Dictionnaire de théologie catholique/JÉSUS-CHRIST V. Jésus-Christ et la critique 2. Le caractère surnaturel de la venue de Jésus en ce monde

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.1 : ISAAC - JEUNEp. 691-694).

II. Caratëre surnaturel de la venue du Chris r en ce monde. —

Sous ce titre, à dessein très général, se groupent un certain nombre de controverses, dont quelques-unes doivent avoir ailleurs leur exposé et leur solution.

1° La conception et la naissance surnaturelle de Jésus, niées par tous les rationalistes contemporains après tant d’hérétiques des siècles passés, sont les deux faits saillants où éclate davantage le caractère surnaturel de la venue du Christ en ce monde. Mais les controverses soulevées à propos de ces deux fails ont leur place indiquée à la question de la virginité perpétuelle de la sainte Vierge. Voir Marie.

2° Les /ails merveilleux qui précèdent, accompagnent ou suivent la naissance du Sauveur, sont pareillement révoqués en doute. — l. Un argument de portée générale prétend ruiner l’autorité des récits de l’enfance de Jésus. On nie purement et simplement V authenticité des quatre chapitres de saint Matthieu et de saint Luc, où sont consignés ces récits. La n tion remonte à la fin du xviii 8 siècle, époque où Williams publia A jree Inquiry into the authenlicity of the first and the second chaplers of S. Matlhciv’s Gospi. Londres, 1771. Les raisons invoquées ne manquent pas,

a) On note tout d’abord l’absence des récits de l’enfance dans saint Marc, qui regarde la prédicat i m de Jean-Bapl iste comme « le commencement de l’évangile de Jésus Chiisi », Marc., i, 1-1 ; et dans la catéchèse apostolique, qui néglige les faits préliminaires de la te du Sauveur pour placer en première ligne ceux qui se rai tachent au ministère du précurseur. Act.. i, 21 ; x, 37 ; xiii, 23-25. On souligne le silence de saint Jean, de saint Paul, de tous les autres écrivains du Nouveau Testament et même, dans l’évangile, de Jésus et de Marie. Karl Hase, Geschichie Jesu, 2° édit., Leip 1891, j>. 223 : Albert Héville, Jésus de Nazareth. Paris. 1X97, t. i. p. 389 ; A. Sabatier, art. Jésus, dans l’Encyclopédie îles sciences religieuses de Llchtenberger, l. vu. p. 362-363 ; Harnack, Dus Wesen des Clirislentums, Berlin, 1903, p. 20. Vucune de ces raisons JESl S-CHRIST ET I A CR] I lui I

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valable. Saint Mare a suivi le plan qu’il s’était lii : saint Matthieu et saint Luc ont suivi le leur. La catéchèse apostolique s’atlachant aux faits plus importants et plus caractéristiques, laissait dans l’ombre les événements de l’enfance de Jésus Christ, lesquels n’avaient pas eu un caractère public ; voir col. 1175 sq ; mais l’enseignement complet devait satisfaire, sur ce point, la légitime curiosité îles fidèles. C’est également en ce sens qu’il faut expliquer le silence relatif des autres auteurs du Nouveau Testament : leurs écrits sont des compositions de circonstances, quelles traitent exclusivement de ce qui intéresse la situation actuelle de leurs destinataires. Devons-nous en conclure que ces auteurs ignorent des faits dont ils n’ont pas à parler î D’ailleurs saint Jean et saint Paul dépassent singulièrement saint Matthieu et saint Luc. Le premier, dans son prologue, proclame la précxK tence divine du Verbe qui s’est fait chair et affirme peut-être explicitement la génération miraculeuse de celui « qui est né non du sang ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. Joa.. î. 13, suivant une leçon qui n’est pas sans probabilité. Le second, dans ses épîtres, attribue à Jésus la primante sur toutes choses et lui accorde par là une place bien supérieure à celle que lui assignent les synoptiques.

b) On fait valoir ensuite la faible adhérence de ces chapitres au reste de l’évangile, dont ils sont facilement séparables. Contre cette assertion, il suffirait de rappeler que « tous les anciens manuscrits grecs et toutes les versions anciennes contiennent les récits de l’enfance, tels que nous les lisons aujourd’hui. Les Pères et les Docteurs du second et troisième siècles en citent des passages. Le païen Celse montre qu’il les connaît. » Cf. Origène, Contra Celsum, t. I, c. xxviii ; t. II, e. xxxii, P. G., t. xi, col. 713 ; 852. L’absence des récits de l’enfance dans l’évangile de Marcion s’explique par le docétisme de cet hérésiarque ; voir col. 1249. Cf. S. Irénée, Ado. hær., t. I, c. xxvii, n. 2 ; t. III, c. xii. n. 1 : P. C. t. vu. col. 688, 900 ; S. Épiphane, liserés., I. xlii. 11. P. G., t. xii. col. 709 ; Tertullien, Adv. Marcionem, I. 1. n. 1 : IV, n. 2. P. /… t. ii, col. 248 ; 363. On explique, pour des raisons analogues, la suppression faite par Tatien, dans son Diaïesseron, de la généalogie de Jésus et des récits de l’enfance. Mais contre le critère externe de la tradition unanime, les rationalistes apportent des raisons tirées du texte évangélique lui-même et qui, d’après eux, démontrent que les premiers chapitres ne seraient que des pièces rapportées. Lu ce qui concerne saint.Matthieu, on prétend trouvci des différences de style telles que les premiers chapitres seraient vraisemblablement d’une autre main..1. S. Clemens, dans le Dictionarg o Christ und the Gospels de Hastings, t. i. p. 823. Mais ces différences sont plus imaginaires que réelles : la diction, le genre, la méthode, la pensée dominante sont identiques dans lis deux premiers chapitres et dans les chapitres m-xxviii. Les récits de l’enfance préparent la vie publique du Sauveur, en montrant, par une sorte d’apologétique, la réalisation des prophéties messianiques ; cf. î, 22 : ii, 5-6, 15, 17, 18. Des auteurs non catholiques le reconnaissent expressément et affirment qu’on ne pourrait sans inconvénient détacher ces récits de leur place actuelle pour en faire un petit livre à part, complet par lui-même. Cf. A. Resch, K indheilsevangelium nach Lucas und Matthâus… qu’tlenkritisch untersucht, flans Texte urul Untersuchungen, 1897. t. x, fase. : ’, , p. 461, et, pour la question littéraire interne, Burkitt, Evangelien da Mepharcshe, Edimbourg, 1900, t. ii, p. 259 et Hawkins, Iloræ si/noplicæ, Contributions to the Sludy o the synoplic’m, ( oxford. 1899, p. 1-7. En ce qui concerne saint Luc, les critiques se font plus iolentes encore. On

reproche tout d’abord aux premiers chapitred’avoir un coloris trop juif pour le pa en converti qu’était Luc ; cf. i, 6, 8-22 ; ii, 22 38 ; 1 1 -"<>. etc. Mais ne pourrait-on pas cependant répondre que saint Luc, selon son habitude d’ailleurs, se montre ici historien consciencieux et fidèle, racontant, sans v rien modifier. ce que ses sources lui ont appris ? fuis, avant d’adop ter la foi chrétienne, ne s’était il pas fait affilier au judaïsme, comme prosélyte’.' CI. S. Jérôme. Qusest. in Genesim, c. i.vi. P. /… t. xxiii. col. 1002. En Ions cas les pensées dominantes (de Lue., i, u) ne diffèrent pas de celles du troisième évangile envisagé dans sa totalité i. P. Wernle, Quellen des Lebens Jesu, Halle, 1904, p. 76. Le second reproche porte sur le style, rempli d’aramaïsmes, à la différence des autres écrits de saint Luc. Voir surtout, pour la construction de la phrase î, 12-17 ; 21-23 ; 30-33 ; pour l’emploi du mot t-évz-o, « il arriva t>, i. ô, 23, 41 ; ii, 1, 6, 15, 16 ; pour celui du mot pîju.a, parole (heb. dâbar), i, 37. 65 ; ir, 15, 19, 51, etc. Toutefois on reconnaît à maints endroits la diction de Luc. Cf. Harnack, Lukas der Arzl, Leipzig, 1906, p. 69 sq., 150-152. Ne faudrait-il pas conclure, non pas à la faible adhérence des récits de l’enfance au corps de l’évangile, mais à l’insertion par saint Luc, dans son texte, de documents araméens qu’il eut sous les yeux, et dont la traduction grecque fut faite avec le souci assez naturel d’en faiie ressortir les particularités ?


c) La multiplicité des laits merveilleux et miraculeux fait songer, ajoute-t-on, aux légendes qui entourent l’origine des hommes illustres. Strauss, Vie de Jésus, trad. Littré, 1. 1, p. 264, déclare que « le surnaturel y est poussé jusqu’à l’extravagance et l’invraisemblance jusqu’à l’impossible ». Cf. p. 239. On trouve les même réflexions chez Keim, J. Weiss, Bousset, Loisy. A propos de Jean-Bapliste, M. Martin Dibelius s’efforce, avec plus d’acharnement peut-être encore, à éliminer de l’histoire les traits merveilleux des quatre chapitres en question, traits qui ne sont pour lui que des légendes. Die urchristliche Ucbcrlirferung von Johannes dern Taujer, Gœttingue, 1911. Les récits de saint Luc, postérieurs a ceux de saint Matthieu accusent, ainsi qu’il arrive dans les légendes, un développement graduel de l’élément miraculeux et de la « christologie ». J. H. Holtzmann, Lehrbuch der neuleslamentlichen Théologie, 2e édit., Fribourgen-B. , 1897, 1. 1, p. 447 ; R. Otto, Dus Leben und Wirken Jesu nach historisch-kritischen Auffassung, Gœttingue, I 1’édit., 1905, p. 22-23 ; Neumann, Jcsus wer er geschichtlich war, Fribourg-en-B., 1904, p. 61-62. D’ailleurs, l’origine des » grands rois et des grands généraux, des grands sages et des fondateurs de religions » a été constamment entourée d’une couronne exubérante de légendes ; la vérité sublime du christianisme n’a pas échappé longtemps à ces appendices ». Keim, Geschichte Jesu. I. î, p. 336-337 ; Neumann, op. cit., p. 61 -(12 : Pfleiderer, Dots Urchristentum, Berlin, 1902, t. î. p. 555. C’est la chrétienté primitive qui a idéalisé rétrospectivement la figure de Jésus des son berceau, sous l’impression très vive qu’elle a eue de lui, de son vivant même et plus encore après sa mort. Les « pieuses légendes de l’enfance du Sauveur sont donc des « produits de la dévotion de l’ancienne Église », c’est une * idéalisation sentimentale »

Comme il fallait faire de Jésus le Sauveur promis, on

organisa les événements de son enfance de façon a justifier l’accomplissement des prophéties ; on le divini a ; on lui accorda une naissance virginale, et on se plut a entourer son entrée dans le monde de toute sorte de prodiges, c’est la crédulité depremiers chrétiens qui a créé peu à peu toute cet hflcl ion. dont il ne

reste presque I ien lorsqu’on la lail pa ser par le creuset

de fi critique. H. L Holtzmann, Die Synoptiker, I 67

    1. JÉSUS-CHRIST l##


JÉSUS-CHRIST l.T LA CRITIQUE. LES RÉCITS DE L’ENFÀISCE

-’édit., ]). 53 ; A. Neumann, op. cit., p. 61-62 ; Giran, Jésus de Nazareth, Paris, 1904, p. 37 : A. RéviUe, Jésm de Nazareth, t. i, p. 103 ; A. Bruce, art. Jésus dans VEncytlopedia biblica de Cheyne, t. ii, p. 1436 ; Crooker. Supremacy o christ. Boston, 1904, p. <><i-70 ; (’.arpenter. The first three (i(spcls. 3e édit., Londres, 1904, p. 1 15 1 16 ; Loisy, Les Évangiles synoptiques, 1. 1, p. 168-169 ; Dibelius, op. cit., p. 69-75.

Au fond, toutes ces objections procèdent de la négation du sui naturel : A epui admet la possibilité d’interventions surnaturelles, il n’est pas difficile de croire que ces interventions se soient produites autour de la venue de Jésus en ce monde. Des arguments positifs nous montrent d’ailleurs que les récits de Fenfance sont, non le produit de l’imagination de l’Eglise naissante, mais l’expression même de la vérité historique. — Le premier se déduit des sources auxquelles l’évangéiiste a puisé ses renseignements. Ces sources ne sont constituées ni par un recueil très ancien, comme le prétend M. A. Resch, Das Kindheilsevangelium, Leipzig, 1897 ni, à plus forte raison, par l’apocryphe connu sous le nom du Protévangile de Jacques, comme l’assure cependant, avec une truculence qui dispense de preuves, M. L. Conrady, Die Quelle der kanonischen Kindheitsgeschiehle Jesu. ein wissenscha/tliclies Versuch, Gccttingue, 1900. Ce n’est pas non plus de la seule renommée que saint Matthieu et saint Luc tenaient ces récits. Ces événements n’avaient eu qu’un nombre très restreint de témoins. Il semble bien que le principal, sinon l’unique témoin que purent interroger soit directement soit indirectement saint Luc et saint Matthieu, fui la vierge Marie. Cf. Plummer, Crilical and czegelical Commentary on (lie Gospel according lo S. LuUc, Edimbourg, 1910, p. xxiii ; Lambei t..1 Dictionary oj Christ…, art. John the Baplisl p. 862 ; I. agi ange. Évangile selon saint Luc, Paris, 1921, p. lxxxix. L’autorité d’un tel témoignage est d’un giand poids et nous rassure pleinement. — Le second argument est tiré « des faits qui ne s’inventent pas, pane qu’ils sont du domaine public et qu’ils sont garantis par le contrôle éventuel de tous les lecteurs. Tels étaient, à coup sûr, le mutisme de Zacharie <l sa guérison instantanée, la conception tardive de Jean-Baptiste et sa retraite prématurée, les faits avaient eu des témoins… ils avaient dû se conserver religieusement dans < les montagnes de Judée ». Loisque saint Luc les insérail à la première page de son évangile, ils pouvaient encore être attestés par leurs témoins diiects… Pouvant s’enquérir, l’évangéiiste a dû le faire. S’il eût naïvement ajouté foi à des légendes, il eût sur le champ contrevenu à la profession de probité historique qu’il affichait dans son prologue t l se fût exposé à quelque démenti de la pari des lémoins survivants. On conçoit malaisément un Uteur, écrit le P. Durand, L’enfance de Jésus-Christ, Paris. 1908, p. 164-105, affichant la prétention de raconter plus exactement que ses devanciers les origines chrétiennes, et qui -m début même de son récit, se pei met de pareilles libertés avec l’histoire. » D. Buzy, Saint Jean-Baptiste, Paris, 1922, p. 114-115. Rien ne sert d’alléguer contre ces faits le parallélisme étroit qui règne entre l’histoire du Précurseur et celle du Messie, comme si les deux histoires avaient été ima>inécs par la crédulité populaire ; rien ne sert de rechercher dans les mythes orientaux les traits plus ou moins lointains de ressemblance entre les légendes qui entourent Je berceau des dieux et l’histoire de ance de Jésus-Christ. Toutes les hypothèses que

la critique rationaliste peut échafauder, s’écroulenl

ml les assertions des évangélistes et notamment

int Lue : « est-on en droit d’objecter a l’hislorien

l’harmonie naturelle des événements ou l’art avec

lequel il nous’es présente 7 })u/, loc. ni. D’ailleurs

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le parallélisme entre Jean-Baptiste et Jésus n’est pas si étroit que tout se corresponde dans le merveilleux tableau que saint Luc a tracé de la naissance du Précurseur et de celle du Sauveur. On trouve sans doute des deux côtés une annonclation angélique, un lécil de la naissance, une circoncision et une imposition de nom, les élans prophétiques d’un personnage éminent (Zacharie et Siméon) à l’aurore de ces destinées mcrvei]leuses ; enfîn, les mêmes raccourcis d’histoire et les mêmes prescriptions » Mais d’autre part, « la naissance de Jésus est racontée avec détails, celle de Jean est à peine indiquée d’un mot… Si l’évangéiiste insiste sur le tressaillement du Précurseur, il est surprenant qu’il ne prête pas au Messie un h anspoil analogue, ne fût-ce que pour répondie à la salutation du fils d’Elisabeth et préluder aux divins abaissements du Jourdain. Si la présentation au temple est imaginée à plaisir, pourquoi n’y pas amener aussi le fils du prêtre Zacharie ?… Pourquoi ne pas esquisser en faveur de Jean un doublet de la manifestation de Jésus adolescent au milieu des docteius, en nous représentant quelque part, dans les solitudes judéennes, l’éclosion de la conscience du Piécurseur’?… Si l’évangéiiste a su s’abstenir de telles amplifications, même au détriment de l’harmonie de ses récits, n’est-ce pas qu’au-dessus de l’art, il plaçait encore la vérité de l’histoire ? » Buzy, op. cit., p. 114110, passim. — Le surnaturel qui éclate dans les récils de l’enfance, loin d’être une marque d’inauthenticité. doit nous faire conclure, au contraire, à cause de sa sobriété même, en faveur de l’historicité de ces récits. Dieu conduit suinaturellement tous ces événements, mais il ne s’y manifeste que d’une manièie discrète et suave », ce qui différe.rcie grandement les premiers chapitres de Matthieu et de Luc des apocrphes si piodigues de surnaturel puéril et extravagant. Et puis, si le merveilleux arbitraire devait faiie le fond des récits de l’enfance, comment expliquer que l’imagination populaire se soit contentée pour le Verbe, soiti du sein de Dieu et s’incarnant sur terre, d’une étable pour demeure, d’une crèche pour berceau, d’un atelier de travail comme séjour habituel ? Cf. M. Lepin Jésus, Messie et Fils de Dieu, p. 53. — Enfin une dernière preuve d’historicité se tire du caractère avec lequel se présente le messianisme de ces premières pages, et dont les cantiques Benedictus et Magnificat sont des spécimens précieux : k L’espérance messianique qui a inspiré Zacharie et Marie n’est pas celle des temps apostoliques. L’idylle galiléenne que leurs cantiques icllètent ne s’est réalisée qu’une fois dans le cadic historique et dans le temps que s ; int Luc nous indique La nièie du Messie, qui chante sa gloire avec sérénité et bonheur, n’a pas encore ressenti la pointe du glaive qui, plus tard, dès le début du ministère de son fils, devait meurtrir son cceur… Le Précurseur n’a pas encore succombé dans la prison de Machérous ; le père qui tient dans ses bras le petit enfant n’entrevoil pas une destinée sanglante. Ceux qui ont chanté l’avenir de Jean-Baptiste et du Sauveur ont lu les prophètes et les psaumes : ils n’ont pas lu les évangiles, ils sont étrangers à la révélation que Jésus a faite du royaume de Dieu. Ils n’ont pas été informés des jours sommes de la Judée. Leur âme n’a pas été tourmentée liai les espérances que nous surprenons chez les premiers chrétiens au lendemain de l’Ascension. C’est d’ailleurs qu’est parti le souffle qui les anime, et le milieu dans lequel il s’est formé, dès l’an 30, était évanoui. » V. Rose, Évangile selon saint Luc, 7e édit., p. 18-19.

d) On attaque encore l’historicité des récits de l’enfance en insistant sur les divergences et plus encore sur les « contradictions » que présentent entre eux les deux évangiles de Matthieu et Je Luc. Strauss

parle de l’incompatibilité réciproque des deux narrations et en conclut qu’elles sont « des tictions composées ou accumulées par les premiers chrétiens. S’ouvelle vie de Jésus, trad. franc. Paris, 1839, t. i, I ». S6. Cf. A. Sabatier, art. Jésus, dans V Encyclopédie des sciences religieuses de Lichtenberger, t. vii, p. 383 ; I.oisy. Évangiles synoptiques, t. î, p. 1 70 ; Bousset, Jésus, Tubingue, 1007, p. 1 ; et, parmi d’autres plus modérés d’ordinaire, mais tout aussi tranchants sur ce point, Beyschlag, I.eben Jesu.Bei lin. 1e édit., 1901, t. i.p.151 ; Spitta, Die synoptische Grundschrtft, p. 1 ; Keim, Geschichle Jesu, 1. 1, p. 354 ; Ed. Reuss, H isloirc évangélique, synopse des trois pre-niers évangiles, Paris, 1876, p. 17, etc. — Nous avons déjà reconnu, voir col. 1175, qu’entre les récits des deux évangélistes, à côté des points de contact assez nombreux, ii y a des divergences accentuées. Mais « divergence » ne signifie pas contradiction » : les narrations sont indépendantes lune de l’autre : et, loin de s’exclure, elles se complètent et se confirment réciproquement. On seul point, et simplement en apparence, soulève quelque difficulté. Saint Luc, ii, 39, semble dire que la sainte Famille revint directement de Jérusalem à Nazareth, aussitôt après la présentation de Jésus et la purification de Marie dans le temple, tandis que d’après saint Matthieu, ii, 1-23, il faut insérer, avant ce retour, la visite des Mages, la fuite et le séjour en Egypte. Mais c’est là simplement, de la part de saint Luc, un procédé littéraire fréquemment employé par les historiens les plus sérieux, lorsqu’il leur convient, conformément à leur plan, de passer tels ou tels faits sous silence. C’est par un artifice de ce genre que le même saint Luc semble fixer au jour de la résurrection du Sauveur le mystère de l’ascension, qu il savait fort bien (il nous le dit au livre des Actes, i, 3), n’avoir eu lieu que quarante jours plus tard, i xxiv, 44-53… Au reste. du langage même de l’evangéliste : i après qu’ils euient tout accompli selon la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, à Nazareth, leur ville, il résulte nettement que l’essentiel pour lui n’était pas de déterminer l’époque précise du retour à Nazareth, mais l’accomplissement fidèle, par M ; irie et Joseph, de toutes les prescriptions légales qui concernaient le divin Fnfant et sa mère. « F illion. Vie Je X.-S. Jésus-Christ, t. i, p. 4^0.

On n’a pas manqué non plus de soulever des difficultés sur la naissance à Bethléem et le recensement ordonné par Quirinius, lequel ne viendrait là que pour justifier le voyage de la sainte famille. Cette question de Quirinius est d’ailleurs assez compliquée. Luc est seul à parler de ce dénombrement qu’ignorent les anciens historiens et Josèphe lui-même ; on affirme d’autre part que, d’après la méthode romaine, Joseph et Marie n’étaient pas tenus de se rendre à Bethléem. Loisy, Évangiles synoptiques, t. r, p. 311 : cf. Maurenbrechei, W’eihnachlsgeschichten, p. 31. D’ailleurs la Palestine, royaume indépendant, ve pouvait être soumise à l’obligation du recensement. Puis, du vivant d’Hérode le Grand, Quirinius n’a certainement administré la province de Syrie en qualité de légal impérial : d’où il suivrait qu’aucun recensement pu avoir lieu en Palestine sous sa direction à l’épo de la naissance du Christ, puisque l’evangéliste place ce fait « aux jours d’Hérode t. Luc, ii, 1-5, cf. Mat th., n, 1. Telles sont, en raccourci, les principales objections relatives au dénombrement de Quirinius, objections qu’on retrouve chez C. Hase, Geschichle Jesu, 2’édit., p. 22 : i-228 : Keim, Geschichle Jesu, 1. 1, p. 398105 ; II..1. Holtzmann, Die Synopliker, 3° cit.. p. 316-317 ; Oskar Holtzmann, I.eben Jesu, p. 61 o. Pfleiderer, Die Entslehung des Christentums, p. ! " 197 ; A. Réville, Jésus de Xazarelh, t. i, p. 391-394 ; A. Loisy, Les évangiles synoptiques, t. i, p. 343-344 ;

l’seiier. dans V Encyclopedia Biblica de Clievne, I. iii, p. 3345-3346 ;.1. Weiss, Die Schriften des X. T., t. i, p. 393-394. et surtout Sehurer, Geschichle des judischen Volkes. 4e édit., t. i. p. 508-54 I.

Les "auteurs catholiques ont répondu de façon plus ou moins (pertinente à ces difficultés d’ordre divers. Il n’est point dejl’objet propre de ce dictionnaire de discuter objections ou réponses. On trouvera l’essentiel dans un article du P. Lagrange, Où en est la question du recensement de Quirinius, dans Repue biblique, 1911, , i. 60-81, et dans le commentaire du même auteur sur l’Évangile de saint [.ne, Paris, 1023, p. 65-68,

e) On renouvelle enfin, à l’égard des récits de l’Enfance, ’es assertions hasardées Formulées touchant l’existence même de Jésus, voir ci-dessus. Les principaux éléments des récits de l’Enfance seraient empruntes aux religions païennes. Les uns rapprochent les légendes bouddhistes les narrations évangéliques. Cf. R. Seydel, R. Steck, op. supra cil Les autres interrogent la mythologie grecque. Cf. O. Pfleiderer, VorbereitungdesG. hristentums in der griechisrhen Philosophie. Halle, 1901 ; Dis Ghristusbild des urchristlichen Glaubens in religionsgeschientlicher Beleuchtung, Berlin, L903 ; P. Wendland, Die hcllenistisch-rômische Kutiur in ihren Beziehungen zu Judentum und Christentwn, Tubingue, 1907, etc. D’autres encore se réfèrent aux mystères de Mithra. Cf. F. Cumont, J. Grill, op. supra cit. D’autres pensent retrouver ces éléments dans les religions babyloniennes. Cf. Schrader ; Jeremias, op. supra cil. Usener, dans l’article Jésus, déjà cité de l’Encyclopedia biblica de Cheyne ne craint pas d’affirmer qu’à chaque détail de Matthieu et peut-être de Luc, il est possible de trouver un substratum païen, t. iii, p. 3352-3353. Cf. J. Weiss, Die Schriften des N. T.. 1. 1, p. 47, et Soltau, Das Fortleben des Heidentnms in der alichristlichen Kirche, Berlin, 1906. Ces alTlrmations se réfutent par les remarques mêmes que nous avons déjà faites à propos de l’existence ou du rôle historique de Jésus. Voir ci-dessus. Ajoutons, avec M. Fillion, que « les critiques sont souvent en complet désaccord sur ces divers points. Ce qui, pour l’un, provient da mithraïsme, dériverait, d’après d’autre, de la mythologie, grecque, ou du babylonisme, à moins donc, selon les autres, que l’origine ne soit judaïque. A eux seuls, ce décousu, ces contradictions montrent à quel point tout est arbitraire et même (le mot est de C. Clemen dans son intéressant ouvrage sur la théorie évolutionniste : Religions. jeschichtliche Erkliirung des N. T.. Giessen, 1909), « extravagant » dans ce système ». Op. cit., p. 183.