Bastille (place de la).
Une colonne triomphale s’élève aujourd’hui sur ce terrain où pesa, durant plus de quatre siècles, un monument redoutable.
Étienne Marcel, prévôt des marchands, avait fait bâtir une porte fortifiée qui défendait la rue Saint-Antoine. Cette porte était flanquée d’une bastille ou petit bastion. Charles V, voulant préserver son hôtel de Saint-Paul d’une attaque subite, ordonna de reconstruire ces fortifications sur un plan beaucoup plus vaste.
Hugues Aubriot, prévôt de Paris, en posa la première pierre le 22 avril 1370.
Cette forteresse n’avait, dans l’origine, que deux tours ; on en ajouta bientôt deux autres. Vers l’année 1383, Charles VI en fit bâtir quatre nouvelles, les réunit par de gros murs et les entoura d’un fossé. Sous Henri II, en 1553, on éleva de nouvelles fortifications qui furent achevées en 1559. Ces travaux consistaient en une courtine flanquée de bastions, bordée de larges fossés à fond de cuve. Les propriétaires furent taxés pour cette dépense, depuis 4 livres jusqu’à 24, suivant le produit qu’ils tiraient de la location de leurs maisons.
Au mois d’août 1418, les Bourguignons assiégèrent la Bastille pour s’emparer des Armagnacs qui s’y étaient réfugiés ; les portes furent brisées. On voulut transférer les prisonniers au Grand-Châtelet ; l’escorte fut attaquée, et le peuple massacra les malheureux Armagnacs.
Cette bastille, qui avait été construite pour mettre la capitale à l’abri des attaques des Bourguignons et des Anglais, servit de prison d’État lorsque la crainte de ces agressions n’exista plus. De grands noms se rattachent à l’histoire de cette forteresse. Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, connétable de France sous Louis XI, fut mis à la Bastille, le 27 novembre 1475, pour crime de lèse-majesté. Il eut la tête tranchée en place de Grève, le 19 décembre de la même année.
Jacques d’Armagnac, duc de Nemours et comte de la Marche, y fut également emprisonné pour crime de haute-trahison. Il fut décapité aux halles, le 4 août 1477.
La cruauté du roi Louis XI se montra ingénieuse dans la punition qu’infligea ce prince à Guillaume de Harancourt, évêque de Verdun. On lit dans les Comptes et ordinaires de la prévôté de Paris : « Pour avoir fait de neuf une grande cage de bois de grosses solives, membrures et sablières, contenant neuf pieds de long sur huit pieds de lè (large), et de hauteur sept pieds entre deux planchers, lissée et boujonnée à gros boujons de fer, laquelle a été assise entre une chambre, étant en l’une des tours de la Bastille Saint-Antoine, à Paris, par devers la porte dudit Saint-Antoine, en laquelle cage, est mis et détenu prisonnier, par le commandement du roi, notre dit seigneur l’évesque de Verdun. Fut employé à ladite cage, quatre-vingt-seize solives de couche et cinquante-deux solives debout, dix sablières à trois toises de long, et furent occupés dix-neuf charpentiers pour équarrir, ouvrer et tailler tout ledit bois en la cour de la Bastille pendant vingt jours. Il y avoit à cette cage deux cent vingt gros bonjons de fer, les uns de neuf pieds de long, les autres de huit, et les autres moyens, avec les rouelles, les pommelles et contrebandes servants auxdits bonjons, pesant, tout ledit fer, 3 735 livres, entre huit grosses équières de fer servant à attacher ladite cage, avec les crampons et cloux pesants ensemble 218 livres de fer, sans compter le fer des treillis des fenestres de la chambre où elle fut posée, des barres de fer de la porte de la chambre et autres choses, revient à 317 livres 5 sols 7 deniers. Et fut payé, outre cela, à un maçon, pour le plancher de la chambre où était la cage, 27 livres 14 sols parisis, parce que le plancher n’eût pu porter cette cage à cause de sa pesanteur, et pour faire des trous pour poser les grilles des fenestres, et à un menuisier la somme de 90 livres 2 sols parisis pour portes, fenestres, couche, selle percée, et autres choses ; plus 46 sols 8 deniers parisis à un vitrier pour les vitres de ladite chambre. Ainsi, monte la dépense, tant de la chambre que de la cage, à la somme de 367 livres 8 sols 3 deniers parisis, etc… » Sauval, tome 3, page 428.
Comme on l’indique, les prisons de la Bastille ne restèrent pas dégarnies sous ce règne ; Louis XI enfonçait aussi bien ses griffes de fer dans les camails soyeux des évêques que dans les manteaux dorés des ducs et pairs. Si quelqu’imprudent avait un instant rêvé un joyau de sa couronne, Louis XI le devinait ; fût-il l’allié, le frère ou l’ami du roi, l’étreinte était cruelle, l’imprudent ne bougeait plus.
Au commencement de l’année 1589, le parlement de Paris fut enfermé à la Bastille ; voici à quelle occasion : Bussi-Leclerc, qui de maître-d’armes était devenu procureur au parlement, fut, après l’évasion de Henri III, élevé par la Ligue à la dignité de gouverneur de la Bastille. Le 16 janvier, Bussi-Leclerc, accompagné de 25 hommes, tous déterminés ligueurs, se transporte au palais, pénètre dans la grand’chambre, le pistolet à la main : « Conformément au décret de la Sorbonne, » dit-il insolemment, « que tous les Français soient déliés du serment de fidélité et d’obéissance envers le roi, et qu’on ne mette plus son nom dans les arrêts. » Il se retire alors, rentre peu de temps après suivi de sa troupe, et s’écrie, avec l’accent de la plus vive colère : « Puisque vous délibérez aussi longtemps sur une requête aussi juste, vous prouvez par là qu’il existe des traîtres parmi vous. » Alors, tirant un papier de sa poche : « Que ceux dont je vais appeler les noms me suivent à l’Hôtel-de-Ville, où le peuple les demande. » Le premier président de Harlay est aussitôt nommé. Alors tous les conseillers se lèvent : « Nous n’avons pas besoin, » disent-ils, « d’une plus longue lecture, nous suivrons tous notre président. » L’assemblée comptait ce jour-là plus de 60 membres ; Bussi-Leclerc se met à leur tête. Ils traversent le pont au Change, au milieu des flots de la populace qui les accabla d’outrages. Ils arrivent enfin sur la place de l’Hôtel-de-Ville, où les clameurs augmentent. Bussi leur fait prendre le chemin de la Bastille. À peine sont-ils arrivés, qu’il intime l’ordre de les enfermer tous. Pour les obliger à se racheter plus tôt, le gouverneur ne leur fit donner que du pain et de l’eau, et le peuple exprimai sa satisfaction dans des couplets où Bussi-Leclerc était désigné sous le nom de grand pénitencier du parlement.
Charles de Gontaut, duc de Biron, pair et maréchal de France, convaincu d’intelligence avec l’étranger, eut la tête tranchée dans la cour de la Bastille, le 31 juillet 1602.
Il avait été condamné la veille. Dans cet intervalle, ses parents s’étaient adressés au roi pour demander que l’exécution eût lieu à la Bastille, afin d’épargner au maréchal la honte d’un supplice en place de Grève. Henri IV accorda cette triste faveur à Biron. Quand on lut au maréchal ce passage de la sentence : pour avoir attenté à la personne du roi : — « Il n’en est rien, s’écria-t-il, cela est faux ! ôtez cela ! » — Il répéta allant au supplice : — « À la vérité, j’ai failli ; mais pour la personne du roi, jamais ! non, jamais ! » — Quelques moments après, ses gardes consternés viennent lui baiser la main. Il monte sur l’échafaud, regarde autour de lui d’un air inquiet, cherchant la hache du bourreau qu’on cache à ses yeux. Alors un tremblement général le saisit, il tombe à genoux. Au moment où l’on s’approche du maréchal pour lui couper les cheveux, il s’écrie d’une voix tonnante : « Qu’on ne m’approche pas ! si je me mets en fougue, j’étrangle la moitié des gens qui sont ici. » — Son œil étincelant, son geste, sa menace glacent d’effroi les plus hardis. Peu à peu il se calme, se remet à genoux, et le bourreau lui abat la tête d’un seul coup.
Le roi ne se montra pas aussi sévère à l’égard des autres coupables.
Charles de Valois, comte d’Auvergne et duc d’Angoulême, un des complices du maréchal, plus coupable que Biron, eut néanmoins la vie sauve. Il était frère utérin d’Henriette d’Entragues, marquise de Verneuil, maitresse de Henri IV.
Quoique la Bastille fût affectée principalement aux prisonniers d’État, cependant le roi Henri IV y fit garder le trésor royal ; c’est ce que nous apprend le poète Regnier, dans sa treizième satire :
« Prenez-moi ces abbés, ces fils de financiers,
Dont depuis cinquante ans les pères usuriers,
Volant de toutes mains, ont mis en leur famille
Plus d’argent que le roi n’en a dans la Bastille. »
Sully nous dit dans ses Mémoires : « Vers l’an 1610 le roi avoit pour lors quinze millions huit cent soixante-dix-huit mille livres d’argent comptant dans les chambres voûtées, coffres et caques étant en la Bastille, outre dix millions qu’on avoit tirés pour bailler au trésorier de l’épargne. »
Victime de la haine du cardinal de Richelieu, le célèbre maréchal de Bassompierre fut mis à la Bastille en 1631, et n’en sortit qu’à la mort du ministre. La délivrance du maréchal inspira ces vers à un poète ; c’est Bassompierre qui parle :
« Enfin dans l’arrière-saison,
La fortune d’Armand s’accorde avec la mienne.
France, je sors de prison
Quand son âme sort de la sienne. »
Le roi Louis XIII accueillit favorablement Bassompierre et lui demanda son âge. Le maréchal, qui avait alors soixante ans, dit à sa majesté qu’il n’en avait que cinquante. Cette réponse surprenait le roi. — « Sire, » ajouta l’habile courtisan, « je retranche dix années passées à la Bastille, parce que je ne les ai pas employées au service de votre majesté. »
En 1634 on fit quelques réparations à la Bastille tant pour fortifier ce château que pour en agrandir les dépendances. Le 18 juin 1663, Nicolas Fouquet, surintendant-général des finances, accusé de concussion, fut transféré de Vincennes à la Bastille, sur un ordre du roi, contresigné Le Tellier.
La disgrâce de Fouquet nous rappelle Pellisson, dont l’infortune, moins méritée, fut supportée aussi honorablement. Lors de la chute du surintendant, Pellisson, premier commis de Fouquet, resta fidèle au malheur. Il fut mis à la Bastille ; là tous les moyens furent employés pour lui arracher les secrets de son bienfaiteur. On lui offrit sa liberté, de l’or ; Pellisson résista. Dans le même cachot fut enfermé un allemand chargé de rapporter toutes les paroles qui échappent parfois à la captivité trop confiante. Pellisson le devina et bientôt sa résignation, sa bonté gagnèrent le cœur de cet homme, qu’il réhabilita en l’associant à son infortune. À l’aide de cet agent, Pellisson répandit dans le public trois mémoires en faveur de Fouquet. Louis XIV, irrité, donna l’ordre de traiter le prisonnier avec la dernière rigueur ; l’encre et le papier qui lui servaient à défendre son ami lui furent enlevés. On lui laissa seulement quelques ouvrages des Pères de l’Église et plusieurs livres de controverse. Un basque grossier et stupide, qui tirait des sons monotones d’une musette, n’offrait au pauvre prisonnier qu’une faible distraction contre la solitude. Pellisson sut bientôt se créer une nouvelle société : dans un soupirail qui reflétait une lumière douteuse sur sa prison, une araignée avait tendu sa toile ; Pellisson résolut d’apprivoiser l’insecte. Au moment où le basque jouait de son instrument, Pellisson plaçait des mouches sur le bord du soupirail, l’araignée peu à peu s’enhardissait, et allait saisir sa proie que le prisonnier éloignait pour familiariser l’insecte. Au bout de quelques mois, l’araignée était habituée au son de la musette, et allait saisir la mouche jusque sur les genoux du prisonnier. D’autres consolations pénétrèrent dans cette triste demeure. Le public applaudissait à la noble conduite de Pellisson et de nombreux amis sollicitaient sa liberté. Louis XIV, revenu de ses préventions, finit par l’accorder. Pellisson consacra le souvenir de sa délivrance en brisant tous les ans à la même époque, les chaînes de quelques prisonniers.
L’homme au masque de fer entra à la Bastille le 18 septembre 1698, à trois heures après midi. Il portait an masque de velours noir, bien attaché sur le visage, et qu’un ressort tenait derrière la tête. Il logeait dans la tour de la Bertaudière. Sa mort arriva presque subitement le 19 novembre 1703. Il fut enseveli dans un linceul de toile neuve et enterré à Saint-Paul le lendemain, à quatre heures, sous le nom de Marchiali, en présence de M. Rosarges, major du château, et du sieur Beilh, chirurgien-major de la Bastille, qui ont signé sur les registres de Saint-Paul. Son enterrement a coûté 40 livres.
François-Marie-Arouet de Voltaire, âgé de 22 ans, fut mis à la Bastille le 17 mai 1717, pour avoir composé des poésies contre le régent et la duchesse de Berri. L’une de ces pièces avait pour titre : Puero regnante. Sorti de prison le 11 avril 1718, il fut mis de nouveau à la Bastille, le 28 mars 1726 ; voici à quelle occasion : Voltaire avait été insulté d’une manière indigne par M. de Rohan-Chabot. Il fut arrêté et conduit dans cette forteresse pour avoir cherché le moyen de se venger. À peine fut-il en prison, qu’il écrivit une lettre au ministre du département de Paris, au sujet de son incarcération. Nous nous bornerons à citer un fragment de cette lettre : « Je remontre très humblement à son excellence que j’ai été assassiné par le brave chevalier de Rohan, assisté de six coupe-jarrets, derrière lesquels il était hardiment posté. J’ai toujours cherché depuis ce temps l’occasion de réparer, non mon honneur, mais le sien, ce qui était trop difficile, etc. » Voltaire sortit de prison le 29 avril suivant.
Thomas Arthur de Lally, âgé de 61 ans, natif de Romans en Dauphiné, grand’croix de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, lieutenant-général des armées du roi, fut arrêté à Fontainebleau par un officier de la prévôté de l’hôtel, et conduit à la Bastille le 1er novembre 1762, en vertu d’un ordre du roi expédié par M. de Choiseul. Il fut accusé d’avoir été la cause de la perte de tous les établissements français dans l’Inde. Le parlement lui fit son procès ; il fut condamnée avoir la tête tranchée en place de Grève, par arrêt du 6 mai 1766. Le jugement fut exécuté le 9 du même mois, à cinq heures du soir. — Nous nous sommes attachés à ne citer que les principaux personnages enfermés dans cette forteresse, pour ne pas sortir des limites que nous nous sommes tracées.
Ce fut sous le règne de Louis XV que M. Phélipeaux de Saint-Florentin fit élever plusieurs bâtiments pour servir de logements aux officiers de l’état-major. La Bastille offrait un vaste édifice dont le plan aurait figuré un parallélogramme régulier, si les deux tours du milieu n’eussent formé une espèce d’avant-corps. On y comptait huit grosses tours.
- Du côté de la Ville.
- 1o La tour du Puits ;
- 2o De la Liberté ;
- 3o De la Bertaudière ;
- 4o De la Bassinière.
- Du côté du Faubourg.
- 1o La tour du Coin ;
- 2o De la Chapelle ;
- 3o Du Trésor ;
- 4o De la Comté.
Le nom de la première tour du côté de la ville lui vint d’un puits qui servait à l’usage des cuisines. On ignore ce qui a pu faire donner à la seconde, dite de la Liberté, un nom si peu fait pour elle. La troisième devait sans doute sa dénomination à quelque prisonnier. La quatrième était ainsi appelée, parce que M. de la Bassinière y fut enfermé en 1663. La position de la première tour du côté de la campagne, formant le coin de la forteresse, lui a sans doute fait donner cette dénomination. Le nom de la seconde lui vint de sa proximité de la chapelle, qui se trouvait sous la voute de l’ancienne porte de ville. Lors de la démolition, on y a trouvé les débris d’un autel. On avait construit une autre chapelle vis-à-vis de l’ancienne, auprès de la tour de la Liberté ; dans le mur d’un des côtés de cette chapelle, étaient pratiquées six petites niches, dont chacune ne pouvait contenir qu’un seul prisonnier, et ceux à qui l’on permettait d’y entendre la messe, n’avaient là ni air, ni jour ; on ouvrait un rideau qui couvrait une étroite lucarne vitrée et grillée, à travers laquelle on entrevoyait, comme avec une lorgnette, le prêtre officiant. Le nom de la troisième tour du même côté lui fut donné sans doute, parce que Henri IV y fit enfermer le trésor royal ; celui de la quatrième indique suffisamment son affectation.
Voici la liste des principaux gouverneurs de la Bastille à peu près depuis sa fondation : en 1385, Jean de la Personne, vicomte d’Acy ; en 1404, le sire de Saint-Georges ; en 1413, Louis de Bavière, oncle du Dauphin ; en 1416, Thomas de Beaumont ; sous Louis XI, ce poste important fut confié à Philippe l’Huillier ; en 1588, le duc de Guise, maître de Paris, nomma Bussi-Leclerc gouverneur de la Bastille ; Dubourg en était gouverneur en 1594, lors de l’entrée de Henri IV à Paris ; le roi nomma de Vic pour le remplacer ; Sully lui succéda en 1601 ; Marie de Médicis, pendant la régence, y plaça, comme capitaine, M. de Châteauvieux ; en 1617, Bassompierre, Vitry et le duc de Luynes, successivement gouverneurs, furent remplacés, d’abord par le duc de Luxembourg, puis par le maréchal de l’Hôpital ; Leclerc du Tremblay eut la garde de cette forteresse sous la Fronde ; Rouvière, fils du célèbre conseiller Pierre Broussel, lui succéda ; Baisemaux occupa ensuite cette place et la conserva jusqu’à sa mort ; il fut remplacé par le fameux Cinq-Mars ; Bernaville remplissait cette fonction en 1717. Les derniers gouverneurs de la Bastille furent Pierre Baisle, François d’Abadie, de Jumilhac, et enfin l’infortuné Jourdan de Launay. Le gouverneur de la Bastille recevait une somme proportionnée à la qualité des prisonniers : c’était un écu pour un homme sans état ; 5 livres pour un bourgeois, pour un procureur, un avocat ; la taxe d’un prêtre, d’un financier et d’un juge ordinaire, était une pistole ; d’un conseiller au parlement, 15 liv. ; d’un lieutenant-général des armées, 24 liv. ; d’un maréchal de France, 36 liv. On allouait au gouverneur dix places qui lui étaient payées, occupées ou non, sur le pied de 10 liv. par jour. Le gouvernement de la Bastille rapportait 60 000 liv. Le lieutenant du roi et tous les officiers de l’état-major avaient, ainsi que le gouverneur, la croix de Saint-Louis. Le lieutenant-général de police était le véritable chef de la Bastille ; c’était par lui que passaient tous les ordres. Quand le parlement acceptait des commissions pour juger les prisonniers, il n’était pas permis aux juges d’entrer dans le château ; c’était en dehors qu’ils tenaient leurs assises et qu’on leur amenait l’accusé.
Quelques années avant la révolution, l’avocat Linguet fut mis à la Bastille. Là, ce prisonnier s’amusait à écrire des mémoires contre le gouvernement. Un jour un homme pâle, grand et fluet, entra dans son cachot : — « Pourquoi me dérangez-vous ? » dit Linguet, avec l’accent de la colère. — « Monsieur, je suis le barbier de la Bastille », répondit le Figaro des prisonniers d’état. — « Ceci est différent, mon cher ; puisque vous êtes le barbier de la Bastille, faites-moi le plaisir de la raser ». Et Linguet se remit à écrire. Le 14 juillet 1789, le peuple se chargea de cette opération.
Le 14 août suivant, les ouvriers employés à sa démolition trouvèrent, dans la partie de la tour de la Comté, cinq boulets incrustés dans la pierre ; on a pensé qu’ils avaient été lancés en cet endroit lors de la bataille Saint-Antoine. Ces boulets ont été offerts par les architectes à M. de La Fayette. Une partie des matériaux qu’on tira de la démolition de cette forteresse servit à construire le pont Louis XVI (aujourd’hui de la Concorde).
Au sud-est de la place de la Bastille, on voit un éléphant colossal auquel se rattachent quelques souvenirs de gloire. Un décret impérial, rendu au palais des Tuileries le 24 février 1811, porte ce qui suit : « L’éléphant destiné à orner la fontaine de la Bastille sera coulé en bronze. La matière de ce monument ne sera pas comprise dans la dépense ; elle sera fournie par nos arsenaux, et notre ministre de la guerre affectera à cette destination les pièces de bronze qui ont été prises dans la campagne de Friedland. » Ce monument a été exécuté en plâtre. Il y a quelques mois, on avait projeté de nouveau de le couler en bronze et de le transporter à la place du Trône ; cet embellissement a été ajourné. — Une ordonnance royale, du 6 juillet 1831, a prescrit l’érection d’un monument funéraire en l’honneur des victimes des trois journées. La première pierre a été posée par le roi, le 27 du même mois. La colonne de juillet est d’ordre corinthien ; des inscriptions, des palmes, des couronnes d’immortelles, des rameaux de chêne, les armes de la Ville, le coq gaulois et le lion, symbole astronomique du mois de juillet, ornent le piédestal. Sur le fût, divisé en trois parties, sont gravés en lettres d’or les noms des victimes. Le chapiteau supporte une statue exécutée par M. Dumont : c’est le génie de la Liberté tenant un flambeau d’une main, des fers brisés dans l’autre, et déployant ses ailes. On monte deux cent quarante marches pour arriver au sommet. Enfin, tout le bronze employé présente une masse effrayante de 179 500 kilogrammes. À partir du sol jusqu’au flambeau que tient la statue, le monument a 50 m. 33 c. de hauteur. Les plans sont de M. Alavoine ; M. Barye a modelé les coqs et le lion du piédestal ; les pièces ornées de la colonne sortent des ateliers de MM. Ingé et Soyer. Le chapiteau seul pèse 12 000 kilogrammes. Les forges de Fourchambault ont fourni les tambours-lisses qui sont fort remarquables par leur précision ; M. Saulnier, mécanicien, en a fait l’ajustage et la pose. Le monument a été terminé au commencement de 1840, et le 29 juillet de la même année les cendres des victimes furent placées sous la colonne, dans les caveaux construits à cet effet.
La seconde porte Saint-Antoine était située au-delà des fossés de la Bastille. On la construisit sous Henri II, afin d’enfermer la forteresse dans Paris. Ce fut également sous ce règne qu’on décora cette porte d’un arc-de-triomphe dont les sculptures étaient du célèbre Jean Goujon. Sous cette porte, le duc d’Anjou, depuis Henri III, fit son entrée triomphale à l’occasion de son élection au trône de Pologne. La porte Saint-Antoine fut restaurée et agrandie dans les années 1670 et 1671, par l’architecte Blondel. Des lettres-patentes du mois de mai 1777 ordonnèrent la démolition de cette porte, qui gênait la circulation dans ce quartier populeux. L’emplacement qu’elle occupait forme également aujourd’hui une partie de la place de la Bastille. — Une ordonnance royale, en date du 24 septembre 1836, a déterminé les alignements de cette voie publique.