Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Jeanne d'Arc

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 612-633).

JEANNE D’ARC (LA BIENHEUREUSE SERVANTE DE DIEU). — En 1 429, année qui vit la Piicelle intervenir dans les affaires du royaume, la guerre qui depuis cent ans mettait aux prises Français et Anglais semblait toucher à sa Un.

Des deux princes en présence, Henri VI d’Angleterre et Charles Vil de France, l’un était maître de Paris et des plus belles provinces françaises ; l’autre avait dû passer la Loire et se retirer à Bourges. Aucune grande victoire, durant cette longue guerre, n’avait réparé chez les Français les désastres de Crécy, Poitiers, Azincourt. A ces désastres s’était ajoutée, en 1424, la défaite de Verneuil qui mit les troupes de Charles VU dans l’impossibilité de tenir la campagne. Le pays était épuisé. L’assassinat de Jean sans Peur (septembre 14’9) avait creusé un fossé de sang entre les partisans du Dau[>hin etceux du duc Philippe de Bourgogne. Par surcroit de malheur, le traité de Troyes (mai 14ao), en donnant Catherine, fille de Charles VI, pour épouse au vainqueur d’Azincourt, Henri V, avait mis ce prince en 1213

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possession d’un titre <|ui ne pouvait que favoriser ses prétentions à la couronne de France et accroître la division dans le royaume.

En 1^27, i/)28, les troupes du roi d’Angleterre reprirent le cours de leurs succès, nioiuentanément suspendu. Encouragé par la prise de Rambouillet et de Laval, le Grand Conseil anglais de Paris sentit qu’il n’y avait qu’à tenter un suprême ell’ort pour achever la lutte. Cet elForl consistait à mettre le siège devant Orléans et à s’en emparer. Le 12 octobre 14’.18, le comte de Salisbury paraissait en forces sous les murs de la cité, et le siège commençait. Il durait depuis environ cinq mois, la place paraissait n’avoir plus qu’à se rendre, lorsqu’une jeune lille des marches de Lorraine arrivait devant Orléans, à la tête d’un corps de secours, battait les Anglais et les obligeait à lever le siège.

Il y a vingt ans, nous aurions pu rappeler le mot d’Estieune Pasquieh : « Grande pitié ! Jamais personne ne secourut la France si à propos que cette Pucelle, et jamais mémoire ne fut plus méconnue que la sienne. » Au lendemain du décret pontilical quia placé Jeanne d’Arc sur les autels, en présence du mouvement d’érudition si remai-quable qui l’a préparé, personne n’oserait plus tenir ce langage. Les lignes caractéristiques de son histoire, l’un des beaux chapitres de l’histoire de France et de celle de l’Eglise, sont désormais Uxées. Nous traiterons les points suivants :

1. Enfance et premièiejeunesse de lu fl. Jeanne d’Arc U..Sa mission : le signe et Vappel d’en haut, tes Voi.r, préparation,

III. Sa niissiun « dévie », phase guerrière : d’Orléans à Cumpiègne.

IV. Sa mission « de vie », phase douloureuse ; captivité, procès, martyre : de Compiègne à Rouen.

V. 5a mission « de survie ». Fxpulsion des Anglais. Uéhahilitation et glorification.

VI. L’histoire de- Jeanne d’Arc et la Critique.

I. — Enfance et première jeunesse

Jeanne d’Arc à Domremy. — Jeanne d’Arc était née à Domremy, petit village île liarrois, sur la rive gauche de la Meuse, le 6 janvier iliii, dans la nuit de l’Epiphanie. Elle fut baptisée par iMessire Minet, curé de Greux-Domremy, les deux localités ne formant qu’une paroisse. Son père, Jacques d’Arc, et sa mère, Isabelle Romée, étaient d’honnêtes cultivateurs, bons chrétiens sur toutes choses, possédant une aisance également éloignée de la richesse et de la pauvreté. Ils eurent cinq enfants, trois garçons et deux tilles. Les garçons avaient nom Jacques ou Jacquemin, Jean, et Pierre, dit aussi Pierrelot. Des deux filles, Jeanne el Catherine, celle-ci, qu’on suppose avoir été l’ainée, se maria el mourut avant le départ de sa sœur pour Chinon.

L’enfance de « Jeannette » s’écoula près de sa mère qui forma sa famille à l’amour du travail et à la pratique d’une saine piété. C’est sa mère qui lui enseigna, disait-elle à ses juges, le Pater noster, X’Ave Maria, le Credo et sa croyance (J. QtncHBRAT, Procès, t. I, p. 46). Cependant Jeannette n’apprit ni à lire ni à écrire. Au catéchisme, le curé de la paroisse qui avait remplacé Messire Minet — Guillaume Front — remarqvia promptemenl l’intelligence, le zèle, l’assiduité de sa petite paroissienne. Il pouvait plus tard rendre d’elle ce témoignage, « qu’il n’y avait pas sa pareille dans la paroisse, et que jamais il ne vit une jeune fille meilleure » (J. Quichbhat, Procès, t. II, p. 433-434).

Les dévotions de Jeannette étaient d’abord la dévotion au divin sacrement de nos autels, et l’assistance au sacrifice de la messe. C’était ensuite la dévotion à la Bienheureuse Vierge Marie. Elle faisait brûler souvent des cierges en son honneur ; chaque samedi, dans la belle saison, elle prenait le sentier menant à la i)elile chapelle de Notre-Dame de Bermont, qu’on voit encore à 3 kilomètres de Domremy au delà de Greux, en tirant sur le nord. Enfin, la dévotion à l’archange saint Michel qu’on vénérait à Moncel, dans la vallée de la Meuse, à trois kilomètres de Domremy ; à sainte Catherine et à sainte Marguerite, dont on vénérait les statues dans les églises de Maxey-sur-Meuse et de Domremy.

A l’amour de Dieu elle joignait l’amour du prochain, des malheureux, des pauvres, des |)elits enfants, des malades. Jeannette, nous apprennent ses compagnes d’enfance, « faisait beaucoup d’aumônes des biens de son père ». Lorsque des passants se trouvaient sans abri, elle les menait au logis <les sieus et leur cédait son propre lit : elle dormait alors près de l’àtre. Y avait-il au village des enfants abandonnés ou malades. Jeannette prenait soin d’eux et les visitait, les consolait jusqu’à ce qu’ils eussent recouvré la santé (Procès, t. II, 424-427).

Non seulement Jeannette aidait sa mère dans les soins du ménaye, mais elle allait aux champs avec son père et ses frères, conduisant la charrue, bêchant la terre, gardant les chevaux, menant les troupeaux paître au Bois Chesnu ou dans les prairies de la vallée.

Il Laborieuse, point paresseuse ; diligente, adroite, jamaisoisive », voilà ce que diront de la jeune vierge les témoins de la réhabilitation, en particulier ses deux amies préférées, Mengette et Hauvielte. De leurs dépositions et de celles des autres compatriotes de la Pucelle, il ressort que Jeanne était la plus complaisante, la plus aimable des compagnes. Pas pour la danse, toutefois : danseuse. Jeannette ne l’était pas. Avec cela, « si excellente fille, que tous les habitants de Domremy l’aimaient » (Procès, t. 11, p. 489). Elle ne man([uaitpas chaqueannéed’aller au Bois Clicsnu, avec la jeunesse du village, le dimanche de Lætarc. et pendant la belle saison on l’y voyait faire ses fontaines, s’éUalire sous le Bel arbre et prendre part aux jeux de ses amies.

Une roule fréquentée traversant le village, les habitants finissaient par savoir les malheurs dont souffrait le pays. De ces malheurs, ils ressentirent plus d’une fois le contre-coup. Pendant l’enfance de Jeannette, une bande d’Anglo-bourguignons incendia l’église de Domremy. Plus tard, les habitants, craignant que des troupes ennemies ne missent leur village à sac, s’enfuirent avec ce qu’ils purent emporter à Neufchàleau, place du Duché de Lorraine. Les parents de la Pucelle firent comme leurs concitoj’ens. LTn frère de sa mère, Jean de Voulhon, s’élant établi à Sermaize-en-Champagne, à vingt-cinq lieues environ de Domremy, Jeannette et ses frères firent plusieurs fois ce voyage pour visiter leurs oncles et cousins. Ce voyage demandait trois ou quatre jours, tant au retour qu’à l’aller. Les capitaines français de ces contrées étant en guerre continuelle avec les capitaines bourguignons ou anglais, Jeannette dut avoir plus d’une fois sous les yeux le tableau des ruines, des dévastations qui en étaient la conséquence. Rentrée à Domremy, elle entendait redire entre villageois la vieille prédiction de Merlin annonçant que si une femme, Isabeau l’étrangère, avait tout perdu, une pucelle des marches de Lorraine devait tout sauver. Celle pucelle, Jeannette la connaissait : depuis son adolescence, des voix mystérieuses la lui avaient signalée.

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H. — La mission de Jeanne d’Ara : le signe et l’appel d’en haut ; les Voix

Première apparition. — Dans sa treizième année, par un beau jour d’été, Jeannette « à l’heure de midi, dans le jardin de son père, aperçut du côté de l’église une grande clarté et entendit une voix. La première fois, elle eut grand’peur. Et cette voix venait de Dieu pour l’aider à se bien conduire ». Et elle ne savait pas que c’était la voix de saint Michel.

Une autre fois, mais non dans le jardin de son père, file entendit la même voix, et l’archange lui apparut, environné d’une troupe d’anges, au sein d’une grande clarté. « Je les ai vus des yeux de mon corps, assurait la jeune vierge à ses juges de Kouen, aussi bien que je vous vois. Et quand ils s’en allaient, je pleurais, et j’aurais bîen voulu qu’ils me prissent avec eux. » (Procès, t. I, p. 62, 72, ^3, 1691 72.)

A l’une des apparitions suivantes, Jeanne apprit que cet être radieux, à la physionomie d’un « vrai lirudhorame », qui se montrait à elle, était le glorieux archange saint Michel. Elle ne put douter que ce fût lui, car il se nomma à elle (Ibid., p. 274)- En même temps, saint Michel apprit à la pieuse enfant que « sainte Catherine et sainte Marguerite viendraient aussi. Elle aurait bien soin de suivre leur conseil ; car ces saintes étaient chargées de la conduire et de la conseiller sur ce qu’elle aurait à faire. Elle devrait croire ce qu’elles lui diraient : c’était par commandement de Notre-Seigneur » (Ibid., p. 170).

Ces saintes apparurent, en effet, peu après, à la petite Jeanne. « Leur tête était parée de belles, de riches, de précieuses couronnes. » Comme l’archange saint Michel, " elles se nommèrent à elle. Elles avaient un très beau et très bon langage. Leur voix était douce et tendre, et la langue qu’elles parlaient était le français » (Ihid., p. 72, 86).

A. partir de ce moment, la future libératrice d’Orléans ne cessa d’être visitée par ses saintes protectrices et par l’ange que l’Eglise nomme « le Prince de la milice céleste ». Ces trois habitants du ciel formeront durant la vie entière de Jeanne ce qu’elle appellera son célkste conseil. Saint Michel sera son conseiller supérieur et extraordinaire. Sainte Catherine et sainte Marguerite resteront ses conseillères habituelles et ses directrices quotidiennes. C’est ce conseil d’en haut qui prendra le goinernenient de la jeune vierge et qui l’assistera dans les conjonctures difTieiles. a Voilà plus de sept ans, disait-elle à Rouen, que mes saintes ont entrepris de me gouverner. » (Ibid., p. 72.).Vussi pourra-t-elle ajouter qu’elle « n’a rien fait que par révélation » (Ibid., p.51). Du reste, ses saintes protectrices répondirent toujours à son appel. Elles venaient parfois sans que Jeanne les appelât. Quand elles ne venaient pas, elle priait Notre-Seigneur de les envoyer. « Jamais, disait-elle, je n’ai eu besoin d’elles, qu’elles ne soient venues. » (Ibid., p. 127.) Comment eussent-elles délaissé l’enfant qu’elles appelaient Fille de Dieu, Fille de l’Eglise, Fille au grand cœur », et à qui elles promettaient le paradis ? (/fciV., p. 130.)

Saint Michel lui recommanda principalement de se bien conduire, de fréquenter l’église, d’être bonne et pieuse enfant ; que Dieu l’aiderait. — Et il lui enseigna tant de bonnes choses que Jeannette crut qu’il était bien l’ange de Dieu. « Les bons conseils, le confort, la bonne doctrine qu’elle ne cessa d’en recevoir le lui disaient clairement. » (Procès, t. l, p. 169, 170, i-j/i.)

Dès que la (ille de Jacques d’Arc fut persuadée que ses voix venaient de Dieu, elle fit vœu de virginité. Elle pouvait dire : « Mes voix m’ont toujours bien

gardée et je les ai toujours bien comprises. » (Ibid., p. 62.) A quel moment le céleste archange commença-t-il à lui raconter la pitié qui était au royaume de France », on ne peut que le conjecturer. Quelle que soit l’époque où la voix dit à Jeanne, qu’il fallait qu’elle vint en France, c’est vraisemblablement après la prise de Rambouillet par le due de Belhford en 1427, et celle de Laval par Talbot en mars 1428, qu’elle le lui dit deux ou trois fois par semaine.

Un jour, le langage de l’archange ne lui permit plus d’hésiter. Saint Michel lui commanda expressément

« d’aller à Vaucouleurs trouver le capitaine de

la place, Robert de Baudricourt ; qu’il lui donnerait des gens pour la mener au Uoi. — Mais, répondit Jeanne, je ne suis ciu’une pauvre fille, ne sachant chevaucher comme les hommes d’armes et guerroyer.

— X’importe ; va, reprit la voix. »

Jeanne à Vaucouleurs. — Sur ces entrefaites, un cousin par alliance, Durand Laxart, qui demeurait à Burey-le-Petit, non loin de la chàtellenie, vint demander au père de Jeanne d’emmener sa fille chez lui. Confiante en la discrétion de Laxart, Jeanne lui découvrit son secret, a Il fallait, lui dit-elle, qu’elle se rendit en France auprès du Dauphin pour le faire couronner. N’avait-on pas dit, d’ailleurs, que la France serait perdue par une femme et qu’une femme ensuite la sauverait’? » C’est pourquoi elle priait Laxart de la mener à Robert de Baudricourt, afin que ce capitaine la fît conduire au Dauphin (Procès,

t. ii, p. 444).

Laxart condescendit à la prière de Jeanne ; lui-même l’accompagna à’Vaucouleurs. C’était vers le 1 3 mai, fête de l’Ascension. Jeanne parut devant Baudricourt et lui exposa sa requête a de la part de son Seigneur ». — a Quel est celui que tu appelles ton Seigneur ? demanda le capitaine. — Le roi du ciel, répondit Jeanne. — Cette fille est folle, dit Baudricourt. Et s’adressant à Laxart : ce que vous avez de mieux à faire, c’est de la ramener à son père. »

Jeanne revint à Domremy. Elle ne fut ni surprise de son insuccès, car ses voix l’avaient prévenue, ni découragée. Elle avait même reconnu le capitaine au milieu de ses hommes d’armes, quoique rien ne le distinguât et qu’elle ne l’eût jamais vu. Découragée, elle l’était si peu que, !e 23 juin suivant, elle disait à un garçon du village, Michel Lebuin : « Sais-tu bien qu’entre Coussey et Vaucouleurs, il y a une jeune fille qui mènera sacrer le roi à Reims ? » (Procès, t. II, p. 44".) Ses voix le lui avaient donc appris. Quand le siège d’Orléans aura commencé, saint Michel lui dira qu’elle le fera lever. Cela ne tarda pas, puisque les Anglais arrivaient le 12 octobre de cette année sous les murs de la cité orléanaise. Dès que la nouvelle en fut parvenue à Domrenij-, les voix de la jeune vierge redoublèrent leurs instances. Deux, trois fois jiar semaine, elles lui disaient qu’il lui l’allait quitter son village et aller en France. Jeannette en vint à

« ne plus durer où elle était ». Son père eut beau lui

parler mariage, elle n’en voulut à aucun prix. Un jeune homme, épris d’elle, la cita devant l’ofiicialité de Toul, sous le prétexte qu’elle lui avait promis sa main. Jeanne comparut, prouva qu’elle n’avait rien promis et gagna sa cause.

Elle était plus préoccupée du moyen de tenter une démarche nouvelle auprès du capitaine Batidricourt. Le moyen, c’est encore Durand Laxart qui le lui fournit. Jeanne parut de nouveau devant Baudricourt avec une robe tout usée. Elle lui demanda derechef de la faire conduire au Dauphin. Baudricourt ne l’écouta pas plus que la première fois.

Confiante au succès final de sa requête, la Pucelle ne voulut pas quitter Vaucouleurs. Ses voix lui 1217

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signifiaient « lue, avant la mi-carême, elle devrait se mettre en roule et aller au Dauphin, « fallùt-il user ses jambes jusiiu’aux genoux » ; que, avant peu, le capitaine lui accorderait ce ([u’elle demandait. En conséquence, Laxart la remit entre les mains d’un de ses amis, nommé Henri le Hoyer, et de sa femme. En attendant la réponse favorable, la jeune vierge mène dans Vaucouleurs la vie de travail et de piété qui avait été sa vie à Domremy. Deux ofliciers de Baudricourt, nonmiés l’un Jean de Novelompont ou Jean de Metz, l’autre Bertrand de Poulengy, en furent frappés. Us s’enquirent de ses projets. Jeanne leur ayant dit que « ni rois, ni ducs, ne pouvaient recouvrer le royaume ; qu’il n’y avait secours que d’elle, faible femme ; qu’ainsi le voulait le Seigneur », les deux gentilshommes mirent leurs mains dans sa main et lui donnèrent leur foi que. Dieu aidant, ils la mèneraient au Dauphin. Le travail désirable se fit dans l’esprit de Baudricourt pendant un voyage que, juste à ce moment, la Pucelle dut faire à Nancy, où l’appelait le vieux duc de Lorraine, alors malade assez gravement. Jeanne ne rendit pas la santé au duc, mais elle l’engagea à reprendre sa femme à laquelle il n’avait rien à reprocher.

llenlrée à Vaucouleurs après s’être agenouillée dans le sanctuaire de Saint-Xieolas-du-Porl, la jeune fille trouva Baudricourt en de meilleures dispositions, grâce sans doute à ce que lui avaient appris ses deux écuyers. Sur sa demande, le curé de Vaucouleurs fit subir à Jeanne un exorcisme, sans qu’elle s’y attendît. L’exorcisme n’ayant pas révélé chez elle la jirésence de l’esprit malin, Baudricourt fut singulièrement ébranlé lorsque le 12 février, jour du désastre de Rouvray, Jeanne se présentant soudain au capitaine, lui dit :.< En nom Dieu, vous tardez trop à ni’envoyer. Aujourd’hui, le jentil Dauphin a eu près d’Orléans grand dommage. Et il sera en péril de lavoir plus grand, si ne m’envoyez bientôt vers lui. »

Le lendemain 13 février, l’autorisation était accordée. Les habitants de Vaucouloirs voulurent offrir à la voyageuse le costume des gens de guerre de ce temps. Laxart lui acheta un coursier vigoureux au prix de seize francs d’or. Le jour du départ. 28 février, Jeanne et son escorte, composée de Jean de Metz, Bertrand de Poulengy, de leurs deux serviteurs, d’un messager royal et d’un archer, passaient sous la porte de France, aux acclamations des habitants. Baudricourt remettait une épée à la future guerrière et. prenant congé d’elle, lui disait :.llez, allez, et advienne que pourra.

De Vaucouleurs à Chinnn. — La Pucelle est nommée

« cliefde guerre ». — Il fallut onze jours pour se rendre

de Vaucouleurs à Cliinon, où étaient Charles VII et la cour. Dans cette chevauchée, la jeune fille n’entendit la messe qu’à Saint-Urbain et Auxerre, avant de pénétrer en terre française. En revanche, elle en entendit trois le même jour à Sainte-Catherine de Fierbois. De cette localité, elle écrivit au roi une lettre dans laquelle elle le priait de la recevoir. Elle ne voulait que lui venir en aide et elle l’assurait qu’elle le reconnaîtrait au milieu de sa cour (Procès, t. T, p. 54)..Sa lettre ne resta pas sans réponse. Le roi lui permit d’arriver jusqu’à Chinon. LeCmars.un dimanche, vers midi. Jeanne entrait dans la ville et allait attendre au logis d’une i bonne femme » que le Dauphin daignât la recevoir.

Charles Vil voulut entendre son Conseil et les deux genlilshoninies qui avaient conduit la jeune Hlle Des « nobles, conseillers et gens de la cour » vinrent aussi voir Jeanne en son logis. A leur question : Dans quel but avait-elle fait ce voyage ? elle répondit qu’elle avait deux choses en mandat de la

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part du Roi des cieux : faire lever le siège d’Orléans aux Anglais et amener le Dauphin à Reims pour qu’il y fût sacré (Procès, t. 111, p. 115). La jeune reine Marie d’Anjou manda la voyageuse et l’entretint. Après deux ou trois jours d’attente, Jeanne vit s’ouvrir devant elle les portes du château.

Charles VU avait i)ris la précaution de se vêtir moins richement que les seigneurs de sa cour et de se mêlera eux. Plus de trois cents personnes se pressaient dans la salle d’audience qu’éclairaient cinquante flambeaux. Jeanne se présenta modestement. Ut gracieusement la révérence d’usage, « comme si elle eût vécu constamment à la cour », et marcha droit au Dauphin. — « Dieu vous donne bonne vie, gentil sire, lui dit-elle. — Mais je ne suis pas le roi, repartit Charles VII : le roi, le voilà. Et il désignait un des seigneurs, richement vêtu. — En nom Dieu, reprit Jeanne, vous l’êtes le roi, gentil prince, et non un autre. Charles lui demanda son nom. Elle répondit : — Gentil Dauphin, j’ai nom Jeanne la Pucelle. Elle ajouta que Dieu l’envoj’ait pour lui venir en aide ; que, s’il lui baillait gens, elle ferait lever le siège d’Orléans et le mènerait sacrer à Reims.

— Gentil sire, dit-elle en finissant, mettez-moi à l’œuvre et lx pathir sera tantôt allégée. »

Ce cri émut profondément le jeune roi. La Pucelle lui dit ensuite qu’elle avait des choses secrètes à lui communiquer. Et « par l’espace d’une heure, elle l’entretint de choses que nul ne savait et ne pouvait savoir sinon Dieu. Une de ces choses fut l’assurance donnée par Jeanne à Charles de la part de son Seigneur qu’il était vrai héritier et fils du roi Charles VI. » Mais pour que Charles VII eût foi en elle, la première chose qu’elle lui révéla fut la prière qu’il avait faiteà Dieu le i"" novembre 1^28, lorsqu’il estimait la situation désespérée. De cette prière, Charles n’avait jamais parlé à personne. Instruite par ses voix, Jeanne la lui rappela textuellement en cette audience, et quelques jours après, en présence du duc d Alençon, de Christophe d’Harcourt et de Gérard Machet, confesseur du roi.

Charles VII sortit rayonnant de cet entrelien. On eût dit, au rapport d’Alain Chartier, « qu’il venait d’être visité du Saint-Esprit ».

Jeanne ne jouit pas longtemps à Chinon de l’hospitalité royale. Quatre ou cinq jours après l’audience, le 15 mars, Charles VII l’emmenait à Poitiers, ou une commission de prélats, conseillers et docteurs devait examiner s’il y avait lieu de la mettre « â l’œuvre », de lui donner des armes et des gens. A la tête de la commission olïicielle fut placé le chancelier du royaume, Regnault de Chartres, archevêque de Reims. Le registre dans lequel furent consignés les procès-verbaux des séances ayant malheureusement été perdu, nous savons très peu de chose des questions qui furent traitées. La Pucelle avait été confiée aux soins de dame Rabaleau, dont le mari, maître Jean Rabaleau, était avocat général criminel au Parlement. C’est dans celle honorable maison que se transportèrent les commissaires désignés pour interroger la jeune tille sur sa mission. A vous entendre, lui dirent-ils. Dieu même vous envoie vers le roi. Nous venons voir s’il faut vous croire. Et ils entreprirent de lui montrer par de belles et douces raisons qu’elle se trompait.

Jeanne leur répondit. « Et ils étaient grandement ébahis » d’entendre une simple bergère ainsi répondre. Elle parla de son pays, de ses visions, de la i)itié qu’il y avait au royaume de France, du commandement que ses voix lui aviiient fait de partir, de son voyage accompli sans encombre, ainsi que ses voix le lui avaient annoncé. Guillaume Ayuieric, dominicain et iirofesseur de théologie, lui dit alors :

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« Jeanne, vous prétendez que c’est le plaisir de Dieu

que les Anglais s’en aillent eu leur pays, et vous demandez des armes et des gens. Si cela est, il n’en faut pas, car le seul plaisir de Uieu peut les déconlire et les faire aller en leur pays. » — <i En nom Dieu, repartit Jeanne, les gens d’armes batailleront et Dieu donnera la victoire. « Sur ce, maître Seguin de Seguin, des Frères Prêcheurs lui aussi, lui demanda quelle langue parlaient ses voix. — «. Un meilleur français que le vùtre, répliqua la jeune Lorraine. » — C’était vrai, remarquait plus tard avec bonhomie maître Seguin : je parlais Ûmosin. En ce moment, un théologien carme du nom de Seguin tout court, « un bien aigi-e homme », dit la Chronique de la Pucelle, intervint et dit : — ^ Le roi serait sacré à Reims. — 3" La ville de Paris rentrerait en l’obéissance du roi. — 4° Le duc d’Orléans reviendrait d’Angleterre. « Moi qui vous parle, disait aux juges de la réhabilitation maître Seguin, j’ai ouï ces prédictions et je les ai vues accomplies’. » (Procès, t. 111, p. 205.)

Eu ces diverses séances, qui se renouvelèrent pendant trois semaines, il ne tomba des lèvres de Jeanne aucune réponse capable défaire suspecter sa piété, la pureté de sa loi. D’autre part, des dames de toute vertu, la reine Yolande de Sicile, les dames de Gaucourt et de Trêves, s’assuraient de la parfaite virginité, de la parfaite pureté de la jeune tille, choses incompatibles avec une influence démoniaque. Les docteurs de Poitiers, dans leur rapport au roi, émirent l’avis qu’il y avait lieu de donner à Jeanne des hommes d’armes, ainsi qu’elle le demandait, et de la mener devant Orléans.

« Ces choses ouïe », le roi considérant la grande

bonté qui était en cette Pucelle. conclut en son conseil que dorénavant il s’aiderait d’elle au fait de ses guerres, attendu que (>our ce elle lui était envoyée. » (Procès, t. iii, p. 2IO.) — En conséquence Jeanne fut nommée i chef de guerre ». IJiix femina helli facta est, remarque en ses Mémoires le i)ape Pie II (Procès, t. W, p. 510).

A Tours et Blois. — Départ pour Orléans. — Charles Vil ne se borna pas au témoignage de confiance qu’il venait de donner à l’envoyée de Dieu : il commanda qu’on lui montât une maison militaire en rapport avec le rang auquel il venait de l’élever, et il lui fit présent d’une armure toute blanche. A la tète de sa maison militaire fut placé un brave écuyer d’âge mûr, qui était au comte de Dunois, le plus honnête homme qu’il efit parmi ses gens. Deux jeunes

1. On remarquera qu « quelques-unes des pi-édiclions mentionnées p : ir frère Seguin, la rentrée de Pari » en l’obéissance du roi. le retour du duc d’Orléans captif en Angleterre." la desiruclion » des.anglais, c’esl-à-dire la victoire finale de nos armes, ne devaient pas être jiccomp’ies du vivant même de la Pucelle. C’est que l’accomplissement de ces j>rédiclion3 devait être 1 objet d une m’ssion spéciale, (jne nous nommons la mission de survie et que nous dérinirons (>lus bas.

gentilshommes lui servirent de pages, l’un nommé Louis de Coûtes, qui était avec Jeanne depuis l’audience de CLinon, l’autre dont on ne connaît que le nom de Raymond. Les deux écuyers qui avaient accompagné la jeune fille depuis Vaucouleurs, ses deux plus jeunes frères, Pierre et Jean, qui étaient venus la rejoindre, deux hérauts d’armes et des varlets complétèrent sa maison. Pour aumônier, la Pucelle eut frère Pasquerel, des Ermites de saint Augustin au couvent de Tours. A frère Pasquerel se joignit plus tard un religieux, cousin germain de Jeanne, frère Nicolas, profès en l’abbaye deCheminon de l’ordre de Citeaux, diocèse de Chàlons, que la jeune guerrière demanda elle-même à l’abbé du monastère.

Il y eut une chose que Jeanne n’accepta pas : l’épée que lui olfrait Charles VIL Elle n’en voulait d’antre, lui dit-elle, que l’épée conservée dans l’église de Sainte-Catherine de Fierbois. Elle en savait l’existence par ses voix. Sur ses indications, on alla la chercher et on la trouva derrière l’autel, toute rouillée, ornée de cinq croix. Un armurier de Tours la mit en bon état. Les prêtres de Fierbois olfrirent un fourreau de velours vermeil, les habitants de Tours un fourreau de drap d’or ; ce qui n’euipècha pas la Pucelle d’en faire exécuter un troisième de cuir solide.

La bannière ou étendard était pour les chefs de guerre le signe du commandement. Jeanne eut le sien dés Poitiers, « écu d’azur, avec une colombe blanche qui tenait en son bec une banderole sur laquelle on lisait : De par le roy du ciel ». Mais cet étendard n’était pas celui que voulaient ses saintes. Elles lui marquèrent de quelle manière il devrait être exécuté : en linon blanc, brodé de soie et semé de lis. Sur la face, en lettres d’or, les noms sacrés de Jésus et de Marie ; au milieu. Dieu assis sur les nuées, un globe dans la main. De chaque côté, un ange présentant une fleur de lis que Dieu bénissait. Sur le revers, figurait l’écu de France porté par deux anges.

A la bannière, Jeanne ajouta un peiinon, bannière plus petite. Ce pennon avait pour sujet l’Annonciation. Devant la Vierge, un ange tenait un lis à la main et le lui olTrait.

Le 20 avril, le jeune roi quittait Poitiers et donnait Tordre de conduire la Pucelle à Tours. En même tenq)S, il chargeait le duc d’Alençon de rassemblera Blois un corps expéditionnaire et un convoi de secours que Jeanne mènerait à Orléans. Le 25 avril, la Pucelle prenait le chemin de Blois en compagnie de l’archevc(]ue de Reims et du seigneur de Gaucourt. Arrivée en cette ville, elle se mit en rap])ort avec les gens du corps de secours et les convoqua deux fois par jour autour d’une bannière représentant l’image de Jésus crucifié..vcc les prêtres et frère Pasquerel, elle leur faisait chanter des hymnes et des cantiques, mais elle les engageait surtout à ])urifier leur conscience par une bonne confession. Avant de tenter le sort des armes, le nouveau chef de guerre voulut faire entendre aux Anglais et à leurs capitaines des propositions de paix. Elle leur adressa une lettre, dans laquelle, de la façon la plus décidée, elle leur signifiait que, s’ils ne voulaient s’en aller en leurs pays, ils seraient » boutés hors de France », et le roi Charles, (I vray héritier ». entrerait à Paris en bonne compagnie.

Sans attendre la réponse, le 2- avril le corps et le convoi de secours se mettaient en route pour Orléans. En tête des liommes d’armes flottait la bannière de Jésus crucifié : des prêtres l’enloiiraient et chantaient le Vent Creator. La messe fut célébrée en jilein air, Jeanne y communia. Il en fut de mcnie le len<leniain. Le 29, au matin, on arrivait en vued’Orléans. 1221

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111. — Jeanne d’Arc dans l’accomplissement de sa mission de vie : phase guerrière. — Du sièga d’Orléans â la sortie de Compiègne.

Ainsi que Jeanne l’a déclaré aux ilocleurs qui l’exaluinaienl, à Orléans elle va donner son premier signe.

La première partie de sa mission, que l’on peut nommer sa « mission de vie », comprend elle-même deux phases, l’une guerrière, du siège d’Orléans à la sortie de Compiègne ; l’autre douloureuse, à laquelle se rattachent sa captivité, son procès, son supplice. Dans la « mission de survie », rentrent les événements annoncés par la Pucelle à Poitiers et Rouen comme devant s’eft’ectueV à coup sûr, sinon de son vivant, du moins après sa mort ; entre autres la paix d’Arras, la soumission île Paris, la recouvrance du rojaume, la délivrance du sol français.

Jeanne dans Orléans. — liaslilles emportées. — I.e.< Anglais lèvent le siège. — Orléans était la ville dont la possession importait le plus à Charles VII. Par sa position sur la Loire, elle barrait aux Anglais lattes des provinces du Centre et du Midi. Celte ville prise, la conquête du reste du royaume n’était qu’une affaire de peu de temps. Aussi le Grand Conseil d’Angleterre avait-il chargé un de ses meilleurs capitaines, le comte de Salisbury, de mener le siège. Le 12 octobre, il était sous les murs de la place. Le 2^ du même mois, il donnait assaut au boulevard ou fort des Tournelles, sur la rive gauche du fleuve, et s’en emparait. Mais le soir même de ce jour, un éclat de boulet le frappait en plein visage, et trois jours après, il mourait. Le siège traîna en longueur. Les Anglais entreprirent de construi-e autour de la place une ligne de petits forts ou bastilles se reliant les uns aux autres et menaçant les assiégés d’un infranchissable blocus. Elles étaient au nombre de treize. Le 20 avril, la dernière, celle de Saint-Jeanle-Blanc, du coté de la Sologne, s’achevait.

Le vendredi ag avril, Jeanne arrivait par la rive gauche de la Loire en vue d’Orléans, à la hauteur de la bastille de Saint-Loup. On avisa dès son arrivée

« Monseigneur le Bastard » (Jean, bâtard d’Orléans, 

gouverneur de.l’Orléanais), connu dans l’histoire sous le nom de Dunois ; il vint avec ses capitaines et quelques-uns des principaux bourgeois souhaiter la bienvenue à la jeune guerrière. En cette entrevue, plusieurs mesures furent prises. Elles devaient procurer l’entrée des vivres dans la ville par la Loire, le retour du corps expéditionnaire de Blois pour y prendre un second convoi, et l’entrée de la Pucelle dans la ville assiégée. Dunois insista sur ce dernier point. « Les Orléanais, dit-il, croiraientne rien avoir, s’ils n’avaient la Pucelle. » Tout se passa connue il avait été convenu. Des chalands, préparés exprès, reçurent les vivres. Comme l’avait annoncé Jeanne, les eaux, qui étaient basses le matin, grossirent ; le vent, qui était contraire, tourna ; nmnilions et vivres entrèrent dans la ville sans empêchement. Jeanne traversa la Loire, s’arrêta sur la rive droite au château de Reuilly, chez Guy de Cailly, et le soir, vers huit heures, elle faisait son entrée dans Orléans. Montée sur un cheval blanc, ayanl Dunois à sa gauche, à sa suite le maréchal de Boussac, La Hire, Xaintrailles, elle fut conduite à l’hôtel du trésorier du due d’Orléans, messire Jacques Boucher, avec ses deux frères et les deux gentilshoiiimcs de Vau couleurs, et y reçut une large hospitalité. Sur sa demande, la lille de son hôte vint avec elle, dans la chambre qu’on lui avait préparée, prendre son repos.

On ne pouvait songer à une action militaire, tant que le corps de secours et le second convoi de vivres ne seraient pas revenus de Blois. Le samedi 30 avril, ’la Pucelle envoya aux assiégeants une sommation

« bien simple, remarquait Dunois, mais catégorique

». Les Anglais répondirent que s’ils la tenaient, ils la feraient brûler. Non contente de cette sommation écrite, elle se rendit, le soir de ce même jour samedi, devant la bastille des Tournelles et somma le capitaine William Glasdale de se retirer. On lui répondit par des injures. « N’importe, répliqua la Pucelle, vous vous en irez bientôt, et toi, Glacidas (nom francisé de Glasdale), lu ne le verras pas. « 

Le dimanche i"’mai, nouvelle sommation à la Croix-Morin. Ce même jour et le lundi 3 mai, Jeanne parcourt la ville et encourage les habitants. Le mardi 3 mai, fête de l’Invention de la Sainte Croix, il y eut une procession solennelle à laquelle Jeanne assista. On lui disait : — « ’Vous pensez que Dieu aura pitié de nous ? — Oui, bons Orléanais. Les Anglais ont la personne du duc d’Orléans, ils n’auront pas sa ville. »

Le 4 mai, Jeanne avec cinq cents hommes d’armes vint à la rencontre du convoi de Blois, que Dunois ramenait. Troupes et vivres, en tête frère Pasquerel I>ortanl la bannière des hommes d’armes, entrèrent dans la ville sans que les Anglais tentassent de s’y opposer. De retour chez elle, la jeune lille se jeta sur son lit pour prendre un jieu de repos. Tout à coup elle s’éveille et dit à son écuyer Jean d’Aulon : <i En nouiDieu.mes Voix me disent d’aller contre les Anglais. » Elle sort, et apercevant son page : « Ah ! sangl.int garçon, lui dit-elle, vous ne me disiez pas que le sang de France fût répandu. Allez quérir mon cheval. » Elle y monte aussitôt, saisit son étendard et court vers la porte de Bourgogne. On se battail, en efTet, de ce côté. Des hommes d’armes imprudents avaient attaqué la bastille de Saint-Loup, que de trois à quatre cents Anglais occupaient. La bataille était rude. Jeanne accourt au milieu des assaillants, son ctendar<l à la main..Vu bout de trois heures, l, i bastille était emportée. C’est ce jour-là que, rencontrant un blessé couvert de sang, la noble lille demanda qui il était. — « Un Français, lui ful-il répondu. — Ah 1 s’écria-t-elle, je n’ai jamais vu couler de sang français que les cheveux ne se dressassent sur ma tête. » (Prucés. t. 111. p. 21 3.)

Le 5 mai, jour de l’Ascension, elle écrivait aux assiégeants une dernière lettre alin a qu’ils rentrassent dans leur pays ». Elle la leur envoya allacliée à une flèche.

Le 6 mai, vendredi, Jeanne passe la Loire avec quatre mille combattants, dans le dessein d’attaquer les bastilles de la rive gauche. Les Anglais ayant mis le feu à Saint-Jean-le-Blanc, elle s’écrie : (I Alors, enlevons les Augustins 5 ; et elle va planter son étendard sur le bord du fossé. Les ennemis sortant de la bastille jettent la panique dans les rangs des Français : ceux-ci reculent, entraînant la Pucelle. Mais la vaillante jeune lille se retourne et, secondée par La Hire, elle court sus aux Anglais. On la suit, le combat s’engage, acharné, les Français pénètrent dans la bastille, ils la livrent aux flammes, et une deuxième victoire couronne leurs efforts. Restait la bastille des Tournelles. Jeanne en remit l’attaque au lendemain. « J’aurai, dit-elle à son aumônier frère Pasquerel, plus ample besogne que jamais. Il sortira demain du sang de mon corps â la hauteur de la poitrine : tenez-vous toujours près de moi. » En avril précédent, la jeune Lorraine avait annoncé déjà cette blessure à Charles VIL « Au siège d’Orléans, lui avait-elle dit, je serai blessée ; mais non mortellement. »

Le samedi 7 mai, dès que la Pucelle eut rejoint les troupes devant les Tournelles, l’attaque de la bastille commença. Les Français paraissant faiblir, Jeanne 1223

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prend une éolielle, l’applique au rempart et, au cri de : (I Qui m’aime me suive », elle se met à monter. A peine avait-elle gravi quelques échelons qu’un trait d’arbalète l’atteint entre la gorge et l’épaule et la perce de part en part. On l’emporte et on panse sa blessure. Des larmes coulent de ses yeux à la vue du sang. Mais, se reprenant, elle-même arrache le ter de la plaie. On lui otlre un charme pour la guérir. « II y aura bien moyen de guérir sans mal faire », répond-elle. Frère Pasquerel, qui n’a pas oublié la recommandation de la veille, est près d’elle : il la confesse et Jeanne reparaît au milieu des siens. On parlait de renvoyer l’attaque au lendemain. — « Point du tout, s’écrie Jeanne ; n’ayez doute, vous entrerez bientôt dedans. Reposez-vous, mangez, buvez, et puis retournez à l’assaut de par Dieu : les Anglais faibliront et seront prises leurs tourelles et bastilles. » On suit le conseil de Jeanne. Les Anglais n’opposent qu’une faible résistance. — « Glacidas, Glacidas, crie Jeanne, rends-toi au roi du ciel : tu m’as grossièrement injuriée ; mais j’ai grand’pitié de vos âmes. i> Glasdale essaie de passer le pont qui reliait le boulevard au fort des ïournelles : le pont auquel les Orléanais avaient mis le feu s’elfondre et le capitaine anglais avec ses gens est précipité dans la Loire. Ainsi qu’elle l’avait annoncé, Jeanne rentra dans Orléans par le pont, bien qu’une arche en fîit rompue ; car on se liàta de rétablir le passage. Les cloches sonnèrent dans toutes les églises, on chanta le Te Deiim.

Le lendemain 8 mai, de grand matin, les troupes anglaises, sortant de leurs bastilles de la rive droite, se rangèrent devant la ville comme pour olTrir la bataille, (^e n’était qu’une feinte : ils levaient le siège. Les troupes fran(, aises sortirent également, prêtes à combattre, s’il le fallait. En attendant, comme c’était un dimanche, la Pucelle lit célébrer publiquement deux messes. — « Les Anglais, demanda-t-elle, tournent-ils le visage ou le dos ? — Us tournent le dos, lui fut-il répondu. — Eh bien, qu’ils s’en aillent ; vous les aurez uneautre fois. » Les. glais battaient

effectivement en retraite. Orléans était délivré.

Campagne de la Loire. — Jargeau, Meung, Beaugency. — Victoire de l’atay. — Campagne de Reims. Le sacre. — S’arrachant le lo mai à la reconnaissance des Orléanais, Jeanne se dirigea sur Tours où le roi vint la rejoindre et la féliciter. De Tours, Charles VU l’emmena au château de Loches. Coupant court à ses hésitations, la Pucelle lui proposa de nettoyer les bords de la Loire et de reprendre Jargeau, Meung, lîeaugency. où les.Vnglais battus s’étaient retirés. Charles approuva ce plan de campagne, et l’on en prépara l’exécution. Le duc d’.lençon, qui venait de payer le complément <ie sa rançon aux Anglais, fut mis à la tête de l’armée royale, et la Pucelle lui fut adjointe, avec ordre de ne rien faire sans son conseil.

Le lieu fixé pour la réunion des troupes fut Sellesen-Berry. Le 6 juin, Jeanne y était rendue. Le 12 juin, huit mille combattants campaient devant Jargeau, que SufTolk défendait avec six cents hommes d’élite et de l’artillerie. La nuit même, les Français occupaient les faubourgs. Le lendemain, l’assaut était donné dès neuf heiu’es du matin, la place prise et Sulfolk contraint de rendre son é>ée.

Le lundi 1 3 juin, Jeanne et le duc d’Alençon allèrent à Orléans mander cette bonne nouvelle au roi. Le mercredi 15 juin, on attai|uait le pont de Meung et on s’en emparait. Le lôjuin, on se portait devant Beaugency. La garnison avait abandonné la ville et s’était retirée sur le pont et dans le château. A ce moment, la Pucelle apprenait que Talbot était allé au-devant de Falstalf, le vainqueur de Rouvray,

qui venait avec un corps de troupes considérable porter secours aux vaincus. Les Français, que le connétable de Richemont avait rejoints avec quatre cents lances et huit cents archers, laissèrent Beaugency et marchèrent au-devant des deux capitaines anglais. Us les rencontrèrent non loin de Meung. Les deux armées passèrent la journée â s’observer et à préparer la défense. Le lendemain, Falstaff et Talbot apprenaient que pendant la nuit la garnison de Beaugency avait capitulé. Il ne leur restait qu’à livrer bataille ou à battre en retraite ; ils prirent ce dernier parti. La Pucelle et ses gens s’élancent à leur poursuite ; en tête chevauchent à toute bride quinze cents cavaliers conduits par La Hire et Xaintrailles. Les Anglais sont atteints dans les champs de Patay. La Hire et Xaintrailles les culbutent ; Falstalf lui-même s’enfuit sans tourner la tête, Talbot est fait prisonnier. Ainsi que l’avait dit la jeune guerrière, « le gentil roi tenait bien la plus grande victoire qu’il eût jamais n.

Le dimanche matin ig juin, le lendemain même de la " chasse » de Patay ( 18 juin), la Pucelle revint à Orléans, et de là rejoignit le roi à Sully-sur-Loire, où son favori La Trémoille lui donnait une royale hospitalité. Le 22 juin, on tint conseil à Château-neuf. Plusieurs capitaines étaient d’avis qu’on marchât sur la Normandie ; Jeanne insistait pour qu’on marchât sur Reims, par la raison que, le Dauphin une fois sacré, la puissance de ses adversaires diminuerait considérablement. On se rendit à son avis. La ville choisie pour le rendez-vous général fut Gien sur la Loire. Le 24 juin, Jeanne y arrivait. Le 27, elle se portait en avant dans la direction de Montargis. Le 29, Charles Vil partait lui aussi avec les douze mille hommes qui composaient la petite armée. Jeanne écrivit aux habitants de Troyes une lettre pour les engager à ouvrir leurs portes. Charles Vil leur en écrivait une semblable. Mais quand l’armée se jirésenta devant la ville, elle en lrou a les portes fermées. C’était un siège qu’il fallait entreprendre. On n’avait pas abondance de vivres..Vu bout de cinq à six jours la disette se fit sentir. Devant ces dillicultés, on agita dans le conseil royal la question de reprendre la route de la Loire. C’était l’avis de l’archevêque de Reims, et on y paraissait décidé lorsque le seigneur de TrèA-es fit (d)server qu’on devait entendre au moins la Pucelle sur ce sujet. Le roi mande Jeanne — « Gentil roi de France, lui dit-elle, si aous voulez demeurer ici, avant trois jours Troyes sera en votre obéissance par force ou |)ar amour ; n’en faites nul doute. » Regnault de Chartres repartit : » Qui serait certain de l’avoir dans six jours l’attendrait bien. Mais dites-vous vrai’.' — Oui, je dis vrai, réi)lique Jeanne. » Et l’on résolut d’attendre.

Sans perdre de temps, la Pucelle ordonne qu’on ]>rcparc tout pour donner l’assaut le lendemain à la première heure. L’assaut allait commencer lorsqu’une députation se présente et, au nom des habitants, demande à se rendre. A neuf heures du matin, le 10 juillet, au son des cloches. Charles Vil, Jeanne et l’armée royale entraient solennellement dans la ville de Troyes. Le 15 juillet, Chàlons-sui’-Marne suivait l’exemple de Troyes.

Le 16 juillet, le Dauphin était à Septsaulx, distant de quatre lieues de Reims. En cet endroit, une députation de Uéraois vint solliciter amnistie pleine et entière. Charles VU l’accorda bien volontiers. Le soir après diner, il se présentait aux portes de sa bonne ville avec la Pucelle et il était reçu solennellement par l’archevêque Regnault de tlhartres qui s’y était rendu le malin même. On avait fixé la cérémonie du sacre au lendemain. Les seigneurs de 1225

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Boussac, de (îraville, de Hais el de (^ulan allcreril clierclirr la Sainlc Ampoule qui élail conliée à l’abbc de Saint-Denis. L’abbé la porta solennellement sous un dais et la remit à l’archevêque Heffnaull qui, entouré de son clergé, l’alla déposer au milieu du maitre-aulel. A gauche el à droite du jeune roi se tenaient les six pairs ecclésiastiques et les six pairs laïques. Devant Charles Vil, le sire d’Albret portait l’épée de connétable. A côté, on voyait Jeanne d’Arc, son étendard à la main (i^ juillet 1429).

C)iiand Charles VU eut été sacré et couronné, Jeanne d’Arc se jeta à ses pieds, embrassa ses genoux et lui dit en versant d’abondantes larmes :

« Gentil roi, maintenant est exécuté le plaisir de

Dieu qui voulait que vinssiez à Reims recevoir votre digne sacre, montrant que vous êtes vrai roi et celui à qui le royaume doit appartenir. >> Et pendant qu’elle parlait, les seigneursprésenls pleuraient comme elle. Et tous, mieux que jamais, crurent que ce qu’elle avait fait, elle l’avait fait de par Dieu.

A Reims, il fut doux à Jeanne de revoir et d’embrasser Jacques d’Arc son père. Le roi lui ayant octroyé pour les villages de Greux et Doiuremy l’exemption de toutes tailles et impôts, Jacques d’Arc put en porter à ses concitoyens la bonne nouvelle.

IV. — Après le sacre. Seconde partie de la mission de Jeanne d’Arc

Jeanne avait tenu les promesses faites à Poitiers ; mais il lui restait autre chose à faire : poursuivre l’cinivre du relèvement de la France, l’expulsion totale de l’Anglais, qui ne pouvait être achevée que les armes à la main ; et enfin payer à Dievi par sa captivité, son procès et sa mort, le prix de cette rédemption délinitive du pays.

Le roi, que Jeanne vient de faire couronner, ne tardera pas à la délaisser. Prêtant l’oreille à ses favoris, il espérera de la diplomatie les résultats qu’il n’eut dû attendre que de la force des armes ; el la Pucelle, persistant à combattre quand même pour rester lidèle à sa mission, tombera sous les murs de Compiégne entre les mains de ses ennemis.

Jeanne eût été heureuse de pouvoir après le sacre s’en retourner dans son petit village : le langage qu’elle tint à Regnault de Chartres ne permet pas d’en douter, a En quel lieu. Jeanne, pensez-vous mourir ? » lui demandait le prélat en traversant Crespy-en-Valois. — « Où il plaira à Dieu, répondit la jeune lille ; car je ne suis assurée ni du temps ni du lieu plus que vous-même. > Et elle ajouta : « Que je voudrais qu’il plût à Dieu, mon Créateur, que je m’en retournasse maintenant, quittant les armes, el que je revinsse servir mon père et ma mère, et garder leurs troupeaux avec mes frères. » {Procès, t. iii, p. 1 4-15 : déposition de Dunois, témoin de la scène.) Lorsque Jacques d’Arc prit congé de sa fille à Reims, Jeanne eût pu le suivre, si elle avait voulu ; et elle l’eût suivi si ses voix l’eussent laissée libre. Mais elle ne l’était pas. Après le sacre, ses voix ne la blâmèrent jamais d’avoir continué de porter les armes. Au contraire, en lui rappelant qu’une gloire supérieure lui était réservée, en l’exhortant à ne point « avoir souci de son martyre ; qu’elle s’en viendrait à la gloire du paradis ii, elles donnaient à sa conduite une entière approbation.

Campnofir de t’/te-di’-Finnce. — Le jeune roi ne partit pas le lendemain du sacre pour le prieuré de C.orbigny, où il devait selon l’usage loucher les écronelles. Il ne le fit que le 20. Les 18 el 19 juillet se passèrent à recevoir les ambassadeurs <lu duc de Bourgogne, qui venaient faire des ouvertures de paix. Le jour même du sacre, la Pucelle avait écrit à

Philippe le Bon pour l’engager à se rapprocher du roi. One trêve de quelques jours fut conclue entre les représentants de Philippe et ceux de Charles VIL Le 30 juillet, on prit la route de l’Ile-de-France. Aucune action sérieuse ne marqua cette campagne. Sauf la tentative sur Paris, il n’y eut que des démonstrations se bornant à de simples escarmouches. La renommée faisait plus en faveur du prince qui venait d’être sacré que la force des armes. Jusqu’au 1 4 août, les deux armées, française et anglaise, passèrent leur temps à des marches et contremarches. Le duc de Belhl’ord semblait olTrir la bataille, puis tout à coup se dérobait. Le 17 août, Compiégne se rendait au roi, qui le lendemain y entrait solennellement. Il en fut de même de Beauvais, malgré l’opposition de son évêque, Pierre Cauchon. Le 28 août, donnant suite au système inauguré à Reims, les conseillers du roi, Regnault deChartrcs à leur tête, concluent à Compiégne avec les ambassadeurs de Philippe une trêve qui devait (inir à Noël.

L’échec de Paris. — Ce n’étaient point des trêves de ce genre qui pouvaient procurer une paix durable : la Pucelle comptait ne l’obtenir que par le bout de la lance ». Elle avait suivi le roi à son entrée dans Compiégne le 18 août. Le 23, elle en partait avec le duc d’Alençon et l’élite de l’armée et, le 26, entrait dans Saint-Denis sans coup férir. Paris était l’objectif de la campagne. Charles Vil ne refusait pas de s’y porter ; mais il ne se pressait pas. Après divers messages et instances personnelles du duc d’Alençon, il se décide, el le 7 septembre il vient diner à Saint-Denis. L’attaque est résolue pour le lendemain, fête de la Nativité de la Bienheureuse Vierge.

Des douze mille hommes que couqjrenait l’armée royale, on forma deux corps, l’un de réserve sous les ordres du duc d’Alençon, l’autre d’allaque sous le commandement de la Pucelle : le point attaqué devait être la porte Saint-Honoré. Le 8 au malin, le plan arrêté s’exécute : l’artillerie bal en brèche les remparts. Vers raidi, la barrière du boulevard est en feu, Jeanne commande l’assaut et le boulevard est emporté. Restent les remparts, dont deux fossés, l’un à sec, l’autre rempli d’eau. La jeune guerrière réclame des fascines pour combler le fossé et escalader les remparts. Les fascines n’arrivent pas. On ne cesse pas néanmoins de combattre. En gravissant le revers du second fossé, un Irait d’arbalète atteint la Pucelle à la cuisse. Elle refuse de quitler le terrain du combat, espérant toujours en l’arrivée des secours indispensables. — « Qu’on s’approche des murs, s’écrie-t-elle, el la ville est à nous. Que le roi se montre seulement I » Le roi ne se montra pas, les capitaines laissèrent Jeanne combattre jusqu’au soir avec ses hommes d’armes. Il fallut l’emmener de force, disant : s Par mon marlin, si on l’eût voulu, la place eût été prise. » Elle voulait reconiniencer l’attaque le lendemain et le surlendemain. Le 9 septembre, un ordre formel du roi l’obligeait à se replier sur Saint-Denis. Le 10, elle trouva rompu, toujours par ordre du roi, le pont que le duc d’Alençon avait fait jeter la nuit sur la Seine pour attaquer Paris par la rive gauche. La campagne était terminée. A la force des armes succédaient les habiletés de la diplomatie. Le 13, Charles VII et la Pucelle quittaient Saint-Denis. Avant son départ elle dépose en tf.r-i’o(o dans la basilique sa blanche armure et une épée enlevée a un Anglais. Le 21 septembre, elle arrivait avec Charles à Gien.

Campagne de la Loire. — Compiégne, — Jeanne au pniii’oir des Antilo-Bourgiiignons. — Le premier acte de Charles VII, à son arrivée à Gien, fut de licencier l’armée. Réduite à l’inaction, la Pucelle vint à Orléans, Bonrges, Jargeau, Montfaucon en Berry. Au 1227

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mois d’oclobre, le roi pria Jeanne, à Moi. tfaucon en Berry, de lui dire ce qu’elle pensait de l’aventurière Catherine de la llocUelle, qui se disait inspirée de Dieu et visitée chaque nuit par une dame blanche, vêtue de drap d’or. Jeanne mit l’aventurière à l’épreuve, la prit en llagrant délit d’imposture, et donna son avis en conséquence.

Cependant le Conseil du roi tenait à se rendre raailre des places fortes du cours supérieur de la Loire. La Pucelle fut chargée de cette petite campagne, avec le sire d’Albret pour lieutenant, l.a première place assiégée l’ut Saint-Pierre-le-Moulier. Un premier assaut est repoussé. Sur-le-champ, Jeanne ramène ses troupes au combat, et la ville est prise.

Le siège de la Charité-sui-Loire se termine moins heureusement. Avant de l’entreprendre, la l’ucelle, pour venir en aide au trésor royal, écrivit le 7 novembre aux habitants de Clermont-Ferrand, le g à ceux de lliom, sollicitant l’envoi « de poudres, salpêtres, arbalètes et autres habillements de guerre ». Ces secours ne suflirenl pas à porter remède au mal. Le siège commencé, artillerie, vivres, argent tirent défaut. La garnison boi^rguignonne, commandée par Perrinel Grasset, se défendit vigoureusement. Au bout d’un mois de siège, les troupes du roi fureiit obligées de se retirer.

Néanmoins, le Il janvier suivant, la Charité se rendait au roi de France. Pour « reconnaître les louables services que Jeanne avait rendus au royaume et ceux qu’elle lui rendrait encore v, Charles VU venait de l’anoblir (décembre 1^29), ainsi que toute sa famille, avec ce privilège que la noblesse s’y transmettrait par les femmes comme par les hommes. Sans être insensible à ces attentions royales, la jeune guerrière n’y trouvait pas une explication sullisante de l’inaction à laquelle, durant trois mois, de décembre à mars, elle se vilenquelquemanière condamnée. Anglais et Français pourtant ne cessaient de guerroyer. Les habitants de Reims redoutant une attaque des Anglo-Bourguignons, la jeune lille leur écrivit deux lettres en date du 16 et du 28 mars pour leur donner confiance. Le 23 mars elle en avait fait écrire une de Sully-sur-Loire aux Hussites de Bohême par son aumônier, frère Pasquerel, pour les engager à rentrer dans l’unité de la foi catholique. Le lendemain de sa seconde lettre aux Rémois, Jeanne mettrait à exécution le dessein qu’elle avait mûri. Sans aviser le roi, et pour cause, car il s’y serait opposé, elle sortait dans la campagne et avec son écuyer Jean d’Aulon. son frère Pierre d’Arc, et quelques-uns de ses gens, elle prenait la route de l’Ile-de-France.

En avril, nous la retrouvons à Melun et à Lagny, villes rentrées en l’obéissance du roi. A Melun, le 15 du même mois, sur les fossés de la place, les saintes aimées de Jeanne lui annoncent qu’avant la Saint-Jean d’été elle serait prisonnière. — « Ne t’étonne pas, lui disent-elles : il faut qu’il en soit ainsi ; prends tout en gré. Dieu te viendra en aide. » (Procès, t. 1, p. iii-116.)

A Lagny-sur-Marne, la Pucelle fut en compagnie de gens qui faisaient bonne guerre aux Anglais de Paris et d’ailleurs. Avec eux, elle débarrassa le pays d’un chef de partisans, nommé Franquet d’.Vrras, redouté pour sa rapacité et sa cruauté. Dans un combat acharné, elle tailla ses quatre cents hommes en pièces et le fit lui-même prisonnier. Réclamé par le bailli, Fran(]uct fut jugé, conyaincu de ses crimes et décapité.

Le séjour de Jeanne à Lagny fut marqué par un fait d’une tout autre sorte. Un enfant nouveau-né ne donnait pas signe de vie et demeurait privé du baptême. Des jeunes filles le portent à l’église devant une image de la Vierge et se mettent à prier. Soudain

la pensée leur vient de demander à la Pucelle le secours de ses prières, l.a Pucelle se prête à leur désir. Or, voilà que l’enfant donne signe de vie et bâille par trois fois. On s’empresse de le baptiser : il meurt peu après et il est inhumé en terre sainte (l’roccs, t. I, p. io5).

En dépit de ses démarches pacifiques, le duc Philippe de Bourgogne n’en nourrissait pas moins des intentions belliqueuses. Non content des a vaut âges obtenus par la trêve du 18 septembre, il médita de s’emparer de Compiègne qui, de ce côté, était comme la clef du royaume. Pour commencer, il s’empara i"e Gournay-sur-Aronde et assiégea Clioisy-sur-Aisne. A cette nouvelle, Jeanne accourut à Compiègne, où elle était le |3 mai. En cette ville, avec Xaintrailles et autres vaillants hommes, elle s’occujia de secourir Clioisy. Mais il eût fallu traverser l’Aisne, et le capitaine de Soissons ne le permit pas. Non secouru, Choisy fut emporté. Le 3’i mai, les troupes de Philippe le Bon campaient sous les murs de Compiègne. Le soir de ce même jour, Jeanne, qui était à Crespy, en fut informée. Allons à Compiègne, dit-elle aussitôt. Le 2/1 mai, au soleil levant, elle entrait par la forêt dans la place. Le jour même, après s’être rendu compte des positions occupées par les Anglo. Bourguignons sur la rive gauche de l’Oise, à Margny, Clairoix et en trois ou quatre autres points, elle combina avec le gouverneur de Compiègne, Guillaume de Flavy, une sortie qui, bien menée, devait jeter la panique dans les lignes ennemies. Il s’agissait d’attaquer brusquement les Bourguignons à Margny, de les culbuter et de s’y établir fortement. De son côté, Flavy appuierait l’attaque par l’artillerie des remparts et prendrait les moyens de protéger au besoin la retraite. Vers quatre heures du soir, la Pucelle, à la tête de cinq ou six cents hommes, sort par la porte du pont, à l’opposé de la ville, et atla<|ue Margny. Culbutés par deux fois, les Bourguignons ne cèdent pas facilement le terrain. A la troisième attaque, Jeanne ne les repousse qu’à mi-chemin de leurs quartiers. Mais ceux de Clairoix ont été avertis, ils arrivent au secours. Déconcertés par ce mouvement inattendu et craignant d’être tournés, les Français du dernier rang prennent peur et se précipitent du côté de la ville. Jeanne a beau vouloir les arrêter, ses elforts sont impuissants. On lui dit qu’elle doit elle-même gagner le boulevard, sinon elle est perdue. Jean d’Aulon prend de force la bride de son cheval et le tourne vers Com|iiègne. C’est trop tard. Autour de la noble lille qui fait toujours face à l’ennemi, il ne reste qu’un |)elil nombre de combattants. Acculée contre la chaussée qui traversait la vallée, les Bourguignons la pressent, l’entourent. Son étendard tombe à terre, un archer du bâtard de Wandonne la tire vicdemment par sa casaque vermeille et la renverse de cheval. Elle est entre les mains de ses ennemis ; son frère Pierre et Jean d’Aulon partagent son sort.

On les conduisit à Margny, où le duc de Bourgogne lui-même venait d’arriver.Philippe le Bon reçut la captiveeteut avec elle un entretien demeuré secret. Tout à la joie de ce succès inespéré, il s’empressa d’envoyer de nombreux courriers aux villes gagnées à la cause anglaise. En revanche, au sein des populations attachées au roi de France, la nouvelle de la prise de l’héroïne causa une profonde douleur. Ce fut dans beaucoup de villes un deuil véritable. On ordonna des prières publiques pour obtenir la délivrance de la captive. A Tours, une procession générale eut lieu dans laquelle on porta les reliques de saint Martin, au chant du Mixerere. Partout, on accusait hautement les capitaines et seigneurs d’avoir trahi la Pucelle qui condamnait leurs vices par sa vie toue 1229

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sainte et se disait n envoyée pour la consolation des niallieureux et des pauvres » (Procès, t. III, p. 88). Les bonnes jrens n’avaient pas tout à fait tort de parler ainsi. Ne vit-on pas. en ces jours de deuil national, un chancelier du royaume, Regnault de Chartres, archevêque de Ueinis, s’oublier jusqu’à écrire que Jeanne avait eu à Compiègne « le sort qu’elle méritait ? Elle ne voulait croire conseil et faisait tout à son plaisir » (Procès, t. V, p. 168-169.)

De Compiègne à Rouen. — Le bâtard de Wandonne, à qui Jeanne avait été remise prisonnière, était un chevalier au service de Jean de Luxembourg, lieutenant du duc de Bourgogne, ("était donc Jean de Luxembourg qui devenait l’arbitre du sort de la Pucelle. Au bout de trois ou quatre jours, pendant lesquels la captive vit la duchesse de Bourgogne à Noyon, ce seigneur l’envoya au château de Beaulieu, en Vermandois. Elle y resta deux mois. Deux pensées l’y obsédèrent : la crainte d’être livrée aux Anglais, et la crainte que Compiègne ne fût prise d’assaut. Pour aller rejoindre les défenseurs de la ville assiégée et pour recouvrer sa liberté, elle tenta de s’évader : elle avait à moitié réussi, lorsque le portier du château survint et la remit en lieu sur. O fut pour Jean de Luxembourg un motif de transférer Jeanne en son château de Beaurevoir, entre Saint-Quentin et Clambrai, et de lui donner pour prison une tour très massive et très liante. A Beaurevoir résidaient la tante et la femme de Jean de Luxembourg. Ces nobles daines furent pleines d’égards pour la captive. Mais ces égards ne la consolaient pas. Malgré ses saintes, qui l’assuraient de la délivrance prochaine de la ville assiégée et la détournaient de son entreprise. Jeanne attacha des linges ensemble, les suspendit à une fenêtre, et essaya de se sauver. Les linges se rompirent. Précipitée au bas du donjon, elle y resta sans mouvement. Enfermée de nouveau, il lui suffît de trois ou quatre jours pour être réconfortée. Sainte Catherine lui dit de se confesser ; que, d’ailleurs, avant la Saint-Martin d’hiver, Compiègne serait secourue. En effet, sur la lin d’octobre, le siège de cette ville était levé ; mais Jeanne elle-même, à cette date, était vendue et, peu après, livrée aux Anglais.

Le duc de Bedford et les dirigeants du parti anglais avaient dressé leur plan en conséquence. Ce plan consistait à obtenir que la personne de la captive fût remise au roi d’Angleterre, et à la faire juger, de telle sorte que sa mort devint inévitable. On y réussirait au moyen d’un procès criminel ecclésiastique pour cause de pratiques démoniaques et d’erreurs contre la foi. Un procès semblable devant être jugé par des gens d’Eglise, le gouvernement anglais y gagnait de ne point paraître poursuivre une vengeance personnelle, et d’en avoir tout le prolit.

Pour l’exécution de ce plan, il fallait avant tout à l’Angleterre des hommes et un tribunal ecclésiastique à sa dévotion. Elle les trouva dans l’Université de Paris et dans la personne du conservateur de ses privilèges, Pierre Cauchon, évêque de Beauvais. Avec leur concours, le gouvernement anglais obtint que Jeanne lui fût cédée à prix d’or. Il obtint qu’elle fût jugée par un tribunal qui la condamna en qualité d’hérétique relapse, et qu’elle fût déshonorée et brûlée. « Déshonorée et brûlée », disons-nous ; car on tenait à pouvoir dire que le roi de France Charles VII élail redevable (le son sacre et de son royaume à une aventurière de bas étage.

La première chose à obtenir, c’était que Jean de Luxembourg consentît à livrer la captive soit par crainte, soit par intérêt. On mit donc en œuvre l’intimidation d’abord, l’intérêt ensuite.. la première

heure, l’Université de Paris, toute dévouée au gouvernement anglais, entrait en scène. Le 25 mai, on apprenait dans la capitale la prise de la Pucelle. Le ï6, une lettre du vicaire général du grand Inquisiteur et une requêtede l’Université de Parissommaieiit le duc de Bourgogne de faire livrer la Pucelle « soupçonnée véhémentement d’hérésie, pour lui faire son procès comme de raison ». Fin juin, une lettre subséquente de Y Aima mater proposait au duc Philippe de faire remettre la prisonnière, s’il le préférait, à l’évêque de Beauvais, sous le prétexte qu’elle avait été appréhendée en sa juridiction spirituelle. Dans les premiers jours de juillet, Pierre Cauchon prenait à son tour la plume et écrivait dans le même sens au duc de Bourgogne, à Jean de Luxembourg, et au bâtard de Wandonne. Mais, preuve qu’il avait reçu du gouvernement anglais pleins pouvoirs pour agir par l’intérêt encore plus que par l’intimidation sur le châtelain de Beaurevoir, l’évêque de Beauvais offre « au nom du roi d’Angleterre » une somme de dix mille livres, à la condition que ladite femme lui soit livrée..Sur la fin d’août, les parties étaient tombées d’accord. Il n’y avait à attendre que la mort de la vieille comtesse de Ligny, tantede Jean de Luxembourg. Le 13 novembre, cette noble demoiselle mourait à Boulogne. Quelques jours a[irès, les dix mille livres tournois promises étaient comptées ; la vente de la Pucelle était un fait accompli. De Beaurevoir, on l’avait déjà transférée dans la prison d’Arras oii elle demeura quelque temps. Livrée aux « jfficiers de l’Anglelerre, elle traversa le Crotoy, Saint-Valéry, Eu, Dieppe et, sur la fin de décembre, elle arrivait à Rouen. Pour prison, une tour du château royal lui fut donnée : on l’y enferma dans une cage de fer construite exprès. Durant près de deux mois, jusqu’au 21 février, jour du premier interrogatoire public, la malheureuse jeune fille y resta attachée par les pieds, par les mains et par le cou.

Procès de la Pucelle. — Le duc de Bedford, de concert avec l’Université de Paris, arrêta que la Pucelle serait jugée en cause de foi pour crime d’hérésie et de sorcellerie, et que Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, présiderait le tribunal. En même temps, on convint de la forme sous laquelle le procès serait présenté au public. Pour le public et en apparence, le procès de Jeanne serait un procès canonique régulièrement constitué et fonctionnant de même. Dans la réalité, il serait un procès anglais de vengeance d’Etat, jugé per fas et nefas de manière à procurer à l’Angleterre la mort de sa victime et un arrêt infamant dont le contrecoup frapperait Charles VII lui-même.

Faux procès ecclésiastique, ouvert uniquement par ordre du roi d’Angleterre, mené par un juge de son choix sans pouvoirs et sans compétence : procès dans lequel les règles les plus essentielles du droit sont violées, des pièces gênantes sont détruites, des testes faux mis à leur place ; procès enfin dont on laisse tout ignorer au Saint-Siège, de crainte qu’il n’évoque la cause à son tribunal, comme il le fit pour celle des Templiers, auquel cas la Pucelle n’eût jamais été condamnée : voilii ce que, dans la réalité, a été le procès de Rouen.

.ssurément ce n’est pas ce qu’on voit dans lelexte de l’instrument ofliciel : en ce texte, Pierre Cauchon n’a dit que ce qu’il voulait que crût la postérité. Mais à côté du procès de condamnation, il y a le procès de réhabilitation qui en a découvert les dessous, dénoncé les iniquités et fait connaître ce que les juges de la Pucelle eussent voulu qu’on ignorât à jamais. C’est l’étude comparée des deux procès qui a conduit les historiens au résultat que nous venons de préciser.

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Commencement du procès (q janvier i’|31). — Le 3 janvier 11^3 1, par lettres patentes datées de Rouen, le roi d’Angleterre ordonnait que Jeanne d’Arc, sa prisonnière, a fût baillée à l’évêque de Beauvais pour faire son procès selon Dieu, raison et saints canons ». On le voit : c’est bien un procès anglais qui commence. Le juge que ce prince a choisi est sans compétence et sans juridiction. La Pucelle a été prise non sur le territoire du diocèse de Beauvais, mais sur celui du diocèse de Soissons, duquel dépendait Compiègne. Pierre Cauchon n’ayant sollicité de délégation ni des évéques ayant juridiction sur Jeanne ni du Saint-Siège, ne sera qu’un faux juge, le tribvinal qu’il constituera un faux tribunal, le procès ecclésiastique qu’il instruira un faux procès.

En possession de ces lettres patentes, l’évêque de Beauvais convoquait dans la maison du Conseil royal, pour le g janvier, huit maîtres et docteurs, et déclarait le procès ouvert. De concert avec ces personnages, le prélat désigna les ofliciers du tribunal. Lepromoteurchoisi fut Jean d’Estivet, vicaire général de P. Cauchon. Les notaires-greffiers furenlGuilIaume Manchon, prêtre et notaire de l’ollicialitè de Rouen, et Guillaume Colles, dit aussi Bois Guillaume. A Jean Massieu, prêtre rouennais, fut confié l’office d’exécuteur des commandements du tribunal, c’est-à-dire d’huissier. Jean de la Fontaine fut nomme examinateur des témoins.

Avant de voir le tribunal à l’œuvre, disons en quelques mots ce qu’était un procès ecclésiastique en cause de foi Dans ces procès, on jugeait d’ordinaire des fidèles accusés ou soupçonnés d’erreurs contre la foi ou de sorcellerie, magie et pratiques démoniaques. Les juges de ces procès étaient, de droit, ou bien l’évêque des accusés, désigné sous le nom d’Ordinaire à cause de la juridiction qu’il avait sur eux, ou bien l’Inquisiteur de la région ; dans certains cas, évêque et inquisiteur siégeaient l’un et l’autre. Ainsi en fut-il dans le procès de Jeanne. Mais ce procès ayant été ouvert, instruit, mené du commencement à la (in, par l’évêque de Beauvais, non par l’inquisiteur, il a été, non un procès d’Inquisition, mais vin procès de ! ’ « Ordinaire ».

Le procès jugé pouvait être un procès de chute ou un procès de rcclmte. Dans le procès de rechute, on ne pouvait juger qu’un accusé ayant déjà été jugé en cause de cliute : d’où ce nom de procès de rechute ou de relaps, et pour les accusés, celui d’hérétiques retombés ou relaps. Le procès de Rouen fut tout ensemble un procès de chute et un procès de rechute. Le procès de chute se termina par la sentence du 24 mai au cimetière de SaintOuen ; le procès de rechute par la sentence capitale du 30 mai sur la place du Vieux-Marché.

Dans tout procès de chute, on distinguait deux parties : l’une dite d’office, correspondant à ce que dans nos tribunaux on appelle l’instruction ; l’autre ordinaire, dans laquelle le promoteur prenait en main la cause et ne cessait de la poursuivre, jusqu’à ce que les juges, l’estimant suffisamment éclaircie, prononçassent la sentence de condamnation ou, en cas d’abjuration de l’accusé, une sentence dite d’absolution. Si, après avoir abjuré sous la foi du serment, l’accusé retombait dans quelqu’une de ses erreurs précédentes, les juges prenaient acte de la rechute et ouvraient le procès de relaps, qui aboutissait infailliblement à une sentence capitale et au supplice du feu.

La partie dite procès d’o//ice, ou l’instruclion, dura pour la Pucelle du g janvier au 26 mars. C’est en cette ])arlie qu’eurent lieu les six interrogatoires publics et les neuf interrogatoires de la prison. La partie dite procès ordinaire dura du 26 mars au >

24 mai. On y remarque le Réquisitoire de 70 articles, divers interrogatoires complémentaires, les délibérations sur les douze articles résumant le Réquisitoire la scène du cimetière de Saint-Ouen et la première sentence qui, la comédie de l’abjuration survenant, ne condamna Jeanne qu’à la prison perpétuelle. Là se termina le procès de chute.

La reprise par la Pucelle de l’habit d’homme fat qualifiée de rechute par les juges. Ils ouvrirent ce second procès le 28 mai, et en moins de trois jours tout fut expédié : le mercredi 30 mai, à neuf heures du matin, Jeanne était conduite au Vieux-Marché de Rouen, prcchce, sentenciée ; à onze heures ou onze heures et demie, elle était brûlée.

J)es assesseurs du procès. — Le droit canonique requérait que les juges d’un procès de foi se fissent assister par des « gens de savoir », periti, c’est-à-dire des théologiens, des canonistes, des juristes, et que, en tout cas, ils n’arrêtassent la sentence à porter qu’après leur avoir communiqué les pièces de la cause et avoir pris leur avis. Néanmoins les juges n’étaient point obligés de la suivre, même quand les assesseurs étaient unanimes. Les assesseurs n’avaient au procès que voix consultative et le pouvoir des juges demeurait absolu jusqu’au bout.

Le nombre des assesseurs à convoquer n’était point fixé. Dans les interrogatoires, deux assesseurs au moins devaient cire présents. Pour donner aux débats du procès de Jeanne la plus grande solennité, et surtout pour écarter toute défiance, l’évêque de Beauvais convoqua un nombre considérable d’ecclésiastiques. Le gouvernement anglais ne laissa pas ignorer aux clercs invités, séculiers ou réguliers, qu’il tenait à ce qu’ils répondissent à l’invitation ; au besoin, on saurait les y forcer. Cent treize ecclésiastiques ou juristes répondirent ; qualre-vingts étaient des suppôts de l’Université de Paris. Bon nombre de docteurs, de licenciés, de chanoines de Rouen et d’ailleurs, des religieux bénédictins, dominicains, frères mineurs parurent au procès, et en grande partie assistèrent aux deux sentences. Mais parmi ce grand nombre d’assesseurs, les maîtres qui remplirent le rôle le plus important et qui servirent de conseillers secrets à l’évêque de Beauvais furent ceux qu’envoya rUniersité de Paris, Jean Beaupère, Nicolas Midi, Guillaume Erard, Gérard I^euillet, Jacques de Touraine, Pierre Maurice et Thomas de Courcelles. Le gouvernement anglais paja généreusement tout ce monde. Chaque assesseur recevait vingt sols tournois par vacation, c’est-à-dire de 8 à 10 francs d’aujourd’hui, sans compter les gratifications, prébendes et dignités réservées à ceux dont on avait principalement à se louer.

Aucun procès en cause de foi ne pouvait s’ouvrir sans qu’une enquête ou information préalable eût établi l’existence de fortes présomptions contre l’accusée. Le samedi 13 janvier, l’évêque de Beauvais manda six assesseurs cliez lui sous prétexte de leur donner communication des informations qu’on avait recueillies et de certains mémoires sur les points qu’on y touchait. Le texte de ces informations et de ces mémoires eût dû être versé au procès. On l’y cherchera vainement, et jamais officiers du tribunal ou assesseurs n’ont déclaré en avoir eu connaissance.

En février, Pierre Cauchon requit le vice-inquisiteur de Rouen, Jean Lemaître, de s’adjoindre en qualité de juge au procès. Jean Lemaitre se récusa. Sans attendre que le grand inquisiteur eût obligé Jean Lemaître à s’exécuter, l’évêque de Beauvais décida que, vu les pièces examinées, « il y avait matière suffisante pour que la Pucelle fût citée en cause de foi ». En conséquence, le 20 février, Jean Massieu, au nom du tribunal, vint dans le cachot de Jeanne la sommer 1233

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de comparaître le lendemain, à huit heures du malin, dans la chapelle du château de Rouen pour être dûment inleirogée. La prisonnière répondit qu’elle comparaîtrait, mais elle présenta deux requêtes : I » qu’il y eût, parmi les assesseurs, autant d’ecclésiastiques du parti français qu’il y en avait du parti anglais ; 2° qu’il lui fût permis, avant de comparaître, d entendre la messe. Pierre Cauchon ne répondit même pas à la première demande et repoussa catégoriquement la seconde.

L’homme de l’Angleterre ne s’en tint pas là. Il viola cyniquement les règles du droit qui exigeaient que l’accusée fût mise, non en prison d’Etat, mais en prison ecclésiastique, et qu’un avocat-conseil lui fût donné pour l’assister dans les interrogatoires. Aux réclamations réitérées des assesseurs qui signalèrent ce qu’avaient d’odieux et d’inique de pareils procédés, Pierre Cauchon opposa un refus opiniâtre. Sans doute l’Eglise, le droit canonique était contre lui ; mais, raison à ses yeux décisive, « cela déplaisait aux Anglais » (Procès, t. II, p. 7-8).

Des sU interrogatoires publics. — Les interrogatoires que l’instruction ou procès d’oflice fit suliir à la Pucelle furent au nombre de quinze, six en public, neuf dans sa prison, en présence des juges et d’un petit nombre d’assesseurs. Il y eut toujours de nombreux spectateurs aux interrogatoires publics : 4^ assesseurs étaient présents au premier, /(8 au deuxième, 60 au troisième, 54 au quatrième, 58 au cinquième, 41 seulement au sixième. Dans les cinq premiers, l’évêque deBeauvais insista beaucoup pour que l’accusée jurât de dire la vérité sans réserve aucune. Jeanne s’y refusa constamment. Au début du sixième, on n’insista plus, on la laissa jurer comme elle l’entendait. Ce fut à maître Jean Beaupère que l’évêque juge confia le soin de diriger les interrogatoires.

Le premier eut lieu le mercredi 21 février à huit heures du matin ; si l’on s’en rapporte au texte du procès, il fut assez court et insignifiant.

Le deuxième eut lieu le lendemain 22 février, à la même heure que la veille. Jeanne fut interrogée sur ses Voix, sur les enseignements qu’elles lui donnaient, sur ses visites à Baudricourt et sa présentation au Dauphin à Chinon.

Dans le troisième (samedi a^ février) il fut encore question des Voix de la jeune fille. Elle y répéta qu’elle était u envoyée de Dieu >', que ses Voix « venaient de Dieu et qu’elle le croyait aussi fermement qu’elle croyait que Notre-Seigneur nous a rachetés des peines de l’enfer ». C’est en cette séance que à la question brusque et perfide : « Eles-vous en la grâce de Dieu ? » elle fit la sublime réponse : « Si je n’y suis, veuille Dieu m’y mettre ; si j’y suis, veuille Dieu m’y garder. j> D’intéressants détails sur le Bois Chesnu et le Bel arbre terminent cet interrogatoire.

Le quatrième interrogatoire public eut lieu le mardi 27 février. Il y fut question des apparitions de saint Michel, de l’habit d’homme, de l’audience de Chinon, de l’épée de Fierbois, de celle de Franquet d’.rras, de sa bannière, du siège d’Orléans et de la blessure qu’elle y reçut. On lui demanda ce qu’elle aimait le mieux, de sa bannière et de son épée. — I’J’aime beaucoup, répondit-elle, j’aime quarante fois mieux la bannière que l’cpéc. En chargeant l’ennemi, je prenais non l’épée, mais la bannière ; cela pour ne pas verser de sang. De fait, je n’ai jamais tué personne. »

Dans le cinquième interrogatoire, qui eut lieu le i" mars, Jeanne annonça que. a^ant sept ans, les Anglais perdraient un ga^e plu^ précieux qu’Orléans, Paris, qui en effet se rendait au roi de France en 1436 Elle savait cela a par saintes (Catherine et Marguerite u ; et elle donna sur leurs apparitions les détails

les plus intéressants. On lui parla de ses anneaux, de la fontaine du Bel arbre, de la mandragore, puis encore de saint Michel et des saintes, et du signe du roi, duquel elle ne voulut rien dire. Autre particularité notable de cette séance : Jeanne dit aux juges savoir par révélation « que son roi gagnerait le royaume de France. Je le sais, ajouta-t-elle, comme je sais que vous êtes là devant moi sur ce tribunal. »

Le samedi’6 mars se tint la dernière séance publique. On y toucha une foule de sujets permettant de supposer que la Pucelle s’était livrée à des enchantements et à des pratiques démoniaques. On parla de l’habit d’homme, des panonceaux de ses gens, de frère Richard, des témoignages de vénération qu’elle recevait du peuple, de l’enfant de Lagny, de Catherine de la Rochelle, de sa tentative d’évasion de > Beaurevoir.

L’interrogatoire terminé, l’évêque de Beauvais annonça que dorénavant l’accusée ne serait interrogée qu’en secret en présence de témoins spéciaux.

Ces interrogatoires secrets eurent lieu dans la prison de Jeanne, du samedi 10 mars au samedi ;. Ils furent au nombre de neuf. Les docteurs de Paris, Nicolas Midi et Gérard Feuillet, assistèrent à titre d’assesseurs, Jean de la Fontaine fut chargé d’interroger ; l’évêque de Beauvais présida et deux témoins complétèrent l’assistance. Les interrogatoires, le matin, commençaient à huit heures et duraient environ trois heures. Il y en eut aussi plusieurs dans l’après-midi, tout aussi longs et tout aussi fatigants. Ils l’étaient pour les interrogateurs ; à plus forte raison l’étaient-ils pour la pauvre prisonnière.

Des neuf interrogatoires de la prison. — Le premier eut lieu le samedi 10 mars. II y fut question de la sortie de Conipiègne, de l’étendard de la Pucelle, mais surtout du signe que Jeanne à Chinon avait donné au roi pour prouver qu’elle venait de par Dieu. On reviendra sur ce signe dans les séances suivantes et on s’efforcera de mettre la jeune fille en contradiction avec elle-même. Y eût-on réussi, on ne voit pas bien quelle pouvait en être la conséquence. Il n’en résultait nullement que ce signe fût quelque chose de diabolique. « Toute cette histoire de signe, d’ange, etc., a dit avec raison Vallet de Viriville, paraît être quelque parodie dénaturée par la mauvaise foi, des réponses que put faire la prévenue. « (Procès traduit…. p. 88, note 1.)

Le lundi 12 mars, Jeanne subit deux interrogatoires, l’un le malin, l’autre l’après-midi. Dans celui du matin, on revint sur le signe du roi et l’audience de Chinon. Puis il fut question du vœu de virginité, du départ contre le gré de ses parents, et des noms de 8 fille de Dieu, fille de l’Eglise, fille au grand cœur » que lui donnaient ses Voix. Dans la séance de l’aprèsmidi, le songe du père de Jeanne, l’habit d’homme, les apparitions angéliques, la délivrance du duc^ d’Orléans furent les sujets examinés.

Le quatrième interrogatoire eut lieu le mardi 13 mars. Ce jour-là, le vice-inquisiteur Jean Lemaitre, par ordre du grand inquisiteur Jean Gravèrent, s’adjoignit en qualité de juge à l’évêque de Beauvais et ne le quitta plus… Il voulut avoir son greUier à lui : ce fut Nicolas Taquel. Il parut et, d’après le manuscrit de D’Urfé, fit quelques questions à l’accusée en cette séance. On y parla du signe du roi principalement, puis de la tentative sur Paris, des. atfaires de la Charité et de Pont-l’Evêque.

Le mercredi i/J mars, il y eut deux séances, la cinquième et la sixième, l’une le matin, l’autre dans l’après-midi. Dans la séance du matin, il fut question de ce que l’évéque-juge appelle le « saut de la tour de Beaurevoir ii, et de ce que la prisonnière avait demandé à Dieu et de ce que ses saintes lui 12c5

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avaient promis, à savoir de la « mener en Paradis ».

— « Prends tout en gré, lui dirent-elles : ne te chaille pas de ton martyre : tu l’en viendras enOn au royaume du paradis. » Dans la séance de l’aprèsmidi, quatre prétendus crimes furent reprochés à la Puceile, la mort de Franquet d’Arras. l’acliat du cheval de révoque de Senlis, le saut de Beaurevoir et la prise de l’habit d’homme.

Dans le sepliènie interrogatoire, le seul de la journée du jeudi 15 mars, l’évêque de Beauvais fit aborder la question de la soumission à l’Eglise, afin d’amener l’accusée à s’en rapporter à la décision de ses juges. L’évêque y reviendra dans l’interrogatoire suivant Avec ce sujet l’on traita, le 15mars, ceux des tentatives d’évasion de la prisonnière, de l’audition de la messe en habit d’homme, des témoignages de respect rendus aux saintes et à saint Michel, de l’enseignement que l’archange lui donnait.

Le samedi 17 mars vit la fin des interrogatoires de la prison. Il y en eut deux, l’un le matin, l’autre dans l’aiirès-midi. Saint Michel, la soumission à l’Eglise, l’habit d’homme, les apparitions des saintes Catherine et Marguerite, les anges que Jeanne avait fait peindre sur son étendard, fournirent la matière de la séance du matin. Dans la séance du soir on s’occupa de l’étendard, des noms « Jésus, Maria », des saintes Catherine et Marguerite, du sacre de Reims et de l’altitude que la Puceile y avait tenue.

A cette dernière séance assistèrent, avec les juges, les six docteurs de Paris. Entre autres incidents à noter, il y a celui de l’appel de l’accusée au Pape, sur lequel elle reviendra le jour du premier jugement. — « Ce que je requiers, dit-elle à révè<iue de Beauvais et aux assesseurs présents, c’est que vous me meniez devant notre seigneur le Pape ; alors devant lui je répondrai tout ce que je devrai répondre. » (Procès, t. I. p. 185.) Rappelons encore la superbe réponse qui termina la dernière séance. Le juge interrogateur demandant à Jeanne : « Pourquoi votre étendard fut-il porté en l’église de Reims, au sacre de votre roi, plutôt que ceux des autres capitaines ? » Jeanne répond : — « Il avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fut à l’honneur. » (Procès, ibid., p., 87.)

Quelques mots sur ces quinze interrogatoires. Du côté des juges, le but qu’ils poursuivent jusqu’au bout ce n’est pas de mettre lacciisce à même de faire connaître la vérité, de lui en rendre la manifestation facile, mais de l’embarrasser, de la déconcerter par les questions, questions subtiles touchant à des sujets de théologie. Les interrogateurs passent brusquement d’un sujet à un autre. Pourquoi ? est-ce par inadvertance ? point du tout, c’est par suite d’un dessein arrêté, afin de troubler l’accusée, de l’amener à se contredire et à se perdre. Nous apprenons par l’instrument du procès que l’évêque de Beauvais tt ses conseillers employèrent les cinq jours qui suivirent le dernier interrogatoire public à préparer le programme des interrogatoires secrets.

Se proposant d’arracher à l’accusée l’aveu d’actes dans lesquels ils voulaient voir des pratiques démoniaques, il suffisait d’interrogations équivoques. dilliciles, incomprises, pour causer la perte de la Puceile. Tout historien impartial conviendra qu’il n’y a pas in seul interrogatoire danslequel, du côté deJeaniu’, on puisse relever des réponses vraiment compromettantes. Bien au contraire, il en est d’admirables à tous les points de vue, à celui de l’inlt Uigence. de la pénétration, de la mesure, d’une sorte de divination, comme à celui de la délicatesse, de la noblesse, de l’élévation des sentiments et du patriotisme. Les quinze interrogatoires du procès fussent-ils les seuls documents révélateurs de l’âme de la Puceile, qu’ils

lui assvireraienl une place de choix parmi les héroïnes <jui honorent leur pays.

Plusieurs fois la netteté de ses réponses arracha des approbations enthousiastes à ses auditeurs.

« Très bien, Jeanne, lui cria-t-on, très bien. » Le docleur

de Paris, Jacques de Touraine. lui demandant si elle s’était trouvée en des affaires où des Anglais avaient été tués : — « Sans doute, répondit Jeanne, j’y ai été. Mais pourquoi ne voulaient ils pas se retirer de France et retourner en leur paj’s ? — Ah I la brave tille, s’écria un seigneur anglais présent : c’est dommage qu’elle ne soit pas anglaise. » Au sentiment du nolaire-gretlier Manchon, jamais la prisonnière, dans une cause aussi didicile, n’eût pti se défendre contre des docteurs de cette force, des maîtres si habiles, « si elle n’eût été inspirée ».

.Iprès le procès d’office, le procès ordinaire. — Le lundi de la semaine sainte, 20 mars, l’évêque de Beauvais ayant réuni le vice-inquisiteur et douze assesseurs chez lui, déclara le procès d’office ou instruction préparatoire clos et le procès ordinaire ouvert Le promoteur présenterait son réquisitoire. L’accusée aurait à s’expliquer sur chacun des chefs d’accusation, et les articles sur lesquels elle refuserail de répondre seraient acquis au procès.

Le mardi 27 mars, le promoteur d’Estivet déposait sur le bureau du tribunal son réquisitoire qui comptait soixante-dix articles, et Thomas de Courcelles en donnait lecture en séance publique, ce jour-là et le jour suivant. Le mardi, on entendit les trente premiers articles ; le mercredi, les quarante derniers.

Ce réquisitoire n’est autre chose que le résumé de la vie de la Puceile, de ses faits et dits, tels que les témoins anglo-bourguignons, les enquêtes ordonnées par le tribunal, et les préjugés des juges les avaient présentés : faits et dits faussés, inventés, dénaturés, sauf un petit nombre, et tendant à montrer dans l’accusée une aventurière elun personnage démoniaque. Ainsi, d’après le promoteur, Jeanne n’avait point été instruite chrétiennement, mais de vieilles femmes l’avaient formée à la pratique de la sorcellerie et des divinations (art. 4). — Elle visitait les lieux hantés par les fées (art. 5). — Elle portait sur elle une mandragore, pour arriver plus vite à la fortune (art. 7). — Elle s’était mise, vers ses vingt ans, avec des filles débauchées, au service d’une hôtelière de Neufchàteau, et y avait fréquenté des gens de guerre (art. 8). — C’est une consultation des démons qui lui apprit l’existence de l’épée de Fierbois (art. rg). — Elle avait jeté des sorts sur ses anneaux, son étendard et les panonceaux de ses hommes d’armes (art. 20). — Elle s’est faite orgueilleusement chef de guerre (art. 53). — En somme, on ne trouve dans sa vie <iue superstitions et sortilèges, choses provoquant l’elTusion du sang et sentant l’hérésie, malédictions et blasphèmes contre Dieu et ses saints, mépris de l’Eglise et révolte contre ses commandements. . ^’^~^—^^Sicarov (d)

A ces arlicles haineux, Jeanne opposa les réponses consignées dans les procès-verbaux des interrogatoires. Parmi ses répliques, il y en a de superbes : a Tout ce qui est ocjivre de femme lui répugne, dit le promoteur. — Quant à ces œuvres de femmes, répond dédaigneusement la jeune fille, il y a bien assez d’autres femmes pour les faire. » (.^rt. iG.).V l’accusation de s’être érigée en chef de guerre, elle répond : « Si j’étais chef de guerre, c’était pour ballrr les Anglais. » (Art.."iS.) Elle a dissuadé Charles Vil de faire la paix. II y a, reprit-elle, la paix avec les Bourguignons et la paix avec les Anglais. La ])aix qu’il faut avec les Anglais, c’est qu’ils s’en aillent en letir pays. » (Art. 18.)

Sur la question de la soumission à l’Eglise, Jeanne 1237

JEAiNNE D’ARC

1238

demanda un délai à ses juges. On ne le lui refusa pas. Le 31 mars, samedi saint, l’cvêqv.e de Beauvais, Jean Lemaiire et neuf assesseurs ou tiinoins se rcmlirent dans sa prison et entamèrent une vraie discussion tlicolopique. A la subtilité de ces docteurs, la prisonnii-re opposa cette réponse d’un lion sens inatlaqualile : — "Je ne refuse pas de me souniettre à l’Eglise, mes Voix ne m’en dissuadent [las ; mais notre sire Dieu premier servi. » (Procès, t. I, p. 3-25,

324.)

Kn cette semaine sainte. Jeanne avait demandé à faire la communion pascale avec l’habit qu’elle portail. Le tribunal le lui refusa : il mit à la permission la condition qu’elle reprendrait l’habit de femme, n Je n’ai pris Ibabit d’homme, répliqua la prisonnière, que par commandement de Notre.Seigneur. Je ne le quitterai pas sans qu’il me le permette. Mais si Nolre-Seiijneur le demande, il sera tantôt mis là. » (Prjcis, t. I, p. igi-ig3.)

/.es il’uize articles. — Consultation de V i’niversitc de l’aris. — Les soixante-dix articles du Réquisitoire étaient trop nombreux, en contradiction trop ouverte avec le textedesinterrogatoiresqu’ilscitaienl à chaque page ; ils sentaient trop le dédain de la vérité et le parti (iris, pour que l’évcque de Beauvais fut sati-ifait de cet acte d’accusation. Il résolut donc de réduire ces articles à douze et de les présenter sous forme théorique plutôt que sous celle d’exposition de faits et de récit. Ce travail fut cnn(ié aux docteurs de Paris Jacques de Touraine et Nicolas Midi. Ils l’exécutèrent en quatre jours.

Le 5 avril, l’évcque de Beauvais et le vice-inquisiteur envoyaient à un certain nombre de docteurs, licenciés, bacheliers en théologie et en décret. présents à Rouen, les douze nouvelles propositions. Dans le milieu d’avril, quatre des six docteurs de Paris prenaient la roule de la capitale et allaient soumettre ces mêmes propositions aux maîtres de l’Université. Les maîtres de Rouen, sauf un tout petit nombre, d’une part, l’.-i’/Hia « la^er de l’autre par l’organe des facultés de théologie et de décret envoyèrent des réponses qui concluaient à la culpabilité de l’accusée.

Voici, du reste, en regard de chaque article, quelles furent les qualifications de l’Université. i° Les Voix et apparitions de l’accusée. — Fictives, mensongères, inspirées par les démons Bélial, Satan. Béhémoth. 2° I.e signe du roi. — Mensonge attentatoire à la dignité des anges. 3° Les l’isites de saint Michel et des saintes, foi de la Pucelle à leur réalité. — Croyance téméraire, injurieuse aux vérités de la foi. 1, ° l.c s prédictions de Jeanne. — Superstition, divination, jactance. 5° L’habit d’homme, — Blasphème, violation de la loi divine et des sanctions ecclésiastiques. 0" Les lettres de l’accusée. — Elles la peignent traîtresse, cruelle, altérée de sang humain. 7° Le départ pour Chinnn, — Impiété filiale, scandale, aberration dans la foi. 8* Le saut de Beaurevoir. —.Vcte touchant au désespoir et à l’homicide, erreur sur le libre arbitre. ij’Confiance de Jeanne en son salut, —.ITirmalion présomptueuse, mensonge pernicieux. 10° Que saintes Catherine et.Var< ; uerite ne parlent pas anf^lais.

— Blasphème à l’égard de ces saintes, violation du précepte de l’amour du prochain. 1 1° f.es honneurs que Jeanne leur rend. — Invocation des démons, idolâtrie. 12° lie fus de s’en rapporter de ces faits à l’Eglise. — Schisme, mépris de l’autorité de l’Eglise, apostasie, obstination dans l’erreur.

Tandis que l’évcque de Beauvais s’occupait à « bien servir le roi », la prisonnière tomba malade. Grand émoi chez le cardinal <le Winchester et le comte de Warwick. Ils craignirent que la mort ne leur dérobât leur victime. Mandant aussitôt les hommes de l’art, ils leur dirent : « Soignez-la bien. Pour rien au

monde, le roi ne voudrait pas qu’elle mourût de mort naturelle. Il l’a achetée cher. Il ne veut pas qu’elle meure sinon par arrêt de justice, et qu’elle soit briilée. » (Procès, t. III, p. 51.) Les médecins tirent le nécessaire et la malade se rétablit. Il y eut une menace de rechute à la suite d’une scène de violence que lit à la prisonnière le promoteur d’Estivet. Warwick gouruianda sévèrement le promoteur et Jeanne reprit sa santé.

Le 18 avril, Jeanne était assez bien remise pour recevoir dans sa prison la visite de l’évcque juge et entendre de sa bouche une admonition charitable. Le a mai, en présence des juges et de soixante-trois assesseurs, Jean de Chàtillon, archidiacre d’Evreux, adressait à l’accusée dans une salle du château, une exhortation en six points qui résumaient les douze articles. Jeanne persistant à ne faire aucun des aveux qu’on désirait, ni la soumission que réclamaient ses juges, on espéra que la torture viendrait à bout de sa résistance. Le 9 mai, l’accusée comparaissait dans la grosse tour du château devant l’évêque et neuf assesseurs. L’appariteur s’y trouvait avec les instruments d’usage, prêt à lui faire subir la question. Ce jour-là, toutefois, on se contenta de la menace. Le 12 mai suivant, les juges et treize conseillers examinèrent s’il fallait passer de la menace au fait. De crainte que la torture n’amenât cette uiort naturelle dont le roi d’Angleterre ne voulait à aucun prix, à une foi le majorité la décision prise fut négative : tmis.assesseurs seulement se prononcèrent pour l’allirmative, les chanoines Morel.Loiseleur et Thomas de Courcelles.

Le Kl mai, l’évêque de Beauvais donnait publiquement lecture aux assesseurs, dans la chapelle de l’archevcché de Rouen, des lettres qu’il avait reçues de 1 Université de Paris et de divers docteurs en réponse à la coiisiiltalion sur les douze articles. Après avoir pris l’avis de la majorité, il annonça qu’il ferait adresser à l’accusée unedernière admonition charitable, et qu’il prendrait jour ensuite pour prononcer la sentence. Le chanoine Pierre Maurice fut chargé de l’admonition. Jeanre n’en persista pas moins à soutenir ce qu’elle avait dit au procès. Sur quoi l’évêque juge déclara les débats clos et remit au lendemain pour qu’il fut « procédé comme de droit et de raison n.

-4u cimetière de Saint-Ouen le’2'i mai. — Nous voici arrivés au point culminant du procès, à l’acte visé par l’évêque de Beauvais dès le commencement, à la scène concertée pour frapper la Pucelle de la condamnation arrêtée d’avance par le roi d’.

gleterre, et la faire brûler. Contrairement à l’opinion de la généralité des historiens, ce qui se passa le -j !) mai au cimetière de Saint-Ouen ne fut rien de fortuit. Pierre Cauchon n’a jamais parlé jusqu’à présent d’exiger une abjuration de l’accusée ; mais il y a pensé toujours. Sans abjuration, il lui sera ditlicile de porter une sentence capitale. Même prononcée, lexécution pourrait rencontrer des empêchements. .-Vvec une abjuration, apparente ou réelle, il sera facile de provoquer un cas de relaps, apparent lui-même ou réel. Ce cas produit, un procès de rechute s’ouvrira sur-le-champ, et ce procès de rechute aboutira infailliblement au bûcher. Voilà pourquoi, le 2^ mai, au cimetière de Saint-Ouen, il y eut, non pas une sentence terminant le procès de la Pucelle, mais une comédie d’abjuration canonique, suivie d’une condamnation à la prison perpétuelle. Et voilà aussi pourquoi, <|uatre jovirs après, Pierre Cauchon ouvrait un procès de rechute, condamnait le 30 mai Jeanne comme hérétique relapse et la livrait au bourreau.

De fait, il n’y eut d’abjuration canonique ni dans le fond ni dans la forme. Jeanne ne fut mise en 1239

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demeure de prononcer aucun serment. Elle ne consentit qu’une rétractation anodine, à laquelle l’évéquejuge substitua un texte dont on verra bientôt l’importance. L’énumération des conditions exigées par ie droit pour une abjuration en cause de foi permettra au lecteur de s’en rendre compte.

D’abord, les juges ne devaient rien décider en matière d’abjuration sans prendre conseil des « gens de savoir », c’est-à-dire de leurs principaux assesseurs, a ciim consilio peritoriim injure ». — Le cas reconnu assez grave pour qu’il y eût lieu d’imposer une abjuration publique, obligation revenait aux juges d’infc-mer l’accusée de leur résolution, de lui expliquer ou de lui faire expliquer en quoi consistait l’acte qu’on allait exiger d’elle, et de respecter absolument la spontanéité de son acceptation et sa liberté. De cette obligation générale découlait l’obligation spéciale de donner communication et explication à l’abjurante du texte de l’abjuration.

Le droit exigeait aussi que quelques jours auparavant les juges tissent annoncer au peuple dans les églises de la localité que tel jour, telle heure, à tel endroit, il y aurait sermon de circonstance, suivi d’une abjuration publique. Au jour marqué et à l’heure dite, en présence du tribunal et des spectateurs, le juge avisait l’abjurante qu’on allait lui présenter le formulaire de l’abjuration et qu’elle devait le prononcer. Après quoi on plaçait devant l’abjuranlele livre des Evangiles, sur lequel elle allait étendre les mains et prêter serment. Puis on lui remettait le texte de l’abjuration dont elle donnait lecture à la l’ace de tout le peuple. Si l’abjurante ne savait pas lire couramment, un des clercs présents lisait le formulaire en son lieu, et l’abjurante le répétait phrase par phrase. Un notaire rédigeait le procèsverbal du tout, et, le procès-verbal rédigé, le juge prononçait la sentence (Nicolas Evmeric, Direciorium /nqiiisiiorum, p. 492, 49 ?, Rome, loSg). En lisant dans le texte olliciel les particularités de la scène du cimetière de Saint-Ouen, l’on se convaincra qu’aucune des règles essentielles de toute abjuration canonique n’y fut appli<(uée.

Le jeudi après la Pentecùle, l’i mai, deux estrades étaient dressées sur la place du cimetière de l’abbaye de Saint-Ouen. Vers huit heures du matin, sur l’une d’elles montèrent les deux juges en la cause, le cardinal d’.^ngleterre, les évcques de Norwich, Xoyon, Thérouanne, et un grand nombre d’ecclésiastiques, assesseurs ou non du procès. Sur la seconde estrade, qui était en face, montèrent Jeanne, le prédicateur désigné, Guillaume Erard, et les ollieiers du tribunal. Maître Erard prit pour texte ce passage de l’évangéliste saint Jean : « Le sarment ne pourra porter de fruits s’il ne reste dans la vigne. " Ce sarment stérile, c’était l’accusée, et le roi de France, en l’écoutant, avait adhéré au scliisuie et à l’hérésie. (Juand la jeune CUe entendit traiter son roi de la sorte, elle ne put se contenir : « Par ma foi, interrompit-elle, révérence gardée, j’ose bien vous dire et jurer que mon roi est le plus noble chrétien de tous les chrétiens, et qui aime mieux la foi et l’Eglise, et n’est pas tel que vous dites, r

La prédication finie, maître Erard, s’adressant à la Pucelle, la somma de se soumettre à l’Eglise et de révoquer les dits et faits réprouvés par les clercs. —

« Pour ce qui est de la soumission à l’Eglise, repartit

Jeanne, j’ai demandé que mes dits et faits soient envoyés à notre Saint-Père le pape, (luant aux choses réprouvées par les clercs, c’est à Dieu et à notre Saint-Père que je m’en rapporte. » Alors intervint rèvèquedeBeauvais, ll dit qu’onnepouvaitaller chercher le pape à Rome, que les ordinaires étaient juges dans leurs diocèses et que l’accusée n’avait <]u’à se

soumettre. Jeanne ayant réitéré par trois fois ses déclarations, Pierre Cauchon commença d’une voix lente la lecture de la sentence. Pendant qu’il lisait, les allidés de l’évêque s’empressent autour île la jeune tille et, prétextant l’intérêt qu’ils lui portaient, la conjurent de se soumettre, de faire ce « ju’on attend d’elle, de révoquer les articles dont maître Erard lui donne lecture, en un mot d’abjurer. — j Mais je ne sais ce que c’est que d’abjurer, réplique Jeanne. — On va vous l’expliquer », répond Erard. Et il charge Jean Massieu de le faire.

Cependant les amis de P. Cauchon ne demeuraient pas inactifs. Massieu avait dit à Jeanne qu’il y avait pour elle péril de mort. Après avoir essajé de la frayeur, Loiseleur et Nicolas.Midi mettent en œuvre les promesses et l’espérance. Ils assurent la prisonnière que. si elle consent à ce qu’on lui demande, elle sera mise en prison ecclésiastique ; — elle aurait une femme avec elle ; — elle irait à la messe et recevrait son Sauveur ; — elle serait débarrassée des fers ; — et elle pourrait bien être mise en liberté. Au milieu de ses perjjlexités, un mot de Massieu fut pour la malheureuse fille un trait de lumière. « Rapportez-vous-en à l’Eglise universelle, lui dit Massieu. Et Jeanne de déclarer aussitôt qu’elle s’en rapporte à l’Eglise universelle si elle doit abjurer ou non.

— « Point du tout, réplique Erard : tu abjureras tout de suite ou tu seras briiiée. t Cependant le temps s’écoule. 1 Jeanne, Jeanne, crie la foule, ne vous faites pas mourir. » Tout à coup, la pauvre enfant élève la voix et, « joignant les mains, les yeux dirigés vers le ciel, elle proclame trois choses, i" Elle se soumet au jugement de l’Eglise simpliciler, c’est-à-dire de l’Eglise universelle, non de l’église de Pierre Cauchon. 2° Elle supplie saint Michel de la conseiller et de la diriger : preuve de la persistance de sa foi en ses révélations. 3^ Quant à ce qu’elle n’entend pas des articles de la cédule dont Erard et Massieu lui ont donné lecture, et qu’on ne lui a pas expliqués, elle ne veut rien révoquer, si ce n’est pourvu que cela plaise à Dieu. »

L’on cherchera vainement en toute cette scène et dans le texte du procès trace des conditions exigées par le droit en toute abjuration canonique. Pas de conseil tenu par le tribunal à ce sujet. Pas d annonce faite dans les églises de Rouen. La Pucelle reste dans l’ignorance de ce qu’on va lui imposer, de la nature de l’abjuration et du sens de la formule qu’elle devra prononcer. Pas de livre des Evangiles sur l’estrade, ni de serment. Tout est affaire d’improvisation et de surprise, excepté la violation elïrontée des lois de l’Eglise.

Qaant aux engagements que prend l’abjurante, nous relevons trois points : un acte de soumission absolue à l’Eglise universelle et un acte de soumission conditionnelle à ses juges (de la cédule que ceux-ci vont lui présenter, elle n’accepte que les articles qui ne déplaisent pas à Dieu) ; un acte de foi en ses révélations et ses Voix.

Mais celle cédule, à quoi se réduisait-elle’? D’après cinq témoins de la réhabilitation, elle comprenait, six, sept, huit lignes au plus de grosse écriture : preuve qu’elle était absolument différente du lormulaire de cinquante lignes qu’on lit au procès. Du contenu, l’on ne connaît que ces passages-ci : a Je Jehanne promets de ne plus porter à l’avenir des armes, l’habit d’homme et les cheveux courts. Je déclare me soumettre à la détermination, au jugement, aux commandements de l’Eglise… »

Dès que Jeanne eut formulé sa triple déclaration, Jean Massieu, sur l’ordre de l’évêque de Reauvais, lut à haute voix, article par article, la cédule qu’il avait en main ; la Pucelle répéta ces articles l’un après 1241

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l’autre ; puis, d’une plume que lui lionna Massieu, elle lit au bas de la cédule une croix’.

Laissant de coté le texte qu’il avait lu jusque-là, Pierre CaucLon prit une seconde sentence dont il avait eu soin de se nuinir, et prononça l’arrêt qui condamnait la prétendue abjurante à la prison perl >éluelle, au pain de douleur et à l’eau d’angoisse. L’arrêt prononcé, Jeanne s’attendait à être menée dans la prison ecclésiastique. « Où devons-nous la conduire ? » demanda-t-on à l’évêque de Beauvais.

— Où vous l’avez prise, répondit-il. Et Jeanne fut reconduite au chàleau.

Sentence de relaps et supplice. — Warwick n’avait pas été instruit des desseins de l’évêque de Beauvais. Il s’attendait à une condamnation capitale. « Les choses tournent mal pour le roi, dit-il à l’évêque ;

— cette lille nous échappe. » — « So3ez tranquille, lui fut-il répondu, nous la rattraperons. » Ainsi, tout avait été prévu ; même ce qui va se passer.

Dans l’après-midi de ce 1l^ mai, Jeanne reprit riiabit de son sexe et on lui Ut tailler la chevelure. Le vice-inquisiteur et plusieurs assesseurs en prirent acte. Quant à l’Iiabit d’homme, on eut soin de ne pas l’emporter. On l’enlVrina dans un sac et on le laissa dans la pièce où était détenue la prisonnière.

Les jug-es se ^’ardèrent bien de tenir aucune des promesses qu’on avait faites en leur nom. Jeanne n’entendit pas la messe et ne reçut pas son Sauveur ; elle ne fut pas mise hors des fers : la surveillance des geiMiers fut plus étroite que jamais, et surtout on la maintint en prison d’Elat, sans lui donner de femme pour compagne.

Dans la journée du dimanche 27 mai, fête de la Trinité, le bruit se répandit que la prisonnière avait repris l’habit d’homme. Informé du fait, l’évoque de Beauvais, avec le vice-inquisiteur et sept assesseurs, se transporta dans le cachot de Jeanne pour constater judiciairement le fait. La jeune tille parut effectivement devant les juges en habit viril. D’après les témoignages combinés des deux procès, elle nia s’être obligée par serment à ne plus porter que l’habit de femme et à ne plus parler de ses révélations ; elle n’avait repris l’habit d’homme que contrainte, pour défendre sa pudeur. Pierre Cauchon lui iqUiosant sa prétendue abjuration, la Pucelle répondit

1. Ajoutons que les faits qui se sont produits dans le cimetière Suint-Ouen le 24 mai 1431 comportent une autre interprétation qu’autorisent des arguments tout au moins plausibles.

Jeanne avait appris à lire et à écrire, en recevant les leçons des clercs de son entourage durant les trêves qui marquèrent la fin de Tannée 1429 et les premiers mois de laniiée 1430. Cependant, lorsqu’on lui tendit, au cimetière Saint-Ouen, la cédule d’abjuration, Jeanne, qui savait signer, s’abstint d’apposer son nom. mais se contenta de tracer une croix. Elle avait, d’ailleurs, déclaré, au cours du procès de Rouen, qu’elle apjiosait parfois une croix au bas d’une pièce par manière de dénégation. En outre, deui témoins du drame de Saint-Ouen constatent que Jeanne souriait, subridehat, et semblait agir par ironie et dérision en apposant cette croix au bas de 1 équivoque déclaration il laquelle on l’adjurait de marquer son adhésion. Enfin, le 2H mai, lorsque Cauchon lui rappelle le serment qu’elle aurait souscrit, au sujet de son vêtement d’homme, Jeanne répond : « Oncques je n’ai compris faire serment de ne pus le prendre. »

Donc tappositiiin par Jeanne d’une croix au bas de la cédule du ?4 mai n’aurait pas été l’équivalent réel d’une adliéstan et dune signature, et il n’y avait plus à parler d’abjuration ni de rétractation, même partielle et contrainte.

Cette manière de voir a été exposée avec talent par M. le comte dk.Maleissve : Les Lettres de Jehanne d’Arc et ta prétendue Abuiralion de Saint-Ouen. Paris, « Bonne Presse », s. d. [1912], in-8°.

(N. D. L. D.)

qu’elle n’avait pas compris le texte qu’on lui avait présenté ; d’ailleurs que, au moment de signer, elle n’avait a rien révoqué, qu’à la condition que cela plût à Dieu ».

Qu’est-ce donc qui s’était passé pour que Jeanne reprit d’abord, puis gardât l’habit d’homme ? D’après ce que déposa Jean Massieu aux enquêtes de la revision, la prisonnière reprit l’habit d’homme contrainte par les.

glais ses gardiens qui, sur l’ordre donné ou l’idée suggérée, lui avaient enlevé l’habit de femme pendant son sommeil, et ne lui avaient laissé que l’habit d’homme. Obligée par nécessité naturelle de se lever, Jeanne dut suliir la condition qu’on lui imposait. .Après avoir repris l’habit d’homme, la pauvre tille fut menacée en son honneur, outragée, maltraitée, et un grand seigneur anglais tenta de lui faire violence. Pour défendre au besoin sa pudeur, Jeanne garda l’habit d’homme qui la protégeait mieux. Ce furent les dominicains Isambard de la Pierre et Martin Ladvenu qui dénoncèrent l’attentat de ce grand seigneur et lirenl connaître cette deuxième explication aux juges de la revision.

n Nous n’avons qu’à nous retirer et à procéder ultérieurement comme de droit et de raison », avait dit Pierre Cauchon à la lin de l’interrogatoire du 28 mai. Le mardi 2g, il réunissait /|2 assesseurs dans la chapelle de l’archevêché de Rouen et déclarait le procès de rechute ouvert. Après avoir fait donner lecture à l’assemblée du procès-verbal qu’il avait rédigé, il prit l’avis de chacun sur la sentence à prononcer. La grande majorité des docteurs, trente-trois au moins, requirent qu’avant d’arrêter toute ilécision, il fût donné lecture à l’accusée, en présence des assesseurs, du texte de l’abjuration que, d’après l’évêque. elle avait prononcée et signée, et qu’on le lui expliquât. Pierre Cauchon ne tint aucun compte de cette requête. Quoiqu’il ne put se réclamer que de la délibération de deux assesseurs, de cinq à six au jdus, et qu’il eût les autres contre lui. il ordonna que « la nommée Jeanne serait traduite le lendemain à huit heures du matin, au lieu dit le Vieux-Marché de Rouen, pour se voir déclarée relapse, excommuniée et hérétique, et abandonnée au bras séculier. »

Le matin du mercredi 30 mai, frère Martin Ladvenu, accompagné de frère Jean Toutniouillc, dominicain comme lui, sur l’ordre de l’évêque de Beauvais, vint dans la prison de Jeanne lui annoncer qu’elle devait se préparer à mourir. « Hélas ! s’écria la pauvre lille, en s’arrachant les cheveux, me traitet-on si horriblement que mon corps qui est pur et ne fut jamais corrompu, soit réduit en cendres ! Oh ! j’en appelle devant Dieu le grand juge, des torts et injustices qu’on me fait ! >.

Quelques instants après. Pierre Cauchon parut avec deux ou trois assesseurs. — « Evêque. lui dit Jeanne, je meurs par vous. Si vous m’eussiez mise en prison d’Eglise, ceci ne fût pas advenu ; c’est pourquoi j’appelle de vous devant Dieu. > Dès que l’évêque se fut retiré, la condamnée se confessa par deux fois au frère Ladvenu, et on alla chercher la sainte hostie. On l’apporta processionnellement, avec des (lambeaux, au chant des litanies, les assistants répondant : a Priez pour elle, priez pour elle ! » Jeanne reçut la communion avec une émotion profonde et grande abondance de larmes. Il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas communié !

Un peu avant neuf heures, la victime de P. Caueiion prenait place avec Jean Massieu et frère Ladvenu sur la charrette qui devait la conduire au Vieux-^farché. Cent vingt hommes d’armes l’escortaient. Sur la place, quatre estrades étaient dressées, une pour les juges, une pour le cardinal de 1243

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Winchester el autres in-élals anglais, une pour le bailli el ses gens, la quatrième pour le prédicaleur et Jeanne même. A quelques pas, on apercevait le liùuher formé de fagots reposant sur un massif de moellons et de plâtre : un poteau élevé le dominait. En face de l’écliafaud on voyait un tableau avec cette inscription en grosses lettres : Jeanne qui s’est fait nommer la Fucelle, menleresse, pernicieuse, abuseresse de peuple, devineresse, superstitieuse, hlas]diémeresse de Dieu, présomptueuse, mécréante en la foi, vanteresse, idolâtre, cruelle, dissolue, invocatrice de diables, apostate, scUismalique, hérétique. La. mitre que la condamnée avait sur la tête portait ces mots : hérétique, relapse, apostate, idolâtre.

Nicolas Midi, le prédicateur, développe pendant une heure, en l’appliquant à la Pueelle. cette parole de saint Paul : « Si un membre soulTre, tous les membres souffrent. » Il Unit par ces mots : « Jeanne, l’Eglise te retranche de son corps, elle ne peut plus le défendre. Va en paix. « L’évêque de Beauvais prit alors la parole, adressa quelques paroles d’exhortation à la condamnée et prononça la sentence qui la déclarait hérétique relapse, la rejetait du sein de l’Eglise et l’abandonnait à la justice séculière.

Dès que la voix de l’évêque a cessé de se faire entendre, Jeanne se jette à genoux el se met à prier. Il Trinité sainte, s’écrie-t-clle, ayez pitié de moi. Je crois en vous ! Jésus, ayez pitié de moi. » Elle invoque la Vierge, ses saintes, saint Michel. « O Marie, priez pour moi ! saint Gabriel, sainte Catherine, sainte Marguerite, soyez à mon aide ! » Elle n’entend pas qu’on s’en prenne à son roi. « Il n’est pour rien dans ce que j’ai fait : si j’ai fait mal, il est innocent. » A la pensée des qualilicalions qui lui sont appliquées, elle s’écrie : « Non, je ne suis pas hérétique, je ne suis pas schismatique ; je suis une bonne chrétienne. Vous, i)rêlres, dites chacun une messe pour le repos de mon âme. » Ces supplications émouvaient les spectateurs. Les Anglais eux-mêmes ne purent s’en défendre. On vit jusqu’à l’évêque de Beauvais el au cardinal de Winchester répandre des larmes. Jeanne ayant demandé une croix, un Anglais en fait une avec deux morceaux de bois. Mais Jeanne voudrait la croix avec l’image de Jésus crucifié. Frère Isambard va lui en chercher une dans l’église voisine. La jeune liUe la couvre de baisers el prie le bon religieux de la >i tenir élevée devant ses yeux jusqu’au pas de la mort 11.

Cependant la soldatesque s’impatiente. Elle crie à Jean Massieu : « Hé ! prêtre, nous ferez-vous dîner ici ! B Le bailli, devant leijuel on mène la condamnée, ilit au bourreau : « Fais Ion devoir. » Les clercs du roi d’.

glelerre viennent prendre el conduire Jeanne au bûcher. Elle en gravit les degrés avec frère Ladvenu, et le bourreau met le feu. Jeanne aperçoit la flamme. " Frère Martin, s’écrie-t-ellc, descendez : le feu. 1) Elle ajoute : « Elevez la croix, que je puisse la voir » (Juand la flamme l’atteint : « De l’eau bénite, de l’eau bénilel » demanda la suppliciée. Parmi les crépitements de la flamme, on l’entend invoquer à plusieurs reprises le nom de Jésus. Le feu gagnant toujours, elle s’écrie : a Saint Michel, saint Michel ! non, mes Voix ne m’ont pas trompée ! Ma mission était de Dieu. » Un peu après, elle dit encore :

« Jésus, Jésus, Jésus ! » Enfin un dernier cri, poussé

d’une voix forte, dans lequel s’exhale son âme de vierge, de martyre et de sainte : « Jésus ! »

C’était le 30 mai 1 43 1. Jeanne n’avait pas vingt ans.

V. — Jeanne d’Arc et sa « mission de survie ».

— Expulsion des Anglais. — Réhabilitation et glorification.

En livrant leur ennem’e au bûcher, les Anglais

comptaient bien rendre impossible l’achèvement de l’œuvre que l’envoyée de Dieu avait annoncée et qu’elle n’avait pu accomplir de son vivant. Ils eussent eu raison si la mission de Jeanne d’Arc n’eût été qu’une mission huuiaine.

A la mission de survie se rapportaient, avec la continuilé de l’élan patriotique, les événements que la Voyante avait prédits comuie les étapes certaines du triomphe final, c’est-à-dire l’expulsion de l’ennemi héréditaire et la délivrance du territoire français. Militairement parlant, si Jeanne n’eût pas fait lever le siège d’Orléans en i^^y, Talboten ilib’i n’aurait pas perdu la bataille de Caslillon, et les Anglais n’auraient pas été, à la suite de cette défaite, contraints de rentrer dans leur ile. Moralement parlant, si Jeanne, éclairée de Dieu, n’eût pas à plusieurs reprises fait savoir à tous, amis el ennemis, l’issue inévitable de la lutte qu’elle allait engager el les événements inattendus qui devaient y conduire, l’àme française n’eût pas tressailli d’espoir, et le patriotisme n’eût pas eu le dernier mot.

Jeanne n’ignorait pas qu’il en seraitainsi.etque sa

« mission de survie » couronnerait et achèverait sa
« mission de vie. De telle sorte que « s’il convenait à

Dieu — ce sont ses propres paroles — qu’elle mourût avant que ce pour quoy il l’avait envoyée fût acconqili, après sa mort, elle nuirait plus auxdits Anglais qu’elle n’aurait fait en sa vie, el nonobstant sa mort, tout ee pour quoy elle était venue s’accomplirait u (Mathieu Thomassin, Procès, t. IV, p. 311). Tliomassin, témoin oculaire, ajoute en manière de eonllrmalion : « El il a été ainsi fait par la grâce de Dieu, comme il appert el est chose notoire de notre temps.

Ce sont les années écoulées entre 1431 el 1455-56, date du procès de réhabilitation, qui ont vu se produire les événements compris dans cette mission de survie. Jeanne les avait spécifiés en des circonstances parfois solennelles, à Chinon. Poitiers, Uoien.

Eu 1435, le 2 1 septembre, le duc Philippe de Bourgogne se réconciliait avec le roi de France et signait le traité d’.rras, qui enlevait à l’Angleterre son puissant allié. Le 4 se|>teml)re de cette même année, la mort du duc de Bedford délivrait Charles de son plus redoutable ennemi.

En I’436, le i." avril, le maréchal de l’Isle-Adam arl)orail la bannière de France sur les mvirs de Paris, le connétable de Richcmonl en prenait possession au nom du roi, et le 12 novembre de l’année suivante Charles VII entrait solennellement dans sa capitale recouvrée.

En 1440, le duc Charles d’Orléans, prisonnier des Anglais, voyait finir sa captivité, ainsi que l’avait assuré maintes fois l’héroïne, et il rentrait dans la cité orléanaise où devait naître l’enfant apjielé à régner sous le nom de Louis Xll.

Dans les années qui suivirent la soumission de Paris, les villes et provinces au pouvoir des Anglais se rangèrent de gré ou de force à l’obéisSvance de Charles VII. En 1449. la capitale de la Normandie redevenait française. Le lundi 10 novembre, le roi Charles reprenait possession de la ville où Jeanne avait subi son martyre. L’année suivante, le |5 avril, la victoire de Formigny ravissait aux. glais tout

espoir de demeurer en terre normande. Il ne leur restait plus que Bordeaux el la Guyenne. En juillet 14"’3, la bataille de Caslillon, où ïalbol fut mortellement blessé, leur enleva ce dernier boulevard ; le II) octobre, Bordeaux ouvrait ses portes aux chefs de l’armée royale, la France était rendue aux Français.

On s’est étonné que le -Saint-Siège ail attendu plus de vingt ans avant de sortir de sa réserve. C’est que 1245

JEANNE DARG

1246

ce délai était indispensable pour établir s’il fallait voir dans la suppliciée de Rouen une visionnaire, jouet de son imagination, ou une envo3éc de Dieu. Que la paix d’Arras, que la rentrée de Paris en l’obéissance de son souverain légitime, que le retour du duc d’Orléans de sa captivité d’Angleterre n’eussent été que de vaines espérances, et la Pucelle eût à jamais perdu tout prestige. En revanche, lorsque les contemporains virent ces événements se produire de façon éclatante, lorsque s’y ajoutèrent la capilulation de Rouen, la conquête de la Normandie et enfin la délivrance du territoire, on eut la preuve que la mission de survie de Jeanne n’était pas un vain mot, que sa mission totale était ponctuellement accomplie. Frappé de ces manifestations providentielles qui faisaient la lumière atte : idue, le elief de l’Eglise jugea l’heure propice et, sortant de son silence, il prescrivit la revision solennelle du procès de 1431.

Il n’y fallait pas songer tant que la Normandie et sa capitale restaient au pouvoir des Anglais. Sur cent quarante-quatre dépositions reçues aux diverses enquêtes, cinq>iante-cint( furent dues à des religieux, prêtres, chanoines ou bourgeois normands.

L’évêque de Ueauvais, l’Université de Paris et le gouvernement anglais n’avaient pas manqué, au lendemain du drame du Vieux-Marché, de le présenter à l’opinion sous le jour le plus honorable pour eux et le plus ignominieux pour leur victime. Tandis que Pierre Cauchon mettait la main à la fausse et abominable Information posthume (- juin i^31), le roi d’Angleterre écrivait à l’Empereur, aux princesclirétiens, aux prélats, ducs, nobles et cités du royaume les lettres (]u’on peut lire à la suite du procès. De son côté, l’Université de Paris en adressait une semblable au Pape et au sacré ( ; ollège. Il importait de ne pas laisser s’accréditer des mensonges non moins outrageants pour le roi de France que pour la jeune lille à laquelle il devait sa couronne. Charles VU comprit ce que le pays attendait. Trois mois environ après son entrée dans Rouen, le 15 février 1450, il donnait à son « ami et féal conseiller, maître Guillaume Bouille », docteur en théologie et doyen de Noyon, mission de rechercher la vérité sur le procès de la Pucelle. Les 4 el 5 mars suivants, maître lîouillé effectuait une première enquête et entendait sept témoins, dont cinq assesseurs de révé<[ue de Ueauvais et deux ofliciers du tribunal. Ces jours-là, le procès national de revision commençait, en attendant celui du Saint-Siège.

Pour préparer le procès canonique de revision, le cardinal Guillaume d’Estouteville, archevêque de Rouen et légat du Pape, ouvrit d’ollice une information dans laquelle une vingtaine de témoins furent entendus (mai 145a). En même temps, des consultations spéciales étaient demandées à des canonistes. Restait à obtenir du Souverain Pontife la nomination d’un tribunal avec pleins pouvoirs. Ce furent la mère de la Pucelle et ses deux frères. Pierre et Jean, qui adressèrent au pape régnant une supplique à ce sujet. Calixte 1Il l’accueillit favorablement. Le Il juin 1455, un rescrit pontifical confiait à Jean Jouvenel des Ursins, archevêque de Reims, à Guillaume Chartier, évêque de Paris, et à Olivier de I.ongueil, évcque de Coutances. la mission de revoir le procès de Rouen, de rechercher si la Pucelle avait mérité sa condamnation, et de « rendre en dernier ressort une sentence selon la justice ».

Le 7 novembre suivant, lanière de Jeanne d’Arc et ses deux fils, accompagnés de nombreux amis, se rendaient dans l’église Notre-Dame de Paris devant les délégués du Saint-Siège et demandaient que la cause fut ouverte. Les prélats déclarèrent se constituer juges, avec l’inquisiteur Jean Rréhal en

qualité de juge adjoint, et la première comparution des personnes intéressées fut lixée au 12 décembre à Rouen. Toutes les précautions furent prises pour i|n’aucune des règles de la i)rocédure canoni(pie ne fut négligée, et surtout pour en arriver à la manifestation complète de la vérité. D’importantes enquêtes eurent lieu et se poursuivirent jus(pi’au mois de mai 1456, dans le Barrois, à Orléans, Reims, Lyon et Paris. A Domremy, Toul, Vaucouleurs, on entendit trente-quatre témoins ; à Orléans, quarante et un ; à Paris, vingt ; à Lyon, le chevalier d’Aulon ; à Rouen, dix-neuf ; — en tout, avec les vingt-neuf dépositions de 1450 et 1452, antérieures au procès, cent quarante-quatre.

Le a juillet 1456, les recherches et travaux du tribunal étaient terminés. Les juges désignèrent le 7 juillet pour le prononcé de la sentence. Elle fut rendue de la façon la plus solennelle dans le i>alais archiépiscopal de Rouen. En présence des avocats de la cause, des représentants de la famille de Jeanne et de Jean son frère, l’archevêque de Reims, au nom des trois prélats délégués et de l’Inquisiteur de la foi, déclara « le procès de condamnation et les sentences qui s’ensuivirent entachés de dol, de calomnie, d’iniquité, d’erreur manifeste en fait et endroit, et conséquemment nuls, sans valeur et sans autorité ». Il ajouta que ladite Jeanne n’avait encouru ni contracté à l’occasion des sentences susdites aucune note ou tache d’infamie ; que, du reste, autant que besoin était, on l’en délivrait totalement. Il fut arrêté, en outre, que les fameux

« douze articles », extraits calomnieux et dolosifs du

procès, « seraient arrachés dudil procès et lacérés judiciairement » ; que, « le jour même, la promulgation de la présente sentence aurait lieu sur la place de Saint-Ouen, et, le lendemain, sur la place du Vieux-Marché, avec une prédication solennelle et la plantation d’une croix ». Jamais, remarque Lenglet-Dufresnoy, sentence de réhabilitation n’a été rendue de façon aussi expresse et aussi solennelle.

Le 27 janvier 189^, Léon XIU la confirmait quand, accédant à la supplique de l’évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup, et des évêques de France, il déclarait Jeanne d’Arc Vénérable servante de Dieu, et introduisait la cause de sa béatification.

Le 6 janvier 1904, Pie X ajoutait encore à la gloire de l’héroïne en décrétant « qu’elle avait pratiqué au degré héroïque requis les vertus théologales, les vertus cardinales et celles qui leur sont annexes ». A la lin de l’année igoS, les miracles présentés à la Sacrée Congrégation des Rites pour la béatification de la servante de Dieu ayant été canoniquement approuvés, Sa Sainteté a fixé la proclamation du décret de béatification au 18 avril 1909. -1.^).iT, (, "-^^^ii ! ^Vi,

L’histoire redira l’enlliousiasme de la Fra’nce pour" la sainte qui désormais incarne aux yeux des croyants l’amour de la i)atrie, la contagion de cet enthousiasme dans les milieux les plus fermés à l’esprit chrétien, et les efl’orts de la libre-pensée elle-même pour laïciser la mémoire de Jeanne d’Arc.

VI. — L’histoire de Jeanne d’Arc et la critique

L’histoire de Jeanne d’Arc est l’histoire d’une grande Française, d’une héroïne sans peur, d’une sainte sans reproche. La présente notice ne répondrait pas à l’attente du lecteur si elle ne rappelait les questions sur lesquelles les historiens étaient divisés, et les travaux qui en ont amené la solution.

Des sources principales de l’histoire de la Pucelle : leur valeur comparée. — Personne n’ignore que les deux grandes sources documentaires de l’histoire de la Pucelle sont les procès de condamnation et de réhabilitation. Le procès de condamnation emprunte 12^7

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sa valeur aux tlélails et aux renseignements fournis par Jeanne même sur sa vie dans les interrogatoires qu’on lui lit subir. Le procès de revision l’emprunte aux cent quarante-quatre témoignages recueillis en diverses enquèles judiciaires, de la bouche de personnages qui avaient vii, connu, ouï l’héroïne. Sous ce rajiport, ces documents sont des sources historiques du plus grand prix. Mais en possédons-nous l’original, ou seulement des expéditions authentiques ?

La minute originale du procès de Rouen était en français, sauf quebiues pièces de procédure rédigées, selon l’usage reçu, en latin. Le docteur de Paris, Thomas de Courcelles, dans les années qui suivirent le supplice de Jeanne, mais avant la mort de l'évêque de Beau vais, mil les pièces de la cause en forme et traduisit en latin le français des vingt-cinq interrogatoires, du réquisitoire et autres parties. Il y eut donc d’abord deux minutes du procès de 1431, l’une en français, l’autre en latin. Toutes deux sont perdues. Des cinq copies ou expéditions authentiques qui furent faites de la minute latine, trois seulement nous restent : deux sont conservées à la Bibliothèque nationale, l’autre à la Bibliothèque du Corps législatif. De la minute française, nous ne possédons que des fragments retrouvés dans le manuscrit dit de d’Urft.

Le procès de réhabilitation fut mis en forme par deux notaires de l’Université de Paris, Denis Lecomte et François Ferrebouc. Des minutes et pièces originales, aucune ne nous est restée. Trois expéditions authentiques du procès en forme furent délivrées par les notaires. Nous n’en possédons que deux : on peut les voir à la Bibliothèque nationale. Keste à déterminer l’autorité soit judiciaire, soit historique, afférente à chacun île ces documents.

Dans le procès de condamnation, l'évêque de Bcauvais joue un double personnage : il est tout ensemble juge et historien.

A litre de juge, son autorité et celle de son œuvre judiciaire sont nulles. Les douze articles, résumé de l’acte d’accusation de la cause, ont été (lélris. L’abjuration au cimetière de Saint-Ouen, dans laquelle toutes les règles canoniques avaient été violées, l’a été pareillement ; quant aux deux sentences, elles ont été invalidées et cassées par le tribunal de Calixte 111.

A titre d’histoire, l'œuvre de Pierre Cauchon est absolument suspecte ; ses alVirmations ne doivent être acceptées que sous les plus grandes réserves ; plus d’une fois la critique l’a pris en llagrant délit d’invention, d’erreur et de mensonge. Dans les interrogatoires, les réponses de l’accusée ont été parfois supprimées, souvent modiliccs et altérées.

Le fait de la prétendue « abjuration canonique » de Jeanne est une invention de l'évêque de Beauvais : il en est de même du fornmiaire qu’on lit au procès. Le guet-apens de la prison, après le premier jugement, est passé sous silence. Les explications de la jeune lille sur la reprise de rhal)it d’homme ne figurent point au [irocès-verbal de l’interrogatoire du iiH mai ; et, à la faveur de la tradviction latine, Thomas de Courcelles a pratifpié dans ce texte cinq altérations ayant pour objet de persuaderait lecteur que Jeanne avait abjuré canoniquement en cause de foi. Ennemi mortel de la prisonnière des Anglais, historien et jiige partial, poursuivant per fa.i et riefts In perte et le déshonnevir de sa victime, Pierre Cauchon courr)nna son onivre inique en inventant et rédigeant l’Information posthume, libelle calomnieux f|ue les notaires eux-mêmes refusèrent de signer et d’insérer dans le texte du procès.

Dans le procès de revision, les juges ne font pas,

comme l'évêque de Beauvais, œuvre d’historiens. Ils sont juges et pas autre chose. Seulement, ils ont jugé selon le droit et la justice, et aucune autorité, aucun tribunal, pas même celui de l’histoire, n’a infirmé, encore moins mis en doute le bien fondé de leur sentence. Au cours du procès, ils ont multiplié les informations de nature à les éclairer et à renseigner aussi les historiens de l’avenir ; mais sur ces documents précieux ils n’ont construit aucune thèse, basé aucun récit, et ils ont laissé à d’autres la tâche d’en éprouver la vérité, la solidité, et s’il y avait lieu, de les réfuter.

C’est ce que ne paraît pas avoir compris l’auteur des Apert^iia niiu^euiix sur l’histoire de la Pucelle qui, un peu trop légèrement, après avoir dit des juges de 1^56 qu’ils étaient « la probité même », les accuse d’avoir pratiqué ou laissé pratiquer dans les dispositions des enquêtes des retranchements ou modifications qui en altéraient la substance (J. Qcicherat, Jperriis nouveaux…, p. 150, 151). J. Quicheral accuse ; mais selon son habitude, il ne présente i)as de preuves à l’appui de ses accusations ; ou bien s’il en présente, elles portent à faux. Nous croyons l’avoir démontré dans notre troisième série d’JStudes critiques, p. 152 et suivantes.

f.es deu.f procès et la critique. — II est peu d’historiens, antérieurement au xix*^ siècle, qui, parlant de la Pucelle, n’aient mentionné l’un et l’autre des lieux procès : ils eussent rendu un plus grand service à l’Eglise et à la France, s’ils en eussent étudié, collationné et publié le texte.

Dès 1628. le docteur de Sorbonne Edmond Riciibr signalait l’importance et l’opportunité de cette publication. Si son appel eut été entendu, l’histoire de l’héroïne se fût achevée cent ans au moins plus tôt.

Vers 1840, la Société de l’Histoire de France se ressouvint de l’appel d’Edmond Richer. Informé du projet que nourrissait à ce propos l’historien allemand de Jeanne d'.rc, Gnido Gônni.s, elle le prévint, et Jules QuicniîRAT, élève sortant de l’Ecole des Chartes, fut chargé de préparer le texte des manuscrits des deux procès et d’en surveiller l’impression. Le premier volume paraissait en 18^1, le cinquième et dernier en 18/19.

L'éditeur nous api>rend qu’il se proposait d’y joindre le texte des ylperçus nouveaux, dans lequel il exposait sa pensée sur l’histoire et principalement sur le j)rocès de l’héroïne. N’ayant pu exécuter ce projet, il publia ses Aperçus dans un volume à part, (irande fut la surprise des érudits lorsqu’ils virent l'éditeur des ]irocès se constituer le défenseur d’idées tendant à rabaisser Jeanne et à justifier l'évêque de Beauvais ! Au demeurant, Jules Quicherat se posait en théoricien du système inauguré parMichelet et Henri Martin au sujet de la Pucelle et adopté depuis par des professeurs de l’Université. En face de cette école qu’on a proposé d’appeler francocauchonieune, à cause de la grande autorité qu’elle reconnaît à Pierre Cauchon, se sont levés des liistoriens que réttide des deux i)rocès a pénétrés de convictions dilTércntes. Représentants de l'école française et catliolique, ils défendent les thèses documenlaireinent inattaquables de l’objectivité des Voix de Jeanne, de son héroïsme intégral et de sa vraie sainteté.

Des Voie de Jeanne d’Arc et de sa mission d’en haut. — Un fait constant de la vie de la Pucelle, qui la distingue de toutes les héroïnes connues et lui imprime le caractère du merveilleux le plus étonnant sinon du surnaturel même, c’est le fait des visions, révélati<ms et Voix, dont elle fut favorisée depuis sa treizième année jusqu'à sa mort. D’après 1249

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les documents, que doit-on penser de ces phénomènes ?


i" Ces phénomènes étaient, non des effets de l’imagination et delà sensibilité, mais des visions réelles, des phénomènes auditifs certains, un commerce intellectuel incessant, produit par des causes extérieures et supérieures, d’une objectivité indubitable, qui n’étaient autres que l’archange saint Michel et les saintes Catherine et Marguerite.

2° Les historiens rationalistes, qui ne veulent à aucun prix du surnaturel, en sont réduits à laisser le fait des Voix inexpliqué, ou bien à n’y voir que des phénomènes hallucinatoires. Ceux qui recourent à ce dernier expédient sont obligés de convenir qu’ils ont les documents contre eux. Impossible de découvrir dans les deux procès et les chroniques du temps le fait prouvé d’une seule hallucination dont la l’ucelle aurait été le sujet. Pas plus à Domrcm.v qu’à Chinon, au cours de ses campagnes que dans l’année de sa captivité, on n’a pris Jeanne en llagrant délit, s’il est permis de le dire, d’un phénomène, a fortiori d’un état hallucinatoire.

3" Eu effet, les Voix de Jeanne, telles qu’elle les a fait connaître au cours de son procès, — et c’est par ce document principalement que nous les connaissons — produisaient chez elle un état physique, intellectuel et moral, irréductible à l’état hallucinaluire. L’hallucination est j)li.vsiquement un phénomène morbide ; intellectuellement, c’est, un phénomène irrationnel, source d erreurs constantes et de faux jugements ; moralement, c’est un phénomène involontaire et fatal, que le sujet subit et qu’il ne domine jamais. Pendant les sept années que Jeanne a eu ses révélations et ses Voix, on ne constate chez elle aucun état morbide, aucune aberration in-Icllectuelle, aucune série d’actes marijucs au coin du fatal et de l’involontaire, et se dérobant à la direction du libre arbitre.

Mais il y a plus. L’étude approfondie des textes met au jour chez l’héroïne un certain nombre de visions et de révélations qui se d jtinguent par ce qu’on doit nommer leur portée objective, et qui, de la sorte, deviennent suscc[)tibles de vérification historique. Nous appelons révélations, voix à portée objective, des révélations visant des événements extérieurs, publics pour la plupart, présents ou à venir, nettement caractérisés, qu’il n’était pas possible de connaître humainement et d’annoncer positivement ; tels, la levée du siège d’Orléuns, la blessure que la Pucelle devait recevoir sous les murs de cette ville, le sacre du jeune roi à Reims, la recouvrance du royaume du vivant de Charles Vil, cl beaucoup d’autres faits d’égale importance. J’ajoule que ces révélations à portée objective sont susceptibles de vérification historique, parce qu’il n’y a qu’à consulter l’histoire et à y rechercher si, en regard de chaque révélation et de chaque prophétie de l’héroïne, ne s’est pas produit au temps voulu le fait extérieur, public ou privé, qui en a été l’exact accomplissement. Les documents fournissent la preuve de plus de trente révélations ou vaticinations dont Jeanne se déclarait redevable à ses Voix, et que les cvéncnienls ont jusliûées. Les connaissances qu3 ces vaticinations supposent sont manifestement surhumaines. pour ne pas dire surnaturelles. Les historiens qui en infèrent la réalité de ses communications surhumaines, l’objectivité de ses apparitions et visions, peuvent se réclamer des exigences de la logique, et des lumières de la raison, aussi bien que des enseignements de la foi.

Ces explications des Voix et révélations de la Pucelle nous indiquent l’opinion que l’on peut concevoir à juste titre de sa mission divine el de sa

Tome II.

sainteté. L’une el l’autre ont pour base les documents.

La sainteté, c’est la vie entière de la servante de Dieu qui l’établit. Lorsque le chef de l’Eglise la proclamaiten 18y’j et en 1909, il ne faisait que proclamer la vérité dont l’histoire avait fourni la preuve. Il n’en va i)as différemment de la mission divine. Cette mission de voyante inspirée et de libératrice nationale, elle n’a cessé de la remplir et de l’affirmer, depuis son premier voyage à Vaucouleurs jusqu’au bûcher sur lequel elle rendait le dernier soupir. Elle l’a remplie par ses prédictions si propres à ranimer le patriotisme et la confiance des défenseurs du royaume. Elle l’a définie sans ambages : fermer l’ère de la défaite pour les loyaux Français, rouvrir le chemin de la victoire, y entrer la première son étendard à la main, annoncer l’expulsion totale des envahisseurs, et dans l’unique année qui devait mesurer sa carrière, animer ses compagnons d’armes du patriotisme et de la vaillance indispensables jiour achever l’œuvre qu’elle avait si bien commencée. Telle a été, en dehors de toute subtilité, la tâche de r « envoyée de Dieu ».

Jeanne d’Arc et l’Eglise. — Peut-on dire, comme le font quelques historiens, que l’Eglise a été pour quelque chose dans son procès, sa condamnation el son exécution ?

Fidèle enfant de l’Eglise, Jeanne l’a été à Domremy et durant sa vie guerrière ; elle l’a été pareillement durant son procès, même lorsque ses juges revenaient à satiété sur la nécessité de soumettre ses dits et faits à la détermination de l’Eglise.

Au cours de ces séances, la prisonnière a eu le bon sens de ne point partager les idées que Pierre Cauchon exprimait à ce sujet ; elle n’entendait jias l’Eglise, comme son juge l’entendait. Elle eut la sagesse de mettre au-dessus de l’autorité d’un simple évêque celle du pape, d’en appeler du jugement de cet évêque à celui de Rome. Qui songerait à l’en blâmer’.' Il lui en a coûté la vie. Mais la réparation est venue ; c’est l’Eglise même qui inscrit son nom au livre d’or des vierges et des saints.

Par suite d’une étude superficielle du droit canonique et des documents, des historiens ont vu longtemps dans le procès de 1431 un procès ecclésiastique régulier, péchant seulement par quelques abus de pouvoir. Des recherches récentes ont montré qu’il fallait y voir autre chose : un procès anglais de vengeance d’Etat, dissimulé sous un faux procès canonique.

Procès anglais d’Etat, d’abord. C’est le gouvernement anglais qui en prend l’initiative ; c’est lui, non le Saint-Siège, qui choisit et délègue le juge ; la délégation en ce cas étant de nul effet, il est arrivé que ce juge n’a été qu’un juge intrus, sans compétence et sans pouvoirs. Anglaise a été aussi la direction du procès, anglais l’or qui a tout payé, anglais au moins de cœur les assesseurs appelés à y prendre part ; anglais le but poursuivi, c’est à savoir une condamnation infamante et la mort du bûcher pour tirer vengeance de la jeune Française qui avait commis le crime d’arracher des griffes de l’Anglais le beau royaume de France.

Faux procès canonique ensuite. L’évêque de Beauvais n’avait ni pouvoirs propres, ni pouvoirs délégués. Il n’avait pas de pouvoirs propres, n’étant pas l’évêque n ordinaire » de Jeanne d’Arc ; pas méiiie accidentellement, car Jeanne avait été prise par les Bourguignons sur le territoire du diocèse de Soissons, non sur celui’du diocèse de Beauvais (Compiègne, en ce leinps-là, appartenait au diocèse de Soissons). Pierre Cauchon n’était donc pas, ainsi que le préten-’dent les lettres du roi d’Angleterre qu’on lit au

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procès, l’évêquc u ordiuaLie » de Jeanne. D’aulre pai’t, il ne sollicita aucune délégation ni de l’Ordinaire de la prisonnière ni du Saint-Siège : ce qui lit. du tribunal de Rouen un tribunal acéphale et du procès même un procès radicalement nTl, un faux procès.

L’évcque de Beauvais eûl-il d’ailleurs été l’Ordinaire de l’accusée, il foula aux pieds de tant de manières le droit divin et buniain, que le procès eût été nul au moins à la liii, s’il ne l’eût |ias été avant. Parmi les violations du droit que le prélat se iiermit, on doit noter le refus de mettre Jeanne en prison d’Eglise, le refus de lui donner un avocat-conseil au commencement des interrogatoires, la rédaction frauduleuse des douze articles, et la fausse abjuration, la fausse cédule du cimetière de Saint-Ouen. Il n’en fallait pas tant pour que le procès fût justement annulé, invalidé, cassé par le tribunal de la réhabilitation.

Quicheral et les historiens de l’école francocauchonienne accusent l’Eglise d’avoir jugé la Pucelle à Rouen ; l’ayant ensuite réhabilitée en 1456, l’Eglise se serait contredite et déjugée. Aujourd’hui même, elle se contredirait et se déjugerait une seconde fois, en élevant la condamnée de Rouen au rang des Bienheureux. La proposition qui sert de base à cette double accusation portée contre l’Eglise est absolument ffiusse. C’est chose établie par les documents que le Saint-Siège n’est intervenu au procès de la Pucelle ni avant, ni pendant, ni après. C’est chose prouvée qu’il fut tenu par le gouvernement anglais dans une ignorance totale du procès : il ne fut ni avisé, ni consulté. Les régents entendaient n’être pas arrêtés ou gênés dans l’exécution de leurs desseins de vengeance par les papes régnants, comme le roi Philippe le Bel l’avait été par l’intervention du pape Clément V dans le procès des Templiers. Ils ne voulaient pas que leur procès à eux durât cinq ans. En cinq mois, il fut expédié. Le pape régnant Eugène IV n’en fut instruit que lorsque Jeanne eut été brûlée.

L’Eglise n’a donc pas jugé Jeanne à Rouen. Pour le soutenir, il faudrait dire que Pierre Cauchon était l’Eglise. Gens d’Eglise ne seront jamais l’Eglise.

Comme preuve documentaire achevant de ruiner l’objection, signalons la lettre d’Eugène IV à son légat le cardinal de Sainte-Croix, en date de lin avril 1431, un mois avant le drame du Vieux-Marché. Dans cette lettre, le pape presse son légal d’amener un rapprochement pacilique entre les deux rois de France et d’.

gleterre. C’était, ou jamais, le moment d’intervenir dans l’affaire de la Pucelle, si le Pontife romain en eût eu connaissance. Or, dans cette lettre, il n’est question de rien de ce genre : ni Jeanne, ni le procès n’y sont même nommés (voir Uaynaldi, Annales ecclésiastiques, à l’année i^Si).

Un dernier reproche dirigé contre l’Eglise, c’est celui qui rend la procédure inqiiisitoriale responsable de la condamnation de Jeanne d’Arc. Pierre Cauchon, a eu, dit-on, la main forcée par les exigences de cette procédure. — C’est le contraire qui est la vérité, et c’est un point que les travaux récents des historiens ont rais en pleine lumière. C’est poiir n’avoir pas suivi les régies de la procédure inquisiloriale, pour les avoir outrageusement violées, que le juge de Jeanne d’Arc a terminé le procès par une sentence de condamnation. Si le pape eût évoqué la cause à son tribunal, s’il l’eût déférée à des juges consciencieux et indépendants, ces juges eussent conclu à l’innocence de Jeanne d’Arc et l’eussent mise hors de cause. A Rouen, Pierre Cauchon a jugé et condamné par ordre.

L’Eglise n’a donc ni jugé ni condamné Jeanne en 1431 ; mais elle a jugé en 1456 et elle l’a réhabilitée.

Elle a jugé encore en 189^, quand elle a introduit la cause de sa béatification.

Elle a jugé en 1909, quand ajirès avoir jugé digne d’approbation les miracles présentés au tribunal des Rites, elle décrétait et célébrait sa béatiUeation.

Voilà dans quelles circonstances l’Eglise a jugé sa glorieuse enfant.

BlBLIOGRAPUIE

Sources générales de l’histoire de Jeanne d’Arc

Lelong (Jacques), prêtre de l’Oratoire. Bibliothique historique de lu France, 4 vol. in-folio, Paris, 1768-17-5. Pour la bibliographie de Jeanne d’Arc, voir t. ii, p. 180-189 ; et t. IV, n"^’i’ji’ji-i’j242, additions et rectilications. — Chevalier (le chanoine Ulysse), Répertoire des sources historiques du moyen âge. Bio-bibliographie. Nouvelle édition, petit in-4°, Paris, 1906-1906. — Lanéry d’Arc (Pierre), Le livre d’ur de Jeanne d’.irc, i vol. in-8°, Paris, 1893.

Sources spéciales

Quicherat (Jules) et la Société de l’histoire de France, Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, avec extraits des chroniques du XV’siècle et autres pièces de l’époque, 5 volumes in-8°, Paris, iS^i-iS^g. — Lanéry d’Arc (Pierre), Mémoires et consultations… des docteurs de la réhabilitation, in-8°, Paris, 188g. — Belon et Balme, des Frères prêcheurs, Jean Bréhul, grand inquisiteur de France, et la réhabilitation de Jeanne d’Arc, avec le texte de la RecuUectio, in-S", Paris, 1898. — Denille (R. P. Henri), des Frères prêcheurs, Chartularium Universitatis parisiensis, 4 vol. in-4, Paris, 1889-1897 ; Auctarium Chartularii… 2 vol. in-4°, 1893-1897. — Fournier (Marcel), Statuts et privilèges des Universités françaises, 4 vol. in-4, Paris, 1891-1894.

Critique, d’après les te.rtes, de l.’tiatoire de Jeanne d’Arc

Richer (Edmond), docteur de Sorbonne, Histoire di’la Pucelle d’Orléans et critique des deux procès. Manuscrit de514 feuillets à recto et verso in-folio. Bibliothèque nationale, fonds français, cote io448.

— Averdy (François de L’), Notices sur les deux I)rocès ; dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, au tome 1Il des Notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque du roi, in-8° d’environ 500 pages. — Quicherat (Jules),.4pertus nouveaux sur l’histoire de Jeanne d’.irc, in-8, Paris, 1850. — Sepet (Marins), Vea/me d’Arc, Tours, 1869. — Ayroles (R. P.), S. J., U vraie Jeanne d’Arc (L’Eglise de son temps ; La paysanne et l’inspirée : La libératrice : La guerrière ; ta martyre), 5 vol. in- 8°, Paris, 1890. — Dunand (Philippe-Hector), Etudes critiques d’après les telles sur l’histoire de Jeanne d’Arc, 4 vol. in-8’, Paris, Ch. Poussielgue. t" série. Les Visions et les Voix. In-S" de lvi-660 pages. 2’série. Dix études, dont les suivantes : La fausse légende anglaise de Jeanne « renégate et parjure » ; L.’abjuratiim du cimetière de Saint-Ouen : Va procès de rechute ; De l’information posthume : Pe Pierre Cauchon, Edmond liicher et J. Quicherat. 3* série, La Société de l’histoire de France, Jules Quicherat et Jeanne d’Arc : Jeanne d’.4rc et l’Eglise, oh le dernier mot du procès de Jtuuen. 4’série, Jeanne d’.irc et sa mission, d’après les documents : La sainteté de Jeanne d’Arc et l histoire ; Le procès d& 1253

JEANNE (LA PAPESSE)

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Rouen et le Saint-Siège.-pendant et après l'13l. Paris, G. Beauchesne, 1909 ; La Vie de Jeanne d’Arc r>, par M. A. France, ln-12, Poussielyue, iyo8. Du même, Histoire complète de Jeanne d’Arc, nouvelle édition, 4 vol. in-8°, de Goo pages chacun, Paris, 1912, de Gigord.

A consulter les chroniques du xv* siècle, de Monstrelet, G. Gruel, Th. Basin, Pierre de Fenin, G. Chastellain, Jean Charlier, du Bourgeois de Paris, de Cousinot de Monlreuil, etc., éditées par la Société de l’iiistoire de France pour la plu|>art. Voir aussi l’Histoire Je l’Eglise gallicane du Père Longueval, l’Histoire des ducs de Bourgogne par de Barante, les Histoires d’Angleterre de Kapin de Tlioyras, Hume, Lingard, Turner, l’Histoire de Chartes VII par Vallel de Virivillc et Dufresne de Bcaucourt, les Histoires de Jeanne d’Arc de Lenglet Dufresnoy, Le Brun de Charmettes, Henri ^^'allon, Guido Goerres, la notice non corrigée de Walfkenær dans la Biographie unii’erselle de Micliaud.

Parmi les publications de ces dernières années, n’oublions pas A. Longnon avec ses deux volumes : Les limites de la France à l'époque de la mission de Jeanne d’Arc, in-8°, Paris, iS^S ; et Paris sous la domination anglaise, in-8°, Paris, 1878 ; — Germain Lefèvre-Pontalis, avec ses notes sur la Chronique d’Antonio Morosini, 4 '>ol. in-S", Paris, 1899-1902 ; et son édition des Mémoires d’Eberhard Windecke, in-8°, Paris, lyoS ; — A. Sorel et La prise de Jeanne d’Arc devant Compiègne, in-S°, Paris, 1889 ; — Siiuéon Luce ei Jeanne d’Arc à Domrémy ; — Henri Jadart, Jeanne d’Arc à ifeims, in-S", Reims, 1887 ; — Nocl Valois, La France et le grand schisme d’Occident, 4 vol. in-8°, Paris, 18g6 ; — de Bouteiller et de Braux, La famille de Jeanne d’Arc, 2 aoI. in-8°, Paris, 1878 et 1879 ; — Ch. de Beaurepaire, Notes sur les juges et assesseurs du procès, in-8°, Kouen. 1890 ; — Gabriel Hanotaux, de l’Académie française, Jeanne d’Arc, in-8% 1910, Hachette ; — Capitaine Champion, Jeanne d’Arc écuyère, in-8°, Paris. 1901 ; — Général Cauonge, Jeanne d’Arc guerrière, in-12, Paris, 1907.

Ph. DONAXU.