Dictionnaire de théologie catholique/ABSOLUTION 1. d’après l’Écriture sainte.

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J.-B. Pelt
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 75-79).

I. ABSOLUTION, d’après l’Écriture Sainte. — < ! -- Les sauts de ligne sont un choix éditorial --> I. Promesse du pouvoir d’absoudre.
II. Son institution.
III. Sa nature.

Les textes classiques concernant le pouvoir de remettre les péchés sont : 1° ceux où ce pouvoir est promis, d’abord à saint Pierre, Matth., xvi, 19, puis à tous les apôtres, Matth., xviii, 18 ; 2° celui où ce pouvoir leur est conféré. Joa., xx, 21-23.

I. La promesse.

Promesse à saint Pierre.

Pierre ayant confessé que Jésus était le Messie et le Fils de Dieu, reçoit de lui la promesse de trois prérogatives : il sera le fondement de l’Église, il en aura les clefs, il liera et déliera efficacement sur terre en vue du ciel.

Les deux dernières seules, Matth., xvi, 19, ont rapport au sujet actuel.

Et tibi clabo claves regni cselorum. Jésus se sert ici d’une locution symbolique dont le sens est bien connu : donner à quelqu’un les clefs d’une maison, c’est l’en constituer le propriétaire, ou du moins l’intendant de celui qui en reste le maître. L’usage biblique est absolument conforme à cette interprétation. Sobna, le préposé infidèle du Temple (ou du palais royal), étant remplacé par Eliacim, c’est à celui-ci que le Seigueur « donnera la clef de la maison de David ; et il ouvrira et personne ne fermera ; et il fermera et personne n’ouvrira ». Is., xxii, 22. Le Christ est dit avoir « les clefs de la mort et de l’enfer », Apoc, i, 18, parce qu’il est le maître de la vie et de la mort. Cf. Apoc, ni, 7 ; ix, 1 ; xx, 1 ; Luc, XI, 52.

Pierre sera donc investi de l’autorité suprême dans le royaume messianique : il en sera le chef, le législateur, le juge ; et il aura tout spécialement le pouvoir d’admeltre dans le royaume ou d’en exclure ceux qui le méritent. Or le principal, et dans un sens le seul obstacle à l’entrée des hommes dans le royaume des cieux, c’est le péché. Voilà pourquoi le précurseur a tant insisté sur la nécessité de la conversion et de la pénitence pour avoir accès dans le royaume messianique. Pœnitenliam agile, appropinquavit enim regnum cselorum. Matth., iii, 2, 8, 11 ; Luc, ni, 3, etc.

Il est donc nécessaire de conclure que le pouvoir de remettre les péchés, c’est-à-dire d’enlever cet obstacle à l’entrée dans le ciel, est renfermé dans le pouvoir des clefs promis à saint Pierre.

Promesse soit à saint Pierre, soit aux apôtres.

Jésus ditensuiteà Pierre, Matth., xvi, 19 : Et quodcumque ligaveris super terram, erit ligatum et in cœlis et quodcumque solveris super terram, erit solutum et in cselis. Plus tard, il adressa les mêmes paroles à tous les apôtres réunis : Quæcumque alligaveritis, etc. Matth., xviii, 18.

Les mots ligare et solvere, Xûstv et 6hiv, -dh,’âsai et mtf, sdrâh, signifient au sens propre « charger quelqu’un de liens », Judic, xv, 13 ; Ezech., iii, 25, et 1’ « en délivrer ». Is., xiv, 17 ; Job, xxxix, 5 ; Ps. ci, 21.

Ces expressions avaient aussi une signification métaphorique, ton, Dan., vi, 8, 9, 16 ; Num., xxx, 3, 10, signifie : imposer une obligation. Comme l’ont démontré Lightfoot, H or se liebraicæ, Opéra omnia, Rotterdam, IliiSO, t. ii, p. 336 sq., et Buxtorf, Lexicun clialdaicum, talmudicum et rabbinicum, Bâle, 1609. Elles étaient très usitées pour les rabbins : dans les controverses au sujet des interprétations de la Loi, les uns « liaient », c’est-à-dire déclaraient une chose défendue, les autres u déliaient », c’est-à-dire la disaient permise. On sait que ces interprétations des scribes avaient souvent force de loi. Matth., xxiii, 2-4. Mais ces termes avaient, au temps de Notre-Seigneur, un sens plus large encore : ils désignaient le pouvoir de décider souverainement en matière religieuse et de gouverner la société religieuse : pouvoir législatif, pouvoir judiciaire, tout est compris dans ces mots. Knabenbauer, Comment. inEvang. sec. Matth., Paris, 1893, t. II, p. 66. Le pouvoir de pardonner les péchés et de les punir est nécessairement renfermé dans cette plénitude de pouvoir promis à saint Pierre et aux apôtres.

Cette conclusion est encore plus manifeste, si, au lieu de les considérer isolément, on replace ces paroles de Notre-Seigneur dans leur contexte. C’est après avoir dit à Pierre : « Je te donnerai les clefs du ciel. » que Jésus poursuit, avec l’intention évidente d’expliquer et de préciser le sens de cette métaphore : « aussi (et) tout ce que tu lieras, etc. » Le pouvoir de lier et de délier est donc comme un écoulement du pouvoir des clefs. Or celui-ci consistant principalement dans le droit d’admettre au ciel ou d’en exclure, il est évident que Pierre reçoit le droit de délier les hommes des liens du péché, qui les empêchent d’aller au ciel, ainsi que celui de leur imposer des peines pour leurs péchés, de telle sorte que s’ils ne veulent pas s’y soumettre, ils sont exclus du ciel.

Déjà le pape saint Calliste, au témoignage de Tertullien, s’appuyait sur ces paroles de Jésus à saint Pierre pour justifier son droit de remettre les péchés. Tertullien, devenu montaniste, ne conteste pas la légitimité de cette interprétation, mais seulement l’application que le pape fait à sa personne du pouvoir donné à Pierre. De pudicitia, c. xxi, P. L., t. ii, col. 1025.

D’autre part, c’est manifestement aller trop loin que de soutenir avec quelques Pères (saint Chrysostome, par exemple) qu’il s’agit ici du seul pouvoir de remettre ou de punir les péchés. Ce sentiment n’est partagé parmi les modernes que par Grimm, Leben Jesu, 1887, t. iii, p. 618.

A son tour le contexte de la promesse faite à tous les apôtres, Qusecumque alligaveritis, etc., Matth., xviii, 18, fournit un argument, plus décisif encore, que le pouvoir de lier et de délier s’étend aux péchés. Il s’agit en effet du pécheur que la charité oblige à reprendre : Si peccaverit in te f rater tuus, vade et corripe eum, Matth., xviii, 15 ; s’il ne veut pas écouter la correction fraternelle, % 16-17, on doit le déférer à l’Église, Die Ecclesise. L’Église, c’est-à-dire ses chefs, puisque Jésus parle ici des apôtres, ꝟ. 18, ont le droit d’imposer à ce pécheur des obligations en rapport avec sa faute, et celui-ci a le devoir de s’y soumettre. S’il ne le fait pas, il doit être retranché de l’Église : Si Ecclesiam non, audierit, sit tibi sicut ethnicus et pubhcanus ; s’il se soumet, il sera maintenu dans l’Église et réintégré dans la communion de ses frères. Car, ajoute Jésus, tout ce que les apôtres feront dans cet ordre de choses, punir le pécheur, l’exclure même de l’Église, lui remettre sa faute ainsi que les peines encourues de ce chef devant Dieu, tout est ratifié dans le ciel : amen dico vobis, quæcumque alligaveritis super terram erunt ligata et in cselo, et quæcumque solveritis super terram, erunt soluta et in cselo, ꝟ. 18.

Cette conséquence est si évidente que même des exégètes protestants, tels que Keil et Weiss, reconnaissent qu’il s’agit ici du pouvoir de remettre les péchés ; seulement pour des raisons étrangères au contexte, qu’il n’y a pas lieu d’examiner ici, ils attribuent ce pouvoir à la multitude des fidèles.

II. L’institution.

Quorum remiscritis peccata, remittuntur eis / et quorum retinueritis, retenta sunt. Joa., xx, 23. Le soir même de sa résurrection, Jésus apparaissant pour la première fois à ses disciples réunis, après les avoir salués et leur avoir montré les plaies de ses mains et de son côté, leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous, » comme s’il voulait prendre congé d’eux ; mais ces paroles avaient en cette circonstance solennelle une signification particulière. Il leur confie en effet la mission, qu’il a remplie lui-même, de rétablir la paix entre Dieu et les hommes. « Comme le Père m’a envoyé, ainsi moi-même je vous envoie. » Les apôtres reçoivent donc de Jésus et la mission d’accomplir la même œuvre que lui, et l’autorité que lui-même avait reçue de son Père dans ce but. Et Jésus spécifie et précise quelles seront cette mission et cette autorité. Il souffle sur eux et leur dit : « Recevez le Saint-Esprit. » Comme le créateur insuffla une âme vivante au premier homme, ainsi Jésus, en qui réside la plénitude de l’Esprit Saint, Is., ix, 2 ; Joa., ni, 34, etc., donne à ses apôtres cet Esprit sanctificateur et vivilicateur. Il le leur donne à ce moment même ; car il ne dit pas Xr,’ieff8e, « vous le recevrez » (au jour de la Pentecôte), mais Xà6sTê, « recevez-le ». Dès ce moment les apôtres sont donc les dépositaires du Saint-Esprit, source et auteur de la sanctilication, et voici quelle sera leur puissance : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils sont remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils sont retenus. »

Le pouvoir de remettre les péchés. — « Remettre les péchés, » içi’Evai -û ; à^aon’aç, rcmiltere peecata, d’après la signification naturelle des mots et l’usage constant de l’Écriture, c’est délivrer le pécheur de ses fautes, de telle sorte que devant Dieu la culpabilité n’existe plus et que le pécheur devient jusle, ami et enfant de Dieu, Rom., iv, 5 ; .Tac, II, 23 ; Rom., viii, 14 sq., d’impie, d’ennemi de Dieu et d’enfant de colère qu’il était auparavant. Eph., ii, 3 ; Rom., v, 10, etc.

Dieu seul possède en propre ledroit de remettre ainsi les péchés. Aussi lorsque Jésus dit au paralytique ; àç (îvtat (loi a’c âpaptcai erov, « tes péchés sont remis, » Matth., ix, 2, les pharisiens se mirent à murmurer : « Quel est celui-ci, qui prononce de tels blasphèmes ? Qui peut remettre le péché si ce n’est Dieu seul ? » Et Jésus ne conteste pas la justesse de cette dernière réflexion, mais leur prouve, au moyen du miracle par lequel il guérit le paralytique, que « le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés ». Luc, v, 21 sq.

Or c’est précisément ce pouvoir, exclusivement divin, que Jésus communique à ses apôtres. C’est pour les rendre capables d’exercer un pouvoir qui appartient à Dieu seul, qu’il leur donne le Saint-Esprit. — Il emploie l’expression àcpi’evou, qui est le terme consacré pour désigner la rémission des péchés telle que Dieu lui-même l’opère : dans le Pater, par exemple, Jésus nous fait dire à Dieu : wpss rifJùv, dimitte nobis débita nostra, Matth., vi, 12 ; de même au V. 14 : « Si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père céleste non plus ne vous pardonnera pas, » àç-rjtrsi, dimittet ; Jésus en croix dit à son Père : cttpeç aù-roï ; , Luc, xxiii, 34 ; c’est aussi le terme employé pour dire que Jésus a remis les péchés. Matth., ix, 6 ; Marc, ii, 5, etc. — Enfin Jésus donne à ses apôtres, en ce qui concerne les péchés, et sa propre mission et sa propre autorité, sicut misit me Pater, et ego mitto vos, Joa., xx, 21 ; or Jésus est venu pour délivrer les hommes de leurs péchés, Matth., i, 21, pour justifier les pécheurs, Matth., ix, 13 ; Luc, v, 32 ; et il a souvent remis les péchés, par exemple, au paralytique, Matth., ix, 2, à la pécheresse. Luc, vii, 47.

Aussi, grâce à ce pouvoir divin qui leur est donné, les apôtres remettent les péchés de telle sorte que ceuxci sont remis efficacement, immédiatement et ipso facto ; il n’y a pas d’intervalle ni d’intermédiaire entre l’action des apôtres et la rémission effective des péchés. Jésus dit en effet : àçi’evrai, « ils sont remis, » et non pas « ils seront remis ». Quelques manuscrits ont la leçon : àçîovTat, forme plus rare du présent, d’autres àçltoviat, qui est plus probablement un parfait, ce qui désignerait encore plus énergiquement l’infaillible efficacité de la rémission. Winer, Grammalik des neutestamentlichen Sprachidioms, § 14, 3, 5e édit., Leipzig, 1844, p. 91.

Le pouvoir de retenir les péchés.

Jésus-Christ n’a pas seulement donné à ses apôtres le pouvoir de remettre les péchés, il leur a donné aussi celui de les retenir : quorum retinueritis, retenta sunt, àv tivwv (tivo ; ) y.paT ?, T£, xsxpâxYjVTat. Ces paroles sont de la plus haute importance, car elles déterminent la nature de l’acte par lequel les ministres de Jésus-Christ remettent les péchés.

Les apôtres sont en effet placés devant cette alternative : ils peuvent remettre, et ils peuvent retenir les péchés. Le choix du parti auquel ils se détermineront ne peut évidemment pas dépendre du hasard ou de leur caprice. Car il s’agit, d’une part, des péchés, c’est-à-dire des crimes de lèse-majesté divine dont le souci leur est confié ; et d’autre part, de la justification rendue ou refusée au pécheur et par conséquent de son admission au ciel ou de son exclusion. Il est impossible d’admettre que Jésus-Christ, la sagesse incréée, a voulu abandonner une matière si grave et si grosse de conséquences, à l’arbitraire et aux caprices de ses ministres. Il est évident qu’il entend leur imposer l’obligation d’agir suivant la justice et l’équité, c’est-à-dire de se conformer aux lois en vigueur dans le royaume de Jésus-Christ et de tenir compte du degré de culpabilité et de repentir des pécheurs. Mais pour que leur sentence de pardon ou de refus du pardon soit équitable, il est nécessaire que la cause ait été instruite au préalable et que les fautes commises, aussi bien que les dispositions du coupable, soient connues des juges.

En un mot, la rémission des péchés se fait par manière de sentence judiciaire : les ministres de Jésus-Christ sont des juges dont la sentence, soit qu’elle accorde la rémission, soit qu’elle la refuse, a une valeur juridique.

Il importe de remarquer encore que Jésus ne dit pas à ses apôtres qu’ils ont le pouvoir de remettre et de ne pas remettre les péchés ; mais de les remettre ou de les retenir. « Retenir » dit plus que « ne pas remettre » ; le mot grec Lpateiv signifie : « saisir, tenir, » et suppose l’exercice d’une force, d’une autorité, sur la chose qu’on retient. Ce terme est d’ailleurs le pendant de celui de ligare, employé dans la promesse, qui signifie « imposer une obligation ». Les ministres de Jésus-Christ ont donc le pouvoir non seulement de remettre ou de ne pas remettre les péchés ; ils ont encore le droit d’imposer des obligations et des peines, ayant rapport avec les péchés. Leur pouvoir de juger comprend aussi celui de punir les péchés. Et c’est au moyen de ces peines, de ces obligations qu’ils ont le droit d’imposer, qu’ils « retiennent » et « lient » véritablement les péchés : car si le pécheur ne veut pas se soumettre à l’obligation qui lui est imposée, son péché ne peut pas lui être remis. Cf. Pesch, Prælecliones dogmaticse, Fribourg, 1897, t. vii, p. 25 ; Oswald, Die dogmatische Lehre von den hcil. Sacramenten, Munster, 1877, t. ii, p. 33.

Signalons encore une conséquence que les théologiens tirent de ce droit qu’ont les ministres de Jésus-Christ de retenir et de lier les péchés : c’est qu’aucun péché mortel commis après le baptême ne peut être remis indépendamment de l’absolution sacramentelle. Car s’il n’en était pas ainsi, les ministres de Jésus-Christ auraient reçu en vain le pouvoir de retenir et de lier les péchés.

III. Nature du pouvoir promis et donné par Jésus-Christ.

Après l’explication du sens général des textes scripturaires concernant l’absolution des péchés, il importe de préciser certains points et d’établir certaines propositions à l’encontre des doctrines erronées des hérétiques.

Le pouvoir de remettre les péchés consiste à remettre le péché lui-même et non pas seulement les peines du péché, soit celles que Dieu inflige au pécheur, soit celles que l’Église lui impose par mesure de discipline extérieure.

a) Le contexte des paroles de l’institution prouve que la rémission donnée par les apôtres est suivie d’un effet intérieur produit dans l’âme, et qui a pour principe la grâce de l’Esprit sanctificateur. Il ne s’agit ni du pouvoir de guérir les maladies, suites et peines du péché, ni du pouvoir de relever des peines extérieures prononcées par l’Eglise.

b) Le mot amartia désigne l’acte du péché (la transgression de la loi), ou l’état de péché, qui résulte de la transgression. C’est le sens ordinaire de ce mot dans l’Écriture. Il n’y a aucune raison de l’entendre ici de la peine du péché, comme il doit s’entendre II Cor., v, 21, où saint Paul dit que Dieu « a fait [victime pour le] péché Celui qui n’avait pas connu le péché ».

c) L’incident du paralytique montre bien la différence qu’il y a entre remettre les péchés et enlever les peines du péché. Jésus avait dit au paralytique : « Tes péchés te sont remis, » et le paralytique conservait toujours son infirmité ; et c’est à la suite des murmures des pharisiens et pour leur prouver qu’il avait le pouvoir de remettre les péchés, que Jésus guérit l’infortuné de sa maladie.

Ce pouvoir est productif et non seulement déclaratif de la rémission des péchés.

Luther, d’après son principe fondamental que la foi seule justifie, dit que les ministres de l’Évangile déclarent seulement que les péchés sont remis à ceux qui ont la foi, ou encore qu’ils remettent les péchés en excitant, par leur prédication, la foi qui justifie les pécheurs. Cette doctrine, indépendamment du fondement sur lequel elle s’appuie, est insoutenable.

o) Nulle part dans l’Écriture, « remettre les péchés » ne signifie « déclarer qu’ils sont remis » ; ces mots s’entendent toujours d’une rémission effective et proprement dite : soit celle que Dieu accorde aux hommes, soit celle par laquelle les hommes se pardonnent leurs offenses mutuelles. Matth., xviii, 32, 35 ; Marc, xi, 23 ; Luc, vii, 47-49 ; xi, 4 ; Rom., iv, 7, etc.

b) Le pouvoir que Jésus a donné à ses apôtres, d’après les propres paroles de Notre-Seigneur, est tel que Dieu lui-même opère la rémission prononcée par ses ministres : Quorum remiseritis, remittuntur ; quæcumque solveritis, soluta sunt. L’acte des apôtres est suivi d’un effet, d’une rémission réelle ; or, une déclaration serait par elle-même inefficace : elle constaterai ! seulement l’existence des conditions requises pour la rémission, elle ne l’opérerait pas. — Si l’explication de Luther était vraie, il serait plus juste de dire que les pécheurs eux-mêmes se remettent leurs péchés ; et Notre-Seigneur se serait servi d’une expression bien impropre, si en disant : « Vous remettrez les péchés, » il avait voulu dire que ses ministres n’avaient d’autre pouvoir que celui de constater et de déclarer que les péchés sont remis à ceux qui ont la foi.

c) La locution ne serait pas moins impropre, si la rémission des péchés opérée par les apôtres consistail seulement dans la prédication par laquelle ils excitent à la foi et à la pénitence. Dans ce cas, l’action des apôtres sur la rémission serait trop éloignée et trop indirecte pour que Notre-Seigneur ait pu dire purement et simplement : Quorum remiseritis… remissa sunt.

d) D’ailleurs, on ne comprendrait pas, si l’explication de Luther était la vraie, en quoi consisterait le pouvoir qu’ont les apôtres de retenir les péchés. Ce serait le pécheur lui-même qui retiendrait ses péchés et nullement les minislres déclarant qu’ils ne sont pas remis, si on n’a pas la foi. Il serait encore plus absurde de dire qu’ils retiennent les péchés en ne prêchant pas : car, dans ce cas, ils auraient le droit de ne pas prêcher ; tandis que Jésus leur a fait une obligation de prêcher. Matth., xxviii, 19 ; I Cor., ix, 16, etc.

Mais on objecte le parallélisme entre les textes de saint Jean : Quorum remiseritis…, de saint Luc Oporlebal praidicari in nomine ejus [Christi] pwnitentiam et remissionem prccaiorum in omnes gentes, xxiv, 47 ; et de saint Matthieu : Emîtes docete omnes gentes…, xxviii, 19. On en conclut à l’identité du pouvoir de remettre les péchés avec celui de prêcher.

Ce parallélisme n’existe pas. Les paroles citées oui été prononcées dans des circonstances touies différentes.

Celles que rapporte saint Jean ont été dites par Jésus, la première fois qu’il est apparu à tous ses disciples, le soir même du jour de Pâques, à Jérusalem, dans une maison dont les disciples avaient fermé les portes. Celles que rapporte saint Matthieu, au contraire, sont données comme les dernières paroles de Jésus aux siens, et ont été dites par lui en Galilée, sur la montagne où il leur avait donné rendez-vous. Matth., xxviii, 16. Pour saint Luc, il est vrai qu’il semble attribuer à la première apparition, du jour de Pâques, les paroles concernant la prédication et la pénitence ; mais l’usage de cet évangéliste, quand il emploie la formule slusv 8é, vi, 1, 12 ; ix, 46, 51 ; xiii, 23 ; xviii, 15, etc., et la comparaison avec saint Marc, xvi, 15-19, font voir qu’à partir du y. ii il ne s’agit plus du même discours de Jésus. Knabenbauer, Comment. inEvang. sec. Luc, Paris, 1896. p. 616.

D’ailleurs, ces diverses paroles de Notre-Seigneur eussent-elles été prononcées dans la même circonstance, il ne serait pas permis de les identifier : car chacune d’elles a un sens bien précis et bien déterminé, qui ne permet pas de confondre « prêcher » avec « remettre les péchés ».

Ce pouvoir est distinct de celui de baptiser.

a) Les circonstances de l’institution, les paroles employées par Notre-Seigneur, le rite qu’il établit, l’effet produit, tout marque une différence profonde entre le baptême et l’absolution des péchés donnée par les ministres de Jésus-Christ.

Le baptême de Jésus-Christ a été institué définitivement en Galilée, immédiatement avant l’Ascension, Matth., xxviii, 16-19 ; le pouvoir de remettre les péchés a été donné aux apôtres le jour de Pâques, à Jérusalem. Les paroles employées par Notre-Seigneur sont différentes : « Vous baptiserez [toutes les nations] au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, » et : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils sont remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils sont retenus. »

Le rite est autre. Le baptême est une ablution extérieure avec de l’eau, (îaim’Çstv, « enfoncer dans l’eau, » et c’est à l’eau conjointement avec le Saint-Esprit qu’est attribuée la purification de l’homme pécheur : mundans lavacro aquæ in verbo vitSR. Eph., v, 26 ; I Petr., iii, 21. Pour l’absolution des péchés, il n’est pas fait mention de l’eau et c’est à la volonté des ministres de Jésus, agissant comme juges, qu’est attribuée la rémission des péchés : Quorum remiseritis, remittuntur.

Le baptême est le sacrement de la régénération, nisi quis renatus fuerit ex aqua et Spiritu Sanclo ; rien de semblable n’est dit de la rémission des péchés accordée à tous, par conséquent à ceux qui sont déjà régénérés.

Dans le baptême, la rémission des péchés est un acte de pure grâce, aucune peine n’est infligée à celui qui reçoit ce sacrement ; dans la pénitence, au contraire, la rémission se fait au moyen d’une sentence judiciaire, et des peines peuvent et doivent être imposées, même à ceux qu’on absout.

b) S’il y avait identité entre le baptême et la rémission des péchés, le pouvoir donné par Jésus de retenir les péchés serait incompréhensible. Dire que les péchés sjnt retenus, à ceux à qui on ne donne pas le baptême s trait une locution très impropre. Déplus, Jésus a donné à ses ministres le droit de retenir les péchés, tandis qu’il l’ur a donné l’ordre de baptiser tout le monde : Eunles docete omnes gentes, baplizantes eos.

Ce pouvoir s’étend à tous les péchés commis après le baptême.

Les paroles de Notre-Seigneur sont absolument générales et sans aucune restriction : Quodcumque solveris… ; Qb.vcu aiqu h solveritis… ; Quohlm remiseritis (<xv Tivwv OUtivgç) ; « ceux, quels qu’ils soient, à qui vous remettrez les péchés. » Les péchés les plus graves ne sunt donc pas exceptés. Les péchés de rechute ne sont pas exceptés davantage. Saint Pierre ayant demandé à Jésus : Domine, quoties peccabit in me frotter métis ci dimittam a f usque septies ? en reçut la réponse : Non dico tlbi usque septies, sed usque septuagics scpties, Matth., xviii, 21 sq. (D’après saint Luc, xvii, 4, Jésus dit : Scpties in die dimilte Mi.) Ces paroles sont dites des péchés entre particuliers, mais elles doivent plus encore être appliquées aux péchés commis contre Dieu et pardonnes par lui, puisque la miséricorde divine est le modèle que l’homme doit imiter : Estote miséricordes, sicut et pater vester misericors est. Luc, vi, 36.

Cette doctrine de la rémissibilité de tous les péchés semble être contredite par plusieurs passages bibliques. En ce qui concerne les blasphèmes contre le Saint-Esprit, Matth., xii, 32, et les péchés ad mortem dont parle saint Jean, I Joa., v, 16, voir Blasphème contre le Saint-Esprit.

L’épître aux Hébreux contient aussi plusieurs textes de ce genre, vi, 4-8 ; x, 26 ; xii, 16-17, sur lesquels s’appuyaient les montanistes. Voir l’explication de ces textes au mot Hébreux (Épitre aux).

Le pouvoir de remettre les péchés doit s’exercer perpétuellement dans l’Eglise.

L’Écriture ne le dit pas en propres termes, mais la proposition n’en est pas moins certaine. Ce pouvoir n’a pas été donné exclusivement aux apôtres, comme certaines grâces gratis datx (voir ce mot) ; il leur a été donné de la même manière que le pouvoir d’enseigner, de baptiser, de consacrer l’eucharistie, pouvoirs qui, de l’aveu de tous, continuent et continueront à s’exercer dans l’Église jusqu’à la consommation des siècles. Il doit donc en être de même du pouvoir de remettre les péchés. — D’ailleurs le motif pour lequel ce pouvoir a été donné aux apôtres n’existe pas seulement pour leur temps, il existera tant qu’il y aura des hommes sur la terre ; car, étant donné la fragilité humaine, il y aura toujours des pécheurs ayant besoin de rémission.

Le concile de Trente a sanctionné l’interprétation qui vient d’être donnée des textes relatifs à l’absolution. Sess. XIV, c. i, il déclare : Dominus sacrameulum pœnilentiw tum prsecipue instituit, cum a mortuis excitatus insuf/lavit in discipidos suos dicens : Accipilc Spirilum Sanctum… Quo tam insigni facto et verbis tant perspicuis potestatem remillendi et retinendi peccata ad reconediandos fidèles post baptismum lapsos apostolis et eorum legitimis successoribus fuisse communicatam universorum Patrum consensus semper intellexit… Quare verissimum hune Domini sensum sancta hsec synodus probans et recipiens damnât eorum commentitias interpretationes, quiverba illaad potestatem prxdicandi verbum Dei et Christi evangelium annunliandi contra hujusmodi instilulionem falso detorquent.

Puis il définit, can. 3 : Si quis dixerit verba illa Salvatoris : Accipite Spirilum Sanctum, non esse intelligenda de potestate remitlendi et retinendi peccata in sacramento psenitentise… ; detorserit autem… ad auctorilatem preedicandi evang.’lium ; anathema sit.

Outre les ouvrages déjà cités, Corluy, Spicilegium dogmatico-biblicum, Gand, 1884, t. ii, p. 438-444 ; Schanz, Die Lehre vo>i den heil. Sacramenten der kath. Kirche, Fribourg-en-Brisgau, 1893, p. 4U8-502.

J.-B. Pelt.