Dictionnaire de théologie catholique/DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE). IV. Le protestantisme

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.1 : DABILLON - DIEU philosophie modernep. 389-392).

IV. Le protestantisme.

1 » Un certain nombre de protestants allemands ont affecté de déclarer, après l’encyclique Pascendi, que leur protestantisme n’a rien à voir avec le modernisme. De même, beaucoup de catholiques ont été surpris, lorsqu’ils ont entendu la même encyclique rapprocher le modernisme du protestantisme, et les deux de l’athéisme. Le concile du Vatican, dans le préambule de la constitution Dei Filins, avait déjà souligné le fait de la coïncidence de l’apparition de la Réforme et de la diffusion de l’athéisme. Cf. Acta concilii Yalicani, dans Colleciio Lacensis, t. vii, col. 219. Il est à remarquer que le concile écarta une première rédaction où la filiation des doctrines parut trop inarquée. Cf. ibid., col. 507, 1612 sq., 1628, 1648 sq., 70, 91, emend. 9, n. 4 ; puis col. 96, nouvelle rédaction. Notons ensuite avec soin que ce préambule historique ou, si l’on veut, ce morceau d’histoire des doctrines n’est pas de foi ; la chose est évidente ; et le rapporteur eut soin de le déclarer en plein concile : cum præambulum. .. ad /idem, ad doctrina))/ minime pertincal, Acta, col. 91. Mais ce préambule reproduit la pensée commune des théologiens catholiques depuis le xvie siècle. Ainsi, par exemple les dissertations [X -XI du traité De religionc de Neubær dans Tlteologia Wirceburgensis, t. ii, écrites dans h seconde moitié du xviiie siècle, pourraient servir de commentaire au texte du concile et par suite à l’encyclique Pascendi qui ne fait guère, sur ce point, que répéter le concile.

Les deux faits suivants justifient la pensée commune des théologiens catholiques sur les rapports du protestantisme el de l’athéisme, ou de l’agnosticisme 1’Aux témoignages déjà cités du calviniste Viret et du jésuite Vasquez, on pourrait joindre ceux d’autres écrivains s’accordant à considérer la liberté de penser et la fluctuation entre les différentes sectes issues du protestantisme, comme liées au développement du déisme et de l’athéisme. Les controversistes protestants ci catholiques du xvr » siècle j reviennent fréquemment. Ainsi, pour lîacon de Verulam, la principale caus, de l’athéisme est la multiplicité’des religions, divisiones circa religionem. Sermones fidèles, xvi, de atheismo, I 1res, 1(538, p. 184. L’érudit Spizelius, de la confession d’Augsbourg, s’accordait encore mieux que Bacon avec VasqueL, qu’il cite à plusieurs reprises, De atheismo eradicaiido, Augsbourg, 1660 ; d’après lui. De atheismi radiée, epUt. ad Henr. Sleibomium, p. 30, cen’i I pu précisément la diversit ions, le mélange « les religions, le changement de religion, qui est la cause principale du mal. Cu/us i, cjuë religiot - i On accordera que le protestantisme libéral, qui ne > herche déjà plus à éi Iter î’agnosticis ie vers l’athéisme. < >r. de tous cotés, le proteatanlibéral se vante de n êti s que le dé’eloppement complet dei doctrines de Luther ! ds Calvin, On s. ut que les polémistes catholiques écrivirent de bonne lieun ipelaient les athéi Luthei ilvin.

Cette littérature futabon lante. Citons Claude de Sainctes, plue tard évêque d’Évreux, Déclaration /Paucuns alhéismea de la doctrine de Calvin et de Bèze, contre lespremiers fondements de lu chrétienté, etc., Paris, 1568 ; Posscvino, Ath Lutheri, Melanchthonis, Calvini, liezve, ubiquetariorum, anabaptistarum, picardorum, puritanorum, urianorum et aliorum nostri temporis hæreticorum, Vilna, 15W3 ; ld., Bibliotheca selecta, l. VIII, Rome, 1503 ; ld., Judicium de Xuoe militis ijalli scriptis, etc., Lyon, 1593 : contre François de la Noue, Jean lîodin, Philippe du Plessis-Mornay, Machiavel, etc. ; Keuardent, Theomachia culvinistica XVI libris profligata quibus mille et quadringeiiti hujus sectæ novissimse errores diligenter excutiuntur et profligantur, 1604. On trouve des réminiscences de ces écrits polémiques dans Garasse, Somme théologique des vérités capitales, Paris, 1025, a vert., p. 35 ; l. I, et surtout l. II, contre l’agnosticisme (athéisme couvert) de Charron ; Mersenne, Quxstiones celeberrimse in Genesim. In hoc volumine atkei et deistx impugnantur, Paris, 1623, col. 15676 ; ld., L’impiété des déistes, alliées et libertins de ce temps combattue et renversée, Paris. 1624 ; voir c. ix, x, le jugement sur Charron, Cardan et Bruno ; Théoph. Raynaud, Erotemata de bonis et malts libris, part.I.erot. 3 et 4, dansOpera, Lyon, 1665, t. xi, p. 211.

Durant trois siècles, les protestants mirent sur le compte de « la rage des papistes » et sur « l’esprit de parti » les conséquences athées que les polémistes catholiques déduisaient des écrits des réformateurs. Ce n’était certes pas sans quelques fondements que luthériens et réformés rejetaient l’épithèle d’atliéisles ; car si athée signifie « qui n’admet point de Dieu, » ni Luther ni Calvin n’étaient athées. Les auteurs catholiques dont nous parlons avaient donc tort d’employer, sans toujours le bien définir, un terme péjoratif très odieux. Mais de cette concession, que nous faisons très volontiers, à conclure que les controversisles catholiques étaient aveuglés par la rage papiste, il va loin. Au contraire, ce qui se passe depuis cent ans dans le monde protestant démontre que nos théologiens voyaient juste. En effet, sous le nom d’athéismes de Luther, de Calvin, etc., que désignaient-ils ? Qu’on les relise avec soin, sans s’arrêter à l’écorce des mots ; ce terme d’athéisme désigne chez eux ce que nous nommons aujourd’hui naturalisme, rationalisme, panthéisme, agnosticisme. Or, il n’est pas rare que les mêmes textes de Luther et de Calvin qui servirent à de Sainctes, à Possevin, à Feuardent, etc., pour dénoncer au monde chrétien ce qu’ils appelaient en bloc « l’athéisme », soient précisémenteeux sur lesquels s’appuyaient, il y a quatre-vingts ans, Wegscheider et Bretschncider pour prouver l’identité du protestantisme et du rationalisme, ou ceux que mettent en avant de nos jours llarnack, Plleiderer, Sabatier, Paulsen, etc., pour se persuader qu’ils sont encore protestants, tout en ayant depuis longtemps cessé d’être chrétiens ou même déistes. Nous pouvons donc conclure que, si l’anglican Bacon, le calviniste Viret, le luthérien Spizelius étaient d’accord avec le jésuite espagnol Yasquez pour reconnaître une coïncidence de fait et quelque liaison entre l’hérésie protestante et la diffusion de l’athéisme proprement dit, de nos jours les protestants libéraux pensent, comme de Sainctes, Possevin, Feuardent, Mersenne, Garasse et Raynaud, que la doctrine protestante contenait en germe toutes les thèses que nous voyons systématiquement développées autour de nous et dont l’aboutissement naturel n’est autre que l’athéisme pur et simple. Le cours de l’histoire n’a donc fait que confirmer ce que la perspicacité des théologiens catholiques avait deviné, cf. Duns Scot, In IV Sent., q. tu, prologi, qu ; est. later.2, Ex diclis ; Yasquez, In Sum., I a, disp. X, n. 8, 15 ; el le protestantisme libéral, en se rattachant aux doctrines des premiers réformés. justifie les assertions historiques du concile du Vatican. D’ailleurs, nous pouvons négliger les réclamations de certains protestants libéraux allemands contre l’encyclique : L’encyclique, démasquant le modernisme, démasquait du même coup le protestantisme libéral ; de là, chez certains protestants libéraux, la préoccupatipn de séparer leur cause de celle du modernisme. Mais l’attitude que le protestantisme libéral dans son ensemble a prise à l’égard du modernisme, condamné par Rome, montre assez que la parenté des doctrines n’est pas imaginaire.

2° Ce serait pourtant manquer de toute justice et de toute mesure que de prétendre que les protestants sont tous et fatalement sur le chemin de l’athéisme ou de l’agnosticisme. Il n’en est heureusement rien. Les excès de quelques-uns de ses premiers adeptes effrayèrent Luther, comme plus tard le socinianisme lit reculer le calvinisme. Aussi, dès ses débuts, le protestantisme eut-il une théologie ou science de Dieu ; les Loci communes de Mélanchthon sont célèbres ; le calviniste Yirel, nous l’avons dit, donnait des preuves philosophiques de l’existence de Dieu ; la Théologie naturelle du huguenot Pacard a pour épigraphe Rom., I, 20. La bibliographie des ouvrages protestants anciens du même genre est immense. Disons simplement que Lobstein a raison d’affirmer que « la Réforme n’entama point la notion consacrée du Dieu personnel. I Etudes sur la doctrine chrétienne de Dieu, Paris et Lausanne, 1907, p. 160. Et, grâce à Dieu, il serait facile de citer parmi les protestants contemporains beaucoup d’écrivains dont la pensée est correcte sur le sujet qui nous occupe. C’est une appréciation très fausse, propagée à dessein par les modernistes dans les pays néo-latins, que tout le monde protestant partage leurs idées sur l’impuissance de la raison à connaître Dieu ; il suffît de vivre en pays protestant pour savoir que c’est calomnie pure. D’ailleurs, à côté de la littérature du protestantisme libéral dont on fait tant de bruit, il y a, aussi bien en Allemagne et aux États-Unis qu’en Angleterre, en Suisse et même en France, tout un monde de penseurs protestants qui sont aussi éloignés que nous de Hume et de Comte, de Kant et de Ritscbl, de Buchner et de Spinoza ; il y a du reste longtemps que l’on a remarqué que « rien n’est moins voltairien qu’un huguenot » orthodoxe. Lorsque donc les théologiens catholiques rapprochent les doctrines de la Réforme de l’athéisme, leur pensée ne vise pas l’ensemble des doctrines ; on veut simplement énoncer un fait : la coïncidence du développement de l’hérésie protestante et de l’athéisme ; et on explique cette coïncidence d’une manière générale par la mentalité faite aux protestants par quelques-unes de leurs doctrines, d’une façon plus spéciale, par les liaisons logiques de ces doctrines avec certaines positions philosophiques, qui conduisent au lidéisme, à l’agnosticisme ou à l’athéisme.

3° Dans tout ce travail, qu’il s’agisse des protestants ou des modernistes, nous n’avons en vue. même lorsque nous donnons des noms propres, ni les croyances personnelles, ni la foi subjective des individus. Il n’est question que des idées et de leur liaison ai eenotre sujet. Hans l’histoire des sciences, on discute la valeur d’une hypothèse comme d’un objet qui n’a rien à voir avec la personnalité de son auteur. Les juristes et les moralistes rejettent tous les jours tel principe d’un auteur classique sans mettre en question sa moralité. Les théologiens font de même. Dans le cas particulier qui nous occupe, nous sommes d’autant plus à l’aise pour procéder ainsi scientifiquement que nous tenons, avec h doctrine commune des Pères et de l’Ecole, que l’idée de Dieu est rarement absente chez l’homme normal ; car la croyance en Dieu naît et s’impose spontanément. Cf. Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris, 1900, t. i, col. 10 sq. D’où il suit, par exemple, que si nous voyons M. Lobstein, qui est symbolo-lidéiste, protester qu’il admet un Dieu personnel, nous n’avons aucune raison de mettre en doute sonaflirmation, bien que nous soyons convaincu (iiie les Études sur la doctrine chrétienne de Dieu du même auteur ne justifient et ne légitiment pas cette ferme croyance. D’ailleurs, et d’une façon générale, un écrivain, protestant ou catholique, peut avoir et défendre une idée sans en voir toutes les conséquences logiques. Par exemple, tel principe d’Occam peut avoir l’athéisme spéculatif ou l’agnosticisme comme conséquence logique, sans qu’Occam ait admis ou entrevu ce lien, faute de pénétration ou d’examen. Et quand il s’agit du cas particulier de l’idée de Dieu, rien n’est plus facile à expliquer qu’une telle inadvertance, parce que l’idée de Dieu est chez, nous antérieure à la réllexion philosophique. Cette antériorité explique pourquoi tant de philosophes modernes, qui réfutent Descartes, se donnent l’équivalent de l’idée innée de Dieu, que leurs philosophies seraient incapahles de leur fournir. Est-ce un mal de constater cette impuissance et de dire, par exemple, que dans le système d’Occam et dans la Grammar of assent de Newman, on se donne l’idée de Dieu ? Cf. Fifleen sermons, xv, n. 41, où, pour éviter le sombre scepticisme qu’engendrent les théories modernes sur la connaissance, Newman fait entrer en ligne de compte, comme Victor Cousin, « l’existence et la providence de Dieu, d’un Dieu qui est à la fois miséricorde et vérité. » — Il arrive souvent qu’un auteur énonce un principe ou fasse une théorie inconciliables avec le dogme ou avec la théologie et qu’ailleurs, dans le même ouvrage, cet auteur atténue ses dires ; il arrive aussi que, soit par suite du progrès de sa pensée, soit comme résultat de polémiques, cet auteur modifie ses premières vues ou même les abandonne. Le critique des idées n’a pas à s’occuper de ces contingences, pourvu qu’il prenne bien le sens de l’auteur qu’il cite dans le passage précis auquel il renvoie. C’est au lecteur à ne pas généraliser et à se souvenir qu’une discussion sur le rapport des idées n’estpas le tableau littéraire’dela mentalité d’un auteur ni l’histoire de sa pensée intime.

4° Si étonnant que le fait puisse paraître au scepticisme et au rationalisme modernes, c’est sur un terrain proprement théologique que se posa le problème de la connaissance naturelle de Dieu, à l’époque de la Réforme. Laissons de côté la question des origines psychologiques des erreurs de Luther sur laquelle on discute encore, il reste que la doctrine de la justification est la base de tout le système protestant, et que celle-ci repose sur la doctrine luthérienne de la chnte originelle. Voir Justification, P originel. D’après Luther, la concupiscence, que n’avait poinl Adam, est chez nous insurmontable, car le libre arbitre a péri ; et de même que les énergies de notre volonté pour le bien ont disparu, noire raison naturelle a été obscurcie. Incapable d’aimer Dieu sans péché, l’homme, même justifié, n’a gardé la raison qu’en matière de boire et de manger, de chevaux et de mariages, d’objets terrestres. Impuissant à toute vertu naturelle, virtutei paganorum tplendida vitia, I homn >t aveugle pour les choses divines. Attaque. Luther nia les droits de la philosophie et de la tb péculative, puis, il eut recours contre b’s sorbonistes à la théorie des deux vérités : verum vero contradiceie polat. Enfin, contre 1rs anabaptistes, qui prétendaient que l’exercice de la i ai on est la condition de la foi, il soutint que les lumières fumeu la raison ne sont que ténèbres puantes wieein Drech .s sur ces violences de I’d< i" n e, bien qu’elles aient pi ne point s’étonner de rencontrer partout di antinomi de la conception luthérienne de li chule originelle, il était logique de lure à l’impossibilité di tonte connaissant naturelle de Dieu, el la conclusion fut d< duile, Calvin, tout oncédanl la connaissanci naturelle de quel Dieu. nia la possibilité de la i on nce naturelle du i » r.n Dieu l lai i u ni ricui alla plus loin i I soutint que, si nous avons été faits à l’image de Dieu, ce miroir a été brisé. De cette image il nous reste, il est vrai, quelque chose, mais c’est seulement quoddam perversum et distortum lumen, quod verum Deum ejusque relijionem damnel ut extremam stultitiam et falsos deos ut colendos monstre ! . Cicéron parle d’une certaine prolepsis de la divinité admise par Epicure. Cette anticipation est réelle, dit Illyricus ; mais, au lieu du vrai Dieu, ce qu’elle nous représente, c’est le polythéisme anthropomorphique, quod dii sint jihires et humanam forniam habeant.

On trouvera les textes de Calvin au premier livre de l’Institution chrétienne, s qui est de connaître Dieu en titre et qualité de créateur et souverain gouverneur du monde, » Genève, 1502. Voir aussi l. II, c. il, « Que l’homme est maintenant dépouillé de franc arbitre et misérablement assujetti à tout mal. j> Le P. Mersenne. Quxstiones celeberrinix in Gcnesim, Paris 1623, col. 233 sq., donne toute l’argumentation de Flaccus Illyricus. « Illyricus, observe Mersenne, ne nie pas ex professo et directement l’existence de Dieu, cependant par une conséquence — légitime ou non, peu importe ici — il est certain que plusieurs en partant de cet axiome que nousiie connaissons pas ce qu’est Dieu, arrivent à se persuader qu’il n’existe pas. Il est donc nécessaire de discuter les arguments d’Illyricus, qui sont au nombre de seize. » Cf. Bellarmin, Controv. de tjratia et libero arbitriez, l. IV, c. ii, Lyon, 1596, t. iii, p. 529 ; J. de la Servière, La théologie île Bellarmin, Paris, 1908, p. 613 ; Kleul^en, De ipso Ueo, Hatisbonne, 1881, n.115 ; < k>nst. Germanus, Re/ormatorenbilder, Fiïbourg-en-Drisgau, 1883, p. 90 ; Lobstein, Études sur la doctrine chrétienne de Dieu, Paris, 1907, p. 111.

D’autres protestants sont arrivés à se défier de la raison naturelle en matière religieuse par des voies plus courtes, par la doctrine de la « Bible seule ». Il existe en Ecosse une secte fondée au xvine siècle par John Barclay et nommée « les béréans ». Elle a pris ce nom, parce qu’elle se pique d’imiter les habitants de Rérée, dont il est dit, Act., xvii, 11 : Suiceperunt ver bum cttm omni avidilale, quolidie scrutantes Scripluras, si ila se haberent. Certes, celle origine textuelle n’a rien de philosophique. Cependant, voyez les consé quences que l’on a déduites de ce texte scripturaire. En ce qui touche la connaissance de Dieu, les béréans professent « que la majorité des prétendus chrétiens errent sur le seuil même de la révélation ; en admettant une religion naturelle, des connaissances naturelles, etc., non fondées sur la révélation ou non dérivées d’elle par voie de tradition, ces prétendus chrétiens rendent impossible toute apologétique du christianisme : car l’incrédule, si on lui concède qu’il peut connaître Dieu par les forces naturelles de sa raison, prétendra que la parole de Dieu est inutile. Il faut donc soutenir que sans la révélation nous n’aurions pas même l’idée eh’Dieu. » Cf. The denonrinational reason why… giving the origin… of the Christian secls, Londres, 1890, p. 226. n. 77 sq, Voila donc toute une philosophie, toute une méthode d’apologétique, fondée, non pas sur l’observation ou l’induction, mais sur un bout de texte mal compris. Il y a dans le monde pi ti s de béréans que l’on ne pense.

Concluons. Entendu au sens catholique, le dogme de la chute originelle ne nous prive que des dons surnaturels d’Ail indebita simplicité)’et secundum quid). Entendu au sens protestant, le même dogme constitue une déchéance, non pas seulement de l’étal historique ou vécut Adam, mais bien de uns facultés naturelles. Or, un’de ces (acuités est la raison, puissance naturelle qui, entre autres, a Dieu pour objet. Luther, Calvin, us [llyricus, etc., déclarent cette puissance incapable d’atteindre cet objet. D’autres arrivent au m résultat en exagérant la néo ssité de la révélation et par suite en mettant le I’le la reli| D’où cette conséquence : tout système philosophique qui tend > déprimer la raison, à en nier la valeur, à prouver qii n m île re n lïgiet Unese ne les brutes, est un confirmatur de la thèse fondamentale du protestantisme ; le mouvement anti-intellectualiste actuel est foncièrement protestant. L’Eglise catholique, au contraire, prend la défense de la raison. M. Ollé-Laprune a fort bien dit : « L’Eglise condamne tout fidéisme. Elle qui, sans la foi, ne serait pas, elle commence par rejeter, comme contraire à la pure essence de la foi, une doctrine qui réduirait tout à la foi. L’ordre de la foi n’est assuré que si l’ordre de la raison est maintenu. » Ce qu’on va chercher à Rome, Paris, 1895, p. 36. Ce n’est rien dire de trop ; et le concile du Vatican, en délinissant que nous pouvons connaître Dieu par les lumières naturelles de notre raison, avait explicitement en vue de défendre les droits de la raison. « Il semble, disait M « r Simor, primat de Hongrie, un des rapporteurs du concile, dans une des premières séances de l’assemblée, que nous voyons se réaliser aujourd’hui ce qu’un grand philosophe d’Allemagne avait prédit il y a deux siècles, à savoir qu’un temps viendrait où l’Eglise catholique aurait à défendre la raison humaine contre les incrédules et que l’athéisme serait la dernière des hérésies. » Acla, col. 92. Si, depuis quatre siècles, les philosophies négatives ont tant de succès, c’est surtout au protestantisme primitif qu’il faut en demander compte ; Paulsen a raison : « Les conséquences que nous voyons étaient au fond des premières tendances du protestantisme. » Kant, der Philosoph des Protestantismus, p. 10.

On trouvera des développements et des textes sur ce sujet dans Mohler, La symbolique, 3 vol., passim ; Dbllinger, La Réforme, passim, et t. i, p. 449-454 ; Denifie, Luther und Lulherthum, Mayence, 1904, t. I, passim ; Oistiani, Luther et le luthéranisme, Paris, 1908.

L’anglican Litton, Introduction to dogmatic theology on the basis of the xxxix articles of the Churchof England, Londres, 1882, p. 211, parlant de Mohler lui reproche de ne pas s’être souvenu que par « l’image de Dieu » dans laquelle l’homme a été créé, les protestants entendent « la justice originelle > et non pas la simple capacité de la raison à la religion, qui « sans aucun doute reste dans l’homme tombé. » Que cette manière de voir ait été adoptée par beaucoup de protestants depuis que les déistes d’abord, les athées ensuite, ont fait argument de l’ancienne opinion que nous avons rapportée, la chose n’est pas douteuse. Mais d’autres protestants continuent encore à regarder comme fondamentale la théorie luthérienne de la chute. Lire sur ce sujet James Gibson de l’Église libre écossaise, Présent truths in theology, Man’s inability and God’s sovereignty in the « things of God, » I Cor., ii, 11, 2 vol., Glascow, 1863. Ce fanatique, qui pourtant connaissait le protestantisme libéral, n’a pas l’air de se douter que, plus il prouve par maintes citations anciennes que la doctrine luthérienne de la chute originelle est le fondement du protestantisme, plus il apparaît que le protestantisme libéral actuel est l’aboutissement logique de la Réforme. Il est vrai que les protestants libéraux n’admettent plu « le dogme du péché originel, bien qu’il y en ait encore quelque trace dans la chute extratemporelle de Kant ; mais ils conçoivent l’intelligence de l’homme, comme les anciens protestants s’étaient appliqués à la représenter en vue d’établir leur doctrine de la justification.