Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Archives du royaume

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Archives du royaume.

Situées dans les rues de Paradis et du Chaume, no 12. — 7e arrondissement, quartier du Mont-de-Piété.

1re Partie. — Hôtel de Soubise. — L’emplacement occupé aujourd’hui par les Archives du royaume, réunissait dans son enceinte plusieurs hôtels, souvent mentionnés dans l’histoire de Paris. Au coin de la rue des Quatre-Fils et de celle du Chaume, se trouvait une vaste propriété appelée le grand chantier du Temple. — Le connétable de Clisson fit construire sur cet emplacement un hôtel qui, après sa mort, fut possédé par le comte de Penthièvre. Ce gentilhomme étant demeuré fidèle à Charles VII, les Anglais, devenus maîtres de Paris, confisquèrent tous ses biens, et louèrent l’hôtel de la rue des Quatre-Fils dix livres parisis. À partir de l’époque de cette confiscation, l’histoire se tait pendant plus d’un siècle. Cette propriété appartenait en 1552 au sieur Rabon de la Bourdaisière qui, par contrat du 15 juin 1553, la vendit moyennant 16 000 livres, à Anne d’Est, épouse de François de Lorraine, duc de Guise, qui la donna le 27 octobre 1556 au cardinal de Lorraine. Celui-ci la céda le 4 novembre suivant à Henri de Lorraine, prince de Joinville, son neveu.

L’ambitieuse maison de Guise ne pouvait se contenter du modeste manoir de Clisson.

Du côté de la rue de Paradis s’élevait l’hôtel des rois de Navarre de la maison d’Évreux. Il devint la propriété du duc de Nemours comte d’Armagnac. Convaincu du crime de haute trahison, ce seigneur eut la tête tranchée, et l’on confisqua tous ses biens. Cet hôtel passa alors au comte de Laval, qui le vendit en 1545 au sieur Brinon, conseiller au parlement de Paris. Il fut ensuite acquis par Charles de Lorraine. Ce cardinal en fit cession le 11 juin 1556 à François, son frère. En 1557, le même cardinal acquit de Louis Doulcet la moitié d’une maison aboutissant à la rue des Quatre-Fils, et côtoyant l’ancien hôtel de Clisson. En 1561, il fit l’acquisition dé l’autre moitié. François de Lorraine avait acheté, le 15 juin 1560, l’hôtel de la Roche-Guyon, qui appartenait alors, à Louis de Rohan, comte de Montbazon. Cette propriété se trouvait dans la rue Vieille-du-Temple, en face de celle Barbette ; elle communiquait à la maison de Guise. Les princes lorrains ayant réuni tous ces bâtiments à la propriété de Louis Doulcet, composèrent une vaste habitation d’où le chef de cette orgueilleuse famille dictait ses volontés au faible Henri III. — Le fameux duc de Guise était là pendant les barricades. — Le principal corps de logis qui s’étend depuis la rue du Chaume jusqu’à l’endroit où commençait l’ancien jardin, et dont la façade régnait le long du passage qui conduisait à la rue Vieille-du-Temple, avait été construit par Henri, duc de Guise sur les dessins de Lemaire, célèbre architecte du temps. Nicolo décora la chapelle des peintures à fresque qu’on y voyait encore avant la révolution. Les Guise firent aussi construire la rampe en fer et l’escalier par lequel on montait dans les appartements donnant sur la rue du Chaume ; les croix de Lorraine qui en forment un des ornements, ne laissent aucun doute à cet égard. Les bâtiments qui sont à l’angle de la rue du Chaume et de celle des Quatre-Fils, ont été construits aussi par les princes de cette maison. En 1697, François de Rohan, prince de Soubise, acheta cette propriété des héritiers de la duchesse de Guise. Il prit dès lors le nom d’hôtel de Soubise qu’il conserva jusqu’à nos jours. Le prince chercha à donner un ensemble régulier aux divers bâtiments de son hôtel. Les travaux commencèrent en 1706. La principale porte qui se présentait en pan coupé sur l’angle de la rue du Chaume et du passage, et qui était flanquée de deux tourelles qui subsistent encore, fut fermée pour en ouvrir une nouvelle dans l’alignement de la rue du Chaume, faisant face à la rue de Braque, et destinée à desservir le passage. La porte principale fut pratiquée dans la rue de Paradis. On la décora de colonnes accouplées, d’ordre composite à l’intérieur et corinthien à l’extérieur, avec couronnement en ressaut, formant sur chaque face un avant-corps dont l’attique était peint aux armes du prince. Les statues d’Hercule et de Pallas, sculptées par Coustou jeune et par Bourdy, figuraient sur l’avant-corps. La façade de l’ancien bâtiment fut décorée au rez-de-chaussée de seize colonnes d’ordre composite, accouplées, dont huit présentent au milieu un avant-corps surmonté d’un second ordre de colonnes corinthiennes que couronne un fronton. Les huit colonnes du rez-de-chaussée supportent quatre statues qui représentent les quatre saisons. Deux autres statues allégoriques dominent le fronton. L’intérieur de l’hôtel fut magnifiquement décoré. La chapelle et ses peintures à fresque furent conservées. Plusieurs artistes célèbres contribuèrent à la décoration et à l’embellissement des appartements. Natoire, Bouchet, Trémollière, Carle-Vanloo, Bertout, etc., en firent un séjour d’une magnificence presque royale. Tel on voyait encore l’hôtel, ou plutôt le palais de Soubise, au moment où la révolution en fit une propriété nationale.

2e Partie. — Archives du royaume. — Les renseignements qui suivent ont été extraits en partie d’une brochure publiée par M. Dessalles, employé distingué des archives. — Dans la solitude des cloitres qui furent longtemps les seuls foyers de lumières, les moines élaborèrent quelques vastes compositions historiques pour lesquelles l’existence humaine était souvent insuffisante. — Il était difficile, presque impossible aux hommes de lettres, de rassembler les matériaux nécessaires à composer notre histoire nationale ou administrative.

Cette admirable et précieuse collection de titres et de documents généraux que nous devons à la révolution était autrefois disséminée dans un grand nombre d’établissements religieux, et enfouie dans plusieurs édifices de nos grandes villes. — Les archives ne furent d’abord que le dépôt des papiers de l’Assemblée Constituante. Par un article de son règlement du 29 juillet 1789, cette assemblée, en créant cet établissement, ordonna qu’on y conserverait les pièces originales qui lui seraient adressées, et l’une des deux minutes du procès-verbal de ses séances. Ce dépôt fut définitivement constitué sous le nom d’Archives nationales, par décret du 7 septembre 1789, sanctionné par le roi le 12 du même mois. Tant que la représentation nationale résida à Versailles, les archives furent placées dans une salle voisine de la sienne. Lorsque cette assemblée vint à Paris, les archives furent immédiatement transportées dans la bibliothèque des Feuillants, puis aux Capucins de la rue Saint-Honoré. Le 1er juin 1790, la Constituante ordonna qu’on y déposerait les formes, planches, et tout ce qui avait servi à la confection des assignats de la première émission ; enfin, le 27 février 1791, on y transporta les caractères de l’imprimerie du Louvre, les machines de l’Académie des Sciences, et les minutes des greffes des commissions extraordinaires du conseil d’État. Les archives reçurent encore de nouvelles richesses par les offrandes de livres, de médailles, d’estampes et de bustes qui furent faites à l’assemblée. — Ce ne fut qu’à partir de l’année 1793 qu’on songea à faire des archives le centre de tous les dépôts appartenant à l’État.

Le décret dont nous transcrivons les principales dispositions, organisa les archives sur des bases toutes nouvelles.

« 7 messidor an II. La Convention Nationale, après avoir entendu le rapport fait au nom de la commission des archives et des cinq comités du salut public, des domaines et aliénations, de législation, d’instruction publique et des finances, décrète :

Art. 1er. Les archives établies auprès de la représentation nationale, sont un dépôt central pour toute la république.

Art. 2. Ce dépôt renferme : 1o la collection des travaux préliminaires aux états-généraux de 1789, depuis leur convocation jusqu’à leur ouverture. Le commissaire des administrations civiles de police et des tribunaux, fera établir aux archives tout ce que le département de la justice avait retenu ou distrait de cette collection ; 2o les travaux des assemblées nationales et de leurs divers comités ; 3o les procès-verbaux des corps électoraux ; 4o les sceaux de la république ; 5o les types des monnaies ; 6o les étalons des poids et mesures ; on y déposera 7o les procès-verbaux des assemblées chargées d’élire les membres des corps législatifs et ceux du conseil exécutif ; 8o les traités avec les autres nations ; 9o le titre général tant de la fortune que de la dette publique. » (Extrait des procès-verbaux de la Convention).

Un des articles de ce décret ordonnait aussi que les couvents seraient ouverts à une commission créée sous le nom d’Agence temporaire du triage des titres. Les archives, ainsi que nous l’avons dit plus haut, suivirent la Constituante lorsque cette assemblée se rendit à Paris ; elles furent toujours placées dans les mêmes bâtiments que ceux des grands pouvoirs qui dirigeaient la république. On transporta les archives, après le 10 août, dans une salle des Tuileries lorsque l’Assemblée Nationale se fut établie dans l’ancienne demeure de nos rois. Le premier consul et son collègue Lebrun étant venus habiter ce palais, la représentation nationale occupa le palais Bourbon, qui reçut le nom de palais du Corps-Législatif. Les archives y furent encore réunies. — « Napoléon, etc. Art. 3. L’hôtel Soubise et le palais Cardinal seront achetés par notre ministre des finances et réunis au domaine, moyennant le paiement d’une somme de 690 000 francs, etc. Art. 5. Toutes les archives existant à Paris, sous quelque dénomination que ce puisse être, seront placées dans celui de ces palais qui ne sera pas occupé par l’imprimerie royale, etc. Signé Napoléon. » (Extrait du décret du 6 mars 1808).

Les archives furent considérablement augmentées pendant les années 1810, 1811 et 1812. On transporta à l’hôtel de Soubise 102 435 liasses, registres ou volumes d’archives pontificales, 12 049 liasses des archives du Piémont, 35 239 d’archives germaniques, une portion des archives espagnoles et 5 000 cartons du ministère de l’intérieur. Pour classer tant de richesses, il fallut songer à l’agrandissement de l’hôtel de Soubise. On commença d’abord par garnir de rayons les péristyles de la cour. On fut ensuite obligé de construire au milieu de cette cour deux pavillons provisoires. Ces augmentations furent encore insuffisantes. On créa une succursale de l’hôtel de Soubise dans les bâtiments des Minimes de la place Royale, et l’on fut obligé de louer deux maisons dans la rue des Quatre-Fils où l’on plaça quelques bureaux. Toutes ces demi-mesures ne pouvaient convenir à l’empereur dont tous les actes étaient empreints d’un caractère grandiose et surtout unitaire ; il rendit le décret suivant :

« Au palais de l’Élysée (le 21 mars 1812), Napoléon, empereur des Français etc. nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

Titre 1er. Archives impériales.

Art. 1er. Il sera construit entre le pont d’Iéna et le pont de la Concorde, sur le quai de la rive gauche de la Seine, un édifice destiné à recevoir toutes les archives de l’empire, et devant contenir un emplacement de 100 000 m. cubes.

Art. 2. Les plans seront conçus de manière que le quart de cet établissement puisse être utilisé dès que la construction en sera achevée et que l’on puisse successivement procéder ainsi à la construction des autres quarts. Des espaces seront même réservés en forme de jardins, afin que par la suite des temps on puisse doubler l’établissement si cela devient nécessaire.

Art. 3. Ces bâtiments seront construits tout en pierre et en fer, sans qu’il entre aucun bois dans la construction.

Art. 4. Les plans nous seront soumis avant le 1er mai prochain, et le fonds de 200 000 fr. que nous avons accordé par notre décret du 6 de ce mois sur les fonds spéciaux de Paris sera affecté aux premiers travaux de cette construction etc. Signé Napoléon. »

La chute de l’empire fit abandonner l’exécution de ce projet, et les archives restèrent dans l’ancien hôtel de Soubise. Les principales richesses déposées dans cet établissement furent enlevées. Les ennemis de la France ne furent pas les seuls à exiger des restitutions. Tous les accroissements de cette admirable collection péniblement amassée, se fondirent par suite de réclamations toujours écoutées. Les établissements publics eux-mêmes n’eurent pas l’honneur de rester étrangers à ce pillage.

L’Université en 1820 se fit livrer une partie des documents précieux qui composaient une collection ayant pour titre Instruction publique. Ce fut également vers cette époque que l’établissement dont nous nous occupons prit le nom d’Archives du royaume.

Organisation actuelle des archives du royaume.

L’organisation actuelle des archives du royaume est due aux lumières d’un savant dont on déplore la perte. À M. Daunou appartient seul l’idée d’une classification exacte et commode. Les archives sont divisées en six sections, savoir : 1o la section législative ; 2o la section administrative ; 3o la section historique ; 4o la section topographique ; 5o la section domaniale ; 6o la section judiciaire. Ces six sections furent en outre subdivisées en vingt-quatre séries désignées par les vingt-quatre lettres de l’alphabet.

Section législative. — Elle se divise en quatre séries représentées par les lettres A B C et D. Le nombre des cartons, registres et volumes s’élève à près de 7 000, contenant huit collections différentes de lois, cinq collections des procès-verbaux des assemblées nationales, des papiers des comités et des députés en mission, ceux de la chambre des députés et de celle des pairs, et le Bulletin des lois.

Section administrative. — Elle est divisée en quatre séries sous les lettres E F G H : La première E, administration générale, gouvernement et maison royale ; la deuxième F, s’intitule ministères ; la troisième G, a trait aux administrations spéciales, et la quatrième, sous la lettre H, réunit les papiers concernant les administrations locales. Parmi les collections précieuses, il faut distinguer celle des arrêts du conseil depuis 1593 jusqu’en 1791. Cette section renferme 40 000 cartons, registres ou portefeuilles.

Section historique. — Elle se compose également de quatre séries sous les lettres J K L M. Elle forme un total de 1 053 cartons renfermant le Trésor des Chartes et son supplément, 300 registres provenant de la chancellerie du royaume depuis le XIIe siècle jusqu’à Charles IX, 1 555 cartons, registres ou liasses contenant les monuments historiques, les actes des rois de France depuis les Mérovingiens jusqu’à Louis XIV. Le plus ancien de ces actes est à la date de 620 ; 1 700 autres cartons, registres ou liasses concernant les monuments ecclésiastiques, les mélanges, l’instruction publique, les ordres militaires et religieux et la généalogie, comportent 1 128 cartons et registres. Indépendamment de ces précieuses collections, la section historique posséde la fameuse armoire de fer, construite en vertu du décret du 30 novembre 1790, et dans laquelle sont renfermés les sceaux et les bulles d’or, une grande partie des clefs de la Bastille, les clefs en argent remises à Louis XIV lors de la prise de Namur, les fameux livres rouges trouvés à Versailles, les testaments de Louis XVI et de Marie-Antoinette, le journal de Louis XVI écrit de sa main, les traités avec des boites en argent renfermant des sceaux, les médailles concernant la première campagne d’Italie, déposées en vertu d’un décret de l’an VI, la matrice de la médaille du serment du jeu de paume, les étalons du mètre, du gramme et du décagramme en platine, des monnaies d’or et d’argent, et une foule d’autres objets précieux. Une collection de portraits de personnages célèbres orne cette importante et magnifique section.

Section topographique. — Elle est divisée en deux séries sous les lettres N O. La première se compose des cartes géographiques, hydrographiques, astronomiques et historiques ; et la seconde, de plans et cartes qui ont rapport à la description de la France et des mémoires de statistique, le tout pouvant représenter 4 616 articles. Cette section a en dépôt un exemplaire de la carte de France exécutée sous les ordres du ministre de la guerre.

Section domaniale. — Les lettres P Q R S T représentent les cinq séries dont elle se compose, réunissant 26 000 cartons, liasses ou registres qui sont : la chambre des comptes, les titres domaniaux distribués par département, les titres spéciaux des domaines des princes, ceux des biens des communautés religieuses, et les papiers du séquestre, confiscations et ventes.

Section judiciaire. — Cette section, dont une partie au Palais-de-Justice, se divise en cinq séries sous les lettres ci-après, savoir : la lettre V contient la grande chancellerie et conseils ; la lettre X, parlement de Paris ; Y, châtelet ; Z, cours et juridictions diverses ; E T C, tribunaux criminels extraordinaires. Elle représente un total de plus de 63 000 cartons, liasses et registres. À ce monument prodigieux d’assemblage est jointe une bibliothèque de 13 à 14 000 volumes ayant trait en partie à l’histoire nationale. — Constructions nouvelles. Architectes, MM. Charles Lelong et Adolphe Gréterin. Les travaux d’agrandissement et d’appropriation spéciale en dépôts d’archives, ont été commencés au mois de septembre 1838. Le million voté pour l’édification de ces bâtiments a été dépensé pendant les exercices 1838, 1839, 1840 et 1841. Un crédit de 800 000 fr. est nécessaire, tant pour parachever les constructions nouvelles et pour l’établissement des casiers, que pour la restauration des anciens bâtiments (hôtel de Soubise), et pour réquisition d’une maison contiguë à la cour de cet hôtel, sise rue de Paradis. Cette maison est destinée à recevoir les bureaux des diverses sections, et à loger le garde général des archives. Les nouvelles constructions exécutées occupent une superficie de 1 000 m. carrés. Tous les murs sont en pierre de taille. Des voûtes en poterie et fer portent les planchers. Les combles sont en fer. La couverture est en zinc. Tous les travaux seront terminés en 1845.