Dictionnaire de théologie catholique/DIEU (CONNAISSANCII NATURELLE DE). III. Origine historique des erreurs condamnées au concile du Vatican

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.1 : DABILLON - DIEU philosophie modernep. 388-389).

III. Origine historique des erreurs condamnées au concile du Vatican.

1° C’est un fait depuis longtemps remarqué et universellement admis que l’athéisme spéculatif, très rare au moyen âge, n’a cessé de devenir de plus en plus fréquent depuis le xvie siècle : on peut dire que le scepticisme et l’athéisme à l’état endémique datent de la Renaissance et de la Réforme. Bayle, si empressé à grossir le nombre des athées anciens et modernes, cite, sans oser y contredire absolument, ces paroles de Clavigny de Sainte-Honorine, Discernement et usage des livres suspects, p. 82 : « Je ne trouve pas d’athées chez nous avant le règne de François I er, ni en Italie qu’après la prise de Constantinople. » Et, de fait, avant le XVIe siècle on trouve peu d’écrits pour ou contre cette forme particulière de scepticisme qui consiste à nier ou à mettre en doute l’existence de Dieu, tout en ayant une notion correcte de la divinité. A partir du XVIe siècle, au contraire, le scepticisme universel ou le pyrrhonisme en religion et en morale pullule de toute part. Sur ce point, le témoignage des protestants s’accorde avec celui des catholiques. Le ministre Viret (y L">71) nous apprend qu’il « y en a plusieurs qui confessent bien qu’ils croient qu’il y a quelque Dieu et quelque divinité. .. ; mais quant à Jésus-Christ… ils tiennent tout cela pour fables et rêveries… J’ai entendu qu’il y en a de cette bande qui s’appellent déistes, d’un mot tout nouveau, lequel ils veulent opposer à a théiste… Ces déistes se moquent de toute religion, nonobstant qu’ils s’accommodent quant à l’apparence extérieure de la religion de ceux avec lesquels il leur faut vivre, et auxquels ils veulent plaire, ou lesquels ils craignent. Et entre ceux-ci il y en a les uns qui ont quelque opinion de l’immortalité des âmes : les autres en jugent comme les épicuriens, et pareillement de la providence de Dieu envers les hommes… L’horreur me redouble que plusieurs… sont infectés de cet exécrable athéisme. Par quoi nous sommes venus en un temps où il y a danger que nous n’ayons plus de peine à combattre avec tels monstres qu’avec les superstitieux et idolâtres (c’est-à-dire les papistes). Car, parmi les différends qui sont aujourd’hui en la matière de religion, plusieurs abusent grandement de la liberté qui leur est donnée de suivre des deux religions qui sont en différend, ou l’une ou l’autre. Car il y en a plusieurs qui se dispensent de toutes les deux et qui vivent du tout sans aucune religion. » Viret, Instruction chrétienne, 1565, t. il, épître dédicatoire, cité par Bayle, art. Viret. Le théologien espagnol Vasque/ écrivait un peu plus tard : In ea vero (alheorum) sententia noslro sseculo multi hærelici plane conquiescunt. l’t enini testantur Hedio, in epist. ad Philip. Melanchthonem, et Lindanus, in suo Dubitantio, dutn pravi homines hujus temporis niaxima inconstantia ex catholicis /iuntlulheraui, e.c lutheranis zwingliani, et ex his calrinistæ algue singulas seclas experiuntur et profitentur, in profundum malorum prolapsi Deum esse negant. InSum., I-’.disp. XX, c. i. Le même théologien ajoutait, dans un passage qu’on ne lit que tronqué dans les vieilles éditions de Lyon, « qu’on appelle ces athées poliligues, parce qn’avec Machiavel ils ne voient plus dans la religion qu’un moyen de gouvernement, témoin Henri III de France, dont la fin devrait leur ouvrir les yeux. » Outre ces témoignages directs, la dilïusionde l’athéisme au xvie siècle se prouverait encore parla multiplication des écrits contre les athées. Dans l’épilre dédicatoire que nous venons de citer, le ministre Viret avertissait le lecteur qu’il augmentait beaucoup la seconde édition de son ouvrage : a) « pour ce que l’esprit de Dieu nous propose souvent, es saintes Ecritures, tout ce monde visible comme un grand livre de nature, et de vraie théologie naturelle ; b) à cause de l’athéisme. » La même pensée et la même préoccupation amenèrent le calviniste Pacard, ségusiain, à écrire sa Théologie naturelle ou recueil contenant plusieurs arguments contre les épicuriens et athéisles de notre temps, La Hochelle, 1579. Pacard dédie son travail à François de la Rochefoucault. prince de Marcillac, et lui fait cet aveu : « Au commencement de mon ministère j’ai eu à combattre plutôt contre telles gens (épicuriens et athées), que contre ceux qui nous sont adversaires au fait de la religion. Et Satan ne s’est point contenté de me poursuivre en ce commencement, mais m’a presque continuellement exercé en cette sorte de combat. » C’est la mode parmi les universitaires de crier à l’exagération quand ils lisent dans le P. Garasse ou dans le P. Mersenne certains chiffres sur le nombre des athées de leur temps ; il était donc utile de produire les aveux du ministre réformé Pacard.

2° Après avoir constaté le fait de la diffusion de l’athéisme à partir du XVIe siècle, il faut dire un mot des causes de ce fait. Évidemment, il faut ici se garder des explications simplistes, unilatérales, et du sophisme : posl h>>c. ergo propter hoc, auquel les chercheurs de filiations doctrinales semblent spécialement exposés. Sans doute, l’histoire ne manque pas de continuité, mais il y faut laisser une large place à la contingence. Une chose est nécessaire : le rapport de convenance ou d’opposition des idées entre elles : le fait île l’association de ces mêmes idées en tel cerveau, à telle date, est chose contingente, qui dépend elle-même de beaucoup de contingences. Ces faits contingents sont l’objet propre de l’histoire. Constatés, ils sont du plus haut intérêt pour le psychologue, dont ils élargissent le champ d’observation ; ils sollicitent l’attention du métaphysicien et du théologien spéculatif, dont ils fécondent les méditations sur des rapports que, sans eux, il n’eût peut-être pas aperçus ou qu’il eût négligés ; la théologie positive fait de ces contingences une étude minutieuse, d’abord, parceque cette étude est nécessaire à l’intelligence des données traditionnelles, dont un théologien ne doit jamais s’écarter quand il expose les sources de la doctrine ; ensuite, parce que cette étude est très utile à l’interprétation des documents ecclésiastiques, dont le contenu doctrinal, invariable depuis les temps apostoliques, prend de nouveaux sens adversatifs à mesure que paraissent de nouvelles erreurs. Mais de la contingence même de ces faits résulte l’extrême difficulté, sinon l’impossibilité, de leur appliquer convenablement les régies de la méthode d’induction ; et c’est ce que, dans leurs affirmations de filiations et de dépendances, semblent oublier beaucoup de nos contemporains, dont la spécialité est d’exercer leur flair sur l’histoire des dogmes, sur la philosophie ou la théologie historiques, et plus généralement sur l’histoire plus ou moins comparée des religions. Dans toutes ces histoires à visées philosophiques, le sophisme non causa pro causa est l’abime perpétuellement côtoyé. Enfin, l’on accordera qu’il est bien hasardeux de prétendre déterminer exactement la genèse du théisme ou de l’athéisme dans un individu donné. Quù enim hominum scit quæ stint hominis nisi spirilus hominis qui in ipso est ? I Cor., il, 11.

3° Sous le bénéfice de ces réserves, nous pouvons nous dispenser de discuter beaucoup de prétendues causes de l’athéisme moderne souvent alléguées par des auteurs protestants, qu’il est inutile de nommer et qui ont soutenu longtemps, par exemple, que l’Église romaine est athée, parce que pélagienne ; que les scolastiques sont alliées, parce que disciples d’Aristote et donc partisans du système de la matière et de la forme, des générations spontanées, etc. ; que les jésuites sont athées, parce que leur politique est celle de Machiavel ; que les cartésiens sont alliées, parce qu’ils usent du doute méthodique, etc., etc. Nous pouvons de même négliger cette observation, que reprit, au xix, ; siècle, l’abbé Gaume dans sa lutte contre les classiques païens : ItaXorum philologiæ majusquam verm theologiæ studium,)>oeta>um Italorum elhnicismiun. Le luthérien Reimann, qui, un siècle avant damne, ne ces deux causes à l’athéisme des papisles italiens, s’appuie sur l’autorité de Philippe de Hornay, De verilate religionis christianæ, c. xxvi, p. 567, de Gisbertus Voêtius, Paralip., t. i, p. I 146, et de Bayle, Dictionnaire, p. 2920. Cf. Lotterus, De causis atheismi, Leipzig, 1711. Nous n’avons pas davantage < nous arrêter à uni’autre cause du’le l’irréligion, souvent mise en avant depuis Voltaire, à savoir le progrès cl.- lumières et des sciences Mise à la mode et exploitée par les philosophes du xviii » siècle, celle prétendue cause et excuse de l’athéisme est devenue, chez Auguste Comte, /" l<>i des trais états. Connue dans hdeui cas précédents, nous sommes ici en face du sophisme non causa pro causa, el d’une induction Incorrecte. I>u fait de la liaison contingente de l’athéisme et de la culture littéraire ou scientifique dans qui Iques cerveaux, on pisse à l’affirmation d’un rapport nécessaire, d’un l’ail universel. Or, il est historiquemenl prouvé que les vrais initiateurs du merveilleux progrès di iciences modernes ne furent ps alliées, que, parmi nos contemporains, beaucoup di i qu’il h -i de dévots. < » n saii i que les principe-, directeurs de la u ii n< plus favorabli me qu’à l’athéisme ou même .m déisme. Cf. le bon travail du protestant i. Navllle, La phy$iq[ dil. Pai ls, 1800. il est de mi me in que la théol i andement aidé su il ni de i i, ntiflqus tnodei n o prépart li ne i Voir, a o itijat, de bonnes indications, remarquées autrefois par Renouvier, dans Fréd. Morin, Dictionnaire de philosophie et de théologie scolastique, 2 vol., Paris, 1856, dans la troisième Encyclopédie théologique de Migne, t. xxi, xxii. Enfin, qui croit encore aujourd’hui à la loi des trois états’.'

Il en va autrement, croyons-nous, d’une autre cause de la diffusion de l’athéisme dans les temps modernes, à laquelle nous avons fait allusion, le protestantisme. C’est ce qu’il est nécessaire d’expliquer, pour exposer clairement et dans son entier le côté théologique du problème de la connaissance naturelle de Dieu. Ces doctrines protestantes nous donneront la clef des erreurs jansénistes, traditionalistes et modernistes, et nous fourniront l’occasion d’indiquer le rôle du nominalisme et du pseudo-mysticisme dans le problème de l’athéisme et de l’agnosticisme.