Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Les Fausses Décrétales

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 460-464).

DÉCRÉTALES (FAUSSES).—
I. Composition des Fausses Décrétales. — II. But poursuivi par Vauteur. — m. Date. — IV. Patrie. — V. Accueil fait aux Fausses Décrétales. — VI. Bibliographie.

I. Composition des Fausses Décrétales. —

Les Fausses Décrétales sont une collection canonique, qui parut au ix’siècle dans l’Empire franc ; son auteur s’est dissimulé sous le nom énigmatique d’IsiDO-Rus Mercator. Il en a fait connaître les idées dominantes dans la préface qu’il a placée en tête de sa collection. La collection est composée de trois parties. La première est faite des canons des Apôtres et de soixante lettres de Papes, depuis S. Clément jusqu’au pape Melchiade, mort en 315 ; toutes ces lettres sont apocryphes. La seconde partie comprend les canons des conciles, tels qu’ils se présentent dans le recueil canonique ancien connu sous le nom d’HisPANA, c’est-à-dire les canons des conciles orientaux, africains, gaulois et espagnols. L’auteur s’est servi de la forme de cette collection dite Gallica : M. Ma.vssen a démontré qu’il avait employé une forme de la Gallica remaniée et interpolée de son temps, sinon par lui. Les textes faux sont d’ailleurs peu nombreux dans cette partie de son œuvre. — Enfin la troisième partie, faite d’après le plan de Vllispana, comprend un grand nombre de décrétales authentiques, empruntées à des collections antérieures et notamment à VHispana ; on y trouve aussi trente-cinq lettres apocryphes attribuées à divers Papes. Les documents qui constituent cette troisième partie, authentiques et apocryphes, se répartissent entre les divers pontificats de la période qui commence à S. Silvestre (mort en 335) et se termine à Grégoire II (mort en 73 1).

Tous les manuscrits ne contiennent pas la collection du faux Isidore au complet ; on remarque entre eux des différences considérables. C’est en se fondant sur ces différences que Hinschius a entrepris, après avoir énuméré un grand nombre de manuscrits isidoriens, d’en établir le classement. Les deux catégories les plus importantes sont celles auxquelles il a donné les désignations de A’et de A-. Les manuscrits A’comprennent les trois parties qui ont été mentionnées ci-dessus ; on ne trouve dans les manuscrits A2 que les décrétales depuis S. Clément jusqu’au pape Damase ; j’ajoute que dans les manuscrits de cette classe A’^, les décrétales sont divisées en chapitres, formant pour chaque pontificat une série continue. Il ne paraît pas d’ailleurs que la classe A^ représente la forme primitive de la collection : de graves raisons donnent à penser que les manuscrits de la classe A* contiennent bien l’œuvre telle qu’Isidore l’a voulue et l’a réalisée. Toutefois la classe A^ est aussi très ancienne.

Les œuvres apocryphes ne sont pas, il s’en faut de beaucoup, inconnues dans l’histoire du droit. A ne considérer que le droit canonique, nous en rencontrons plus d’un exemple antérieur à l’époque d’Isidore ; l’histoire connue des apocryphes symmachiens suffirait à le démontrer. Toutefois la compilation du faux Isidore est une des falsifications les plus considérables qui aient été commises. Elle n’est d’ailleurs pas isolée : les faux isidoriens constituentun groupe, où l’on peut compter, avec les Fausses Décrétales, les Faux Capitulaires, portant le nom de Benoît le Diacre, la petite collection, où sont résumés les principales idées d’Isidore, dite les Capitula Angilramni, et enfin la forme particulière de la recension de VHispana dite Gallica où, comme Maassen l’a démontré, on remarque, à plus d’une reprise, des interpolations isidoriennes.

II. But poursuivi par l’auteur. — Sans doute, on rencontre dans les Fausses Décrétales un certain nombre de textes d’intérêt purement dogmatique, destinés à maintenir l’enseignement orthodoxe, sur la Trinité et l’Incarnation, contre les doctrines hétérodoxes qui avaient cours dans la première moitié du ix’= siècle ; mais c’est surtout par l’examen des nombreux textes canoniques qui y sont contenus

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qu’il est possible de découvrir le but poursuivi par le faussaire.

On y trouve d’abord une série de lettres dont la confection s’imposait à Isidore par suite du plan qu’il a adopté. Le Lihei- Pontipcalis indique, au cours des notices biographiques qu’il consacre à chaque Pape, les décisions d’ordre canonique qui lui sont attribuées. Isidore, suivant pas à pas le Liber PontificaUs. a cru devoir confectionner de toutes pièces les lettres mentionnées par quelques mots dans chacune de ces biographies. Ce ne sont pas ces lettres qui peuvent nous révéler le but poursuivi par Isidore ; en effet, il s’est imaginé devoir les composer pour mieux marquer le caractère d’antiquité dont il voulait que fût empreinte sa compilation.

Ce qui nous révèle sa pensée, ce sont les documents qu’il a composés de sa propre initiative, sans avoir à se préoccuper de se mettre en harmonie avec les textes historiques antérieurement connus. De ces documents, se dégagent deux idées fondamentales.

En premier lieu, Isidore se préoccupe d’assurer la liberté de l’Eglise, en affranchissant les personnes et les biens ecclésiastiques de l'étreinte du bras séculier. Contre les personnes, l’arme la plus fréquemment employée était l’accusation ; aussi la pensée exprimée avec une insistance extrême dans les Fausses Décrétales est qu’il importe avant tout que les évêques ne soient pas injustement accusés, plus encore qu’ils ne soient pas chassés de leurs sièges à la suite de ces mesures violentes auxquelles les puissants du siècle n’hésitent pas à recourir. Isidore réserve le jugement des évêques, comme d’ailleurs celui de tous les clercs, au tribunal ecclésiastique ; au surplus, les causes des évêques, étant considérées comme des causes majeiu’es, peuvent toujours être portées devant le Pape par voie d’appel ou autrement ; en tout cas, le concile provincial, juge ordinaire des évêques, ne saurait les déposer sans en avoir référé au Pape. Ajoutez à cela que la procédure daccusation est réglementée minutieusement, de façon à éviter toutes les injustices et toutes les vexations ; ajoutez-y que l’auteur du recueil isidorien condamne, comme la suprême iniquité, le fait d’enlever un évêque à son siège avant un jugement régulier, et promulgue en maints endroits la règle qui sera plus tard résumée en ces quatre mots : Spoliatun ante omnia restituendiis. En même temps, comme, un peu partout, le patrimoine fait des libéralités des fidèles est plus ou moins mis au pillage, l’auteur des Fausses Décrétales prononce les condamnations les plus sévères contre ceux qui se rendent coupables de ces déprédations, et met en lumière le caractère des biens consacrés à Dieu, qui, pour aucun motif, ne doivent être soustraits à leur destination. Qu’il s’agisse des personnes ou des biens ecclésiastiques, les Fausses Décrétales représentent un effort énergique pour allîrmer l’indépendance de l’Eglise vis-à-vis des puissants de ce monde.

Pour mener cet effort à bonne liii, il faut lui donner un point d’appui inébranlable. Isidore, qui manifestement n’a qu’une confiance médiocre dans le j)ouvoir séculier, cherche à s’appuyer sur l’Eglise romaine, dont il rappelle les privilèges avec conqilaisance. Le pape est dans l’Eglise le juge suprême (m dit le dernier mot dans les causes majeures, directement, et non pas seulement par voie d’appel. Sa juridiction s’exerce sur les évêques isolés, et aussi sur les évêques réunis en conciles. Isidore enseigne que la tenue des conciles, même régionaux, est subordonnée à l’assenlimenl, ou tout au moins au contrôle, du Siège Aposlolique. En somme, Isidore a bien plus besoin du pouvoir du Saint-Siège pour y appuyer les évêques, que les papes n’ont besoin d’Isidore pour y

étayer leur propre pouvoir. Jamais les Fausses Décrétales n’eussent été rédigées dans les termes que nous connais^.ons, si le Saint-Siège n’eût été, au temps de leur rédaction, en possession d’un pouvoir dont le concours était indispensable pour assurer l’indépendance de l’Eglise dans l’Empire franc.

En second lieu, Isidore se propose, non seulement de soustraire l’Eglise à l’asservissement dont la menacent les puissances extérieures, mais de la préserver d’un péril intérieur, celui de l’anarchie ; c’est pourquoi il ne cesse de mettre en lumière les traits principaux de l’organisation ecclésiastique. L’Eglise lui apparaît comme un édifice essentiellement stable, construit sur un plan consacré par le temps, au point que, tel qu’il le conçoit, ce plan, d’ailleurs immuable, remonte aux origines, et que, si des altérations viennent à s’y produire, le véritable remède consiste à le rétablir dans son premier état. Au bas de cet édifice, il montre la paroisse constituée sur la base d’une division territoriale, gouvernée par le curé, dont la mission est viagère (//i eu diebus vUæ siiæ diirandus), mais qui dépend étroitement de l'évêque : il célèbre le culte dans une église affectée d’une manière permanente à sa destination. Au-dessus de lui, sans intermédiaire, est l'évêque, élu et consacré en vue d’une cité déterminée, du consentement des évêques de la province. Isidore revient avec une insistance extrême sur les devoirs du clergé et des fidèles vis-à-vis de l'évêque, qui est pour lui la colonne sur laquelle repose l’Eglise locale ; aussi est-ce un véritable crime, digne des censures les plus sévères, que d'ébranler son autorité. D’ailleurs Isidore se montre très peu sympathique aux chorévêques, personnages parasites, contre lesquels il nourrit un ressentiment particulier ; ils n’ont guère de place dans son système, non plus que les évêques des bourgades et les évêques qui n’ont pas été consacrés pour une cité déterminée. Isidore ne connaît, en fait de pasteurs du premier ordre, que les évêques placés à la tête des ch’ltafes.

Que si la constitution du diocèse est monarchique, il n’en est pas de même, dans la pensée d’Isidore, de celle de la province. Le gouvernement de la province est confié, d’après lui, non au métropolitain, mais à l’assemblée des évêques qu’il préside. C’est un trait de son œuvre que la part qu’il fait aux comprovinciales episcupi, qui interviennent dans toutes les affaires graves. Au-dessus du métropolitain, Isidore admet l’existence de primats et de patriarches ; mais sur leurs attributions, ses décisions sont incertaines et incohérentes : visiblement, c’est une institution qui n’a pas à ses yeux une importance capitale. En effet, c’est la Papauté qui est pour lui la véritable clé de voûte de l'édiOce ecclésiastique.

On peut découvrir dans les documents réunis par Isidore d’autres aspirations tendant à la réforme de la société chrétienne, dont il est le partisan résolu : mais toute son œuvre est dominée par les deux tendances capitales que je me suis efforcé d’indiquer : d’une part assurer l’indépendance de l’Eglise, d’autre part présenter dans les textes des premiers siècles le modèle de sa constitution, qu’il estime immuable et qu’il se propose de restaurer. Ce sont d’ailleurs les idées nuiitresses des réformateurs au premier rang desquels il s’est placé.

III. Date des Fausses Décrétales- — H paraît certain que les Fausses Décrétales n’ont pu être composées avant 847. En effet, on s’accorde généralement à penser avec Hinschius que les Fausses Décrétales dépendent des Faux Gapitulaires de Benoit le Diacre, qui ne sont pas antérieurs à cette année. On peut même dire, sans grande témérité, que les Décrétales 9C7

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n’ont pas été achevées avant le commencement de 848.

D’autre part il est certain qu’elles ont été rédigées avant 85^, année où elles sont citées dans une lettre synodale du concile de Quierzy, et dans un écrit de l’archevêque de Reims Hincmar, la Cullectio de ecclesiis et capellis. Elles ont été rédigées avant 856, parce que la première partie de la chronique des évéques du Mans, dite Actus Poniificum Cenomanriis in urbe degentium, qui a tiré parti de l’œuvre d’Isidore, a été composée au plus tard en 856. Eniin on peut limiter encore la période oùse place la rédaction des Fausses Décrétâtes : elles sont citées à deux reprises dans les statuts diocésains d’Hincmai-, promulgués en 852.

Il résulte des recherches dont je viens de résumer les conclusions que les Fausses Décrétales ont été composées entre la fin de 847 ^^ ^^ ^^ ^^ l’année 852, approximativement vers 850.

IV. Patrie des Fausses Décrétales. — On a jadis soutenu que Rome était le berceau de la compilation isidorienne ; on se fondait sur ce fait qu’Isidore porte très haut le pouvoir du Siège Apostolique. C’est une opinion qui est abandonnée depuis longtemps ; il est incontestable que les Fausses Décrétales ont été composées dans l’Empire franc. Mais dans quelle province ecclésiastique ? On a proposé la province de Mayence, sans invoquer de raison sérieuse ; en réalité le véritable débat ne s’est établi qu’entre la province de Reims et celle de Tours.

Des érudits de grande autorité, à commencer par Hinschius, ont placé le berceau de la compilation isidorienne dans la province de Reims. A l’époque où cette compilation vit le jour, la province de Reims était déchirée par des divisions. Une lutte s’était élevée entre l’archevêque Hincmar et les clercs ordonnés jadis par son prédécesseur Ebbon, qui, déposé, avait été plus ou moins régulièrement rétabli sur son siège en 840. On a cru que les Fausses Décrétales avaient été composées afin de fournir des armes à ces clercs, et en particulier à leur chef Vulfade, et qu’elles étaient destinées à répondre aux aspirations de tous les adversaires du métropolitain autoritaire et impérieux qu’était Hincmar. Je me suis efforcé de démontrer ailleurs que les textes ne fournissent aucune raison décisive pour attribuer les Fausses Décrétales à la province de Reims, et pour les considérer comme l’œuvre de Vulfade ou de ses partisans. Au surplus, si elles n’étaient autre chose qu’une arme forgée pour combattre Hincmar, on ne s’expliquerait pas que le prélat, qui connaissait les textes canoniques et avait eu certainement des doutes sur l’authenticité de certains textes isidoriens, rie se fût pas insurgé contre toute la collection et n’eût pas démasqué la fraude. D’ailleurs, si les Fausses Décrétâtes ont été rédigées au profit des clercs ordonnés par Ebbon, il faut reconnaître que l’effet est bien peu proportionné à la cause. On comprend mal, dans cette hypothèse, pourquoi Isidore a tant insisté sur le maintien de la constitution intérieure de l’Eglise, qui n’était pas mise en cause par la controverse relative à la valeur des ordinations d’Ebbon. Au contraire, dans la Bretagne armoricaine, qui dépendait du métropolitain de Tours, le duc Noménoé, désireux d’assurer l’indépendance du pays celtique vis-à-vis de l’Empire franc, avait accompli une véritable révolution, destinée à substituer un épiscopat breton à l’épiscopat imbu d’idées et de tendances franques qui s’était implanté en Armorique. Il avait, de sa propre autorité, démembré la province de Tours, chassé, dépouillé ou mis en accusation les évêques, créé de nouveaux évêchés et de nouveaux

évêques, disposé à son gré des biens des Eglises ; en réalité il avait, de 845 à 850, brisé tous les cadres de la hiérarchie ecclésiastique. Ces événements avaient naturellement produit, dans l’Eglise franque, A-ers le milieu du ix" siècle, une émotion autrement vive que la querelle, à ce moment assoupie, qui divisait Hincmar et quelques prêtres du diocèse de Reims. On pouvait dire que l’Eglise en Bretagne était attaquée dans son indépendance aussi bien que dans sa constitution intime. Ainsi la compilation isidorienne, rédigée vers 850, s’adaptait très bien aux besoins du clergé franc dans la province de Tours.

En outre, il est démontré quTsidore ou un de ses associés rédigeait, vers la même époque, une fausse bulle de Grégoire IV et un mémoire de procédure destinés à sei’vir les intérêts particuliers de l’Eglise du Mans dans ses procès contre l’abbaye de Saint-Calais ; ces pièces portent incontestablement la marque de l’atelier pseudo-isidorien.

Ainsi l’on constate une liaison étroite entre Isidore et le clergé du Mans, d’ailleurs très hostile aux Bretons qui avaient ravagé la région du Maine et déuiembré la province ecclésiastique de Tours dont le Mans faisait partie. C’en est assez pour justifier l’opinion qui place dans la province de Toiu’s, probablement au Mans, le lierceau des Fausses Décrétales.

V. L’accueil fait aux Fausses Décrétales. — Il convient d’examiner l’accueil qui fut fait aux Fausses Décrétales par les Pontifes Romains et par l’Eglise en général.

Le premier des Papes dont la conduite ait pu subir l’influence des Fausses Décrétales n’est autre que Nicolas I*"’. A-t-il connu la célèbre compilation ? C’est une question qui a été plus d’une fois discutée. Il est certain, à mon avis, que Nicolas I*"" a connu, non seulement l’existence des Fausses Décrétales, mais, au moins, un certain nombre de textes empruntés à ce recueil ; ces extraits lui ont été probablement présentés par des évêques de l’Empire franc, venus à Rome pour y soutenir des procès, entre autres par l’évêque de Soissons, Rothade, l’un des adversaires d’Hincmar. Quelle opinion s’en est formée le Pontife, il est assez difficile de le dire. Dans une lettre qu’il adressa en 865 aux évêques francs se trouve une allusion aux décrétales des Papes martyrs ; vraisemblablement il vise par ce mot des textes tirés de la compilation isidorienne, invoqués devant Nicolas P"’par Rothade et sans doute contestés par les adversaires de cet évêque. Le Pape profite de Toccasion pour rappeler le principe en vertu duquel toutes les Décrétales, même celles qui ne font pas partie du Corpus Cano-H » /n, c’est-à-dire de la Dionysio-Hadriana, s’imposent au respect des fidèles. Sauf en cette circonstance, Nicolasl’^’^neparlejamais des Fausses Décrétales ; aucun destinataire de ses lettres n’a pu en déduire l’existence des décrétales apocryphes. En réalité, sauf en un cas, Nicolas I’"' semble être le Pontife qui, s’adressant à Hincmar en 863, lui cite les Papes dont les lettres doivent être pour lui une loi ; or le premier en date de ces Papes est Sirice, qui est l’auteur des plus anciennes Décrétales authentiques contenues dans la Dionysio-IIadriana. Toutefois Nicolas 1"=, ou le rédacteur de ses lettres, s’est inspiré, dans quelques passages, de textes qu’il a tirés des Fausses Décrétales, sans d’ailleurs nommer cette compilation. En tout cas, sur le fond de sa politique, les Fausses Décrétales, vis-à-vis desquelles il observait une réserve évidente, n’ont exercé qu’une influence médiocre. Il s’est peut-être appuyé, au moins implicitement, sur les textes isidoriens pour établir le droit, qu’il avait toujours réclamé, de connaître les causes des évêques ; sans doute aussi les textes isidoriens 909

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ont contribué, sous son pontificat, au développement de la règle : Spoliatns ante omnia restituendus, dont ils ont consolidé le fondement, en même temps qu’ils introduisaient une précision plus grande dans son application. A cela se réduit leur influence. Il est vrai que le pontiticat de Nicolas I^"" a largement contribué à développer, dans l’Eglise, le mouvement de concentration qui s’est opéré autour du Pontife Romain. Mais le courant centralisateur était formé à Rome quand y furent apportées les Fausses Décrétales ; si elles furent une expression de ce courant en Gaule, elles ne l’ont pas créé au siège du gouvernement de l’Eglise.

L’examen des lettres des successeurs de Nicolas I^"" au ix « siècle ne prouve pas que les Fausses Décrétales, dont on relève quatre ou cinq citations pendant quarante ans, aient joui à Rome d’une grande autorité ; il est remarquable qu’elles ne soient pas citées une seule fois dans les nombreuses lettres de Jean "V^III. Rien ne prouve que leur rôle à la cour pontiûcale ait été j^lus important au x^ siècle. Ce n’est qu’au xi « siècle qu’elles y prendront une incontestable autorité.

En dehors de Rome, l’influence des Fausses Décrétales s’est développée plus ou moins rapidement dans les diverses régions de la chrétienté. De ce côté des Alpes, leur fortune est rapide ; dès 860, elles sont fréquemment citées ; ce qui en atteste le succès, c’est que bientôt on en fait des extraits que l’on réunit en recueils pour en faciliter l’usage. Cependant les passages tirés des apocryphes isidoriens entrent dans les collections canoniques de la Gaule ou de la Germanie ; par exemple, en ijo6, Regixon de Prum en admet un certain nombre dans ses célèbres Libri Synodales. Cette situation ne se modifie point au x « siècle. Sans doute, dans sa collection canonique, Abbox de Flecry semble ne pas faire usage des Fausses Décrétales ; mais, en 991, elles sont invoquées au concile de Saint-Baste par les défenseurs de l’archevêque de Reims, Arnoul. Au commencement du XI’siècle, lorsque Burchard de ^Yorms rédige son Décret, qui bientôt se répandit dans tout l’Occident et y jouit d’une grande vogue, il y accueille nombre de textes d’origine isidorienne.

L’Italie s’est montrée moins empressée, ce semble, à accepter la compilation du faux Isidore. Cependant dans les vingt dernières années du ix’siècle et au x’, cette collection est très répandue dans la péninsule ; elle fournit nombre de fragments aux auteurs de collections canoniques, à commencer par VAnselmo dedicata, qui date sans doute d’une année comprise entre 883 et 897 ; d’ailleurs les textes d’Isidore jouent un grand rôle dans la polémique ouverte entre les canonistes italiens, au cours des premières années du X* siècle, à propos de la validité des ordinations du pape Formose et des translations d’évêques d’un siège à un autre. Désormais les Fausses Décrétales sont entrées dans l’usage courant, des deux côtés des Alpes.

Dans la seconde moitié du xi* siècle, au temps de la réforme de Grégoire VII, non seulement l’authenticité des Fausses Décrétales n’est contestée par personne, mais les textes tirés des apocryphes isidoriens, sont considérés comme un véhicule commode pour plusieurs des idées maîtresses sur lesfjuelles repose l’œuvre des réformateurs. Aussi les collections canoniques cjui sont plus particulièrement la manifestation de leurs tendances, notamnienl la collection en 74 titres qui est la première en date, celle d’Anselme DB LucQUEs, celle du cardinal Dklsdedit, contiennent de nombreux et importants passages des Fausses Décrétales. Ce recueil devient aussi l’arsenal des polémistes du xi’et du xii’siècle ; il suflit, pour

s’en rendre compte, de jeter les yeux sur les écrits intitulés LibeUi de lite imperatorum et pontipcum, publiés dans 1^ collection des Monumenta Germaniae. Cependant, les fragments isidoriens, cqui ont pénétré en grand nombre dans les recueils canoniques d’YvBS de Chartres et de ses contemporains, entrent en foule dans le Décret de Gratiex. Pendant quatre siècles, du xi « au xv, l’autorité du faux Isidore est universellement reconnue ; ses apocryphes jouissent du même prestige que les textes authentiques.

A partir du xv « siècle, l’étoile du faux Isidore pâlit. Le cardinal Nicolas de Cuss flaire la falsilication ; d’autres partagent ses méfiances ; qxielques-uns des gi-ands érudits du xvi « siècle, tel Antoine Augustin, laissent apercevoir leurs hésitations ; d’autres comme Antoine Le Conte, dans la seconde moitié du xvi’siècle, n’ont plus d’illusions sur l’authenticité des Décrétales antérieures à S. Silvestre. En 1628, le protestant D.vviD Blondel, achève le travail de la critique dans son œuvre (Pseiido-Isidoriis et Turrianus apulantes), dirigée contre La Torre, défenseur malheureux de l’authenticité d’Isidore. A dater du xvii’siècle, les Fausses Décrétales ont perdu toute autorité, et sont définitivement classées au premier rang de la série des apocryphes. De nos jovirs on s’accorde assez généralement à y voir une œuvre de membres de l’Eglise franque, dont le but a été non pas, comme on le répétait jadis, de créer ou tout au moins d’étayer le dogme de la primatie du Saint-Siège, mais de réaliser dans l’Eglise certaines réformes grâce à l’appui du Siège apostolique, dont l’autorité s’imposait à tous.

YI. Bibliographie. — (On s’est borné à indiquer les travaux les plus récents.) — Pour le texte, éd. d’Hinschius : Décrétâtes psendoisidorianae, Leipzig, 1868 (précédé d’une introduction critique). — On trouvera aussi le texte dans Patrologia latiria, t. CXXX.

Travaux. — R. P. Lapôtre, Z>e^4/ ! « s/asio bibliothecario Sedis Apostolicae, Paris, 1885 (n’est point en librairie) ; abbé Lesne, La hiérarchie en Gaule et en Gez-rtian^V, 742-882, Paris-Lille, 1905 ; F. Loi, Etudes sur le règne de Hugues Capet et la fin duyi’siècle, Paris, 1908, et la Question des Fausses Décrétales, dans la Revue historique, t. XCIY, 1907 ; Langen, Aochmals : Wer ist Pseudoisidor ? dans Historische Zeitschrift, t. XLYIII, ann. 1882 ; Lurz, Ueber die Heimat Pseudoisidors, Munich, 1898 ; Maassen, Pscudoisidor-Studien. dans les >itzungsberitchte de l’Académie impériale de Yienne, classe de philos, et d’hist., t. CYIII et CIX, ann. 1885 ; Millier, Zum Verhdltniss Xicolaus I und Pseudoisidor s ; ^l’eues Archiv der Gesellschaft fiir altère deutsche Geschichtskunde, t. XXI (1900) ; Schrors, Ilinkmar, Erzbischof von Reims, Fribourg en B., 1884, et deux articles publiés dans YHistorisches Jahrbuch, t. XXY et t. XXYI (1906 et 1906) ; E. Seckel, Pseudoisidor, au t. XYI de la 3’édition do la Realencyklopddie fiir protestantischc Kirche, Leipzig, 1905 ; B. Simson, Die Entstehung der pseudoisidorischen Fdlschungen in Le Mans, Leipzig, 1886 ; voir aussi un article de V Historische Zeitschrift, t. LXYllI, ann. 1892 ; de Smedt (R. P.), Les Fausses Décrétales. Vépiscopat franc el lu Cour de Rome, dans les Etudes religieuses, historiques et littéraires, 4’série, t. YI, ann. 1870 ; Ad. Tardif. Histoire des s urces du droit can « / « yj/e, Paris, 1887. p. 140-158 ; AYasserschleben, l’eber das Vaterland der falschen Dekretalen, dans Historische Zeitschrift, t. LXIY, ann. 1890 ; Paul Fournicr. Etudes sur les Jùiusses Décrétales, Revue d’histoire ecclésiastique, t. VII et VIII, ann. 1906 et 1907.

P. FOURNIER.