Dictionnaire de théologie catholique/ABSOLUTION dans l'Eglise latine, du VIIè au XIIè siècle

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 87-90).

III. ABSOLUTION dans l’Église latine, du {{rom-maj|VII)e au {{rom-maj|XII)e siècle.
I. Affirmation du pouvoir des clefs durant cette période.
II. La discipline pénitentielle.
III. Réconciliation ou absolution des pénitents publics.
IV. Absolution privée.
V. Forme ou formule de l’absolution.

I. Affirmation du pouvoir des clefs durant cette période.

Les Sacramentaires sont de précieux témoins de la doctrine. Le Sacramentaire grégorien contient cette formule de prière pour l’ordination épiscopale : « Donnelui, Seigneur, les clefs du royaume des cieux, afin qu’il use, sans en tirer vanité, du pouvoir que tu lui accordes pour édifier et non pour détruire. Que tout ce qu’il liera sur la terre soit lié dans les cieux, et ce qu’il déliera sur la terre soit aussi délié dans le ciel. Que les péchés qu’il retiendra soient retenus, et ce qu’il remettra, remets-le ; » quorum detinuerit peccata detenta sint, et quod dimiserit, tu dimittas, lluratori, t. xiii, part. III, p. 84. Le Sacramentaire grégorien fut mis en vigueur en Gaule sous les Carolingiens. Mais le Sacramentaire gélasien et le Missate Francorum, qu’il était destiné à remplacer, contenaient déjà une formule semblable. Cf. Muratori, t. xiii, part. II, p. 218, 458. Telle était la doctrine régnante, quand Benoît le Lévite commente ainsi le texte de saint Jean, xx, 23 : « C’est pourquoi le Seigneur, notre Maître, a donné à ses disciples et à leurs successeurs le pouvoir de lier et de délier, afin qu’ils aient le pouvoir de lier les pécheurs, et que ceuxci, faisant une pénitence condigne, puissent être absous et recevoir, au moyen de l’invocation divine, la rémission de leurs péchés. » El ideo Dominus et magïster noster discipulis suis ac successoribus eorum ligandi ac solvendi dédit potestatem ut peccalores ligandi habeanl potestatem, et psenitentiam condigne agentes absolvi clique peccata cum divina invocatione dimitti queant. Nec mirum hoc, etc. Capitulai-., 1. I, c. cxvi, P. L., t. xcvii, col. 715. Ce texte provient de Mayence. Vers la fin du {{rom-maj|IX)e siècle, ou plus tard peut-être, l’auteur des homélies attribuées à saint Éloi s’exprimait à peu près dans les mêmes termes. Le pontife s’adresse aux pénitents « que notre sainte mère l’Église réconcilie aujourd’hui (jeudi saint) à Dieu, dit-il, par notre ministère ». Cette réconciliation ne va pas sans le concours actif du pécheur ; c’est à lui de s’y disposer « par une confession et une pénitence condigne ». Mais s’il est vraiment contrit et pénitent, « il sera vraiment réconcilié à Dieu, par le Christ et par nous, ajoute l’évêque, à qui le Christ a confié le ministère de la réconciliation. » A vrai dire, les évêques ne sont que les « ministres » de cette faveur ; c’est Dieu lui-même qui « se réconcilie les pécheurs par le Christ ». Cependant, « le Sauveur a donné à ses apôtres et à nous leurs successeurs le pouvoir de lier et de délier dans le ciel et sur la terre, pouvoir de délier que l’apôtre appelle le ministère de la réconciliation. C’est pourquoi, comme nous tenons la place du Christ, ceux qu’il juge clignes de sa réconciliation et qu’il absout invisiblement, nous les absolvons en les réconciliant visiblement par l’exercice de notre ministère ; quant à ceux qui sont encore retenus par la chaîne de leurs iniquités, comment pourrions-nous les absoudre ? » Homil., iv, P. L., t. lxxxvii, col. 609-610. Ces quelques phrases contiennent en abrégé un véritable traité du pouvoir des clefs et des conditions requises pour que ce pouvoir soit exercé utilement. — Les Fausses Décrétâtes qui firent leur apparition en Gaule vers 850, provenant de Reims ou du Mans, ont aussi préconisé hautement le pouvoir des clefs. Elles invoquent notamment l’autorité de la fausse épître de Clément Romain à Jacques, que nous avons citée dans le précédent article. Benoît le Lévite interpole un texte de saint Léon et y insère les mots : id est per manus impositionem, absolutione precum sacerdolalium. Il est vrai de dire que ce n’est là qu’une simple explication des mots qui précèdent : per sacerdolalem sollicitudinem, et que cette explication est pleinement conforme à l’usage du temps. Il serait donc exagéré de prétendre que les Fausses Décrétâtes ont proprement innové en matière pénitentielle. Du reste, Alcuin († 804) qui ne relève nullement du faux Isidore, ni de Benoît le Lévite, avait écrit que la doctrine du pouvoir des clefs était un article « de foi », eredimus. Episl., cxii, P. L., t. c, col. 357. Jonas d’Orléans enseigne pareillement « qu’il est d’usage dans l’Eglise de confesser les péchés graves aux prêtres, qui réconcilient les hommes avec Dieu ». De institutions laicali, 1. I, c. xvi, P. L., t., evi, col. 152. Cette doctrine est si répandue que le pseudo-Egbert la mentionne en faisant allusion à l’usage gallican et romain. « Le jeudi saint, dit-il, l’évêque chante [des prières] sur les pénitents et leur donne la rémission » de leurs fautes. Pœnilentiale, 1. I, 1, c. xii, P. L., t. lxxxix, col. 415. Ailleurs, nous voyons Haymon d’Halberstadt (f853) commenter ainsi les textes de saint Matthieu, xvi, 19, et xviii, 18 : a Le Christ a donné le même pouvoir aux évêques et aux prêtres, qui remplissent l’office des apôtres. » P. L., t. cxviii, col. 762-763. Bref, c’est la doctrine courante au {{rom|ix)e siècle. Cela nous dispense d’examiner en détail les textes des siècles suivants. Aussi bien les canonistes, Réginon de Prùm (f915), Isaac de Langres (f880), Burchard de Worms (fl025), Yves de Chartres (flll7), dans leurs savantes collections, nous fournissent des documents qu’on peut aisément consulter. Citons seulement le concile de Trosley de 909 (can. 15, Hardouin, t. via, col.544) qui définit comme article de foi que « la pénitence, gràceau ministère sacerdotal, per su vert lut aie ministerium, obtient le pardon des péchés ». Citons Rathier, évéque de Vérone, qui dans un beau mouvement d’éloquence s’écrie : « Les évêques sont les médecins des âmes, ils sont les portiers du paradis, ils portent les clefs du ciel, ils peuvent ouvrir et fermer le ciel. » Prseloquia, l. I, n. 12, P. L., t. cxxxvi, col. 227. Citons Yves de Chartres qui, dans un sermon prononcé le mercredi des Cendres, déclare que « Dieu a donné à son Église dans la personne de ses pasteurs le pouvoir de lier et de délier les pénitents ». Serm., xiii, P. L., t. clxii, col. 581. Citons enfin saint Bernard qui fait condamner Abélard pour avoir enseigné que « le pouvoir de remettre les péchés avait été octroyé par le Christ à ses apôtres seuls et non à leurs successeurs ». Capitula liserés. Pétri Abselardi, c. XII, P. L., t. clxxxii, col. 1054. Le même saint Bernard recommande ailleurs aux prêtres et aux évêques « de ne pas effrayer les pénitents qui se confessent, mais aussi de ne pas les absoudre, même contrits, à moins qu’ils ne se soient confessés ». Sed nec absolvant etiam compunctum, nisi viderint et confessum. Liber ad milites Templi, c. xii, loc. cit., col. 938.

II. La discipline pénitentielle.

L’un des caractères qui marquent le mieux la différence entre la discipline pénitentielle primitive et la discipline de cette période, c’est la distinction désormais nettement établie entre la pénitence privée et la pénitence publique (toutes les deux ecclésiastiques et canoniques). Déjà à Constantinople, sous Chrysostome et à partir du patriarche Nectaire (f397), la pénitence privée avait remplacé la pénitence publique. A Rome, saint Léon le Grand semble distinguer entre la pénitence privée et la pénitence publique, lorsqu’il déclare que certaines fautes « peuvent être purgées par le jeûne et l’imposition des mains », tandis que d’autres plus graves, « l’idolâtrie, l’homicide et la fornication, » ne sauraient être expiées « autrement que par la pénitence publique. » Epist., CLXVii, inquisit. xix, P. L., t. liv, col. 1209 ; cf. col. 1503, 1138, note q. Les missionnaires romains, envoyés en Angleterre, se gardèrent bien d’ét ; blir en ce pays la pénitence publique, que n’auraient pu supporter les habitanls. Aussi dans le Pénitentiel de Théodore de Canterbury (jiin du viie siècle) lisons-nous en termes exprès : « Dans cette province, la réconciliation publique n’a pas été établie, parce qu’il n’y a pas de pénitence publique. » Pasnitentiale Tkeodosi, 1. 1, c. xiii, n. 4, voir la bibliographie. Ce régime fut préconisé et pratiqué en Gaule par saint Colomban et ses disciples au début du VIIe siècle. Sous Charlemagne c’était un principe reconnu, qu’il’ « fallait observer une distinction entre les pénitents qui devaient accomplir leur pénitence en public et ceux qui devaient l’accomplir en secret ». Concile de Reims de 813, can. 31, Hardouin, Conciliorum collectio, t. IV, col. 1020. Quelques années plus tard, Raban Maur (j-856) posait cette règle : « Ceux dont les péchés sont publics doivent faire leur pénitence en public… Ceux dont les péchés sont occultes et n’ont été révélés par les coupables qu’au prêtre seul ou à l’évêque seul, doivent accomplir leur pénitence dans le secret, selon le jugement de l’évêque ou du prêtre auquel ils se sont confessés, de peur que les infirmes dans l’Église ne se scandalisent, en voyant les peines de ceux dont ils ignorent complètement la culpabilité. » De cleric. inslitntione, l. II, c. xxx, P. L., t. cvii, col. 343. D’après cette discipline, il est clair qu’il devait y avoir une absolution secrète et une absolution publique des pécheurs, selon qu’ils étaient pécheurs occultes ou pécheurs publics. C’est en effet le régime que suppose le capitulaire suivant, cité par Benoit le Lévite (vers 845) : « Lorsqu’un prêtre donne conformément aux canons la pénitence à une personne qui lui confesse ses péchés, il doit lui imposer les mains, d’après l’autorité des canons, avec les oraisons qui sont contenues dans le Sacramentaire pour donner la pénitence. Si la confession a été occulte et spontanée, qu’il le lasse en secret. Mais si [le coupable] a été convaincu et s’est confessé publiquement et manifestement, qu’il le fasse publiquement et manifestement et que [le coupable] fasse pénitence publiquement devant l’Église selon la mesure des canons. La pénitence achevée, qu’il soit réconcilié en secret ou manifestement d’après les canons, et qu’il reçoive l’imposition des mains avec les oraisons qui sont contenues dans le Sacramentaire pour réconcilier le pénitent, et qu’il soit absous de ses forfaits par les prières et les miséricordes divines, car sans l’imposition des mains personne n’est absous, de ceux qui sont liés. » Capitular. , l. I, c. cxvi, P. L., t. xcvii, col. 715. Nous n’avons pas à faire ici l’historique de la discipline pénitentielle. Mais il importait d’indiquer ces quelques règles disciplinaires pour mieux comprendre l’application du pouvoir des clefs durant cette seconde période.

III. Réconciliation ou absolution des pénitents publics.

Ministre de la réconciliation ou absolution publique.

L’évêque est le ministre ordinaire, et le prêtre est le ministre extraordinaire, de la réconciliation publique. Halitgaire de Cambrai († 839), chargé par l’archevêque de Reims de trouver un Pénitentiel bien authentique, s’exprimait ainsi : « Ceux qui président aux Églises ont établi avec raison des temps de pénitence, afin que l’on donne satisfaction à l’Église, dans laquelle les péchés sont remis, » et encore : « Elles sont très sûres et très fidèles, les clefs de l’Église par lesquelles tout ce qui est délié sur la terre est délié dans le ciel, selon la promesse qui lui a été faite. » P. L., t. cv, col. 654-655. Ces textes sont empruntés presque mot pour mot à saint Augustin, Serm., cccli (douteux), De pxiiitenlia, c. ix, xii. P. L., t. xxxix, col. 1545, 1549. Dans le Pénitentiel que publie Halitgaire, et qu’il estime, à tort ou à raison, romain d’origine, on lit : « Les évêques et les prêtres seuls sont juges, » au tribunal de la pénitence ; « comme nul ne doit offrir le sacrifice si ce n’est les évêques et les prêtres, ainsi nul ne doit usurper ces jugements ; » sicut enim sacrificium offerre non debent nisi episcopi et presbyteri, quibus claves regni cielestis traditse sunt ; sic nec judicia illa alii usurpare debent. Ibid., col. 695. — Le concile de Pavie de 850 marque la différence qui existe entre le droit d’absoudre de l’évêque et celui du simple prêtre : « La réconciliation des pénitents, dit-il, doit être faite, d’après les règles des anciens canons, non par les prêtres, mais par les évêques ; à moins toutefois que quelqu’un ne se trouve en danger et demande dévotement qu’on le réconcilie ; si l’évêque est absent, le prêtre doit alors y pourvoir et sur son ordre réconcilier le pénitent. » La raison de cette distinction est que « c’est aux évêques seuls comme successeurs des apôtres que le Sauveur a dit : Recevez le Saint-Esprit, etc. ». Can. 7, Hardouin, Concil., t. v. col. 27. Les théologiens n’avaient pas encore déterminé à cette époque les notions si importantes du pouvoir d’ordre et du pouvoir de juridiction. Mais on enseignait néanmoins que le pouvoir d’absoudre du simple prêtre était subordonné à la volonté de l’évêque : ejus præcepto, comme parle le concile de Pavie ; jussione episcopi, disent les Capitula Hebrardi Turoncnsis, can. 59. Hardouin, t. v, col. 454. — Du reste il y avait longtemps que le pouvoir presbytéral avait été comparé, voire égalé, au pouvoir épiscopal, sauf en matière d’ordination : Episcopus in omnibus rébus œijuiparetur presbytero, excepta nomine cathedrx et ordinationP, <ji<ia potestas ordinandi ipsi non tribuitur. Canones Hippolyti, c. xxxii, Duchesne, Origines du culte clirélien, 2e édit., p. 506. Saint Jérôme écrivait pareillement : « Sauf l’ordination, que fait l’évêque, que ne fasse pas le prêtre ? » Epist., cxlvi, ad Evangelium, P. L., t. XXII, col. 1191. Kl saint Jean Chrysostome, voulant expliquer comment saint Paul cite les évêques et les diacres, sans nommer les prêtres, estime que « c’est parce qu’il n’y a pas beaucoup de distance entre les prêtres et les évêques…, et que ce qu’il dit des évêques convient aussi aux prêtres. C’est par le pouvoir d’ordonner seulement qu’ils sont supérieurs aux prêtres et l’emportent sur eux. » In I Tir »., homil. ix, n. 1, P. G., t. lxii, col. 553. Toutefois, on a remarqué que, dans la formule d’ordination des piètres, manquent les mots qui semblent conférer aux évêques le pouvoir d’absoudre. Avant le XIIe siècle, la seule mention que l’on connaisse de cette formule appliquée aux simples prêtres, se trouve dans les Canons d’Hippolyte : Etiam eadeni oratio super eo oretur tota, iit siqier episcopo, cum sola exceptione nominis episcopatus, c. xxxi, loc. cit. Cette observation faite, il n’en reste pas moins acquis que le pouvoir d’absoudre, même publiquement, était reconnu aux prêtres, et exercé par eux en cas de nécessité.

Moment de la réconciliation ou absolution publique.

En règle générale, cette absolution, qui avait lieu le jeudi saint, ne devait être accordée qu’après l’achèvement de la pénitence publique : post peractam pœnitentiam, dit Benoît le Lévite, Capitul., l. I, c. cxvi, P. L., t. xcvii, col. 715 ; expleto satisfactionis tempore, remarque Isaac de Langres, tit. i, c. xii, Hardouin, ConciL, t. v, col. 422 ; post. complementum pxiiitentiæ dit Raban Maur, De clericor. institut., H, 30, P. L., t. cvii, col. 342 ; consummata psenitentia, dit le Pénitentiel de Théodore, l. I, c. xiii, n. 2. Mais d’assez bonne heure il y eut des exceptions à cette règle. Un vieil Ordo romain inséré dans le Ponti-Qcal de Toulouse, Morin, De psenitentia, l. IX, c. xvii, n. 7, p. 665, et dans le De divinis officiis, c. xiii, du pseudo-Alcuin, P. L-, t. ci, col. 1192, fait observer que, « si le pénitent ne peut se présenter le jeudi saint, soit pour cause de voyage, soit pour toute autre occupation, ou si le prêtre ne peut lui persuader qu’il est nécessaire d’attendre cette époque…, il devra le réconcilier aussitôt après avoir entendu sa confession et lui avoir imposé sa pénitence. » Si interest causa itineris aut cujuslibet occupalionis, aut si forte ita hebes est ut et hoc sacerdos persuadere nequeat, injutigat ei tam quadragesimalem quant et annualem pænitentiam et reconciliet eum stalim. Cet adoucissement de la discipline parait remonter à saint Boniface de Mayence. On voit, dans ses Statula, que, pour ne pas abandonner tout à fait les canons qui ont trait à la réconciliation des pénitents et dont l’application devenait extrêmement difficile, il recommande « au prêtre de réconcilier les pénitents aussitôt après avoir entendu leur confession » : propterca omnium non dimittatur observatio canonum, curet unusquisque presbyter, statim post acceptant confessionem, pœnitentium singidos data oratione reconciliari, c. xxxi, P. L., t. lxxxix, col. 823.

Effets de la réconciliation ou absolution publique.

Il devient clair, durant cette période, que la réconciliation n’a pas pour effet direct de conférer au pénitent le droit de participer à la communion eucharistique. Le concile de Worms de 868 accorde à certains criminels la permission de communier avant l’achèvement de leur pénitence, « alin qu’ils ne tombent pas dans l’endurcissement du désespoir, » ut desperantise non indurentur caligine, can. 26 et 30. Hardouin, ConciL, "t. v, col. 71l742. La même règle est posée par le concile de Tribur, de 895, can. 5, et de Mayence, 888, can. 16. Cf. Hardouin, t. v, ibid. A Rome, le pape Nicolas I er donne une décision conforme à ces principes. Hardouin, t. v, col. 350. Du reste c’était une vieille coutume dans l’Église qu’en cas de péril de mort les pénitents fussent admis à la communion sans être réconciliés. S’ils retrouvaient la santé, ils étaient astreints à faire leur pénitence, après quoi ils étaient réconciliés par l’imposition des mains. Cf. concile de Nicée, can. 13 ; concile d’Orange de 141, can. 3 ; concile d’Arlesde 193, can.28 ; deCarthage de398, can. 78. Le concile de Mayence de 816 préconise la même discipline. Il va même plus loin et déclare qu’il faut seulement faire connaître au pêcheur en danger de mort la pénitence dont il est passible, sans la lui imposer. Ab infirmis in mortis periculo positis per presbgleros pura inquirenda est confessio, non lamen Mis imponenda quanlitas pœnitentiae sed innotescenda. Si les malheureux « reviennent à la santé, ils accompliront diligemment la mesure de la pénitence qui leur aura été indiquée parle confesseur ». Chose plus remarquable encore, le concile semble dire nettement que la pénitence peut, au besoin, être remplacée équivalemment « par les prières des amis et par les aumônes volontaires », et cum amicorum oralionibus et élemosynarum studiis pondus pœnitentise sublevandum, ut si fortemigraverint, neobligatiexcommunicatione, alieni exconsorlio venise fiant, can. 26. Hardouin, t. v, col. 13. C’est là, si nous ne nous trompons, un texte qui implique l’idée de la théorie des indulgences. — De ces diverses observations, faut-il conclure que la réconciliation ou absolution publique exclut nécessairement l’idée de l’absolution proprement dite de la coulpe ? Nous ne le croyons pas. Du texte du pseudo-Éloi, par exemple, il résulte que les évêques pouvaient avoir le jeudi saint l’intention formelle de remettre les péchés. Les formules des Sacramentaires et des Pénitentiels se prêtent à la même interprétation. Il faut donc admettre « lue la réconciliation épiscopale était sinon toujours, au moins quelquefois, rémissive du péché, du reatus culpse, en même temps que de la peine, ou reatus pœnse. Nous empruntons ces expressions à la théorie scolastique.

IV. Absolution privée.

Il est inutile de démontrer que le ministre de cette absolution était le prêtre, aussi bien que l’évêque, et beaucoup plus fréquemment que l’évêque. Les Pénitentiels et les Ordines en font foi. Du reste tout ce qui prouve l’existence du prêtre pénitencier, en témoigne également. Ce qui est plus digne de remarque pour cette période, c’est l’intervention des moines, revêtus du sacerdoce, dans l’administration de la pénitence et de l’absolution. On a fait remonter au pape Boniface IV († 615) une décision ainsi conçue : « Quelques-uns, n’ayant aucun dogme pour appui, mais enflammés plutôt par le zèle de l’amertume que par la charité, affirment audacieusement que les moines, qui sont morts au monde, et vivent pour Dieu, étant indignes du pouvoir et de l’office sacerdotal, ne peuvent ni donner la pénitence ou le baptême, ni absoudre par le pouvoir qui a été divinement attaché à l’office sacerdotal. Mais ils se trompent absolument. » Hardouin, t. iii, col. 585 ; P. L., t. lxxx, col. 104. Ce décret est sûrement apocryphe. Il a pour base réelle un canon du concile tenu à Nimes par Urbain II, en 1096. Hardouin, t. vi b, col. 1749. Mais il faisait loi dès le début du xiie siècle. Yves de Chartres l’inséra dans son Decretum, vu, 22, et Gratien pareillement, Decretum, caus. XVI, q. I, c. 25.

A quel moment le prêtre donnait-il l’absolution rémissive du péché ? Le Capitulaire, que nous avons citéplus haut, de Benoît le Lévite semble indiquer qu’une réconciliation secrète avait lieu après l’achèvement de la pénitence : Si vero occulte et sponte confessus fue~ rit, occulte fiât… Post peractam vero secundum canonicam institutionem, occulte vel manifeste canonice reconcilietur, etc. P. L., t. xcvii, col. 715. Mais nous avons déjà vu que la réconciliation était accordée quelquefois au pénitent, aussitôt après sa confession. Les Staluta de saint Boniface consacrent cet usage. Dans tous les cas, la réconciliation ou absolution privée qui supposait la pénitence achevée, marquait, comme la réconciliation publique, que le pénitent était « délié » de tout lien ecclésiastique, en même temps qu’elle lui remettait, au besoin, ses péchés. C’est ce qu’enseigne expressément le Capitulaire de Benoit le Lévite déjà cité : ut divinis precibus et miserationibus absolûtus a suis facinoribus esse mereatur. L’absolution qui suivait immédiatement l’aveu de la faute, soit le mercredi des cendres, soit à tout autre moment de l’année, était, de sa nature, rémissive de la coulpe, du reatus culpae. La preuve en est que le pénitent, ainsi absous, pouvait s’approcher du sacrement de l’eucharistie. Lorsque la réconciliation se confondit avec cette première absolution, comme dans le cas prévu par les Statitla de saint Boniface, la chose devint plus claire encore. Cependant on ne voit pas que cette vérité ait été nettement enseignée avant que les scolastiques aient déterminé les divers éléments qui constituent le sacrement de pénitence.

V. Forme ou formule de l’absolution.

Comme dans la première période, la formule de l’absolution conserva longtemps encore, durant la seconde, un tour purement déprécatif. C’est ce qu’indiquent d’ailleurs plusieurs documents, pris à la lettre : Data oratione recanciliari, dit saint Boniface. Statuta, c. xxxi, P. L., t. lxxxix, col. 823. La règle de saint Chrodegang († 766) s’exprime de même : « Donne-lui une pénitence mesurée canoniquernent, et ensuite répands sur lui des oraisons et des prières. » C. xxxii, P. L., ibid., col. 1073. Déjà Benoît le Lévite, nous l’avons vii, avait dit : Ut divinis precibus et miserationibus absolutus a suis facinoribus esse mereatur. Il serait aisé, mais d’ailleurs inutile, de multiplier les textes dans ce sens, citons seulement quelques formules des Pénitentiels, en faisant remarquer que ces formules sont de même tour, qu’elles soient prononcées par le simple prêtre qui reçoit l’aveu des fautes, le mercredi des Cendres, ou qu’elles sortent de la bouche de Pévêque, le jeudi saint, pour la réconciliation publique. Après la confession, le prêtre peut dire : « Que le Seigneur tout puissant qui a dit : Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai devant mon Père, te bénisse et te donne la rémission de tes péchés ; » ou encore : « Je prie, Seigneur, la clémence de ta majesté et de ton nom, afin que tu daignes accorder le pardon des péchés passés à ce [fidèle] ton serviteur qui a confessé ses péchés et ses forfaits, etc. » Dans le cas où la réconciliation proprement dite suit l’aveu des fautes, le confesseur peut s’exprimer ainsi : « Dieu tout-puissant et éternel, à ce [fidèle] ton serviteur qui s’est confessé à toi, remets les péchés dans ta miséricorde, afin que la coulpe de sa conscience ne lui soit pas plus nuisible pour la peine, que l’indulgence de ta piété ne lui est utile pour le pardon, » etc. Omnipotens sempitcrne Deus, confitenti tibi ftuic famulo tuo N, pro tua pietate, peccata relaxa, ut non plus ei noceat conscientise reatus ad p<rnam, quant indulgentia tuse pietatis prosit ad veniam. Per Dominum, etc. Le jeudi saint l’évêque se sert de la même formule ou d’une formule équivalente. Ces formules d’absolution et de réconciliation que nous empruntons à un Ordo ancien cité par Morin, De sacramento pœnitentiee, Appendix, p. 18-20, se trouvent déjà presque dans les mêmes termes dans le Pénitenliel d’Halitgaire († 831). P. L., t. cv, col. 697, 704. On peut encore consulter Morin, op. cit., Appen-dix, p. 25, 48, 51, 55, 71, et Martène, De antiquis Ecclesiæ ritibus, l. I, c. VI, a. 7. — Au XIe siècle, on rencontre des formules de transition, c’est-à-dire déprécatives et indicatives avec mention du pouvoir sacerdotal. La plus ancienne formule indicative que l’on ait siijiialée appartient à un Ordo édité’dans la Magna Bibliotheca Patrum, Cologne, 1618, t. viii, p. 423-424 ; il figure au milieu d’une série de formules déprécatives et a trait sans doute à l’absolution du jeudi saint : « Kl nous aussi, en vertu de L’autorité qui nous a été confiée par Dieu, bien que nous en soyons indigne, nous vous absolvons du lien de vos péchés, afin que vous méritiez d’avoir la vie éternelle. » Nos et tant, secundum auctpritatem nobis indignis a Deo commissarn, abaolvimus vos ab omni vinculo delictorum vestrorum, etc. La formule suivante rapportée par Vincenzo Garofali est assez caractéristique comme formule de transition : « Que Dieu (ipse) t’absolve de tous tes péchés et de ces péchés que tu viens de me confesser devant Dieu… et avec la pénitence que tu viens de recevoir, sois absous par Dieu le Père et le Fils et le Saint-Esprit et par tous ses saints et par moi misérable pécheur, afin que le Seigneur te remette tous tes péchés et que le Christ te conduise à la vie éternelle. » Garofali, Ordo ad dandam pœnitentiam, Borne, 1791, p. 15. Nous fixons au XIe siècle l’introduction des formules indicatives. La première attestation qu’on en ait est de peu antérieure à l’année 1100, date de la mort de Baoul l’Ardent, qui dans un de ses sermons, à propos de l’aveu des péchés légers aux fidèles, distingue, à ce qu’il semble, entre l’absolution sacerdotale nécessaire pour les péchés graves, évidemment de forme indicative : Ego dimitto tibi peccata, et l’absolution déprécative : Misereatur tui omnipotens Deus, des péchés légers qu’il invite les fidèles à se confesser mutuellement le matin, le soir et en toutes circonstances. Baoul Ardent, Homil, , lxiv, in Lilania majori, P. L., t. clv, col. 1900. Il semble que durant le XIIe siècle, les formules déprécatives ou du moins les formules de transition de l’absolution soient demeurées en vigueur. Morin, De sacramento pœnitentiæ, Appendix, p. 48, 71, et Martène, De antiquis Ecclesise ritibus, l. I, c. vi, a. 7, Ordo XIV, en donnent des modèles intéressants. La formule indicative finit par prévaloir au xiiie siècle. Saint Thomas d’Aquin, dans son Opuscule xxii, c. v, écrit vers 1270, remarque que son adversaire prétend que, trente ans auparavant, la formule déprécative était encore seule en usage. Il eût été facile au saint docteur de montrer, s’il avait voulu se donner la peine de le faire, le mal fondé de cette assertion. Toutefois une telle allégation eût été impossible, si les formules de transition avaient été depuis longtemps tout à fait abandonnées. Le Pénitentiel de Jean de Dieu, 1.’I, c. il, nous fournit un exemple de la formule indicative employée vers 1217 : « Je t’absous par l’autorité de Notre-Seigneur Dieu Jésus-Christ et du bienheureux apôtre Pierre et de notre office, » Ego absolvo te auctoritate Doniini Dei nostri Jesu-Cliristi et beati Pétri apostoli et officii nostri. On voit en quoi cette formule diffère de la suivante, qui est une formule de transition : « Que Dieu vous absolve par notre ministère de tous vos péchés, » etc. Ipse vos absolvat per ministerium nostfum ab omnibus peccatis vestris. Morin, loc. cit., p. 71. Toutes les deux font voir, quoique en ternies différents, que le prêtre ou l’évêque qui absout n’est que le ministre du sacrement, tandis que l’auteur de la grâce rémissive du péché est Dieu lui-même par Jésus-Christ Notre-Seigneur. C’est ce qn’avait exprimé d’une façon très claire le pseudo-Éloi dans le passage que nous avons cité. C’est ce que les scolastiques, les théoriciens du sacrement de pénitence mettront dans une lumière plus vive.

Morin, Comment, historiens de disciplina in admin. sacramerai psenltentix, Anvers, 1682 ; Martène, Dr antiquis Ecclesise ritibus, Rouen, 1700, l. I, c. VI. — Sur les Pénitentiels, voir surtout Wasserschleben, Die rtuxsordnunçien der abendlàndischen Kirche, Halle, 1851 ; Schmitz, Die Bussbùcher und die Bussdiseiplin der Kirche, Mayence, 1883 ; Malnory, Quid Ltucovienses monachi ad régulant monasteriorum uinmi communem Eeclesix profectum contulerunt, Paris, 1ff>4, p. 02 sq. L’un des principaux Pénitentiels est celui d’Halitgaire, P. L., t. cv, p. 654 s.). Le texte du Pénitentiel de Théodore de Canterbury doit être lii, non dans Migne, mais dans Wasserschleben, ou dans Schmitz.

E. VACANDARD.