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Dictionnaire de théologie catholique/DOGME I. Etymologie et usage ecclésiastique

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 153-180).

DOGME. —
I. Etymologie.
II. Définition.
III. Valeur objective et positive.
IV. Sources théologiques.
V. Immutabilité substantielle des dogmes chrétiens.
VI. Progrès accidentel dans la connaissance et la proposition des dogmes chrétiens.
VII. Conclusions relatives à l’histoire des dogmes.

I. Étymologie et usage ecclésiastique.

Le mot '>jy ; j.^, de Soxéu, d’après son étymologie et d’après l’usage habituel chez les anciens Grecs, signifie non seulement une opinion qui paraît fondée ou que l’on préfère, mais aussi une résolution formelle et bien arrêtée, comme un décret ou une loi. Chez les philosophes grecs antérieurs à l’ère chrétienne, ce mot est souvent employé dans le sens de vérités ou maximes fondamentales, ou dans celui d’enseignements lant spéculatifs que pratiques d’une école philosophique, au sens du terme latin décréta, sens encore employé par saint Justin, Apol., i, n. 26, P. G., t. vi, col." 369.

La version des Septante emploie plusieurs fois le mot Sôyiioc dans le sens de lois ou de décrets royaux. Esth., iii, 9 ; Dan., il, 13 : VI, 8. Chez les écrivains du Nouveau Testament, Sdyu.2 signifie tour à tour édit, décret, prescription, loi, comme l° édit de César Auguste, Luc, ii, 1, les décrets portés par les apôtres au concile de Jérusalem, Act., xvi, i, les décrets ou lois de César, Act., xvii, 7 ; un décret de condamnation, È ; a"/ ; i’l-a ; xo xaô" r, u.’ov jjêtpôfpayov toî ; $6yi.xa : v, Col., ii, 1 i, ou un jugement porté selon les maximes du monde, r : m : Çùvts ; èv iOffu.a) SoyiLaTiÇeirâ : . Col., ii, 20. Chez les Pères apostoliques du I effet du IIe siècle, l’on rencontre les divers sens de lois fixes de la nature, ir 81vo<TTaToCa<x >rfiï iP/v.o’JTa ti rtov BeSoYH.aTtfffJ.évwv Cm’ayTcrj, S. Clément, / Cor., xx, 1, Funk, Patres a/ ostolici, 2*édil., ïubingue, 1901, t. i, p. 126, de préceptes du Seigneur, Epis t. Barnabnp. 40, d’enseignements du Seigneur et des apôtres, S. Ignace, Ad Magn., xiii, 1, p. 240, ou d’enseignement humain : o-Jok Soy^oco ; iv6p uTi.voj zooiTtiaiv, mtkz ? svtot. Epist. ad Diog., 2, p. 398. Au iiie siècle, Clément d’Alexandrie, Strotft’., VII, P. G., t. ix, col. 514, et Origène, Periarchon, l. IV, n. 1, P. G., t. xi, col. 341 ; Contra Cclsum, l. I, n. 7 ; l. III, n. 39, col. 668, 972 ; Comment, in Matth., tom. xii, n. 33, P. G., t. xiii, col. 1036, emploient le mot goyaa pour désigner l’ensemble des enseignements chrétiens se rapportant aux vérités à croire ou aux commandements à observer.

Ce n’est qu’au ive siècle que plusieurs auteurs commencent à réserver le nom de dogme aux seules vérités qui sont l’objet de la foi, et qui sont nettement distinguées des lois ou obligations enseignées par la révélation chrétienne. S. Cyrille de Jérusalem, Cat., IV, n.2, P. G., t. xxxiii, col. 456 ; S.Grégoire de Nysse, Epist., xxiv, P. G., t. xlvi, col. 1089.

Au ve siècle, ce sens restreint est généralement adopté par les auteurs ecclésiastiques et passe dès lors dans l’usage universel constamment observé depuis cette époque.


II. DÉFINITION. —

Suivant l’enseignement catholique, le dogme est une vérité révélée par Dieu et comme telle directement proposée par l’Église à notre croyance.

— 1° La révélation d’où procède le dogme, est la révélation absolument surnaturelle, manifestant des mystères cachés en Dieu, auxquels l’intelligence ne peut parvenir par ses seules forces et qui, après la manifestation divine, restent toujours intimement insaisissables à la raison. Concile du Vatican, sess. III. c. IV. Par cette révélation, nous participons vraiment à la connaissance même de Dieu, quoique d’une manière très imparfaite à cause de la faiblesse de notre intelligence et de l’imperfection des analogies humaines servant habituellement de véhicule à la vérité divine. S, Thomas, L’ont, genl., l. IV, c. i. Nous nous bornons présentement à cette simple affirmation. Nous aurons bientôt l’occasion de la prouver en démontrant contre les modernistes la valeur objective et positive des dogmes chrétiens.

Observons d’ailleurs que les vérités en elles-mêmes accessibles à la raison et révélées en fait au genre humain, parce que leur connaissance n’aurait pu être autrement possédée par tous expedite, firma certitudine et nullo admixlo errore, concile du Vatican, sess. III, c. il ; S. Thomas, Sum. theoL, II » II 38, q. il, a. i ; Cont. gent., 1. 1, c. IV, ne sont pas véritablement des dogmes, bien qu’elles puissent être accidentellement crues par les intelligences qui ne saisissent point leur évidence rationnelle. S. Thomas, Sum. theol., I’, q. ii, a. 2, ad 1°’ » ; II a II’, q. i, a. 5, ad 3°’" ; a. 7 ; Queest. disp., De refit., q. xiv, a. 9, ad.>’", 8° m et 9’"".

La révélation, source du dogme, n’est pas seulement la révélation complètement explicite, manifestant intégralement la vérité divine dans son propre concept, comme la génération et l’incarnation du Verbe ; elle est aussi la révélation partiellement explicite, faisant connaître l’enseignement divin également dans son propre concept, mais non sous tous ses aspects particuliers. Telle est, par exemple, la primauté effective de Pierre et de ses successeurs, formellement affirmée dans la révélation néo-testamentaire selon l’enseignement du concile du Vatican, sess. IV, c. i, et subséquemment expliquée par le magistère ecclésiastique d’une manière beaucoup plus complète, notamment en ce qui concerne l’infaillibilité du souverain pontife. Telle est encore la divine maternité de Marie, enseignée dans la révélation chrétienne en termes équivalents qui ne peuvent laisser aucun doute sur sa réalité, et proposée plus explicitement dans la suite des siècles sous les deux aspects particuliers de sainteté parfaite de Marie et de conception immaculée, appartenant évidemment à son concept intégral.

Dans ces deux cas et dans beaucoup d’autres que nous signalerons en étudiant l’évolution accidentelle des dogmes chrétiens au cours des siècles, nous constatons une révélation primitive, à la fois explicite et implicite : explicite, en ce qu’elle manifeste au moins partiellement l’enseignement divin sous son concept particulier ; implicite, parce que ne faisant point connaître formellement plusieurs vérités appartenant à l’intégrité de ce même enseignement, elle les conlienl cependant comme parties évidemment et nécessairement constitutives. Pour que la révélation ainsi faite implicitement apparaisse d’une manière certaine, il suffit que cette évidente et nécessaire connexion avec le dogme primitivement révélé soit, avec l’aide de quelque occasion providentielle, manifestée par le travail des Pères et des théologiens et formellement définie en le telle par le magistère ecclésiastique, auquel seul il appartient de proposer l’enseignement révélé.

Notons cependant que cette intime connexion avec le dogme primitivement révélé s’est parfois manifestée très tardivement et même d’une manière graduelle, soit parce qu’aucune nécessité apologétique n’y avait attiré l’attention des fidèles ou des docteurs, soit parce qu’une fausse conception théologique sur des points connexes empêchait, pour un temps, l’entière perception de la vérité révélée, soit enfin parce qu’il avait longtemps suffi d’avoir sur ces matières une pratique nettement et universellement établie, sans que l’on eût besoin de formuler expressément le dogme qui y était nécessairement inclus. C’est ce qui advint particulièrement pour les dogmes récemment définis de l’infaillibilité pontificale et de l’immaculée conception. Pour l’infaillibilité pontificale il avait suffi, pendant bien des siècles, de suivre la règle pratique universelle et indiscutable de se conformer absolument à l’enseignement du successeur de Pierre, ou il avait suffi d’affirmer, dans le vicaire de Jésus-Christ, la plénitude de tout pouvoir, sans formuler expressément le magistère infaillible, jusqu’à ce que de dangereuses erreurs vinrent contraindre à une formelle déclaration du dogme cru implicitement jusque-là. De même pour l’immaculée conception, la vérité révélée n’apparut dans tout son éclat que quand on eut écarté les obstacles qui l’avaient, pour un temps, voilée aux regards humains, notamment une théorie inexacte sur la transmission du péché originel et une fausse conception de l’universalité de la rédemption individuelle. à" Pour qu’une vérité révélée soit un dogme au sens strict, il est nécessaire qu’elle soit directement proposée à notre croyance par une définition solennelle de l’Eglise ou par l’enseignement de son magistère ordinaire et universel, au sens déterminé par le concile du Vatican : Porro fide divina et catholica ea oninia credenda sunt quæ in verbo Dei scripto vel tradito conlinentur et ab Ecclesia tanquam divinilus revelata credenda proponuntur. Sess. III, c. m. D’où se déduisent ces trois conclusions : 1. On ne peut ranger parmi les dogmes catholiques les vérités dont l’appartenance à la révélation, bien que non définie par l’Église, apparaît de fait pour quelques individus entièrement certaine. Toutefois dans cette hypothèse en elle-même possible, Lugo, De virtute fidei christianse, disp. XX, n. 56 sq., bien qu’assez rare en dehors de

! toute proposition certaine faite par le magistère ecclé| siastique, Christian Pesch, De inspiralione sacrsa Scripj

tune, Fribourg-en-Brisgau, 1906, p. 419, il y a obligation indiscutable d’adhérer, par un acte de foi divine, à une vérité positivement connue comme certainement révélée par Dieu.

2. N’appartiennent point non plus aux dogmes catholiques, les vérités non révélées et cependant définies par l’Église à cause de leurs rapports évidents avec la doctrine révélée ou de leur souveraine importance ou utilité pour la conservation, l’explication ou la défense de la vérité révélée. Tels sont particulièrement les faits dogmatiques affirmés par l’Église comme nécessaires pour maintenir l’intégrité du dépôt de la foi et les nombreuses conclusions théologiques enseignées par le magistère ecclésiastique comme se rattachant infailliblement à ce même dépôt de la foi. Ces véritésdélinies par l’Église s’imposent obligatoirement à la ferme adhésion de tout catholique, comme le démontrent

d’innombrables doci nts ecclésiastiques, parmi

lesquels nous citerons particulièrement l’encyclique Quanta cura de Pie IX du S décembre 1861, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1699, le concile du Vatican, n. 1820, l’encyclique Tmmortale Dei de Léon XIII dans le passage relatif aux erreurs précédemment condamnées par Pie IX, n. 1880, et le décret Lamenlabili du Saint-Office du 3 juillet 1907 condamnant cette proposition 7’ : Ecclesia, cum proscribit errores, nequit a [577

DOGME

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fidelibus exigere ullum internum assensum quo judicia a se édita complectantur. Mais les vérités ainsi définies ne sont point des dogmes, parce que la révélation fait défaut. Leur connexion même nécessaire avec les vérités révélées, dès lorsqu’elle est manifestée seulement par le raisonnement théologique, ne peut leur assurer le bénéfice de la révélation implicite. Il est vrai que ces enseignements non révélés sont garantis par Dieu lui-même comme certainement vrais, par le fait même de l’institution du magistère infaillible de l’Eglise. Mais le fait de cette divine garantie en faveur d’un enseignement proposé par l’Eglise comme certain, loin de transformer celui-ci en enseignement révélé, le laisse réellement ce qu’il est dans sa nature intime. Tout ce que l’opinion contraire de Suarez, De fide, disp. III, sect. xi, n. 11, et du cardinal de Lugo, De fide efivina, disp. I, n. 272 sq., contient de vrai, c’est que les négateurs opiniâtres d’un enseignement non révélé, proclamé par l’Eglise comme vrai, pourraient être facilement présumés rebelles à l’autorité même de l'Église évidemment aflirmée par la révélation, et conséquemment opposés formellement à la révélation elle-même.

3. A plus forte raison, ne doit-on point ranger parmi les dogmes catholiques ces assertions doctrinales que l'Église n’a nullement définies et auxquelles elle donne une simple préférence, parce qu’elle les considère comme s’harmonisant mieux avec les doctrines définies, ou comme protégeant plus efficacement la vérité catholique. Telles sont, dans les documents ecclésiastiques, particulièrement dans les bulles ou encycliques des souverains pontifes, beaucoup d’affirmations doctrinales auxquelles tout catholique doit une prudente adhésion interne, distincte de l’inébranlable adhésion de la foi ou même de la ferme adhésion due aux vérités non révélées et positivement définies par l'Église. Franzelin, Tractatus de divina tradilione et Scriptura, 4e édit., Rome, 1896, p. 118 sq. ; Bouquillon, Theologiamoralis fundamentalis, 'àe édit., p. 55 ; de Groot, Summaapologetica de Ecclesia catholica, 2e édit., Ratisbonne, 1892, p. 569 ; Christian Pesch, Prælectiones dogmaticæ, 4e édit., Fribourg-en-Rrisgau, 1909, t. i, p. 353 ; Billot, Tractatus de Ecclesia Christi, 2e édit., Rome, 1903, p. 446 sq. Telles sont aussi les nombreuses décisions doctrinales portées par les Congrégations romaines avec l’approbation du souverain pontife, selon l’enseignement formel de Pie IX dans le bref du 21 décembre 1863 à l’archevêque de Munich. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1681.

4° Il est non moins certain que l’approbation ecclésiastique, donnée aux révélations privées, ne les assimile point aux dogmes catholiques et ne les incorpore point au dépôt de la révélation chrétienne. Cette approbation, dans la mesure où elle existe, est seulement une garantie que ces révélations ne contiennent rien de contraire à la foi catholique, aux bonnes mœurs ou à la discipline chrétienne et que l’on peut, d’une foi purement humaine, y adhérer prudemment et avec profit spirituel. Melchior Cano, De locis theologicis, I. XII, c. iii, concl. ni, Venise, 1759, p. 280 ; Salmanticenses, Cursus theologicus, tr. XVII, De fide, disp. I, n. 115, Paris, 1879, t. xi, p. 54 ; Benoit XIV, De servorum Dei bealificatione, l. II, c. xxxii, n. 11, Rome, 1747, t. il, p. 402 ; Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. ii, p. 291 ; Franzelin, op. cit., p. 256 sq. ; Bainvel, De magisterio vivo et tradilione, Paris, 1905, p. 129. Cette approbation suffit d’ailleurs amplement pour la réalisation du rôle providentiel des révélations privées : institution de quelques fêtes particulières, propagation de dévotions toujours soumises à l’approbation de l'Église et surtout instruction ou édification des âmes.

5° Il serait non moins injuste d’adjoindre aux dogmes catholiques les systèmes philosophiques auxquels

l'Église a, au cours des siècles, emprunté quelques expressions destinées à formuler ou à expliquer ses définitions, comme les expressions essence, personne, nature, substance, accident, matière, forme, cause instrumentale, habituellement employées dans l’exposition des mystères de la trinité, de l’eucharistie, ou dans l’explication de la nature des sacrements. Car dans la pensée de l'Église toujours attentive à borner sa définition à ce qui est strictement requis pour la défense du dogme révélé, toutes ces expressions ne s’identifient avec aucun système philosophique particulier. Elles n’ont qu’un sens général, courant, vulgaire, communément admis par les diverses écoles. Ainsi dans les définitions conciliaires sur la trinité et sur l’incarnation du Verbe, les mots nature et personne excluent tout sens qui favoriserait les erreurs sabelliennes ou ariennes, nestoriennes ou eutychiennes, ou se concilierait difficilement avec la réalité de l’union hypostatique, mais elles n'écartent aucune des opinions librement discutées entre catholiques sur ce qui constitue vraiment la personnalité.

De même, l’appellation de forme du corps humain, appliquée à l'âme rationnelle per se et essentialiter par le concile de Vienne en 1311, ne doit point s’entendre nécessairementau sens thomiste, de telle sorte qu’il soit vraiment défini que l'àme rationnelle est le principe de tout l'être appartenant réellement au corps. Le concile n’a point employé le mot forma au sens particulier de l'école thomiste, mais dans un sens plus général, acceptable aussi dans l’opinion d’Albert le Grand sur le composé physique et dans la théorie de Duns Scot sur la forme de corporéité. Vacant, Etudes théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. i, p. 256 sq.

C’est encore dans un sens général que l’on doit comprendre les expressions des conciles de Florence et de Trente, relatives à la causalité des sacrements de la nouvelle loi. Les conciles n’ayant aucunement voulu définir que les sacrements sont causes physiques de la production de la grâce sanctifiante, au sens de saint Thomas, les expressions conciliaires doivent s’interpréter conformément à cette intention. D’où diversité d’opinions encore théologiquement permises après les définitions précitées. Pourrat, La théologie sacramentaire, Paris, 1907, p. 166 sq.

L’on doit d’ailleurs observer que de tels procédés de langage sont habituels même en philosophie. Dans la réfutation du subjectivisme ou du matérialisme, du déterminisme ou du fatalisme, de l’athéisme ou de l’agnosticisme, du socialisme collectiviste ou des faux systèmes sur le fondement de la morale, les mêmes termes de connaissance objective, d'âme spirituelle substantiellement unie au corps, de liberté, de connaissance de Dieu, de droit de propriété ou de réformes sociales et beaucoup d’autres expressions ont, malgré la divergence des systèmes particularistes, une même signification commune sur laquelle on s’entend contre l’adversaire commun.

6° Les remarques que nous venons de rappeler sur la nature des dogmes catholiques sont éminemment utiles pour leur apologétique générale. Car, comme le déclare le concile du Vatican, la vaine apparence de contradiction que l’on se plait à affirmer entre ces dogmes et les données de la raison, repose tout entière sur ce que l’on a de ces dogmes un concept autre que celui de l'Église et que l’on accepte comme données rationnelles indiscutables, de simples opinions ou hypothèses : inanis autem lui/us contradiclionis sjiecies inde potissimum oritur quod vel fidei dogmata ad mentem Ecclesix intellecta et exposita non fuerint, vel opinionum commenta pro rationis effatis Itabeantur. Concile du Vatican, sess. III, c. iv.

7° D’après la définition du dogme, telle que nous ve1 579

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rions de l’exposer, il (-si facile de comprendre ce que signifie le mot doctrine, quand il se distingue du dogme. — 1. Outre les vérités dogmatiques, il signifie encore la doctrine non révélée que l’Église définit comme appartenant indirectement au dépôt de la révélation, c’est-à-dire comme nécessaire ou utile pour la défense, l’explication ou la proposition des vérités révélées. Cette doctrine est l’objet non d’un acte de foi toujours exclusivement réservé à ce qui est révélé, mais d’un assentiment ferme et entier, inébranlablement appuyé sur la parole de Dieu garantissant l’infaillible magistère de l’Église..1. Tixeront, La théologie anlénicéenne, 3e édit., Paris, 1900, p. 2. — 2. Outre les vérités dogmatiques et les vérités non révélées mais positivement définies par l’Église, le mot doctrine exprime aussi ce que l’Église ne définit point expressément, mais loue simplement ou recommande comme très utile pour la défense ou pour l’explication et la proposition de l’enseignement révélé. Telles sont particulièrement les propositions auxquelles nous devons donner-un prudent assentiment intérieur, à cause d’une décision doctrinale portée par les Congrégations romaines avec l’approbation du pape, ou par le pape lui-même quand il parle avec une autorité non souveraine, sans définir positivement la vérité qu’il propose ou recommande.

Ce double sens se rencontre fréquemment dans le langage théologique et dans les documents ecclésiastiques. Nous n’en parlerons que d’une manière bien accidentelle dans cette étude exclusivement réservée aux dogmes proprement dits.


III. Valeur objective et positive du dogme.

I. CONCEPT CATHOLIQUE DE CETTE VALEUR OBJECTIVE.

— 1° A rencontre des divers systèmes subjectivistes, l’on doit admettre que le dogme révélé fournit une connaissance objective, si imparfaite qu’elle soit, des vérités divines. La réalité objective de cette connaissance résulte de la double notion de la révélation et de la foi, si manifeste dans les écrits du Nouveau Testament et dans la tradition chrélienne, où la révélation apparaît toujours comme un enseignement divin communiqué à l’homme par Dieu lui-même, et la foi comme une adhésion absolue à la parole infaillible de Dieu, qui nec falli nec fallcre potest. Double notion d’ailleurs confirmée par la définition du concile du Vatican, sess. III, c. iii, iv. Il est donc évident que l’on ne peut nier la réalité objective du dogme révélé, sans nier en même temps la révélation et la foi divine telles que le christianisme les enseigne.

2° Notre connaissance du dogme, tout objective qu’elle est, reste cependant 1res imparfaite. Cette imperfection provient de trois sources principales : les étroites limiles de notre intelligence toujours impuissante à saisir l’infini, l’emploi habituel d’analogies créées représentant incomplètement la vérité divine et l’inévitable défectuosité de loutes les formules humaines. De la première source nous n’avons pointa parler ici, car elle existe même dans la vision béatifique. S. Thomas, Sur », theol., I a, q. xii, a. 7, 8.

1. En cette vie les analogies créées sont pour l’intelligence humaine le principal moyen de connaître Dieu dans l’ordre naturel, soit qu’elle lui attribue d’une manière infiniment supérieure les perfections disséminées dans l’univers créé, soit qu’elle écarte de lui tous les défauts inhérents à l’être fini ; et ces analogies, quelles qu’elles soient, ne peuvent jamais fournir qu’une proportion très lointaine avec la plénitude de l’être divin. S. Thomas, Sum. theol., I a, q, ii, a. 2, ad 3um ; q. IV, a. 3 ; q. xiii, a. 2, 5 ; Cont. genl., l. I, c. xiv ; l. III, c. xi.ix. Voir Analogie, t. i, col. 1146 sq, Conclusions non moins vraies de la connaissance positive des mslères divins, telle que nous la possédons par la foi, car dans l’ordre surnaturel où Dieu nous régit aussi d’une

manière conforme à notre nature, c’est encore sous le voile de similitudes et d’analogies que Dieu nous communique ses ineffables mystères, comme l’attestent fréquemment le langage de l’Ecriture et celui de toute la tradition ecclésiastique, S. Thomas, Cont. genl., l. IV, c. i ; et ces analogies, aussi nécessairement que les analogies créées, fournissent sur les mystères divins, une connaissance toujours imparfaite. Ainsi le mystère de la trinité nous est manifesté sous les concepts analogiques de procession, de génération, de paternité, de filiation, de spiration active et passive, de personne, de verbe, évidemment empruntés aux créatures. Ce n’est qu’en écartant de ces concepts toute idée d’imperfection et en attribuant à Dieu, sans aucune restriction, toute la perfection qu’ils contiennent, que nous pouvons obtenir de l’adorable Trinité quelque connaissance nécessairement imparfaite, puisqu’elle ne porte point direefement sur sa nature intime. C’est cette méthode que suit saint Thomas dans l’étude des processions divines ef particulièrement de la génération du Verbe, comme nous l’avons noté à l’article précédent. Sum. theol., I a, q. xxvii, a. 1, 2 ; q. xi.i, a. 1 ; Cont. genl., l. IV, c. xi, - xiv ; Opusc., XIII, De differentia verbi divin i et humani. C’est encore par un rapprochement entre les analogies créées et les termes scripturaires, et par l’analyse attentive de ces mêmes analogies, qu’il établit la différence entre la génération du Verbe et la procession du Saint-Esprit. Sum. theol., I a, q. XXVII, a. 3, I ; q. xxxvi, a. 1 sq. ; Cont. gent., I. IV, c. xxiit. De même les analogies créées et surtout la comparaison avec l’union entre l’Ame et le corps aident à mieux connaître le myslère de l’incarnation, après qu’il a été’manifesté par la révélation. Sum. theol., III a, q. il, a. 1 ; Quæsl. disp., De unione Verbi incarnati, a. 1 ; Cont. gent., l. IV, c. XLI. C’est aussi le même procédé que l’on rencontre dans d’autres exemples cités à l’article précédent et encore présents au souvenir du lecteur.

Dans toutes ces occurrences le résultat théologique est le même. C’est en établissant nettement les similitudes et les dissimilitudes entre le terme de comparaison et l’enseignement révélé, en écartant positivement du concept révélé toutes les dissimilitudes évidemment nécessitées ou suggérées par l’enseignement divin et en affirmant effectivement foutes les similitudes dans la mesure strictement permise, que l’on obtient quelque connaissance de l’objet révélé ; connaissance qui, toute précieuse qu’elle est, reste nécessairement très imparfaite, puisqu’elle ne manifeste point l’intime nature de la réalité divine.

2. Une autre cause, qui contribue à l’imperfection de notre connaissance des dogmes révélés, est l’inévitable impuissance de toule formule humaine à exprimer les réalités divines, soit dans l’ordre naturel soit dans l’ordre surnaturel. Cette impuissance provient surtout de ce que les formules humaines, par lesquelles nous désignons les perfections divines, marquent seulement le concept imparfait que nous fournissent les créatures et que nous attribuons à Dieu d’une manière strréminente, après l’avoir dépouillé de la gangue des imperfections créées. Or il est évident qu’un tel concept ne petrt jamais représenter d’une manière positivement adéquate les infinies perfections divines. S. Thomas, Sum. theol., I », q. xiii, a. 2, 3.

3° Malgré cette double source d’imperfection, notre connaissance des dogmes révélés n’est ni fausse ni purement négative. — I. Cette connaissance n’est point fausse. C’est l’enseignement formel de saint Thomas, que nous tenons à rapporter ici sommairement, parce qu’il a été très inexactement exposé parquelques écrivains catholiques dans la récente controverse sur la notion du dogme.

A cette objection que les affirmations que l’on porte sur Dieu, n’exprimant point Dieu comme il est en

réalité, ne peuvent être vraies, selon l’axiome omnis intellectus, intelligens vem aliter quam sit, est falsus, le docteur angélique répond : l’axiome cité ne s’applique point au cas où aliter intelligens signifie seulement que le mode de représentation intellectuelle est autre que le mode objectif de l'être. Ainsi, bien que nous connaissions d’une manière immatérielle, notre connaissance est vraie quand elle atteint la réalité objective, du moins en ce que nous pouvons en percevoir. De même, relativement à Dieu, notre intelligence, en le connaissant par un ensemble de concepts fragmentaires bien qu’il soit en lui-même infiniment simple, n’est nullement entacbée de fausseté, car elle n’attribue à Dieu aucune composition, bien qu’elle le connaisse d’une manière composée. Et en cela notre intelligence n’est point fausse. Et similiter cum intellectus noster intelligit simplicia g use sunt supra se, intelligit ea secundum modum sinini, scilicet composite, non lamenita guod inleUigat eæsse composita. Et sic intellectus noster non est falsus for m ans compositionem de Deo. Sunt. iheol., I », q. xiii, a. 12, ad 3°"'. Dans le même ordre d’idées, le saint docteur affirme aussi la vérité de nos concepts sur la science possédée par Dieu. Cette science que nous affirmons de Dieu est, non moins que l’essence ou la vie, aliquidquod in Deo est. En réalité, la science, la vie et l’essence ne diffèrent point objectivement, car en Dieu il n’y a qu’une seule réalité infinie, cadem enim res penitus in Deo est essenlia, vita et quidquid hujusniodi de ipso dicitur ; mais notre intelligence se forme de cette essence, de celle vie et de cette science divers concepts fragmentaires, bien que la réalité divine soit une. De ces concepts, saint Thomas affirme expressément qu’ils ne sont point faux : ncc tamen ist ; v conceptiones sunt falsse. Ils sont vrais en ce qu’ils représentent per quamdam assimilalionem la réalité connue ; représentation cependant toujours imparfaite, parce qu’elle est toujours distante de l’infinie perfection divine. Qusest. di.sp., Deverit., q. il, a. 1. Parce que cette représentation est imparfaite, Dieu dépasse toutes nos conceptions et ne peut être renfermé dans aucune de nos définitions, hoc. cit., ad 9um. Mais aussi parce que cette représentation liabet aliquam modicam iniitationem essentise divinse, elle signifie vraiment une réalité en Dieu, ad 10um.

Il en est de même de la connaissance que la révélalion surnaturelle nous donne des mystères divins qui surpassent notre raison. Cette connaissance, si minime qu’elle soit, donne à notre intelligence une très grande perfection, car c’est une très grande perfection de posséder même une imparfaite connaissance des réalités les plus nobles : Ex quitus omnibus apparet quod de rébus nobilissimis quanluincumque imperfecta cognitio maximam perfectionem animse confert. Et ideo quanivis ea qusc supra ralioneni sunt ratio humana plene capere non possit, tamen multum sibi perfectionis acquiritur, si sallem ea gualitercumgue teneat fuie. Cont. gent., I. I, c. v. Cette connaissance, si imparfaite qu’elle soit, est comme un épancbement en nous de la parfaite science que Dieu a de lui-même, Cont. gent., l. IV, c. i ; ce qui suppose manifestement une participation à la réalité objective de cette divine science.

2. Il est également certain que la connaissance des dogmes n’est pas purement négative, sinon la doctrine catholique sur la valeur objective des dogmes serait, comme nous l’avons montré précédemment, entièrement détruite. C’est en vain qu’on essaie d'étayer l’hypothèse contraire sur la forme habituellement défensive des définitions dirigées par l'Église au cours des siècles contre les diverses hérésies. Le fait que ces définitions sont principalement défensives n’empêche aucunement leur enseignement positif sur les points

particulièrement visés par l’hérésie, comme le témoignent les documents que nous citerons bientôt. En vain voudrait-on aussi s’appuyer sur ce que le dogme défini par l’Eglise dépasse tous les systèmes des écoles philosophiques ou théologiques sans s’identifier avec aucun, ou sur ce que son but principal doit être la direction pratique de la volonté. Car la transcendance du dogme relativement aux systèmes particuliers s’explique suffisamment par la constante volonté de l'Église de maintenir le dogme catholique en dehors de toute dispute d'école ; et le but de la direction pratique de la volonté, loin de s’opposer au caractère positif de l’enseignement dogmatique, l’exige impérieusement comme lumière directrice indiquant la fin surnaturelle à atteindre et les moyens à employer pour y parvenir.

4° Notons enfin qu’en soutenant la connaissance objective du dogme dans le sens que nous venons d’exposer, on doit en même temps réprouver absolument toute exagération anthropomorphique dans le concept que l’on se forme des réalités divines. C’est une conséquence nécessaire de l’incompréhensibilité de Dieu et de l’inaptitude radicale de toute conception humaine et de toute parole humaine à exprimer les perfections divines ou les mystères divins. D’ailleurs, toute conception vraiment anthropomorphique a toujours été combattue par les théologiens catholiques à la suite de saint Thomas, dont nous avons précédemment cité quelques témoignages.

Observons seulement qu’il serait souverainement abusif de condamner comme entaché d’anthropomorphisme l’usage même fréquent des expressions métaphoriques, comparaisons ou analogies humaines, auxquelles l’intelligence humaine en cette vie, particulièrement celle des gens peu cultivés ou peu instruits, doit nécessairement aoir recours pour se former quelque concept des attributs divins. S. Thomas, Sum. l/ieol., I a, q. i, a. 9. Tout ce que l’on est en droit d’exiger, c’est que l’incompréhensibilité et la transcendance de Dieu soient habituellement et nettement affirmées. Avec cette précaution, les expressions ou analogies humaines, d’ailleurs toujours maintenues dans les limites convenables, ne courent aucun risque d'être mal interprétées. En fait, ces précautions ontelles toujours été suffisamment observées dans l’enseignement catholique, notamment dans l’enseignement catholique populaire, nous n’avons point à l’examiner ici. D’ailleurs, quelques manques individuels de précaution théologique sur ce point, à supposer qu’ils fussent démontrés, ne prouveraient évidemment rien contre la doctrine que nous venons de rappeler.

II. SYSTÈMES OPPOSÉS A CETTE VALEUR OBJECTIVE

des dogmes. — 1° Systèmes subjectivistes protestants. — Le premier auteur protestant qui formule nettement le subjectivisme en religion est Schleiermacher (1768-1834). S’inspirant des données philosophiques de Kant et de Hegel, il déclare que toute la religion consiste dans le sentiment de dépendance absolue de l’homme vis-à-vis de Dieu ou dans le sens intime du contact avec Dieu. Dès lors, la révélation divine est en chaque homme un fait d’expérience intime. Les dogmes religieux, tels qu’ils sont formulés par chaque individu ou officiellement exprimés par la communauté chrétienne, ne sont que des images, des représentations ou des symboles traduisant approximativement les sentiments individuels ou exprimant, d’une manière moyenne, les impressions religieuses des individus formant la communauté. Ces symboles sont d’ailleurs nécessairement variables et sujets à diverses interprétations, ce qui explique les changements incessants dans les dogmes. G. Goyau, L’Allemagne religieuse, le protestantisme, Paris, 1898, p. 76 sq. ; Realencyklopâdie für proies lanlische Théo

logie und Kirche, 'i' ('dit., Leipzig, 1906, t. xvii p. COI sq. Cette doctrine subjectiviste reproduite par Albert Ritschl (1822-1889), avec une accentuation encore plus marquée, G. Goyau, op. cit., p. 9(i sq. ; Healencyklopàdie, loc. cit., p. 28 sq., fut propagée parmi les protestants français par A. Sabalier (18391901), particulièrement dans son Esquisse d’une philosophie de la religion d’après la psychologie et l’histoire, Paris, 1897, et les Religions d’autorité et la religion de l’esprit, Paris, 1903. Suivant Sabalier, la révélation est simplement l’action continue de la providence sur les âmes en contact avec le divin, action d’où résulte dans l'âme une impression ou expérience religieuse personnelle, éveillant à la vie de justice et d’amour. C’est en prenant conscience de cetteexpérience religieuse que l’on acquiert quelque idée de Dieu et des rapports obligatoires avec lui. Toutefois, quand des individus possédant une même conscience religieuse se constituent en société, il est nécessaire que l’autorité détermine officiellement les croyances collectives, d’une manière conforme à la conscience commune des membres de la communauté et à leur état de culture intellectuelle suivant leur époque et leur milieu. Les formules ou propositions doctrinales ainsi adoptées, avec une valeur purement disciplinaire et pédagogique, sont les seuls dogmes. Persévéramment identiques dans l’expérience religieuse qui est leur source première, ces dogmes sont incessamment et essentiellement variables dans les jugements intellectuels et dans les propositions doctrinales exprimant cette expérience intime. Variabilité d’ailleurs impérieusement exigée par la nécessité d’harmoniser les dogmes officiels avec la culture intellectuelle de l'époque et du milieu.

Le maintien de cette constante harmonie est assuré par la critique théologique à laquelle incombe principalement la laborieuse tâche de l’incessante épuration des dogmes. Op. cit., -passim.

Ces idées subjectivistes ont, surtout de nos jours, obtenu créance chez un grand nombre de protestants. .1. Lebreton, L’encyclir/ue et la théologie moderniste, Paris, 1908, p. 20 sq. On le constatera facilement en lisant les articles sur la dogmatique et le dogme dans Y Encyclopédie des sciences religieuses de Licbtenberger, Paris, 1878, t. iv, p. 1 sq., et dans la Realencyklopâdie für protestantische Théologie und Kirche, 3e édit., Leipzig, 1898, t. iv, p. 733 sq. Voir aussi l’article de G. Lapeyre, La crise du luthéranisme, dans la Revue pratique d’apologétique du 15 janvier 1910, p.."J89 sq.

2° Système de M. Loisy. — Cet auteur incarnant, pour ainsi dire, en lui tout le modernisme, il nous suffira, pour donner une juste idée de celui-ci, d’indiquer au moins sommairement les idées du maître, soit d’après les écrits antérieurs à l’encyclique Pascendi, soit d’après quelques brochures publiées depuis cette époque. — I. Comme dans les systèmes précédents, la révélation n’a pu être que la conscience acquise par l’homme de son rapport avec Dieu, Autour d’un petit ilvre, 2e édit., Paris, 1903, p. 195 sq., l’idée commune de la révélation est un pur enfantillage ou une conception puérile. Quelques lettres sur des questions actuelles et sur tirs événements récents, Paris, 1908, p. 162 ; Simples ré/lexions sur le décret du SaintOffice et sur l’encyclique, Paris, 1908, p. 149. — 2. Les dogmes sont pour l’historien critique une simple interprétation de faits religieux, acquise par un laborieux effort de la pensée théologique. L' Evangile et l’Eglise, M édit., Paris, 1903, p. 200 sq. ; Autour d’un petit livre, 2e édit., Paris, 1903, p. 200. Aussi les dogmes, tels qu’ils sont ofliciellement formulés par l'Église, n’ont-ils qu’une valeur relative. L’Evangile et l’Eglise, p. 210 ; Autour d’un petit livre, p. 206.

D’ailleurs, l’auteur admet le relativisme philosophique en ce qui concerne toutes nos connaissances. Autour d’un petit livre, p. 190 sq. — 3. Apparemment l’auteur accorde quelque rôle à l’autorité enseignante de l'Église considérée comme divinement établie, Autour d’un petit livre, p. 206 ; mais en réalité celle-ci ne remonte point à l’institution primitive et ce n’est qu'à une époque assez éloignée des temps primitifs que le christianisme catholique prit une conscience plus claire de lui-même et se déclara d’institution divine en tant que société extérieure et visible, avec un seul chef possédant la plénitude de tous les pouvoirs. L’Evangile et l'Église, p. 131 sq., 135 sq., 199 ; Simples relierions, p. 187 sq. — 4. L’historien critique insiste plus que ses devanciers sur l’autonomie absolue de la critique biblique, qui le conduit à admettre une séparation absolue entre le domaine de l’histoire et celui des dogmes ou de la spéculation théologique. Autour d’un petit livre, p. 49 sq. D’où se déduisent logiquement des conclusions comme celles-ci : la divinité de Jésus-Christ, quand même Jésus-Christ l’aurait enseignée, n’est pas un fait d’histoire ; c’est une donnée religieuse et morale, dont la certitude s’obtient par la même voie que celle de l’existence de Dieu (c’est-àdire par l’effort de la conscience morale aidée de la connaissance et du raisonnement), non par la simple discussion du témoignage évangélique, Autour d’un petit livre, p. 215 ; l’institution de l'Église et des sacrements par le Christ est, comme la glorification de Jésus, un objet de foi, non de démonstration historique, p. 217 ; les récits de Jean ne sont pas une histoire, mais une contemplation mystique de l'Évangile ; ses discours sont des méditations théologiques sur le mystère du salut, p. 93. Après l’encyclique Pascendi, les affirmations du critique en toute cette matière sont encore bien plus audacieuses. Simples ré/lexions, p. 61, 80, 90, 150, 156 ; de négation en négation il est amené à douter même de l’existence de Dieu considéré comme être personnel et distinct. Quelques lettres, p. 45 sq., 68 sq. ; Simples réflexions, p. 150.

3° Systèmes modernistes admis au moins partiellement par quelques catholiques avant le décret Lamentabili et l’encyclique Pascendi. — 1. On admettait plus ou moins ouvertement l’expérience religieuse comme source première de la connaissance de Dieu et de toutes les vérités religieuses. On disait de la connaissance de Dieu qu’elle s’acquiert comme on acquiert la connaissance d’un ami en vivant de sa vie, en pénétrant dans son intimité, en devenant lui-même. Laberthonnière, Le dogmatisme moral, Paris, 1898, p. 52 ; Essais de philosophie religieuse, Paris, 1903, p. 120. La révélation chrétienne ou l’inspiration ne consiste point à introduire dans l’esprit humain une vérité qui serait extérieure et étrangère à la réalité vivante que nous sommes et dont chacun de nous expérimente à sa façon l'élan infini ; mais elle consiste à mettre en lumière ce qui se trouve dans cette réalité même, c’est-à-dire ce que Dieu fait en elle, avec elle et ce qu’il lui propose de faire avec lui. Laberthonnière, Réalisme chrétien et idéalisme grec, Paris, 1904, p. 104 sq. Ce n’est certes pas que la foi ne comporte point de connaissance, mais la connaissance qu’elle comporte relève essentiellement d’une expérience de vie et non d’une étude sur des faits et des documents, p. 149.

Un langage à peu près identique se rencontre en maints passages de l’ouvrage de M. Kdouard Le Roy, Dogme et critique, Paris, 1907, où l’auteur a reproduit tous ses divers articles de revues ou de journaux, sur cette grave question.

2. On attribuait au dogme un rôle principalement négatif et presque exclusivement pratique, en même temps qu’on rejetait toute conception intellectualiste

du dogme comme absolument opposée à la philosophie moderne, la seule, affirmait-on, qui compte désormais. — a) On assignait quatre motifs principaux à cette répulsion des intelligences modernes. — a. La philosophie moderne interdit strictement toute adhésion intellectuelle à une proposition qui se donne ellemême comme n'étant ni prouvée ni prouvable, ce qui est le cas de tout dogme appuyé uniquement sur une autorité tout extérieure. Edouard Le Roy, Dogme et critique, Paris, 1907, p. 6 sq. — b) Le dogme n’est pas même susceptible d’une démonstration indirecte. Car il faudrait avoir prouvé directement que Dieu existe, qu’il a parlé et qu’il a donné tel enseignement certainement et authentiquement possédé. En d’autres termes, il faudrait avoir résolu par une analyse directe le problème de Dieu, celui de la révélation, celui de l’inspiration biblique, celui de l’autorité de l'Église. Or ce sont là des questions de même genre que les questions purement dogmatiques, des questions à propos desquelles il est bien impossible de produire des raisonnements démonstratifs, p. 8 sq. — c. Le dogme est, pour beaucoup d’intelligences modernes, inintelligible et impensable, parce que ses énoncés, le plus souvent formulés en un langage philosophique inacceptable, ne leur disent rien ou plutôt leur paraissent indissolublement liés à un état d’esprit qu’ils n’ont plus et auquel ils estiment ne plus pouvoir revenir sans déchoir, p. Il sq. — d) Les dogmes, soit par leur contenu, soit par leur nature logique, n’appartiennent pas au même plan de connaissance que les autres propositions. Ils ne sauraient donc se composer avec celles-ci de manière à constituer un système cohérent, comme l’exige l’unité de l’esprit humain. Ils semblent ainsi sans usage, inutiles et inféconds. Reproche bien grave à une époque où l’on aperçoit de plus en plus nettement que la valeur d’une vérité se mesure avant tout aux services qu’elle rend, aux résultats nouveaux qu’elle suggère, aux conséquences dont elle est grosse, bref à l’inlluence vivifiante qu’elle exerce sur le corps entier du savoir, p. 12.

b) Toutes ces difficultés, ajoutait-on, ne sont cependant point inhérentes au dogme lui-même ; elles proviennent uniquement d’une conception qui lui est injustement surajoutée, la conception intellectualiste qui fait du dogme quelque chose comme l'énoncé d’un théorème, énoncé intangible d’un théorème indémontrable, mais énoncé ayant néanmoins un caractère spéculatif et théorique et se rapportant avant tout à la connaissance pure. Conception d’autant plus inadmissible qu’on veut à la fois définir le dogme comme jouant le rôle d’un énoncé théorique et lui attribuer cependant des caractères inverses de ceux qui font les énoncés corrects. Conception qui d’ailleurs pousse à deux exagérations très regrettables et malheureusement très fréquentes : l’une consistant à confondre les dogmes proprement dits avec certaines opinions ou certains systèmes théologiques, c’est-à-dire avec des représentations intellectuelles accessoires, l’autre consistant à ne point voir qu’un dogme ne saurait jamais posséder aucune signification scientifique et qu’il n’y a pas plus de dogmes concernant, par exemple, l'évolution biologique qu’il n’y en a concernant le mouvement des planètes ou la compressibilité des gaz. Le Roy, op. cit., p. 15 sq.

c) Toute conception intellectualiste étant ainsi écartée, le dogme ne peut avoir qu’un sens principalement négatif et une valeur exclusivement pratique. — a. Le dogme a un sens principalement négatif, en ce qu’il exclut et condamne certaines erreurs plutôt qu’il ne détermine positivement la vérité. Il ne tend pas à constituer par soi-même une théorie rationnelle, un système intelligible d’affirmations positives, mais il se borne à opposer des fins de non-recevoir à certaines

hypothèses et conjectures de l’esprit humain ; loin de limiter la connaissance ou d’en arrêter le progrès, il ne fait en somme que fermer de mauvaises voies, p. 19 sq. — 6. Le dogme a surtout une valeur exclusivement pratique, en ce sens qu’il énonce avant tout une prescription d’ordre pratique, p. 25 sq., 32 sq. Sans doute il contient, sous une forme ou sous une autre, une réalité suffisante pour justifier comme raisonnable et salutaire la conduite prescrite, p. 25, 33, 47. Mais ce que le dogme nous impose, c’est essentiellement et tout d’abord une attitude et une conduite ; la réalité sous-jacente est manifestée par lui sous les espèces de l’action qu’elle commande en nous ; le langage qu’il parle est un langage de connaissance pratique traduisant la vérité par la réaction vitale qu’elle provoque dans l'âme humaine. Une fois que le fait a été notifié, il peut et doit devenir matière de représentations abstraites et de théories spéculatives. L’intelligence de l’homme s’en empare et travaille sur lui. Mais les résultats qu’elle atteint ne sont pas en euxmêmes dogmatiques et ce n’est pas sur eux que porte jamais l’obligation d’adhérer par un acte de foi. L'élaboration philosophique du dogme reste libre, sous la seule réserve de ne pas altérer sa signitication pragmatique et morale, sa valeur vitale et salutaire Si donc il y a une obligation intellectuelle dérivée de l’obligation dogmatique, c’est une obligation de caractère négatif, celle de rejeter certaines représentations et certaines théories incompatibles avec la ngle pratique édictée paV le dogme, p. 51.

Toutes ces affirmations modernistes ou semi-modernistes sur la notion du dogme, certainement dérivées des systèmes protestants précédemment cités, ont été positivement réprouvées par l’encyclique Pascendi de Pie X du 8 septembre 1907 et par le décret du SaintOffice, Lamentabili sane exitu, du 3 juillet 1907, que Pie X a fait sien par son Motu proprio Præslantia du 18 novembre 1907. Nous citerons particulièrement les propositions 20, 2)5 et 61, condamnées par ce décret : 20. lîcvelatio nihil aliud esse potuit quam acquisita ab homine suse ad Deuni relation ! s conscientia. — 26. Dogmala fidei retinenda sunt tantummodo juxta sensum practicum, id est tanquam norma preeceptiva agendi, non vero tanquam norma credendi. — Ci. Progressas scientiarum postulat ut reformentur conceptus doctrines christianse de Deo, de creatione, de revelatione, de persona Verbi incarna ti, de redemplione.

C’est contre ces divers systèmes protestants ou modernistes que nous devons prouver la valeur objective et positive du dogme.

; II. PREUVES DE CETTE VALEUR OBJECTIVE DU DOGME.

— Ces preuves se déduisent des concepts de la révélation et de la foi, tels qu’ils sont manifestés dans le Nouveau Testament et dans l’enseignement constant de la tradition chrétienne. Rien que l’exposé de ces deux concepts ne soit pas du ressort immédiat du présent article, nous devons en donner ici un aperc-u sommaire, autant que l’exige la thèse que nous avons à démontrer.

Enseignement du Nouveau Testament.

1. Dans VKvangile, c’est surtout la nature de la foi qui est indiquée. Elle est dépeinte comme une pleine et absolue adhésion à l’enseignement divin annoncé par JésusChrist lui-même ou prêché en son nom et avec son autorité par les apôtres. C’est ce qui résulte particuliè rement de ces paroles de Jésus-Christ : Euntes in mundum universum, prædicate evangelium omni créatures. Qui credideril et baptizatus fuerit, saints erit ; qui vero non crediderit, condemnabitur. Marc, xvi, 15 sq. Et si l’on compare ces paroles avec le passage parallèle de saint Matthieu, xxviii, 18 sq., il est encore plus évident que la foi chrétienne est l’assentiment à l’enseignement de Jésus-Christ lui-même, per

pétuellement reproduit par les apôtres et par leurs successeurs.

D’ailleurs, l’expression credere in Christvmi, en même temps qu’elle signifie la croyance à la puissance miraculeuse et à la divinité de Jésus-Christ citant ses miracles comme preuve de sa divinité, implique aussi, comme conséquence nécessaire, la croyance intégrale à i son infaillible enseignement. De celle notion de la foi et de celle qu’elle suppose sur la divine révélation, nous sommes donc autorisés à conclure indirectement quiles vérités révélées auxquelles nous adhérons par la foi sont l’enseignement même de.lésus-Christ.

h) Saint Paul, notamment dans l'Épitre aux Hébreux, XI, 1 sq., exprime encore plus nettement ce même concept de la foi. Les expressions k')eyy.o ; oO p).enoyévù>v indiquent que cette foi doit élre une conviction ou ferme adhésion de l’intelligence et que les vérités auxquelles on adhère sont inaccessibles aux sens ou à la raison, c’est-à-dire qu’elles sont connues par la seule révélation divine. D’ailleurs, tous les exemples de foi loués par saint Paul en ce chapitre supposent une adhésion à la parole divine ou une entière adhésion au dogme de la divine providence, conduisant les hommes au salut éternel par les moyens que détermine son inlinie sagesse. Ce même concept de la foi avait déjà été exprimé par saint Paul dans l'Épitre aux Romains, IV, 20 sq., où la foi d’Abraham proposée à l’imitation de tous les fidèles est une entière et ferme adhésion à la parole de Dieu.

De ce concept de la foi et du concept qu’elle suppose de la révélation, nous sommes de nouveau autorisés à conclure finalement, que les vérités révélées auxquelles nous adhérons par la fui sont, à toules les époques de l’histoire de l’humanité, l’enseignement même de Dieu.

Enseignement de ht tradition chrétienne.


1. Du 1° au tv siècle, cet enseignement se manifeste surtout par l’insistance avec laquelle les Pères affirment l’obligation de croire intégralement à la doctrine confiée par Jésus-Christ aux apôtres et enseignée par eux en son nom. Obligation qui n’aurait aucun sens ni aucune raison d'être dans l’hypothèse de la non valeur objective des dogmes chrétiens, puisqu’il suffirait dès lors de garder un vague sentiment chrétien que l’on serait libre d’adapter à son choix aux divers besoins ou aspirations des générations successives.

Saint Ignace d’Antioche († 107) laisse clairement entendre que la doctrine, à laquelle on doit adhérer sous peine d'être traité comme hérétique, est la doctrine enseignée par Jésus-Christ et promulguée par les apôtres. Quiconque ne confesse pas cette doctrine, est un anlechrist et un fils du diable. Toute doctrine contraire doit êlre rejetée pour faire place à la doctrine enseignée dès le commencement. Ad Phil., vii, Funk, Patres apostolici, 2 édit., Tubingue, i’JOl, p. 305. C’est encore dans le même. sens qu’Ignace recommande aux Magnésiens de se fortifiera'/ toc ; 6dY|xa<rcv toû xvpi’ou y.a : twv âmxrrd/cov. Ad Magn., XIII, op. cit., p. 240. A cette doctrine on doit une foi ferme et immuable. Ad Philip., viii, op. cit., p. 307. Quiconque corrompt par sa doctrine perverse cette foi divine pour laquelle Jésus-Christ est mort, ira au feu inextinguible, et encore celui qui l'écoulé Ad Eph., xvi, op. cit., p. 227. Selon saint Irénée († 202), la foi que l’on est tenu de professer est celle qui a été reçue des apôtres, qui a été disséminée par eux jusqu’aux extrémités de la terre, et que l'Église garde toujours une et toujours identique. Cont. Itœr., l. I, c. x, P. ( ! ., t. vii, col. 519 sq. Cette vraie et vivifiante foi les apôtres eux-mêmes l’ont reçue de Jésus-Christ qui leur a donné pouvoird’annoncersa doctrine, l. III, pra’f. etc. i, col. 843 sq. Ceux qui rejettent cette foi universellement et constamment enseignée par i i glise, se séparent de la vérité et de la lumière de

Dieu et méritent tous les anathèmes, I. III, c. XXIV.

col. ma sq.

Tertullien († 213) enseigne aussi que la doctrine que nous devons croire est celle qui a été reçue des apôtres et de Jésus-Christ et qui a été conservée intacte. De prxscriplionibus, C. xxi, xxv, xxviii, xxxi, xxxvii, P. L., t. ii, col. 33, 37, 40, 44, 50. Qui ne la suit pas est hérétique et n’est plus chrétien ; c’est un étranger et un ennemi des apôtres, c. XXXVIII, col. 51.

Clément d’Alexandrie († 215) se sert de mots encore plus expressifs pour signifier que toute la doctrine à laquelle nous adhérons par la foi et toute la connaissance de ces vérités proviennent de l’enseignement de Jésus-Christ. "Fyoïj.sv yàp tv àpyr, v tr.ç 6'-5a<7xa).ia : tbv xvptov, S'.à tî tfijv itpoç/)T6)v, 8tà tî toO EuaYYE).tou, xa ôcà t<3v [).a*Lapt<i)v ània-ôXuv, TtoVjTpifatcoç xaï itoÀupiepûç, i àp/r, : £Î ; t-).o : v, -o’Jjj.ïvo'/ tt, : yvoWcio ; . Strom., VII, P. a., t. ix, col. 532. Quiconque se révolte contre son enseignement tel qu’il est proposé par l'Église, est comparé aux hommes qui, sous l’inlluence des poisons de Circé, sont métamorphosés en bêtes ; il cesse également d'être l’homme de Dieu et le fidèle de Dieu. Loc. cit.

Même enseignement chez Origène († 251). Après avoir rappelé que l’enseignement de Jésus-Christ est la règle de notre foi, il ajoute que nous devons adhérer à la proposition qui nous en est faite par la prédication ecclésiastique transmise depuis les apôtres et conservée toujours intacte. De princip., l. I, pr ; ef., n. 1 sq.. P. ('., t. xi, col. 115 sq.

Selon tous ces témoignages des premiers siècles, c’est donc vraiment l’enseignement de Jésus-Christ, fidèlement transmis depuis la prédication des apôtres, que l’on doit croire intégralement.

Cette conclusion est encore confirmée, dans les trois premiers siècles, par la pratique constante de rejeter de l'Église quiconque persiste dans le refus de croire à la doctrine intégrale de Jésus-Christ, telle qu’elle est enseignée par l'Église, pratique attestée par les témoignages précités et assurément inexplicable dans l’hypothèse que nous combattons.

2. Du ive au vii siècle. — Outre les preuves déjà indiquées pour la période précédente l’on peut citer particulièrement : a) Les nombreuses définitions positives alors portées par l'Église contre diverses hérésies. Définitions où l’autorité ecclésiastique se bornait habituellement à la défense des vérités attaquées par l’hérésie actuelle, mais qui cependant proclamaient toujours quelque enseignement positif, comme le montre, au cours de cet ouvrage, l'étude particulière de chacune des vérités proposées. Il nous suffira donc d’esquisser ici cette démonstration pour quelques-unes de ces définitions.

Ainsi c’est bien un sens positif que les Pères de Xicée voulurent donner au mot ojj.oo-Juio ; dans leur définition conciliaire. Car c’est à dessein qu’ils choisirent ce terme si lumineux pour écarter tous les subterfuges des ariens qui s’ellorçaient d’interpréter, dans leur sens hérétique, toutes les autres expressions déjà proposées en concile. Les Pères attachèrent nettement à ce mot le sens très déterminé de consubstanliel. signifiant à la fois pour le Verbe, divinité, unité de génération et filiation, et ils imposèrent sous peine d’anathème l’entière adhésion à cette formule dogmatique, non comme règle de conduite, mais comme règle de croyance. Voir Consiiîstaktiki., t. iii, col. 1606 sq. ; Ilefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1907, t. i, p. i : il sq

De même, le concile de Constantinople en 381, en définissant contre les macédoniens la divinité du' Saint-Esprit, sa procession du Père et sa parfaite égalité avec le Père et le Fils, définit en réalité sa consubstantialilé avec le Père et le Fils, au sens précédemment t’wr

par le concile de Nicée pour le Verbe. Ilefele, op. cit., t. il, p. 13 sq.

Une valeur positive non moins certaine doit être attachée aux définitions portées au Ve siècle par les conciles d’Kphèse et de Clialcédoine contre Nestorius et Eutychès. Le terme Bsotôxo ; est adopté par le concile d'Ëphèse dans le sens précis de mère de Dieu, selon la nature humaine hypostatiquement unie à la personne du Verbe, et imposé' dans ce sens à l’adhésion de tous les fidèles sous peine d’anathème. C’est ce qu’indiquent les actes conciliaires. Ilefele, op. cit., t. il, p. 302 sq. La définition du concile de Clialcédoine sur la distinction des deux natures dans le Verbe incarné avait aussi un sens très précis et très posilif exprimé surtout par les paroles êv 8->j çvktectiv qui sont la formule vraiment authentique. Voir Ciialekdoine, t. H, col. 207. Par ces paroles qui écartaient radicalement la conception eutychéenne de l’unité de nature après l’union, les Pères du concile affirmaient positivement, après l’union hypostatique, la permanence des deux natures distinctes, comme le prouve la discussion conciliaire. Loc. cit., col. 2195 sq. Et c’est ce sens positif que le concile imposa à tous les fidèles par l’anathème final porté contre ceux qui auraient la témérité même de penser autrement.

b) Dans les catéchèses alors définitivement organisées, on prenait soin de donner à tous les catéchumènes, même les moins favorisés au point de vue intellectuel ou les moins cultivés, une instruction positive sur la nature intime des mystères, instruction supposant nécessairement la croyance à la valeur objective et positive des dogmes, ainsi que l’obligation pour tous les fidèles d’adhérer aux dogmes ainsi compris. Nous citerons comme exemples les catéchèses de saint Cyrille de Jérusalem et de saint Augustin sur le mystère de la sainte Trinité et sur l’incarnation du Verbe divin.

Selon saint Cyrille, bien que nous ne puissions avoir de Dieu une connaissance parfaite et que ce soit une grande science de confesser notre ignorance en ce qui le concerne, il est cependant vrai que nous savons quelque chose de lui et que nous pouvons avantageusement l’exprimer. Cat., VI, n. 2 sq., P. G., t. XXXIII i col. 540 sq., 545sq. Après avoir expliqué les attributs de Dieu, particulièrement sa très sage providence qui s'étend à toutes choses en ce monde et sa paternité surnaturelle dans l’ordre de la grâce, le catéchète de Jérusalem insiste sur la filiation divine de Jésus-Christ, filiation non par adoption mais par nature, filiation procédant d’une génération véritable, dont on doit cependant écarter toutes les imperfections inhérentes aux générations des créatures. Cal., xi, col. 692 sq. De cette filiation on doit particulièrement écarter toute idée de génération corporelle et de succession de temps, ainsi que les défauts inhérents à notre verbe humain qui, à la profonde différence du Verbe divin, n’est point subsistant, col. G97 sq. Cyrille donne aussi une explication très nette de la double nature en Jésus-Christ, Cat., xii, col. 725 sq., et de la divinité du Saint-Esprit, consubstantiel au Père et au Eils, un avec le Père et le Fils dans la trinité des personnes. Cat., XVI, col. 919 sq.

Saint Augustin, particulièrement dans les catéchèses où il explique aux catéchumènes le symbole et la double cérémonie de la traditio et redditio symboli, insiste également sur l’obligation de croire, relativement aux mystères de la trinité et de l’incarnation, la doctrine positive qu’il enseigne. De symbolo ad catechumenos, P. L., t. XL, col. 627 sq. ; Sernu, ccxii-ccxvi, P. L., t. xxxviii, col. 1058 sq. ; De fide et symbolo, P. L., t. xl, col. 181 sq. Attitude qui n’aurait aucune raison d'être, surtout vis-à-vis des intelligences les moins cultivées, si quelque croyance positive au contenu des dogmes n'était point effectivement nécessaire à tous.

En même temps ces enseignements catéchétiques de saint Cyrille et de saint Augustin, par lesquels d’ailleurs nous pouvons juger l’enseignement catéchétique de toute cette époque, nous donnent la parfaite intelligence de la double cérémonie de la traditio et redditio symboli. Voir Gatéchuménat, t. ii, col. 1981 sq.

En portant à la connaissance des catéchumènes dans la traditio symboli, peu de temps avant le baptême, la formule du symbole qu’ils devaient apprendre de mémoire pour en faire la règle de leur foi, et en leur demandant dans la redditio symboli, immédiatement avant ou quelques jours après le baptême, un témoignage précis de leur connaissance des vérités du symbole, on voulait fortement pénétrer les catéchumènes et les néophytes de la stricte obligation d’adhérer absolument et intégralement à la doctrine positive enseignée par Jésus-Christ et proposée en son nom par l’Eglise.

3. Depuis le VIe siècle jusqu'à l'époque actuelle, la croyance universelle à la valeur objective et positive des dogmes continue à être manifestée par la constante et universelle pratique de l’Eglise d'écarter de son sein tous ceux qui n’adhèrent pas intégralement aux vérités qu’elle propose comme enseignées par Jésus-Christ, et par l’enseignement catéchétique donné à tous les fidèles sur la nature intime des dogmes, dans la mesure où ceux-ci sont accessibles aux plus simples intelligences. C’est ce que démontre l’histoire des conciles de toute cette époque. C’est aussi ce qu’attestent les catéchèses ou instructions adressées aux fidèles et les catéchismes employés pour les instruire.

Depuis le xii c siècle, il est vrai, le concept des dogmes prend, chez les théologiens, une forme plus scientifique, mais il ne subit aucune modification substantielle. Les théologiens scolastiques, toujours préoccupés de construire un puissant édifice intellectuel où toutes les connaissances humaines fussent convenablement harmonisées avec le dogme, insistent particulièrement sur cet accord entre la raison et le dogme et sur toutes les conclusions que la raison guidée par la foi peut logiquement déduire des vérités révélées. Toutes ces conclusions méthodiquement groupées et coordonnées en un ensemble harmonieux constituent la science Ihéologique, juxtaposée mais non substituée au dogme, dérivant de lui toute sa valeur mais ne le modifiant aucunement dans sa nature intime. D’ailleurs, l’on ne doit pas oublier qu'à ces conclusions fermes se joignent, comme dans toutes les sciences, des hypothèses ou opinions dont la connexion avec le dogme est plus ou moins fondée ou simplement vraisemblable ; hypothèses ou opinions sur lesquelles l’Eglise ne s’est aucunement prononcée et qui sont laissées à la libre appréciation des théologiens. Ranger parmi les dogmes ces hypothèses ou opinions théologiques ou même les déductions certaines, c’est donc travestir sciemment le dogme et en même temps calomnier la théologie scolastique considérée dans son ensemble. Et quand même une critique impartiale prouverait que des auteurs scolastiques ont parfois excédé en cette délicate matière et porté trop loin leurs affirmations dogmatiques, il n’en résulterait aucune fâcheuse conséquence pour la thèse que nous défendons. Car une doctrine ne peut être rendue responsable de quelques erreurs ou imprudences individuelles.

Au xvie siècle, en face du protestantisme et de toutes les erreurs auxquelles il a donné naissance, le concept du dogme reste le même chez les théologiens catholiques. C’est ce concept que le concile de Trente oppose aux erreurs protestantes : Disponuntur autem ad ipsatu justifiant, dum excilali divina gratia et adjuli, fidem exauditu concipientes libère moventur in Deum, credentés vera esse quæ divinitus revelata et promissa sunt, atque illud in primis a Deo justificari impium

pergratiam ejas per redemptionem guse est in Cluisto Jean. Sess. VI, c. vi. Ainsi le dogme auquel on adhère par la foi est l’enseignement révélé par Dieu lui-même, selon la doctrine de saint Paul, Hcb., XI, 6, rappelée ici par le concile.

Ce concept catholique du dogme, intégralement maintenu par les théologiens catholiques aux XVIIe et xviiie siècles en face des nouveaux systèmes de philosophie et des premiers développement s du rationalisme critique, fui plusieurs fois défini par Grégoire XVI et Pie IX contre les erreurs d’Hermès et de Giinther, DenzingerBannwart, Knchiridion, n. 1618 sq., 1634 sq., 1655 sq., llilifj sq., et plus solennellement encore par le concile du Vatican. Sess. III, c. iii, IV. La définition conciliaire exprime évidemment la valeur objective et positive des dogmes chrétiens, en les donnant comme l’enseignement positif de Dieu auquel nous devons absolument et pleinement adhérer propter auctorilalem i].sius Dei revelu h lis qui nec falli nec fallere potest, c. ta. Cette valeur objective s’applique même aux mystères cachés en Dieu et que Dieu nous manifeste par la révélation, c. iv. Cette même valeur objective ressort aussi de la manière dont le concile explique l’impossibilité de tout conllil entre la science et la foi. Les deux ordres de vérités naturelles et surnaturelles relevant respectivement de la science et de la foi existent objectivement, et Dieu est, dans l’un et l’autre ordre, la source première et la mesure essentielle de toute vérité. Dès lors il ne peut y avoir contradiction entre l’une et l’autre vérité, cum idem Deus qui mysleria révélai cl ftdem inftmdit, animo humano rationis lumen indidenl, Deus autem negare seipsum non potest, nec verum vem unquam contradicere, c. iv. Il ne peut y avoir qu’une contradiction apparente, provenant d’une mésintelligence ou d’une mésinterprétation des dogmes ou d’une fausse appréciation des données de la raison. Loc. cit. Tout cet enseignement conciliaire suppose évidemment la valeur objective des dogmes.

En même temps le concile indique nettement que la connaissance des dogmes reste toujours imparfaite en cette vie ; car les mystères divins surpassent tellement l’intelligence créée que, même après la révélation déjà faite et la foi reçue, ils restent toujours en cette vie mortelle recouverts du voile de la foi et enveloppés de quelque obscurité. La raison éclairée par la foi et s’exerçant avec soin, avec piété et sobriété, ne peut jamais obtenir de ces myslères qu’une connaissance restreinte, soit qu’elle recoure aux analogies créées, soit qu’elle compare les mystères entre eux et avec notre fin dernière. Sess. III, c. iv.

IV. RÉPONSE AUX OBJECTIONS PRINCIPALES.

1™ objection. — Si la conception intellectualiste du dogme était admise conjointement avec la nécessité de la foi au dogme ainsi compris, il en résulterait, pour certaines intelligences moins favorisées, une incapacité réelle de parvenir au salut. Ce qui ne s’harmoniserait pas avec la divine volonté de sauver tous les hommes. — Réponse. — 1. La connaissance intellectuelle, strictetement nécessaire, est peu considérable et peut facilement être atteinte même par les intelligences les moins favorisées ou les moins cultivées. Car les vérités dont la foi est indispensablernent nécessaire sont peu nombreuses, et quant au contenu de ces vérités il suffit, selon tous les théologiens catholiques, de saisir le sens des termes qui les expriment et d’adhérer à ce sens à cause de l’autorité de Dieu révélant, quand même on serait incapable de satisfaire aux interrogations qui seraient posées sur cette croyance. Lehmkuhl, Theologia mordis, t. i, n. 279 ; Génicot, Theologim moralis instilutiones, t. I, n. 191 ; Herardi, Praxis confessariorum, 3e édit., l’aenLa, 1898, t. I, n. 66.

D’ailleurs, en dehors des quelques vérités dont la foi explicite est nécessaire de nécessité de salut ou de

nécessité de précepte, la foi implicite aux autres vérités révélées est suffisante, S. Thomas, Sum. theol., II a lI », q. ii, a. 5 ; Quxst. disp., De verit., q. XLV, a. 11, du moins pour ceux qui ne sont point, en vertu de leur charge ou par charité, tenus à posséder une connaissance plus complète de l’enseignement révélé. S. Thomas, Sum. iheol., IL 1 II', q. ii, a. 6. — 2. Le minimum de connaissance intellectuelle strictement requis est bien facilité dans l’Eglise catholique par la constante vigilance et direction de la hiérarchie catholique toujours attentive au bien spirituel des fidèles, particulièrement des plus humbles et des plus nécessiteux. — 3. D’ailleurs, toute àme chrétienne, surtout quand elle est humble et reste habituellement unie à Dieu, est puissamment aidée par les dons d’intelligence, de sagesse et de conseil, qui donnent des lumières spéciales sur les vérités surnaturelles, ou tracent la voie pratique à suivre. S.Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. viii, IX, LUI. Secours qui sont plus particulièrement abondants quand les moyens extérieurs font défaut, car la providence divine ne manque jamais de pourvoir à ce qui est indispensablernent nécessaire au salut. S. Thomas, Qusest. disp., De verit., q. xiv, a. 11, ad l llm.

2e objection. — La conception intellectualiste du dogme, placée à la base de tout ce qui est nécessaire pour le salut, détruit l’ordre divinement établi, suivant lequel la charité, du moins en cette vie, surpasse en dignité toute connaissance que nous pouvons avoir de Dieu en cette vie. — Réponse. — Il est vrai, qu’en cette vie du inoins où nous connaissons Dieu seulement par les créatures ou par le témoignage de la foi, la charité qui nous unit à Dieu l’emporte en dignité sur la connaissance que nous en avons. Car noire connaissance en cette vie ne perçoit que des manifestations naturelles ou surnaturelles des attributs divins, tandis que notre charité a pour terme immédiat Dieu considéré, non dans quelque manifestation de luimême, mais dans sa vie intime comme bien souverainement parfait. S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. LXVI, a. 6 ; II a II', q. xxui, a. 6 ; q. xxviii, a. 4, ad 2 ur ". Or il est incontestable que le premier rang de dignité appartient à ce qui unit plus immédiatement à Dieu considéré dans sa nature intime. I a IIe, q. LXVI, a. 3. Mais cette dignité suprême de la charité en cette vie n’est nullement compromise par la conception intellectualiste du dogme, placée à la base de tout ce qui est nécessaire au salut. Car l’amour ne pouvant exister sans quelque connaissance, voir CHARITÉ, t. ii, col. 2235, il est évident que cette charité prééminente doit être précédée de la connaissance du bien infini et des moyens que nous devons employer pour arriver à son éternelle possession. S. Thomas, Sum. theol., II » II, q. II, a. 3. Cette charité suppose donc nécessairement une connaissance surnaturelle antécédente qui est la connaissance intellectuelle du dogme.

3e objection. — En fait, la conception intellectualiste du dogme a conduit à beaucoup d’exagérations parmi lesquelles on doit surtout menlionner la prépondérance attribuée à la philosophie scolastique dans l'étude théologique des dogmes ; prépondérance particulièrement funeste, car c’est d’elle qu’est provenue l’extrême difficulté d’harmoniser avec fout autre système philosophique le dogme ainsi compris. — Réponse. — 1. Quand même plusieurs théologiens scolastiques auraient outré la conception intellectualiste du dogme, ce qui n’est aucunement démontré, il n’y aurait point lieu de condamner la notion catholique du dogme telle que nous l’avons exposée. Car c’est un principe partout indiscutable que des abus individuels et accidentels ne peuvent jamais compromettre [une doctrine en ellemême vraie et juste. —2. Les théologiens scolastiques, considérant toujours la science théologique comme exclusivement appuyée sur l’autorité de la révélation, n’ont jamais assigné à la raison une valeur positive dans la détermination et la démonstration des dogmes. Selon eux, tout ce que la raison peut légitimement est de montrer la convenance d’une vérité déjà connue comme révélée et l’insuffisance des raisons invoquées contre elle. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. I, a. 8 ; q. xxxiii, a. 1 ; Cont. gent., l. I, c. vii, îx.

Selon eux aussi, l’emploi de la raison dans les déductions dogmatiques ne conduit jamais i la manifestation d’une vérité révélée, mais seulement à l’affirmation d’une nécessaire connexion entre telle proposition et telle vérité révélée. Cette conclusion est d’ailleurs rarement certaine en dehors d’une approbation au moins tacite de l’Eglise garantissant sa vérité. Même en ce cas, ces conclusions simplement garanties ou définies par l'Église et gardant leur nature intime ne peuvent jamais être transformées en vérités révélées, faute de révélation explicite ou même implicite. Quelques théologiens, il est vrai, se sont exprimés diversement, notamment Suarez, De fi.de, disp. III, sect. xi. n. 11, et le cardinal de Lugo, De /ide divina, disp. I. a. 272 sq., mais leur opinion insuffisamment motivée est communément rejetée. Vacant, Etudes théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. ii, p. 292 ; Billot, De virtutibus infusis, Rome, 1901, p. 256 sq. — 3. Le recours fréquent aux arguments rationnels, appuyant les déductions théologiques ou écartant les nombreuses objections de raison, doit être considéré comme approuvé par l'Église, dans la mesure où il constitue au moins partiellement la méthode scolastique souvent recommandée et soutenue par l'Église. Nous l’avons suffisamment démontré à l’article précédent. — 4. Notons enfin que la principale difficulté d’harmoniser les dogmes avec la philosophie non scolastique, provient non d’une prétendue identification de la philosophie scolastique avec le dogme, mais de ce que la philosophie qu’on lui oppose contient beaucoup d’aflirmations non prouvées, desquelles on ne veut point se départir, bien qu’elles soient formellement en désaccord avec l’enseignement révélé.

4e objection. — Chez les théologiens scolastiques et chez leurs disciples, la conception intellectualiste du dogme, en développant excessivement son aspect spéculatif, a virtuellement supprimé son rôle pratique qu’ils ne mentionnent jamais et auquel ils n’accordent aucune influence effective. —Réponse. — 1. Il est vrai que les théologiens scolastiques attribuent au dogme un rôle premièrement et principalement spéculatif, parce que l’objet premier et principal des dogmes consiste dans les attributs et les mystères divins, dont notre connaissance est tout d’abord spéculative. C’est la conclusion du raisonnement par lequel saint Thomas prouve que la science théologique est plus spéculative que pratique : Magis tamen est speculativa quant practica : quia principalius agit de rébus divinis quani de actibus humanis : de quibus agit secundum quod per eos ordinatur homo adperfectam Dei cognitionem inqua œterna beatiludo consista. Sum. tlteol., I a, q. i, a. 4. Puisqu’il y a nécessairement analogie entre les conclusions d’une science et ses principes, ce que saint Thomas affirme de la science théologique est également vrai de ses principes qui sont les vérités dogmatiques. Ces vérités sont donc principalement spéculatives. — 2. Cependant, selon ces mêmes théologiens, le dogme a un rôle pratique très important, bien que secondaire et dépendant de la connaissance spéculative antécédente. Car a) les connaissances spéculatives provenant du dogme et se rapportant toutes à notre fin surnaturelle ou aux moyens qui y conduisent, S. Thomas, Sum. theol., H a IIe, q. ii, a. 3 sq., peuvent être facilement utilisées pour aider la volonté dans la pratique des devoirs chrétiens. Cette utilité pratique n’a

pas besoin d'être déterminée en détail pour chaque dogme, surtout pour la vie commune des fidèles. Il suffit de montrer les avantages communs qui résultent de l’ensemble des mystères révélés, l’humilité, la foi, la gratitude et l’amour : l’humilité produite par l’infinie grandeur des mystères divins, la foi appuyée uniquement sur l’infaillible parole de Dieu, la gratitude et l’amour excités par la merveilleuse condescendance de l’incompréhensible majesté divine vis-à-vis de notre petitesse et de nos misères. S. Thomas, Sum. theol., II a II ', q. ii, a. 3, 5, 7, 8 ; Cont. gent., l. I, c. v. D’ailleurs, toute contemplation des mystères divins, surtout pour les âmes éclairées et unies à Dieu, est capable d’entretenir ou d’augmenter en nous l’amour divin qui est l'âme de toute vie spirituelle ; et cette contemplation est toujours puissamment aidée par la connaissance du dogme, dès lors que cette connaissance est accompagnée d’une vraie humilité. S. Thomas, Suni. theol., II « II », q. lxxxii, a. 3, ad 3°">.

L’on doit aussi reconnaître que l’utilité' individuelle n’est point seule à considérer. Il y a encore l’utilité commune qui résulte pour la société chrétienne tout entière d’une plus profonde connaissance du dogme, possédée par ceux qui doivent par état ou par charité conduire ou aider les autres. De cette connaissance dépend en très grande partie le bien qu’ils peuvent produire pour la défense et le maintien de la foi dans les âmes chrétiennes et pour la diffusion de la vérité parmi ceux qui ne la connaissent point. Plus nécessaire dans les milieux troublés par l’erreur ou l’infidélité, cette connaissance a été particulièrement recommandée pour notre époque par Léon XIII dans l’encyclique Sapient’ue christianse du 10 janvier 1890, et par Pie X dans l’encyclique Acerbo nimis du 1.") avril 1905.

Traitant uniquement du dogme, nous n’avons point à parler ici des avantages pratiques provenant de la révélation accidentelle des vérités naturelles que l’homme doit nécessairement connaître pour atteindre sa fin. Nous nous bornerons à rappeler l’enseignement du concile du Vatican sur la nécessité morale de cette révélation et sur les avantages qu’elle procure à l’humanité. Concile du Vatican, sess. III, c. n.

(Iràce à c^tte révélation accidentellement annexée à celle des dogmes surnaturels, la religion chrétienne possède, pour la direction morale des consciences, une supériorité effective sur les religions non chrétiennes et sur les divers systèmes philosophiques. En réalité, c’est d’elle principalement que rayonnent, même en dehors de l'Église catholique, les connaissances morales encore existantes.

b) A côté des dogmes principalement spéculatifs qui peuvent avoir une puissante influence pratique sur la direction de notre vie chrétienne, l’on doit aussi mentionner les dogmes immédiatement pratiques qui expriment les obligations à accomplir pour obtenir la vie éternelle. En renfermant dans la puissante synthèse de la Somme théologique de saint Thomas la théologie dogmatique et morale, les enseignements pratiques avec les doctrines spéculatives, les théologiens scolastiques exprimaient, plus fortement que nous, toute l’importance du rôle effectif des dogmes tant pratiques que spéculatifs. Les démembrements) effectués depuis cette époque dans cette organisation méthodique de la théologie, ne doivent point nous faire oublier sa synthèse effective.

c) D’ailleurs, les théologiens scolastiques, tout en assignant au dogme un rôle principalement spéculatif, n’ont aucunement méconnu le rùle affectif de la volonté dans l'étude ou l’enseignement des dogmes, ni l’utilité pratique que l’on doit s’efforcer d’en retirer. — a. Le rôle affectif de la volonté se déduit rigoureusement de cet enseignement de saint Thomas que la science théologique, science entièrement une, à la fois spéculative

et pratique, doit être dirigée vers la béatitude éternelle qui consiste dans la connaissance de Dieu accompagnée de son amour. Sum. theol., I", q. i, a. 4-7. C’est à cette science surtout que convient ce que saint Thomas demande pour toute étude, qu’elle soit rapportée à sa fin légitime, c’est-à-dire à la connaissance de Dieu, Sum. theol., 11° 11", q. CLXVII, a. 1 ; et qu’elle soit accompagnée de l’amour divin qui unit étroitement la volonté à cette fin dernière. A renseignement de cette science convient aussi très particulièrement ce que saint Thomas dit de tout enseignement, qu’il.est un acte de la vie contemplative, dans la mesure où il suppose une vérité nettement conçue dans la considération et l’amouide laquelle on se délecte, hien que ce soit un acte de' la vie active quand on manifeste extérieurement cette vérité aux auditeurs. Sum. theol., II » II' —, q.CLXXXI, a. 3. D’ailleurs, saint Thomas observe que cette élude, laite selon les conditions convenables, II » II' 1 ', q. clxvii. a. 1, aide puissamment à la contemplation, soit en fournissant abondamment à l’intelligence les matières sur lesquelles doit s’exercer la conleinplation, q. clxxx, a. 4, soit en écartant les dangers d’erreur dans lesquels on pourrait imprudemment tomber sans une connaissance suffisante des choses divines, q. clxxxviii, a. 5.

h. Quant à l’utilité que la connaissance du dogme peut procurer pour le ministère des âmes, surtout quand elle est approfondie, elle occupait certainement la pensée des théologiens scolastiques. Car saint Thomas exige que ceux auxquels il appartient d’instruire les autres, possèdent une foi plus explicite et une plus ample connaissance des vérités de foi. Sum. theol., IlII', q. ii, a. 6 ; Quæsl. disp., De verit., q. xiv, a. 11. De même l'étude est particulièrement nécessaire aux ordres religieux qui doivent s’adonner à la prédication ou à d’autres œuvres de zèle. II » IL, q. clxxxviii, a. 5.

c. Ces considérations, il est vrai, sont habituellement absentes des ouvrages de théologie, mais uniquement parce que l’on suppose qu'élèves, lecteurs et maîtres n’oublieront point de se conformera l’impérieuse obligation morale de diriger vers la fin surnaturelle toutes les connaissances acquises. S. Thomas, Sum. theol., 11° II', q. clxvii, a. 1. Est-il nécessaire de rappeler que cette obligation a toujours été fidèlement remplie par les grands maîtres de la théologie scolastique, qui ont en même temps excellé dans la connaissance de la théologie mystique'.' C’est un exemple constamment proposé à notre généreuse imitation.

5e objection. — La conception intellectualiste du dogme n’accorde pas à la volonté individuelle dans l’acceptation personnelle du dogme un rôle suffisant. Elle fait de la vérité un système dont on peut s’emparer rien qu’en raisonnant, tandis que la vérité est une vie et qu’elle ne peut entrer en nous sans correspondre en quelque façon à un besoin d’expansion. —Réponse. — 1. Rien n’autorise à affirmer que le rôle légitime de la volonté dans la formation du jugement préalable de crédibilité et dans la production de l’acte de foi a été ignoré ou diminué par les partisans de ce que l’on appelle la conception intellectualiste du dogme. Les théologiens scolastiques ont pu, selon le but qu’ils se proposaient et à cause des préoccupations de leur époque, accorder peu de place aux questions psychologiques qui excitent actuellement un si vif intérêt. Mais quelque restreinte que soit la place assignée à l'étude du rôle de la volonté vis-à-vis de la croyance surnaturelle, ce rôle est nettement indiqué'. Il suffit de rappeler ici l’enseignement de saint Thomas sur ce point, Sum. theol., Il" 11 1, q. ii, a. I ; Qusest. disp., De verit., q. XIV, a. I, en renvoyant Ions les développements aux articles CrÉDIBI] ITÉ il Foi.

i. D’ailleurs, rien ne s’oppose à ce qu'à notre époque, en face de besoins nouveaux et de préoccupations bien

différentes, on accorde plus d’attention au rôle de la volonté' et que l’on en tienne plus de compte dans l’application de la méthode apologétique et dans le maniement des âmes. On peut en retirer des avantages considérables. Mais l’on doit se garder d’amplifier le rôle de la volonté en sacrifiant la vérité objective et le rôle absolument nécessaire de l’intelligence pour la direction de la volonté. Double écueil que l’on ne peut éviter dans la nouvelle conceplion du dogme.

3. En réalité, la conception nouvelle, loin de favoriser le rôle de la volonté, le supprime ou le rend inexplicable. La règle pratique imposée à la volonté n’ayant aucun fondement objectif suffisant ne pourrait reposer que sur un lidéisme subjectiviste qui ne rendrait jamais raison de l’attitude spéciale commandée à la volonté. Webrlé, Revue biblique, juillet 1905, p. 347.


IV. Sources théologiques des dogmes chrétiens.

1° Les sources théologiques des dogmes chrétiens sont les organes par lesquels la révélation se manifeste à nous avec son autorité divine toujours obligatoirement digne de foi. Ces organes de transmission sont les divines Écritures contenant l’enseignement divin puisqu’elles sont inspirées par Dieu lui-même, et les traditions divines que l’Eglise nous garantit commeayant été communiquées par Jésus-Christ à ses apôtres et fidèlement transmises jusqu'à nous. Ces deux sources fondamentales des dogmes chrétiens dépendent pratiquement du magistère infaillible de l'Église qui nous garantit leur indéfectible vérité et interprète leur véritable sens.

2° En théologie dogmatique, ces deux sources peuvent être étudiées à un double point de vue : 1. dans le but de reconnaître, par la méthode régressive, les fondements théologiques d’une vérité que le magistère ecclésiastique enseigne manifestement comme révélée ; c’est le travail le plus habituel des investigations théologiques ; 2. pour rechercher dans ces sources, à la lumière des enseignements de l'Église et sous sa direction, les indications scripturaires et traditionnelles en faveur de la révélation d’une vérité non encore définie par l'Église, avec l’intention d'établir, s’il y a lieu, le fait de la révélation et d’en préparer la définition.

A ce double point de vue, nous devons esquisser ici, clans une courte synthèse, l’enseignement théologique sur les deux sources théologiques du dogme révélé, en nous bornant strictement à ce qui relevé du présent article.

1. L'ÉCRITURE SAINTE SOURCE DU DOGME RÉVÉLÉ.

1° Pour que l’enseignement divin contenu dans l'Écriture inspirée soit vraiment un dogme révélé, deux conditions sont nécessaires. — 1. Le sens doit en être suffisamment manifeste. Car l’obligation stricte à la ferme croyance de ce dogme doit supposer son absolue certitude, et l’infaillibilité divine s’oppose formellement à ce que le moindre doute ou la plus légère incertitude puisse jamais exister sur la vérité proposée à notre croyance. Condition assez rarement réalisée en dehors d’unedéfinition dogmatique de l'Église déclarant, avec la plénitude de son autorité, le sens d’un passage de l'Écriture, pour lequel elle demande noire adhésion. Car, sans ce moyen, il est le plus souvent très difficile de posséder la certitude strictement nécessaire sur ces trois points : authenticité' indiscutable du texte de l’auteur sacré, détermination très claire du sens grammatical des mots, el précision indubitable de l’enseignement que Dieu a voulu nous communiquer par ce moyen. Christian l’esch. De inspiratione sacra Scripturæ, p. 119.

2. L’enseignement certainement manifesté par l'Écriture doit être proposé par l'Église comme révélé et

c ie tel impose à notre croyance, ainsi que l’exige

la définition du dogme catholique. Condition réel le me ni absente dans beaucoup d’affirmations scripturaires qui

ne se rapportent que très incidemment ou très accessoirement à notre fin surnaturelle et qui ne sont point par elles-mêmes proposées à notre croyance. C’est en ce sens que saint Thomas répond : Dicendum estergo quod fidei objectum per se est id per quod liomo beatus efficitur, ut supra dicLum est ; per accidens autem aut secundario se habent ad objectum /idei omnia quæ in sacra Scriplura divinitus tradita continentur : sicut quod Abraham habuil duos /ilios, quod David fuit filius lsaï et alia liujusmodi. Quantum ergoad prima credibiliaquæsunt articuli (idei, teneturhomo explicite credere, sicut et tenetur haberefidem : quant uni autem ad alia credibilia, non tenetur ltomo explicite credere quidquid divina Scriptura continet : sed lune soluni hujusmodi tenetur explicite credere quando hoc ei constiteril in doclrina fidei contineri. Sum. theol., II a II, q. ii, a. 5. Cette doctrine est également soutenue par le P. liillot, De virtutibus infusis, Rome, 1901, p. 231.

2° Quand l'Église définit qu’un texte scripturaire contient un dogme révélé dont elle détermine le sens précis, c’est un devoir strict pour les exégètes catholiques d’adhérer à cette délinition irréformahle. C’est ce qu’enseignent formellement le concile de Trente, sess. IV, Decretum de editione et usu sacrorum librorum, le concile du Vatican, sess. III, c. ii, l’encyclique Providentissimus Deus de Léon XIII du 18 novembre 1893, et le décret LamentabiH du 3 juillet 1907 réprouvant les propositions 2-4 : Ecclesise interprelatio sacrorum librorum non est guident spernenda, subjacet tamen accuraliuri exegetarum judicio et correctioni. — Ex judiciis et censuris ecclesiaslicis contra libérant et cultiorem exegesim latis colligi potest /idem ab Ecclesia propositam cunlradicere historiée, et dogmata catholica cum verioribus Christian ee religionis originibus componi reipsa non posse. — Magisteriuiu Ecclesise, ne per dogmaticas qu’idem definiliones, genuinum sacrarum Scripturarum sensum determittare potest. Il est d’ailleurs évident que cette soumission au magistère ecclésiastique n’entrave d’aucune manière la démonstration exégétique qui reste toujours libre de se développer sur le terrain scientifique avec sa méthode propre et ses ressources particulières : Nec sane ipsa Ecclesia vetat ne liujusmodi disciplinai in suo quæque ambitupropriis ulantur principiis et propria melhodo ; sed juslam hanc libertatem agnoscens, id sedulo cavel ne divins doctrinse repugnando errores in se suscipiant, aut fines proprios transgressai, ea quiu sunt /idei occupent et perturbent. Concile du Vatican, sess. III, c. IV.

Il est non moins évident qu’une délinition dogmatique d’un sens scripturaire ne comporte pas toujours nécessairement la réalité historique de tous les détails d’un fait dogmatique défini par l'Église. Ainsi la définition du concile de Trente relative a la transgression du commandement divin par Adam, sess. V, De peccalo original ! , can. 1 sq., n’oblige pas nécessairement à admettre la réalité historique intégrale de toutes les circonstances du fait rapporté' dans la Cenèse. Car il n’est pas invraisemblable que ce récit transmis oralement puisse, au moins pour quelques détails, appartenir à la catégorie des traditions orales, dont l’interprétation historique doit èlre moins stricte, parcequ’elles abondent habituellement en tours imagés et en expressions métaphoriques. Christian Pesch, De inspiratione sacrée Swipturse, p. 548 sq.

3° En dehors des textes définis par l'Église, on ne devra apporter comme preuves théologiques d’un dogme proposé par l'Église à noire croyance, que les textes dont la démonstration répond aux légitimes exigences de la critique biblique. La grave remarque de saint Thomas sur l’emploi abusif de preuves rationnelles insuflisantes pour démontrer une vérité de foi, ne forte

aliquis quod fidei est demonstrare prsssumens, raliones non necessarias inducat quæ praibeanl materiam irridendi infidelibus existimantibus nos propter hujus modi rationes credere quæ /idei sunt, Sum. theol., ! >, q. xi. vi, a. 2, doit, avec non moins de raison, s’appliquer à l’a bus des textes insuflisa m ment démonstratifs en faveur d’un dogme proposé par l’Eglise comme révélé. Leur emploi n’est pas moins nuisible à la cause catholique dans des démonstrations qui doivent être probantes. Il n’y a d’ailleurs aucun inconvénient à ce que plusieurs vérités de foi ne puissent point être démontrées par les Écritures ; car celles-ci n’ont point été composées pour nous communiquer toute la révélation. Ce rôle appartient au seul magistère infaillible de l'Église. Quant à la détermination des légitimes exigences de la critique biblique, elle sera indiquée aux articles spéciaux.

4° Il est hors de doute que l’usage dogmatique des textes scripturaires chez les Pères et chez les théologiens n’a pas toujours été exempt de tout défaut. L’histoire de la théologie ne manque pas d’exemples de textes en eux-mêmes non démonstratifs, apportés sans garantie suffisante en faveur de tel ou tel dogme révélé, puis éliminés par le travail critique des théologiens, comme le texte de saint Jacijues : Confilemini ergo allrrutrum peccala vestra, Jac, v, 16, employé par plusieurs théologiens scolastiques pour prouver la nécessité du sacrement de pénitence qu’ils supposaient n'êlrepointprouvée par le texte : Quorum remiseritis. Joa., xx, 23. Ce fut notamment la pensée de Hugues de SaintVictor, De sacramentis christianx fidei, I. II, part. XIV, c. i, P. L., t. CI.XXVI, col. 552 ; de Pierre Lombard, Sent., l. IV, dist. XVII, n. 4, P. L., t. CXCII, col. 882 ; el de Richard de Saint-Victor, Traclalus de potestate ligandi et solvendi, c. v, P. L., t. exevi, col. 11(53. Voir Confession dans LA Bible, t. iii, col. 834 sq.

Il est d’ailleurs bien avéré que l’emploi de ces texti s non démonstratifs n’a eu aucune répercussion sur le dogme lui-même.

II. LA TRADITION SOURCE DU DOGME RÉVÉLÉ.

Pour

que la tradition trans ttant l’enseignement divin non

consigné dans l'Écriture et promulgue par les apôtres comme révélé au moins implicitement par Jésus-Christ, soit une source certaine du dogme révélé, elle doit, avec une succession constante et une suffisante unanimité, affirmer une vérité comme révélée et comme obligatoirement imposée à notre croyance.

1° La délinition du dogme exige que la vérité à laquelle la tradition rend témoignage, soit enseignée par elle comme vérité au moins implicitement révélée et comme obligatoirement imposée à l’adhésion de tous les fidèles. Ainsi sont écartées les traditions, si unanimes qu’elles soient du moins à une époque, relatant simplement des opinions tout humaines telles que les anciennes interprétations de la cosmogonie mosaïque, ou relatant même des conclusions théologiques très certaines mais non proposées comme révélées, telles que l’existence de la grâce habituelle dans l’humanité du Verbe incarne ou l’existence d’une grâce sacramentelle distincte dans chacun des sacrements.

2° Le fait du témoignage constant et universel en faveur de cet enseignement révélé et évidemment obligatoire, doit être certainement démontré ou par l’argument de prescription ou par la discussion des textes ou documents appartenant aux diverses périodes de l’histoire de la théologie. — 1. L’argument de prescription inauguré par saint Irénée, Contra hær., 1. 111, pra ?f. et c. i-v, P. G., t. vii, col. 843 sq., et Tertullien, De præscriptionibus, c. xxi sq. ; xxxvisq., P. L., t. ii, col. 33 sq., 37 sq., 49., et depuis communément adopté par les Pères, S. Rasile, Adv. Eunomium, l. II, n. 8, P. G., t. xxix, col. 586 ; S. Augustin, Episl., liv, ad Januarium, n. 1, P. L., t. xxxui, col. 200 ; S. Vincent de Lérins, Commoniluriinn primum, n. 2 sq., P.L.,

t. l, col. 610 sq., est d’une constatation facile et d’un fondement très sûr ; mais il ne possède point une valeur scientifique considérable, parce qu’il ne fournit aucune preuve critique immédiate et qu’il ne résout point directement les objections adverses. Bainvel, De magisterio vivo et traditione, p. 64.

2. Quant à la discussion scientifique des textes ou documents appartenant aux diverses périodes de l’histoire, on doit particulièrement observer qu’elle relève à la fois de la critique historique et de l’autorité de l'Église. Tributaire de la critique historique, elle doit en suivre toutes les règles légitimes ; mais elle doit en même temps être soumise à l’autorité de l'Église au moins quant à l’acceptation intime des vérités proposées par elle comme révélées ou comme certainement connexes à la doctrine révélée ; et pour remplir ce devoir elle est tenue d'éviter les excès réprouvés par l’encyclique Pasccndi dans la description du moderniste considéré comme critique, excès que Léon XIII avait déjà condamnés dans l’encyclique Providentissimus Deus du 18 novembre 1893.

3. Observons enfin que certains défauts de critique, historiquement constatés chez les Pères ou les théologiens dans l’emploi dogmatique des témoignages traditionnels, ne compromettent aucunement ni la preuve traditionnelle ni le dogme catholique, soit parce que d’autres preuves valables ne font point défaut, soit parce qu’aucun développement dogmatique postérieurement approuvé par l’Eglise n’est résulté de ces erreurs. Il n’est point nécessaire de rappeler ici des faits universellement connus, comme de nombreux documents ou textes faussement attribués à Denys l’Aréopagite, à saint Augustin, à saint Jérôme ou à d’autres Pères et sur lesquels on s’appuyait souvent en majeure partie.

Nous ne parlerons point ici de la raison comme source du dogme révélé. Car selon l’enseignement du concile du Vatican, sess. III, c. ii, ni, il est certain que, même après la manifestation du fait de la révélation, la raison est totalement impuissante à démontrer le dogme révélé, puisque celui-ci dans sa nature intime reste inaccessible à la raison humaine. Tout ce dont la raison est alors capable, est de montrer la non-valeur démonstrative des objections de raison dirigées contre la vérité révélée, S. Thomas, Cont. gent., l. I, c. vii, ou de faire ressortir pour les croyants toutes les raisons de convenance qui nourrissent et fortifient la piété et l’amour de Dieu. Cont. gent., l. I, c. ix. On sait d’ailleurs le rôle que joue la raison dans la perception des motifs de crédibilité' qui précède l’acte de foi. Voir Crédibilité.


V. Immutabilité substantielle des dogmes chrétiens. —

1. CARACTERE DÉFINITIF ET IMMUABLE DE LA RÉVÉLATION FAITE l’Ait JÉSUS-CBRIST ET ANNONCÉE paii les APÔTRES. —

C’est ce caractère définitif et immuable qui distingue la révélation chrétienne des révélations faites par Dieu sous l’Ancien Testament. Tandis que celles-ci devaient, dans le plan divin, être complétées par Dieu à mesure que l’humanité approchait de l’avènement de Jésus-Christ, S. Thomas, Sum. theol., II a II' q. I, a. 7, ad 2°'" et i"" 1, la révélation faite par Jésus-Christ et annoncée par les apôtres, doit demeurer jusqu'à la fin des temps, sans être modifiée par aucune révélation publique et sans subir dans son contenu intégral aucune altération substantielle ; ce qui cependant n’empêche point quelque progrès accidentel dans la connaissance et dans la proposition des dogmes chrétiens, comme nous le montrerons bientôt.

Enseignement scripluraire.

1. Enseignement évangélique. — Euntes enjo docele omnes génies, baplizanles eos in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancli, docentes eos servare omnia quæcumque man dat') vobis, et ecce ego vobiscum sum omnibus diebus, usque ad consummalioneni sœculi. Ma tth., XXVIII, 19sq. Xous savons que, par ces paroles, Jésus-Christ a confié toute sa doctrine à ses apôtres et à leurs successeurs jusqu'à la consommation des siècles et qu’il leur a assuré à perpétuité, pour l’accomplissement de cette charge, le privilège de l’infaillibilité doctrinale. Voir K( ; lise. En même temps, Jésus-Christ a fixé pour toute la durée des siècles, usque ad consummationem sseculi, ce que doivent enseigner les apôtres et leurs successeurs toujours assistés par lui dans cette sublime fonction, docentes eos servare omnia quæcumque mandavi vobis. Dès lors toute révélation subséquente, dont la prédication des apôtres ne serait pas le point de départ, serait une déviation de cette institution primitive, que Jésus-Christ a cependant déclarée définitive. Hypothèse inadmissible puisqu’elle outrage l’absolue véracité et la parfaite sagesse du divin Maître. Cette conclusion est d’ailleurs confirmée par la promesse solennelle de Jésus à ses apôtres dans le discours après la cène : docebil vos omnem veritatem, .]oa., xvi, 13 ; vos docebit omnia. Joa., xiv, 26. Promesse inévitablement violée dès lors qu’une nouvelle révélation publique s’accomplirait à quelque époque de l’histoire du monde, modifiant le dépôt de la foi confié aux apôtres et à leurs successeurs.

2. Enseignement de saint Paul.

L’antithèse établie par saint Paul dans l'Épitre aux Hébreux entre les multiples révélations successivement accomplies dans l’ancienne alliance et la révélation faite par Jésus-Christ in' iu/6.-o-j, exprime clairement le caractère définitif et parfait de cette dernière révélation. — a) C’est ce qu’indique l’expression In' liyàio-j signifiant littéralement pour la dernière fois et définitivement, signification encore renforcée par le contraste si marqué avec rcoXujxEpâx ; -/ai nojzp61zu>c, TtàXat du verset 1 er. — b) Celte interprétation est confirmée par Heb., XII, 2, où Jésus est appelé auctor et consummalor fidei, -rr, ; Ttitmax ; xy/yyji La ; VE.eiv>zrv } ce qui exprime nettement que la doctrine, à laquelle nous adhérons par la foi, a JésusChrist pour fondateur et chef, et que de ce fondateur et chef elle a en même temps reçu la dernière perfection. — c) Ce sens est entièrement conforme à la doctrine, souvent exposée ailleurs par saint Paul, que la nouvelle alliance est définitivement établie avec une perpétuelle stabilité sur le fondement de Jésus-Christ, unique médiateur et rédempteur, et source unique de toute grâce pour tous les hommes jusqu'à la fin des temps. Col., i, 518, ii, 1 ; Eph.. ii, 10 ; Rom., v, 1 sq. ; Heb., vii, Il sq. ; x, 11. — d) Saint Paul enseigne d’ailleurs que l’on doit fidèlement garder la doctrine prèchée par les apôtres, II fini., 1, 13 ; iii, 10, et que l’on doit rigoureusement écarter toute révélation qui publierait autre chose que ce qu’ont annoncé les apôtres. Gal., i, 8.

Enseignement traditionnel.

Cet enseignement se déduit évidemment des preuves précédemment apportées en faveur de la valeur objective des dogmes. Il suffira de les rappeler brièvement sous l’aspect particulier à notre démonstration actuelle. — 1. Dans les quatre premiers siècles, c’est un enseignement très formel chez les Pères, que la doctrine à laquelle tous les fidèles doivent adhérer est la doctrine de Jésus-Christ publiée par les apôtres, doctrine conservée toujours une et toujours la même, à laquelle on ne doit rien ajouter et de laquelle on ne doit rien retrancher, sous peine d'être exclu de l’héritage de Jésus-Christ et séparé de son Église. S. Ignace d’Antioche, Ad P/iil., vii, l’unk, Paires apostolici, 2° édit., Tubingue, 1901, p. 30ô ; Ad L'/>/(., xvi, p. 227 ; S. Irénée, Cont. hær., 1. 1, c. x ; I. Hl.prœf. etc. i, xxii, P. G., t. vii, col.549sq., 848sq., '.iiiii sq. ; Tertullien, De preescriptionibus, c. xi. xxv, xxviii, xxxi, xxxvii. P. L., t. ii, col. 33, 37, in. 14, 50 sq. ; Chinent d’Alexandrie, Strom., VII, P. ( ; ., t. IX,

col. 532 ; Origène, Deprincip., l.I, præf., n.l sq., P. G., t. xi, col. 115 sq.

D’ailleurs, pendant toute cette période, la pratique constante et universelle de l'Église de rejeter de son sein tous les hérétiques qui refusent de croire à la doctrine intégrale de Jésus-Christ telle qu’elle est enseignée par l’Eglise, témoigne évidemment de la croyance de l'Église à l’immutabilité permanente de cette même doctrine. Cette croyance s’affirme plus particulièrement à cette époque par la réprobation de l’illuminisme de Montan et de ses sectateurs, qui se donnaient comme les prophètes du Paraclet, annonçant en son nom une nouvelle et plus complète révélation obligatoire pour toute l’humanité.

2. Du IVe au VIe siècle, pendant que se conserve la même pratique universelle et constante de l'Église, l’autorité ecclésiastique porte de nouvelles définitions dogmatiques dans le but d’affirmer, de défendre ou d’expliquer, en face d’erreurs multiples, la doctrine révélée. En prenant toujours le soin de rattacher ces définitions aux vérités crues jusqu’alors et à la doctrine enseignée par Jésus-Christ et confiée par lui à ses apôtres, l’Eglise témoigne hautement sa ferme croyance à l’immutabilité susbtantielle de la doctrine enseignée par les apôtres au nom de Jésus-Christ.

Le concepl de cette vérité dogmatique chez les Pères de cette époque, particulièrement chez saint Augustin et chez saint Vincent de Lérins. résultera manifestement de ce que nous dirons bientôt de leur doctrine sur un progrès simplement accidentel dans la connaissance et la proposition des dogmes chrétiens.

3. Du VIe siècle jusqu'à l'époque actuelle, la croyance de l'Église à l’immutabilité substantielle des dogmes chrétiens continue à être manifestée par la même universelle et constante pratique de l'Église de rattacher m dépôt intégral de la révélation chrétienne toutes les définitions dogmatiques subséquentes, et d’exclure rigoureusement de la communion chrétienne quiconque n’adhère point à celle immuable vérité chrétienne.

Double pratique que l’Eglise continue à garder non moins fidèlement en face du protestantisme du xvi’siècle et de toutes les erreurs auxquelles il a donné naissance. C’est ce que témoigne la définition du concile de Trente, déclarant que la doctrine de Jésus-Christ, prèchée par les apôtres qui sont pour l’humanité tout entière la source de toute vérité, est contenue dans les livres inspirés et dans les traditions non écrites que Jésus a lui-même enseignées aux apôtres ou que le Siiint-Esprit leur a dictées, et qui ont été transmises jusqu'à nous. Concile de Trente, sess. IV, Decretum de canonicis Scripturis. C’est ce que témoigne aussi la condamnation récemment portée par l’Eglise contre les systèmes modernistes issus du protestantisme, systèmes qui rejettent nécessairement toute véritable révélation divine et qui, donnant aux dogmes une origine purement humaine, les soumettent conséquemment à un progrès substantiel ininterrompu. C’est ce que montrent particulièrement les propositions suivantes condamnées par le SaintOffice le 3 juillet 1907. Proposition 21 : Rerelatio, objectum (idcicatliolicæ constituens, non fuit cum apostolis compléta. —54. Dogmala, sacramentel, liierarc/tia tum quod ad notionem tant qnod ad realita t en} attinet, non sunt nisi intelligentiae christianse interprelaliones evolutionesque ijuse exiguum germon in evangelio lalens externis incrementis auxerunt perfeceruntque. — 59. Chris tus determinaluni doctrinse corpus omnibus lemporibus cunctisque hominibus applicabile non docuit, sedpotius inchoavit motuni quemdam religiosum diversis temporibusac locis adaptalum vel adaptundum. — 64. l’rogressus scientiarum postulat ut reformentur conceptus doctrinse christianse de Deo, de creatione, de rcvelatione, de persona Verbi incarnait, de redemptione. Condamnation solennellement renouvelée par Pie X dans le passage de l’encyclique Pascendi du 8 septembre 1907, où le pape, après avoir décrit d’une manière très complète la théorie moderniste sur l'évolution substantielle des dogmes, montre qu’elle contredit formellement les enseignements très explicites de Pie IX dans l’encyclique Qui pturibus du 9 novembre 184(5 et dans la condamnation de la proposition 5e du Syllabus, ainsi que les solennelles déclarations du concile du Vatican. Sess. III, c. IV. Cf. Denzinger, Baumwart, op. cil., p. 2095.

3° Ce caractère définitif et immuable de la révélation chrétienne ne subit aucune atteinte par le fait que l'Église donne son approbation à quelques révélations privées. — 1. Nous avons montré précédemment que ces révélations privées, même quand elles ont été approuvées par l'Église, ne contiennent jamais de dogme nouvellement propose à notre foi, et que l’Eglise, loin de garantir infailliblement leur authenticité et de les imposer à notre acceptation, se contente de déclarer qu’elles n’offrent rien de contraire à la foi ou à la morale chrétiennes et que l’on peut en retirer profit et édification spirituelle. — 2. Ces révélations, principalement destinées à diriger pratiquement les fidèles dans leur vie individuelle ou même publique, n’ont jamais occasionne dans l'Église aucun développement dogmatique. C’est ce que l’on doit particulièrement affirmer des révélations privées qui ont procure'- IVxtension du culte du saint sacrement ou du Sacre Cœur ele Jésus, voir CŒUR DE JÉSl s, t. iii, col. 293 sq., ou des nombreuses révélations individuelles qui fournissent aux théologiens mystiques un vaste et très utile champ d’observation psychologique. — 3. D’ailleurs, toutes ces révélations privées, loin de diriger le magistère ecclésiastique ou l’enseignement théologique, relèvent absolument de l’un et de l’autre, au jugement ele tous les théologiens. II. IMMUTABILITÉ SUBSTANTIELLE DV SENS QUE L’OIS DOIT ATTRIBUER l DOGMES PROPOSÉS PAR L'ÉGLISE COMME RÉVÉLÉS PAR JÉSUS-CBRIST. — ("est uneconséquence rigoureuse de l’infaillibilité conférée' à l'Église dans l’exercice perpétuel de sa divine mission de conserver, d’expliquer et de défendre le dépôt intégral de la foi placé sous sa garde vigilante. Concile élu Vatican, sess. III, c. iv ; sess. IV, c. iv. - 1° C’est l’enseignement immédiatement déduit de Multh., x.wm, l9sq.Les apôtres et leurs successeurs juseju'à la fin des siècles, étant divinement assistés pour enseigner perpétuellement toute la doctrine de Jésus-Christ, cette doctrine intégrale devra toujours demeurer intacte dans la proposition officielle faite par l'Église. En même temps, d’ailleurs, cet enseignement, parle fait qu’il doit incessamment s’adapter aux besoins des fidèles de tous les temps, doit se présenter, au cours des siècles, avec i|iielque progrès accidentel dont nous analyserons bientôt la nature.

2° C’est aussi l’enseignement traditionnel, comme le démontre, ainsi que nous l’avons observe précédemment, la pratique constante de l'Église d’appuyer toutes ses définitions dogmatiques sur la doctrine enseignée' par Jésus-Christ et par ses apôtres et toujours fidèlement conservée en vertu de la divine assistance à jamais garantie par la promesse de Jésus-Christ.

Au xix'- siècle, cet enseignement de l’Eglise est particulièrement affirmé contre la thèse semi-rationaliste de Hermès et de Cunther, soutenant un progrès substantiel opéré sur les dogmes par le travail de la raison, progrès en vertu duquel la raison comprendrait de mieux en mieux les dogmes chrétiens et les transformerait à mesure qu’elle en acquerrait une intelligence plus complète avec le développement des sciences humaines et surtout de la philosophie. Cette erreur fut condamnée par Pie IX dans l’encyclique Qui pluribus du 9 novembre 1846, Denzinger-Bannwarl, Enchiridion, n. 1636, et dans la proposition 5° du Syllabus : Divina reve IV - 51

lalio est imper f cela et ideirco subjecta continuo et indefinito progressui qui lu/maux rationis progressioni respondeat, n. 1705, ainsi que par la définition solennelle du concile de Vatican : Neque enim fidei doclrina quam Deus revelavit, relut philosophicum inventum proi>osita esthumanis ingeniis perficienda, sed lanquam divinum depositum Christi sponsæ tradita, fideliter custodienda et infallibiliter declaranda. Sess. III, c. iv, n.ISOO.

3° En réponse aux objections rationalistes nous ferons observer que l’immutabilité substantielle des dogmes chrétiens proposés par l'Église à notre foi, n’est point inconciliable avec l’autonomie qui appartient vraiment aux sciences humaines, ni avec leur progrès légitime. Car, s’il est vrai que toutes les sciences humaines, même les sciences critiques, doivent être subordonnées à la direction intellectuelle des dogmes, en tout ce qui concerne la vérité révélée et ce qui a avec elle une nécessaire connexion, comme l’enseignent Pie IX dans sa lettre à l’archevêque de Munich du 21 décembre 1863, Denzinger-Hannwart, Enchiridion, n. I6K3, et dans la condamnation de la proposition 14e du Syllabus : l’hilosophia trartanda est nulla supernaturalis revelationis lialrila ratione, et Léon XIII dans l’encyclique Immortale Del du Ie ' novembre 1885 et dans l’encyclique Libertas du 20 juin 1888, il est non moins vrai que ces sciences gardent toujours leur autonomie en tout ce qui n’a point de connexion nécessaire avec le dogme, particulièrement en ce qui concerne leur méthode propre et leur genre particulier de preuve, comme l’attestent cette définition déjà citée du concile du Vatican : Nec sane Ecclesia vetat ne hvjusmodi disciplinée in suo quæque ambitu propriis utantur principiis et propria methodo, sess. III, c. iv, et cette déclaration de Léon XIII dans l’encyclique Libertas du 20 juin 1888 : Denique prœtereundum non est immensum patere canipum in quo hominum excurrere industriel, seseque exercere ingénia libère queant, res scilicet, quæ cuni doctrina fidei morumque christianorum non liabent necessariam cognationem, vel de quibus Ecclesia, nulla adltibila sua auctorilate, judicium erudiloruin relinquil inlegrum ac liberum. D’ailleurs, suivant tous ces mêmes documents, des faits constants démontrent que la nécessaire subordination des sciences humaines à la direction intellectuelle des dogmes, en même temps qu’elle respecte intégralement leur autonomie normale, est pour elles une précieuse sauvegarde contre les entraînements ou les sollicitations de l’erreur.

Toutes ces conclusions s’appliquent aussi en toute vérité aux relations entre le dogme et la critique, pourvu que les deux conditions exigées par le concile du Vatican soient réalisées : que les dogmes de foi soient fidèlement compris et exposés selon la pensée de l'Église, et que du côté des sciences humaines l’on ne considère point de simples opinions comme des données certaines de la raison. Sess. III, c. iv.

D’ailleurs, nous ne devons point oublier que s’il y a une science critique vraiment digne de ce nom, loyalement soumise à l’enseignement révélé et à l’autorité de l'Église, possédant tous les droits que nous venons de revendiquer et digne d'être favorisée dans son progrés si légitime, il y a aussi une critique indépendante et insoumise dont le progrès, fatal à la raison en même temps qu'à la foi, doit être énergiquement réprouvé et combattu, suivant les enseignements de Léon XIII dans l’encyclique Providentissimus Deus du 18 novembre 1893 et surtout ceux de Pie X dans l’encyclique l’ascendi du8septembre 1907. Voir CRITIQUE, t. iii, col. 2332 sq.

/II. c immutabilité substantielle des dogmes proposés par l'église et i.a mutabilité des formules DOGMATIQUES. — 1° En droit. — 1. Dès lors que les formules dogmatiques employées par les Pries et les théologiens expriment habituellement les dogmes

à l’aide d’une image ou d’un symbole matériel et qu’elles sont le plus souvent empruntées à la philosophie courante d’une époque, elles contiennent presque toujours quelque imperfection et sont par conséquent susceptibles d’amélioration.

2. De nouvelles formules dogmatiques peuvent être particulièrement nécessaires pour défendre plus efficacement la doctrine chrétienne contre de nouvelles erreurs exigeant des explications ou des précisions nouvelles. S. Thomas, Svm. theol., ll a II æ, q. i, a. 10, ad l 1 "". De la part de l'Église l’emploi de telles expressions est une nécessaire conséquence de sa divine mission d’enseigner intégralement la révélation chrétienne aux fidèles de tous les temps, dans la mesure et de la manière exigées par leur bien spirituel. C’est ce que signifie implicitement le concile du Vatican, déclarant simplement que le dépôt de la révélation chrétienne conlié à la garde vigilante de l’Eglise n’est sujet à aucun perfectionnement humain : neque enim fidei doctrina quam Deus revelavit, velut philosophicum inventum proposila est humanis ingeniis perficienda. Sess. III, c. iv. Le concile n'écarte aucunement le perfectionnement accompli ou sanctionné par l’Eglise dans la sphère de son autorité ; il réprouve simplement tout perfectionnement accompli par le travail de la raison humaine, s’exercant indépendamment de l’autorité de l’Eglise.

3. Quant à la manière de réaliser ce perfectionnement, rien n’empêche qu’avant d'être définitivement approuvé par l'Église, il soit d’abord préparé, pendant un temps plus ou moins long, dans les écrits individuels des Pères ou des théologiens. Il suffit que l'Église, par sa définition dogmatique, approuve, en se l’appropriant, le travail antérieurement élaboré. Nous en constaterons bientôt plusieurs exemples manifestes.

4. Enfin rien ne s’oppose à ce que' l’Eglise, dans l’avenir des siècles, perfectionne encore les formules déjà choisies par elle pour exprimer la doctrine chrétienne. Car le droit de l'Église n’est point nécessairement lié par le premier usage qu’elle en a fait. Il est simplement requis qu’elle garde immuablement le sens des dogmes précédemment définis, concile du Vatican, sess. III, c. IV, et que, pour éviter le danger qui pour* rait naître de fréquentes modifications non motivées, elle agisse ainsi seulement pour de très graves raisons et dans la mesure strictement nécessaire.

2° En fait, l’histoire des dogmes montre ce perfectionnement dans les formules dogmatiques, d’abord réalisé, souvent d’une manière assez lente, par les Pères et les théologiens, puis utilise et définitivement sanctionné par le magistère de l’Eglise, sans qu’aucune atteinte soit portée à l’identité substantielle du dogme, et aussi sans que se rencontre un seul exemple bien caractérisé de modification postérieurement introduite par l'Église dans les formules déjà adoptées par elle.

Ainsi a) les termes substantiel, natura, persona, introduits dans le langage théologique par Tertullien pour exprimer les augustes mystères de la trinité et de l’incarnation, A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 81 sq., sont bientôt universellement adoptés chez les Latins. Chez les Grecs, les mots ovala et 1116<7- : a<nç, d’une signification d’abord assez indécise, sont employés pour la première fois par saint Basile dans le sens très précis des termes latins substanlia et persona. Epist., xxxviii et ccxxxvi, n. 6, P. G., t. xxxii, col. 325 sq., 884 ; Contra Eunomium, l. ii, n. 28 ; l. IV, n. 1 sq., P. C, t. xxix, col. « 37 sq., 689 sq. Cette signification, bientôt communément adoptée chez les Grecs, est notamment employée par saint Cyrille d’Alexandrie dans ses célèbres anathématismes. Des écrits des Pères elle passe bientôt dans le langage des conciles. Le concile de Nicée en 325 avail encore employé le mot JuôirTaCTt ; comme synonyme de

oùffi’a. DenLinger-IJannwart, Enchiridion, n. 54. Ce sens est désormais abandonné. Le concile de Chalcédoine attache définitivement au terme ûitdffrao-iç la signification de personne et à çûuiç celle de nature. Enchiridion, n. 148.

Terminologie fidèlement conservée par les conciles subséquents, notamment par le Ve et le VIe concile de Constantinople. Enchiridion, n. 213 sq., 289 sq. On sait d’ailleurs que le concile de Nicée avait antérieurement consacré l’usage du terme ô^ooùtio ; pour exprimer la divinité du Verbe et sa parfaite égalité' avec le Père, et que le mot 6eo-ô-Loç avait été approuvé par le concile d’Kpbèse pour signifier la maternité divine de Marie.

b) Le terme salisfactio, pour la première fois employé par saint Anselme, Cur Deus homo, l. I, c. XI, P. L., t. clviii, col. 376, pour exprimer l'œuvre rédemptrice accomplie par Jésus-Christ, fut bientôt consacré par l’usage théologique et admis dans les documents ecclésiastiques, notamment dans les définitions du concile de Trente.

En même temps les théologiens formulèrent plus nettement la distinction entre la rédemption universelle pro cmutibus quantum ad suf/icientiam, licet non quantum ad efficientiam, S. Thomas, In Epist. ad Romanos, c. V, lect. V, et In I Tint., c.n.Iect. i, Opéra, Rome, 1570, t. xvi, fol. 18, 177, formule postérieurement introduite dans les définitions du concile de Trente. Sess. VI, c. il, ira

c) La terminologie sacramentaire reçut aussi un perfectionnement considérable, a. Les formules théologiques exprimant Vefficacité des sacrements furent, à l’occasion de l’erreur des donatistes, bien améliorées par saint Optât de Milèveet surtout par saint Augustin, distinguant plus nettement entre la réception valide et la réception licite du sacrement, entre la grâce et le caractère, et montrant plus explicitement que l’effet du sacrement vient de ce que le rite sacramentel est accompli au nom de Jésus-Christ et avec son pouvoir. Pourrai, La théologie sacramentaire, Paris, 1907, p. 118. A la fin du xiiie siècle, à la suite de plusieurs controverses relatives aux ordinations simoniaques ou aux sacrements conférés par des ministres indignes, on commença à distinguer enlre le rite sacramentel luimême, opus operatum, ii la production duquel est attachée la vertu de Jésus-Christ prêtre principal et l’action personnelle du ministre, opus operans. Pierre de Poitiers, Sent., l. V, c. vi, P. L., t. ccxi, col. 1235.

La formule ex opère opcrato, déjà mentionnée et approuvée par saint Thomas, In I V Sent., l. IV, dist. I, q. i, a. 5, fut bientôt unanimement acceptée par les théologiens pour exprimer que les sacrements produisent réellement la grâce qu’ils signifient, à moins que le sujet n’y mette obstacle, bien que les théologiens scolastiques des diverses écoles aient interprété différemment le mode de production signifié par ces paroles. Un peu plus tard, le concile de Trente, dans sa définition solennelle de l’efficacité des sacrements, adopta la formule ex opère operato, sans identifier sa doctrine avec aucune des opinions adoptées par les diverses écoles théologiques. Sess. VU, De sacramentis in génère, can. 8.

b. Les formules théologiques exprimant les éléments constitutifs des sacrements subirent aussi diverses modifications. Saint Augustin avait déjà distingué dans le signe sensible ou sacramentum, distinct de la virlus sacramenti, deux éléments constitutifs dont l’union constitue le sacrement : elementum ou verbum, l’objet matériel et la parole. In Joannis Evangelium, tr. LXXX, n. 3, P. L., t. xxxv, col. 1810. Quel qu’ait été le sens attribué par saint Augustin au mot verbum et les interprétations des auteurs du XIe et du XIIe siècle, il est certain que cette terminologie fut communément usitée

jusqu'à Pierre Lombard. Avec Pierre Lombard commença la distinction bientôt classique entre sacramentum et res. Sent., l. IV, dist. IV, n. 1, P. L., t. cxcii, col. 846. Puis au XIIIe siècle, surtout avec saintThomas, les termes materia et forma deviennent les termes communs sous lesquels on désigne par analogie les parties constitutives du sacrement. Langage bientôt adopté dans les documents ecclésiastiques, notamment dans le décret ou instruction pratique d’Eugène IV pro Armenis, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 695, et dans la session XIV, c. ii, du concile de Trente où il est rappelé que l’essence de tout sacrement consiste dans la matière et la forme. — c. Le mot character, employé par saint Augustin pour exprimer le signaculum ou ffçpâytî provenant de certains sacrements, Epist., clxxiii, n. 3 ; ci.xxxv, n. 23, P. L., t. xxxiii, col. 754, 803 ; Contra epislolam Parmeniani, l. II, n. 29, P. L., t. x i.iii, col. 71, fut après lui communément usité en ce même sens, d’ailleurs plus complètement défini par les théologiens scolastiques. Voir Caractère SACRAMENTEL. Un peu plus tard ce terme reçut la consécration ecclésiastique, notamment dans le décret Ad Armenos, loc. cit., et dans plusieurs définitions du concile de Trente. Sess. VI, can. 9 ; sess. XXIII, can. 4.

(I. Pour les sacrements en particulier nous nous bornerons à noter ici l’usage du terme transsubstantiatio employé' pour la première fois par Hildebert de Tours († 1137), Serm., xciii, P. L., t. clxxi, col. 776, pour mieux exprimer la doctrine catholique en face des négations de liérenger de Tours, puis bientôt consacré par l’usage de l'Église au IVe concile de Latran, DenLinger-Bannwart, Enchiridion, n. 430, et dans la confession de foi de Michel Paléologue qui lui fut proposée par Clément IV en 1267 et que l’empereur présenta lui-même à Grégoire X au II" concile de Lyon en 1274. Enchiridion, n. 465. Cette formule fut aussi adoptée par le concile de Trente. Sess. XIII, c. IV et can. 1, 2.

Dans tous les cas particuliers que nous venons de signaler, en même temps que l’on constate, à travers la diversité des formules, l’identité substantielle du dogme révélé, on peut facilement s’assurer qu’en fait l'Église n’a jamais modifié dans la suite des siècles une formule précédemment adoptée par elle.

Nous pouvons donc conclure que, si une telle modification de la part de l’Eglise n’est pas théoriquement invraisemblable, elle est pratiquement peu probable, si l’on en juge d’après l’histoire des siècles passés, où ne se rencontre pas un seul fait bien caractérisé de modification réelle apportée par l'Église à des formules dogmatiques précédemment adoptées par elle.


VI. Progrés accidentel dans la connaissance et la proposition des dogmes chrétiens.

1° Ce progrès doit être, à toutes les époques de l’histoire de l'Église, une conséquence de la mission que Jésus-Christ a confiée à son Église d’enseigner et d’expliquer aux fidèles de tous les temps les vérités révélées et de les défendre contre de multiples et incessantes attaques. Car une telle mission ne peut s’accomplir sans quelque développement ou progrès dans renonciation de l’enseignement révélé. Il était d’ailleurs inévitable que, sous l’impulsion d’erreurs nouvelles ou de besoins nouveaux, on analysât plus soigneusement le dogme révélé et que l’on y reconnût plus clairement des vérités jusque-là plus obscurément perçues. O’oii devait encore résulter, avec l’approbation de l'Église, un progrès considérable dans renonciation des dogmes révélés.

2° Mais la vérité théologique du développement dogmatique ne nous suffit pas. Nous devons le constater historiquement dans les documents authentiques, pour en étudier ensuite la nature intime. Toutefois nous bornerons nos investigations actuelles au progrès dans

1rs dogmes chrétiens définis par l'Église comme révélés, sans atteindre directement le développement doctrinal des vérités non proposées comme révélées.

I. FAIT BISTORIQUE DE CE PROGRÈS DEPUIS LA VIS I>F. LA PÉRIODE APOSTOLIQUE Jl SQU’A L'ÉPOQUE ACTUELLE. — 1° Nous commençons ce cadre historique à la fin de la période apostolique, car c’est alors seulement que la promulgation de la révélation chrétienne reçut sa pleine consommation. Billot, De virtutibus infusis, Rome, 1901, p. 252. C’est l’enseignement du concile de Trente, déclarant absolument que la vérité, enseignée par Jésus-Christ et transmise par les apôtres, est contenue dans les livres inspirés et dans les traditions non écrites reçues de Jésus lui-même par les apôtres ou communiquées parle Saint-Esprit aux apôtres et transmises par eux à l’humanité chrétienne. Concile de Trente, sess. IV, Décret, de canonicis Scripturis. C’est d’ailleurs une conséquence de l’inspiration des écrits du Nouveau Testament et de la mission spéciale du Saint-Esprit pour enseigner aux apôtres toute vérité. Joa., xiv, 26 ; xvi, 13.

2° En commençant notre esquisse à la fin de l'âge apostolique, nous ne voulons point écarter pendant cette période tout développement dogmatique aussi justifiable à cette époque qu'à toute autre. Mais nous nous abstenons de toute investigation dans ce sens, parce que les documents que nous possédons ne nous permettent point de distinguer nettement ce qui pourrait être un développement dogmatique, de ce qui est ou peut être une tradition provenant de l’enseignement oral de Jésus-Christ, ou d’une manifestation spéciale du Saint-Esprit, selon la définition précitée du concile de Trente. Pour les mêmes raisons, nous n’avons aucunement la prétention de déterminer le contenu précis ou la formule exacte de l’enseignement explicite de l'Église au moment où se clôt l'âge apostolique. Nous nous bornerons à mentionner ce qui, d’après la comparaison des documents écrits des diverses époques tels que nous les possédons actuellement, atteste clairement ou suppose évidemment, à un moment donné de l’histoire, un progrès dans renonciation ou la proposition oflicielle des dogmes catholiques.

1™ période, depuis la fin de l'ère apostolique jusqu' au commencement du iv siècle. — l.La principale caractéristique négative de cette période, c’est que l’on ne rencontre point de nouvelle définition dogmatique bien explicite, à s’en tenir du moins aux documents que nous possédons actuellement. Plusieurs erreurs, il est vrai, furent alors réprouvées par l'Église, notamment les diverses erreurs gnostiques, le montanisme, l’unitarisme de Théodole de ISyLance et de celui de Paul de Samosate, le patripassianisme de Sabellius et le novatianisme, condamnés par plusieurs papes et par plusieurs conciles. Mais ces condamnations consistèrent plutôt en une réprobation de doctrine et dans une exclusion de l'Église, qu’en une définition explicite. lien fut de même pour la condamnation de plusieurs pratiques abusives, comme la pratique de renouveler le baptême des hérétiques. Ici encore, selon nos documents actuels, l'Église, sans faire aucune déclaration doctrinale bien explicite, ne fit guère que condamner la nouvelle pratique, au témoignage de saint Cyprien de Carthage et de Eirmilien de Cappadoce qui nous ont conservé la réponse du pape saint Etienne. Voir Baptême, t. ii, col. 227.

2. La principale caractéristique positive de toute cette période est un progrès notable dans l’affirmation ou la manifestation de diverses pratiques en usage universel d ; , ns l’Eglise et contenant ou supposant la croyance à quelque dogme, comme l’administration de chacun des sacrements déjà bien attestée à cette époque, la soumission habituelle à l'évéque de Home, impliquant évidemment sa primauté effective et même son infaillible

magistère, l’exclusion constante de l'Église, prononcée contre quiconque n’accepte point la doctrine intégrale prêchée par l’autorité ecclésiastique au nom de JésusChrist, la célébration habituelle du saint sacrifice de la messe pour les fidèles morts en communion avec l'Église, l’invocation de la sainte Vierge et des saints, l’habitude d’exiger des candidats au baptême une formelle adhésion au symbole intégral, et beaucoup d’autres pratiques connexes dont l’histoire détaillée est mentionnée aux articles spéciaux. Si l'évidence plus grande dont ces pratiques sont alors entourées n’est point par elle-même une démonstration péremptoire de progrès dogmatique, elle fournit cependant un indice très important, quand on la considère conjointement avec le développement doctrinal que nous allons constater chez les Pères de cette époque.

3. Mais si aucune nouvelle définition bien explicite n’apparaît pas pendant toute cette période, on observe cependant chez les principaux Pères un travail considérable de préparation dogmatique, qui devait puissamment contribuer aux définitions explicites des siècles suivants.

Nous noterons particulièrement : a) Le progrès accompli, surtout par saint Irénée et Tertullien, dans l’exposé de l’argument théologique de tradition, si intimement lié avec le dogme de l’immutabilité substantielle de la doctrine confiée par Jésus-Christ à ses apôtres, pour être par eux fidèlement transmise jusqu'à la consommation des siècles. S. Irénée, Cont. Iiœr., l. III, c. iii, n. 1 et 2 ; c. IV, n. 1, P. G., t. VII, col. 818 sq., 855 ; Tertullien, De præscript., c. XXI, xxiii, xxvi, xxxvi, P. L., t. ii, col. 33, 34, 36, 38, 49 ; Origène, De princip., pru’f., n. 2, P. G., t. xi, col. 116.

b) Le progrès accompli surtout par saint Cyprien dans l’exposition du concept de l’unité de l’Eglise et de la primauté effective du pontife romain successeur de Pierre. L’unité de l’Eglise, incidemment ou implicitement affirmée par saint Ignace, saint Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie et Origène, est formellement énoncée par saint Cyprien et appuyée sur l’institution de Jésus-Christ, conférant d’abord à Pierre seul tout le pouvoir qu’il devait ensuite communiquer aux autres, dépendamment de Pierre. De catholicæ Ecclesim unitate, iv, P. L., t. iv, col. 499 sq. La primauté effective du pontife romain précédemment indiquée par saint Irénée, Cont. hær., l. III, c. iii, n. 2, P. G., t. vii, col. 848 sq., et Tertullien, De præscriptionibus, c. xxxvi, P. L., t. ii, col. 49, est plus explicitement formulée par saint Cyprien, De habita virginum, x, P. L., t. iv, col. 449 ; De uuilate Ecclesia', iv, P. L., t. iv, col. 500 ; Epist., xliv, n. 3, P. L., t. iii, col. 710 sq. ; LI, n. 8, col. 772sq. ; liv, n. li, col. 818 sq. ; LXVI, n. 2 sq., col. 993 sq. ; i.xix, n. 8, P. L., t. iv, col. 406 ; lxxi, col. 410 ; i.xxii, n. 3, P. L., t. iii, col. 105ÛJLXXIII, n. 7, 11, col. 1114, 1110 ; De exhortatione martyrii ad Fortunalum, xi, P. L., t. IV, col. 668, bien que la nature du pouvoir inhérent à cette primauté ne soit pas nettement précisée dans l’ensemble des écrits de l'évéque de Carthage. Voir Cyprien', t. iii, col. 2468 sq.

Aussi doit-on rejeter la thèse très téméraire de M. Tunnel dans son récent ouvrage, Histoire du dogme de la papauté des origines à la fin du IV siècle, Paris, 1908, rejetant finalement tout témoignage vraiment démonstratif de la primauté effective du pape avant la fin du IVe siècle. E. Portalié, Etudes religieuses du 20 août et du 5 septembre 1908, p. 525, 606 sq.

c) Le progrès accompli dans les affirmations doctrinales relatives aux sacrements, notamment aux sacrements de baptême, d’eucharistie et de pénitence. Saint Justin avait déjà parlé plus explicitement que ses devanciers du sacrement de baptême, dont il nous fait connaître les éléments constitutifs, les effets et les cérémonies principales. Apol., i, n. 61 sq., P. G., t. vi,

col. 420 sq. Saint Cyprien est encore plus explicite. Il mentionne formellement le baptême par infusion comme permis en cas de maladie, Epist., lxxvi, 12, P. L., t. iii, col. 1147 sq., ainsi que le baptême des enfants aussitôt après leur naissance, Epist., LIX, n. 3 sq., col. 1015 sq. ; en même temps il donne une plus complète description de l’administration de ce sacrement. Epist., i-xx, 2 ; lxxvi, 7, P. L., t. iii, col. 1040 sq., 1143 sq. Quelque progrès se manifeste aussi relativement à renonciation du dogme de l’eucharistie. Saint Justin avait mentionné explicitement la présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie en même temps que le sacrifice eucharistique et la communion. Apol., , n. 65 sq., P. G., t. vi, col. 428 sq. ; Bialog. cura Tryph., n. 41, 117, col. 564, 745 sq. Saint Cyprien est encore plus formel sur la présence réelle, Epist., x, 1 ; lvi, 9, P. L., t. iv, col. 254, 357 ; Epist., lxxvi, 6, P. L., t. iii, col. 1142 ; De lapsis, 16, P. L., t. IV, col. 479 ; De oratione dominica, xviii, col. 531 sq., et sur le sacrifice eucharistique, Epist., lxiii, 4, P. L., t. iv, col. 372 sq., qui est offert pour les vivants et pour les défunts. Epist., lx, 4 ; lxvi, 2, P. L., t. iv, col. 362, 399. Un progrès se manifeste aussi dans l’exposition du dogme de la pénitence. Tertullien, avant son adhésion au montanisme, avait, en décrivant la pénitence publique, indiqué assez clairement son caractère sacramentel et le pouvoir d’absoudre conféré aux prêtres. De pxiiit., iv sq. ; ix sq., P. L., t. i, col. 1233 sq. ; A. d’Alès, La théologie de Tertullien, p. 344 sq. Saint Cyprien mentionne explicitement le pouvoir d’absoudre et la confession faite aux prêtres non seulement pour les péchés passibles de la pénitence publique, mais encore pour les fautes moins graves. Epist., xi, 2 ; xii, 1 ; De lapsis, xvi, xxviii, xxix, P. L., t. iv, col. 257, 259, 479, 488 sq.

2e période, depuis le commencement du ie jusqu’au XIIe siècle. — Celte période est surtout caractérisée par de nombreuses définitions nouvelles, où se manifestent plus complètement ou plus clairement plusieurs vérités jusqu’alors implicitement contenues dans quelque autre vérité expressément enseignée comme révélée. Nous signalerons particulièrement les définitions sur la grâce et sur le péché originel, portées par le IIe concile de Milève en 402, et par le concile de Carthage en 418 et spécialement approuvées par les papes saint Innocent I" et saint Zosime, DenzingerBannwart, Encliiridion, n. 101 sq. ; les enseignements sur la grâce ultérieurement donnés par saint Célestin I er dans sa célèbre lettre aux évêques de Gaule contre les erreurs des semipélagiens, n. 129 sq., voir Célestin I er, t. ii, col. 2052 sq., et par le IIe concile d’Orange en 529, n. 174 sq. ; les déclarations positives sur la primauté effective et le magistère infaillible du pontife romain, contenues dans le formulaire de foi prescrit par le pape saint Hormisdas aux évêques orientaux, n. 171 sq., dans les décrets ou lettres dogmatiques du pape saint Nicolas I er, n. 326, 332, et dans la lettre de saint Léon IX à Michel Cérulaire, n. 351 sq. ; l’enseignement formel du VIIIe concile œcuménique sur l’unité de l'âme humaine, n. 338, et celui du symbole de foi de saint Léon IX sur le fait de la création de l'âme humaine par Dieu, n. 348 ; enfin les définitions portées contre Origène, n. 203 sq., contre les priscillianistes, n. 531 sq., contre les monothélites, n. 289 sq., contre les iconoclastes, n. 302 sq., et contre les adoptianistes, n. 309 sq.

3e période, du XIIe au XVIe siècle, troublée par un nombre très restreint d’erreurs et cependant marquée par plusieurs définitions nouvelles, donnant un exposé plus complet du dogme catholique. Nous mentionnerons particulièrement la définition du deuxième concile de Lyon en 1270 sur la procession du Saint-Esprit ex Paire et Filio, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 460, la déclaration de Benoit XII sur le moment

auquel les âmes entièrement pures ou purifiées commencent à jouir de la vision béatifique, n. 530, voir Benoît XII, t. ii, col. 669 sq. ; la définition du IVe concile de Latran sur la présence réelle et la transsubstantiation, n. 430 ; l’enseignement du concile de Florence sur la primauté effective du pontife romain, n. 694, et sur la nécessité d’appartenir à l’Eglise catholique pour obtenir le salut, n. 714 ; la définition du concile de Vienne sur l'âme, forme substantielle du corps humain, n. 481 ; et plusieurs déclarations de l'Église sur les sacrements, notamment sur le baptême au IVe concile de Latran, n. 430, et au concile de Vienne, n. 482 sq., et dans le célèbre décret d’Eugène IV Ad Armenos, n. 696 ; sur la transsubstantiation et les accidents eucharistiques au IV" concile de Latran, n. 430, et au concile de Constance, n. 581 sq., sur les sacrements de pénitence, d’extrême-onction, d’ordre et de mariage, dans l’instruction Ad Armenos, n. 699 sq.

4e période, du XVIe siècle à l'époque actuelle, période dans laquelle l'Église oppose à de nouvelles et plus fondamentales erreurs de nombreuses et importantes définitions, proposant d’une manière plus explicite des vérités moins clairement proposées jusqu’alors. Nous signalerons particulièrement les définitions plus complètes portées par le concile de Trente sur l’autorité de l'Écriture et de la tradition, sess. IV ; sur la constitution de l’homme dans l'élut surnaturel et sur le péché originel, sess. V ; sur la liberté humaine, la justification, la grâce sanctifiante, les vertus surnaturelles et le mérite surnaturel, sess. VI ; sur les sacrements en général et sur chacun d’eux en particulier, sess. VU sq., et beaucoup d’enseignements plus explicites du Saint-Siège résultant de condamnations formelles portées parles souverains pontifes contre les erreurs de Baius, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1001 sq., contre 101 propositions extraites de Quesnel, n. 1351 sq., et contre les assertions erronées des jansénistes de l’istoie, n. 1501 sq.

Au xixe siècle, mention particulière doit être faite des enseignements très explicites du saint-siège sur les relations entre la raison et la foi, particulièrement contre les erreurs de Hermès et de Giinther, dans plusieurs lettres ou encycliques de Grégoire XVI et de Pie IX, n. 1618 sq., 1634 sq., 1655 sq., 1666 sq., 1679 sq., dans le Syllabus, n. 1708 sq., et dans le concile du Vatican, n. 1795 sq. ; de la définition dogmatique de l’immaculée conception de la très sainte Vierge Marie par Pie IX dans la bulle lneffabilis Deus du 8 décembre 1854 ; des définitions portées par le concile du Vatican sur l’inspiration des Ecritures, sur la foi, sur l'Église, sur la primauté ellective du pape et sur son magistère infaillible, et plusieurs enseignements dogmatiques proposés par Léon XIII à tous les fidèles, par exemple sur le mariage chrétien, sur l’origine du pouvoir civil, sur l'Église et sur ses relations avec la société civile.

Dans cette courte esquisse contenant d’ailleurs, avec beaucoup de définitions dogmatiques nouvelles, de simples déclarations doctrinales sur des matières appartenant indirectement au dépôt de la foi, il n’est point nécessaire que nous distinguions, avec une minutieuse exactitude de détail, entre ce qui est simple progrès dans l’expression ou dans la formule dogmatique, et ce qui est un véritable développement dogmatique d’une vérité jusque-là crue ou enseignée d’une manière simplement implicite. Ce travail sera accompli, autant qu’il est possible de le faire, dans l'étude particulière de chacun des dogmes révélés.

Il nous suffit présentement de retenir, comme solidement prouvée par plusieurs des faits précités, cette conclusion très certaine que, dans toute l’histoire de l'Église, se rencontrent des exemples bien caractérisés

de progrès dogmatique, necompli non seulement dans l’expression ou dans la formule, mais encore dans une vérité plus explicitement crue ou enseignée, après une période plus ou moins longue de croyance ou d’enseignement moins explicite. On doit considérer comme tels, non seulement les dogmes récemment proclamés de l’immaculée conception de la bienheureuse Vierge .Marie et de l’infaillibilité pontificale, mais encore quelques dogmes plus anciens, définis à diverses époques, et que nous rencontrerons bientôt.

II. OCCASIONS ET FACTEURS PRINCIPAl X DE CE PROGRÈS, selon la teneur des documents historiques. — 1° Occasions de ce 'progrès. — Les documents historiques, démontrant le fait d’un progrès dogmatique, attestent en même temps l’existence de trois occasions principales, dont le mode d’influence a été très variable selon les diverses circonstances de personne, de sujet, de temps ou de milieu. — 1. Influence occasionnelle <les hérésies. — A. C’est un fait constant que chaque erreur ou hérésie nouvelle, en formant les défenseurs de la foi catholique à scruter et à analyser plus minutieusement l’enseignement catholique et à l'étudier plus attentivement dans l'Écriture et dans la tradition, a toujours puissamment contribué à son élucidation plus parfaite et à sa plus complète exposition. — a. Ainsi à la fin du nr et au commencement du ive siècle, après les diverses erreurs unitariennesdeThéodote deByzance, de Paul de Samosate et de Sabellius, après les affirmations subordinaliennes émises d’une manière plus ou moins complète par plusieurs auteurs du IIe et du me siècle, et en face de l’hérésie naissante d’Arius, les défenseurs de la foi catholique, particulièrement saint Alexandre, évoque d’Alexandrie, et saint Athanase, furent contraints de préciser les formules exprimant la nature du Verbe divin, sa distinction du Père, sa génération éternelle et sa consubstantialité avec le Père. Les expressions apparemment favorables au subordinalianisme, assez fréquentes chez, les Pères du H" et du nr siècle que l’on doit cependant reconnaître comme substantiellement orthodoxes sur les points principaux du dogme trinitaire, furent dès lors complètement abandonnées. L’expression ôjj.ooJ<jio ; , précédemment condamnée, au sens sahellien ou modaliste de Paul de Samosate, par un concile d’Antioche en 269 et employée depuis par le pape saint Denys en un sens orthodoxe contre l’erreur subordinatienne, Ilefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1907, t. I, p. 202 sq., 434 sq., fut choisie comme plus apte à exprimer la consubstantialité du Fils avec le Père, en même temps que la distinction des personnes, et définitivement approuvée par le I er concile de Nicée en 325. Depuis cette époque, les expressions subordinatiennes disparaissent entièrement chez les auteurs orthodoxes. Ce progrès dans renonciation du dogme trinitaire, à l’occasion de l’hérésie arienne, est spécialement signalé par saint Augustin. Enar ratio in ps. LIV, n.22, P. L., . xxxvi, col. 613. — b. Au Ve siècle, les erreurs pélagiennes aidèrent au développement du dogme du péché originel. La transmission du péché originel à tous les enfants d’Adam avait été affirmée d’une manière plus ou moins explicite par les auteurs des IIe, IIIe et IVe siècles, antérieurs à saint Augustin, notamment par ceux que mentionne l'évêque dllippone dans son Contra Julianunt, l. I, C. m sq., P. L., t. xi.iv, col. 643 sq. Mais la plupart de leurs affirmations présentent encore un caractère incomplet, surtout à cause des préoccupations dominantes chez ces auteurs, de mettre en garde contre les erreurs alors particulièrement dangereuses du gnoslicisme, du manichéisme ou de l’origénisme et qui exigeaient que l’on mît en relief l’absence de corruption de l’homme par nature, ou l’absence de faute, c’est-àdire de faute personnelle, avant l’existence actuelle. Schwane-Degert, Histoire des dogmes, 2e édit., Paris,

1903, t. iii, p. 32 sq. Tandis que ces auteurs avaient plutôt indiqué le côté pénal ou afflictif de la faute originelle, saint Augustin, dans sa lutte contre Julien d’Eclane et ses partisans, fut amené à mettre principalement en relief l’aspect moral de la faute du genre humain en Adam. Non content de montrer les conséquences qu’elle entraîne pour toute la postérité d’Adam, il expliqua comment elle est, dans chaque individu, une transgression moralement imputable, non par une rébellion actuelle de la volonté, mais par quelque dépendance de la volonté d’Adam chef de l’humanité, et quel rôle la concupiscence joue dans la transmission du péché originel. Voir Augustin, t. i, col. 2394 sq. Les souverains pontifes, en approuvant les conciles tenus en Afrique à cette époque, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 101 sq., ou en enseignant directement la doctrine catholique sur ce point, comme dans la lettre de saint Célestin I er aux évoques de Gaule en 431, Enchirid’wn, n. 130 sq., choisirent dans la doctrine de saint Augustin ce qu’ils jugèrent être l’expression exacte du dogme, en omettant certaines explications secondaires concernant surtout le rôle de la concupiscence dans la transmission du péché originel. Ces explications que les théologiens scolastiques n'écartèrent point entièrement, ne disparurent effectivement qu’après les définitions plus explicites du concile de Trente et la condamnation des erreurs de Daius et des propositions jansénistes. — c. Aux Ve et vr siècles, les erreurs pélagiennes et semipélagiennes aidèrent aussi au développement du dogme de la grâce. Les Pères antérieurs au ve siècle avaient substantiellement affirmé ce dogme, comme le prouvent les fréquents appels de saint Augustin à leur témoignage. Mais Augustin dut, contre les négations pélagiennes et semipélagiennes, insister plus fortement sur ces deux points fondamentaux : nécessité de la grâce pour la rénovation ou régénération intime de l'âme et pour l’accomplissement des actionsou œuvres ayant quelque rapport direct avec le salut surnaturel, cl gratuité absolue de cette grâce, dépassant essentiellement tout mérite provenant des forces naturelles de la volonté humaine, ce qui est plus particulièrement vrai de la première grâce d’illumination ou de conversion surnaturelle. En développant toutes ces affirmations doctrinales, solidement prouvées par l'Écriture et par la tradition des siècles précédents, Augustin mêle à l’expression du dogme catholique des opinions ou explications personnelles, particulièrement sur le mode d’efficacité de la grâce. L’Eglise, en approuvant la doctrine du grand docteur de la grâce, surtout par la confirmation spéciale donnée au IIe concile d’Orange tenu en 529, Denzinger, Enchiridion, n. 174 sq., laissa ce qui ne lui parut point apte à exprimer le dogme catholique et fit porter son enseignement uniquement sur la nécessité de la grâce pour tout acle surnaturel en rapport direct avec le salut et sur la stricte gratuité de cette grâce, à l’exclusion de tout mérite naturel, particulièrement pour Yinitium fidei et le credulilatis affectas qui l’accompagne. De ces définitions les théologiens déduisirent ultérieurement de nouvelles conclusions qui préparèrent les définitions plus complètes encore du concile de Trente, ainsi que les condamnations portées contre les erreurs de Baius et des partisans de Jansénius. — d. Aux IVe et Ve siècles, les erreurs des rebaptisants et des donatistes furent, particulièrement chez saint Augustin, l’occasion d’une distinction plus marquée entre la validité des sacrements et leur efficacité. Jusqu'à l'évêque dllippone, on s'était à peu près borné à l’affirmation de la pratique de ne point rebaptiser, sans en donner la véritable raison. Saint Optât avait, il est vrai, montré que l’effet du sacrement ne vient pas du ministre ou operarius, mais de Dieu lui-même ; toutefois il n’avait point expliqué ce que produit le baptême validement administré par un hérétique ou à un hérétique. Saint

Augustin montre que l’effet produit n’est autre que le caractère du baptême qui, sans doute, ne produit point par lui-même la rémission des péchés, mais qui peut suffire pour la produire, dès lors que l’obstacle à la rémission des péchés est écarté par un vrai repentir. Contra epistolam Parmeniani, l. II, c. xiii, n. 29, P. L., t. xi.iii, col. 71 ; De baptismo contra donatistas, l. V, c. xxiii, n. 33 ; l. I, c.xii, n. 18, col. 193, 119. Cette notion du caractère sacramentel, ainsi mise en évidence par le grand docteur africain du ve siècle, et plus tard complétée par les travaux théologiques des scolastiques du moyen âge, conduisit aux xve et XVIe siècles aux déclarations positives du concile de Florence dans le décret Ad Armenos, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n.695, et à la définition du concile de Trente, sess. VII, can. 9. — e. De même les premières tentatives du schisme grec et sa consommation définitive amenèrent au i.v siècle et aux siècles suivants des définitions plus explicites sur la primauté effective du pontife romain. Nous citerons particuliôrementlesdéclarationsdu pape saint Nicolas I" dans un synode romain en 863, Enchiridion, n. 326, et dans sa lettre à l’empereur Michel en 865, n. 332 ; la lettre du pape saint Léon IX à Michel Cérulaire, n. 351 ; et la définition du concile de Florence, n. 691. Ces définitions furent d’ailleurs complétées par le concile du Vatican, sess. IV, qui détruisit les derniers restes du gallicanisme. — f. Comme dernier exemple, signalons sommairement les nombreuses définitions dogmatiques portées par le concile de Trente, à l’occasion des erreurs protestantes du XVIe siècle, notamment sur l’inspiration des Livres saints, sur le péché originel, sur la grâce sanctifiante, sur les sacrements, particulièrement sur les sacrements de pénitence et de mariage, et sur le sacrifice de la messe : définitions qui, sur beaucoup de points, marquèrent un progrès considérable non seulement dans la formule mais encore dans le concept du dogme catholique, comme on le démontrera aux articles spéciaux.

Notons toutefois que, pour tous les exemples précités, les définitions solennelles portées par l’autorité ecclésiastique ont été le plus souvent précédées, du moins pendant quelque temps, d’un enseignement ordinaire de l'Église proposant ces vérités comme devant être pratiquement crues par tous les fidèles, et qu’ainsi la définition ultérieure n’a bien souvent fait que déclarer d’une manière plus formelle ce que l’on croyait déjà auparavant.

II. Tout en constatant, selon Jes documents historiques, cette inlluence occasionnelle des hérésies, l’on doit remarquer qu’en fait elle ne fut régie par aucune loi uniforme relativement au développement dogmatique qui put en résulter. Ce développement dogmatique dépendit le plus souvent de la nature de l’erreur ou de l’hérésie, des circonstances particulières de son éclosion ou de sa propagation, de la manière dont la controverse fut conduite par les défenseurs de la vérité révélée et du mode d’intervention de l’autorité ecclésiastique ; ce qu’il nous suffira de signaler brièvement d’après les exemples déjà indiqués. — a. Ainsi des hérésies attaquant des dogmes souverainement importants avec lesquels tous les autres ont une intime connexion, comme la trinité, l’incarnation, le péché originel et la grâce, conduisirent à des résultats dogmatiques plus considérables qu’une controverse avec les iconoclastes ou avec les adversaires de l’immédiate possession de la vision béatifique pour l'âme suffisamment justifiée au moment de la séparation du corps. En même temps il est facile de constater que les définitions portées par l'Église sur des vérités très importantes furent, d’une manière très particulière, le point de départ de nouvelles déductions théologiques qui habituellement préparèrent des définitions ultérieures. — b. Le développement dogmatique résultant des con troverses avec les hérétiques dépendit aussi en très grande partie de la manière dont la question fut originairement posée des deux cotés, des arguments employés au cours de la controverse et des réponses ou distinctions présentées par les défenseurs de la foi catholique. Ainsi, au nie siècle, la controverse avec les rebaptisants, restreinte presque uniquement à la question de pratique universelle et constante dans l’Eglise, ne conduisit à aucun développement dogmatique. Au IVe siècle, la défense de la vérité catholique contre les rebaptisants amena saint Optât à affirmer, avec plus de netteté qu’on ne l’avait fait jusque-là, l’action simplement instrumentale du ministre du sacrement ; l’elfet du sacrement provenant non de la sainteté du ministre mais de l’action divine par l’invocation de la sainte Trinité. Deschismate donalistarum, l. V, n. 4, P. L., i. vi, col. 1051 sq. Ce ne fut qu’un peu plus tard que saint Augustin montra dans la doctrine du caractère sacramentel la vraie solution du problème. Il indiqua nettement la différence entre la production du caractère baptismal résultant de toute administration valide du sacrement, même quand il est reçu par les hérétiques, et la production ou réception de la grâce supposant le repentir des péchés et la détestation de l’hérésie. Contra epistolam Parmeniani, l. II, n. 28 sq., P. L., t. xi.iii, ce ! . 70 sq. Cette doctrine du caractère sacramentel ainsi mise en lumière, du moins pour le sacrement de baptême, et complétée plus tard par les théologiens scolastiques du moyen âge, conduisit un peu plus tard aux définitions explicites du concile de Florence, Denzinger, Enchiridion, n. 590, et du concile de Trente. Sess. VII, De sacramentis in génère, can. 9.

Dans d’autres controverses, la question fut dés le début plus nettement po- ; ée, ce qui assura un résultat dogmatique plus prompt et plus complet. Qu’il nous suffise de rappeler les éminents services ainsi rendus à la cause de la foi catholique par saint Athanase et par saint Cyrille d’Alexandrie des le début des hérésies ariennes ou nestoriennes, ou par le pape saint Léon le Grand, condamnant très promptement l’erreur d’Eutychès et formulant d’une manière précise l’enseignement catholique.

c) Enfin l’influence occasionnelle des hérésies sur le développement du dogme dépendit toujours très notablement de la manière dont le magistère ecclésiastique y intervint. Cette intervention, toutes les fois qu’elle se manifesta par une définition positive et finale, détermina exactement la formule et le sens précis du dogme attaqué par l’hérésie. Ce qui fut laissé en dehors de cet enseignement doctrinal imposé à tous les fidèles, put être considéré comme très recommandable à divers titres, mais sans pouvoir jamais être rangé au moins à cette époque parmi les dogmes catholiques. Ainsi dans les expositions dogmatiques faites par saint Athanase sur la personne du Verbe, par saint Cyrille d’Alexandrie sur l’unité de personne et la dualité des natures dans le Verbe incarné, ou par saint Augustin sur la question de la grâce, toutes les assertions doctrinales ne furentpoint approuvées par l’Eglise de manière à être incorporées à ses dogmes. Observons toutefois que des points non définis à l'époque où se clôtura officiellement la controverse avec les hérétiques, furent parfois définis à une époque postérieure, après de nouveaux travaux, théologiques sur les définitions déjà faites, comme nous l’indiquerons bientôt.

En résumé, puisque l’histoire du développement des dogmes provenant occasionnellement des hérésies, n’est soumise à aucune loi précise et uniforme, elle doit être étudiée attentivement pour chaque cas particulier selon les diverses circonstances que nous venons de signaler.

2. Influence occasionnelle de controverses entre théologiens catholiques.

A. Parmi les controverses de ce genre qui de fait conduisirent d’une manière plus ou 161 :

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moins immédiate à quelque développement dogmatique nous citerons particulièrement : a. Les controverses théologiques relatives au nombre des sacrements. Pendant le haut moyen âge les auteurs ecclésiastiques, se plaçant à des points de vue différents, avaient diversement énuinéré les sacrements parmi lesquels ils avaient souvent rangé de simples sacramentaux selon notre terminologie actuelle. Au xie siècle, saint Pierre Damien Y 1072) compte encore douze sacrements, Serni., lxix, P. L., t. cxi. iv, col. 897 sq., et un passage de Fulbert de Chartres († 1029) n’en mentionne que deux, le liaplême et l’eucharistie. Serm., VIII, P. L., t. CXH, col. 334. Au commencement du xii » siècle, Hildebert île Tours (7 1134) compte neuf sacrements et saint Bernard, sans donner une énumération complète, indique le lavement des pieds comme sacrement et laisse entendreque le nombre des sacrements est considérable. Sermo incena Domini, n. Isq., P. L., l. i.xxxiii, col. 271. Pour remédiera cette déplorable confusion, l'école d’Abélard d’abord, puis Pierre Lombard, insistèrent sur la définition du sacrement de la nouvelle loi au strict sens théologique de signe efficace de la grâce. L’application rigoureuse de cette définition fit écarter tous les sacramentaux et conduisit à la liste des sept sacrements telle que nous la possédons actuellement. Cette doctrine dès lors communément admise par les théologiens et solennellement approuvée par le deuxième concile rrcuménique de Lyon en 1274, Dcnzinger, Encliiridion, n. 465, fut de nouveau formulée par le concile de Florence dans le décret aux Arméniens, Enchiridion, n. 695 sq., et expressément définie par le concile de Trente. Sess. VII, De sacramentis in génère, can. 1.

b. Controverse sur la nature du caractère sacramentel. Au xiiie siècle, les théologiens essayèrent de déterminer la nature du caractère sacramentel dont l’existence était affirmée d’une manière bien explicite depuis saint Augustin. Si les opinions furent divergentes relativement à la catégorie d'être où l’on doit placer le caractère et aux relations qu’il donne avec JésusChrist, l’accord unanime se fit sur les poinfs qui devaient être bientôt expliqués ou définis parles conciles de Florence et de Trente : quoddam spiritual/' signum indélébile in anima impressum. Enchiridion, n. 695, 852.

c. Controvorse sur l’intention nécessaire pour l’administration valide des sacrements. Aux XIIe et XIIIe siècles, deux opinions sont en présence : Roland Bandinelli, le futur pape Alexandre III, et Robert Pull († 1221). entre autres, soutiennent que l’administration est toujours valide, dès lors que le ministre accomplit le rite sacramentel se’on les prescriptions de l’Fglise ; tandis que Hugues de Saint-Victor, l’auteur de la Summa sententiarum, Pierre Lombard, saint Thomas et la plupart des théologiens admettent la nécessité de quelque intention positive de faire ce que fait l'Église, parce que, selon la doctrine patristique, le ministre du sacrement agit avec le pouvoir et au nom de Jésus-Christ et de son Fglise ; ce qu’il ne peut vraiment accomplir d’une manière humaine et raisonnable qu’en subordonnant de quelque manière son intention à celle de Jésus-Christ et de son i.glise. Cet accord presque unanime des théologiens à partir du xiir siècle sur la nécessité de quelque intention positive prépara la déclaration formelle du concile de Florence dans le décrel mis Arméniens sur l’intention requise dans le ministre pour la validité du sacrement, Enchiridion, n. 590, et la définition du concile de Trente. Sess. VII, De sacramentis in génère, can. 1. La controverse postérieure au concile de Trente, sur l’opinion de Catharin renouvelant celle de Roland Bandinelli et de Robert Pull, sans conduire â une définition formelle, amena cependant une déclaration assez explicite d’Alexandre VIII condamnant le ? décembre 1690 cette proposition atteignant au moins indirectement l’opinion de Catharin :

Valet baplismuscollatusaministro qui oninemritum externum formamque baptizandi observât, intus vero in corde stto apud se resolvit : nonintendo quod facil Ecclesia. Enchiridion, n. 1185. Voir Alexandre VIII t. 1, col. 761.

d. Controverse relative à la nature du pouvoir d’absoudre les péchés dans le sacrement de pénitence. Quelques théologiens scolastiques du moyen âge, à la suite de Hugues de Saint-Victor et de Pierre Lombard, tout en reconnaissant dans l’Fglise le pouvoir d’absoudre les péchés, contre l’erreur déjà condamnée dans Abélard, faisaient dériver la rémission des péchés de la seule contrition parfaite et restreignaient le pouvoir d’absoudre à un pouvoir simplement déclaratif, auquel se joignait la faculté de remettre la peine temporelle due au péché ou la satisfaction pénitentielle déjà imposée. Voir ABSOLUTION, t. i, col. 172 sq. Leur opinion victorieusement combattue par saint Thomas disparut bientôt de l’arène théologique. La doctrine de saint Thomas sur l’efficacité réelle et entière de l’absolution, appuyée sur la constante tradition patristique et communément admise par les théologiens après le XIIIe siècle, prépara la déclaration du concile de Florence, Enchiridion, n. 699, et la définition formelle du concile de Trente. Sess. XIV, c. VI, can. 9.

e. Controverse sur la suffisance de l’attrition avec ia réception du sacrement de pénitence. Quelques théologiens du moyen âge, parmi lesquels Pierre Lombard et saint Ronaventure, avaient soutenu que seule la contrition peut procurer la rémission des péchés dans le sacrement de pénitence. Contre cette opinion saint Thomas et presque tous les théologiens subséquents enseignaient que l’attrition pouvait suffire avec le sacrement de pénitence, bien qu’il n’y eût point parfait accord dans leurs explications doctrinales. Voir Attrition.

Jusqu’au xvr siècle, aucune question n’avait été posée relativement au motif sur lequel doit s’appuyer cette attrition. A cette époque la question posée par Victoria, Dominique Soto et Melehior Cano, de la valeur de l’attrition dictée par la crainte des peines de l’enfer et considérée ou non en toute bonne foi comme contrition suffisante, souleva une controverse entre contritionistes et attritionistes, les attritionistes adoptant eux-mêmes diverses explications. Cette controverse eut pour résultat la définition du concile de Trente, sess. XIV, c. v, de laquelle se déduit rigoureusement la suffisance de l’attrition surnaturelle, pourvu qu’elle exclue la volonté de pécher et qu’elle soit accompagnée de l’espérance du pardon. Aussi après le concile de Trente, la controverse, encore subsistante parmi les théologiens, ne porte plus sur la suffisance de cette attrition, mais seulement sur les qualités qu’elle doit posséder, particulièrement sur la mesure d’amour dont elle doit être accompagnée ou qu’elle doit nécessairement renfermer.

f. Controverse sur Vimmaculée conception de la 1res sainte Vierge. Rien que la doctrine de l’immaculée conception eût un solide fondement dans la tradition patristique, elle fut niée par un assez grand nombre de théologiens scolastiques à partir du xiie siècle, soit à cause de leur opinion sur la transmission du péché originel par la concupiscence charnelle, soit parce que l'Église n’avait pas encore approuvé la fête de la conception. Leur opinion fut combattue par Duns Scot à la fin du xiii'e siècle. Fn se prononçant nettement pour la possibilité, la convenance et le fait de l’immaculée conception de Marie dès le premier instant de sa conception, il inaugura un grand courant théologique qui alla toujours en se fortifiant, grâce surtout aux encouragements successifs donnés par le saint-siège. L’accord presque unanime des théologiens, surtout à partir des constitutions apostoliques de Sixte IV un peu avant la fin du w siècle, prépara la déclaration du concile de Trente affirmant sa volonté de ne point comprendre

Marie dans l’assertion dogmatique sur l’universalité du péché originel, sess. V, Deere tum de peccato originali, et conduisit finalement à la définition formelle prononcée par Pie IX le 8 décembre 1854.

B. Encore ici nous constatons, d’après les documents, que l’influence réellement exercée sur le développement dogmatique, ne fut régie par aucune loi uniforme. — a. C’est un fait bien avéré que plusieurs discussions théologiques où l’enseignement de la foi n'était point immédiatement intéressé et dans lesquelles d’ailleurs on ne put démontrer aucune vérité révélée portant certainement sur la matière en litige, n’eurent point de résultat dogmatique direct. Telles furent particulièrement la plupart des controverses entre thomistes et scotistes, celle des thomistes avec les molinistes et les discussions de potentiel Dei absoluta sur beaucoup de questions spéculatives. Il ne serait cependant point juste d’affirmer qu’aucun avantage théologique ne résulta de ces controverses ou discussions. Elles eurent souvent pour effet de rendre plus circonspect dans l’usage des formules dogmatiques ou dans l’explication de l’opinion à laquelle on donnait la préférence. Elles aidèrent souvent aussi à fournir des hypothèses aptes à expliquer ou à justifier le dogme, sinon pour toutes les intelligences, du inoins pour celles qui étaient disposées à les accepter. Car, dès lors que les hypothèses réalisant les conditions nécessaires peuvent être utiles dans toutes les sciences, on ne peut refuser ce même avantage aux opinions ou hypothèses proposées en théologie, pourvu qu’elles se tiennent dans les limites permises.

b. Pour les controverses qui ont abouti à quelque résultat dogmatique, l’histoire montre que ce qui contribua le plus à cet heureux résultat, fut une exacte position de la question au début ou au cours de la discussion. Ainsi dans la discussion théologique sur l’immaculée conception, tant que la question roula simplement sur le fait de la transmission du péché originel dans toute conception où la concupiscence charnelle se rencontre, l’on ne put trouver de solution favorable au privilège et l’on soutint uniquement la sanctification de Marie avant sa naissance ; conclusion adoptée même par saint Thomas et saint Bonaventure. La question différemment posée par Duns Scot, qui donnait une autre explication de la transmission du péché originel et montrait comment l’immaculée conception de Marie pouvait se concilier avec le fait de sa rédemption et son titre de fille d’Adam, conduisit aussitôt à cette conclusion que le privilège était possible et souverainement convenable, et que dès lors on devait l’affirmer. Conclusion désormais soutenue par beaucoup de théologiens de toutes les écoles.

c. L’attitude du magistère ecclésiastique eut toujours aussi une profonde répercussion sur les controverses théologiques. Ainsi dans la controverse sur l’immaculée conception, la non célébration de cette fête dans l'Église romaine à l'époque de saint Thomas est considérée, à tort sans doute, par le grand docteur comme défavorable au privilège. Quodlibet., VI, q. v, a. 7. Un peu plus tard, au contraire, l’intervention du saintsiège approuvant cette fête et déclarant qu’elle avait pour but d’honorer la conception immaculée a primo instanti, amena promptement le consentement à peu près unanime des théologiens sur ce glorieux privilège, consentement encore confirmé par la déclaration subséquente du concile de Trente. De même, la recommandation faite par le concile de Vienne en 13Il de choisir tanquam probabiliorem et dictis sanctorum et doctorum modemorum théologies magis eonsonam l’opinion théologique affirmant que l'âme des enfants, non moins que celle des adultes, est, dans le sacrement de baptême, informée par la grâce et par les vertus infuses, Denzinger, Enchiridion, n. 411, fit bientôt

accepter cette doctrine par presque tous les théologiens.

d. Quant à la décision finale du magistère ecclésiastique statuant avec une souveraine autorité sur quelque controverse Ihéologique, ce qui la détermina habituellement, ce fut : a) l'éclosion de quelque nouvelle erreur qui, intervenant à une période quelconque de la discussion ou même après qu’elle se fût assoupie, obligea le magistère ecclésiastique à se prononcer sur la question en litige et à définir ce que tout catholique doit croire ou nécessairement admettre sur ce point. C’est ce qui motiva particulièrement les définitions formelles portées par le concile de Trente sur le nombre des sacrements, sur leur efficacité, sur leur institution divine et sur le caractère sacramentel, à l’enconlre de toutes les négations du protestantisme. C’est encore ce qui advint pour les définitions du concile du Vatican sur l’inspiration, sur la foi, sur les relations entre la raison et la foi, sur l'Église, sur la primauté effective du pape et sur son magistère infaillible, et pour les définitions de Pie IX et de Léon X11I sur le mariage chrétien. Toutes ces définitions, en même temps qu’elles affirmaient une vérité dogmatique contre une erreur nouvelle ou nouvellement agissante, arrêtaient définitivement les controverses théologiques antérieurement existantes. — (3) La décision fut parfois aussi déterminée par la nécessité de donner aux fidèles une instruction pratique qui pût les diriger effectivement dans l’observance de leurs devoirs chrétiens. C’est pour cette raison que le décret Ad (Lrmenos, approuvé par le concile de Florence pour l’instruction complémentaire de fidèles désireux de vivre dans la pleine union avec l'Église romaine, lit plusieurs déclarations positives sur des points autrefois discutés par des scolastiques duxii c et du XIIIe siècle ; déclarations complétées un peu plus tard par les définitions formelles du concile de Trente. — y) Quelquefois la définition du magistère ecclésiastique est motivée simplement par l’absolue conviction que telle vérité désormais pleinement élucidée appartient certainement à la révélation divine, cl qu’il est souverainement sage et opportun de la proposer comme telle à l’acceptation st à la croyance des fidèles. C’est ce qui advint particulièrement pour le dogme de l’immaculée conception quand, après les déclarations successives de l’Eglise et l’accord unanime des théologiens pendant plusieurs siècles, le fait de la révélation divine fut pleinement manifeste.

En résumé, puisque l’inlluence des discussions théologiques sur le développement dogmatique n’est régie par aucune loi bien déterminée, elle doit être étudiée par l’historien des dogmes dans chaque cas particulier cl avec toutes ses circonstances concrètes. Toutefois il y a lieu de tenir exactement compte des observations précédentes. Sans être des lois historiques, elles se dégagent suffisamment de l’ensemble des faits et aident à mieux les comprendre.

3. Influence occasionnelle d’une étude approfondie du dogme révélé, en dehors de toute impulsion initiale donnée par quelque hérésie ou par des discussions entre théologiens catholiques. Deux exemples principaux peuvent être signalés : A. Le remarquable exemple de saint Vincent de Lérins, formulant le premier le concept explicite d’un réel progrès dogmatique, qui jusque-là n’avait guère apparu qu’implicitement contenu dans des formules assez générales. Cette exposition si nette du moine de Lérins, selon toute probabilité, ne fut occasionnée par aucune erreur ni par aucune controverse contemporaine. Elle résulta simplement d’une profonde considération du rôle que doit incessamment accomplir jusqu'à la fin des siècles le magistère infaillible de l'Église, avec une constante et inépuisable vitalité, en face de nouveaux et multiples besoins sans cesse renaissants. Il est toutefois bien -1619

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remarquable que ce concept du progrès dogmatique, si explicite chez, cet écrivain du Ve siècle, ait eu si peu d’influence sur les auteurs des siècles suivants, jusqu’au xixe siècle où l’attention universelle fut attirée sur le grave problème de la conciliation entre la nécessaire immutabilité des dogmes et les incontestables développements manifestés surtout par les travaux récents de la critique historique. Mais quelles qu’aient rie les causes de ce manque d’inlluence, saint Vincent de Lérins n’en eut pas moins un très grand mérite d’avoir si nettement formulé, à une époque aussi reculée, un enseignement que le concile du Vatican devait, dans des termes assez analogues, définir quatorze siècles plus tard.

B. Un exemple non moins remarquable, niais qui eut une inlluence plus heureuse presque dès les débuts, fut celui de saint Anselme arrivant, par le labeur personnel d’une étude très approfondie, à donner le premier, au XIe siècle, une formule très explicite et assurément très neuve du dogme de la rédemption satisfactoire accomplie par Jésus-Christ..1. Rivière, Le dogme de la rédemption, l’aris, 1905, p. 498 sq. A l’ancienne exposition dogmatique, insistant d’une manière générale sur la délivrance intégrale accomplie par l’incarnation et par la mort du Fils de Dieu, le grand initiateur de la scolastique au xi° siècle substitua une proposition très nette de l’expiation satisfactoire accomplie en toute justice par le Verbe incarné ; expiation qui ne pouvait être ainsi offerte que par une personne divine unie à la nature humaine, puisqu’une satisfaction d’une valeur infinie était rigoureusement nécessaire. Ce concept explicite de la rédemption satisfactoire, réellement contenu dans la tradition patristique dont il n'était que le développement légitime, fut peu après, grâce surtout aux erreurs d’Abélard, perfectionné par le génie tbéologiquede saint Thomas ; mais le rôle considérable de saint Anselme, en dehors de toute influence occasionnelle d’hérésie ou d’erreur, n’en est pas moins remarquable. En résumé, ici encore se manifeste la conclusion déjà mentionnée que le développement dogmatique au cours des siècles n’est régi par aucune stricte loi, ni dans les causes ou occasions qui lui donnèrent naissance, ni dans la marche progressive ainsi occasionnée.

Fadeurs immédiats de ce progrès.

Les constatations historiques, que nous venons de rappeler, nous autorisent à déduire en toute sécurité les conclusions suivantes : 1. Il est historiquement prouvé que les définitions nouvelles, portées par l'Église, sont habituellement préparées par le travail des Pères et des théologiens, accompli sous la direction et avec les encouragements ou l’approbation de l'Église. A. On doit bien observer que ce travail ne peut être qu’un facteur préparatoire, puisque l'Église, seule chargée par Jésus-Christ de garder intégralement et d’interpréter infailliblement le dépôt de la révélation chrétienne, a le pouvoir exclusif de proposer les dogmes chrétiens et d’en indiquer, avec une pleine autorité, le véritable sens. Le travail des Pères et des théologiens est donc simplement de mettre en évidence le fait de la révélation divine, tel qu’il est manifesté par les organes de cette révélation, l'Écriture divinement inspirée et la tradition catholique constamment maintenue el infailliblement interprétée par le magistère de l'Église. Cette mise en évidence s’accomplit principalement par l’explication des textes et des témoignages, par la solution des objections adverses et par l’interprétation des définitions ou décisions de l’Eglise. Après ce travail intégralement accompli, quand le fait de la révélation de telle vérité apparat) indubitable au théologien ou à celui qui étudie son travail, il y a dès lors obligation certaine d’adhérer à la vérité ainsi manifestée, bien qu’il soit difficile de posséder réellement

cette certitude en dehors de toute proposition faite par le magistère ecclésiastique.

Il est donc très certain que le travail des théologiens ne peut que manifester une vérité primitivement enseignée par Jésus-Christ et confiée par lui à ses apôtres et à ses successeurs jusqu'à la fin des temps. Il est non moins certain que la conscience individuelle ou collective des fidèles des premiers siècles ou des siècles suivants, n’a jamais pu et ne peut jamais être, en dehors de l’autorité de l'Église qui l’approuve, le point de départ initial ni le facteur constitutif d’aucun dogme. L’enseignement contraire a été formellement réprouvé par le décret Lamentabili et par l’encyclique Pascendi. C’est ce qui résulte de la condamnation des propositions suivantes dans ce décret : 31. Doclrina de Christo quant tradunt Paidus, Joannes et concilia Nicsenum, Ephesinum, Chalcedonense, non est ea quam Jésus docuit, sed quam de Jesu concepit conscientia christiana. — 36. Resurrectio Salvaloris non est proprie factum ordinis historici, sed factum ordinis mère supernaturalis, nec denionslralum nec demonstrabile, quod conscientia christiana sensim ex aliis dérivant. — 40. Sacramenta ortum liabuerunt ex eo quod apostoli eorumque successorcs ideam alignante ! intentionem Christi, svadenlibus et movenlibus circumslanliis et eventibus, interprétait sunt. — 54. Dogmala, sacramenta, liierarc/iia, tum quod ad nolionem, tutti ifinnl ad realilatem attinel, non sunt nisi intelligent uv christianm inlerpretaliones evolulionesque quæ e.nguum germen in Evangelio latens externis incrementis auxerunt perfeceruntque. — La condamnation portée par l’encyclique Pascendi dans le paragraphe concernant le moderniste théologien n’est pas moins formelle. Après avoir longuement exposé le système moderniste sur l'évolution des dogmes opérée par le travail de la conscience individuelle ou collective, Pie X rappelle solennellement que celle doctrine, suivant laquelle il n’y a rien de stable, rien d’immuable dans l’Eglise, a déjà été condamnée précédemment par Pie IX dans l’encyclique Qui pluribus du 9 novembre 1 8 46 et dans la proposition 5' du Syllabus, et par le concile du Vatican. Sess. III, c. iv.

B. En étudiant ce travail préparatoire des Pères et des théologiens, l’on doit se garder d’attacher une trop grande importance aux diversités accidentelles d’exposition ou de forme qui peuvent s’y rencontrer. a. Ces divergences accidentelles dans l’exposition des dogmes peuvent provenir des différences du génie personnel ou de l'éducation antérieure ou des habitudes intellectuelles précédemment acquises. Ainsi l’exposition que Tertullien nous donne de l’argument de prescription, se ressent de sa forte éducation juridique. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, p. 261. De môme, l’esprit synthétique de Clément d’Alexandrie devait naturellement le porter à imiter les habitudes des Juifs alexandrins et des philosophes grecs dans l’usage fréquent de l’allégorie. Voir t. iii, col. 140. Chez Augustin, l’amour profond avec lequel il se porte vers la vérité pour la saisir tout entière et la communiquer pleinement aux autres, fait qu’il envisage les dogmes moins en eux-mêmes et d’une façon spéculative, que dans leurs rapports avec l'àme et avec les grands devoirs de la vie chrétienne, comme le montre la manière habituelle dont le saint docteur expose les questions théologiques. Voir t. i, col. 2453 sq. On doit aussi observer que cette même passion pour la vérité, si caractéristique chez Augustin, le conduit parfois à des exagérations et à des erreurs, en fixant trop son attention sur un seul côté d’une question complexe. Chez saint Thomas et chez la plupart des scolastiques, si l’on ne trouve pas la même vie et le même élan, l’on rencontre, avec une critique plus rigoureuse, plus de justesse et de précision dans les termes.

b. Ces divergences accidentelles dans l’exposition des dogmes proviennent aussi des milieux bien différents où les auteurs ont vécu. Ainsi dans la période patristique, l’on observe une différence caractéristique entre l’esprit romain ou africain d’un Ambroise ou d’un Cyprien porté surtout vers les questions pratiques et le génie grec d’un Origéne ou d’un Grégoire de Nysse s’arrêtant de préférence aux questions spéculatives. L’excellent ouvrage du P. de Régnon, Études de théologie positive sur la sainte Trinité, Paris, 1892, peut donner une juste idée des spéculations du génie grec dans la plus belle période de sa métaphysique théologique.

c. Ces divergences accidentelles dans l’exposition des dogmes résultent encore de l’inlluence de systèmes philosophiques, auxquels on emprunte des expressions ou des formules, pour exprimer des idées chrétiennes plutôt que pour représenter les concepts particuliers d’une école. C’est ce que l’on peut observer spécialement chez Clément d’Alexandrie et chez Origéne qui, en réalité, ne se rattachent à aucune école philosophique déterminée. Quant aux opinions platoniciennes de quelques Pères, notamment de saint Augustin, elles ne peuvent être considérées comme ayant eu une inlluence appréciable sur leurs idées théologiques. Ainsi saint Augustin, franchement néoplatonicien tantque sa philosophie concorde avec ses doctrines religieuses, n’hésite point, dans le cas contraire, à subordonner sa philosophie à sa foi. Quand il adapte quelques théories néoplatoniciennes à ses explications dogmatiques, en réalité il n’emprunte à cette philosophie que l’expression représentant avant tout, pour lui, la pensée chrétienne. D’ailleurs, ces doctrines empruntées à la philosophie néoplatonicienne, appartiennent en grand nombre à la véritable et saine philosophie de tous les temps. Voir t. i, col. 2325 sq. Les mêmes remarques doivent être proportionnellement appliquées à l’usage que les scolastiques ont fait de l’arislotélisme dans l’explication des dogmes. Voir Aristotélishe de la SCOLASTIQUE, t. i, col. 1875 sq.

d. Quelque notables que puissent paraître ces divergences accidentelles dans l’exposition ou l’explication des dogmes, on doit, au point de vue strictement dogmatique, y attacher très peu d’importance. Ce que l’on doit surtout rechercher et observer, c’est la pensée dont ces expressions ne sont que le vêtement extérieur, c’est le concept dogmatique qui est pour tous ces auteurs la première préoccupation. Et si l’on constate, comme cela se rencontre de fait le plus souvent, que, malgré tant de causes apparentes de doctrines divergentes, il y a vraiment identité substantielle, on devra conclure qu’un tel accord doctrinal, indépendamment de toute autre considération, crée par luimême une forte présomption en faveur des vérités sur lesquelles il se maintient avec une telle constance.

2. L’histoire atteste en même temps que le principal fadeur constitutif de ce progrès dogmatique fut toujours l’action du magistère infaillible de l'Église ; facteur constitutif non en ce sens qu’il crée le dogme, puisque celui-ci ne peut provenir que de la révélation divine explicite ou au inoins implicite ; mais en ce sens que l’Eglise détermine, avec une souveraine autorité, ce qui, dans le travail antérieur des Pères ou des théologiens, occasionné par quelque controverse avec les hérétiques ou entre théologiens catholiques, présente vraiment, dans toute sa pureté et dans toute son intégrité, le dogme révélé. Ce que le magistère ecclésiastique ne propose point comme tel, n’a point droit à être rangé parmi les dogmes catholiques, bien qu’il puisse appartenir indirectement au dépôt de la foi, quand l'Église aflirme son intime connexion avec l’enseignement divin. Il est vrai que ce que l'Église ne définit d’aucune manière, peut parfois apparaître au

jugement privé des théologiens comme certainement révélé ; et que, dans cette hypothèse, d’ailleurs difficilement réalisable, ces théologiens doivent y donner l’adhésion de la foi, mais cette vérité n’est point un dogme, parce que la proposition de l’Eglise fait défaut. En fait, ce qui n’est aucunement défini par l'Église ou qui n’est point ratifié par un consentement unanime des théologiens supposant une approbation tacite de l’autorité ecclésiastique, rentre habituellement dans le cadre des opinions librement discutées, du moins jusqu'à ce que sa connexion avec une vérité révélée ou même son appartenance implicite à la révélation divine, soit devenue manifeste au jugement des théologiens et surtout au jugement de l'Église.

A l’appui de ces conclusions historiques, il nous suffira de rappeler quelques-uns des faits précédemment cités : la définition de la consubstantialité du Verbe au premier concile de Nicée, sans que l’on eût' nécessairement approuvé toutes les positions prises par saint Atlianase et par les autres défenseurs de la foi catholique au cours de la discussion avec Arius ; la définition de la maternité divine de Marie et de l’unité de personne dans la dualité des natures en Jésus-Christ, aux conciles de Chalcédoine et d’Ephèse, sans que l’on eût, même implicite ment, approuvé ton tes les expressions ou affirmations de saint Cyrille d’Alexandrie, le principal champion de l’orthodoxie catholique ; les définitions ecclésiastiques portées contre Pelage et ses disciples et contre les semipélagiens aux ive et ve siècles, sans que l’on eût, par le fait même, approuvé toutes les assertions ou opinions de saint Augustin, le grand docteur de la grâce.

Nous sommes donc autorisés à conclure que le magistère infaillible de l'Église, statuant avec une souveraine autorité sur le travail préparatoire des théologiens, est le principal facteur constitutif du progrès dogmatique.

3. Enfin l’histoire témoigne que les définitions du magistère ecclésiastique ont, à leur tour, souvent occasionné un nouveau développement dogmatique, en fournissant aux recherches et aux discussions théologiques une base plus solide, en limitant le champ des controverses et en resserrant l’union des catholiques. Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. ii, p. 30b' sq. Ce développement dogmatique, d’abord effectué dans les écrits des théologiens, a parfois conduit, avec l’approbation de l'Église, à un progrès dans les définitions explicites du magistère ecclésiastique. Ainsi les déclarations du concile de Florence dans le décret Ad Armenos sur les sacrements fortifièrent le consentement des théologiens et préparèrent les définitions positives du concile de Trente. Nous rappellerons aussi particulièrement l’heureuse inlluence de beaucoup de décisions dogmatiques des conciles de Trente et du Vatican, écartant des opinions reconnues peu conformes à l’enseignement ecclésiastique, et réalisant même parfois, parmi les théologiens, un accord doctrinal bien apte à préparer des définitions subséquentes. Ainsi l’affirmation du concile de Trente déclarant qu’il n’avait aucune intention de comprendre, dans le décret sur le péché originel, la bienheureuse Vierge immaculée, mère de Dieu, et insistant sur la fidèle observance des constitutions apostoliques de Sixte IV sur cette matière, écarta les dernières oppositions et conduisit au consentement unanime qui prépara la définition portée par Pie IX. De même l’enseignement du concile de Trente sur l’inspiration des Ecritures, à propos de leur canon intégral défini dans la IVe session, statuant simplement que Dieu est l’auteur des écrits justement considérés comme saints et canoniques, fixa le consentement des théologiens du moins sur la substance de la notion de l’inspiration ; ce qui prépara la définition plus complète donnée par le concile du Vatican.

-Même quand le progrès théologique, réalisé à la suite des définitions ecclésiastiques, ne s'étendit point jusquelà, il fut néanmoins appréciable ; c’est ce que l’on peut facilement constater pour les controverses théologiques post-tridentines sur l’efficacité des sacrements, sur leur institution divine immédiate et sur l’intention requise dans le ministre du sacrement. Pourrat, La lliéologie sacramentaire, p. 166 sq., 356 sq.

Donc, en résumé, c’est uniquement l’approbation du magistère ecclésiastique qui réalise effectivement, suivant l’ordre établi par Jésus-Christ, le progrès dogmatique préparé par le travail des Pères et des théologiens sous la direction de l'Église.

/II. LOIS SELON LESQUELLES SE SONT ACCOMPLIS LES DÉVELOPPEMENTS DOGMATIQUES. — 1° Dans le domaine historique où les volontés humaines s’exercent librement au milieu de circonstances très diverses, bien aptes à influencer le cours des événements, il ne peut être question de lois proprement dites dirigeant, d’une manière antécédente et constamment uniforme, une succession de faits. Il s’agit uniquement d’une certaine analogie dans les résultats, pour un ensemble de circonstances au moins très semblables, où les mêmes causes, quand rien d’extraordinaire ne modifie leur jeu normal, produisent habituellement les mêmes effets. Au lieu de lois antécédentes au cours des événements, il y a seulement des déductions postérieurement faites par l’historien, qui étudie attentivement les faits déjà accomplis et qui groupe dans une synthèse régressive les résultats ayant entre eux et dans leurs causes une similitude marquée. Dans la mesure où ces déductions s’appliquent ainsi à un groupement de faits analogues, on peut, dans un sens très large, les désigner sous le nom de lois historiques, lois sans doute assez imprécises, mais dignes cependant de l’attention de l’historien, parce qu’elles sont le principal fruit pratique de la science historique, et ce qui lui assure, en majeure partie, le titre de science.

2° Les lois historiques des développements dogmatiques, au sens que nous venons de définir, concernent : 1. les diverses occasions ou causes de ces mêmes développements, telles que nous les avons précédemment exposées, c’est-à-dire les controverses dirigées contre les hérésies nouvelles et se différenciant les unes des autres par beaucoup de circonstances souvent très notables ; les discussions entre théologiens catholiques suides points encore non définis ; parfois une étude théologique plus approfondie, faite sans le stimulant d’aucune controverse avec les ennemis du dehors ni d’aucune discussion entre catholiques ; enfin la définition du magistère ecclésiastique proposant, avec son autorité infaillible, comme certainement contenue dans la révélation faite par Jésus-Christ, une vérité finalement mise en lumière par le travail préparatoire des Pères ou des théologiens.

Les remarques faites précédemment sur chacune de ces occasions ou causes du progrès dogmatique, permettant de conclure facilement en quel sens restreint elles sont régies par certaines lois, nous ne nous y arrêterons point davantage.

2. On doit aussi admettre, au moins dans un sens large, des lois concernant la nature intime des développements dogmatiques réellement accomplis au cours des siècles, lois logiquement déduites du plan divin tel qu’il se manifeste dans le fait de la révélation chrétienne et dans l’institution du magistère infaillible de l'Église. Nous exposerons bientôt ces lois comme couronnement de tout cet article, sous le litre de conclusions dogmatiques sur la nature du progrès dans la connaissance et dans la proposition des dogmes. Il nous suffit de les indiquer ici pour donner une idée d’ensemble de ce que l’on est convenu d’appeler les lois du progrès dogmatique ou des développements dogmatiques.

IV. INDICATIONS HISTORIQUES SUR LE CONCEPT THÉOLOGIQUE DU PROGRÈS DOGMATIQUE AUX DIVERSES PÉRIODES DE L’HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE. — l n période, des temps apostoliques jusqu’au XIIP siècle, caractérisée chez la plupart des Pères ou des auteurs ecclésiastiques par un concept simplement implicite du progrès dogmatique, et, seulement chez quelques rares auteurs, par un concept assez explicite. — 1. Le concept implicite, tel qu’il se rencontre le plus souvent à cette époque, résulte de deux assertions assez fréquentes et assez nettement formulées. La première assertion est que la révélation chrétienne confiée par JésusChrist à son Église doit être conservée intégralement jusqu'à la fin des temps, de telle sorte que toute doctrine nouvelle, par le fait qu’elle est nouvelle et qu’elle n’a aucun appui dans la tradition, est pour cela convaincue d’erreur. C’est en réalité toute la substance de l’argument de tradition que nous avons signalé précédemment et qui se rencontre si fréquemment chez les Pères des premiers siècles après saint Irénée, Tertullien et Origène. La deuxième assertion a Irait à la divine mission de l'Église d’enseigner aux fidèles de tous les temps la doctrine de Jésus-Christ et à la stricte obligation qui incombe à tous de se soumettre pleinement à l’autorité doctrinale de l'Église ; assertion d’ailleurs nettement confirmée par la pratique constante d’exclure de l'Église quiconque refuse d’adhérer à l’enseignement qu’elle donne comme révélé par Jésus-Christ. Or de ces deux assertions il résulte évidemment que l'Église doit, aillant que l’exige la réfutation de nouvelles erreurs, proposer des définitions nouvelles éclairant, expliquant ou défendant, dans la mesure nécessaire, l’enseignement révélé par Jésus-Christ ; et il est non moins requis que ces définitions nouvelles soient toujours appuyées sur la doctrine antérieurement crue et sur l’enseignement primitivement confié' par Jésus-Christ à la garde vigilante de son Église. Cette conclusion, que nous nous bornons à mettre ici en relief, était véritablement présente à la pensée des Pères du iv et du Ve siècle, comme le démontrent leurs fréquents appels à l’enseignement et à la pratique des premiers siècles, en même temps qu’ils donnent eux-mêmes une plus complète explication de la doctrine nouvellement attaquée. C’est ce que l’on peut particulièrement observer dans saint Alhanase, De decretis nicœnse synodi, n. 25 sq., P. G., t. xxv, col. 460 sq., et dans saint Hilaire, De Trinitate, l. II, n. 1 sq., P. L., t. x, col. 50 sq., relativement à la consubstantialité du Verbe divin, dans saint Augustin pour le dogme de la nécessité et de la gratuité de la grâce. De prxdestinatione sanctorum, n. 27, P. L., t. xi. iv, col. 980 ; De dono perseverantive, c. xx, n. 53, P. L., t. xi.i, col. 1026 ; De civitale Dei, l. XVI, c. n. n. 1, P. L., t. xi.i, col. 477.

2. Chez quelques Pères cependant le concept du progrès dogmatique se rencontre d’une manière explicite. Omettant le témoignage d’Origène qui ne paraît point assez formel, De princip., præf., n. 2 sq., P. ('<., t. xi, col. 116 sq., nous mentionnerons en premier lieu saint Grégoire de Nazianze. Oyat, theol., v, c. xxvisq., P. G., t. xxxvi, col. 161 sq. Après avoir observé que l’Ancien Testament prêche clairement le Père et indique obscurément le Fils, l'évéque de Nazianze reconnaît que le Nouveau Testament a clairement manifesté le Fils et seulement indiqué, -j^eSeïÇe, la divinité du Saint-Esprit, qui, à l'époque où l’orateur parlait, était très ouvertement enseignée. Car, ajoute-t-il, de même que, sous l’ancienne alliance, il n’eût point été prudent de prêcher ou vertement le Fils quand la divinité du Père n'était point encore reconnue, de même dans l'économie chrétienne, tant que la divinité du Fils n'était point pleinement admise, il convenait de ne point ajouter la doctrine du Saint-Esprit qui eût pu être alors, pour des intelligences encore faibles, une nourriture trop forte. Il convenait

que par des manifestations progressives la lumière de la Trinité brillât d’un éclat plus resplendissant. C’est pour cette raison que Jésus suit une marche progressive dans son divin enseignement ; c’est pour cela aussi que certaines vérités, que les apôtres ne pouvaient encore porter, leur furent manifestées postérieurement par le Saint-Esprit. Parmi ces vérités pleinement manifestées seulement à une époque relativement tardive, Grégoire signale la divinité du Saint-Esprit, col. 161 sq. Saint Vincent de Lérins (y 450) est encore plus explicite. Après avoir reproduit l’enseignement de saint Irénée, de Tertullien et d’Origène sur l’apostolicité et l’immutabilité des dogmes chrétiens, il se demande si une telle immutabilité ne s’oppose pas absolumentà tout progrès dogmatique. Il répond négativement, mais il exige que ce progrès ne soit pas un changement. Ce doit être un accroissement de chacun et de lous dans toute l'Église ; accroissement dans l’intelligence, dans la science et dans la sagesse et aussi dans la permanence du même dogme : Crescat igitur oportet et multuni veliementerque proficiat tam singulorum quant omnium, tam unius hominisquam totiusEcclesisc, œlatum ac sœculorum gradibus, intelligentia, scienlia, sapientia, sed in suo dnnta.cat génère, in eodeni scilicet dogntate, eodern settsu, eademque sententia. Commonitorium primum, c. xxiii, P. L., t. L, col. 668. Pour faire comprendre l’intime union de cette immutabilité et de ce progrès, le moine de Lérins se sert de deux comparaisons empruntées au développement du corps humain et à la germination de la plante. C’est vraiment le même corps humain qui persévère depuis l’enfance jusqu'à la vieillesse en passant par l’adolescence et l'âge mûr, bien qu’il y ait une notable différence dans sa forme et dans sa stature. Il y a identité non moins réelle entre la semence jetée dans le sol par l’agriculteur et la plante qu’il récolte, puisque le développement s’accomplit toujours selon la nature de chaque semence, bien qu’il y ait accroissement en tout ce qui constitue la nature et la forme particulière de la plante. De même, les dogmes, en se consolidant avec les années, en s’ampliliant avec le temps et en grandissant avec l'âge, gardent leur parfaite intégrité. Ils ne subissent aucun changement, ne perdent rien de ce qui leur est propre et ne sont l’objet d’aucune variation dans leur définition. Ils sont avec le temps soigneusement travaillés, limés, polis, mais non changés ni mutilés. Ils gagnent en évidence, lumière et distinction, mais ils gardent, en tout ce qui leur est propre, leur parfaite intégrité, col. 668 sq. Le rôle de l’Eglise dans la conservation et l’enseignement des dogmes révélés est aussi indiqué très nettement. L'Église, vigilante et prudente gardienne des dogmes qui lui ont été conliés, n’y change jamais rien, n’y diminue ou n’y ajoute rien, n’en retranche point le nécessaire ni n’ajoute de superlluités ; elle ne perd rien du sien, ni n’empiète sur ce qui estd’autrui, mais elle s’attache, par tout moyen, à polir avec soin ce qui a déjà été anciennement ébauché, à consolider et à affermir ce qui a déjà été exprimé et expliqué, à garder ce qui a été confirmé et défini. Enfin que s’est-elle jamais efforcée de procurer par les décrets de ces conciles, sinon de faire croire avec plus de soin ce qui auparavant était simplement cru, de faire prêcher avec plus d’instance ce qui auparavant était annoncé avec moins d’activité, de faire cultiver avec plus de sollicitude ce qui auparavant était pratiqué avec moins d’attention ? C’est tout ce que l’Eglise catholique, excitée par les nouveautés des hérétiques, a jamais accompli par les décrets de ses conciles, si ce n’est qu’elle prit soin de consigner par écrit l’antique tradition en renfermant beaucoup de doctrine dans de courtes formules et en marquant d’une appellation nouvelle et bien choisie un sens non nouveau dans les vérités de foi, col. 669.

Toute cette citation de Vincent de Lérins nous fait comprendre quel sens il attache lui-même aux deux comparaisons précédemment citées. Étendre ce sens au delà des limites positivement tracées par l’auteur lui-même et se réclamer cependant de son patronage, comme l’ont fait quelques auteurs récents, n’est point œuvre de bonne critique.

Malgré ce témoignage si formel du moine de Lérins, c’est le concept principalement implicite de saint Augustin qui, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, se maintint chez les auteurs ecclésiastiques de toute cette période. Outre le prestige dont jouissaient alors toutes les doctrines soutenues par l'évêque d’Hippone, on doit ajouter le fait bien notable qu’aucune controverse n’attira sur ce point l’attention des théologiens.

2e période, depuis le xiie jusqu’au XVP siècle, caractérisée surtout par l’indication formelle d’un progrès dogmatique dans renonciation ou l’explication des dogmes chrétiens et par l’indication au moins implicite d’un progrès réel dans les concepts eux-mêmes. — 1. L’indication formelle d’un progrès dogmatique dans renonciation ou dans l’explication des dogmes chrétiens est nettement formulée au xiii p siècle par saint Thomas, en réponse aux objections des schismaliques grecs contre les définitions nouvellement portées par l’Eglise romaine. Après avoir enseigné qu’il appartient au pape de formuler les symboles de foi, le saint docteur se fait cette difficulté qu’un tel pouvoir ne peut exister sous le Nouveau Testament, parce que tout l’enseignement révélé y est définitivement fixé par la doctrine de Jésus et des apôtres. Il est vrai, répondil, que les vérités de foi sont suffisamment explicites dans la doctrine de Jésus-Christ et des apôtres ; mais parce que des hommes pervers corrompent cette doctrine pour leur propre perdition, ideo necessaria fuit temporibus procedentibus explicatio fidei contra insurgeâtes errores. Sum. theol., IL IL 1 ', q. i, a. 10, ad l, jm. Le saint docteur donne le même enseignement, H" II », q. i, a. 9, ad L 2 1 "", et I », q. xxix, a. 3. Ce qui est vrai, non seulement pour le passé, mais encore pour l’avenir, car le souverain pontife a ce pouvoir jusqu'à la consommation des siècles, et la même raison de défense et de préservation s’applique à toutes les époques où surgissent de nouvelles erreurs, a. 10.

En même temps, saint Thomas laisse assez clairement entendre qu’il y a aussi quelque progrès dans les concepts dogmatiques eux-mêmes. Nous citerons comme exemples ces deux assertions de l’angélique docteur que la procession du Saint-Esprit ex Filio, bien qu’elle ne se rencontre point textuellement dans l'Écriture, y est contenue quoad sensutn, Sum. theol., I a, q. XXXVI, a. 2, ad 1'"", et que la maternité divine de Marie se déduit nécessairement des paroles de l'Écriture, III a, q. xxxv, a. i-, ad 1°"> ; double vérité qui, au jugement de saint Thomas, ('tait cependant de foi puisqu’elle était définie comme telle par l'Église.

Cet enseignement de saint Thomas est communément reproduit par les théologiens scolastiques. Nous citerons particulièrement Durand de Saint-Pourçain, In IV Sent., l. III, dist. XXV, q. n. Venise, 1636, fol. 259 ; Gabriel Biel, In IV Sent., l. III, dist. XXV, a. 3, dub. ni, Bâle, 1512, sans pagination.

2. Au xve siècle, commence à se dessiner un concept plus explicite du progrès dogmatique dans les concepts eux-mêmes. La première indication de ce genre paraît avoir été fournie parle cardinal Turrecremata († 1468), dans sa Summa de Ecclesia. Il y donne comme vérité catholique non seulement celle qui provient immédiatement de la lumière de la révélation divine in propria verborum forma, mais encore celle qui provient médiatement par une déduction nécessaire, implicite bona et necessaria continenlia, comme cette vérité C/tristus habuil animam rativnalem. Dans cette

deuxième catégorie sont particulièrement rangées : a) sous le n.2, les vérités qui sont déduites du contenu scripturaire, continentia necessaria et formait, car elles ont la même certitude et elles sont aussi nécessaires à croire que les vérités dans lesquelles elles sont ainsi nécessairement contenues ; b) sous le n. 4, les vérités qui ont été définies par l'Église universelle en concile plénier comme appartenant à la foi de la religion chrétienne, bien qu’elles ne se rencontrent pas expressément dans les livres inspirés ; c) sous le n. 6, les vérités qui ont été positivement enseignées par les docteurs approuvés de l’Eglise universelle comme devant être obligatoirement crues, bien qu’elles ne se rencontrent point expressément dans le texte sacré ; il) les vérités qui découlent continentia necessaria et formali des vérités exprimées sous les n. 4 et 6, pour la raison précédemment indiquée. Summa de Ecclesia, l. IV, part. II, c. viii, Rome, 1589, sans pagination. Toute cette doctrine montre, ce nous semble, Turrecremata comme le premier théologien qui ait formulé, bien qu’un peu vaguement, l’idée d’un développement dogmatique, précédemment contenu d’une manière implicite dans une vérité déjà manifestée comme révélée.

.', ' période, tir/mis le XVIe jusqu’au XIXe siècle, caractérisée du moins chez un certain nombre de théologiens, surtout depuis le XVIIe siècle, par un concept plus marqué des développements dogmatiques antérieurement contenus dans les vérités déjà connues comme révélées.

Au xvie siècle, où l’attention est principalement dirigée vers les erreurs protestantes, où la souveraine préoccupation est de défendre contre elles l’immuable continuité des dogmes chrétiens à travers les siècles, la question du progrès dogmatique ne paraît pas avoir été l’objet d’un enseignement explicite. Cajetan († 1 53 i j le suppose comme fait historique constaté dans les définitions successives des conciles, In II a ™ II", q. I, a. 7, mais il n’en analyse point la nature. Il en est de même de Melchior Cano, De locis theologicis, l. II, c. vu ; l. IV, c. m.

A la fin du XVIe et au commencement du XVIIe siècle, pour expliquer les définitions nouvelles parfois portées par l'Église, on commence à esquisser un enseignement plus explicite sur les développements dogmatiques.

Grégoire de Valence († 1603), répondant à cette objection que l’infaillible magistère du pape impliquerail des définitions entièrement nouvelles, inconciliables avec l’immutabilité des dogmes chrétiens, se borne à répondre que, si aucune nouvelle vérité ne peut être définie circa noslrse religionis capila ut circa Deum, circa sacramenta, circa similia, rien n’empêche qu’en matière particulière et contingente comme la canonisation des saints, l’approbation des ordres religieux ou les faits dogmatiques, des propositions nouvelles soient définies : nihil autem obslat quominus de particularibus et contingentibus maleriis quales saut illsein nostro proposito, aliquid pérdefinitionem pontificis innotescere nobis de novo possil. Analusis fidei catholicse, part. VIII, Ingolstadt, 1585, p. 318. Ilannez (f IGOi) va plus loin. Il pose ce principe général que L'Église jusqu’alors n’a rien proposé à croire ou n’a rien défini qui ne fût contenu dans les saintes Écritures, ou exprimé dans les traditions apostoliques, ou irtuellement contenu dans l’une ou l’autre, ita ut mile per evidenlem consequentiam

educeretur. lu II /2 «, q. i, a. 7, Venise, 1002, t. iii,

col. 75. Mais il se contente d’affirmer ce principe, sans essayer de déduire les nombreuses et importantes conclusions dogmatiques auxquelles il pouvait conduire.

Suarez | 1017) réunit et complète les deux explications de Grégoire de Valence et de lîannez. Avec Gré goire de Valence, il admet que la foi explicite des apôtres a été imparfaite seulement en des matières particulières et contingentes qui ont été manifestées postérieurement. De /ide théologien, disp. II, sect. VI, n. 18. Comme Ilannez, il affirme que les propositions explicitement enseignées à une époque postérieure étaient contenues d’une manière implicite dans la doctrine crue antécédemment ; ce qu’il montre particulièrement par l’exemple de la validité du baptême conféré par les hérétiques, validité' non définie explicitement par le pape saint Etienne dans la controverse avec saint Cyprien, et cependant enseignée postérieurement comme vérité de foi, n. 16. Toutefois, nous devons rappeler ici que Suarez ne reste point dans la vérité quand il admet que toute conclusion théologique, quelle qu’elle soit, par le fait qu’elle est explicitement approuvée par l’Eglise, est conséquemment une vérité de foi.

Sylvius (-[- 1619), tout en s’exprimant comme lîannez, marque plus nettement que lui la cause du caractère non explicite de tel dogme à une époque antécédente. Cette cause réside en ce que la connexion de ce dogme avec les vérités déjà connues comme révélées n'était pas suffisamment manifeste ou parce que sa provenance de l’Ecriture ou de la tradition n'était point clairement prouvée. In II"" ll> q. i, a. 7, Opéra, Anvers, 1697, t. iii, p. 16.

Le cardinal de Lugo (-[- 1660) s’attache à mieux concilier un certain progrès dogmatiqne dans les siècles chrétiens avec la foi entièrement explicite des apôtres. Admettant le fait indiscutable de la définition explicite de beaucoup de vérités antérieurement proposées d’une manière implicite, comme l’infusion des vertus surnaturelles dans l'âme du baptisé, la valeur du baptême convenablement administré parles hérétiques, la justification par une grâce résidante dans l'âme et beaucoup d’autres semblables assertions, il explique que toutes ces vérités, primitivement révélées et crues d’une manière explicite par les apôtres, avaient ensuite subi un tel obscurcissement que leur obligation au moins commune avait cessé, jusqu'à ce que, avec le secours de la définition de l’Eglise, l’obligation de croire explicitement fût de nouveau manifeste. De virtute fidei divinæ, disp. III, n. 69. Observons toutefois que Lugo. comme Suarez, s'écarte de la vérité quand il soutient que toutes les conclusions théologiques, même déduites d’une seule prémisse révélée, deviennent vérités de foi, dès lors qu’elles sont définies par l'Église. Disp. I, n. 273 sq.

Oossuet (f I701), dans son Histoire des variations, publiée en 1688, avait fortement insisté sur la persistante immutabilité de la doctrine catholique, si opposée aux incessantes variations des Eglises protestantes, Histoire des variations, Préface, n. 5, et I. XV, c. i sq. et ci. xxvi, Œuvres, Paris, 1836, t. vii, p. 273, 516, 669 ; et il en avait déduit la fausseté des doctrines protestantes, parce que les variations dans l’exposition de la foi ont toujours été regardées comme une marque de fausseté et d’inconséquence. Préface, n. 2, p. 272. A cette thèse le ministre protestant Jurieu opposa l’enseignement souvent défectueux ou imparfait desPèresdes premiers siècles, particulièrement sur la génération du Fils de Dieu et son inégalité avec le Père ; assertions qu’il essaya d’appuyer sur les remarques critiques du jésuite Denis Pétau dans sa préface à l'étude du dogme de la Trinité. De theologicis dogmatibus, Venise, 1757, t. il, p. 10. Dossuet, s’appuyant sur l’enseignement de saint Vincent de Lérins, maintint, sans concession aucune, la substantielle immutabilité des dogmes catholiques, en affirmant que la différence entre les Pères anli iiicéens et les théologiens du XVIIe siècle n’est que dans les expressions. Premier avertissement sur les lettres de M. Jurieu, c. îvsq., Œuvres, t. viii, p. 217 sq.