Dictionnaire de théologie catholique/JÉSUS-CHRIST V. Jésus-Christ et la critique 1. L'existence historique de Jésus

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.1 : ISAAC - JEUNEp. 690-691).

V. JÉSUS-CHRIST ET LA CRITIQUE.

ne peut démontrer les vérités de loi : mais ou peut détruire les objections qu’on leur oppose Puisque la foi repose sur la vérité infaillible, il est impossible qu’on arrive a démontrer la vérité d’une doctrine contraire à cette foi. Les arguments apportés contre la foi ne sauraient évidemment constituer des démonstrations : ils ne sont que de simples objections qu’on doit résoudre. s. Thomas, Sum. theol., I », q. r, a. 8. Cette formule du docteur angélique situe exactement la position de l’apologétique chrétienne à l’endroit de la critique rationaliste. Exposer par quels arguments cet le critique prétend déti aire le dogme et la théologie de Jésus-Christ et, dans la mesure du nécessaire, montrer comment ces arguments portent à faux : telle est la tâche du théologien apologiste.

La critique rationaliste, depuis le xvii c siècle jusqu’à nos jours, mais surtout la critique contemporaine, n’a pour ainsi dire rien laissé subsister de l’auguste figure du Sauveur. Ce n’est pas une simple déformation du dogme, c’est une négation totale de ce que nous croyons être la vérité qu’on trouve au bout des arguments rationalistes, si on les réunit en un seul faisceau. Depuis l’existence historique de Jésus jusqu’à sa mort et sa résurrection, tout a été révoqué en doute : l’œuvre surnaturelle et divine de notre rédemption, de notre incorporation au Christ, a été minimisée, sinon complètement niée. Il faudrait des volumes pour reprendre un à un les arguments fournis par la critique incrédule contre l’édifice de notre foi On se contentera ici de préciser les positions des adversaires en les groupant autour de quelques points essentiels :


I. L’existence historique de Jésus. —
II. Le caractère surnaturel de la venue de Jésus en ce monde (col. 1364). —
III. La personnalité divine de Jésus (col. 1370). —
IV. La conscience messianique du Christ (col. 1386). —
V. Les miracles du Sauveur et leur valeur démonstrative (col. 1398). —
VI. La résurrection de Jésus (col. 1406).

I. Existence historique de Jésus.

Cette existence repose sur des preuves irréfutables. Jésus est apparu sur terre à une époque bien déterminée. Les personnages mêlés à sa vie ont une réalité historique que nul ne conteste. C’est dans un cadre bien connu qu’évolue le Sauveur. En comparant les évangiles aux sources historiques profanes, on ne relève en eux aucune contradiction touchant le milieu palestinien, les influences et les courants d’idées qui s’y manifestaient, les coutumes, les croyances, les vicissitudes du peuple juif. En bonne logique, on ne saurait donc contester, dans tout cet ensemble, la réalité historique du seul Jésus. A elles seules, les lettres de saint Paul suflisent à mettre hors de doute l’existence de Notre-Seigneur. Enfin, nous l’avons vii, col. 1132, quelques documents profanes viennent corroborer l’assertion évangélique de tout le poids de leur témoignage incontesté.

Certains auteurs ont cependant, sous des formes différentes, soutenu le paradoxe de la non existence historique, sinon de la personne même du Christ, du moins de son rôle dans le monde. On peut citer, parmi les plus connus, P. Jensen, Das Gilgamesh-Epos in der Weltlitteratur, Strasbourg, 1906, p. 102’. » 1030 ; Drews, Die Christusmylhe, Iéna, 1909 ; I laupt, The Aryan Anceslry o Jésus, articles publiés dans Open Court de Chicago, 1909, et surtout W.-Ii Smith, Der vorchristliche Jésus, Giessen, 1906 et Ecce Dais, Iéna, 1911. L’argumentation de ces auteurs se ronde tout d’abord sur un petit nombre de faits secondaires, d’indices plus ou moins vagues, pour en déduire toute une histoire nouvelle, en contradiction avec le gros des témoignages et la masse des i alsemblancei Parmi les « indices., les plus mai quis (in | tindes rappro

chements que certains assyriologues ont faits entre k’s récits mythologiques des religions anciennes et les narrations évangéliques. C’est l’argument principal <le P. Jensen, qui trouve Gilgamës reconnaissable non seulement en Jésus, mais en trente antres personnages de l’Ancien et du Nouveau Testament. Marotte de spécialiste : Sans pousser le paradoxe aussi loin que Jensen, d’autres auteurs rapprochent Jésus de Mardouk : cf. II. Zimmern, dans la 3’édition refondue de l’ouvrage de Schrader, Die Keilinschriften und dus Aile Testament, Berlin, 1902 ; Jérémias, Babt/lonisclies im Xeuen Testament, Leipzig, 1905. Des rapprochements analogues sont faits entre Jésus et Bouddha ; cf. R. Seydel. Die Budda-Legende und das Leben Jesu, 2’édit.. YVeimar, 1907 ; R. Steck. Dcr lun/luss des Luddhismus au/ das Christentum, Zurich, 1908 ; on tiouve ces rapprochements chez Smith et Ilaupl. I « ’autres parlenfde Mithra, et concluent a une influence des religions orientales en général et du culte de Mithra en particulier sur la figure du Christ tracée parles évangiles et saint Paul. F. Cumont, Les mystères de Mithra, 2e édit. Paris, 1903 ; J. Cyrill, Die persisrhe Mi/sterienreligion im rômischen Reich und das Christrntum, Tubingue, 2e édit., 1907, etc. Voir, dans le Dictionnaire apologétique de M. d’Alès, les articles Mithra (la Religion de), et Mystères païens (les) et saint Paul, t. iii, col. 578 sq. ; 961 sq. Sur l’origine et le développement de ces systèmes, voir L. Cl. Fïllion, Les étapes du rationalisme, p. 296-319 ; A. Valensin. Jésus-Christ et l’histoire comparée des Religions, Paris, 1912, p. 56-84. On trouvera dans l’ouvrage de M. Fillion une abondante documentation bibliographique. Tous ces rapprochements sont sans fondement solide, basés sur des ressemblances superficielles, purement extérieures, matérielles ou même simplement verbales. Ces traits d’érudition de mauvais aloi ne sauraient domrer la raison dernière d’une histoire qui est le point de départ d’un mouvement prodigieux comme celui du christianisme : Quels sont donc les rêveurs anonymes capables d’avoir donné corps à des fables inconsistantes ? Faudrait-il admettre l’hypothèse absurde d’un mythe éclos spontanément ?

La thèse de W.-B. Smith supprime le rôle historique de Jésus, sans contester toutefois l’existence du personnage ; aux preuves tirées des comparaisons avec les religions orientales, elle en ajoute d’autres tirées du christianisme lui-même. Au siècle qui a précédé l’ère chrétienne, il y aurait donc eu, chez les Juifs et surtout dans le monde grec, une religion aussi secrète que répandue, du dieu Jésus le Nazaréen, c’est-à-dire le « protecteur », ou le « sauveur ». Nazareth n’a jamais existé. Pour la réfutation de ce sophisme extravagant, voir Lagrange, Évangile, selon saint Matthieu, Paris, 1923, p. 37-39. C’est surtout le livre des Actes qui est exploité en faveur du Jésus préchrétien ». (ni cite le cas d’Apollos. Act., xviii, 24-28, qui était instruit dans les voies du Seigneur » et « enseignait exactement les choses de Jésus », tout eir « ne connaissant que le baptême de Jean ». Pour expliquer ce cas, il n’est pourtant pas nécessaire de supposer un culte piéchrétien de Jésus. Quelles que soient d’ailleurs l’origine et le caractère de la secte des Nazaréens dont parle saint Épiphane et que ce Père distingue des judéo-chrétiens (Nazoréens), en la déclarant antérieure au christianisme il n’en résulte pas que l’appellation « Jésus de Nazareth o soit un contre-sens. Les « meilleurs .aiguinent s de M. Smith sont, on le voit, bien fragiles. Faut-il enfin rappeler que ces négations radicales n’ont pas même Plntérêl de la nouveauté ? Elles ne sont cpie des rééditions des extravagances de Bruno Bauer, Krilik der evangeltschen Geschtchte des Johannes, Berlin, 18-10 ; Krilik der evangeltschen Geschichte, icr Synopttker, Berlin, 1841-1842 el surtout

Krilik der Evangclien und Geschichie ihres Ursprungs, Berlin, 1850-1851, et Christus und die Câsaren, Berlin, 1877 : ou encore d’Arnold Ruge († 1880), dans les Halliselie Jahrbucher Jûr Kunsl und Wissensehafl, années 1838-1842, passiin. Aux auteurs ayant ni. ; l’existence historique de Jésus, il faut ajouter Albert Kalthoff, dont le radicalisme absolu traite d’allégories et de légendes tout le Nouveau Testament, Dos Christus Problem, Leipzig, 1902 : Die Hnlslehumj des Christentums, Leipzig, 1904 ; Was ivissen wir von Jésus ? Berlin, 1904.

L. Cl. Flllion, L’existence historique de Jésus et le rationalisme contemporain, Paris, 1909 ; Les étapes du rationalisme dans ses attaques contre la Vie de Jésus-Christ, Paris. 1911 ; A. Valensin, Jisus-Christ et l’élude comparée des religions, Paris, 1912 ; J. Case, The Historicitg of Jésus, Chicago, 1U12 ; G. Esser, dans la Theologische Revue, Munster, 1911, p. 1-16 ; 11-17 ; A. Knœpller, Das Christusbild und die Wissensehafl, Munich. 1911 ; I.. de Grandmaison, art. Jésus-Christ, dans le Dictionnaire apologétique de M. d’Alès, t. rt, col. 1310 sq. — Parmi les non catholiques, citons : II. Welnel, Ist das « libérale » Jesusbild widerlegt ? Tubingue, 1910 ; A. JûUcher, Hat Jésus gcleht ? Marbour ;  ;, 1910 ; 1$. W. Bacon, The mgthical collapse / historical christianitg, dans Hibbert Journal, juillet 1910, p. 731-753 ; Th.-J. ïhomburn, Jésus the Christ : historical or mythical ? Londres, 1912 ; F. Loofs, What is the Truth about Jésus Christ, dans Lectures, Edimbourg, 1913, p. 1-10 ; A. Loisy, A propos d’histoire des religions, Paris, 1912, e. v. Le mythe du Christ ; C.h. Guignebert, Le problème du Christ. Paris, lï)14 ; Hans Windlsch, art. Jesus-Christus, dans Realencuklopàdie fiir protestantische Théologie und Kirehe, supplément i, Leipzig, 1913, p. 674-684. Voir aussi Btblische Zcitschrift, 1910, p. 415-417, emmurant les brochures.m articles en langue allemande sur le sujet.