Dictionnaire de l’administration française/ADMINISTRATION

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ADMINISTRATION. 1. Le mot administration est employé dans plusieurs acceptions ; pour nous, il représente l’ensemble des services publics.

sommaire.

chap. i. introduction, 2 à 5.
chap.ii. de l’administration en général et de ses rapports avec les pouvoirs de l’état.
CSect. 1. Des pouvoirs de l’État, 6, 7.
CSect. 2. De l’administration en général, 8 à 12.
CSect. 3. Rapports de l’administration avec l’autorité judiciaire, 13 à 15.
CSect. 4. Conflits, 16 à 18.
CSect. 5. Du contentieux, 19 à 23.
chap. iii. objets de l’administration, 24.
CSect. 1. Force publique, 25 à 28.
CSect. 2. Sécurité publique, 29 à 34.
CSect. 3. Assistance publique, 35 à 37.
CSect. 4. Fortune publique, 38, 39.
CSect. 5. Morale publique, 40 à 42.
CSect. 6. Richesse publique, 43.
CSart. 1. encouragements, 44.
CSart...2. protection, 45.
CSart...3. enseignement, 46.
CSart...4. voies de communication, 47.
CSart...5. institutions de crédit, 48.
Chap. iv. organisation de l’administration.
CSect. 1. Caractère de cette organisation, 49 à 51.
CSect. 2. Agents, 52, 53.
CSart. 1. ministres, 54 à 56.
CSart...2. préfets, 57 à 60.
CSart...3. sous-préfets, 61.
CSart...4. maires, 62 à 68.
CSart...5. commissaires de police, 69.
CSart...6. agents financiers, 70.
CSart...7. intendants militaires, 71.
CSart...8. préfets maritimes, etc., 72.
CSart...9. ingénieurs des ponts et chaussées et des mines, etc., 73.
CSart..10. recteurs, inspecteurs, 74.
CSart..11. autres agents, 75.
CSect. 3. Conseils. 76 à 79.
CSart. 1. conseils qui entourent le chef de l’état, 80, 81.
CSart...2. conseils attachés aux divers ministères, 82, 83.
CSart...3. conseils départementaux, 84 à 88.
CSart...4. conseils fonctionnant dans l’arrondissement, 89.
CSart...5. conseils communaux, 90 à 92.
CSect. 4. Juges, 93.
CSart 1. juridictions personnelles, 94, 95.
CSart...2. juridictions collectives, 96.
CSart...§. 1. Conseils de préfecture, 97, 98.
CSart.......2. Conseil d’État, 99, 100.
CSart.......3. Cour des comptes, 101.
chap. v. résumé, 102.
Bibliographie.
Administration comparée.


CHAP. I. — INTRODUCTION.

2. La science administrative peut être envisagée au point de vue économique et au point de vue légal.

Dans le premier cas, on se propose d’appliquer les principes de l’économie politique à un certain ordre de faits sociaux ; dans le second, on réunit en un corps de doctrine les lois, décrets, règlements relatifs à ces mêmes faits, et on établit le droit administratif.

L’économie politique ainsi appliquée peut être considérée comme la théorie de l’administration ; elle en renferme les prémisses, elle fournit la plupart de ses motifs : les autres sont inspirés par la politique ou par des circonstances spéciales. L’administration n’a donc rien de spéculatif, c’est une science de pure application. Aussi, si l’économie politique appliquée peut n’être, comme toute théorie, que la manière de voir d’un ou de plusieurs savants sur les matières administratives, l’administration pratiquée représente la pensée de toute une génération, en tout cas, celle du législateur ou de la partie influente de la nation.

L’économie politique étant une science d’observation, elle est venue après le droit positif, (coutumier ou écrit) dont elle est le commentaire, qu’elle justifie ou critique. Le droit, de son côté, fait connaître implicitement ou explicitement les principes économiques ou moraux adoptés par la majeure partie d’une nation. Il en est habituellement l’expression la plus nette, la plus concise, la plus vraie et aussi la moins passionnée.

Le Dictionnaire ne traitera que du droit administratif.

3. La tâche, ainsi limitée, n’en est pas moins extrêmement vaste. Il s’agit de colliger un grand nombre de lois, décrets, ordonnances, règlements, instructions ; de les analyser, de distinguer entre les dispositions en vigueur et des dispositions abrogées ou tombées en désuétude, et de classer avec méthode les matériaux ainsi réunis. Ce n’est pas tout. Quelque explicite que soit une loi, quelque détaillées que soient les instructions du ministre, il est impossible que tous les cas soient prévus, qu’il ne se produise pas quelque malentendu, quelque divergence d’interprétation. Les doutes qui en naissent, les contestations même qui en sont la suite, donnent lieu à des solutions sous forme d’arrêt du Conseil d’État, de la Cour de cassation, de décision du ministre. La pensée du législateur se trouve ainsi commentée, d’un côté, par la jurisprudence, et de l’autre, par la tradition des bureaux, commentaires précieux, qui facilitent l’étude du droit administratif et le font gagner en profondeur et en étendue.

4. On demandera peut-être pourquoi il n’existe pas un Code administratif, comme il existe un Code de commerce, un Code pénal, etc. ? La réponse est simple. Ces Codes règlent des intérêts privés, qui varient d’un individu à l’autre, mais qui se classent naturellement sous un certain nombre de principes assez fixes. Le droit administratif est également régi par des principes généraux ; mais leur application peut varier avec les circonstances politiques et sociales. De nouveaux besoins peuvent surgir ; des faits politiques, économiques, sociaux, imprévus peuvent se présenter et provoquer de nouvelles mesures, de nouvelles dispositions législatives. Un Code renfermant seulement les principes serait une œuvre incomplète, et si l’on voulait y faire entrer tous les détails pour les fixer, on arrêterait tout progrès.

5. D’un autre côté, la législation administrative est appelée à régler des matières si nombreuses et si différentes les unes des autres, qu’il paraît difficile, et peut-être illogique, de les réunir en un seul Code. Le droit privé n’est-il pas également divisé en plusieurs ? Or, rien n’empêche de considérer comme autant de Codes les lois organiques qui régissent les principales parties de l’administration.

L’absence d’un Code peut encore s’expliquer par la nécessité réelle ou présumée de conférer à l’administration un certain pouvoir discrétionnaire, afin qu’elle puisse tenir compte des circonstances. N’a-t-on pas dit : administrer c’est transiger !

En tout cas, ce qui importe, c’est que les dispositions législatives soient suffisamment précises et complètes, pour que chaque service public se trouve réglé, chaque intérêt protégé, en un mot, pour que la grande machine administrative, dont nous allons étudier le mécanisme, puisse fonctionner sans entrave et avec la régularité indispensable au bien du service.

CHAP. II. — DE L’ADMINISTRATION EN GÉNÉRAL ET DE SES RAPPORTS AVEC LES POUVOIRS DE L’ÉTAT.
Sect. 1. — Des pouvoirs de l’État.

6. La société ne saurait exister sans lois. Les lois sont en général établies d’une manière solennelle et en suivant des formes particulières. En France, la Constitution prescrit le mode d’après lequel les lois doivent être faites. Dues soit à l’initiative du Gouvernement, soit à celle d’un ou de plusieurs députés, elles sont souvent préparées par le Conseil d’État, délibérées et votées par les représentants de la nation, enfin promulguées par le chef de l’État ou par le pouvoir exécutif, termes que nous considérons comme à peu près synonymes. L’influence des pouvoirs publics, empereur, roi ou président de la République d’une part, et Assemblées ou Chambres de l’autre, est réglée par la Constitution ; nous renvoyons donc à ce mot. Néanmoins, quelle que soit la forme du gouvernement établi à un moment donné, on retrouvera toujours dans le droit public français certains principes permanents qui apparaissent ainsi plutôt comme des questions de logique, ou de bon sens, que comme des règles de droit. Nous saisirons plus d’une fois l’occasion de distinguer ce qui, dans notre administration, est permanent de ce qui est casuel ; nous devons signaler ici, parmi les principes les mieux établis, la distinction des divers pouvoirs, en législatif, exécutif, judiciaire.

7. Le pouvoir exécutif réunit en lui trois autorités, dont les fonctions sont bien distinctes : le gouvernement, l’administration, la justice.

Le gouvernement[1] comprend la direction supérieure des intérêts de l’État, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur : il donne l’impulsion à l’administration, et la justice se rend en son nom. C’est encore faire acte de gouvernement que de nommer les juges et les fonctionnaires administratifs ; c’est pourquoi ces nominations se font par décret.

L’administration et la justice sont plus spécialement appelées à exécuter ou appliquer les lois ; mais chacune exerce son autorité dans une sphère particulière.

Sect. 2. — De l’administration en général.

8. L’administration peut être définie : l’ensemble des services publics destinés à concourir à l’exécution de la pensée du Gouvernement et à l’application des lois d’intérêt général. On confond souvent, mais à tort, le Gouvernement avec l’administration. Cette confusion provient peut-être de ce que l’autorité gouvernementale et l’autorité administrative sont souvent réunies dans la même personne, comme dans celle du chef de l’État ou des ministres ; de ce que les fonctionnaires et agents administratifs sont hiérarchiquement subordonnés aux membres du Gouvernement, et font, pour ainsi dire, corps avec lui.

9. Mais ces deux autorités n’en sont pas moins distinctes l’une de l’autre, comme la volonté et l’action. C’est le Gouvernement qui dirige, qui donne l’impulsion ; c’est l’administration qui agit, qui exécute. Pour faire comprendre l’importance pratique de cette distinction, il suffit de citer un exemple. Quand une loi charge expressément un fonctionnaire, soit un préfet, de l’exécution d’une de ses dispositions, ce magistrat ne se croit pas autorisé à l’appliquer avant d’en avoir reçu l’ordre du ministre[2]. Ainsi, quoique la loi désigne un agent déterminé de l’administration, celui-ci ne peut agir qu’après avoir reçu l’impulsion et la direction de ses chefs hiérarchiques.

10. L’autorité exercée par l’administration lui est déléguée, soit d’une manière générale par le fait de son institution, soit d’une manière particulière par une loi spéciale. Il est des lois qui règlent tous les détails et n’attribuent à l’administration que l’exécution pure et simple de ses prescriptions ; il en est d’autres qui posent seulement les principes, et confient à l’administration le soin de faire les règlements nécessaires pour leur application ; d’autres enfin, et le nombre en est grand, se bornent à la charger d’un service public, en lui laissant toute latitude pour l’exécution.

11. Cette latitude est souvent indispensable en présence des innombrables intérêts qui s’entrechoquent et se croisent, des circonstances locales si variées, des événements de toute nature qui peuvent surgir. Quelque claire et précise que soit une loi, il est probable qu’elle sera mal comprise par l’un, mal interprétée par l’autre, ou que son application rigoureuse rencontrera, dans certains cas, des obstacles insurmontables. Les difficultés qui naîtront, le fonctionnaire compétent devra les résoudre selon les circonstances. C’est ici que l’adage « administrer c’est transiger » pourra trouver quelquefois une utile application.

De plus, il est des difficultés qui se reproduisent fréquemment et sans grandes variations. Si l’on ne trouve pas dès l’abord la meilleure solution, après quelques tâtonnements on apprend à éviter les inconvénients qui ont pu résulter des premières décisions, et on ne tarde pas à voir la jurisprudence qu’il convient d’adopter. Il se forme ainsi, dans les bureaux, une tradition dont le public n’apprécie peut-être pas assez la haute utilité, quoiqu’il en profite tous les jours.

12. Citons maintenant les principales attributions de l’administration :

Elle établit les règlements généraux ou spéciaux considérés comme complément nécessaire de la loi, et dont la préparation lui a été déléguée implicitement (règlement administratif) ou explicitement (règlement d’administration publique),(voy) ;

Elle prescrit des mesures générales obligatoires, soit pour la totalité des citoyens, soit seulement pour une classe d’entre eux, et en surveille l’exécution ;

Elle autorise la création de certains établissements publics ou privés, et exerce une tutelle légale sur les uns, et un contrôle d’ordre public sur les autres ;

Elle accorde la concession de choses ou de droits mis à sa disposition par les lois ;

Elle demande les renseignements qui lui sont nécessaires, fait les recensements, prépare les listes de recrutement, des électeurs, des jurés, etc. ;

Elle fait cesser tout ce qui est contraire aux lois, aux règlements, aux intérêts généraux ou particuliers, à la morale ou à la sécurité publique ;

Elle réprime certaines contraventions et provoque la punition des autres, ainsi que des crimes et des délits ;

Elle gère la fortune publique, dirige la répartition des impôts ; recouvre les contributions, fait les dépenses nécessaires pour le bien de l’État, et en rend compte ;

Elle fait exécuter les travaux publics, soit directement par ses agents, soit sous leur surveillance, et procède à l’expropriation pour cause d’utilité publique ;

Elle examine les réclamations qui lui sont adressées, y fait droit s’il y a lieu, et juge les contestations qui s’élèvent sur ses actes ;

Elle est chargée de l’assistance publique et de la protection de ceux qui sont hors d’état de se protéger eux-mêmes ;

Enfin, et tant que le Gouvernement ne s’est pas réservé lui-même cette attribution, elle nomme et révoque ses propres agents, ainsi que divers officiers publics : leur trace leurs devoirs les éclaire, les surveille, les encourage et les punit.

Sect. 3. — Rapport de l’administration avec l’autorité judiciaire.

13. Nous n’avons pas à nous étendre sur les rapports de l’administration soit avec le pouvoir législatif, soit avec le Gouvernement. Nous avons déjà eu l’occasion de dire qu’elle est subordonnée au Gouvernement comme le bras l’est à la tête, et que ses rapports avec le pouvoir législatif sont indirects, puisqu’ils ont lieu par l’intermédiaire du Gouvernement.

14. Les rapports de l’administration avec la justice sont d’une nature plus délicate. Ces deux autorités sont parallèles et indépendantes l’une de l’autre ; elles se secondent et se complètent mutuellement, et sont également indispensables au bien de l’État. Elles diffèrent, du reste, par leur nature, leur puissance, leur objet et leur forme de procéder.

Par leur nature : car l’autorité judiciaire est déléguée à des juges inamovibles, tandis que l’autorité administrative est confiée à des fonctionnaires révocables.

Par leur puissance : l’administration jouit, dans de certaines limites, d’un droit d’initiative ; elle agit quand elle le croit utile, sans attendre qu’elle soit provoquée ; elle prescrit des mesures obligatoires pour les citoyens. La justice, au contraire, doit presque toujours être saisie, elle ne décide ni ne prescrit rien : elle juge, mais ses arrêts sont souverains.

Par leur objet puisque l’administration est chargée des intérêts généraux, tandis que la justice a pour mission la solution des difficultés qui s’élèvent entre des intérêts privés. Cette distinction se remarque encore lorsque l’administration paraît s’occuper d’intérêts privés, ou la justice d’intérêts publics : dans le premier cas, le particulier se trouve en rapport ou en collision avec le bien public, ou il faut lui appliquer des prescriptions législatives, obligatoires pour tous les citoyens ; dans le second, l’État n’est qu’une personne civile défendant ses intérêts privés. (Voy. Personne civile.)

Par leur forme de procéder, enfin, qui est solennelle, en général d’une lenteur calculée, pour la justice, simple et souvent rapide pour l’administration.

15. D’un autre côté, on comprendra que, dans une société où tout se tient, il existe nécessairement des points de contact, des rapports assez nombreux entre deux autorités, dont chacune remplit des fonctions particulières.

Ainsi, l’administration comparaît devant la justice pour représenter les propriétés de l’État ou des grands établissements publics ; elle pourvoit aux dépenses occasionnées par les tribunaux ; elle concourt à l’exécution des jugements ; elle nomme et surveille les officiers ministériels.

Les tribunaux, de leur côté, appliquent les règlements portés par l’administration ; ils reçoivent les déclarations, les serments de quelques-uns de ses agents dont les procès-verbaux font foi en justice ; ils statuent sur le domaine de l’État et l’enregistrement, et souvent sur les contraventions douanières et les contributions indirectes.

Sect. 4. — Conflits.

16. Toutefois, quelque bien définies que soient en apparence les attributions respectives de l’administration et des tribunaux, leurs ressorts se touchent et s’enchevêtrent assez pour qu’il soit quelquefois difficile de les distinguer. Il arrive alors de deux choses l’une : ou chacune de ces deux autorités se croit compétente, ou toutes les deux se déclarent incompétentes. Dans le premier cas, il y a conflit positif ; dans le second, conflit négatif.

La question de savoir à qui il appartient, dans un État monarchique, de prononcer sur les conflits était d’une solution si facile, qu’elle fut résolue par la loi du 7-14 octobre 1790, dès le premier conflit d’attributions qui s’éleva après la séparation des pouvoirs. En effet, le roi ou l’empereur est le chef de l’administration comme de la justice ; c’est donc à lui à décider entre elles, et il faisait préparer la décision par le Conseil d’État.

17. Outre cette raison qui, jusqu’à un certain point, pourrait être considérée comme de pure forme, il y en a d’autres plus profondes. Permettre aux tribunaux de passer outre, c’était entraver, quelquefois annuler, l’action de l’administration. Il en serait résulté que l’autorité chargée des intérêts les plus précieux de la nation et dont les fonctions sont essentiellement responsables et mobiles, eût été dominée par une autorité irresponsable et aussi invariable que possible. Par contre, cette irresponsabilité de ses représentants devait empêcher la justice de tomber sous la dépendance de l’administration. La justice garde en outre son indépendance vis-à-vis de l’administration, en n’appliquant que les règlements pris conformément aux lois. (Code pénal, art. 471, n° 10, « règlements légalement faits ».) Les tribunaux ne peuvent pas annuler les règlements illégaux, mais ils ne doivent pas condamner les citoyens qui les ont transgressés. (Voy. Acte administratif.)

18. Sous la République de 1848 et sous celle du 4 septembre 1870, les conflits ont été et sont jugés par une commission composée par moitié de membres de la Cour de cassation et de membres du Conseil d’État, c’est-à-dire par les représentants des corps administratifs et judiciaires. (Voy. Conflits.)

Sect. 5. — Du contentieux.

19. Il est évident que les conflits entre les autorités administratives et judiciaires, dont nous venons de parler, ne sauraient avoir lieu qu’à l’occasion d’intérêts privés. En effet, la société se composant d’individus, et l’administration étant appelée à prescrire des mesures d’intérêt général, elle doit se trouver plus d’une fois dans le cas de froisser des intérêts privés. Il arrivera même assez souvent qu’un acte administratif lésera certains droits privés régulièrement établis, de sorte que le particulier sera fondé à ouvrir une action judiciaire. Qui jugera ?

20. Il faut distinguer. Le particulier peut élever une réclamation en faveur de ses intérêts lésés, ou une contestation relativement à des droits méconnus. Dans le premier cas, il n’a d’autre moyen que de s’adresser à l’autorité administrative supérieure, par la voie dite gracieuse. Il fait un appel au pouvoir discrétionnaire de l’administration, la priant de trouver une transaction équitable entre des intérêts généraux et des intérêts privés également confiés à sa sollicitude.

Dans le second cas, lorsqu’il prétend qu’on a porté atteinte à ses droits, la voie gracieuse paraît insuffisante. Il nous répugne, en effet, d’admettre que la reconnaissance d’un droit doive dépendre du bon vouloir d’un fonctionnaire, même juste. La raison publique demande un tribunal pour juger ce qu’on appelle le contentieux administratif.

21. Le contentieux administratif a toujours été considéré comme la partie la plus ardue de la science et de la pratique administrative. Pour en établir la nature, nous ne saurions mieux faire que de citer le passage suivant d’un homme très-compétent en ces matières[3] :

« Le contentieux administratif se compose de toutes les réclamations fondées sur la violation des obligations imposées à l’administration par les lois et règlements qui la régissent, ou par les contrats qu’elle souscrit ; ainsi, toute loi qui établit une compétence, qui trace une forme d’instruction, ou qui pose une règle de décision, peut donner ouverture à un débat contentieux, s’il est allégué que la compétence soit intervertie, la forme inobservée, ou la règle enfreinte. Tout contrat passé par l’administration a le même effet, si le sens ou l’exécution en sont contestés. L’ensemble de ces débats, considéré en masse, constitue le contentieux de l’administration ; il se compose donc d’une nature particulière de contestations, bien distinctes, comme on le voit, du contentieux judiciaire et de l’administration pure.

« Il a souvent été question de dresser la nomenclature des affaires contentieuses ; mais ce travail serait impossible. Il faudrait prendre une à une toutes les lois administratives, pour rechercher dans chacune les dispositions qui confèrent des droits aux citoyens, et pour en attribuer la connaissance à telle ou telle juridiction administrative. En supposant que cette recherche ne fût pas vaine, la loi qui en consacrerait les résultats deviendrait presqu’aussitôt incomplète, toute loi administrative ajoutant de nouvelles pierres à l’édifice du contentieux administratif. Il serait donc impossible de faire la liste des affaires qui lui appartiennent. Elles sont innombrables, mobiles, incessantes ; ce n’est point en vertu d’un texte de loi, parce qu’il aura, pour ainsi dire, plu à un législateur d’en disposer ainsi, qu’elles ressortissent au contentieux, mais bien par leur nature propre : aucune loi spéciale n’a dû intervenir pour les y classer, il en faudrait une pour les en distraire. Elles composent entre elles un ensemble légal, un corps de droit ; les lois et les principes généraux qui les concernent forment le droit commun de l’administration, comme le Code civil est celui des intérêts privés et des transactions ordinaires des citoyens. »

22. Il convient d’ajouter que, loin de restreindre le ressort naturel du contentieux administratif, quelques lois spéciales l’ont, au contraire, étendu en attribuant aux juridictions administratives la connaissance de certaines matières réservées par des raisons de haute politique.

23. Du reste, la nécessité de juridictions spéciales découle déjà clairement du passage que nous venons de citer ; le passage suivant complétera la démonstration[4].

« Dans les affaires de droit civil ordinaire, les parties en présence, procédant au même titre, ont droit aux mêmes avantages, et la balance ne peut jamais pencher pour l’une aux dépens de l’autre. Dans les affaires administratives, l’intérêt public réclame certaines facilités, certains tempéraments qui, sans altérer le droit, sont de nature à en modifier l’application. Un jour le premier président d’une cour royale refusait d’accorder un tour de faveur à une cause de l’État ; il s’agissait de l’expropriation d’une maison faisant saillie sur la voie publique. « Cette maison, laissée debout, dit-il solennellement, attestera qu’en France la justice est égale pour tous. » Voilà l’esprit de l’autorité judiciaire. Devant un tribunal administratif, la gêne éprouvée par la circulation publique eût déterminé l’examen de la contestation avant tout autre. Voilà l’esprit de la juridiction administrative. Un particulier qui n’exécute pas un marché, doit à l’entrepreneur une indemnité proportionnée au gain dont il le prive ; le Code civil l’établit ainsi. L’administration qui rompt un tel marché ne doit d’indemnité qu’en raison de la perte éprouvée. C’est la règle de la jurisprudence administrative. À moins que le droit ne s’y oppose, elle tient que l’État, c’est-à-dire la collection de tous les citoyens, et le Trésor public, c’est-à-dire l’ensemble de tous les contribuables, doivent passer avant le citoyen ou le contribuable isolé défendant un intérêt individuel. »

Quant aux juridictions administratives, nous y reviendrons plus loin (n°s 94 et suiv.).

CHAP. III. — OBJETS DE L’ADMINISTRATION.

24. On peut dire sans exagération que l’administration reçoit l’enfant en naissant, pour l’inscrire sur les registres de l’état civil ; que, s il est orphelin, elle a soin de sa nourriture, de sa santé, de son instruction ; qu’elle surveille son apprentissage ; qu’homme fait, elle l’enrôle parmi les défenseurs de la patrie ; qu’elle l’accompagne et l’entoure de sa sollicitude à chaque instant et dans toutes les circonstances de sa vie, et qu’à sa mort encore, après avoir dressé l’acte de son décès, elle lui procure le repos du tombeau.

Ce n’est pas tout. Ici nous l’avons vue occupée d’intérêts privés, qui ne deviennent généraux que parce qu’ils se répètent à l’égard de chaque individu. Il existe, en outre, des intérêts généraux proprement dits, qui ne sauraient être considérés, au moins dans la pratique, comme la somme des intérêts privés. Il s’agit de l’intérêt de l’État comme corps social, que l’administration (ou le Gouvernement) se trouve quelquefois dans la nécessité de défendre contre ses propres citoyens et contre l’agression de l’étranger.

L’ensemble de ces attributions présente un champ si vaste qu’on ne saurait l’embrasser d’un coup d’œil. Il nous a semblé nécessaire de le subdiviser et d’en parcourir chaque partie isolément, n’effleurant pourtant que les points saillants et renvoyant pour les développements aux articles spéciaux.

L’objet de l’administration nous paraît comprendre la force publique, la sécurité, l’assistance, la fortune, la morale et la richesse publiques.

Sect. 1. — Force publique.

25. À l’origine des sociétés, lorsque l’État n’était encore qu’une tribu, l’unique préoccupation du Gouvernement ou de l’administration (ces deux autorités n’en faisaient qu’une alors) c’était la défense de la communauté contre les agressions des tribus ou peuplades voisines. La population était trop peu nombreuse pour que les rapports intérieurs fussent bien compliqués : mais cette faiblesse numérique même rendait faciles les attaques les plus imprévues.

Dans les grands pays ces préoccupations sont moins profondes ; le danger qu’il s’agit de conjurer est en général moins imminent ; par contre, il est trop grave pour qu’on le perde un instant de vue. Aussi existe-t-il en France trois ministères chargés de la défense du pays contre l’étranger ; nous allons les nommer :

26. Ministère des affaires étrangères. C’est l’organe du Gouvernement dans nos relations avec les autres États. Ce sont les agents diplomatiques ressortissant à ce ministère qui, en temps de paix, protégent à l’étranger les citoyens français.

27. Ministère de la guerre. L’armée de terre est dans ses attributions. Il s’occupe du recrutement, de l’habillement, de la nourriture, du logement, de l’instruction, de l’état sanitaire des hommes appelés sous les drapeaux ; il les distribue dans les places de guerre ; il désigne ceux qui, au besoin, doivent marcher contre l’ennemi. Si la nomination des généraux est un acte de Gouvernement, et si la victoire dans une bataille dépend du choix du commandant supérieur, le succès définitif d’une guerre de longue haleine sera dû en grande partie à la bonne gestion de l’administration militaire.

28. Ministère de la marine. Ce que le ministère de la guerre est pour l’armée de terre, le ministère de la marine l’est pour la force maritime. L’armée de terre peut être quelquefois appelée à prêter sa force à l’autorité attaquée à l’intérieur : elle a même dans son sein un corps vraiment admirable pour sa tenue, pour le choix des hommes qui le composent et pour les services qu’il rend, la gendarmerie, qui est spécialement destinée à maintenir l’ordre public. La marine militaire, au contraire, agit habituellement loin des rivages de la France, soit pour défendre l’honneur de son drapeau, soit pour protéger la marine marchande, l’une des sources de la prospérité nationale.

Sect. 2. — Sécurité publique.

29. La sécurité publique est pour le corps social ce que l’air est pour le corps humain : c’est la première condition de son existence. L’autorité qui en est plus spécialement chargée s’appelle police, mot que la science prend dans un sens plus large que le langage vulgaire. Le peuple ne voit dans la police que l’agent de la répression, qui arrête et surveille les malfaiteurs ; la science administrative lui décerne, avec Macarel, le titre de providence humaine. On verra, en passant en revue ses principales attributions, que ce n’est pas là un vain mot.

30. La sûreté de l’État doit être le premier soin de la police. Pour lui faciliter cette tâche si importante, le législateur l’a armée des lois sur les clubs et les sociétés secrètes, sur la presse, sur les afficheurs, les crieurs publics, les colporteurs, les cabarets, sur la détention d’armes et de munitions de guerre, sur les attroupements, sur l’état de siége, etc.

31. La protection des personnes est la seconde grande préoccupation de la police. Elle y a pourvu par un grand nombre de règlements destinés à écarter des citoyens d’innombrables dangers. Elle poursuit les malfaiteurs ; défend le port d’armes secrètes ; empêche la vente d’aliments malsains ; surveille le débit des matières vénéneuses ; fait éprouver les ponts, les voitures, avant de permettre leur emploi ; fait, au besoin, clore les rivières au moyen de parapets, et prescrit toutes les mesures que les circonstances peuvent exiger.

On peut encore considérer la police des subsistances et la police sanitaire et médicale, dont les attributions sont très-étendues, comme chargées de la protection des personnes.

32. Vient ensuite la protection des propriétés. Celle-ci ne se borne pas à la surveillance des voleurs. Elle renferme dans son cadre une foule de dispositions appartenant à la police rurale, la police des cours d’eau, les règlements relatifs aux objets trouvés, aux incendies, aux animaux abandonnés, etc.

33. Ce n’est pas tout. La sollicitude de la police s’étend encore sur la circulation, qu’elle débarrasse de tout ce qui peut la gêner ; sur le commerce, en surveillant les halles et marchés, les poids et mesures, en prévenant ou faisant punir les fraudes et falsifications ; sur l’industrie, par les prescriptions relatives à la liberté du travail et à l’emploi des enfants dans les manufactures, aux coalitions, à la contrefaçon, à certains ateliers, etc.

34. Le ministère de l’intérieur est chargé de la sécurité publique, et ses agents sont au besoin secondés dans leur mission par la force publique dépendant du ministère de la guerre. Tout ce qui concerne les subsistances, la santé, le commerce et l’industrie, est dans les attributions du ministère de l’agriculture et du commerce.

Sect. 3. — Assistance publique.

35. L’assistance publique est souvent considérée comme l’une des fonctions de la police, mais cette définition n’était exacte qu’aux époques et dans les pays où police était synonyme d’administration. Mais lorsqu’on donne au mot police un sens plus restreint, il convient d’en détacher l’assistance publique, pour ne pas faire croire que la société vient au secours des malheureux seulement parce qu’elle les craint.

Comme une bonne mère s’attache de préférence à un enfant disgracié de la nature, de même la société couvre de sa sollicitude particulière ses membres maltraités par le sort.

L’enfant qui, en naissant, n’est pas accueilli par ses protecteurs naturels, ses parents, ou qui les perd de bonne heure, est reçu dans l’hospice des enfants assistés ou dans un orphelinat. Si ses parents ont besoin de leurs journées pour gagner leur vie, on l’admet dans une crèche et plus tard dans une salle d’asile. L’abandon l’a-t-il fait contracter des vices, on lui procure l’éducation dans une maison de jeunes détenus ou dans des colonies agricoles.

L’homme jouissant de sa santé doit travailler ; il appartient seulement aux malades de faire appel à la charité publique. On leur ouvre des hôpitaux. Les vieillards et infirmes trouvent souvent un refuge dans les hospices et dans d’autres établissements analogues.

36. Il est ensuite des infortunes particulières, au soulagement desquelles l’administration pourvoit au moyen d’institutions spéciales. Tels sont les asiles d’aliénés, les institutions de jeunes aveugles, des sourds-muets, et l’hospice des Quinze-Vingts.

37. Enfin, des faveurs législatives sont accordées à ceux qui trouvent dans leurs propres économies les ressources que d’autres, moins prévoyants, sont obligés de demander à l’assistance publique ; nous faisons allusion aux caisses d’épargnes, aux sociétés de secours mutuels, à la caisse de retraites et à l’assurance sur la vie.

Sect. 4. — Fortune publique.

38. La gestion de la fortune publique constitue une des fonctions les plus importantes de l’administration.

L’entretien des services publics occasionne des dépenses qui sont couvertes au moyen des impôts votés par la représentation nationale. L’administration recouvre ces impôts, et elle en emploie le produit conformément aux crédits inscrits au budget.

C’est le ministère des finances qui est seul chargé du recouvrement des contributions, soit directes, soit indirectes, ainsi que des autres revenus de l’État. Ce principe est poussé en France presque jusqu’à ses dernières conséquences. Les dépenses sont faites par les divers services publics ; elles sont contrôlées administrativement par le ministère des finances, et, sous une forme judiciaire, par la Cour des comptes.

39. En outre du produit des impôts, la fortune publique se compose encore d’un certain nombre de propriétés ou de domaines, qu’on divise en corporels et incorporels, et qui sont productifs de revenu, d’utilité ou simplement d’agrément.

Il est inutile de dire que les biens ou domaines corporels sont des immeubles et le mobilier qui les garnit ; l’expression de domaine incorporel s’emploie pour désigner certains droits ou péages habituellement affermés, comme la pêche, la chasse dans les bois de l’État, les bacs, etc.

Parmi les propriétés de l’État productives de revenu, nous devons compter avant tout les forêts qui sont administrées en régie, c’est-à-dire directement par les agents de l’État.

Les propriétés productives d’utilité sont ou des bâtiments affectés à des services publics, ou des routes, des ports, des ponts et autres constructions analogues. Leur conservation et leur entretien sont confiés au ministre des travaux publics. La conservation de la plupart des bibliothèques et collections scientifiques est surveillée par le ministre de l’instruction publique.

Les propriétés qu’on pourrait appeler productives d’agrément, sont les promenades et jardins publics, les monuments, etc. Leur entretien est en grande partie dans les attributions du ministère de l’intérieur. (Souvent les promenades appartiennent aux villes.)

Enfin, il est encore des propriétés publiques spécialement affectées à un département, une commune, un établissement hospitalier ou scientifique ; la gestion de cette classe de domaines est contrôlée par le ministre de l’intérieur.

Sect. 5. — Morale publique.

40. « Il n’est certainement, dit De Gerando, pour l’administration publique aucune mission plus sacrée et plus noble à la fois, que celle qui l’appelle à procurer, autant qu’il dépend d’elle, le progrès de la civilisation par l’amélioration des mœurs, l’avancement et la propagation des lumières.

« Elle accomplit cette mission, ou par une action directe, au moyen des institutions qu’elle fonde ou régit elle-même, des services qu’elle organise, ou d’une manière indirecte, soit en favorisant, secondant, protégeant les divers efforts qui tendent au même but, soit en faisant disparaître les obstacles qui s’y opposent. »

On voit par le passage que nous venons de citer, qu’il ne s’agit pas ici de réprimer les attentats à la morale publique, et d’en prévenir le retour en les châtiant ; nous avons parlé ailleurs de cette partie de la tâche de l’administration, en tant qu’elle lui incombe. Nous voulons indiquer une mission encore plus élevée de l’autorité administrative : c’est celle de répandre l’instruction et de protéger les cultes.

41. L’instruction publique se divise en France en trois degrés : l’instruction primaire, secondaire, supérieure.

Chaque commune est tenue d’avoir au moins une école primaire, et, si elle a une certaine importance, elle y ajoute quelquefois une école primaire supérieure. Pour être admis à diriger une école, les instituteurs doivent être porteurs d’un brevet de capacité et d’un certificat de moralité. Ils restent en outre soumis à la surveillance de l’autorité locale et d’inspecteurs spéciaux.

Afin d’assurer le recrutement des instituteurs, l’État a dû leur garantir un minimum de traitement et une pension et les dispenser du service militaire.

Une bonne partie de la nation demande que l’instruction soit obligatoire ; quelques personnes font en outre des vœux en faveur de la gratuité.

L’instruction secondaire est donnée dans les collèges communaux et dans les lycées ; l’instruction supérieure dans les facultés des lettres, des sciences, de médecine, de droit, de théologie.

L’ensemble de ces institutions est compris sous le nom d’Université, dont le chef, ou le Grand-maître, est le ministre de l’instruction publique. Celui-ci exerce son autorité, soit directement, soit au moyen d’un conseil supérieur, de recteurs, commissions départementales, d’inspecteurs de et d’autres agents.

Il existe en outre, en dehors de l’Université, un certain nombre d’écoles spéciales, entretenues par l’État, et des institutions libres, dirigées par des ecclésiastiques ou des laïcs, plus ou moins surveillées par l’administration.

42. Relativement au culte, la tâche de l’administration se borne presque à la protection et à la surveillance. Les bâtiments qui lui sont consacrés appartiennent à l’État, aux départements ou aux communes, et ces bâtiments sont entretenus aux frais de leurs propriétaires. Les dépenses des cultes reconnus sont à la charge de l’État.

Sect. 6. — Richesse publique.[5]

43. Ce n’est pas sans intention que dans notre énumération des divers objets de l’administration nous avons mentionné la richesse publique en dernier lieu. Nous avons voulu indiquer ainsi l’ordre dans lequel ces objets se développent. En effet, la richesse, ou le bien-être, est le résultat d’une civilisation très-avancée, tandis que même un État arriéré a besoin d’une armée, d’une police, de finances, d’une administration. Pour que les gouvernements pensent à favoriser l’accroissement des richesses, il faut que le pays jouisse déjà d’une certaine prospérité. Il se passe bien du temps avant que l’administration se forme sur ce point des principes basés sur l’expérience.

Les principales attributions relatives à la prospérité matérielle de la France sont confiées au ministre de l’agriculture et du commerce et au ministre des travaux publics. Ces attributions peuvent être subdivisées ainsi :

art. 1. — encouragements.

44. Il est des choses sur lesquelles il paraît difficile, sinon impossible, d’exercer une autorité de commandement. Dans ce cas, l’administration n’a d’autres moyens d’action que des encouragements.

Ainsi, ne pouvant prescrire au cultivateur un mode de culture quelconque, même perfectionné, on se borne à lui faire connaître les progrès réalisés ailleurs en favorisant la traduction des livres qui les enseignent ; en fondant des concours où sont récompensés les meilleurs laboureurs, éleveurs, etc. ; en distribuant des primes à celui qui cultive le plus de fourrages artificiels, qui emploie le plus d’engrais, etc.

Le système des encouragements a été également appliqué à l’industrie, soit au moyen de primes (pêche de la morue, de la baleine), soit au moyen de droit d’importation, de prêts. Au reste, pour l’agriculture comme pour l’industrie, l’encouragement se manifeste de la manière la plus variée, depuis la subvention jusqu’aux médailles, prix, décorations et concours.

art. 2. — protection.

45. Les progrès obtenus, soit spontanément, soit au moyen d’encouragements ont souvent besoin de protection pour se maintenir et devenir permanents. Souvent la certitude seule de cette protection suffit pour faire naitre le progrès auquel on aspire.

Une bonne police des marchés, par exemple, protége le grand et le petit commerce, qui ont, avant tout, besoin de sécurité. Mais le consommateur est également l’objet de la sollicitude de l’administration. Elle surveille depuis les puissantes sociétés anonymes jusqu’au dernier revendeur qui colporte sa marchandise, pour empêcher toute tromperie, fraude et falsification. Elle vérifie en outre les poids et mesures.

L’industrie proprement dite est protégée par la législation sur la contrefaçon, les marques de fabrique, la propriété des dessins, par certaines lois douanières, mais surtout par la liberté qu’on lui accorde depuis 1789.

Enfin, on peut considérer comme créés dans un but de protection des intérêts agricoles, industriels et commerciaux, et de leurs progrès, les chambres consultatives d’agriculture, de commerce, des arts et manufactures, le conseil général d’agriculture, le conseil supérieur du commerce, etc. Les ayant constitués l’organe de ces intérêts, le Gouvernement les consulte chaque fois qu’il le croit utile. Les conseils des prud’hommes et les tribunaux de commerce doivent également être mentionnés dans cette rapide énumération.

art. 3. — enseignement.

46. Il n’y a pas bien longtemps qu’on a senti la nécessité d’un enseignement professionnel mais déjà la France possède à Paris un Conservatoire des arts et métiers, que d’autres nations ont imité ; des écoles des mines, des ponts et chaussées, des arts et manufactures ; des écoles d’arts et métiers à Châlons, Angers, Aix ; des écoles régionales d’agriculture à Grignon, Grandjouan, Montpellier ; de nombreuses fermes-écoles, des chaires d’agriculture dans plusieurs villes, et un grand nombre d’institutions communales ou privées subventionnées.

L’enseignement a encore lieu par des expositions périodiques et permanentes, par des ouvrages et de différentes autres manières.

art. 4. — voies de communication et autres travaux publics.

47. Les voies de communication perfectionnées sont sans doute un des plus puissants instruments de prospérité ; mais on n’en éprouve sérieusement le besoin, et on n’est en état de le satisfaire, qu’après avoir atteint un certain degré de richesse et de civilisation. Nous nous bornerons ici à rappeler que les routes départementales et nationales, les chemins de fer, les canaux, la navigation fluviale, les ports, phares, etc., sont du ressort du ministère des travaux publics, tandis que les chemins vicinaux (qui sont une attribution communale) ressortissent au ministère de l’intérieur.

art. 5. — institutions de crédit.

48. Notre revue quelque succincte et peu complète qu’elle soit omettrait cependant un élément essentiel de la prospérité publique si elle ne mentionnait pas les institutions de crédit et surtout la Banque de France. Cet établissement, quoique au fond une entreprise privée, jouit de priviléges importants, et peut exercer une telle influence sur le commerce et l’industrie, et peut même rendre de si signalés services à l’État, qu’il a dû être placé dans une certaine dépendance morale du ministre des finances qui n’intervient pas, du reste, dans ses affaires intérieures. L’organisation de la Banque (voy.) a été appliquée en partie au Crédit foncier de France (voy.) qui jouit également de certains priviléges considérés comme d’une utilité générale.

CHAP. IV. — ORGANISATION DE L’ADMINISTRATION.
Sect. 1. — Caractère de cette organisation.

49. L’organisation de l’administration n’est pas chose indifférente. Destinée à être le lien de la société, à y réaliser les objets que nous venons de passer en revue, elle doit ressembler à un mécanisme dont les engrenages fonctionnent avec régularité, précision, continuité et sans choc ni écart. Il a fallu bien du temps pour que cet instrument ait atteint le degré de perfection qu’on lui reconnaît actuellement.

C’est la Révolution de 1789 qui lui a fait faire d’abord un pas considérable, en la séparant de l’autorité judiciaire, en lui assurant l’indépendance et en lui donnant une hiérarchie particulière et symétrique. Toutefois, l’organisation créée par la loi du 22 décembre 1789 avait un grave défaut. Elle institua partout des autorités collectives. « Il en résulta, dit Vivien, que l’autorité locale se trouva sans vigueur, le pouvoir central sans influence, les intérêts publics et privés sans garantie, et la nouvelle administration, si bien réglée dans une ordonnance théorique, si savante dans ses combinaisons, se déroba au pouvoir public quand il eut besoin de son concours. » (Études administratives, t. Ier, p. 64.)

50. Le premier Consul fit disparaitre cette organisation en substituant, par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 fév. 1800), les préfets aux directoires des départements. « Administrer, dit alors le conseiller d’État Rœderer dans son rapport, est le fait d’un seul homme, et juger le fait de plusieurs. »

Il maintint et développa même, peut-être trop selon quelques auteurs, la centralisation qui, surtout depuis 1789, est l’un des caractères distinctifs de l’administration française[6]. Il constitua cette administration d’une manière si rationnelle, que, dépositaire intelligente des traditions accumulées par la pratique de nombreuses années, instrument puissant et en même temps docile aux impulsions du Gouvernement, elle est toujours prête à indiquer les améliorations suggérées par l’expérience et à les appliquer, si tel est le désir du ministre qui la dirige. Elle prendra rarement l’initiative des progrès, elle n’en a pas la mission ; d’ailleurs elle n’en aurait que la peine et jamais la récompense, mais il faut reléguer parmi les fables « la sourde résistance des bureaux ». Elle ne résiste jamais à un ordre, pas même à la volonté présumée du ministre.

51. Actuellement l’autorité administrative est représentée à tous les degrés hiérarchiques par un fonctionnaire unique. Un ministre pour chaque branche de l’administration ; un préfet pour chaque département, un sous-préfet par arrondissement, un maire par commune. Chacun de ces fonctionnaires est entouré de conseils, dont les avis sont tantôt nécessaires, tantôt facultatifs. Enfin, un système de juridiction complète l’organisation administrative, qui peut être résumée en trois mots : action, conseil, jugement. L’action est confiée à des agents, ce mot pris dans un sens très-large ; le conseil à des assemblées portant le nom de conseil, comité, chambre ; les jugements à des tribunaux administratifs. Énonçons brièvement les attributions de ces diverses autorités.

Sect. 2. — Agents.

52. L’autorité administrative, créée par les lois ou les constitutions parce qu’aucun grand État ne peut s’en passer, émane du chef de l’État, et elle est souvent exercée par lui. Son intervention est indispensable dans un assez grand nombre d’actes, dont l’énumération serait impossible ici. (Voy. Décret, Règlement d’administration publique.) Elle est motivée, soit par une délégation spéciale de la loi, soit par l’importance de la matière qu’il s’agit de régler. Ces actes embrassent une certaine généralité dans leur objet, s’étendent dans l’avenir par leur prévoyance et imposent des obligations ou des restrictions soit à l’ensemble des Français, soit à une classe de citoyens. Généralement ces actes doivent être précédés d’une délibération du Conseil d’État.

53. Mais il est aussi des décisions prises sur le simple rapport d’un ministre elles sont généralement relatives à l’organisation d’un service public, à des intérêts individuels, à la nomination de fonctionnaires et de juges, à la concession des insignes de la Légion d’honneur, etc.

Tous les actes du chef de l’État doivent être contre-signés par un ministre et insérés au Journal officiel et au Bulletin des Lois.

art. 1. — ministres.

54. Sous l’autorité immédiate du chef de l’État, les ministres sont les chefs de l’administration, chacun dans la branche dont il porte le titre.

55. Les pouvoirs et les attributions des ministres sont afférents à leur fonction ou au département dont ils sont chargés. Les premiers sont généraux, les seconds spéciaux.

Les pouvoirs et attributions générales sont :

Le contre-seing des actes du chef de l’État relatifs aux attributions de leurs ministères respectifs. De là vient le titre de secrétaire d’État ;

L’ordonnancement des dépenses publiques ;

La mise à exécution des lois et décrets ou ordonnances par des règlements, des instructions, des interprétations ;

La nomination d’un grand nombre de leurs subordonnés et agents ;

Le contrôle des actes des autorités inférieures qu’ils peuvent généralement confirmer ou réformer ;

La direction des services publics qui leur sont confiés, et la préparation des mesures, décisions, règlements nécessaires ;

L’autorité des ministres s’exerce dans toute l’étendue de la France, et même hors de ses frontières, si les nécessités du service l’exigent.

56. Le nombre des départements ministériels est fixé par le chef de l’État et peut être modifié selon la convenance des services publics ou selon les exigences de la politique. Il y a quelquefois (selon les régimes) des ministres sans portefeuille ; ils ne sont pas secrétaires d’État.

On a souvent nommé des sous-secrétaires d’État pour seconder les ministres. Ces derniers leur délèguent alors une partie de leurs fonctions administratives. Les sous-secrétaires d’État font généralement (comme les ministres sous la plupart des régimes) partie des assemblées législatives.

art. 2. — préfets.

57. Le préfet administre le département territorial. Il y est à la fois l’organe du Gouvernement et le représentant des intérêts départementaux.

Nommé par le chef de l’État sur la proposition du ministre de l’intérieur, il est l’agent de tous les ministres. Son autorité ne se renferme pas dans une branche spéciale des services publics, mais elle est restreinte aux limites du département qu’il administre.

58. Comme organe ou représentant du Gouvernement, il exerce une autorité qui lui est propre et qui lui est déléguée, soit directement par une loi, soit par le chef du Gouvernement.

Il peut prendre des arrêtés et prescrire des mesures obligatoires pour la totalité ou partie des habitants de son département ; il nomme la plupart des fonctionnaires ou agents qui lui sont subordonnés ; il en révoque quelques-uns et en suspend d’autres, sauf à en référer à l’autorité supérieure. Il est le chef de la police dans son département et peut, au besoin, requérir la force publique. Il rend exécutoires les rôles des contributions directes ; détermine l’époque de l’ouverture et de la fermeture de la chasse et de la pêche ; exerce la tutelle administrative sur les communes et établissements d’utilité publique, et prend, en général, toutes les mesures nécessaires pour l’exécution locale des lois.

59. Comme agent des ministres, il exécute leurs ordres, transmet aux autorités inférieures leurs décisions, règlements, instructions ; prend des informations, donne son avis, fait des propositions et surveille la marche des divers services publics.

60. Comme chef de l’administration départementale, il en établit le budget, ordonnance les dépenses, applique les mesures légalement votées par le conseil général et lui en rend compte. Il a toujours le droit de prendre telle mesure provisoire qui serait réclamée par l’intérêt du département, sauf à en référer à l’autorité compétente. Enfin, le préfet représente le département devant les tribunaux.

art. 3. — sous-préfets.

61. Les sous-préfets représentent le Gouvernement dans les arrondissements. Leur autorité est très-restreinte. Ils ne sont en général que des agents de transmission, d’information, de surveillance.

Le sous-préfet a une autorité propre dans des questions de grande voirie. (L. 29 floréal an X, art. 3) et dans celle du recrutement. (L. 21 mars 1832, art. 10 et 12.) Il remplace le préfet dans les cas spécifiés à l’art. 17 du Code forestier ; il nomme les répartiteurs des contributions directes ; il délivre des commissions aux gardes champêtres communaux et agrée les gardes particuliers.

Comme le préfet, le sous-préfet est nommé par le chef de l’État.

art. 4. — maires.

62. Le maire est le chaînon qui relie l’administration à l’administré. C’est lui qui, en général, doit obtenir l’exécution effective des lois, des décrets et des décisions de l’autorité supérieure. Quoique hiérarchiquement subordonné au sous-préfet, au préfet, au ministre, ses pouvoirs sont très-étendus, très-variés, mais restreints aux limites de sa commune.

Il est à la fois :

Chargé directement par la loi de certaines fonctions ;

Agent de l’autorité supérieure ;

Chef de l’administration communale et représentant des intérêts communaux.

63. Comme délégué direct des lois, il est officier de l’état civil, officier de police judiciaire, enfin il est investi du droit de prendre des arrêtés sur les objets confiés par tes lois à sa vigilance. (L. 17 juill. 1837, art. 11.)

64. Comme agent de l’autorité, il est chargé de l’ordre public ; il transmet les décisions des fonctionnaires supérieurs ; veille à leur exécution ; vérifie ou contrôle les résultats obtenus ; en rend compte ; prend des informations ; en un mot, il est l’œil et le bras de l’administration supérieure dans la commune.

65. Comme chef de l’administration de la commune et comme organe de ses intérêts, le maire est chargé, sauf la surveillance de l’autorité supérieure :

1o  De la police municipale, de la police rurale et de la voirie municipale, et de pourvoir à l’exécution des actes de l’autorité supérieure qui y sont relatifs ;

2o  De la conservation et de l’administration des propriétés de la commune, et de faire en conséquence tous actes conservatoires de ses droits ;

3o  De la gestion des revenus ; de la surveillance des établissements communaux et de la comptabilité communale ;

4o  De la proposition du budget et de l’ordonnancement des dépenses ;

5o  De la direction des travaux communaux ;

6o  De souscrire des marchés, de passer des baux et les adjudications des travaux communaux, dans les formes établies par les lois et règlements ;

7o  De souscrire, dans les mêmes formes, les actes de vente, échange, partage, acceptation de dons ou legs, acquisition, transaction, lorsque ces actes ont été dûment autorisés ;

8o  De représenter la commune en justice, soit en demandant, soit en défendant. (L. 18 juillet 1837, art. 10.)

66. Le maire nomme à tous les emplois communaux pour lesquels la loi ne prescrit pas un mode spécial de nomination. Il suspend et révoque les titulaires de ces emplois.

67. Le maire peut déléguer une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints, et, en leur absence, aux conseillers municipaux qui sont appelés à en faire les fonctions.

68. Les fonctions des maires, ainsi que celles de leurs adjoints, sont essentiellement gratuites. Ces fonctionnaires sont, selon le régime politique en vigueur en France, soit nommés par le Gouvernement, soit élus. (Voy. Organisation communale.)

art. 5. — commissaires de police.

69. Les commissaires de police sont des agents du Gouvernement chargés, sous l’autorité immédiate du maire, de tout ce qui est relatif tant à la police générale, qu’à la police municipale.

Leurs attributions de police générale embrassent tout ce qui concerne :

La sûreté et la tranquillité de l’État, notamment les passe-ports, permis de séjour, les attroupements, le port d’armes ;

Les mœurs, comme la surveillance des maisons publiques, de la mendicité et du vagabondage, des gravures ;

La police des réunions publiques, telles que concerts, théâtres, fêtes publiques, églises, etc.

Comme auxiliaires du maire, les commissaires de police sont chargés :

De maintenir la liberté et la sûreté de la circulation (petite voirie) ;

De surveiller la salubrité des rues et maisons ;

D’organiser les premiers secours en cas d’incendie, d’inondation et d’autres fléaux ;

De veiller à la sûreté du commerce, etc.

art. 6. — agents financiers.

70. L’administration financière a des agents spéciaux pour chacun des nombreux services qui la composent. Tels sont les directeurs, inspecteurs, contrôleurs, receveurs, percepteurs des contributions directes ou indirectes, ainsi que des douanes ; les receveurs de l’enregistrement ; les directeurs, inspecteurs et receveurs des postes, et même les facteurs ; les conservateurs, inspecteurs, gardes généraux des forêts ; les agents de l’administration des tabacs, etc.

Chacune de ces classes d’agents a des attributions particulières, dont on trouvera la nomenclature aux articles spéciaux.

art. 7. — intendants militaires.

71. Les nécessités du service ont fait créer en 1817, sous le nom d’intendants militaires, un corps d’agents administratifs dépendant du ministère de la guerre.

Les intendants contrôlent les comptes produits par les officiers comptables des corps de troupes ; ils ordonnancent les mandats de paiement ; ils veillent à ce que les soldats reçoivent exactement toutes les prestations en deniers et en nature auxquelles ils ont droit ; ils sont spécialement chargés du service des subsistances, des fourrages, du chauffage, de l’habillement, du campement, des transports et convois, des lits militaires, en un mot, ils sont chargés de pourvoir aux besoins de l’armée.

Le corps des intendants est composé d’intendants généraux, d’intendants, de sous-intendants. Ils sont nommés par le chef de l’État.

art. 8. — préfets maritimes, commissaires de la marine.

72. Comme le département de la guerre, celui de la marine a senti la nécessité de confier à des agents spéciaux la partie administrative de ce service public. Cette attribution a été conférée à cinq préfets maritimes, et surtout au corps du commissariat. Il y a des commissaires généraux, des commissaires, commissaires adjoints, des sous-commissaires, aides, et élèves-commissaires.

art. 9. — ingénieurs des ponts et chaussées et des mines.

73. Les importantes attributions du ministère des travaux publics sont représentées par des inspecteurs généraux, des ingénieurs en chef et des ingénieurs ordinaires des ponts et chaussées et des mines, par des inspecteurs de la navigation, officiers et maîtres de port, etc.

art. 10. — recteurs, inspecteurs.

74. Le ministère de l’instruction publique et des cultes fait diriger et surveiller l’enseignement par les recteurs et par des inspecteurs de tous grades.

art. 11. — autres agents.

75. En outre des divers fonctionnaires dont nous venons de faire une énumération rapide, il convient de mentionner des agents spéciaux, qui n’ont qu’une mission de contrôle et de surveillance, ou seulement consultative, Ce sont les inspecteurs généraux de l’agriculture, des bureaux de bienfaisance et autres établissements publics, des archives, des monuments historiques ; enfin les agents inférieurs des diverses administrations centrales et locales, dont les services, quelque infimes qu’ils soient, contribuent tous à maintenir dans un mouvement régulier le grand et admirable mécanisme de l’administration française.

Sect. 3. — Conseils.

76. Si l’action administrative est prompte et énergique, parce qu’elle est concentrée entre les mains d’un seul, elle n’est éclairée que parce que, à chaque degré de la hiérarchie, le fonctionnaire est entouré d’un conseil dont les discussions l’éclairent, et qui lui fournit les éléments de ses décisions.

En général, l’agent administratif est libre de consulter ou de ne pas consulter le conseil ou les conseils qui lui sont adjoints ; mais souvent les lois ou les règlements lui prescrivent de les entendre. Toutefois, que l’avis d’un conseil soit demandé librement ou imposé par la législation, il est établi en principe qu’il ne lie pas le fonctionnaire, qui reste libre de prendre, sous sa responsabilité, une décision conforme ou opposée.

77. En effet, comme l’a démontré Macarel, cette régie est indispensable pour maintenir la liberté d’action, sans laquelle les administrateurs ne pourraient atteindre promptement et sûrement le but qu’ils se proposent et qui leur est indiqué. C’est du chef du gouvernement seul que les agents administratifs de tous les degrés doivent recevoir leur impulsion : ces agents ne la recevraient pas de lui seul, s’ils étaient obligés de se conformer aux délibérations des conseils dont chacun d’eux est assisté.

78. La plupart des conseils dans les délibérations desquels l’administration puise des lumières, sont permanents. Les membres de quelques-uns de ces conseils sont nommés par le chef de l’État, par le ministre, par le préfet même ; les membres d’autres conseils sont élus par leurs concitoyens. Les conseils élus ne sont pas tous des corps purement consultatifs ; les conseils généraux, d’arrondissement et municipaux ont aussi des pouvoirs délibératifs. (Voy. les articles spéciaux.)

Les membres des conseils nommés par l’administration sont révocables par celui qui les a nommés, les conseils élus restent en fonctions pendant une période fixée par la loi, sauf dans certains cas déterminés. Mais alors le Gouvernement ne peut pas destituer l’un des membres élus ; il ne peut que dissoudre la réunion et la renvoyer de nouveau devant les électeurs.

79. Les besoins du service rendent quelquefois nécessaire la création de conseils chargés de la solution d’une question spéciale, et qui sont dissous de droit quand leur tâche est terminée. Les conseils appartenant à cette classe sont habituellement nommés commissions, tandis que les autres portent le titre de conseils, comités, commissions (permanentes), chambres.

Dans notre rapide revue des conseils administratifs et de leurs attributions, nous nous bornerons à les classer d’après le rang hiérarchique du fonctionnaire qui a le droit de les consulter.

art. 1. — conseils qui entourent le chef de l’état.

80. Ils sont au nombre de deux : le Conseil des ministres et le Conseil d’État. Ce dernier, cependant, peut également être consulté par les ministres.

Selon le régime politique, le Conseil des ministres est une réunion dont les membres sont unis entre eux par une solidarité étroite et qui a des attributions propres déterminées par les lois, ou aussi (régime impérial) chaque ministre n’est responsable que des mesures ou décisions qu’il provoque individuellement. Toutefois, même à ces époques, les ministres se réunissent en conseil et délibèrent sur les questions qui leur sont soumises par le chef de l’État ou par l’un d’entre eux. Le président du Conseil d’État a été longtemps appelé à faire partie du Conseil des ministres.

81. Le Conseil d’État, dans le sein duquel les ministres ont voix délibérative, a des attributions très-variées.

Selon la loi de 1872, il donne son avis sur les projets d’initiative parlementaire que l’Assemblée nationale lui renvoie, mais la Constitution de 1852 le chargeait de rédiger les projets de loi que le Gouvernement se proposait de soumettre au Corps législatif, et ses orateurs en soutenaient la discussion devant ce corps, d’abord seuls, puis en concurrence avec les ministres.

Il donne son avis sur les règlements d’administration publique et sur les décrets qui doivent en avoir la forme, que cette condition soit exprimée dans une loi ou remplie librement par le Gouvernement.

Il est consulté chaque fois que le Gouvernement juge à propos d’avoir recours à ses lumières.

Il forme le tribunal administratif qui juge en dernier ressort les affaires contentieuses.

Sous le régime monarchique, il arbitre les conflits qui peuvent s’élever entre l’administration et l’autorité judiciaire ; sous le régime républicain, il fournit la moitié des membres du tribunal des conflits, la Cour de cassation fournit l’autre moitié.

Il contribue à la tutelle administrative des établissements publics, et avant 1870 aucun fonctionnaire ne pouvait être poursuivi pour faits administratifs sans son autorisation.

Le Conseil d’État se divise en sections composées chacune d’un président, d’un certain nombre de conseillers d’État, de maîtres des requêtes et d’auditeurs. Il est des matières qui sont seulement soumises à la section compétente, et d’autres qui sont discutées d’abord dans la section spéciale et ensuite dans l’assemblée générale.

Les conseillers d’État, les maîtres des requêtes et les auditeurs sont nommés par le Gouvernement, les auditeurs après un concours qui est souvent très-sérieux et très-brillant.

art. 2. — conseils attachés aux divers ministères.

82. Il existe auprès de chaque ministère un nombre plus ou moins grand de conseils chargés de donner leur avis sur les questions techniques ou administratives qui leur sont renvoyées. Parmi ces conseils il en est dont les membres reçoivent un traitement fixe ou des jetons de présence, et d’autres qui fonctionnent gratuitement. Pour la plupart d’entre eux, les nominations se font par décret, pour quelques-uns seulement par arrêté ministériel.

83. Voici, à titre d’exemple, quelques-uns de ces conseils par ministères :

Justice. Conseil d’administration ; Comité pour l’examen des ouvrages dont l’impression gratuite est demandée.

Affaires étrangères. Comité consultatif du contentieux.

Finances. Commission des monnaies ; Comité consultatif des gravures. Dans les directions générales, les administrateurs forment un conseil.

Intérieur. Commission des archives départementales et communales ; Commission supérieure d’encouragement et de surveillance des sociétés de secours mutuels.

Guerre. Comités consultatifs d’état-major, de l’infanterie, de la cavalerie, de la gendarmerie, de l’artillerie, des fortifications, de l’Algérie ; Conseil de santé des armées ; Commission d’hygiène hippique ; Commission mixte des travaux publics.

Marine et colonies. Conseil d’amirauté ; Conseil des travaux de la marine ; Comité consultatif pour les affaires coloniales ; Comité consultatif du dépôt des cartes et plans ; Comité de surveillance des banques coloniales ; Commission supérieure de l’établissement des invalides de la marine ; Commission supérieure pour le perfectionnement de l’enseignement de l’école navale.

Instruction publique et des cultes. Conseil supérieur de l’instruction publique ; Comité de la langue, de l’histoire et des arts de la France ; Commission des arts et édifices religieux ; Comité des monuments historiques.

Agriculture et commerce. Commission du registre matricule pour l’inscription des animaux de race pure de l’espèce bovine (Herdbook) ; Commission des haras ; Commission du registre matricule pour l’inscription des chevaux de race pure (Studbook) ; Conseil supérieur du commerce, de l’agriculture et de l’industrie ; Comité consultatif des arts et manufactures ; Commission de surveillance des établissements tontiniers ; Commission de la caisse de retraites pour la vieillesse ; Comité consultatif d’hygiène publique de la France ; Commission pour la révision annuelle des valeurs de douanes à porter aux tableaux du commerce de la France.

Travaux publics. Conseil général des ponts et chaussées ; Conseil général des mines ; Comité consultatif des chemins de fer ; Commission des phares.

On peut ajouter à cette nomenclature les Chambres de commerce, les Chambres consultatives des arts et manufactures, et les Chambres consultatives d’agriculture, qui, à beaucoup d’égards, appartiennent à la classe suivante.

art. 3. — conseils départementaux.

84. Dans chaque département, le préfet est entouré de deux conseils aussi différents par leurs attributions que par leur origine. L’un, le Conseil de préfecture, est nommé par le Gouvernement ; l’autre, le Conseil général, est le résultat de l’élection.

85. Le conseil général a des attributions très-variées qui ont été successivement étendues d’abord en 1866, puis en 1871. Plus d’un est d’avis que la limite extrême des pouvoirs qui peuvent lui être conférés est atteint.

Ces attributions peuvent être rangées en plusieurs classes, nous ne les indiquerons ici que très-sommairement (voy. Conseil général) :

1o Le Conseil général répartit entre les divers arrondissements la quote-part des contributions attribuées au département par le pouvoir législatif, et statue sur les réclamations que les communes ou les arrondissements peuvent élever sur cette répartition. Il vote dans les limites tracées annuellement par les lois de finance, des centimes additionnels, ordinaires, extraordinaires. Il peut aussi voter des emprunts départementaux. Il dresse en outre le tableau des sections électorales.

Cette classe d’attributions est considérée comme une délégation spéciale du pouvoir législatif.

2o Il statue sur presque tout ce qui est relatif à la gestion des intérêts du département. Il vote le budget des dépenses départementales et reçoit les comptes du préfet. Les délibérations par lesquelles les Conseils généraux statuent définitivement sont exécutoires si, dans le délai de vingt jours, à partir de la clôture de la session, le préfet n’en a pas demandé l’annulation pour excès de pouvoir ou violation d’une loi.

3o Il délibère sur un certain nombre d’objets relatifs surtout aux propriétés départementales. Ces délibérations ne sont exécutoires qu’après avoir été approuvées par le Gouvernement.

4o Il donne son avis sur plusieurs points d’administration départementale, déterminés à l’art. 50 de la loi de 1871, ainsi que sur toutes les questions qui pourraient lui être soumises.

5o Il formule des vœux (non politiques) sur les besoins du département.

86. Les membres du Conseil général sont élus par les électeurs politiques au nombre d’un par canton. La loi du 22 juin 1833 avait limité à trente le nombre des membres du conseil général, mais le décret du 3 juillet 1848 a supprimé cette restriction. Les présidents, vice-présidents et secrétaires qui étaient nommés, pour chaque session, par l’empereur (L. 7 juillet. 1852), sont maintenant élus par leurs collègues. (L. 10 août 1871.)

87. La mission principale du Conseil de préfecture consiste dans le jugement du contentieux administratif. Mais en dehors de cette tâche il lui reste encore des attributions importantes de l’ordre consultatif. Plusieurs lois et règlements administratifs ont prescrit au préfet de le consulter dans des cas déterminés, mais toujours sans imposer son avis à ce magistrat. Souvent aussi le préfet consulte spontanément le Conseil de préfecture ; mais, dans ce dernier cas, l’avis du Conseil n’a pas de caractère officiel.

Parmi les autres attributions du Conseil de préfecture, nous ne mentionnerons que le suivant : il juge les comptes des communes et des établissements publics, dont le revenu n’excède pas 30,000 fr., sauf recours à la Cour des comptes.

Les conseillers de préfecture, dont le nombre est de 3 ou 4 par département (à l’exception de celui de la Seine), sont nommés par le chef de l’État.

88. Dans chaque département fonctionnent en outre un grand nombre de conseils et de commissions permanentes, appelés à seconder le préfet dans les divers services qui lui sont confiés. Nous en avons déjà mentionné quelques-uns plus haut (no 83) ; mais nous ne croyons devoir énumérer leurs attributions que dans les articles spéciaux consacrés à chacun de ces services.

art. 4. — conseils fonctionnant dans l’arrondissement.

89. Nous nous bornons à citer le Conseil d’arrondissement, dont les attributions, peu étendues d’ailleurs, sont déterminées par la loi du 10 mai 1838. (Voy. Arrondissement.)

art. 5. — conseils communaux.

90. Ils se composent du Conseil municipal et de plusieurs Conseils spéciaux. Si le chef de l’administration communale, le maire, réunit en lui des attributions relatives à l’intérêt général et à l’intérêt local, le conseil municipal ne délibère que sur des affaires communales. Ses pouvoirs que la loi du 18 juillet 1837 avaient déjà développés, l’ont été davantage par la loi de 1855 et surtout par celle de 1867. En 1875 on songe à les étendre encore. (Voy. Organis. comm.) On n’ira cependant pas jusqu’à donner aux communes une autonomie complète. De même que la liberté de l’individu est limitée par les exigences de l’intérêt général (il ne peut pas refuser de payer l’impôt, ni de s’enrôler dans l’armée), de même les droits des communes sont-ils restreints par les nécessités de l’État et même la prévoyance sociale. (Voy. Centralisation.)

91. Les membres du Conseil municipal sont élus par les habitants de la commune ; leurs fonctions sont gratuites ; ils ne se réunissent que lorsqu’ils sont convoyés dans la forme prescrite. Le Conseil peut être suspendu par le préfet et dissous par le Gouvernement.

92. On peut encore classer parmi les Conseils communaux les réunions suivantes :

La Commission des répartiteurs, chargée de répartir entre les contribuables le contingent attribué à la commune ; les Commissions administratives des hospices, des bureaux de bienfaisance, des maisons de refuge ; les Conseils des monts-de-piété, des caisses d’épargne ; les Conseils de fabrique, etc.

Sect. 4. — Juges administratifs.

93. L’organisation hiérarchique de toute administration a dû nécessairement inspirer de très-bonne heure aux administrés la pensée d’en appeler à l’autorité supérieure lorsqu’ils se croyaient lésés par les décisions d’un fonctionnaire d’un rang moins élevé. Dans les affaires purement gracieuses, c’est-à-dire dont la décision a été abandonnée à l’appréciation de l’administration, cet appel ou ce recours est, en effet, le seul rationnel, le seul possible. Il n’en est plus de même dans les affaires contentieuses. Celles-ci ne comprennent que des faits où un droit privé a été méconnu, où la propriété particulière est engagée, où il s’agit, non d’accorder une faveur, mais de faire justice. Tout en réservant aux agents administratifs la connaissance de certaines affaires, il fallait donc des juridictions proprement dites faisant partie de l’administration, mais conservant une existence et un caractère propres. Quelques personnes ont pensé que les affaires contentieuses devaient être jugées par les tribunaux ordinaires, mais cette opinion n’a pas prévalu ; on trouvera les arguments en faveur de la nécessité des juridictions administratives au mot spécial consacré à cette matière. (Voy. aussi plus haut, no 19 et suiv.) Ici nous nous bornons à indiquer en quelques traits les principales juridictions administratives.

art. 1. — juridictions personnelles.

94. Les affaires réservées au jugement d’un seul, toujours sauf recours soit à l’autorité administrative supérieure, soit aux tribunaux administratifs proprement dits, ont en général un caractère d’urgence, ou elles ne représentent que des contestations peu importantes entre particuliers, élevées à l’occasion d’un acte administratif ; ou enfin elles appartiennent à quelques cas spéciaux pour lesquels il est nécessaire de rapprocher des justiciables le juge qui doit statuer sur leurs réclamations.

Nous avons cru voir, du reste, que quelques lois déjà anciennes ont investi certains fonctionnaires du droit de juger des contestations déterminées, sans que le législateur parût avoir conscience de la portée de ces dispositions. Si les juridictions administratives datent de loin, ce n’est que dans les derniers temps qu’on a cherché à en fixer les principes.

95. Sont investis d’une juridiction contentieuse personnelle les maires, les sous-préfets, les préfets et les ministres :

Les maires, en matière de voirie, de roulage, de courses de chevaux, de contributions indirectes, de logement de gens de guerre, etc. ;

Les sous-préfets, en matière de navigation et de recrutement ;

Les préfets, d’abord comme seconde instance dans la plupart des cas précédents, et seuls ou en conseil de préfecture dans un certain nombre de cas déterminés par des lois spéciales, par exemple : D. 17 mai 1809 (art. 136) ; L. 21 avril 1810 (art. 64) ; D. 15 octobre 1810 (art. 7) ; L. 28 avril 1816 (art. 70 et 78) ; L. 27 avril 1828 (art. 7) ;

Les ministres, enfin, ont à prononcer très-souvent entre des intérêts privés et des intérêts généraux ; dans ce cas, leurs décisions sont susceptibles d’un recours au Conseil d’État.

art. 2. — juridictions collectives.

96. Les juridictions administratives collectives sont très-nombreuses, mais la compétence de la plupart est bornée aux contestations qui s’élèvent à propos d’un service public spécial. Tels sont les Tribunaux universitaires ; les Jurys d’expropriation ; les Conseils de recensement ou de révision en matière de recrutement ; le Conseil des prises ; et, à un certain point de vue, la Cour des comptes. Les seules juridictions qui connaissent de presque toutes les matières contentieuses sont les Conseils de préfecture et le Conseil d’État. Nous nous bornerons ici à donner un aperçu des attributions principales de ces deux dernières, ainsi que de la Cour des comptes, dont la position est exceptionnelle, parce qu’elle réunit les caractères des juridictions administrative et judiciaire.

§ 1. — Conseil de préfecture.

97. Le Conseil de préfecture est le tribunal administratif qui connaît des affaires les plus variées ; toutefois, il n’a pas, comme les tribunaux civils, une juridiction universelle. On ne saurait donc lui attribuer tout le contentieux administratif qui n’aura pas été réservé à une autre juridiction, puisqu’il ne peut juger que les catégories d’affaires qui lui ont été expressément renvoyées par les lois.

Le Conseil de préfecture prononce en première instance et le pourvoi au Conseil d’État est ouvert contre ses jugements.

98. Comme tribunal administratif, le Conseil de préfecture a trois sortes d’attributions : il juge le contentieux ; il est chargé de la répression de certaines contraventions ; il apure des comptes.

1o Les affaires contentieuses qu’il est appelé à juger appartiennent aux contributions, aux droits, péages, redevances en faveur de l’État ; aux travaux publics, marchés et fournitures ; aux ventes de bois dans les forêts de l’État ; aux sources d’eaux minérales et à quelques autres propriétés de l’État ; à l’administration communale et aux établissements publics.

2o Le Conseil de préfecture est chargé de la répression des contraventions relatives à la grande voirie, à certaines servitudes militaires, au bureau des nourrices, etc.

3o Enfin, le Conseil de préfecture apure et juge les comptes des communes et des établissements hospitaliers dont le revenu est au-dessous de 30,000 fr. Le receveur peut se pourvoir devant la Cour des comptes contre les décisions du Conseil de préfecture.

§ 2. — Conseil d’État.

99. Au sommet des juridictions administratives nous trouvons le Conseil d’État. Tribunal de première instance dans quelques cas, il est bien plus souvent Cour d’appel, quelquefois même Cour de cassation en matière administrative.

Toutefois, ce n’est pas l’assemblée générale du Conseil d’État qui connaît des matières contentieuses, mais l’une de ses sections à laquelle sont adjoints des conseillers pris en nombre égal dans chacune des autres sections. Sous le gouvernement monarchique, le Conseil d’État est censé préparer les décisions du roi ou de l’empereur ; sous la république, les lois organiques ont investi le Conseil d’État d’une autorité propre en matière contentieuse.

100. Les matières contentieuses jugées par le Conseil d’État, peuvent être classées de différentes manières ; nous nous bornons à transcrire la classification adoptée par M. Dalloz, dans un rapport fait à la Chambre des députés en 1840.

Il est statué en Conseil d’État sur :

1o Les conflits d’attribution entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire. (Les républiques de 1848 et de 1870 ont fondé un tribunal des conflits formé de délégués du Conseil d’État et de la Cour de cassation [Voy. Conflit].) ;

2o Les questions de compétence qui s’élèvent entre les autorités administratives en matière contentieuse ;

3o Les recours dirigés, pour incompétence ou excès de pouvoir, contre toutes les décisions administratives ;

4o Les recours dirigés, pour violation des formes et de la loi, contre les arrêts de la Cour des comptes et autres décisions administratives rendues en dernier ressort, en matière contentieuse ;

5o Les recours dirigés contre les décisions administratives en matière contentieuse qui ne sont pas rendues en dernier ressort ;

6o Les oppositions formées à des ordonnances royales (ou à des décrets) et sur les demandes en interprétation de ces ordonnances (ou décrets) ;

7o Les affaires administratives contentieuses qui, en vertu de dispositions législatives ou réglementaires, doivent être directement soumises à son examen.

§ 3. — Cour des comptes.

101. Créée par la loi du 16 septembre 1807, la Cour des comptes participe du tribunal administratif et du tribunal judiciaire. Elle juge des matières administratives, prononce des amendes, et ses membres sont inamovibles. Il a été nécessaire de déroger en faveur de la Cour des comptes au principe de l’amovibilité des agents administratifs, parce qu’elle n’est pas, comme, par exemple, le Conseil de préfecture, chargée de décider soit entre particuliers, soit entre l’État et des particuliers, mais sur et contre des fonctionnaires, vis-à-vis desquels il fallait jouir d’une complète indépendance. En délimitant clairement ses attributions, et en lui refusant le droit de juger les motifs et les convenances des dépenses, il n’y avait pas à craindre que les décisions de la Cour pussent causer de préjudice à l’État, ou entraver la marche des services publics.

En effet, la Cour des comptes n’est chargée que d’apurer et d’examiner la régularité des comptes qui lui sont présentés par les receveurs des finances, les payeurs du Trésor public, les receveurs de l’enregistrement, et par un très-grand nombre d’autres agents comptables, dont les recettes dépassent 30,000 fr.

CHAP. V. — RÉSUMÉ.

102. En résumé, l’administration est composée de plusieurs rangs de fonctionnaires hiérarchiquement subordonnés les uns aux autres et répondant aux administrations communales, d’arrondissements, départementales et générales. Chacun de ces fonctionnaires, quoique investi directement d’une partie de l’autorité et de la puissance gouvernementale, s’appuie sur des conseils dont l’avis est souvent facultatif, quelquefois nécessaire, mais rarement décisif. Il y enfin plusieurs degrés de juridictions administratives qui ne sont nullement, comme l’ont dit quelques auteurs, tribunaux d’exception, ou un démembrement des tribunaux judiciaires, mais qui ont une autorité qui leur est propre, quoique d’un ordre différent, et dont les arrêts emportent exécution parée.

Ce système administratif, que nous venons d’esquisser à grands traits, trouve son développement dans les autres articles du Dictionnaire, auxquels nous renvoyons d’une manière générale. Disons en terminant que, malgré les critiques que peuvent mériter certains détails, notre organisation administrative est à la fois très-rationnelle et très-pratique ; elle a d’ailleurs servi de modèle à bien des pays. Maurice Block.

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Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, entre le cabinet du roi, les secrétaires d’État, le chancelier de France et les intendants et gouverneurs de provinces, les présidents, procureurs et avocats généraux des parlements, etc. Recueillie et mise en ordre par G. B. Depping ; t. Ier. États provinciaux, affaires municipales et communales ; in-4o. Paris, impr. nationale. 1850.

Supplément aux éléments de droit public et administratif, suivi d’un appendice contenant le texte de la Constitution de 1848, et les principaux décrets, lois et règlements publiés depuis la révolution ; par E. V. Foucart ; in-8o. Paris, Videcoq père et fils, 1850.

De l’administration intérieure de la France, par M. Ferdinand Béchard ; avec un appendice sur les lois municipales des principaux États de l’Europe, par M. Bergson ; 2 vol. in-12. Paris, Giraud et Dagneau, 1851.

Précis de droit administratif, par P. Pradier-Fodéré ; in-12. Paris, Durand. 1852. 7e édition mise au courant. Paris, Guillaumin. 1872. in-8o.

De l’administration et de ses réformes, par M. V. des Aubiers ; in-8o. Paris, P. Dupont. 1852.

Des formes et des procédés de l’administration, par M. Vivien ; Revue de législat. ; t. XLIII (1852), p. 22.

Journal du droit administratif ; par Chauveau Adolphe et Anselme Bathie ; 1re  année : t. Ier ; janvier à mai 1853 ; in-8o. Toulouse, impr. de Bonnal. 1853. (A été continué pendant une série d’années.)

Cours de droit public et administratif, mis en rapport avec la constitution et les lois nouvelles ; suivi d’un appendice de lois et de textes relatifs au droit constitutionnel et administratif ; par M. F. Laferrière. 5e édit., 2 vol. in-8o. Paris, Cotillon. 1860.

Manuel de droit administratif, par Émile Vauvilliers ; in-12. Paris, Cotillon. 1854. 2e édition, Durand. 1861.

Questions et traités du droit administratif, par Blanchet, 2e édition. Paris, Dupont, Joubert, Treuttel et Wurtz. 1853.

Questions et traités de droit administratif, par D. Serrigny ; in-8o. Paris, Durand. 1854.

Considérations sur l’enseignement du droit administratif, par M. Jules Mallain ; in-8o. Paris, Plon. 1857.

Des administrations départementales électives et collectives, par le baron de Girardot. Paris, Guillaumin. 1872. In-8o.

Cours d’administration et de droit administratif, par M. Macarel ; mis au courant de la législation, par M. A. de Pistoye ; 3e édition. In-8o. Paris, Plon. 1857.

Droit administratif, théorique et pratique, par M. J. Chantegrel ; in-8o. Paris, Masson. 1856. 2e édition. 1859.

Cours de droit administratif, contenant l’exposé des principes, le résumé de la législation administrative, etc., par Ducrocq ; in-8o. Paris, A. Durand. 1862. 1 vol. 4e édition, E. Thorin. 2 vol. in-8o. 1874.

Traité théorique et pratique du droit public et administratif, par Batbie, t. Ier Paris, Cotillon, 1861 ; t. II et III, 1862 ; t. IV, 1863 ; t. V et VI, 1867 ; t. VII, 1868.

Résumé de répétitions écrites sur le droit administratif, conformément au programme du ministre de l’instruction publique du 31 décembre 1862, par M. F. Bœuf. in-18. Paris, Dauvin. 1866. 4e édition ; in-18. Paris, Dauvin frères. 1873. Supplément au Résumé de droit administratif, par le même.

Catéchisme administratif, par Bouret ; in-18. Paris, P. Dupont. 1865.

L’administration sous l’ancien régime. Les intendants de la généralité d’Amiens, par Boyer de Sainte-Suzanne ; in-8o. Paris, P. Dupont. 1866.

Annuaire de l’administration française, par Maurice Block, faisant suite à la première édition du Dictionnaire de l’administration française ; in-12. Paris et Strasbourg, Ve Berger-Levrault et fils. 1861 à 1869.

Répertoire usuel de droit administratif ou Table de législation à l’usage des conseils de préfecture et utile aux fonctionnaires publics, par Noyer ; in-8o. Paris, Cotillon. 1869.

Leçons manuscrites de droit public et administratif, par M. A. Pellat. Nouvelle édition, in-8o. Paris, Marescq aîné. 1869.

Conférences sur l’administration et le droit administratif, par Léon Aucoc. Paris, Dunod ; 2 vol. in-8o. 1869 et 1870.

Exposé méthodique du droit administratif, contenant le Sénatus-Consulte du 20 avril 1870, par M. Prosper Rambaud, in-18. Paris, Pichon-Lamy et Dewez. 1870.

Administrations collectives de la France avant et depuis 89, par M. A. du Chatelliez ; in-8o. Paris, Guillaumin. 1870.

Lois de procédure civile et administrative, par M. G. L. J. Carré, t. VIII. 4e édition ; procédure administrative, par M. Ernest Tambour. Paris, Cosse, Marchal et Billard. 1873.

Lois administratives françaises ; recueil périodique contenant : 1o les lois, décrets et règlements ; 2o les dispositions qui ont précédé les règlements en vigueur, par MM. Vuatrin et Batbie ; 1re  partie : Organisation administrative ; in-8o à 2 col. Paris, Cotillon. 1873.

Code d’instruction administrative, lois de procédure administrative, suivi d’un formulaire de tous les actes d’instruction administrative, par M. Ad. Chauveau ; 4e édition, mise au courant de la législation par M. Ernest Tambour ; 2. vol. in-8o. Paris, Cosse, Marchal et Billard. 1873.

Répétitions écrites sur le droit administratif, par M. L. Cabantous ; 5e édition, mise au courant de la législation, par M. S. Liégeois. 2 vol. in-8o. Paris, Marescq aîné. 1874.

administration comparée.

L’administration est un élément indispensable dam l’organisation de tout État. Elle sera rudimentaire ou développée, très-compliquée même, selon que l’État sera jeune et peu étendu ou grand et d’ancienne formation, selon que la société sera plus ou moins civilisée ; mais de l’administration il en faudra toujours, peu ou prou. Il en faudra parce qu’elle représente l’action sociale, elle en est l’agent, ou, si l’on veut, l’instrument matériel. La volonté nationale se manifeste par la loi, le gouvernement est chargé de réaliser cette volonté, et le moyen qu’il emploie, c’est une organisation administrative. L’organisation doit nécessairement se compliquer à mesure que les besoins à satisfaire s’étendent et se multiplient, car, et ce point est d’importance capitale, il faut que la satisfaction de chaque besoin ait son organe, et que chaque organe ait son régulateur, qu’il soit dirigé, surveillé, contrôlé. Supposez un individu seul dans une île, il réunira en sa personne les pouvoirs législatif et exécutif, la volonté et l’action ; supposez maintenant que l’île est habitée par cinquante familles ; elles se réuniront évidemment pour discuter leurs intérêts ; elles prendront des décisions et chargeront l’un d’eux ou plusieurs d’entre eux de l’exécution. Si la société compte des milliers de familles, elle n’exprimera directement sa volonté que dans de grandes occasions elle sera représentée par un sénat, ou par un corps quelconque ; il y aura des consuls, ou un roi, un président chargé de l’exécution, et des fonctionnaires divers, payés ou non, ayant la mission de s’occuper des principaux besoins sociaux. Jamais peuple n’a pu se passer de gouvernement, c’est-à-dire que la volonté nationale, le pouvoir législatif, a toujours été dans la nécessité de constituer un pouvoir exécutif, dût-il l’élire dans son propre sein ; en revanche, on a vu fonctionner des gouvernements qui étaient dénués de tout organe spécial de la volonté nationale, mais alors, ou cette volonté avait un moyen quelconque, même indirect, de manifester et de faire respecter sa volonté, ou le gouvernement évitait spontanément, par goût ou par prudence, de la contrecarrer, sachant que s’il la bravait, il s’exposait à être brisé. (Voy. notre Dictionnaire général de la Politique.)

Nous venons de démontrer en quelques traits que l’administration est un organe essentiel dans tout État, nous devons ajouter que cet organe peut avoir des formes bien diverses. Il est donc nécessaire de distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire ou contingent : l’essentiel est que la fonction soit remplie. Le mode d’exécution, s’il est contingent, n’est cependant pas arbitraire, il est inspiré par les circonstances, il se forme peu à peu sous l’influence des événements, des mœurs, de la nature du pays ; il est donc presque impossible qu’il s’établisse subitement. Aussi la révolution de 1789 a-t-elle produit bien moins de changements qu’on le croit habituellement. Ce qu’elle a renversé avait été battu en brèche de longue main et ne tenait plus que par de faibles liens ; ce qu’elle a édifié — ou plutôt ce qui a été édifié successivement par les gouvernements postérieurs à 1789, se trouvait en germe dans l’administration antérieure ; elle s’est bornée le plus souvent à unifier les lois, à les rendre uniformes par amour pour l’égalité et la symétrie ; les « principes de 89 » ne sont pas nés dans la fameuse nuit du 4 août, ni le 3 septembre 1791 lors de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Tout le long du moyen âge et jusqu’à la Révolution, chaque siècle a vu revendiquer ces droits et ces principes, soit par l’organe des États généraux, soit par celui des parlements, ou par quelques publicistes courageux qui contribuèrent pour leur part à interrompre la prescription. La discussion se réduisait au fond alors à un seul point : les pouvoirs du roi sont-ils limités ou ne le sont-ils pas ? Souvent les rois, ou certains de leurs conseillers,
soutenaient l’omnipotence royale, mais ils étaient contredits par des autorités de premier ordre. On a toujours distingué entre les lois du royaume et les lois du roi : les premières n’ont pas été formulées d’une manière authentique, elles n’étaient pas non plus bien nombreuses ; mais peu importe, pourvu que la différence ait été admise, et qu’elle réponde plus ou moins à la distinction moderne entre les lois, qui émanent du pouvoir législatif, et les ordonnances ou décrets, qui émanent du pouvoir exécutif. Cette distinction est fondamentale, elle est la base du droit public français et elle est en train de s’établir partout en Europe ; il convient donc de nous y arrêter un moment.

Selon le droit public de la plupart des États constitutionnels, le chef du pouvoir exécutif tient tout son pouvoir des lois, et il ne peut prendre que les décisions nécessaires à leur mise à exécution. Dans quelques États monarchiques on accorde encore au prince un pouvoir propre qui l’autorise à régler les choses qui n’auraient pas été prévues par la loi, et même à faire, comme disent quelques constitutions allemandes, des lois provisoires. Les deux Chartes françaises attribuaient au roi le droit de faire « les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois ». La constitution de 1852 remplace purement et simplement le mot ordonnances par décrets ; aucun texte n’attribue donc expressément au prince le droit de prendre des décisions en l’absence de lois. Le fameux bill of rights adopté lors de l’avénement de Guillaume III (en 1689) se borne également à déclarer que le roi ne peut pas faire de loi sans le concours du parlement. Mais il est dans la mission naturelle du Gouvernement de pourvoir aux cas urgents, sous la responsabilité des ministres, et le bill d’indemnité est destiné à approuver ultérieurement les mesures prises sans le concours du législateur. Mais le bill d’indemnité ne s’applique qu’aux cas exceptionnels ; en temps ordinaire, le pouvoir exécutif, et avec lui l’administration, doivent rester dans les limites tracées par la législation, ou plus exactement, par la loi et les coutumes. Or, ces limites sont loin d’être identiques dans les divers États constitutionnels de l’Europe. Le domaine de la réglementation est vaste dans les pays où le pouvoir législatif a subi une éclipse plus ou moins longue, plus ou moins complète ; il est restreint dans les contrées où son influence est restée relativement intacte. Ce domaine s’est encore trouvé resserré par ce qui s’est conservé des anciennes franchises locales, ou, comme on dit maintenant, par le self-government. Or, nulle part l’action combinée de la représentation nationale et des immunités locales n’a été aussi puissante qu’en Angleterre, comme nous allons essayer de le démontrer en quelques traits.

L’Angleterre n’ayant pas eu, comme la France, à travailler à la constitution de son unité, a pu employer toutes ses forces soit à conquérir, soit à conserver sa liberté ; elle respecta la « prérogative du roi », mais elle sut augmenter de plus en plus les pouvoirs du parlement. L’histoire de ces luttes quelquefois sanglantes, mais le plus souvent pacifiques, inconscientes même, ne saurait entrer dans notre cadre, nous nous bornons à dire que, par un concours de circonstances que l’histoire a enregistrées, le domaine de la loi s’est étendu en Angleterre à beaucoup de matières qui, sur le continent, sont subordonnées à la réglementation administrative. On a ainsi réalisé le self-government. Le gouvernement par soi-même est sans doute une chose extrêmement désirable, mais c’est peut-être aussi un idéal, c’est-à-dire une chose vers laquelle on doit tendre constamment, mais qu’on n’atteint jamais. Du moins, le self-government anglais, qu’on considère comme le plus parfait qui ait été réalisé, n’a été qu’un gouvernement aristocratique dans laquelle la naissance a donné le droit (lords), ou beaucoup de chance (gentry, grands propriétaires) à certains privilégiés de prendre part au gouvernement, mais dans lequel les masses, tout en jouissant de précieuses libertés civiles, étaient de fait exclues de tout droit politique ; elles ne possédaient pas la « franchise » (électorale). De nos jours, la constitution anglaise se démocratise, mais à mesure que les droit politiques vont chercher des couches sociales de moins en moins élevées, le self-government s’en va et l’administration s’étend. Il convient de dire que ce mouvement — qui ressemble quelque peu à une réaction dans un sens démocratique — s’accélère à mesure, d’une part, que la responsabilité ministérielle se développe ou s’accuse davantage, et de l’autre, que le pays devient plus riche et que l’industrie et le commerce parviennent mieux à rivaliser avec les fortunes territoriales.

Les deux liens civils — nous n’avons pas à parler ici des liens moraux — de toute société sont : le respect de la liberté individuelle et le droit de propriété. Dans tous les pays civilisés, la liberté et la propriété sont du domaine de la loi et de la compétence des tribunaux juridiques. Aucun gouvernement ne les viole impunément à la longue. Les Anglais en avaient fait le pivot de leur législation politique, et comme la propriété était relativement en peu de mains, une minorité seulement en profitait d’abord. Mais le bienfait s’étend de plus en plus ; toutefois, l’organisation administrative en est encore peu affectée. En d’autres termes, le parlement règle un grand nombre de matières dans tous leurs détails et ne laisse, en ces matières, rien ou presque rien à faire au pouvoir exécutif. Aussi cette formule créée en France et imitée par presque tout le continent : tel ministre est chargé de l’exécution, est presque inconnue en Angleterre. La loi règle tout ce qui touche de près ou de loin à la liberté ou à la propriété des citoyens ; chacun doit obéissance à la loi, et si quelqu’un est lésé par la transgression de ses prescriptions, il ne lui reste qu’une voie de redressement, l’action judiciaire, la plainte. Aussi est-ce rarement l’administration, si ce n’est dans des lois toutes modernes, qui procure l’exécution des lois, c’est presque toujours la justice. Il n’y a pas de contentieux administratif en Angleterre, tout abus de pouvoir étant justiciable des tribunaux. Ce n’est pas un article 75 destiné à protéger l’agent de l’administration qu’on a songé à faire en Angleterre, mais une loi pour protéger le juge (act 11 et 12 Vict. c. 44). Car ce juge — le juge de paix — exerce dans bien des cas un pouvoir administratif ; il peut se tromper de bonne foi et causer un dommage au citoyen. Celui-ci peut prendre le juge à partie, mais le magistrat ne pourra être condamné pour un acte commis dans l’exercice de ses fonctions, que si le plaignant prouve que l’act was done maliciously and without reasonable et probable cause, qu’il constitue un abus de pouvoir. Sans cette loi de protection, on n’aurait plus trouvé de juge de paix ; or c’est sur eux que repose en grande partie le self-government et plus spécialement la sécurité publique.

Eh bien, les juges de paix, auxquels il faut ajouter le shérif et le lord-lieutenant (voy. Département) qui gouvernent par eux-mêmes, sont nommés par le gouvernement parmi les propriétaires du comté. Ils sont juges et exercent, nous le répétons, en même temps les attributions administratives très-étendues qui se rattachent à la police. Ils peuvent même imposer des rates (impositions) aux habitants du comté. Et pourtant, jusqu’au xviiie siècle, toute affaire entre leurs mains pouvait être évoquée par le Banc du Roi ou par un autre tribunal supérieur (certiorari) et retiré ainsi au self-government. C’est que le juge de paix, ou comme on disait d’abord, Custos pacis, représente avant tout le roi, le conservateur par excellence de la paix publique. C’est peut-être aussi comme garant de la paix, peut-être seulement comme autorité supérieure locale, qu’ils ont un certain droit de contrôle ou de tutelle sur les communes rurales. Mais pour exercer ce droit ils doivent siéger au moins au nombre de deux, en « session trimestrielle ». Le nombre des juges de paix est assez grand par comté (département ou arrondissement), il dépasse quelquefois cent, mais plus de la moitié d’entre eux considèrent le titre comme purement honorifique, les autres sont seuls actifs. C’est que la fonction n’est pas rétribuée et est aussi parfois ennuyeuse ; elle est cependant recherchée. Toutefois, en cas de nécessité, un habitant du comté remplissant les conditions légales pourrait être forcé d’accepter la « commission » de juge de paix.

Nous avons dit que le parlement englobe dans ses lois les règlements d’exécution, mais il va plus loin encore, il se réserve la décision dans un grand nombre d’affaires qui, sur le continent, sont attribuées au pouvoir exécutif. C’est l’institution connue sous le nom de Private bills, comprenant les lois d’intérêt local et les lois d’intérêt individuel. On trouve facilement l’exposé de la procédure, mais ce n’est pas sans peine que nous avons pu relever dans les Parliamentary Papers une liste à peu près complète des matières dont la décision incombe au parlement. Nous allons donner cette liste, en faisant remarquer que plusieurs des matières ci-après sont presque partout du domaine de la loi, mais que l’administration en prépare du moins les éléments : en Angleterre, l’instruction de l’affaire, l’enquête de commodo, tout se fait par un comité spécial du parlement. Voici cette liste :

1o Chartes d’incorporation, c’est-à-dire déclaration d’établissement public ou d’établissement d’utilité publique, même seulement de personne civile (la qualité de personne civile s’obtient pour les compagnies commerciales et les sociétés de secours mutuels, par une déclaration devant le Registrar).

2o Tutelle en matière communale dans les cities et towns (villes) : pavage, éclairage, nettoyage, améliorations diverses ; — construction ou réparation de marchés publics ; — tribunal local ; — constitutions de magistrats et fonctionnaires rétribués (au lieu de non rétribués) ; — propriétés communales ; — construction et réparation d’églises ou de chapelles ; — cimetières ; — constitution d’une police ; — distribution d’eau ; — autorisation de plaider.

3o Affaires relatives au comté : Shire Hall (hôtel du comté) ; — tribunal comtal ; — prisons ; — taxes comtales.

4o Mainmorte ; — biens de la couronne, des églises, des corporations, des fondations.

5o Assistance publique, taxe des pauvres (en tant qu’il s’agit de modifier la loi, car une administration spéciale est chargée de l’exécution des lois en vigueur).

6o Clôtures, drainage et autres améliorations du sol.

7o Chemins de fer.

8o Routes (turnpik or other public carriage roads), ce qui exclut les sentiers et même les chemins purement ruraux.

9o Voirie urbaine : rues, quais, égouts.

10o Tunnels, viaducs, aqueducs, ponts, tranchées.

11o Navigation, pêche, bacs, canaux.

12o Ports et havres, jetées, docks ou magasins publics, réservoirs.

13o Divers, prolongation de lettres-patentes, autorisation de se remarier après un divorce, etc.

Ainsi donc, la loi prédomine. Toutefois, le parlement prend de plus en plus l’habitude de charger le Gouvernement de la rédaction du règlement d’administration publique ou de lui donner pouvoir « empower » de faire des règlements. Il en résulte une extension croissante de l’action administrative, mouvement qui s’accélère par le fait que le self-government, c’est-à-dire l’administration gratuite, cède de plus en plus ses fonctions actives à des agents salariés. (Voy. Organisation communale, administration comparée.) La loi y consent, mais se borne à l’autoriser. Malgré ce mouvement, il faudra encore bien du temps avant que l’administration anglaise ressemble aux administrations du continent ayant un pouvoir réglementaire propre de quelque étendue. En attendant, c’est surtout pour l’enregistrement, l’inspection et le contrôle qu’elle est instituée. (Voy. sur l’administration anglaise le grand ouvrage de M. Gneist, qui a été traduit en français et même en anglais.)

Nulle part peut-être l’administration ne disparaît autant qu’aux États-Unis de l’Amérique du Nord. Cela vient de ce que les États formant l’Union sont souverains en matière administrative et en même temps peu étendus et faiblement peuplés, ou plutôt qu’ils ont été fondés dans des déserts par des populations désireuses et souvent obligées de faire tout par elles-mêmes. Un État de l’Union américaine peut être comparé à une pyramide composée de trois assises : en bas les municipalités ou towns, au milieu les comtés embrassant plusieurs municipalités, en haut l’État. Le pouvoir exécutif a plutôt les attributions gouvernementales que les attributions administratives ; il nomme des juges et des agents de police, quelques autres fonctionnaires, et s’en repose pour le reste sur le comté. La plupart de ces fonctionnaires n’ont qu’une voix consultative, comme les membres des bureaux (comités ou commissions) de l’instruction publique, d’hygiène publique, de charité publique, des chemins de fer, en tant que ces matières embrassent l’État entier.

Les comtés ont la charge des tribunaux de première instance et de police, des prisons, des ponts et chaussées, et quelques attributions accessoires comprenant souvent l’assistance publique, la construction et l’entretien des bâtiments publics pour le service du comté. Il leur faut naturellement aussi une caisse, mais sauf un seul cas, jusqu’à présent (1874), jamais compte de ces dépenses n’a été rendu au gouvernement de l’État. Cependant, le comté n’est pas un État dans l’État, car ses juges de paix, qui se réunissent également en sessions trimestrielles, sont nommés par le Gouvernement.

C’est dans la commune surtout que réside ce que nous considérons comme l’administration, parce que ce sont ses agents qui exécutent le plus grand nombre de lois. Mais la commune est loin d’être omnipotente, elle est soumise aux lois de l’État, qui règlent la compétence municipale, mettant ainsi entre les mains de chaque citoyen le droit de forcer judiciairement les fonctionnaires municipaux de faire leur devoir. (Par exemple, si la loi oblige l’agent voyer de faire balayer les rues, tout citoyen peut le traduire devant le juge de paix et le faire condamner à l’amende si le nettoyage n’a pas eu lieu.)

Le gouvernement central des États-Unis n’a également qu’un pouvoir administratif restreint, quoiqu’il ait la nomination d’un grand nombre de fonctionnaires. La loi américaine est aussi minutieuse, aussi réglementaire que la loi anglaise, et laisse peu ou rien à faire au pouvoir exécutif. D’ailleurs, la constitution fédérale a réservé au congrès le droit de faire les lois et les règlements. D’un autre côté, le pays étant divisé en États, le pouvoir central n’a pas besoin d’agents provinciaux, si ce n’est des douaniers ou des agents de la poste.

Passons à ce qu’on pourrait appeler les États-Unis d’Europe, la Suisse. Les cantons sont en effet dans la situation des États mi-souverains qui composent l’union américaine. La Suisse est pénétrée de l’esprit européen ou plus exactement de l’esprit continental. Jusque dans les très-petits cantons, où le pouvoir législatif est retenu et exercé par l’ensemble des citoyens, le pouvoir exécutif jouit du droit de réglementation, mais il n’y a d’administration que dans les cantons d’une certaine étendue. Le gouvernement central de la république exerce le pouvoir exécutif et réglementaire, mais l’organisation cantonale ne permet pas d’étendre l’administration. En résumé, malgré la forme républicaine ultra-démocratique, malgré la loi qui défend d’instituer des juges, des fonctionnaires ou des employés à vie, malgré la division en cantons, la Suisse a toute l’administration que son étendue comporte, et elle reconnaît au pouvoir exécutif (conseil fédéral) un certain droit de réglementation (art. 102 de la Constitution).

Ajoutons que ni l’Angleterre, ni les États-Unis, ni la Suisse ne connaissent les tribunaux administratifs qui, sinon inventés, du moins transformés, systématisés et perfectionnés en France, sont en train de s’établir dans le reste de l’Europe. Les principes généraux de notre administration, à cause de leur clarté et de la logique qui les caractérisent, de l’aveu de tous (voy. par exemple le remarquable Traité d’administration de M. Lorenz de Stein, professeur à Vienne), se répandent de plus en plus et inspirent les législations des autres pays. Nous pouvons donc nous contenter ici de jeter un coup d’œil sur l’administration prussienne.

La Prusse est, en effet, avec la France, le pays qui a le plus contribué au progrès de l’administration pratique. Pour la théorie, elle ne vient qu’après la France, et la cause en est que le système constitutionnel y a été introduit beaucoup plus tard. Tant que le droit public d’un pays ne distingue pas entre la loi et l’ordonnance ou le décret, les mesures prises par l’autorité peuvent être excellentes en pratique, mais elles ne contribuent pas à éclaircir la nature des rapports qui existent entre le gouvernement et les citoyens. La loi ne se distingue du règlement administratif (ordonnance, décret, arrêté royal et en général tout acte du pouvoir exécutif) que lorsqu’il y a un pouvoir législatif distinct. Or, avant 1848, le roi de Prusse faisait les lois et présidait à leur exécution, il réunissait tous les pouvoirs. Pourtant, et voilà précisément le point remarquable, même dans ce gouvernement absolu, on est parvenu à établir une distinction assez profonde, quoique un peu confuse, entre la loi et le règlement, et l’on y est parvenu par une organisation rationnelle de l’administration, par l’inamovibilité des fonctionnaires admis après examen, et dans certains cas aussi, par leur réunion en colléges. On s’est borné à donner aux fonctionnaires un pouvoir propre bien déterminé, dont l’exercice est soumis à une surveillance sérieuse, opérant ainsi une décentralisation effective qui, si elle n’équivalait pas au système libéral qui peut seul satisfaire le sentiment moderne, n’était pas sans valeur pratique. Le pivot du système est ou était dans les gouvernements des districts (ou départements) créés par les ordonnances des 3 juin 1814 et 30 avril 1815 et complétés par les instructions des 23 octobre 1817 et 31 décembre 1825. Ces gouvernements (Regierung, qu’on traduit parfois, mais à tort, par Régence) étaient et sont encore composés d’autant de membres qu’il y a d’attributions principales : ainsi il y a des conseillers des finances, de l’instruction publique, du culte, des travaux publics, etc., s’occupant chacun de son attribution spéciale (Decernat), décidant les affaires peu importantes et soumettant les affaires plus graves à la délibération du gouvernement, soit à une des sections, soit à l’assemblée générale (Plenum). Les affaires importantes sont signées par le président du gouvernement, qui répond à beaucoup d’égard à nos préfets, comme les conseillers correspondent à nos chefs de division et de bureau des préfectures ; mais dans une certaine mesure seulement, car en France ces indispensables agents de l’administration sont des employés nommés par le préfet et n’ont aucun pouvoir, tandis que les conseillers prussiens sont des fonctionnaires nommés par le roi et exercent une certaine autorité. Ces gouvernements sont encore des administrations collectives, mais comme chaque membre a son attribution déterminée, il en est responsable tant envers le président du gouvernement qu’envers le ministre auquel l’attribution ressortit et qui en surveille le titulaire. Il est question d’augmenter les pouvoirs du président, ce qui rapprocherait davantage ses fonctions de celles du préfet.

Notons que les gouvernements peuvent faire tous les règlements nécessaires pour l’exécution des lois dans leur district, et il leur est enjoint, d’une part, de tenir compte des particularités locales, usages, mœurs, droits spéciaux, et de l’autre de ne pas demander des instructions ministérielles dans des cas où ils ont reçu pouvoir de décider par eux-mêmes. On tient beaucoup en Prusse à respecter les « particularités locales », aussi l’administration n’est-elle pas complètement symétrique, puisque après l’annexion du Hanovre on a conservé les Drossaris ou préfets avec une organisation spéciale. (Il se prépare, du reste, des modifications destinées à la fois à rendre l’administration uniforme et peut-être moins centralisée. [Voy. Départements.])

Le gouvernement des districts, avons-nous dit, représente notre préfecture, l’administration revendique en outre les chefs des provinces (présidents supérieurs) et les directeurs des arrondissements ou sous-préfets (Landrath) dont il nous reste à parler. Le président supérieur est une sorte d’agent politique, car ses attributions administratives ne sont pas nombreuses ; il représente le gouvernement auprès des États provinciaux, qui correspondent dans une certaine mesure à nos conseils généraux. Nous en reparlerons ailleurs.

Le Landrath ou directeur d’arrondissement a des attributions très-étendues, peut-être autant qu’un préfet en France, bien qu’il soit élu par et parmi les grands propriétaires de l’arrondissement et seulement confirmé par le roi. Le roi peut refuser son consentement, et il le refuse parfois ; alors s’il ne se trouve aucun candidat agréable dans l’arrondissement, le gouvernement envoie un administrateur. C’est l’arrondissement qui est, en Prusse, la véritable base du self-government, nous en donnons une idée au mot Département. Comme la France, la Prusse ne s’est avancée que peu à peu dans la voie de la décentralisation. En Angleterre non plus, la perfection n’a pas été atteinte en un seul jour, puisque aujourd’hui les critiques qu’on adresse, en Angleterre même, à ce qu’on y appelle le self-government, sont vives et nombreuses.

Du court exposé qui précède, nous croyons pouvoir tirer les conclusions suivantes :

1o L’organisation administrative, et surtout les principes qui la dominent, sont dans un certain rapport, tant avec la forme du gouvernement qu’avec les mœurs ;

2o Le même but peut être atteint par plusieurs voies, et ces voies sont tracées par le développement historique de chaque pays.

Ajoutons que, la civilisation tendant à effacer les particularités propres aux divers pays de l’Europe, l’organisation administrative de ces pays se ressemble de plus en plus.

Il nous reste à ajouter, en terminant, que les indications générales que nous venons de donner trouvent un développement dans de nombreux articles du Dictionnaire.

Maurice Block.

  1. Le sens du mot Gouvernement n’est pas encore fixé par l’usage. Selon la plupart des auteurs, le gouvernement c’est la direction supérieure de l’État, de l’administration et de la justice ; c’est plus que le pouvoir exécutif. D’autres considèrent gouvernement purement et simplement comme synonyme de pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire non compris. Une troisième manière de voir consiste à entendre par gouvernement la puissance publique tout entière, renfermant les pouvoirs législatif et exécutif. Nous penchons pour cette dernière définition, mais nous avons cru devoir nous soumettre à l’usage le plus général. En politique, le terme de gouvernement prend volontiers un sens un peu vague, favorable à certaines natures de discussion.
  2. C’est-à-dire le ministre ne donne pas un ordre spécial pour chaque cas, mais des instructions générales. Il annonce, pour ainsi dire, l’existence de la loi, en fait connaître l’esprit, il la commente et indique comment on doit l’appliquer.
  3. Vivien, Études administratives, t. Ier, p. 125.
  4. Même ouvrage, t. Ier, p. 140.
  5. Le mot publique doit être pris ici comme synonyme de ensemble des habitants.
  6. La centralisation a donné lieu de bien vives attaques, et, en effet, elle n’est pas sans inconvénients, mais elle présente aussi d’importants avantages (voy. Centralisation) ; il s’agirait de trouver la juste mesure pour satisfaire à tous les intérêts. En attendant, de nombreuses mesures ont été prises pour en desserrer les mailles.