-unes de ces méthodes encore usitées de son temps[37]. « Personne n’ignore, dit cet auteur[38], qu’entre toutes les pièces de la charpente d’un logis, la montée ne cède en commodité et utilité à aucune autre ; estant le passage, est comme l’instrument commun de l’usage et service que rendent les chambres, estages et tout l’édifice : et si elle est utile, elle n’est pas moins gentille, mais aussi difficile, tant pour le tracement, joinctures et assemblages, que pour la diversité qui se retrouve en icelles : car outre les ordinaires, qui se font communes à toutes les chambres d’un logis, il y en a qui (bien qu’elles soient communes) ont néantmoins telle propriété, que deux personnes de deux divers logis ou chambres peuvent monter par icelles sans s’entre-pouvoir voir : et par ainsi une seule fera fonction de deux, et sera commune sans l’estre. Il s’en fait encores d’autres façons, non moins gentilles que les précédentes : car estans basties sur un pivot, elles se tournent aisément, de sorte qu’en un demy-tour elles peuvent fermer toutes les chambres d’une maison, et forclorre le passage aux endroicts où auparavant elle le donnoit… »

Avant de présenter quelques exemples d’escaliers en charpente ou menuiserie, il est nécessaire d’indiquer d’abord quels sont les éléments dont se composent ces montées. Il y a les escaliers à limons droits avec poteaux, les escaliers à noyaux et les escaliers à vis sans noyaux et à limons spirales. Les marches, dans les escaliers en bois du moyen âge, sont toujours pleines, assemblées dans le limon à tenons et mortaises.

Soit (26) un limon droit présenté en face intérieure en A et en coupe en B ; chaque marche portera un tenon C avec un épaulement D, et sera légèrement embrévée dans le limon en E. Ces marches seront délardées par-dessous et formeront plafond rampant. Le limon portera aussi les poteaux de balustrades G qui viendront s’assembler dans des mortaises pratiquées dans les renforts H. Les bouts des marches avec leur tenon sont figurés en K. Ces marches étant pleines sont prises, habituellement, dans des billes de bois ainsi que l’indique le tracé L. Trois sciages I divisent la bille en chêne de 0,50 c. de diamètre, ou environ en six triangles dans chacun desquels on trouve une marche, de façon à ce que le devant de chaque marche soit placé du côté du cœur du bois, le devant des marches étant la partie qui fatigue le plus. S’il reste quelques parties d’aubier ou des flaches, elles se trouvent ainsi dans la queue de la marche qui ne subit pas le frottement des pieds. Cette façon de prendre les marches en plein bois, le devant vers le cœur, a en outre l’avantage d’empêcher les bois de se gercer ou de se gauchir, les sciages étant précisément faits dans le sens des gerces. Ce débillardement des marches ne perd aucune des parties solides et résistantes du bois, les marches se trouvent toutes dans les mêmes conditions de dureté, et il reste en M de belles dosses que l’on peut utiliser ailleurs. On reconnaît que les constructeurs ont, soit pour les limons, soit pour les marches, choisi leurs bois avec grand soin afin d’éviter ces dislocations et ces gerces si funestes dans des ouvrages de ce genre. Quelquefois, mais rarement, les marches sont en noyer ou en châtaignier[39].

Ces premiers principes de construction posés, examinons d’abord un escalier à deux rampes et à paliers avec marches palières, limons droits et poteaux d’angle ; c’est l’escalier de charpente le plus simple, celui qui se construit par les moyens les plus naturels.
Voici, fig. 27, en A, le plan d’une montée établie d’après ce système ; la première marche est en B, on arrive au premier palier C, on prend la seconde rampe dont la marche est en D, on monte jusqu’au palier E, qui est au niveau du premier étage, et ainsi de suite pour chaque étage. L’échelle du plan est de 0,01 c. pour mètre. Faisons une coupe longitudinale sur a b, et présentons la au double pour plus de clarté. Ses quatre poteaux d’angles montent de fond et se posent sur un parpaing de pierre. Le premier limon repose également sur cette assise et vient s’assembler dans le poteau F qui reçoit à mi-bois la marche palière G, soulagée encore par une poutrelle assemblée à tenons et mortaises, et reposant sur le renfort H. Passons à la troisième rampe qui est semblable en tout à la seconde, et qui est figurée dans la coupe. Le limon est soulagé dans sa partie par un gousset I et un lien K. Les grands liens sont surtout nécessaires pour empêcher le roulement et les poussées qui ne manquent pas de se produire dans un escalier de ce genre s’il dessert plusieurs étages ; ils roidissent tout le système de charpente, surtout si, comme nous l’avons tracé, on établit un panneau à jour dans le triangle formé par le poteau, le limon et ce lien. Les montants des balustrades sont assemblés dans les limons, et leurs mains-courantes dans les poteaux.
Examinons maintenant comment se combinent les assemblages des limons dans les poteaux, les marches palières, les poutrelles de buttée des paliers, etc. Fig. 28 : en A, nous avons tracé sur une même projection verticale les poteaux en regard, la marche palière, la marche d’arrivée et celle de départ (c’est le détail de la partie L de la fig. 27); en B est figuré le poteau ; en C, la poutrelle de buttée avec son double tenon et son profil en C′ ; en D, le gousset du limon de départ ; en EE′, le limon d’arrivée ; en FF′, le limon de départ avec son tenon ; en G, la dernière marche faisant marche palière ; en H, la première marche de départ posant sur la marche palière avec son tenon I s’assemblant dans le poteau ; en K, la partie de la marche palière vue en coupe entre les deux poteaux. Cette marche palière, assemblée à mi-bois dans le poteau et reposant en partie sur la poutrelle C, est fortement serrée dans son assemblage au moyen d’un boulon qui vient prendre le gousset D. Les poteaux ont 0,18  c. sur 0, 20 posés de champ dans le sens de l’emmarchement. Le gousset D et les limons EE′, FF′ ne sont pas assemblés dans les milieux des poteaux ; ces limons portent 0,15  c. d’épaisseur, et affleurent le nu extérieur des poteaux (voir le plan). Voyons les divers assemblages pratiqués dans le poteau, tracés dans le détail perspectif O. En N est le renfort destiné à recevoir la poutrelle de buttée C ; en P, les deux mortaises et l’embrévement d’assemblage de cette poutrelle ; en R, l’entaille dans laquelle se loge la marche palière avec le trou S du boulon ; en T, le gousset. Le tracé perspectif Q nous montre la marche palière du côté de ses entailles entrant dans celles R des poteaux. La dernière marche d’arrivée est figurée en U ; la première marche de départ en V avec son embrévement et son tenon X ; on voit en Y le trou de passage du boulon. Ce système d’escaliers à rampes droites avec paliers persista jusqu’au XVIIe siècle ; il était fort solide, ne pouvait se déformer comme la plupart de nos escaliers, dont les limons attachés seulement aux marches palières finissent toujours par fléchir. C’est de la véritable charpente dont tous les assemblages sont visibles, solides, et composent seuls la décoration. Rien ne s’opposait d’ailleurs à ce qu’on couvrît ces poteaux, ces limons, ces liens, ces balustrades, de sculptures et de peintures ; aussi le faisait-on souvent.

On faisait en bois des escaliers à vis aussi bien qu’en pierre. Les plus anciens étaient construits de la même manière, c’est-à-dire que les marches étaient pleines, superposées, et portaient noyau. On en façonnait à doubles limons qui pouvaient posséder deux rampes, ainsi que nous l’avons dit plus haut, c’est-à-dire (29) qu’en entrant indifféremment par l’une des deux portes CC′, on prenait l’une ou l’autre rampe dont la première marche est en A. C’était un moyen de donner entrée dans les pièces des étages supérieurs par des portes percées au-dessus de celles CC′. La personne qui sortait par la porte C ne pouvait rejoindre celle sortant par la porte C′, les deux rampes gironnant l’une au-dessus de l’autre. Les deux noyaux étaient réunis par deux limons B se croisant. Ces escaliers, fort communs pendant le moyen âge et jusqu’au XVIIe siècle, étaient commodes, et on ne s’explique pas pourquoi on a cessé de les mettre en œuvre. D’un bout les marches débillardées, pleines, s’assemblaient à tenon et mortaise dans les deux noyaux et dans les limons ; de l’autre, elles étaient engagées dans la maçonnerie ou portaient sur un filet en charpente cloué le long d’un pan de bois.

Mais souvent les escaliers à vis en bois étaient complètement isolés, formaient une œuvre indépendante de la bâtisse. Ces escaliers mettaient en communication deux étages, et on les plaçait dans l’angle d’une pièce pour communiquer seulement à celle au-dessus. C’était là plutôt une œuvre de menuiserie que de charpenterie, traitée avec soin et souvent avec une grande richesse de moulures et de sculpture. Toutefois, les marches de ces escaliers de menuiserie restèrent pleines jusque pendant le XVe siècle, portaient noyaux, et étaient réunies au centre au moyen d’une tige de fer rond, d’un boulon, qui les empêchait de dévier.
Chaque marche (30), possédait son montant dans lequel elle venait s’assembler. Ces montants, d’un seul morceau pour chaque étage, étaient assemblés au pied dans un plateau en charpente, et au sommet dans un cercle également en charpente. Cela formait une cage cylindrique ou un prisme ayant autant de pans qu’il y avait de marches en projection horizontale. Nous donnons en A le plan d’un quart d’un escalier de ce genre portant douze marches sur sa circonférence. Les montants sont en B, et le noyau porté par chaque marche en C. Les espaces EF donnent le recouvrement des marches l’une sur l’autre, le devant de chaque marche étant en F, et le derrière en E. Si nous faisons une élévation de ce quart de circonférence de l’escalier, nous obtenons la projection verticale G. On voit en I le boulon qui enfile les assises de noyau tenant à chaque marche. Les abouts des marches paraissent en K, et reposent sur un gousset embrévé dans les montants. Le détail O donne la section horizontale d’un montant au dixième de l’exécution. En a est le tenon du derrière de la marche indiquée en a′ sur le tracé perspectif M ; en b est l’embrévement de la tête du gousset ; son tenon est indiqué en b′ sur le tracé perspectif N ; le derrière de la marche étant en e, et le devant de la marche au-dessus en f. Chaque marche, reposant sur la queue de celle au-dessous qui porte le tenon a, n’a pas besoin d’un tenon sur le devant, d’autant que ces marches portent en plein sur le gousset J muni d’une languette P destinée à arrêter leurs abouts T. Une entaille R faite dans le poteau permet en outre à la marche de s’embréver dans ce montant. Le tracé perspectif M montre le devant de la marche élégi en S, l’about visible à l’extérieur en T, les deux entailles laissant passer les montants et s’y embrévant en Q, l’embrévement de la languette du gousset sous l’about et le débillardement postérieur en V, pratiqué pour dégager et allégir. C’est d’après ce principe que sont taillés les deux escaliers du sacraire de la Sainte-Chapelle du Palais (XIIIe siècle), et quelques escaliers de beffroi, notamment celui de la tour Saint-Romain à Rouen (XVe siècle). Deux des montants, coupés à deux mètres du sol, et reposant sur une traverse assemblée dans les poteaux voisins, permettaient d’entrer dans ces cages et de prendre la vis. Il est clair qu’on pouvait orner les montants de chapiteaux, de moulures, que les goussets pouvaient être fort riches et les abouts des marches profilés. Le boulon d’axe excepté, ces escaliers étaient brandis et maintenus assemblés sans le secours de ferrures ; c’était œuvre de menuiserie, sans emploi d’autres moyens que ceux propres à cet art si ingénieux lorsqu’il s’en tient aux méthodes et procédés qui lui conviennent. Vers le commencement du XVe siècle, on cessa généralement, dans la structure des escaliers à vis en charpente ou menuiserie, de faire porter à chaque marche un morceau du noyau. Celui-ci fut monté d’une seule pièce, et les marches vinrent s’y assembler dans une suite de mortaises creusées les unes au-dessus des autres suivant la rampe. C’est ce qu’on faisait à la même époque pour les escaliers à vis en pierre, ainsi que nous l’avons dit plus haut. De même que l’on sculptait les noyaux en pierre, qu’on y taillait des mains courantes, qu’on y ménageait des renforts pour recevoir les petits bouts des marches, de même on façonnait les noyaux en charpente. Nous avons vu démolir dans l’ancien collège de Montaigu, à Paris, un joli escalier à vis en menuiserie, dont le noyau pris dans une longue pièce de bois de douze à quinze mètres de hauteur était fort habilement travaillé en façon de colonne à nervures torses avec portées sous les marches et main courante.
Nous donnons (31) la disposition de ces noyaux de charpente au droit de l’assemblage des marches. En A on distingue les mortaises de chacune de ces marches avec l’épaulement inférieur B pour soulager les portées ; en C est la main courante prise dans la masse comme l’épaulement ; son profil est tracé en D coupé perpendiculairement à son inclinaison ; le profil de la corniche avec l’épaulement est tracé en E. Avant de finir cet article, disons un mot de ces escaliers pivotants dont parle Mathurin Jousse, et qui devaient être employés dans des logis où l’on avait à craindre les surprises de nuit, dans les manoirs et les donjons. Ces escaliers s’établissaient dans une tour ronde, dans un cylindre de maçonnerie percé de portes à la hauteur des étages où l’on voulait arriver.
L’escalier était indépendant de la maçonnerie, et se composait (32) d’un arbre ou noyau à pivot supportant tout le système de charpente. Le plan de cet escalier est figuré en A, et sa coupe en B. À chaque étage auquel il fallait donner accès était ménagé un palier C dans la maçonnerie. Nous supposons toutes les portes percées au-dessus de celle D du rez-de-chaussée. La première marche est en E ; de E en F, les marches sont fixes et sont indépendantes du noyau en charpente monté sur un pivot inférieur en fer G, et maintenu au sommet de la vis dans un cercle pris aux dépens de deux pièces de bois horizontales. La première marche assemblée dans le noyau est celle H ; elle est puissamment soulagée ainsi que les trois suivantes par des potences I. À partir de cette marche soulagée H, commence un limon spirale assemblé dans les abouts des marches, et portant une cloison en bois cylindrique percée de portes au droit des baies de maçonnerie D. Au-dessus de la troisième marche (partant de celle H) les autres marches jusqu’au sommet de la vis ne sont plus soulagées que par les petits liens K, moins longs que les potences I, afin de faciliter le dégagement. Ainsi toutes les marches, le limon et la cloison cylindrique portent sur l’arbre pivotant O. Lorsqu’on voulait fermer d’un coup toutes les portes des étages, il suffisait de faire faire un quart de cercle au cylindre en tournant le noyau sur son axe. Ces portes se trouvaient donc masquées ; entre la marche F et celle H il restait un intervalle, et les personnes qui l’auraient franchi pour pénétrer dans les appartements, trouvant une muraille en face les ouvertures pratiquées dans le cylindre, ne pouvaient deviner la place des portes véritables correspondant à ces ouvertures lorsque l’escalier était remis à sa place. Un simple arrêt posé par les habitants sur l’un des paliers C empêchait de faire pivoter cette vis. C’était là un moyen sûr d’éviter les importuns. Nous avons quelquefois trouvé des cages cylindriques en maçonnerie dans des châteaux, avec des portes à chaque étage, sans aucune trace d’escalier de pierre ou de bois ; il est probable que ces cages renfermaient des escaliers de ce genre, et nous pensons que cette invention est fort ancienne ; il est certain qu’elle pourrait être utilisée lorsqu’il s’agit d’arriver sur plusieurs points de la circonférence d’un cercle à un même niveau. Nous avons l’occasion de parler des escaliers dans les articles Château, Maison, Manoir, Palais.

  1. Voy. Some account of Domest. Archit. in England, from the conquest to the end of the thirteenth century, by T. Hudson Turner. J. Parker, Oxford, 1851.
  2. Voy. Du Cerceau, Des plus excellens bastimens de Frane.
  3. Lai d’Ywenec ; poésies de Marie de France, XIIIe siècle.
  4. Voy. Topog. de la France ; Bib. imp.
  5. Des remparts de Carcassonne, fin du XIIIe siècle.
  6. On voit encore un escalier de ce genre sur les parties supérieures de l’église de Saint-Nazaire de Carcassonne, et à Notre-Dame de Paris dans les galeries du transsept.
  7. La coupe est faite suivant a b, en pourtournant le noyau pour faire voir le recouvrement des marches.
  8. Sauval.
  9. Mémoires du sire de Joinville, pub. par Fr. Michel, p. 190. Paris, 1858.
  10. Hist. et Antiq. de la ville de Paris, t. II, p. 23.
  11. Raymond du Temple était sergent d’armes et en même temps maître des œuvres du roi Charles V.
  12. Sauval est ici dans l’erreur, ces sortes d’escaliers étaient inventés dès l’époque romaine ; mais, à vrai dire, les architectes du moyen âge préféraient toujours l’escalier à vis, par les motifs déduits plus haut.
  13. Sauval rend en cela justice à nos vieux maîtres des œuvres qui faisaient les escaliers proportionnés aux services auxquels ils devaient satisfaire.
  14. C’est-à-dire que la dernière marche de l’escalier était à 10 toises ½ pied du sol de la cour, soit à 20 mètres, et devait ainsi desservir deux étages au-dessus du rez-de-chaussée, plus la terrasse.
  15. À ½ pied chacune, cela fait 41 pieds ½ ou 13m,30 environ.
  16. À ½ pied chacune, cela fait 20 pieds ½, soit 6m,60 environ. Ces mesures de détail sont d’accord avec la mesure générale et produisent environ 20 mètres.
  17. C’était bien là en effet le but que se proposaient les architectes du moyen âge. De plus, en plaçant ainsi les grands escaliers hors-œuvre, ils ne dérangeaient pas les distributions intérieures, prenaient autant de jours qu’ils voulaient et disposaient leurs paliers sans embarras.
  18. C’est-à-dire en dedans du corps de logis du nord. (Voy. Château, fig. 20, 21 et 22.)
  19. On voit que Raymond avait signé son œuvre en plaçant ainsi deux sergents d’armes des deux côtés de la porte principale donnant au premier étage sur l’escalier.
  20. Sauval entend indiquer évidemment ici que ces dernières statues étaient posées suivant le giron de l’escalier. En effet, dans ces escaliers à vis, l’architecture suivait le mouvement des marches et les statues devaient ressauter à chaque pilier, pour cadrer avec l’architecture.
  21. Le gâble de la dernière croisée.
  22. Ce fut Charles V qui le premier ne chargea plus l’écu de France que de trois fleurs de lis ; ce changement aux armes de France n’eut donc lieu que postérieurement à 1365.
  23. Il ne peut être ici question que de la voûte élevée au sommet de la petite vis.
  24. Hist. et Antiq. de la ville de Paris, l. IV, t. I, p. 435.
  25. Ce fut en 1336 que le pape Benoît XII commença l’église des Bernardins de Paris.
  26. Hist. et Antiq. de la ville de Paris, l. IV, t. I. p. 438.
  27. L, I, ch. LIII.
  28. Évidemment Rabelais avait, en écrivant ceci, le souvenir du grand escalier de Chambord dans l’esprit ; toutefois il est surprenant qu’il n’ait pas fait mention de la double rampe.
  29. Voy. Les plus excellens bastimens de France. Du Cerceau.
  30. Au palais des Tuileries, la lanterne couronnait une coupole flanquée de quatre lanternons en forme d’échauguettes.
  31. Ce château, qui ne fut jamais terminé, appartient à M. le duc de Luynes ; la partie à laquelle appartient l’escalier date des premières années du XVIe siècle.
  32. Démoli en 1840 ; quelques fragments de cet hôtel sont déposés à l’école des Beaux-Arts.
  33. Voy. dans l’Itinéraire archéologique de Paris, par M. de Guilhermy, 1855, p. 299, une description de cette tour et une vue de l’escalier.
  34. Il existe des fragments importants de ce noyau à l’École des Beaux-Arts.
  35. Cet escalier montait autrefois au-dessus de la clôture du chœur.
  36. Un seul de ces escaliers est ancien, le second a été refait exactement sur le modèle de celui qui existait encore au moment où les travaux de restauration ont été entrepris.
  37. Nous l’avons dit déjà bien des fois, la Renaissance en France ne fut guère qu’une parure nouvelle dont on revêtissait l’architecture ; le constructeur, jusqu’au milieu du XVIIe siècle, restait français, conservait et reproduisait ses vieilles méthodes beaucoup meilleures que celles admises depuis cette époque jusqu’à la fin du dernier siècle.
  38. cxviiie figure, page 155.
  39. Particulièrement dans le centre de la France.