Dictionnaire de théologie catholique/DOGME II. Définition
II. DÉFINITION. —
Suivant l’enseignement catholique, le dogme est une vérité révélée par Dieu et comme telle directement proposée par l’Église à notre croyance.
— 1° La révélation d’où procède le dogme, est la révélation absolument surnaturelle, manifestant des mystères cachés en Dieu, auxquels l’intelligence ne peut parvenir par ses seules forces et qui, après la manifestation divine, restent toujours intimement insaisissables à la raison. Concile du Vatican, sess. III. c. IV. Par cette révélation, nous participons vraiment à la connaissance même de Dieu, quoique d’une manière très imparfaite à cause de la faiblesse de notre intelligence et de l’imperfection des analogies humaines servant habituellement de véhicule à la vérité divine. S, Thomas, L’ont, genl., l. IV, c. i. Nous nous bornons présentement à cette simple affirmation. Nous aurons bientôt l’occasion de la prouver en démontrant contre les modernistes la valeur objective et positive des dogmes chrétiens.
Observons d’ailleurs que les vérités en elles-mêmes accessibles à la raison et révélées en fait au genre humain, parce que leur connaissance n’aurait pu être autrement possédée par tous expedite, firma certitudine et nullo admixlo errore, concile du Vatican, sess. III, c. il ; S. Thomas, Sum. theoL, II » II 38, q. il, a. i ; Cont. gent., 1. 1, c. IV, ne sont pas véritablement des dogmes, bien qu’elles puissent être accidentellement crues par les intelligences qui ne saisissent point leur évidence rationnelle. S. Thomas, Sum. theol., I’, q. ii, a. 2, ad 1°’ » ; II a II’, q. i, a. 5, ad 3°’" ; a. 7 ; Queest. disp., De refit., q. xiv, a. 9, ad.>’", 8° m et 9’"".
La révélation, source du dogme, n’est pas seulement la révélation complètement explicite, manifestant intégralement la vérité divine dans son propre concept, comme la génération et l’incarnation du Verbe ; elle est aussi la révélation partiellement explicite, faisant connaître l’enseignement divin également dans son propre concept, mais non sous tous ses aspects particuliers. Telle est, par exemple, la primauté effective de Pierre et de ses successeurs, formellement affirmée dans la révélation néo-testamentaire selon l’enseignement du concile du Vatican, sess. IV, c. i, et subséquemment expliquée par le magistère ecclésiastique d’une manière beaucoup plus complète, notamment en ce qui concerne l’infaillibilité du souverain pontife. Telle est encore la divine maternité de Marie, enseignée dans la révélation chrétienne en termes équivalents qui ne peuvent laisser aucun doute sur sa réalité, et proposée plus explicitement dans la suite des siècles sous les deux aspects particuliers de sainteté parfaite de Marie et de conception immaculée, appartenant évidemment à son concept intégral.
Dans ces deux cas et dans beaucoup d’autres que nous signalerons en étudiant l’évolution accidentelle des dogmes chrétiens au cours des siècles, nous constatons une révélation primitive, à la fois explicite et implicite : explicite, en ce qu’elle manifeste au moins partiellement l’enseignement divin sous son concept particulier ; implicite, parce que ne faisant point connaître formellement plusieurs vérités appartenant à l’intégrité de ce même enseignement, elle les conlienl cependant comme parties évidemment et nécessairement constitutives. Pour que la révélation ainsi faite implicitement apparaisse d’une manière certaine, il suffit que cette évidente et nécessaire connexion avec le dogme primitivement révélé soit, avec l’aide de quelque occasion providentielle, manifestée par le travail des Pères et des théologiens et formellement définie en le telle par le magistère ecclésiastique, auquel seul il appartient de proposer l’enseignement révélé.
Notons cependant que cette intime connexion avec le dogme primitivement révélé s’est parfois manifestée très tardivement et même d’une manière graduelle, soit parce qu’aucune nécessité apologétique n’y avait attiré l’attention des fidèles ou des docteurs, soit parce qu’une fausse conception théologique sur des points connexes empêchait, pour un temps, l’entière perception de la vérité révélée, soit enfin parce qu’il avait longtemps suffi d’avoir sur ces matières une pratique nettement et universellement établie, sans que l’on eût besoin de formuler expressément le dogme qui y était nécessairement inclus. C’est ce qui advint particulièrement pour les dogmes récemment définis de l’infaillibilité pontificale et de l’immaculée conception. Pour l’infaillibilité pontificale il avait suffi, pendant bien des siècles, de suivre la règle pratique universelle et indiscutable de se conformer absolument à l’enseignement du successeur de Pierre, ou il avait suffi d’affirmer, dans le vicaire de Jésus-Christ, la plénitude de tout pouvoir, sans formuler expressément le magistère infaillible, jusqu’à ce que de dangereuses erreurs vinrent contraindre à une formelle déclaration du dogme cru implicitement jusque-là. De même pour l’immaculée conception, la vérité révélée n’apparut dans tout son éclat que quand on eut écarté les obstacles qui l’avaient, pour un temps, voilée aux regards humains, notamment une théorie inexacte sur la transmission du péché originel et une fausse conception de l’universalité de la rédemption individuelle. à" Pour qu’une vérité révélée soit un dogme au sens strict, il est nécessaire qu’elle soit directement proposée à notre croyance par une définition solennelle de l’Eglise ou par l’enseignement de son magistère ordinaire et universel, au sens déterminé par le concile du Vatican : Porro fide divina et catholica ea oninia credenda sunt quæ in verbo Dei scripto vel tradito conlinentur et ab Ecclesia tanquam divinilus revelata credenda proponuntur. Sess. III, c. m. D’où se déduisent ces trois conclusions : 1. On ne peut ranger parmi les dogmes catholiques les vérités dont l’appartenance à la révélation, bien que non définie par l’Église, apparaît de fait pour quelques individus entièrement certaine. Toutefois dans cette hypothèse en elle-même possible, Lugo, De virtute fidei christianse, disp. XX, n. 56 sq., bien qu’assez rare en dehors de
! toute proposition certaine faite par le magistère ecclé| siastique, Christian Pesch, De inspiralione sacrsa Scripj
tune, Fribourg-en-Brisgau, 1906, p. 419, il y a obligation indiscutable d’adhérer, par un acte de foi divine, à une vérité positivement connue comme certainement révélée par Dieu.
2. N’appartiennent point non plus aux dogmes catholiques, les vérités non révélées et cependant définies par l’Église à cause de leurs rapports évidents avec la doctrine révélée ou de leur souveraine importance ou utilité pour la conservation, l’explication ou la défense de la vérité révélée. Tels sont particulièrement les faits dogmatiques affirmés par l’Église comme nécessaires pour maintenir l’intégrité du dépôt de la foi et les nombreuses conclusions théologiques enseignées par le magistère ecclésiastique comme se rattachant infailliblement à ce même dépôt de la foi. Ces véritésdélinies par l’Église s’imposent obligatoirement à la ferme adhésion de tout catholique, comme le démontrent
d’innombrables doci nts ecclésiastiques, parmi
lesquels nous citerons particulièrement l’encyclique Quanta cura de Pie IX du S décembre 1861, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1699, le concile du Vatican, n. 1820, l’encyclique Tmmortale Dei de Léon XIII dans le passage relatif aux erreurs précédemment condamnées par Pie IX, n. 1880, et le décret Lamenlabili du Saint-Office du 3 juillet 1907 condamnant cette proposition 7’ : Ecclesia, cum proscribit errores, nequit a [577
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fidelibus exigere ullum internum assensum quo judicia a se édita complectantur. Mais les vérités ainsi définies ne sont point des dogmes, parce que la révélation fait défaut. Leur connexion même nécessaire avec les vérités révélées, dès lorsqu’elle est manifestée seulement par le raisonnement théologique, ne peut leur assurer le bénéfice de la révélation implicite. Il est vrai que ces enseignements non révélés sont garantis par Dieu lui-même comme certainement vrais, par le fait même de l’institution du magistère infaillible de l’Eglise. Mais le fait de cette divine garantie en faveur d’un enseignement proposé par l’Eglise comme certain, loin de transformer celui-ci en enseignement révélé, le laisse réellement ce qu’il est dans sa nature intime. Tout ce que l’opinion contraire de Suarez, De fide, disp. III, sect. xi, n. 11, et du cardinal de Lugo, De fide efivina, disp. I, n. 272 sq., contient de vrai, c’est que les négateurs opiniâtres d’un enseignement non révélé, proclamé par l’Eglise comme vrai, pourraient être facilement présumés rebelles à l’autorité même de l'Église évidemment aflirmée par la révélation, et conséquemment opposés formellement à la révélation elle-même.
3. A plus forte raison, ne doit-on point ranger parmi les dogmes catholiques ces assertions doctrinales que l'Église n’a nullement définies et auxquelles elle donne une simple préférence, parce qu’elle les considère comme s’harmonisant mieux avec les doctrines définies, ou comme protégeant plus efficacement la vérité catholique. Telles sont, dans les documents ecclésiastiques, particulièrement dans les bulles ou encycliques des souverains pontifes, beaucoup d’affirmations doctrinales auxquelles tout catholique doit une prudente adhésion interne, distincte de l’inébranlable adhésion de la foi ou même de la ferme adhésion due aux vérités non révélées et positivement définies par l'Église. Franzelin, Tractatus de divina tradilione et Scriptura, 4e édit., Rome, 1896, p. 118 sq. ; Bouquillon, Theologiamoralis fundamentalis, 'àe édit., p. 55 ; de Groot, Summaapologetica de Ecclesia catholica, 2e édit., Ratisbonne, 1892, p. 569 ; Christian Pesch, Prælectiones dogmaticæ, 4e édit., Fribourg-en-Rrisgau, 1909, t. i, p. 353 ; Billot, Tractatus de Ecclesia Christi, 2e édit., Rome, 1903, p. 446 sq. Telles sont aussi les nombreuses décisions doctrinales portées par les Congrégations romaines avec l’approbation du souverain pontife, selon l’enseignement formel de Pie IX dans le bref du 21 décembre 1863 à l’archevêque de Munich. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1681.
4° Il est non moins certain que l’approbation ecclésiastique, donnée aux révélations privées, ne les assimile point aux dogmes catholiques et ne les incorpore point au dépôt de la révélation chrétienne. Cette approbation, dans la mesure où elle existe, est seulement une garantie que ces révélations ne contiennent rien de contraire à la foi catholique, aux bonnes mœurs ou à la discipline chrétienne et que l’on peut, d’une foi purement humaine, y adhérer prudemment et avec profit spirituel. Melchior Cano, De locis theologicis, I. XII, c. iii, concl. ni, Venise, 1759, p. 280 ; Salmanticenses, Cursus theologicus, tr. XVII, De fide, disp. I, n. 115, Paris, 1879, t. xi, p. 54 ; Benoit XIV, De servorum Dei bealificatione, l. II, c. xxxii, n. 11, Rome, 1747, t. il, p. 402 ; Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. ii, p. 291 ; Franzelin, op. cit., p. 256 sq. ; Bainvel, De magisterio vivo et tradilione, Paris, 1905, p. 129. Cette approbation suffit d’ailleurs amplement pour la réalisation du rôle providentiel des révélations privées : institution de quelques fêtes particulières, propagation de dévotions toujours soumises à l’approbation de l'Église et surtout instruction ou édification des âmes.
5° Il serait non moins injuste d’adjoindre aux dogmes catholiques les systèmes philosophiques auxquels
l'Église a, au cours des siècles, emprunté quelques expressions destinées à formuler ou à expliquer ses définitions, comme les expressions essence, personne, nature, substance, accident, matière, forme, cause instrumentale, habituellement employées dans l’exposition des mystères de la trinité, de l’eucharistie, ou dans l’explication de la nature des sacrements. Car dans la pensée de l'Église toujours attentive à borner sa définition à ce qui est strictement requis pour la défense du dogme révélé, toutes ces expressions ne s’identifient avec aucun système philosophique particulier. Elles n’ont qu’un sens général, courant, vulgaire, communément admis par les diverses écoles. Ainsi dans les définitions conciliaires sur la trinité et sur l’incarnation du Verbe, les mots nature et personne excluent tout sens qui favoriserait les erreurs sabelliennes ou ariennes, nestoriennes ou eutychiennes, ou se concilierait difficilement avec la réalité de l’union hypostatique, mais elles n'écartent aucune des opinions librement discutées entre catholiques sur ce qui constitue vraiment la personnalité.
De même, l’appellation de forme du corps humain, appliquée à l'âme rationnelle per se et essentialiter par le concile de Vienne en 1311, ne doit point s’entendre nécessairementau sens thomiste, de telle sorte qu’il soit vraiment défini que l'àme rationnelle est le principe de tout l'être appartenant réellement au corps. Le concile n’a point employé le mot forma au sens particulier de l'école thomiste, mais dans un sens plus général, acceptable aussi dans l’opinion d’Albert le Grand sur le composé physique et dans la théorie de Duns Scot sur la forme de corporéité. Vacant, Etudes théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. i, p. 256 sq.
C’est encore dans un sens général que l’on doit comprendre les expressions des conciles de Florence et de Trente, relatives à la causalité des sacrements de la nouvelle loi. Les conciles n’ayant aucunement voulu définir que les sacrements sont causes physiques de la production de la grâce sanctifiante, au sens de saint Thomas, les expressions conciliaires doivent s’interpréter conformément à cette intention. D’où diversité d’opinions encore théologiquement permises après les définitions précitées. Pourrat, La théologie sacramentaire, Paris, 1907, p. 166 sq.
L’on doit d’ailleurs observer que de tels procédés de langage sont habituels même en philosophie. Dans la réfutation du subjectivisme ou du matérialisme, du déterminisme ou du fatalisme, de l’athéisme ou de l’agnosticisme, du socialisme collectiviste ou des faux systèmes sur le fondement de la morale, les mêmes termes de connaissance objective, d'âme spirituelle substantiellement unie au corps, de liberté, de connaissance de Dieu, de droit de propriété ou de réformes sociales et beaucoup d’autres expressions ont, malgré la divergence des systèmes particularistes, une même signification commune sur laquelle on s’entend contre l’adversaire commun.
6° Les remarques que nous venons de rappeler sur la nature des dogmes catholiques sont éminemment utiles pour leur apologétique générale. Car, comme le déclare le concile du Vatican, la vaine apparence de contradiction que l’on se plait à affirmer entre ces dogmes et les données de la raison, repose tout entière sur ce que l’on a de ces dogmes un concept autre que celui de l'Église et que l’on accepte comme données rationnelles indiscutables, de simples opinions ou hypothèses : inanis autem lui/us contradiclionis sjiecies inde potissimum oritur quod vel fidei dogmata ad mentem Ecclesix intellecta et exposita non fuerint, vel opinionum commenta pro rationis effatis Itabeantur. Concile du Vatican, sess. III, c. iv.
7° D’après la définition du dogme, telle que nous ve1 579
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rions de l’exposer, il (-si facile de comprendre ce que signifie le mot doctrine, quand il se distingue du dogme. — 1. Outre les vérités dogmatiques, il signifie encore la doctrine non révélée que l’Église définit comme appartenant indirectement au dépôt de la révélation, c’est-à-dire comme nécessaire ou utile pour la défense, l’explication ou la proposition des vérités révélées. Cette doctrine est l’objet non d’un acte de foi toujours exclusivement réservé à ce qui est révélé, mais d’un assentiment ferme et entier, inébranlablement appuyé sur la parole de Dieu garantissant l’infaillible magistère de l’Église..1. Tixeront, La théologie anlénicéenne, 3e édit., Paris, 1900, p. 2. — 2. Outre les vérités dogmatiques et les vérités non révélées mais positivement définies par l’Église, le mot doctrine exprime aussi ce que l’Église ne définit point expressément, mais loue simplement ou recommande comme très utile pour la défense ou pour l’explication et la proposition de l’enseignement révélé. Telles sont particulièrement les propositions auxquelles nous devons donner-un prudent assentiment intérieur, à cause d’une décision doctrinale portée par les Congrégations romaines avec l’approbation du pape, ou par le pape lui-même quand il parle avec une autorité non souveraine, sans définir positivement la vérité qu’il propose ou recommande.
Ce double sens se rencontre fréquemment dans le langage théologique et dans les documents ecclésiastiques. Nous n’en parlerons que d’une manière bien accidentelle dans cette étude exclusivement réservée aux dogmes proprement dits.