Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AN

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(1p. 315-319).
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AN. Les noms latins terminés en anus se terminoient autrefois en françois en an. Nos peres disoient Tertullian, Cyprian, Oclavian, &c. M. Fléchier a encore dit Florian dans l’avertissement de la vie de Ximenès, p. 14. Florian Ocampo, Historiographe des Rois Catholiques. Aujourd’hui on écrit & on prononce Tertullien, Cyprien, Octavien, Florien, &c. du même son que bien, rien, tien, &c. La règle est que quand les noms propres latins terminés en anus, ont une voyelle devant anus, comme Marcianus, Jovianus, Tertullianus, &c. on les tourne en françois en en : Marcien, Jovien, Julien, Tertullien ; mais quand il y a une consonne avant anus, on les termine dans notre langue en an : Trajanus, Trajan ; Artabanus, Artaban ; Rabanus Maurus, Raban Maure ; Herculanus, Herculan ; & au contraire Herculianus, Herculien.

AN. s. m. ou ANNÉE s. f. Termes synonymes. Mesure du temps que le soleil, ou la lune emploie pour venir au même point du zodiaque. Annus. L’année solaire est de 365 jours, cinq heures, 49 minutes, & 16 secondes. M. Cassini a donné à l’année solaire apparente 365 jours, cinq heures, 49’, 5”. à l’année moyenne 365 jours, cinq heures, 29’, 12”. C’est précisément l’année Grégorienne. Tacquet donne à l’année apparente 365 jours, cinq heures, 48’, 45”. Et à la moyenne, 365 jours, cinq heures, 48’, 40”. Dans les Nouvelles littéraires de la mer Baltique, 1699. Mars, pag. 83. Joachim Tædius donne à l’année solaire 365 jours, cinq heures, 47’, 50”. 16 . L’année lunaire est de 354 jours, & de 49’, pendant lesquels elle parcourt douze fois le zodiaque. L’an solaire est, ou astronomique ou civil. L’astronomique est, ou tropique ou astral. Le tropique ou naturel, consiste dans le temps que le soleil emploie à parcourir le zodiaque. L’astral est l’espace que le soleil emploie à retourner au même astre d’où il s’étoit éloigné. L’an civil, ou politique, est la forme de l’année que chaque nation a établie pour compter le temps.

Les Astronomes font une autre division de l’année. Ils distinguent l’an planétaire, l’an émergent, l’an climactérique. Lannée planétaire, est le temps qu’une planète emploie à parcourir le zodiaque par son mouvement propre d’occident en orient. Ainsi l’an planétaire de la lune est de vingt-sept jours. L’an du soleil, de Vénus & de Mercure, est de 365 jours. L’an de Mars est de deux ans, l’an de Jupiter de douze ans, & l’an de Saturne de trente ans. Ces années planétaires s’appellent aussi périodes. L’an émergent est l’époque où chaque peuple commence à compter, comme les Grecs par la 1. Olympiade. L’année climactérique est l’espace de 7 ou de 9 ans, pendant lesquels on prétend qu’il arrive quelque changement dans le tempérament de chaque personne. En particulier à l’égard de l’année lunaire on la distingue en commune ou embolismique. L’an lunaire commun est de 365 jours. L’an embolismique est celui où l’on intercaloit un treizième mois lunaire, ensorte que cette année embolismique étoit de 384 jours.

Les hommes curieux de découvrir la cause de la vicissitude des saisons, s’apperçurent bientôt que l’éloignement ou la proximité du soleil, produisoit cette diversité ; & ils appelerent année, tout l’espace de temps que le soleil emploie à parcourir l’intervalle dans lequel il roule sans cesse. Cependant l’on n’a point fait par-tout le même calcul du cours du soleil. Si on en croit Hérodote, les Egyptiens ont les premiers distingué l’année en douze mois, qui faisoient 360 jours. Mercure y ajouta cinq jours : & l’on dit que Thalès institua l’année sur le même pied chez les Grecs. Cela n’étoit pourtant point général dans la Grèce. Il y avoit trop de villes indépendantes les unes des autres, pour convenir d’une règle uniforme. L’année des Hébreux étoit mixte ; car quoiqu’elle fût dirigée selon le cours de la lune, c’est-à-dire, de douze mois lunaires, ils intercaloient tous les trois ans un mois de 30 jours ; & par cette augmentation, leur année se rapprochoit à la mesure de l’année solaire. Voyez le Calendrier des Hébreux traduit par Munster, & imprimé à Bâle en 1527, & dans la Bibliothèque Rabbinique de Bartolocci, Tom. II. pag. 550. & suiv.

Diodore de Sicile, Liv. I. Plutarque dans la vie de Numa, & Pline, Liv. VII. ch. 48 disent que les Egyptiens mesurerent d’abord leurs années par le cours de la lune, & qu’elles n’étoient que d’un mois ; qu’ils les firent ensuite de trois mois, puis de quatre, comme celle des Arcadiens ; puis de six, comme celles des peuples d’Acarnanie, & que c’est pour cela qu’ils comptent un si grand nombre d’années depuis le commencement du monde, & que l’on trouve dans leur Histoire, des Rois qui ont vécu 1000 ou 1200 ans. Mais Hérodote ne parle point de cela ; il dit même que l’année Egyptienne étoit de douze mois, comme nous l’avons rapporté. D’ailleurs, nous savons par l’écriture que dès le déluge, l’année étoit composée de douze mois. Cham & son fils Mizraïm, fondateur de la monarchie d’Egypte, avoient donc cet usage ; il n’est pas probable que ses descendans l’aient changé. Enfin, quoique Pline rapporte absolument, & sans restriction, ce que nous avons dit, Plutarque ne le rapporte que comme une chose incertaine, ne disant pas que cela est vrai, ni qu’il en ait des monumens ou des preuves ; mais seulement qu’on le dit. Bien plus, Diodore de Sicile nous fait entendre que ce n’est qu’une conjecture de je ne sais quels Auteurs qu’il ne nomme point, & qui probablement avoient imaginé ce système, pour ajuster & réduire la chronologie Egyptienne à celle des autres peuples, & la rendre croyable. Ἀπίστου δ’ἴντος τοῦ πληθους τῶν ἐτών ἐπιχειροῦσι τίνες λέγειν ὀτί, &c. C’est-à-dire, ce nombre d’années étant incroyable, quelques-uns tachent, ou entreprennent de dire ; paroles qui montrent évidemment ce que j’ai remarqué. Un Auteur récent a écrit que Varron avoit dit de tous les peuples de la terre ce que ces auteurs disoient des Egyptiens, & il ajoute que Lactance l’en reprend avec sujet. Je ne sais en quels endroits de Varron ou de Lactance, il a vû cela. Ce que je sais, c’est que Lactance, Liv. II. Divin. Inst. c. 13, où il rapporte le sentiment de Varron, ne le fait parler que des seuls Egyptiens ; mais saint Augustin, Liv. XV. De Civit. Dei. ch. 14. montre que les années des Patriarches, marquées dans l’Ecriture, sont semblables aux nôtres, & qu’une des nôtres n’en vaut pas dix des leurs ; & quoiqu’il n’attribue ce sentiment à personne, il semble cependant que quelqu’un l’avoit soutenu, puisque ce Saint le réfute. Au reste, il ne parle point de tous les peuples de la terre ; mais seulement des Patriarches des Hébreux.

Les Romains commençoient leur année aux calendes de Janvier. Romulus peu versé dans l’Astronomie, abrégea l’année en 10 mois, qui s’achevoient en 304 jours. Numa Pompilius corrigea la confusion qu’apportoit cette constitution irrégulière de l’année, & composa les mois de Janvier & Février, des jours qui manquoient à l’année de Romulus, & les plaça devant le mois de Mars, que Romulus avoit mis le premier : en le consacrant au Dieu Mars son pere. Enfin, Jules-César, pour donner une forme certaine à l’année, la régla par le cours annuel du soleil : & pour trouver place aux jours dont l’année solaire surpassoit l’année lunaire de Numa, qui étoit de 355 jours, il les distribua sur les mois qui en avoient le moins. Ainsi l’année fut fixée à 365 jours & six heures. L’année chrétienne est constituée selon la réformation de Jules-César. Cependant, parce que l’année, qui à cause de lui a été appelée Julienne, étoit plus longue de quelques minutes que l’année solaire astronomique, cette erreur presque imperceptible, répétée plusieurs fois, devint considérable ; ensorte que depuis la correction de César, elle formoit 10 jours, & que par-là les équinoxes avoient presque remonté au commencement des mois. Le Pape Grégoire XIII, pour remédier à ce dérangement des temps, qui s’augmentoit tous les ans, convoqua les plus habiles Astronomes ; & pour remettre les équinoxes dans leur place, il ordonna par une bulle, que l’an 1582, on retrancheroit 10 jours qui s’étoient accrus depuis le concile de Nicée, & que l’on compteroit le 15 Octobre, lorsqu’on ne devoit compter que le 5. Cette bulle datée du 6 des calendes de Mars, ou du 24 de Février 1582, qui étoit la dixième année du pontificat de ce Pape, fut publiée à Rome le Jeudi 3 Mars 1582, & confirmée par une déclaration du 7 Novembre de la même année. Sur quoi est intervenu en France l’édit du Roi Henri III, donné à Paris au mois de Novembre 1582, portant que le 9 Décembre suivant étant expiré, le lendemain, que l’on auroit compté le dixième, seroit compté le vingtième du même mois, & le lendemain 21, auquel se célébreroit la fête de S. Thomas, que le jour d’après seroit le 22 ; de sorte que le jour qui auroit été le 15, seroit compté le 25, & qu’on y célébreroit la fête de Noël : que cette année 1582, finiroit 6 jours après la fête de Noël, & que la suivante que l’on compteroit 1583, commenceroit le septième jour d’après la même fête.

L’an, se distingue par différentes marques particulières, qu’on y a attachées. Ans de grâce, sont ceux que l’on compte depuis la naissance de Jésus-Christ 1769. Anni à Christo nato. Ans du monde, ceux qui sont écoulés depuis la création du monde. Anni ab orbe condito.

On le dit aussi des autres époques des temps. Un tel an de la fondation de Rome, de l’hégire, de Nabonnassar, &c. Voyez la différence de ces années au mot Époque, & les Tables de Du Cange pour la réduction de toutes ces années différentes à notre supputation commune.

l’An bissextil, est celui où de quatre ans en quatre ans on insère un jour pour le faire de 366 jours. Annus intarcalaris. Comme l’année Julienne est de 365 jours & 6 heures, César ordonna que l’on composât des 6 heures qui excédent, un jour en quatre ans, & il fit intercaler ce jour après le 23 de Février, qui étoit le 6 des calendes de Mars. Ainsi, parce qu’on comptoit cette année-là bis sexto calendas, on l’appela bissextus ; & de-là vient l’an bissextil. Mais parce que dans la réformation du calendrier par les ordres du Pape Grégoire XIII, on s’apperçut en supputant, qu’il manquoit 11 minutes aux 6 heures dont se formoit le bissexte, & que ces 11 minutes en 134 ans, ou environ, composoient un jour, l’on arrêta qu’en 400 ans l’on retrancheroit trois bissextes. Par conséquent les années 1700, 1800 & 1900 ne sont point bissextiles, parce que l’an 1600 a été bissextil : l’an 2000 le sera.

Année anomalistique, ou périodique. C’est le temps qui répond à la révolution de la terre autour du soleil. Cette année a été conclue de 365 jours 6 heures 9’, 14”.

An de viduité, ou An de deuil ; c’est l’année pendant laquelle une veuve doit s’abstenir de passer à un second mariage. Annus viduitatis. Les lois ont voulu qu’elle rendit ce respect aux cendres de son mari, & que du moins elle honorât son tombeau de ses larmes, & de ses regrets, pendant la première année de son veuvage. Par le droit Romain les veuves qui convoloient à de secondes noces dans l’an de deuil, étoient privées de tous les avantages qu’elles avoient reçus de leurs maris, afin de les obliger à conserver le souvenir de l’amitié conjugale. Cela s’observe encore dans les provinces où le Droit écrit est en usage. Ailleurs on suit plus communément le Droit canonique ; & l’an de viduité n’est qu’une loi de bienséance. Seulement s’il y a soupçon de grossesse, la veuve ne doit pas précipiter son mariage, pour éviter la confusion du sang.

On dit, une prescription de dix ans, de vingt ans, de trente ans, de quarante ans, de cent ans. Denarii, vicenarii, tricenarii, quadragenarii, centenarii anni præscriptio ; denaria, vicenaria, tricenaria, quadragenaria, centenaria usucapio. On dit aussi, an & jour ; pour dire, un an entier & accompli, desorte qu’il y ait même un jour de l’année suivante.

An & Jour, en matière de retrait, est le temps accordé aux lignagers pour retraire un héritage propre qui a été aliéné, & mis hors de la famille. Ce temps court contre toutes sortes de personnes, sans espérance de restitution.

An & Jour, se dit aussi du temps accordé pour former la complainte, & se compte depuis le temps du trouble.

☞ On appelle service du bout de l’an, ou simplement le bout de l’an, le service qu’on fait dans une église pour une personne, un an après sa mort.

☞ On dit le jour de l’an, pour dire, le premier jour de l’an ; & bon jour & bon an, est une façon de parler proverbiale & familière, dont on se sert pour saluer les personnes la première fois qu’on les voit dans les premiers jours de chaque année.

Souhaiter la bonne année, une heureuse année, c’est un devoir de civilité que les amis se rendent mutuellement au commencement de l’année. Cette cérémonie est très-ancienne. On ne s’en tenoit pas seulement aux complimens chez les Romains ; on offroit aussi des présens ou des étrennes, comme nous faisons encore ; & l’on faisoit des vœux aux Dieux pour la conservation de ses amis. Lucien dit que c’étoit une très-ancienne coutume, & que Numa en étoit l’auteur. Ovide indique la même cérémonie au commencement de son premier livre des Fastes.

Postera lux oritur : linguistique animisque favete :
Nunc dicenda bono sunt bona verba die.

Et Pline encore plus clairement, Liv. XXVIII. ch. I. Primum anni incipientis diem lætis precationibus invicem faustum ominamur. Nous voilà donc à l’année qui vient, comme disoit M. de M. Je vous la souhaite heureuse. Me de Sév. écrivant le premier de Janvier 1676.

On dit, qu’une terre rapporte tant, bon an, mal an, lorsqu’on fait compensation des bonnes & des mauvaises années, & qu’on en fait un prix mitoyen, ou une année commune. Ainsi on dit, une bonne année, une méchante année, selon que les moissons ont été abondantes ou défectueuses, ou qu’une charge a été lucrative.

Année, se dit aussi du revenu d’une année. Son fermier lui doit deux années.

On dit, les belles années, pour dire, les années de la jeunesse. Ac. F.

On dit proverbialement, il nous en a donné pour la bonne année, quand on a donné quelque chose en abondance, & plus qu’on n’en avoit de besoin.

Année de Méthon. Voyez Nombre d’or.

Année sabbatique, est la septième année, pendant laquelle les Juifs laissoient reposer les terres, selon la loi de Moyse. Annus Sabbathi. L’an du Jubilé étoit la 49e année. Comme elle étoit la septièmme année sabbatique, les Juifs la célébroient avec beaucoup de solemnité.

Année de probation, est celle du noviciat des religieux, dans laquelle on les éprouve, pour savoir s’ils pourront supporter les austérités de la règle. Annus probationis.

On appelle année d’exercice, celle où l’on exerce actuellement une charge, que plusieurs officiers ont droit d’exercer l’un après l’autre.

On appelle bonne année, une année abondante en blé, en vin, &c.

Année climactérique. C’est celle qui dans la vie de chaque homme revient de 7 en 7 ans, ou de 9 en 9. Voyez Climactérique.

En Jurisprudence on dit, que l’année commencée est tenue pour complète.

A Rome, on appelle l’Année Sainte, celle où on fait l’ouverture du grand Jubilé. Annus Jubilæi. L’année sainte commence le jour de Noël au temps de Vêpres, où se fait l’ouverture de la Porte-Sainte. Les années saintes se célébroient autrefois tous les cent ans. Clément VI les réduisit à 50 ans, Urbain VI à 33 ans, & Paul II à 25 ans, comme elles sont encore aujourd’hui. Ces réductions se sont faites afin que chaque homme pût une fois en sa vie profiter des grâces de l’année sainte. Celles dont on a mémoire, sont l’année sainte célébrée par Boniface VIII en 1300. L’année sainte célébrée par Clément VI en 1350. L’année sainte célébrée par Boniface IX l’an 1390. L’année sainte célébrée par le même Pape l’an 1400. L’année sainte célébrée par Martin III l’an 1423. L’année sainte remise à l’an 50, & célébrée par Nicolas V l’an 1450. L’année sainte fixée à 25 ans par Paul II & célébrée par Sixte IV l’an 1475. L’année sainte célébrée par Alexandre VI l’an 1500. L’année sainte célébrée par Clément VII l’an 1525. L’année sainte désignée par Paul III, & célébrée par Jules III l’an 1550. L’année sainte sous Grégoire XIII l’an 1575. L’année sainte sous Clément VIII en 1600. L’année sainte sous Urbain VIII l’an 1625. L’année sainte sous Innocent X en 1650, sous Clément X l’an 1675, sous Innocent XII l’an 1700, sous Benoit XIII l’an 1725. Voyez l’Histoire des années saintes, par le P. Alfani, Dominicain, à Naples, 1725.

La grande année des Platoniciens, est une révolution de trente-six mille ans, après laquelle ils prétendent que les planètes & les étoiles se retrouveront au même point, & dans le même ordre, ou dans leur première disposition.

Chez les Romains, le commencement & la fin de l’année étoient consacrés à Janus, & c’est pour cela qu’on lui donnoit deux visages, dit S. Faustin, dans un Sermon imprimé par le P. Chifflet, & Bollandus, Tom. I, pag. 2 & 3.

Les premiers Chrétiens n’avoient point d’autre époque pour compter les années, que celle des Romains ou des Païens. C’est Denys le Petit, qui en 525 établit l’ère chrétienne, & commença à compter de la naissance de Jesus-Christ, qu’il fixa à la 45 année Julienne. Eusèbe l’a pourtant placée à l’an 43 Julien, & 3947 du monde. En France l’on ne commença à compter par les années de la naissance de Jesus-Christ que dans le VIII siècle, & le Pape Eugène IV en 1431, a été le premier qui ait employé dans les Bulles l’année de l’incarnation, si l’on en croit quelques Auteurs ; mais le P. Papebroch, dans les Acta Sanct. du mois de Mai, Tom. IV, pag. 13, a montré que long-temps avant Eugène, d’autres souverains Pontifes l’avoient marquée. Il rapporte une bulle de Paschal, datée de l’an 1114 de l’incarnation de notre Seigneur, & il remarque que cette manière de dater étoit très-ordinaire à ce Pape, & à Urbain II son prédécesseur ; que cependant ils ne l’observoient pas toujours ; qu’Honorius II, dans sa Lettre 7, & Innocent II, dans les 3, 9, 12, 31, & les six suivantes, marquent l’année de l’incarnation ; qu’on la trouve aussi dans la 5 & 6 de Lucius II, dans la 9, 10, 66, 70, 71, 72 d’Eugène III, dans la 12 d’Anastase IV, les 30, 38, 39 d’Adrien IV, dans le 52, & d’autres encore d’Alexandre III, & dans la 5 d’Urbain III ; que depuis ce temps-là on n’en trouve aucune dans la collection des Conciles jusqu’à Eugène IV, qui marque l’année de l’incarnation : mais on la trouve souvent dans Wading, in Regesto, sous Grégoire IX, & ses successeurs, depuis 1234 jusqu’en 1269. Après quoi on trouve peu d’actes solennels signés de plusieurs Cardinaux dans un consistoire, & expédiés par le Vice-Chancelier de l’Eglise romaine, qui aient cette date. Dans ce petit nombre, le dernier est de Clément V, signé de quinze Cardinaux en date de l’an 1343. Depuis ce temps on ne la trouve plus jusqu’en 1431 sous Eugène IV, auquel temps, à la représentation de Blondus de Forli, secrétaire du Consistoire, on commença, non pas absolument à dater, mais à dater constamment & toujours les Bulles & les rescrits des Papes de l’année de l’incarnation ; mais dès le Pape Jean XIII, au Xe siècle & depuis, on la trouve quelquefois dans des actes moins solennels.

L’Année françoise commençoit du temps des Mérovingiens, le jour de la revue des troupes, qui se faisoit tous les ans le premier jour de Mars. Elle commençoit d’ordinaire à Noël sous le regne des Carlovingiens, & sous les Capétiens à Pâque ; ainsi cela varioit entre le 22 Mars, & le 25 d’Avril. L’Année ecclésiastique commença encore à Pâque. Ce n’est que depuis l’année 1564, & en exécution de l’Ordonnance de Charles IX de 1563, appelée communément l’Edit de Roussillon, que l’année a commencé au premier Janvier, au lieu qu’elle ne commençoit auparavant qu’à Pâque. Le Parlement ne s’y est conformé qu’en 1566. On dit que c’est le Chancelier de l’Hôpital qui fut auteur de l’Edit dont on vient de parler. On a toujours depuis suivie ce style en France, quoique cet article 39 de l’Ordonnance de Roussillon en Dauphiné, n’ait jamais été enregistré au Parlement.

En Allemagne, en Italie, en Chypre, &c. on a aussi commencé l’année à la Nativité. En Islande on la commençoit de même, si l’on en croit Olaüs Vormius, Fast. Danic. Liv. I, ch. 12 ; mais Suénon, LL. Castr. ch. 7, dit que c’étoit à la Circoncision. Les Pisans & les Florentins ; ceux de Trèves, &c. l’ont commencée à la fête de l’Incarnation ou Annonciation.

En Angleterre, l’Année civile (par exemple, pour les actes du Parlement) ne commence que le 25 de Mars. Stow, Analiste Anglois, remarque que Guillaume le Conquérant ayant été sacré le jour de Noël, ce jour devint le premier jour de l’année pour les Historiens, quoique dans les affaires civiles on retînt l’ancienne façon de compter, qui commençoit l’année au 25 de Mars. Depuis ce Prince, les Diplomes des Rois ne marquent plus que l’année du regne, & les autres actes n’en marquent presque point.

Les Juifs, comme presque toutes les nations de l’Orient, avoient une année civile, qui commençoit à la nouvelle lune de Septembre ; & une année ecclésiastique, ou sacrée qui commençoit à la nouvelle lune de Mars.

Eusèbe dit que les années des Egyptiens ne furent d’abord que de 360 jours, ensuite de 365, & par conséquent toujours défectueuses. Le P. Kirker prétend qu’outre cette année solaire, il y avoit en Egypte quelques Nomes ou Cantons, qui n’avoient qu’une année lunaire ; qu’il y en eut même dans des temps plus reculés, qui prirent la révolution de la lune, c’est-à-dire le mois pour une année ; que d’autres trouvant cette année trop courte, la firent de deux mois, quelques-uns de trois, & enfin de quatre. Voyez l’Œdip. Ægypt. Tom. II, pag. 252, & le Cardinal Noris, de Epoch. Syro-Mac. pag. 206.

Les Macédoniens établis en Syrie commençoient l’année en automne, & le premier mois étoit celui qu’ils appeloient Dius, dont le premier jour, qui étoit aussi le premier jour de l’an, répondoit au 24 de Septembre. Ainsi le commencement de l’année Syro-Macédoine tomboit à peu-près à l’équinoxe d’automne. Voyez le Cardinal Noris au même endroit, pag. 14.

Les Mahométans la commencent au moment que le soleil entre dans le signe d’Ariès ; les Perses au mois Fernandin, qui répond au mois de Juin ; & les Gentils de l’Inde la commencent au premier jour de Mars. Les Asiatiques ne comptent point comme en Europe l’année par le cours que fait le soleil, mais par celui de la lune, qui contient, selon eux, 354 jours, qui font douze lunes ; de sorte que tous les trois ans ils comptent treize lunes pour leur bissexte, & croient par ce moyen les égaler aux années solaires. Marin. Les Arméniens (en Perse en 1619.) célébrent le jour de la naissance de notre Seigneur, selon le calcul du vieux calendrier, le 3 Janvier du nouveau style. Wicq. Amb. de Fig.

Le P. d’Acosta, Jésuite, dans son Histoire des Indes, Liv. VI. ch. 2. rapporte que les Mexicains commencent l’année au 23 Février, selon notre calcul, lorsque les feuilles commencent à reverdir ; qu’ils divisent leur année en 18 mois de 20 jours chacun, ce qui fait 360 jours ; que les 5 qui restent pour accomplir l’année, ils ne les donnent à aucun mois, mais qu’ils les comptent séparément ; que toute affaire cesse pendant ces cinq jours, même les sacrifices ; qu’on ne s’assemble point aux temples, & qu’ils ne s’occupent qu’à se visiter les uns les autres ; qu’ils appellent ces cinq jours les jours fainéans ; qu’ils ont des semaines de 13 jours ; qu’ils ont aussi des semaines d’années composées aussi de 13 années ; qu’une révolution de quatre de ces semaines d’années, c’est-à-dire, de 52 ans, fait leur siècle. Nous pourrons dire le reste aux mots Calendrier, Mois, Semaine. Antoine de Sollis dit la même chose dans son Histoire du Mexique, Liv. III. ch. 17.

Dom Francisco Alvarès rapporte quelque chose de semblable des Abissins dans son Voyage d’Ethiopie. Il dit qu’ils commencent leur année le 26 Août, jour de la Décollation de S. Jean ; que l’année est de 12 mois, & les mois de 30 jours ; qu’après ces 12 mois il reste 5 jours, & les années bissextiles 6, qu’ils nomment Pagomen, c’est-à-dire, fin de l’année. Ludolf, Liv. III. ch. 6. §. 97. dit qu’ils commencent l’année le premier jour de Septembre. Du reste, il convient avec Alvarès, dans le Calendrier Ethiopien, qu’il nous a donné dans son second Tome, p. 389. Il met le premier jour de l’année au 29 d’Août. Voyez aussi Kirker, Lex. Copt. p. 537.

Le P. d’Acosta, au ch. 3. du livre que j’ai cité, dit, que les Peuples du Pérou règlent encore mieux leur année, parce qu’ils ont égard aux lunes. Ils donnent à leur année 365 jours comme nous, & le partagent aussi-bien que nous en 12 lunes, ou mois, dans lesquels ils répartissent les jours qui restent. Avant la conquête des Espagnols sur les collines qui entourent Cuzco, qui étoit la capitale de l’Empire & le sanctuaire de la religion, ils avoient élevé douze piliers de bois, disposés de sorte, & en telle distance, que chaque pilier marquât l’endroit où le soleil se levoit, & où il se couchoit chaque mois. Ils appeloient ces piliers succanga, & marquoient dessus les fêtes de chaque mois, & les temps des semences, de la récolte, &c. Chaque mois avoit son nom propre & ses fêtes particulières. Ils commençoient autrefois l’année comme nous au mois de Janvier ; mais un de leurs Incas, qu’ils nomment Paschacuto, c’est-à-dire, Réformateur du temps, plaça le commencement de l’année dans le mois de Décembre, apparemment pour commencer l’année au temps que le soleil part du dernier point du Capricorne, qui est le Tropique qu’ils voient. Quelques-uns prétendent que les Pérouans & les Mexicains avoient des années bissextiles ; mais le P. d’Acosta dit qu’on n’a rien de certain sur cela. Les Pérouans n’avoient point de semaines.

Les Brames de l’Inde commencent l’année avec la nouvelle lune qui tombe en Avril, auquel jour ils célébrent une fête qu’ils nomment Samwat saradi Paudiga ; c’est-à-dire, la fête du premier jour de l’an. Ceux du Guzarate commencent leur année le 18 de Mars. Les Chinois & la plûpart des Indiens avec la première lune en Mars ; & alors ils se réjouissent aussi, & font de grands festins. Les Brames ont 12 mois en l’année, & une année de treize mois, après le cours de trois ans ; ils joignent entre deux, comme nous, un jour au mois de Février après le cours de quatre ans. Ils ont sept jours, qui tirent leur nom des planètes, comme parmi les Latins. Ils ont aussi un siècle de soixante ans ; & après qu’ils sont achevés, ils recommencent de nouveau. Ceux de la Chine, & les autres Indiens, ont aussi une année de 13 mois, comme les Bramines, ou Brachmanes. Voyez Abraham Roger, de la vie & des mœurs des Bramines.

Le Portugais Barbosa dit, que les habitans de Calecut commencent l’année au mois d’Avril ; qu’ils ont l’année lunaire ; qu’ils divisent leurs mois selon les signes ; & qu’il y en a de 20, de 30 & de 31 jours.

Les Grecs commencent à compter les années du monde par le premier de Septembre. A Rome il y a deux manières de compter l’année : l’une commence à Noël, à cause de la Nativité de Notre Seigneur ; les Notaires usent de cette date, & disent, A Nativitate : & l’autre au mois de Mars, à cause de l’Incarnation ; & c’est ainsi que les bulles sont datées, Anno Incarnationis.

Année Persienne. Golius, dans ses notes sur Alfergan, est entré dans un grand détail sur la forme ancienne & nouvelle de l’année Persienne, laquelle a été suivie de la plûpart des Auteurs Orientaux. Elle étoit de 365 jours, 5 heures, 49’, 31” ; ce qui differe à peine de l’année Grégorienne, que les Européens ou Occidentaux se sont avisés de rechercher plus de 500 ans après les Asiatiques. Mais l’année dont les Auteurs qui ont écrit en Arabe ou Persan, ont fait usage dans leurs Tables astronomiques, est semblable aux années Egyptiennes, lesquelles sont toutes égales, étant de 365 jours sans intercalation. Instit. Astron. p. 600.

Nos anciens Historiens François ont compté les années du jour de la mort de S. Martin, qui arriva en 401 ou 402. C’est l’époque de Grégoire de Tours.

Les Coptes & les Abissins ont une ère, dont les années commencent au temps de la persécution de Dioclétien, comme l’a remarqué Kirker, Prodr. Copt. ch. 2. & Bollandus, T. I. p. 572. & qu’ils appellent les années de grâce & de miséricorde passées depuis la mort des Martyrs.

Les Turcs appellent l’année du serpent, l’année du loup-cervier, ou du léopard, l’année du porc, l’année du lièvre, &c. les années différentes d’un cycle particulier qu’ils ont dans leur calendrier, aussi-bien que les Orientaux.

L’année de l’hégire est l’année de l’ère dont se servent tous les Mahométans, & qui commence, selon eux, le premier jour de la lune de Moharrem, la 5e série, ou selon nos Chronologistes, la 6e qui répond au 15 juillet, prenant le commencement de cette lune depuis le soleil couché du même jour de l’an 622 de Jesus-Christ. Voyez Hégire.

A la Chine les trois premiers jours de l’année se passent dans tout l’Empire en réjouissances. On s’habille magnifiquement, on se visite, on fait des présens à tous ses amis, & aux personnes qu’on a quelque intérêt de ménager. Le jeu, les festins, les comédies, occupent tout le monde. P. Le Comte.

Année, se dit de quelques livres qui contiennent des exercices de piété pour tous les mois, toutes les semaines, & tous les jours de l’année. L’année Chrétienne du P. Suffren, l’Année Chrétienne de M. Le Tourneux. Le P. Croiset, Jésuite, a donné à Lyon une Année Chrétienne en 12 volumes in-12. autant que de mois, & quatre volumes pour les Fêtes mobiles & les Mystères. L’année du Chrétien par le P. Grisset, Jésuite, contient 18 vol. in-12.

Ce mot vient du latin annus, qui vient de la préposition an, qui anciennement se prenoit pour circùm. L’année n’est qu’une certaine révolution de jours. Quelques-uns le font venir du grec ἓννος. Il semble de plus au P. Pezron, que Ennus, vieux mot, le même que Annus, est pris du henn des Celtes, qui signifie vieux & ancien ; parce que l’année vieillit toujours en s’avançant.