Dictionnaire de théologie catholique/GNOSTICISME II. Histoire

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 6.2 : GÉORGIE - HIZLERp. 101-104).

II. Histoire.

Observations préliminaires.


Au moment où parut le christianisme, le monde romain était en pleine fermentation intellectuelle, religieuse et morale. Les esprits étaient curieux de toute idée nouvelle, avides de tout savoir, prêts à s’initier à tous les mystères, à essayer tous les cultes, à pratiquer tous les rites. Les faux oracles, les prestiges, les sortilèges, les incantations et opérations magiques jouissaient d’une grande vogue et donnaient un puissant crédit aux devins, aux astrologues, aux mages aux imposteurs et aux charlatans qui exploitaient habilement la crédulité publique. Malgré les prohibitions de la législation romaine, les cultes étrangers étaient à la mode et pénétraient peu à peu, entourés du mystère de leurs initiations secrètes et de leurs fêtes nocturnes. C’est ainsi que s’étaient introduits le panthéisme égyptien avec le culte d’Isis et d’Osiris, le naturalisme syrien avec le culte d’Astarté et de la Bonne Déesse, le dualisme persan avec le culte de Mithra et le mysticisme phrygien avec les Galles.

Au milieu de cette fermentation religieuse, le christianisme ne devait pas manquer d’être exploité à son tour. Mais comme il était la condamnation radicale de l’idolâtrie et du sensualisme sous toutes leurs formes, il ne pouvait pas être accepté tel quel par les agitateurs de l’époque. Ceux-ci, n’en pouvant méconnaître l’importance et la valeur, se gardèrent bien de le négliger, sauf à l’accommoder aux goûts du temps par une contrefaçon ou un escamotage qui le rendait méconnaissable, avec la prétention d’en être l’expression scientifique et de détenir ainsi authentiquement la vérité absolue, la vérité qui sauve. Entreprise assurément audacieuse, car l’Église ne pouvait pas permettre et ne devait pas tolérer un tel travestissement et une telle exploitation, mais entreprise appelée à quelque succès dans certains milieux cultivés et corrompus de l’époque. Elle se dessina peu à peu et, sous l’action de quelques chefs sans scrupule, elle prit au iie siècle une ampleur extraordinaire, qui constitua pour le christianisme un très grave danger. Sans la vigilance et l’activité des chefs de l’Église et des auteurs ecclésiastiques, elle aurait complètement faussé le mouvement chrétien et paralysé pour longtemps l’œuvre du Christ et des apôtres. Il importe donc d’en signaler la nature et l’origine, d’en esquisser la marche et les succès et de noter les causes de son échec définitif.

2° Premières manifestations gnostiques en Asie Mineure. — C’est en Orient, dans l’Asie proconsulaire, et dès les temps apostoliques, autour d’Éphèse et dans la vallée du Méandre, dans ce milieu de culture intellectuelle sans ordre et sans frein, de curiosité éveillée, de sensualisme et de mysticisme maladif, que se produisirent les premières manifestations gnostiques.

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GNOSTICISME

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Parmi les nouveaux chrétiens, plusieurs conservèrent des habitudes païennes ; natures faibles, à convictions peu profondes, quelques-uns apostasièrent, comme Phygelle et Hermogène ; âmes inquiètes, tourmentées, impatientes de la vraie doctrine, très sensibles aux tables et aux nouveautés ; esprits mal tournés, orgueilleux et brouillons, tels que Philète, Hyménée et Alexandre. On agitait sans discrétion les matières religieuses ; questions, hypothèses, systèmes, tout devenait prétexte à discussions, et tout servait aux agitateurs de conscience, à de prétendus sauveurs de l’humanité. Timothée, à Éphôse, Epaphras. à Colosses, jetèrent le cri d’alarme. A l’influence persistante du judaïsme s’ajoutait celle du dieu Lunus, du mysticisme phrygien, de l’ascétisme des Galles ; il était question de certaines abstinences, de pratiques d’humilité, de néoménies ; on usait d’artifices de langage, on visait à la sublimité, on faisait appel à la philosophie. Et voici déjà quelques traits caractéristiques du gnosticisme. En outre, on essayait de rabaisser la grande idée qu’on devait avoir du Sauveur ; on réduisait son rôle dans l’Église et dans le monde ; on prétendait que le Fils est trop grand pour s’être fait le médiateur, et que c’est par les anges que doit s’opérer le salut.

Aussi, entre autres choses, saint Paul, pour couper court à ces difficultés naissantes, proclame-t-il le Christ l’image du Père ; il le place au-dessus des anges et affirme qu’il renferme tous les trésors de la sagesse et de la science ; il le dit créateur de tout ce qui existe, rédempteur des hommes par son sang, possédant la plénitude de la divinité. Sous ces expressions de î’Épître aux Colossiens, nul doute que l’apôtre ne vise des prétentions à caractère gnostique, comme celles de faire du Sauveur un éon, de placer la sagesse et la science, non dans la foi, mais dans la gnose, de défigurer l’incarnation et la rédemption, d’attribuer la création à un démiurge et l’œuvre rédemptrice à un Christ fantôme. A remarquer surtout cette formule singulièrement révélatrice : Iv côtiô xa-roixei ~àv tô -Àrjffoaa 0ëOTT]TO ; atoaaTizw ;. Col., II, 9.

L’hérésie gnostique, avec son plérome et son docétisme, est saisie là dans ses premières manifestations. Dans les Pastorales, le tableau n’est plus une esquisse ; sans viser tel ou tel système, sans citer tel ou tel nom, saint Paul trace un portrait ressemblant du gnostique. Il écrit à Timothée : « Garde le dépôt, en évitant les discours vains et profanes, et tout ce qu’oppose une science qui n’en mérite pas le nom, àvriOéu-i ; -f t ; ^£u8tovju. o’j yvtoîjsto ;  ; quelques-uns, pour en avoir fait profession, ont erré dans la foi. » I Tim., vi, 20 II met ainsi son disciple en garde contre les vaines disputes de mots, contre les entretiens profanes qui profitent à l’impiété et gagnent comme le cancer. Sans doute il fait allusion aux fables juives, aux préceptes humains, ce qui rappelle le pharisaïsme judaïsant, mais aussi aux anges et aux généalogies sans fin, ce qui fait penser à la théorie gnostique des éons. Et comme l’erreur a un caractère doeète nettement marqué, il insiste de nouveau sur la nature humaine du rédempteur, sur la réalité sanglante de la rédemption. Il annonce enfin l’action néfaste de ces « calomniateurs, enflés d’orgueil, amis des voluptés plus que de Dieu, ayant les dehors de la piété sans en avoir la réalité, qui toujours apprennent sans pouvoir jamais arriver à la connaissance de la vérité, et qui, viciés d’esprit et pervertis dans la foi, s’opposent à la vérité. » II Tim., ni, 3-9.

Semblahlement les Épitres catholiques nous mettent en présence de doginatiseurs, de révélateurs ou d’adeptes de systèmes qui sont aussi opposés à la foi qu’à la morale : même prétention impudente de posséder le secret et la certitude du salut dans une science supérieure ; même opposition de la gnose à la foi ; même tendance à rabaisser la personne et l’œuvre du Christ.

Mais de plus ces faux docteurs nient la divinité du Sauveur, II Pet., ii, 1, l’incarnation, la réalité de la nature humaine du Christ, regardant les œuvre ; comme complètement indifférentes devant Dieu et abusant de l’Écriture pour justifier leurs erreurs.

Avec saint Jean nous touchons à la fin du I er siècle et, dans cette fermentation de systèmes de la province d’Asie, à la double émancipation de la foi, dans la personne de Cérinthe, et des mœurs, dans celle de nicolaïtes. Cérinthe, voir t. ii, col. 2151-2155, était d’Antioche, contemporain de Saturnin ; il connaissait la gnose syrienne et aussi, pour avoir séjourné à Alexandrie, la gnose égyptienne ; il considérait la matière comme une chute, dégradation de l’esprit ou de l’idée, fille des ténèbres, et donc mauvaise. Avec les nicolaïtes, on constate l’aboutissement logique et pratique du gnosticisme, qui s’abîme dans la boue ; ils prétendaient, en effet, échapper aux misères humaines et ne point contracter de souillure dans les œuvres de la chair, l’âme étant bien au-dessus par la possession de la gnose. Saint Jean combattit énergiquement ces erreurs.

Et lorsque, au commencement du ue siècle, saint Ignace d’Antioche passa à Smyrne, il profita de l’occasion, dans les quelques lettres qu’il écrivit, pour dénoncer les dangers de la gnose judaïsante, du docétisme, et pour insister avec force sur la réalité de l’incarnation et de la rédemption, contre ceux qu’il qualifiait d’empoisonneurs publics et de patrons de mort, Ad Smyrn., v, 1 ; d’athées et d’apparence saine, Ad TralL, x, qui « s’abstiennent de l’eucharistie et de la prière parce qu’ils ne confessent pas que l’eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ, qui a souffert pour nos péchés et que le Père, dans sa bénignité, a ressuscitée. » Ad Symrn., vii, 1, Funk, Opéra Pair, aposl., Tubingue, 1881, t. i, p. 208, 238, 240.

Le gnosticisme en Syrie.

Quand saint Jean et

saint Ignace réprouvaient la gnose judaïsante, et notamment le docétisme, il y avait déjà longtemps qu’Antioche, la capitale de la Syrie, était devenue un foyer de gnosticisme ; elle le devait à Ménandre, disciple de Simon le Magicien.

1. Simon le Magicien.

Avant de se faire baptiser à Samarie, Simon de Gitton avait pratiqué la magie et conquis ainsi un puissant ascendant sur les Samaritains qui l’appelaient Aûvaiu ; toj 0eo3 r xaXe>'j ; juv7j Mîyâ/r, . Act., viii, 10. Le miracle et les grands prodiges dont il fut le témoin, lors de la visite du diacre Philippe à Samarie, le frappèrent d’étonnement. Et lorsque, à l’arrivée des apôtres, Pierre et Jean, il vit que le Saint-Esprit était donné par l’imposition des mains, il n’hésita pas à offrir de l’argent pour posséder un tel pouvoir. On sait la réponse sévère que lui fit saint Pierre. Mais sans rompre aussitôt, puisqu’il demanda aux apôtres de prier pour lui, il ne tarda guère à se séparer de l’Église. A Tyr, il trouva son Hélène, femme de mauvaise vie, mais qu’il dit être la brebis perdue dont il avait assuré le salut. Et il se mit à répandre sa doctrine, sans qu’on sache rien d’historiquement certain sur les lieux qu’il visita et sur la ville qu’il choisit pour y tenir école.

Autant qu’on en peut juger par l’analyse de son œuvre, dans saint Irénée et les Philosophoumena, ce dut être un homme cultivé, connaissant et citant les poètes grecs, Philosoph., VI. 11, 15, 19, p. 249, 256, 263 ; connaissant aussi les philosophes, notamment Platon, Philosoph., VI, 9, p. 246 ; et ayant emprunté à Philon la méthode exégétique qui consista à substituer, dans l’interprétation de l’Écriture, le sens allégorique au sens historique. Avec cela pratiquant la magie pour éblouir les simples et se faire une clientèle. Esprit remuant et ambitieux, voulant jouer un rôle religieux cl se flattant peut-être de supplanter l’Église. Avait-il

conçu et fixé sa doctrine au moment de demander et de recevoir le baptême ? Le fait qu’il était déjà alors qualifié comme nous l’avons vu et que la Grande Vertu de Dieu est le dernier mot et comme la raison d’être de son système, pourrait autoriser à le croire.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas sans raison qu’il a passé aux yeux des écrivains ecclésiastiques pour le père des hérésies qui, pendant les premiers siècles, menacèrent le christianisme ; car toutes ont quelque rapport avec son système, pour le fond ou pour la forme. C’est, en effet, Simon qui, le premier, a tracé le cadre et indiqué les sujets du gnosticisme, en traitant les questions relatives à la théogonie, à la cosmologie, à l’anthropologie, à la sotériologie et à l’eschatologie. Et c’est toujours dans ce cadre et autour de ces questions que chaque nouveau chef a brodé dans la suite de nombreuses variantes, au gré d’une imagination et d’une métaphysique sans frein. Il importe donc d’en avoir une idée succincte.

Sans entrer dans des détails qui trouveront mieux leur place à l’article qui lui sera consacré, rappelons à grands traits son système, d’après les données des Philosophoumena. — a) Théogonie. — Simon place en tête de toutes choses le feu, non le feu matériel que nous connaissons, mais un premier principe dont la nature est si subtile qu’on ne peut la comparer qu’au feu. Tel est le principe universel, la puissance infinie, selon ces mots de Moïse : « Dieu est un feu dévorant. » Deut., iv, 24. Ce feu n’est pas simple, mais double, ayant un côté évident et un autre secret, l’un visible, l’autre invisible ; ce qui n’est autre chose que la théorie de l’intelligible et du sensible, d’après Platon, ou de la puissance et de l’acte, d’après Arislote. Ce feu est la parfaite intelligence, le grand trésor du visible et de l’invisible, le grand arbre que Nabuchodonosor avait vu en songe. D’un autre nom, Simon l’appelle Celui qui est, a été et sera, quelque chose comme la stabilité permanente, l’immutabilité personnifiée : 6 éatôi ;, utot :, aTr, aoævoç. Ce Dieu qui est, a été et sera, ayant en partage l’intelligence et la raison, passe de la puissance à l’acte : il pense, il parle sa pensée, il raisonne. Et c’est chaque fois deux par deux, par couples ou syzygies, qu’il se manifeste. De là, dans le monde supérieur de la divinité, six éons : vo3ç et Ircivoia, çcovrj et ovoaa, XoYWjio’ç et Êv8ujA7]atç ; et dans chaque syzygie, l’un est mâle et l’autre femelle. Ces six éons ressemblent au premier principe, passent comme lui de la puissance à l’acte et produisent à leur tour, par voie d’émanation, de nouveaux couples d’éons mâles et femelles dans le monde du milieu. Mais, ici, dans ce monde du milieu, paraît un nouveau personnage, lui aussi appelé Celui qui est, a été et sera, et de plus Père, à la fois mâle et femelle, sans commencement ni fin, et qui joue un rôle semblable à celui du Premier Principe dans le monde supérieur ; c’est le Silence, la Erpi, nommé père par l’È-ivoiot, émanée de lui ; c’est la septième puissance mêlée aux six éons. Dans ce monde intermédiaire, de formation semblable à celle du monde supérieur, trois nouvelles syzygies paraissent, exactement correspondantes aux trois syzygies du monde supérieur : ce sont oùpavoç et yrj, rjXioç et teX^vt), àrjo et jS’op. Six éons et une septième puissance, parce que, selon la Bible, Dieu a créé le monde en six jours et s’est reposé le septième ; et cette septième puissance n’est autre que l’Esprit dont il est écrit qu’il était porté sur les eaux.

On surprend là un exemple de l’exégèse capricieuse dont abusèrent les gnostiques ; on y surprend aussi la théorie de l’existence de trois mondes superposés, qui se développent avec une parfaite similitude, comme on vient de le voir pour les deux premiers. Mêmes hypothèses et mêmes procédés dans tous les systèmes gnostiques, dont on connaît la théogonie ou éonologie et la cosmologie.

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

b) Cosmologie. — C’est la partie la moins nettement accusée du système de Simon. Saint Irénée nous ap prend du moins, Conl. hær., i, 23, P. G., t. vii, col. 671, que la pensée, Ijstvota, abandonnant le père, se tourna vers les créatures inférieures et fit exister les anges et les puissances qui ont créé le monde inférieur que nous habitons. Ces anges et ces puissances, produits par la pensée divine descendue jusqu’à eux, voulurent Ja retenir, parce qu’ils ignoraient l’existence du père et qu’ils ne voulaient pas être nommés le produit d’un autre être quelconque. Ce fut là le principe de leur faute, la cause de leur chute ; et ce fut aussi ce qui nécessita la rédemption. Mais créèrent-ils réellement le monde ? Il n’est nullement question de la création de la matière, chose inconnue des philosophes, mais de l’organisation de cette matière attribuée à un démiurge, que Simon et tous les gnostiques appellent Dieu.

c) Anthropologie. — Les Philosophoumena abondent en détails sur la création de l’homme, mais assez difficiles à saisir. Dieu, dit Simon, forma, sjcÀacrê, l’homme en prenant de la poussière de la terre ; il le forma double et non simple, selon l’image et la ressemblance. Phitosoph., VI, 14, p. 253. Laissons de côté tout ce qui a trait à la propagation de l’espèce, à la formation et au développement du fœtus, pour ne retenir que ce fait, c’est que l’homme, étant l’œuvre des anges et puissances prévaricateurs, était vicié dans son origine même, participant ainsi à leur faute et soumis à leur pouvoir tyrannique, et par suite avait besoin d’un sauveur.

d) Sotériologie. — Les anges qui retenaient ènîvoia prisonnière la maltraitaient pour l’empêcher de retourner vers le père. Ils lui firent souffrir tous les outrages jusqu’à ce qu’ils eussent réussi à l’enfermer dans un corps humain. Depuis lors cette è^îvoia n’a pas cessé, à travers les siècles, de passer de femme en femme. Ce fut à cause d’elle qu’éclata la guérie de Troie, car elle se trouvait alors dans le corps d’Hélène. Le poète Stésichore, pour l’avoir maudite dans ses vers, devint aveugle ; mais s’étant repenti et ayant chanté la palinodie, il recouvra la vue. Enfin de femme en femme, â-îvoia, au temps de Simon, se trouvait dans le corps d’une prostituée de Tyr. Philosoph., VI, 19, p. 263. Il s’agissait de la délivrer. Le père envoya alors un sauveur pour délivrer i-ivoiæt pour soustraire en même temps les hommes à la tyrannie des anges. Ce sauveur descendit du monde supérieur et changea de forme pour passer au milieu des anges et des puissances sans en être reconnu : c’était Simon lui-même qui, en Judée, se montra aux juifs comme fils, en Samarie, aux Samaritains, comme père, et ailleurs, aux gentils, comme Saint-Esprit. Son arrivée dans le monde inférieur avait été prédite par les prophètes, qui avaient été inspirés par les anges créateurs. Et il s’était mis à la recherche de la brebis perdue, èrtvoia ; il la trouva à Tyr, dans une maison de prostitution, et l’avait délivrée dans la personne d’Hélène dont il avait fait sa compagne. Pour sauver les hommes, il était apparu comme l’un d’eux, tout en n’étant pas l’un d’eux, et il avait paru souffrir, bien qu’il n’eût pas réellement souffert. Croire en Simon et Hélène, c’était conquérir la liberté et être assuré du salut. S. Irénée, Conl. hier., i, 23, 3, P. G., t. vii, col. 672 ; Philosoph., VI, 29, p. 263-264.

c) Morale. — La seule condition de salut étant la croyance en Simon et Hélène, la question des œuvres bonnes ou mauvaises ne se posait pas ou se résolvait dans la libre action. Simon étant venu délivrer les hommes de la tyrannie des anges, et la loi étant l’œuvre de ces anges, la conclusion pratique s’imposait : il n’y avait qu’à mépriser la loi. Aussi, au rapport des Philosophoumena, VI, 19, p. 264, la morale de Simon, fondée sur l’indifférence des œuvres, était-elle crimi.

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nelle ; la promiscuité était admise ; elle constituait la parfaite dilection, la sanctification réciproque, tcXsia àyâjîr), ryiov ocyiwv.

Tel est le cadre et telle est la méthode du gnosticisme. Les gnostiques qui suivront n’auront qu’à utiliser cette méthode et à remplir ce cadre ; ils ont désormais à leur portée tout ce qu’il faut pour séduire et tromper, et ils vont agir en conséquence.

2. Ménandre.

Les disciples de Simon usèrent, comme lui, de la magie, recoururent à l’usage des philtres, interprétèrent les songes, eurent des statuettes de Simon et d’Hélène, qu’ils adoraient. Saint Irénée dit : Ilonim mystici sacerdotes lidibinose quidam vivunt, magias autem perfi.ciu.nt, quemadmodum potest unusquisque corum. Exorcismis et incanlalionibus uluntur. Amatoria quoque et agogima, et qui dicuntur paredri cl oniropompi, et qu.secu.mque sunt alia perierga apud cos studiose exerceniw. Imaginem quoque Simonis hdbent factam ad figuram Jouis, et Helense in figuram Minervse, et has adorant. Conl. hser., i, 23, 4, P. G., t. vii, col. 672, 673.

L’un des ses disciples fut Ménandre, également de Samarie. L’auteur des Philosophoumena se borne à dire qu’il avait enseigné la création du monde par les anges, l’hilosoph., VII, 28, p. 367 ; et voici ce que nous apprend saint Irénée, Conl. hser., i, 23, 5, P. G., t. vii, col. 673. « Ménandre, dit l’évêque de Lyon, parvint au sommet de la science magique. Il disait que la Première Vertu était inconnue de tous et qu’il était lui-même le Sauveur envoyé par les puissances invisibles afin de sauver les hommes. Selon son système, le monde avait été créé par les anges qui, comme Simon l’avait dit avant lui, n’étaient, aflirme-t-il, qu’une émanation de evvoioc. Cette svvoict communiquait la science de la magie qu’il enseignait lui-même et qui apprenait à vaincre les anges créateurs du monde. Ses disciples ressuscitaient en recevant son baptême, disait-il ; ils ne vieillissaient pas et demeuraient immortels. » Ibid. Eusèbe spécifie ce qu’il faut entendre par cette magie. « Personne, dit-il, ne pouvait, selon Ménandre, arriver à être supérieur aux anges créateurs du monde, s’il n’acquérait l’expérience de la magie que lui, Ménandre, enseignait, et s’il ne participait à son baptême. Ceux qui en étaient devenus dignes y trouvaient l’immortalité, ils ne mouraient pas, restaient sans vieillesse dans une vie immortelle. » II. E., iii, 26, P. G., t. xx, col. 272.

A la différence de Simon qui exigeait pour le salut la croyance en sa propre divinité et en celle d’Hélène, Ménandre exigeait la réception de son baptême et la connaissance de la magie. Parla, il se substituait à son maître. Et tandis que Simon n’avait fait que recourir à la magie comme à un moyen d’en imposer aux simples, il l’avait élevée au rang d’un moyen nécessaire au salut.

3. Saturnin ou Satornilus.

Ménandre compta parmi ses disciples Saturnin et Basilide. Saturnin enseigna à Antioche et fut le chef du gnosticisme syrien. Philosoph., VII, 28, p. 367. Sa doctrine n’était autre que celle de Ménandre et de Simon. Sans en changer l’économie générale, il y ajouta quelques différences caractéristiques. La voici résumée dans les Philosophoumena, VII, 28, p. 367-369 : « Saturnin enseigne qu’il y a un père inconnu de tous et qui a créé les anges, les archanges, les vertus et les puissances. Le inonde et tout ce qu’il renferme a été créé par les anges. L’homme est une création des anges qui, après avoir vu paraître l’image brillante qui était descendue de la suprême puissance, ne purent la retenir parce qu’elle remonta aussitôt vers celui qui l’avait envoyée. Alors ils se dirent en s’exhortant les uns les autres : Faisons l’homme à l’image et à la ressemblance. Cet homme fut créé, mais il ne pouvait se tenir droit à

cause de la faiblesse des anges : il rampait à terre comme un ver. La puissance d’en haut en eut pitié, parce qu’il avait été créé à son image ; elle envoya une étincelle de vie qui releva l’homme et lui donna la vie. Après la mort, cette étincelle retourne vers ce qui est de la même espèce, et le reste se dissout, chaque partie d’après la nature des éléments dont elle est formée. Il démontre que le Sauveur n’était pas né, qu’il était incorporel, sans forme ni figure, qu’il n’était apparu comme homme qu’en apparence, et que le Dieu des juifs était l’un des anges. Puis il ajoute que le père ayant la volonté de détruire tous les princes, le Christ vint parmi nous pour la destruction du Dieu des juifs et le salut de ceux qui croient en lui : ce sont ceux qui ont en eux-mêmes l’étincelle de vie. Saturnin dit qu’il y a deux genres d’hommes formés par les anges : l’un bon et l’autre mauvais. Et parce que les démons venaient en aide aux mauvais, le Sauveur est venu pour la destruction des mauvais et des démons, et pour le salut des bons. Ils appellent le mariage et la procréation des œuvres de Satan. Un grand nombre de ses disciples s’abstiennent de manger de la chair, et, par cette feinte continence, en séduisent plusieurs. Quant aux prophéties, les unes, disent-ils, ont été faites par les anges créateurs du monde, les autres par Satan, que Saturnin nomme un ange et dont il fait l’adversaire des créateurs du monde et surtout du Dieu des juifs. »

On voit les différences introduites dans le système gnostique de ses prédécesseurs par Saturnin. Pour expliquer la faute première qui sert d’origine ou de cause au mal physique et moral, Simon avait imaginé l’emprisonnement de rpivcua par les anges dans le corps humain ; Saturnin se contente de dire que les anges ont bien voulu retenir l’étincelle de vie envoyée par le père, mais que, ne l’ayant pas pu, ils se sont résolus à faire l’homme à son image et à sa ressemblance. Dans l’anthropologie, Saturnin introduit un élément nouveau, l’envoi par le Père de l’étincelle de vie pour redresser l’homme, cette œuvre informe des anges créateurs. Dans la sotériologie, c’est le même docétisme ; le salut est limité, quant aux hommes, à ceux qui possèdent l’étincelle de vie, apparemment aux seuls disciples de Saturnin. Le Christ venant combattre le Dieu des juifs, c’est l’antinomisme qui paraît et qui ira en s’accentuant chez un certain nombre de représentants de la gnose et dans plusieurs sectes gnostiques. Mais il vient combattre aussi les démons et Satan, personnages dont il n’a pas encore été question, et qui, ne pouvant être la manifestation du premier principe parce que ce premier principe est bon, représentent nécessairement le principe mauvais. Et l’on trouve là l’influence du dualisme qui aboutira au système de Marcion. Il est encore question, au moins parmi les disciples de Saturnin, de la condamnation du mariage et de la procréation comme œuvres de Satan, et d’un certain ascétisme qui sera systématisé dans l’encratisme. L’eschatologie enfin, sans être complètement traitée, se dessine déjà : c’est, pour l’homme sauvé, le retour de l’étincelle de vie dans le monde supérieur, et la dissolution tout au moins de son corps.

Le gnosticisme à Alexandrie.

1. Basilide. — Ce

fut Basilide, voir Basilide, t. il, col. 465-475, le condisciple de Saturnin et le disciple de Ménandre qui d’Antioche alla à Alexandrie enseigner la gnose et fut le premier gnostique égyptien connu. S. Irénée, Conl. hser., i, 24, P. G., t. vii, col. 674. Sans abandonner les pratiques magiques de ses prédécesseurs, Cont. hær., i. 24, 5, col. 678 ; voir Abraxas, t. i, col. 121-124, et sans se séparer complètement de leur enseignement, il voulut faire œuvre nouvelle et imagina le système le plus compliqué, le plus abstrait, le plus métaphysique et le moins facile à comprendre. Il admit, lui aussi, trois