Dictionnaire de théologie catholique/Jésuites

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.1 : ISAAC - JEUNEp. 515-563).
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LOU JESSÉ. — JÉSUITES LA THÉOLOGIE DANS L’ORDRE DES. 1012

surtout deux choses. A l’époque de Jessé, sauf le cas d’urgente nécessité, le baptême n’est administré qu’en commun et solennellement. Bien qu’il ne s’agisse que d’enfants en bas fige, toutes les cérémonies du catéchuménat et du baptême solennel sont accomplies sur les néophytes, comme s’il s’agissait d’adultes. Le baptême se donne toujours par une triple immeis’on. Bref les simplifications du rituel baptismal qu’amènera plus tard la pratique exclusive du baptême des enfants ne sont pas encore envisagées.

Gtdlin christiana, t. x, col. 1054-1OÔ5 ; A/oniimc/iln Gertnanite historica, Leges, sert, tu, Concilia, t. n a, p. 239-240, t. il b, p. 698 sq. ; Hefele, Histoire des Conciles, trad. Leclercq, t. m b, p. 1131, t. iv a, p. 82 sq. £ Amann

1. JESUALD BOLOGNI, frère mineur capucin, appartenait à une famille noble de Palerme. Né en 1585 il entrait en religion le 13 avril 1602, pour y mourir après plus de cinquante ans, passés en grande partie dans la chaire de lecteur. Il fut qualificateur et consulteur de la sainte Inquisition en Sicile et théologien du cardinal Jérôme Colonna, auquel il dédia le second volume de sa Theologia moralis. La première partie, De sacramentis novæ legis, avait paru à Palerme, 1646. Ce ne fut qu’au bout de trois ans qu’il acheva son ouvrage à Venise. Il y réédita le premier volume et publia les deux autres : De indulgentiis, suf/ragiis, cinsuris et purgaiorio ; De legibus divinis et humanis, tic præceptis decalogi et Ecclesiæ sanctic catholicæ ac de votis Deo jadis, 3 in-fol., Venise, 1649. Il promettait encore de donner des traités De horis canonicis et de electione, monialium clausura et de somonia. Ils ne virent pas le jour et l’on a seulement un autre ouvrage, In Scoli jormalitales subtilis disquisitio, in-4o, Palerme, 1652. Ce fut son dernier travail, car le P. Jésuald mourut l’année suivante à Termini, le 29 avril 1653.

Mongitore, Bibliolheca Sicula, Palerme, 1707, t. i ;

Bernard de Bologne, Bibliolheca scriptorum ord, fr. min.

capuccinorum, Venise, 1747 : Mazzucchelli, Gli scrittori « T Italia, t. ii, part. 3, p. 1486 ; Hurter, Nomenclator, 3° éd.,

t. iii, col. 1 191. nij> a i

P. Ldouard d Alençon.

2. JESUALD DE LUCA DE BRONTE,

frère mineur capucin de la province de Messine, était né le 28 août 1814. En 1829 il revêtait l’habit franciscain et une fois profès, il se livra à l’étude avec ardeur ; il produisit beaucoup trop d’ailleurs, pour laisser des œuvres durables. Celle qui attira surtout l’attention sur lui fut le Consccrator christiani matrimonii in verum et proprium sacrumentum novæ Legis, in-8o, Catane, 1871, dans laquelle il soutient l’opinion que le prêtre est le ministre du sacrement dans le mariage. Il l’avait déjà embrassée dans une dissertation : Cur Verbum caro factum, in-8o, Catane, 1869, et la défendit avec une ardeur augmentée par la contradiction dans la deuxième édition du Consccratnr, 2 in-8o, ibid., 1876. Un décret du Saint-Office, en date du 17 juillet 1878, condamna cet ouvrage.

Le I’. Jésuald qui avait été professeur de droit canonique au collège alors florissant de sa ville natale (1850), occupa aussi les chaires d’éloquence et de philosophie ; l’université de Palerme le nommait professeur suppléant en 1858 et, quatre ans après, celle de Messine lui conférait la patente de professeur de théologie dogmatique. En 1870 il accompagnait au concile, en qualité de consulteur, l’évêque de Muro ; il publia alors une dissertai ion, Pro opporlunitate acumenica declarationis de poniifteia magistertali infallibililale, in-.S", Naples, 1870. Vers le même temps il fil aussi paraître De regnn lui divtnaque summi Ponliflcis potestate in hebrsea ci christiana génie conquisitio hislorica et dogmalica, ln-8°, I tome, LS70. On a aussi de lui de nombreux opuscules de droit canonique, d’histoire, des discours sacrés, des oraisons t nèbres. Il travailla Jusqu’à la fin de sn vie, en 1895. P. EDOUARD d’Alençon.

JÉSUITES (La Théologie dans l’ordre des). — Cette étude devant rester dans ses limites propres, il n’y sera pas question des multiples aspects sous lesquels on pourrait considérer la Compagnie de Jésus : son histoire, son apostolat, ses succès et ses épreuves. Les considérations historiques n’interviendront que dans la mesure nécessaire pour faire comprendre le développement de la doctrine ou le sens et l’enchaînement des controverses théologiques auxquelles l’ordre fut mêlé. De même il n’y a pas lieu de traiter à fond telles doct.ines de la Compagnie de Jésus, comme le molinisme ou le probabilisme, qui ont eu ou auront dans ce dictionnaire un article spécial. En revanche, les accusations d’infidélité à l’égard de la doctrine de saint Thomas, qu’on a souvent portées et qu’on porte encore contre les théologiens jésuites, appellent une exposition nette des principes de la Compagnie de Jésus sur l’obligation et la manière de suivre le grand maître. Ainsi restreinte, la matière est encore trop vaste ; car, pour donner une idée complète de l’activité qui s’est manifestée dans la Compagnie de Jésus pendant les trois siècles de son existence, il faudrait passer en revue tous ceux de ses membres qui se sont fait un nom dans les diverses branches de la science sacrée, tous ceux qu’on trouverait dans le Xamenclator lilerarius d’Hurter, en parcourant, à partir de l’année 1550, les Tabulée chronologies ? theologorum secundum disciplinas dispositæ, ou plus complètement encore, tous ceux qui figurent dans les diverses tables qui forment le dixième volume de la Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, édit. Sommervogel, Paris, 1909. Un travail de ce genre ne serait pas ici à sa place ; d’autant moins y serait-il, que tous les théologiens jésuites de quelque notoriété ont eu ou auront, sous leurs noms respectifs, une notice biographique dans ce dictionnaire, et que les principaux ouvrages ont été signalés à l’article Dogmatique, t.iv, col. 1566 sq. Conçue d’une façon plus synthétique, l’étude présente comprendra quatre sections : 1° Principes de la Compagnie de Jésus sur l’enseignement des sciences sacrées ; 2° La théologie dogmatique dans la ( ompagnie de Jésus (col. 1043) ; 3° la théologie morale (col. 1069) ; -1" L’ascétisme (col. 1092).

I. LES PRINCIPES DE LA COMPAGNIE DE

JÉSUS SUR L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES SACRÉES. — Pris dans leur ensemble, ces principes ne représentent pas une création instantanée : esquissés dans les Constitutions, soumis à l’épreuve de l’expérience, ils furent fi ::és dans le Ratio studiorum, puis complétés ou précisés par divers actes des Congrégations générales ou d’autres autorités compétentes. Nous étudierons donc successivement : I. Les Constitutions. II. L’enseignement théologique avant le Ratio studiorum (col. 1015). III. Le Ratio studiorum (col. 1018). IV. Les directives concernant la doctrine de la grâce (col. 1026). V. Les ordonnances de 1651 et de 1832 (col. 1035). VI. Les récentes dl rectives (col. 1038).

I. Les Constitutions.

Quand celles-ci furent rédi gées, de 1541 à 1550, les études théologiquos n’avaient pas encore pris leur essor dans l’ordre fondé par saint Ignace. Mais ces études étaient devenues une nécessité, soit pour la formation des jeunes religieux qui devaient continuer l’œuvre commencée, soit pour l’organisation des collèges destinés à recevoir des externes. Aussi 1 auteur eles Constitutions se préoccupa-t-il de poser dans la IVe partie, les principes qui devraient guider ses fils. Particulièrement important est le chapitre v, où il traite de l’enseignement qu’il faudrait donner aux étudiants de l’ordre. La première recommandation est telle qu’on pouvait l’attendre de l’homme qui avait composé les Exercices spirituels : l’enseignement dans la Compagnie de Jésus ne doit 1013 JÉSUITES. LES PREMIÈRES DIRECTIVES THÉOLOGIQUES L014

pas avoir d’autre but que celui de la Compagnie elle-même : le bien des âmes en vue de leur salut éternel. Comme moyen tendant à ce but, on étudiera les langues, les diverses parties de la philosophie, la théologie « scolastique et positive ». et la sainte Écriture.

L’enseignement ne sera réellement profitable aux étudiants qu’à la condition d’être non seulement orthodoxe, mais solide et sur. De là cette règle générale : < Qu*en chaque faculté on suive la doctrine la plus sûre et la mieux approuvée, securiorem et magis approbatam doclrinam, et par suite les auteurs qui l’enseignent ; au recteur appartient le soin de veiller à ce point, en s’attachant à ce qui aura été établi, pour la plus grande gloire île Dieu, dans la Compagnie entière. » Suit peu après, c. xiv, une détermination plus précise : « En théologie, on expliquera l’Ancien et le Nouveau Testament et la doctrine scolastique de saint Thomas ; en positive, on choisira les auteurs qui sembleront le mieux appropriés. En logique, en philosophie naturelle, en morale et en métaphysique on suivra la doctrine d’Aristote. »

En mettant ainsi à la base de l’enseignement théologique, la Somme de saint Thomas d’Aquin, sans toutefois l’imposer comme livre de texte, voir José Manuel Aicardo, Comenlario à las Constitucioncs, Madrid, 1922. t. iii, p. 305 sq.. le fondateur de la Compagnie de Jésus avait incontestablement en vue la sûreté de la doctrine, et Léon XIII, dans le bref Grauissime nos, a loué cette détermination comme pleine de sagesse non moins que de piété, provida mente et sancta. A cette époque, l’ange de l’École n’avait pas encore reçu officiellement le titre de docteur de l’Église, que saint Pie V devait lui décerner en 1565 ; le texte communément suivi n’était pas la Somme théologique, mais le livre des Sentences de Pierre Lombard, sauf de rares exceptions signalées par F. YLbxt, Die pàpstliche Encyklika vom 4 August 1879 und die Restauration der christlichen Philosophie, dans Slimmen aus Maria-Laach. Fribourg-en-Brisgau. 1880. t. xviii, p 389, rote 3. Cajétan avait bien publié des commentaires sur la Somme, au début du xvie siècle, et à Salamanque, quelques grands professeurs de l’ordre de saint Dominique, en particulier François de Victoria et Dominique Soto, avaient innové en substituant la Somme au livre des Sentences. Mais cette innovation n’était pas entrée dans la plupart des universités, notamment à la Sapience de Rome. En suivant le mouvement de Salamanque, saint Ignace posait un acte d’une réelle importance ; par là même il contribuait à procurer l’hégémonie de la Somme de saint Thomas, destinée à devenir le livre de texte dans le grand nombre d’universités et de collèges que la Compagnie de Jésus allait fonder ou diriger. Voir F. Ehrîe, Die valicanischen Handschriflen der Salmanlicenser Theologen des sechszehnlen Jahrhunderls. dans Der Kalholik. Mayence, 1884, 1. n p. "00 sq Le saint ajoutait, il est vrai, dans une note déclarative : « On lira également le Maître des Sentences » ; mais ou cette note ne représentait qu’une sorte de concession faite à l’usage courant, ou le texte du Lombard équivalait, pour saint Ignace, à l’élément positif A. Juan en. Stellung der Gesellschaft Jesu, p. 223. Bientôt la Somme théologique régna sans partage ; ce dont Tolet s’applaudissait au début de son cours : Nos divino Javore non Magistrum, sed sanctum Thomam suscipimus inlerpretandum.

Saint Ignace n’avait pas seulement en vue la sûreté de la doctrine, il visait encore à l’unité, souvent recommandée dans les Constitutions, en particulier IIIe partie, c, i, n. 18 : « Ayons tous les mêmes sentiments suivant l’avis de saint Paul, et, autant qu’il se pourra, exprimons-les de la même manière. Qu’on ne souffre donc jamais qu’il y ait parmi nous des divergences dans la doctrine soit en parole dans les prédications

ou leçons publiques, soit par écrit dans les livres, qui ne pourront être mis au jour sans l’approbation et le consentement du Père général. » Recommandation dont l’importance et la portée ressortant de cette déclaration ajoutée pur le saint fondateur : i II ne faut point admettre d’opinions nouvelles ; et si quelqu’un s’écartait, dans sa manière de voir, d’un sentiment commun de l’Église ou de es docteurs, il devrait soumettre son jugement à celui de la Compagnie, comme il est déclaré dans l’examen. Même dans les questions où les docteurs catholiques ne s’accordent pas, il faut s’efforcer d’avoir dans la Compagnie la conformité. » Curandum est. Par ce terme plein de réserve, saint Ignace nous montre dans la conformité parfaite des sentiments un idéal qu’il ne faut jamais perdre de vue, mais sans prétendre par le fait même que cet idéal soit pleinement réalisable ici-bas ; aussi avait-il dit dans le premier passage : quoad ejus fieri possil… quantum fieri potest, c’est-à-dire, dans la mesure du possible. Ce qui doit s’entendre moralement parlant, comme dans les choses humaines de cette nature.

A la solidité et à l’unité de la doctrine un autre caractère doit s’ajouter : l’enseignement devra être pratique en vue dû but à poursuivre, le bien des âmes. C’est ce qui explique une déclaration du saint fondateur, relative au texte où il dit de prendre la Somme théologique pour texte scolaire : « Mais si dans la suite on composait une autre théologie, non contraire à celle-là, huic non contrariam, qui parût mieux appropriée aux besoins de notre époque et, à ce titre, plus utile aux étudiants, on pourrait, après sérieux examen de l’affaire par ceux qui dans toute la Compagnie seraient les plus capables d’en juger et avec l’approbation du père général, la prendre pour texte de l’enseignement. » Les termes restrictifs, huic non contrariam, indiquent assez que saint Ignace n’entendait pas parler de la doctrine de saint Thomas prise en elle-même, mais seulement de l’exposition concrète, d’une mise en œuvre de cette doctrine conservée quant à la substance ; interprétation que la l re Congrégation générale, tenue après la mort du fondateur en 1558, a fixée en modifiant ainsi le texte primitif : sed si videretur temporis decursu alium auctorem. Saint Ignace admettait donc l’hypothèse d’une rédaction nouvelle, spécialement adaptée aux besoins nouveaux. Il en provoqua même la réalisation, en pressant Jacques I.ainez de composer un manuel de ce genre. L’oeuvre fut commencée, mais les autres occupations de Lainez ne lui permirent pas de la mener à bonne fin ; les notes conservées « sont en grande partie des compilations de textes et d’opinions de divers auteurs, tirés des œuvres des Pères, de l’histoire des conciles et des écrits théologiques anciens et modernes. » J. Boero, Vie du P. Jacques Lainez, Lille, 1894, p. 223 ; Polanco, Chronicon Soc. Jesu, anno 1553, n. 124, t. iii, p. 67 sq.

Pourquoi ce désir d’une adaptation nouvelle de la théologie ? Parce que, depuis l’époque où saint Thomas avait composé la Somme, les conditions avaient notablement changé. Un fait d’une extrême gravité s’imposait : l’apparition et la diffusion du protestantisme. Si les luthériens et les calvinistes s’en prenaient à la théologie scolastique, ce n’était pas seulement pour la méthode qui lui est propre ; c’était aussi pour des raisons plus foncières qui rappelaient en partie la critique faite au xme siècle par Roger Bacon de ce qu’il appelait » les sept péchés capitaux » de la théologie de son temps, voir t. ii, col. 27 sq ; ils critiquaient en particulier l’ingérence de la philosophie dans la science sacrée et l’insuffisance des preuves scripturaires ou patristiques en beaucoup de points affirmés par les catholiques. En outre, les humanistes augmentaient la difficulté par leurs attaques railleuses et passionnées contre ce qu’ils tenaient pour un jargon de barbares. 1015 JÉSUITES. LES PREMIÈRES DIRECTIVES THÉOLOGIQLES

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Aussi, longtemps avant de rédiger les Constitutions, saint Ignace avait compris la nécessite, non pas d’abandonner la théologie scolastique, mais de la renforcer par un emploi meilleur et plus considérable de l’élément positif. Dans la onzième règle d’orthodoxie, ad sentiendum cum Ecclesia, il avait recommandé de louer la théologie positive et scolastique ; car, comme c’est surtout le propre des docteurs positifs, tels que saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire et autres semblables, d’exciter l’alTection en vue de nous faire aimer et servir de tout notre pouvoir Dieu, Notrc-Seigneur, ainsi l’ollice principal des scolastiques, comme saint Bonaventure, saint Thomas, le.Maître des Sentences, etc., est de définir et de déclarer, conformément au besoin des temps modernes, les choses nécessaires au salut éternel et de mieux combattre et mieux dévoiler toutes les erreurs et les faux raisonnements des ennemis de l’Église. En effet, plus récents que les autres, ils ne se servent pas seulement avec avantage de l’intelligence plus exacte des saintes Écritures et des écrits des saints docteurs positifs, mais, éclairés et enseignés eux-mêmes par le secours divin, ils s’aident en outre des conciles, des canons et des constitutions de notre sainte mère l’Église. »

Le désir de trouver dans la théologie une arme défensive contre les erreurs nouvelles explique encore une autre préoccupation du fondateur de la Compagnie de Jésus. Pendant les années qu’il avait passées à Paris, comme étudiant de philosophie et de théologie, il s’était rendu compte, par expérience personnelle, des avantages que présentait, pour une formation solide et complète, l’usage de certains exercices littéraires qui se pratiquaient dans l’Université, notamment les répétitions et les disputes scolastiques. Il les prescrivit dans les Constitutions, et ce que nous savons du régime suivi dans les collèges fondés de son vivant montre que la pratique répondit à la théorie. Ces exercices apparaissent dans la Prima studiorum constitutio, du collège de Padoue, fin 1545 ou début 1546. Epislolæ mixtæ, t. i, p. 587-593. De Messine, Nadal écrit en décembre 1551, qu’on y suit l’usage de Paris : Si serva il modo di Parigi, et dans son Chronicon, 1. 1, p. 372, Polanco parle également des exercilationes more parisiensi. Tout cela tendait, dans la pensée du fondateur, à faire approfondir la doctrine reçue en classe et à la rendre personnelle par l’assimilation ; chose à laquelle le saint attachait une grande importance. Polanco est son interprète quand, dans un écrit où les mêmes exercices sont recommandés, il insiste en premier lieu sur la nécessite d’étudier les matières à fond, /undalamente : « Mieux vaut bien savoir une science que de toucher à beaucoup en sachant peu de chacune. » Rcgulæ Collegiorum Soc. Jesu, dans Monumenla pirdagogica, p. 55.

Attentif à suivre les adversaires sur tous les terrains et à ne rien négliger de ce qui pouvait contrebalancer leur influence dans les milieux lettrés, saint Ignace demandait même n ses lils de soigner leur style, d’avoir un bon latin, » de i se perfectionner dans la langue latine, » comme on le voit par les recommandations qu’il lit en 1556 aux professeurs de théologie envoyés a Ingolstadt. Carias de san Ignacio de Loyola, i. vi, p. 463, 505.

II. l.’l.NMJCMi.Mi I THÉOLOQIQUE DANS LA COM-PAGNIE DE JâsUS AVANT LA REDACTION DU RATIO

STVDionuit. — Un quart de siècle’s’écoula entre l’année 1556, OÙ mourut saint Ignace, et l’époque OÙ (’.lande Aquaviva, cinquième général de l’ordre, lit mettre la main an Ratio studiorum, destiné à devenir le code officiel de l’enseignement dans la Compagnie

de Jésus. De nombreux documents » iit été publiés

sous le litre de Monumenla peedagogica ou dans le premier volume du Ratio studiorum, du P. Pachtler.

Bien qu’ils n’aient jamais eu de caractère absolu ou définitif, ni même, pour la plupart, de caractère officiel .ils n’en sont pas moins importants et intéressants : importants, parce qu’ils préparèrent l’avenir ; intéressants, parce qu’ils nous font connaître le mouvement des idées à l’époqbe où ils furent composés. Nous y voyons renseignement des sciences sacrées s’organiser peu à peu dans les universités et les collèges de la Compagnie de Jésus d’après les principes posés par le fondateur.

Particulièrement instructifs sont divers écrits du P. Jacques de Ledesma qui vécut au Collège romain de 1559 a 1570, comme professeur de théologie et préfet des études. Dans l’un de ces écrits, il indique de quelle manière les professeurs doivent suivre saint Thomas : « Qu’ils expliquent d’abord ce que le saint docteur enseigne, sans changer l’ordre des questions, qu’ils exposent d’une façon rigoureuse et expresse ses arguments et ses conclusions avec leurs fondements ; qu’ils exposent ensuite de la même manière ce qu’il y a de plus important dans le commentaire de Cajétan ; enfin qu’ils ajoutent ce qu’il leur semblera bon d’ajouter. » Circa studio et mores Collegii romani, dans Monumenla pœdagogica, p. 149. Mêmes prescriptions dans un autre écrit, avec cette seule différence que les professeurs sont invités à ne pas se borner au commentaire de Cajétan, mais à se servir aussi d’autres auteurs, tels que Capréolus, Scot, Durand, Gabriel Biel, etc. De sacrx theologix studiis, ibid., p. ">18. On trouve une application de cette méthode dans VEnarratio in Summam theologicam sancti Thomæ, de François Tolet, qui fut professeur au Collège romain de 1562 à 1568.

Les maîtres chargés d’exposer à leurs disciples la doctrine de saint Thomas, étaient-ils tenus d’y conformer la leur, en acceptant les conclusions du grand docteur ? Oui, généralement parlant. Cette obligation est souvent énoncée ou rappelée. Ledesma dit dans l’écrit Circa sludia, Mon. psed., p. 149, 159 : « qu’ils n’introduisent pas, surtout en matière grave, des opinions nouvelles, sans le conseil et l’agrément du supérieur, mais qu’ils suivent ordinairement l’opinion commune ou celle de saint Thomas. » Et ailleurs d’une façon plus péremptoire : « Louer saint Thomas et sa doctrine. Il faut suivre toujours l’opinion de saint Thomas ou l’opinion commune. » Ad docendum régula, loc. cit., p. 570-571. La disjonctive exprimée dans ce dernier texte, trouve son application dans une autre règle, où il est également question du docteur angélique : Même dans le cas où il faudrait abandonner son opinion (ce qui ne doit arriver que très rarement, et seulement quand l’opinion commune des docteurs est contraire ù la sienne), il faudrait encore excuser ou interpréter saint Thomas, ou, si la chose est possible, concilier à l’aide d’une distinction sa doctrine avec celle des autres, en sorte que l’autorité même du saint docteur soit toujours sauvegardée. » Ibid., p. 570.

Tous les professeurs furent-ils (idèles à cette direction.’On est tenté d’en douter, quand on considère les plaintes portées souvent contre la trop grande liberté des opinions et l’insistance avec laquelle on revient sur la nécessité de s’en tenir aux opinions communes et de respecter l’autorité de saint Thomas et même celle des théologiens scolastiques en général. Des remarques significatives apparaissent dans une pièce datant, semble t-il de l’année 1563, où sont rapportés les avis îles professeurs du Collège romain sur la manière d’enseigner : i En traitant une question, lait observer Tolet, qu’on propose toujours, soit qu’on la Buive, soii qu’on ne la suive pas, l’opinion commune, afin que les étudiants la connaissent. » Ledesma ajoute : « Qu’on ne désaffectionne pas ses disciples de la doctrine de saint Thoinas’ou des^théologiens ; qu’au con km :

    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. LE HAT 10 STlhlOlil M

lois

traire on les y affectionne. Achille Gaglianli signale deux abus à éviter dans l’enseignement philosophique : celui d’une trop grande liberté, nuisible à la foi, comme l’expérience le démontre dans les universités d’Italie, et celui d’un attachement trop exclusif u la doctrine d’un ou de deux auteurs, ce qui, en Italie, provoque le mécontentement et le mépris. » D’autres rappellent qu’il faut enseigner la philosophie de telle façon qu’elle soit utile à la théologie ; en conséquence, il faudrait spécifier les opinions qu’on ne peut défendre en mat ère de foi et celles qu’on doit défendre, « pour que tous les enseignent et les soutiennent de toutes leurs forces, s Generalia qu&’dam circa studia, dans Monumenta pxdagogica, p. 160. 161. Les mêmes préoccupations se retrouvent dans un rapport sur ce qu’il faut enseigner et défendre en philosophie : « Ne pas trop louer et même ne pas louer du tout Averroès. Louer saint Thomas et sa doctrine ; à tout le moins ne pas le blâmer, surtout de telle manière que les étudiants se désaffectionnent de lui et de sa doctrine ; mais, si l’on croit parfois devoir abandonner son opinion, il faut le faire avec modestie. Pareillement, ne témoigner ni mépris ni dédain à l’égard des autres théologiens scolastiques ou de leur doctrine, encore moins à l’égard de la théologie scolastique en général. » Docenda et dejendenda in philosophia, ibid., p. 491.

Saint François de Borgia, troisième général de la Compagnie de Jésus, crut devoir tenir compte de ces observations, et des déviations qu’elles supposaient. Dans une ordonnance adressée aux provinciaux en novembre 1565, il prohiba dix-sept propositions qu’on lui avait déférées. Monumenta pœdagogica, p. 787. La plupart étaient d’ordre philosophique, et quelques-unes seulement d’ordre théologique ; signalons, parmi les dernières, celle-ci destinée à devenir plus tard le sujet d’une vive controverse : Prædestinationis non datur causa ex parte noslra. Les propositions particulières étaient précédées de cinq règles d’une portée générale ; il y était prescrit de ne défendre, aussi bien en philosophie qu’en théologie, aucune proposition qui fût contraire ou qui dérogeât tant soit peu ou même qui fût moins avantageuse à la foi ; de ne défendre rien de contraire aux axiomes communément reçus par les philosophes ; de ne rien défendre d’opposé à la doctrine plus commune des philosophes et des théologiens ; de ne pas soutenir d’opinion contre l’opinion commune sans avoir consulté le supérieur ou le préfet des études ; de ne pas introduire en théologie ou en philosophie d’opinion nouvelle sans avoir pris la même précaution. Après la mort de saint François de Borgia, la IIIe Congrégation réunie en 1573, recommanda vivement au nouveau général, le P. Éverard Mercurian, de veiller à ce que nos professeurs qui expliquent Aristote n’usent qu’avec beaucoup de discrétion de ceux de ses interprètes qui ont publié des écrits impies contre les dogmes chrétiens ; de veiller surtout à ce qu’ils se servent d’Aristote pour répondre aux attaques de ces auteurs contre la vérité chrétienne, et à ce qu’en enseignant la philosophie, on la maintienne dans son rôle de servante et d’auxiliaire de la vraie théologie scolastique, que les Constitutions nous recommandent. »

Cette ordonnance et cette recommandation pouvaient remédier à des abus particuliers ; mais elles étaient loin de répondre pleinement au souhait, formulé par Ledesma. d’avoir un plan d’études où tout serait réglé d’une façon nette et en détail : Scributur liber, in quo distincte et parliculatim conljneatur lotus ordo studiorum. Circa studio et mores Collegii romani, dans Monumenta pœdagogica, p 143. Saint François de ISorgia et son successeur, Everard.Mercurian, se préoccupèrent bien du projet. Ils firent faire des tra vaux d’approche, mais ils n’eurent pas le temps de mener l’œuvre à bonne fin. Ce qui fut fait sous leur impulsion ne fut cependant pas inutile et ne devait pas tarder à porter ses fruits.

III. Le ratio studiorum (1582-1598). — Élu général le 7 février 1581, le P. Claude Aquaviva s’appliqua sans retard à la grande entreprise. Il institua, dans la congrégation même qui l’avait élu, une commission de douze membres ad conficiendam jormulam studiorum. Congreg. IV, décret, xxxi. Il s’y trouvait des hommes remarquables, comme Pierre Fonseca pour le Portugal, François Coster pour la Belgique, Jean Maldonat pour la France, Achille Gagliardi pour l’Italie. Le résultat de leurs travaux n’a pas été conservé ; il semble qu’ils ne purent traiter de la question que d’une façon générale en posant des principes et en fixant la marche à suivre. En tout cas, ce fut seulement après la clôture de la Congrégation, que le P. Aquaviva se mit résolument à l’œuvre. Prévoyant que le travail durerait un certain temps, il adressa aux provinciaux, en septembre 1582, une lettre où il leur recommandait avec instance de veiller à la sûreté et à l’uniformité de doctrine requise par les Constitutions ; dans ce but il formulait provisoirement six règles qui n’étaient, en substance, qu’une confirmation ou amplification des six règles générales de saint François de Borgia. Nous les retrouverons plus loin dans les principes relatifs au choix des opinions. Au mois de décembre de l’année suivante (1583), six Pères choisis dans les diverses assistances se réunirent à Borne et travaillèrent en commun jusqu’à la fin d’août 1584. Le.plan d’études qu’ils élaborèrent fut soumis à l’examen de toutes les provinces durant l’année scolaire 1584-1585. Après que les observations eurent été reçues, puis examinées et utilisées dans la mesure où elles parurent opportunes, le premier Ratio fut imprimé sous ce titre : Ratio atque instilutio studiorum per sex patres ad id iussu R. P. Præpnsiti Generalis deputatos conscripla. Romse, in Collegio Societati ; Jesu, anno Domini 1586. Outre un résumé des actes de la commission et quelques pièces de caractère justificatif ou documentaire, l’écrit comprenait deux parties distinctes : l’une d’ordre spéculatif, sur les principes qui devaient régir les professeurs dans le choix des opinions, De opinionum delectu ; l’autre d’ordre pratique, sur le régime des classes, De scholarum administratione. Nulle valeur juridique ne s’attachait au travail ; il fut imprimé comme manuscrit, à un petit nombre d’exemplaires, non pour être mis en pratique, mais pour être soumis à l’examen des Pères les plus capables de porter un jugement, en attendant l’intervention nécessaire d’une Congrégation générale. Ce serait donc une erreur manifeste que d’invoquer tout ce qui est contenu dans cette première rédaction comme l’expression authentique des vues communes et des principes de la Compagnie de Jésus. Une seconde édition suivit en 1591 : Ratio atque institulio studiorum. Romæ, in Collegio Societatis Jesu. On y avait utilisé les critiques faites contre la première rédaction et les données fournies par l’expérience, mais on n’y trouvait que la partie pratique ; l’autre partie, dont la revision n’était pas encore achevée, ne fut envoyée aux provinciaux qu’en juillet 1592. Réunie l’année suivante, la Ve Congrégation générale chargea de réviser le Ratio studiorum une commission de onze membres, dont le premier fut Robert liellarinin. Le principal résultat de leurs délibérations fut la rédaction de dix règles générales sur le choix des opinions en théologie ei m philosophie, et d’une préface contenant elle-même quai re règles sur l’obligation et la manière de Buivre la doctrine de saint Thomas. Le tout recul l’approbation de la Congrégation générale

et lut inséré dan, les Actes, décret 11. Enrichi’le ces

nouveaux documents, le Ratio de 1591 devait être soumis dans toute la Compagnie à un dernier examen : cela fait, le P. général ferait imprimer et promulguerait l’édition ollicielle et définitive. Ce qui eut lieu cinq ans plus tard : Ralio alque inslitutio sludiorum Societalis Jesu. Superiorum permissu. Neapoli, in Collegio ejusdem Societalis, 1598. C’est donc là qu’il faut chercher les vrais principes de l’ordre sur l’enseignement des sciences sacrées. Nous nous bornerons aux considérations propres à mettre ces principes en relief, pour ce qui concerne l’orientation générale de l’enseignement et l’adoption de saint Thomas comme docteur propre. ( n renvoyant pour le reste à ceux qui ont résumé le Ralio sludiorum d’une façon plus complète, par exemple H. Fouqueray, Histoire de la Compagnie de Jésus en France. Paris, 1913, t. ii, p. 701 sq.

Orientation générale de l’enseignement.

Pour

savoir ce que comprend, en principe, l’enseignement théologique et philosophique dans la Compagnie de Jésus, il suffit de jeter un coup d’œil sur les titres des règles particulières des professeurs, car elles sont distinguées et dénommées d’après la diversité des chaires ou, ce qui revient au même, des matières enseignées. Multiples sont ces matières : en théologie, l’Écriture sainte, l’hébreu, la théologie scolastique, l’histoire ecclésiastique, le droit canonique, la morale ou cas de conscience ; en philosophie, la logique, la métaphysique, la morale, la physique et les mathématiques.

1. Les professeurs de ces diverses sciences doivent se considérer non comme indépendants les uns des autres, mais au contraire, comme tendant de conserve à un même but : la formation complète des étudiants comme hommes et comme chrétiens. C’est en fonction de la solidité de doctrine requise pour l’obtention de ce but commun, qu’ont été rédigées la deuxième et la troisième des Regulæ pro deleclu opinionum in theologia. — 2. Que dans l’enseignement on ait d’abord soin de corroborer la foi et de nourrir la piété. En conséquence, dans les questions que saint Thomas n’a point traitées ex professo, il ne faut rien avancer qui ne soit en parfait accord avec le sentiment de l’Église et les traditions reçues. Il ne faut pas réfuter les raisons, même de simple convenance, dont on se sert communément pour établir les vérités de la foi, ni en proposer de nouvelles à la légère, mais seulement en s’appuyant sur des fondements solides. — 3. Même quand il n’y a pas danger pour la foi et la piété, personne ne doit, clans les choses de quelque importance, introduire dos questions nouvelles ni une opinion quelconque qui ne serait pas d’un auteur compétent, idonei auctoris, sans avoir préalablement consulté les supérieurs, ni rien affirmer contre les idées reçues par les théologiens ou contre le sentiment commun des écoles ; mais que tous suivent les docteurs les plus autorisés et les doctrines qui seront, de leur temps, les plus communément admises dans les universités catholiques. »

Ces règles concernent directement ceux qui font partie de la faculté théologique, et la dernière est reprise dans les règles communes aux professeurs des facultés supérieures, n. C. D’ailleurs la préoccupation d’harmoniser l’enseignement par l’orientation de Imites les parties vers le but commun réapparaît souvent dans les règles particulières. Recommandation est faite aux professeurs d’Écriture sainte d’exposer, d’une manière non moins pieuse que savant et grave, le sens propre et littéral des lettres sacrées. pour confirmer ainsi la vraie foi en Dieu et les fondements des bonnes mœurs (règle 2) ; de marcher respec tucu.sement sur les traces des saints Pères (règle 7) ; de ne pas nier la valeur d’une preuve scripturaire qui aurait pour elle l’assentiment de la plupart des Pères el dis théologiens (règle 8), etc. On demande au pin fesseur d’histoire ecclésiastique de faire son cours de manière à faciliter à ses élèves l’élude de la théologie el à imprimer vivement dans leurs esprits les vérités ou dogmes de la foi (règle 1). Aux professeurs de philosophie, on rappelle d’abord que cette science est une préparation a la théologie et autres disciplines, qu’elle contribue non seulement à les faire connaître parfaitement, mais à s’en servir, et que par elle-même elle aide à la culture de l’intelligence et au perfectionnement de la volonté. Les professeurs devront donc traiter cette matière de telle sorte qu’ils préparent réellement leurs disciples aux autres sciences, principalement à la théologie, qu’ils les munissent des armes de la vérité contre les errements des novateurs, et surtout qu’ils développent en eux l’amour de leur Créateur (règle 1). En outre, dans les Regulse pro deleclu opinionum pro philosophis (règle 4), plusieurs des prescriptions énoncées d’abord pour l’enseignement théologique, notamment les deux citées plus haut, sont reprises et adaptées à l’enseignement philosophique.

En somme, d’après le Ratio sludiorum traduisant en règles la pensée de saint Ignace, les diverses sciences enseignées en théologie et en philosophie forment un tout moral, dont les parties ont le caractère de moyens distincts, mais hiérarchisés en vue d’un but commun. Dans cet ensemble, une prépondérance marquée revient à la théologie dogmatique, d’après le temps qui lui est consacré : quatre années d’études comportant, chaque semaine, quatre ou cinq heures de classes, matin et soir, sans compter les exercices communs, comme répétitions ou disputes scolastiques.

2° L’adoption de saint Thomas d’Aquin comme docteur propre. — Le fondateur de la Compagnie de Jésus avait statué qu’en théologie scolastique on expliquerait la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin. Il voulait par ce choix, veiller à la sûreté et à l’unité de doctrine. Mais il n’avait énoncé l’obligation de suivre le docteur angélique que d’une façon générale et après avoir posé comme règle première qu’en toute faculté il fallait suivre la doctrine la plus sûre et la plus communément reçue, securiorem et magis approbatam doclrinam. » Il n’avait intimé l’uniformité que sous ce tempérament : dans la mesure du possible, quantum fieri poterit. Des interprétations diverses pouvaient se produire et se produisirent en réalité. A l’époque où le P. Aquaviva lit commencer les travaux en vue du Ratio sludiorum trois attitudes se manifestaient nettement. Un certain nombre tendaient à une uniformité rigoureuse et proposaient, dans ce but, l’acceptation pure et simple de la doctrine de saint Thomas, à l’exception d’un ou deux points. Cette attitude avait des représentants en Espagne, au témoignage du P. Aquaviva. dans une lettre adressée au P. Salmcron, le 29 septembre 1582. C’est l’opinion supposée et combattue par Bellarmin dans la pièce intitulée : De sententia cujusdam qui sanctum Thomam nno solo tirliculo exempto sequendum censuil, pièce que j’ai publiée dans Bellarmin avant son cardinalat, Paris, 1911, p. 525. L’anonyme réfuté ici paraît être le P. Alonso Deza qui, dans la IV 8 Congrégation générale, avait fait partie de la commission nommée <td confleiendam /ormulam sludiorum. Voir R. de Scorraille, Français Suarcz, Paris, 1912, p. 212, 223.

Une attitude tout opposée existait. Certains concluaient, des paroles de saint Ignace, à la nécessité d’expliquer eu classe le lexte de la Somme théologique, mais niaient qu’il y eût par le fait même obligation de suivre la doetrine. Ils réclama eut le droit de contrôler les assertions et de les admettre ou de les rejeter « toutes les fois qu’ils verraient a rencontre une raison solide ou cles auteurs respectables. » A. Astrain, Ilisluria, I. iv. ]). 30. Peut-être les mêmes demandaient-ils, comme il est dit dans le Commentariolus du Ratio de 1581), qu’on se contentât de quelques règles gêné

raies sur l’orientation de l’enseignement, sans entrer

dans le détail des opinions. Pæhtler, Ratio studiorum.

Lntre ces deux attitudes extrêmes, chacune eu sa façon, il y en avait une autre, moyenne et modérée. On la trouve soutenue dans trois écrits provenant de personnages de grande autorité, Salmeron, Bellarmin, et Maldouat. Consulté par Aquaviva, Alphonse Salmeron, l’un des dix premiers compagnons de saint Ignace, exposa son avis dans une lettre datée du 1 er septembre 1583. Epistolæ P. Salmeronis, t. ii, p. 709, dans Monuinenta hislorica S. J. L’uniformité absolue dans l’enseignement théologique et philosophique lui paraît un idéal séduisant, mais que l’expérience démontre irréalisable ici-bas. Il y aurait, pour la Compagnie de Jésus, des inconvénients à s’attacher si étroitement à un seul auteur, qu’elle ne jurât plus que par lui. Saint Thomas est incontestablement le maître parmi ceux qui ont le mieux traité les matières théologiques ; en se pénétrant bien de sa doctrine on ne peut manquer de devenir un théologien solide et vraiment catholique. Il n’en est pas moins vrai qu’on rencontre chez lui des assertions qui ne sont pas communément admises par les autres et qui ne conviennent pas à notre époque ; il ne serait donc pas à propos d’obliger les nôtres à les soutenir toutes, d’autant plus que les dominicains eux-mêmes ne s’y sont pas astreints. Fn parlant ainsi Salmeron pouvait avoir en vue les maîtres de Salamanque comme François de Victoria. Melchior Cano et Dominique de Soto qui, dans leur enseignement et dans leurs écrits, suivaient saint Thomas d’une façon plus large que ne le firent plus tard VolinætBanez. Voir F. Ehrle, Die pâpstliche Encyklika vom 4. Augusl 1879 dans Stimmen aus Maria-Laach, 1880 t. xviii. p. 392, note 1, 355 sq. ; L. Mahieu François Suarez. Paris. 1921, p. 32-35. Deux écueils sont à éviter : d’un côté, admettre les plus faibles arguments d’un auteur, par égard pour les solides raisons qu’il a pu donner ailleurs ; de l’autre, rejeter les bonnes preuves, parce que l’auteur en aura donné de faibles L’obligation d’avoir la Somme théologique pour texte de notre enseignement n’entraîne pas celle de suivre sa doctrine en tout, pas plus qu’en philosophie l’obligation d’expliquer le texte d’Aristote n’entraîne celle de le suivre en tout. Visons d’abord à une doctrine solide, inébranlable, d’où qu’elle vienne. Qu’on veille à ce qu’aucun esprit trop libre ou friand de nouveautés ne se mette à créer des doctrines nouvelles, c’est-à-dire se rattachant par quelque point à celles des hérétiques ou contredisant les premiers principes communément reçus dans les écoles en philosophie et en théologie. Il ne semble pas à propos de dresser un catalogue de propositions prohibées : « on l’a déjà fait, et l’on s’en est mal trouvé. » Du moins, si l’on se décide pour un catalogue de ce genre, qu’il renferme un très petit nombre de propositions, « pour qu’on ne puisse pas dire que nous voulons resserrer l’esprit humain dans des limites trop étroites, et condamner par anticipation des pensées ou des propositions que l’Église n’a point proscrites. » Contentons-nous de rester dans les bornes tracées par les saintes Écritures et les délinitions de l’Église, des pontifes ou des conciles.

Vers la même époque, Aquaviva fit examiner par Bellarmin l’écrit, cité plus haut, où l’on proposait d’imposer aux professeurs de la Compagnie l’obligation de suivre saint Thomas en tout, à l’exception du seul point de la conception de Marie. L’illustre controversiste répondit qu’à sonavis.il fallait imposer saint Thomas à tous comme l’auteur commun, tanquam communis auctor, mais sans ajouter l’obligation de suivre ses idées en tout. La mesure serait, en elle même, moins bonne : car, malgré la supériorité ou l’excellence relative de saint Thomas, on ne peut pas nier qu’en certains points, si peu nombreux soient-ils, d’autres n’aient mieux traité les questions. « Si donc il est licite de prendre dans chaque auteur ce qu’ily a de mieux, pourquoi nous priverions-nous de cet avantage ? » Considération plus valable encore, quand le sentiment contraire à celui de saint Thomas est en même temps plus sûr et plus avantageux pour la foi chrétienne ; ce qui paraît être le cas en plusieurs problèmes. Moins bonne en elle-même, la mesure proposéeserait, en pratique, d’exécution difficile et peut-être impossible. Car elle se heurterait à la manière de voir et d’agir de la plupart des maîtres de la Compagnie. Pourrait-on, sans porter atteinte à leur dignité, les forcer brusquement à enseigner, sur un certain nombre de points, le contraire de ce qu’ils ont enseigné jusqu’ici ? Par ailleurs, la mesure ne paraît pas nécessaire. On met en avant la sûreté de la doctrine et l’union des esprits, si vivement recommandées par saint Ignace. La sûreté de la doctrine peut s’obtenir autrement ; il suffit que, d’un côté, on soit tenu de suivre saint Thomas ordinairement et que, de l’autre, on dresse deux catalogues contenant les opinions du saint docteur dont nous nous écartons, puis celles qui semblent plus probables ou du moins aussi probables que les siennes, et qui seraient déclarées libres. Quant à l’unité des esprits, il faut assurément y tendre de toutes nos forces, mais sans prétendre aller au delà de ce qui est possible icibas, à savoir de s’entendre sur les points où le désaccord entraînerait danger d’erreur pernicieuse. Aussi bien la recommandation de notre bienheureux père Ignace est-elle formulée d’une façon non pas absolue, mais relative, quoad ejus fieri poterit. Bref, « qu’on reçoive saint Thomas comme notre auteur habituel et commun, tanquam ordinarius et communis auctor, mais en exceptant un certain nombre d’opinions. »

Cette manière de voir fut également celle des autres processeurs du colFge romain, consultés par Aquaviva en 1582. Voir X. M. Le Bachelet Bellarmin avant son cardinalat, Paris 1911, p. 500.

Maldonat émit le même sentiment dans l’écrit De ratione theologise et sacrée Scripturse docendee, écrit dont la date n’est pas donnée, mais qu’il semble avoir composé en 1591, comme membre de la commission instituée dans la IVe Congrégation générale. D’après lui, saint Thomas est l’auteur qu’il faut tout d’abord enseigner dans nos chaires : nos Constitutions l’exigent, il l’emporte sur tous les autres théologiens ; sa doctrine a reçu plus que toute autre l’approbation de l’Église. Mais l’obligation ne doit pas être imposée d’une façon si étroite qu’on ne puisse s’écarter de lui en quelques points, nonnullis in rébus. D’ailleurs, les maîtres doivent avoir soin d’affectionner leurs élèves au saint docteur, dont ils expliqueront le texte. Monumenla peedagogica, p. 864, 866.

Aquaviva goûta l’avis exprimé dans ces pièces, comme on le voit par la réponse qu’il fit à Salmeron, le 29 septembre 1582 : « J’ai lu avec plaisir le jugement de votre Révérence relatif aux opinions et à la doctrine des nôtres, jugement conforme à ce que je pensais moi-même. » EpistolæSalmeronis, Monum.liist., t_.ii, p. 716. Le général s’inspira en effet de ces sentiments dans la lettre adressée aux provinciaux en septembre de la même année ; parmi les six règles qu’il y formula pour diriger provisoirement les professeurs dans le choix des opinions, la première était ainsi conçue : « sans juger qu’on doive interdire aux noires, dans renseignement de la théologie les opinions des autres auteurs quand elles sont plus probables et plus communément reçues que celles de saint Thomas, l’autorité de ce maître, la sûreté de sa doctrine, l’approbation plus générale dont elle jouit et les recommanda

t.’ons de nos Constitutions relatives à la sûreté de la

doctrine, nous font cependant un rigoureux devoir de le suivre habituellement. C’est pourquoi toutes ses opinions, quelles qu’elles soient (excepté celle qui concerne la conception de la sainte Vierge) pourront être défendues, et même on ne devra s’en écarter qu’après mûr examen et pour de graves raisons, i Pachtler, Ratio studiorum, t. ii, p. 12.

De leur côté, les six Pères chargés de préparer le Ru tio studiorum se prononcèrent sur la même question, l)c opinionum delectu in theologica facullate, Pachtler, op. cit., i. n p. 30-31. Ils maintinrent d’abord, quant a la substance, les six règles générales de saint François de Borgia ; vient ensuite cette prescription : « En théologie les nôtres suivront la doctrine de saintThomas, à l’exception d’un petit nombre d’opinions qui, tout en étant ou en paraissant être de saint Thomas, peuvent cependant être contredites sans danger et avec grande probabilité ; les supérieurs pourront donc permettre à ceux qui le voudraient, de défendre le contraire en vue d’exercer les esprits et de provoquer une recherche plus approfondie de la vérité. » Suivait rénumération des propositions laissées ainsi libres. La règle 6e complétait la matière en défendant de s’écarter de saint Thomas dans les points non exceptés.

En vue d’obtenir l’unité de doctrine, deux catalogues avaient été dressés par les membres de la commission. Ils contenaient : l’un, les opinions laissées à la libre discussion, libcræ ; l’autre, les propositions dites obligatoires, definilæ. Les propositions énoncées dans ce double catalogue s’élevaient au chiffre considérable de 597. Les professeurs du Collège romain critiquèrent vivement ce travail soumis à leur appréciation : à leur avis, beaucoup de propositions étaient déclarées obligatoires sans fondement suflisant ; en revanche, parmi les opinions dites libres, il y en avait beaucoup trop de contraires à saint Thomas, Bellarmin en comptait jusqu’à 77, dont quelques-unes lui semblaient importantes. Le Bachelet, Bellarmin avant son cardinalat, p. 510. 515. Ces critiques eurent leur effet ; si le double catalogue fut maintenu dans le Ratio de 1586, le nombre des propositions lut réduit de près des deux tiers ; au lieu de 597, il n’y en avait plus que 202, dont 67 dites facultatives, liberté, et 104 obligatoires, definitæ. Pachtler, op. cit., t. ii, p. 32, 205.

Des attaques plus graves, se produisirent. Henri Henriqucz, alors transfuge de la Compagnie, dénonça le Ratio, comme opposé à saint Thomas, dans un mémoire présenté à l’Inquisition d’Espagne, le 20 octobre 1586. Astrain, op. cit., t. iii, p. 407. L’affaire n’eut pas de suite, d’autant que le Ratio, soumis à l’Inquisition de Rome, sortit indemne de l’examen. Cf. Bellarmin avant son cardinalat, p. 497. Le double catalogue de propositions fut maintenu dans l’édition de 1591, ou plutôt dans le supplément publié l’année suivante sous ce titre : Circa ordinan studiorum Societidis, propositionum catalogi duo : cdlcr dc/initarum ex Summa sancti Thomæ, liberurum aller. Au début se trouvaient six règles générales, De opinionum delectu, précédées d’une courte préface. Le Père général y disait, (’litre autres choses, qu’il avait paru bon de prescrire aux professeurs de suivre en théologie la doctrine de saint Thomas, sans cependant leur ôter le droit « de s’écarter parfois de saint Thomas à la condition que la chose fût rare et justifiée, que l’opinion préférée eût en sa faveur des auteurs graves et approuvés et qu’en outre elle parût au professeur plus propre à défendre les points communément admis, modo id raro et ex causa flot, et opinio quam sequentur habeat graves et probatos auctores, videaturque lectori factlior ad defendenda munis recepta.

Même ainsi délimitée et restreinte, la permission écarter parfois de saint Thomas semblait encore

trop large à quelques-uns. dont Bellarmin. Sur ces entrefaites, la Y’Congrégation générale fut convoquée ; elle s’ouvrit le 3 novembre 1593. Dans l’audience dont il en gratifia les membres, Clément VIII récemment monté sur le trône pontifical manifesta le désir de voir la Compagnie de Jésus s’attacher étroitement à la doctrine de l’Ange de l’École. Ce fut sous l’influence de ces divers motifs que les membres de la commission spéciale, nommée par Aquaviva et confirmée par les Pères de la Congrégation rédigèrent un certain nombre de règles générales.

D’abord, quatre faisant suite à une préface portaient sur l’obligation et la manière de suivre saint Thomas. « 1. Que les nôtres considèrent saint Thomas comme leur docteur propre, ni proprium doctorem habeunt, et qu’Us soient tenus de le suivre en théologie scolastique ; car les Constitutions nous le recommandent et le souverain pontife Clément VIII en a exprimé le désir. En outre, comme d’après les Constitutions nous devons, dans la Compagnie, nous attacher à la doctrine d’un seul et même auteur, il n’en existe pas actuellement chez qui l’on puisse trouver une doctrine plus solide et plus sûre, ce qui fait que saint Thomas est justement regardé comme le prince des théologiens. — 2. Cette obligation ne doit pas cependant s’entendre si rigoureusement qu’on ne puisse s’écarter en quoi que ce soit du saint docteur, puisque ceux-là mêmes qui se disent plus particulièrement thomistes, s’en écartent parfois et qu’il ne serait pas équitable d’astreindre les nôtres à suivre le saint docteur d’une façon plus étroite que les thomistes. — 3. Dans les questions purement philosophiques, comme dans celles qui se rapportent aux saintes Écritures et au droit canonique, on pourra suivre également les autres auteurs qui ont traité ces matières d’une façon plus expresse, magis ex professo. — 4. D’ailleurs, pour qu’on ne puisse pas prendre de là occasion pour abandonner à la légère la doctrine de saint Thomas, il faudrait, semblc-t-il, prescrire de n’appliquer à l’enseignement de la théologie que des gens véritablement affectionnés à la doctrine de saint Thomas, car si quelqu’un est véritablement attaché à saint Thomas, on peut être certain qu’il ne s’écartera de lui qu’à contre-cœur et très rarement, nisi gravate admodum et rarissime. »

A ces prescriptions s’en ajoutèrent d’autres dans les règles pour le choix des opinions : « 1. Que nos professeurs suivent en théologie scolastique la doctrine de saint Thomas, et que désormais nul ne soit promu à l’enseignement de la théologie s’il n’est véritablement affectionné à saint Thomas ; quant à ceux qui ne lui seraient pas affectionnés ou qui lui seraient opposés, qu’on les écarte des chaires de théologie. Mais sur la conception de la bienheureuse Marie et sur la solennité des vœux, qu’on suive la doctrine qui, de nos jours, est plus commune et plus généralement approuvée des théologiens. — 5. Dans le cas où la pensée de saint Thomas serait ambiguë, comme dans celui où les docteurs catholiques seraient divisés sur des questions que le saint docteur n’aurait point traitées, les nôtres pourront suivre à leur gré l’un ou l’autre parti, à la condition de défendre leur opinion avec modestie et bienveillance, en respectant l’autre et. à plus forte raison, en sauvegardant l’autorité du professeur qui a précédé, s’il avait soutenu le contraire. Et même s’il y avait moyen de concilier les divers auteurs, il serait souhaitable qu’on ne négligeât pas de le faire, i

Les mêmes principes se retrouvent, avec les modifications nécessaires, dans les règles pour le choix des opinions en philosophie : « 1. Que dans les choses de quelque importance, les professeurs de philosophie ne s’écartent pas d’Arislole. sauf le cas OÙ lui-même serait en désaccord avec les doctrines universellement

reçues dans les universités, à plus forte raison s’il était en contradiction avec la foi orthodoxe ; car, lorsque les arguments de ce philosophe ou de tout autre vont contre la foi. on doit prendre soin de les réfuter vigoureusement, suivant la prescription du concile de l.atran. »

Une autre règle tendait à prémunir les maîtres contre les commentateurs d’Aristote qui ont démérité de la religion chrétienne ; il ne faut les lire et les utiliser en classe qu’avec beaucoup de réserve et en veillant à ce que les élèves ne s’y affectionnent point. Même préoccupation dans la règle troisième, qui complète et précise la précédente : « Qu’ils ne s’inféodent pas et n’inféodent pas leurs disciples à une secte quelconque, comme celle des averroïstes, des alexandrins et autres semblables ; qu’ils ne dissimulent pas les erreurs d’Averroès ou des autres, mais qu’ils en profitent plutôt pour diminuer d’autant leur autorité. Au contraire qu’ils parlent toujours de saint Thomas en termes honorables, lionorifi.ee ; qu’ils le suivent de grand cœur, quand il le faut, et dans le cas où son opinion leur plairait moins, qu’ils ne s’en écartent que d’une façon respectueuse et comme à regret. »

Toutes ces règles furent approuvées par les membres de la Ve Congrégation générale et insérées dans les Actes, décret 41 et 56. Elles furent utilisées dans le Ratio studiorum, non pas en bloc, mais par parties. La plupart se trouvent dans les Regulæ communes omnibus professoribus superiorum facullalum, 5, G, dans les Regulæ pru/essoris scholasticæ théologies, 2-5, et dans les Regulæ professoris philosophiæ, 2-6 ; d’autres ont passé dans les règles des supérieurs chargés de diriger et de surveiller les études : Reg. provincialis, 9, § 3 ; Reg. prxfecti studiorum, 4. Enfin, on jugea préférable de s’en tenir aux principes généraux contenus dans ces règles, sans entrer dans le détail des opinions : le double catalogue des Propositions definitx ou libérée, inséré dans la première et la seonde rédaction du Ratio studiorum. disparut de la troisième, seule définitive et officielle.

De tout ce qui précède deux conclusions ressortent nettement. Prise dans son ensemble, cette législation de l’enseignement théologique et philosophique témoigne d’une grande estime pour saint Thomas et d’un attachement à sa doctrine réel, quoique non servile ni exclusif. Des trois attitudes qui ont été signalées ci-dessus, les deux extrêmes furent rejetées ; l’opinion moyenne triompha, mais avec des réserves tendant à prévenir l’abus possible d’une certaine latitude qu’on croyait devoir laisser aux maîtres, pour ne pas les priver du droit commun résumé dans l’adage : In dubiis liberias, et pour ne pas éteindre en eux l’initiative personnelle et la tendance au progrès. La suppression du double catalogue des propositions, dites facultatives ou obligatoires, devait plaire aux partisans de la liberté, mais elle favorisait aussi ceux qui désiraient suivre saint Thomas d’une façon plus étroite.

L’autre conclusion, c’est que la Compagnie de Jésus n’entend pas avoir une t héologie qui lui soit particulière ; elle s’en tient, en général, à la théologie communément reçue, et, plus particulièrement, à la théologie telle qu’elle est enseignée et expliquée par saint Thomas. Les réserves faites e.r professo, au sujet de la conception de Marie et de la solennité des vœux, ne constituaient ni une théologie ni même des opinions qui, ’te époque-là. fussent propres aux théologiens jésuites car depuis longtemps les franciscains et beaucoup d’autres soutenaient l’immaculée conception, et de nombreux canonistes n’admettaient pas la doctrine du docteur angélique sur la solennité des vaux. Il ne saurait donc être question de théologie jésuitique que dans un sens relatif et très impropre, en entendant

DICT. DE THÉOL. CATHOL

par là certaines doctrines caractéristiques que l’ordre a fait délibérément siennes, à une époque postérieure à la rédaction du Ratio studiorum. L’importance du fait demande qu’on le signale d’une façon précise.

IV. Les directives concernant la doctrine de la grâce. — 1° Le molinisme, comme doctrine officielle dans la Compagnie de Jésus. — Une distinction importante s’impose. Par molinisme on peut entendre, dans un sens général et large, certaines opinions du théologien espagnol, Louis de Molina, qui furent déférées à Rome, puis longuement examinées et discutées ; propositions relatives aux forces de la nature déchue, à la distribution des grâces, à la nature du concours divin, de la prédestination, etc., etc. Pris dans ce sens large, le molinisme n’a jamais été une. doctrine commune et ollicielle dans la Compagnie de Jésus. Si, durant la controverse de auxiliis, les avocats de Molina défendirent les propositions dénoncées, ce fut dans un sens relatif, en repoussant l’accusation d’hérésie ou de pélagianisme portée contre elles ; ce ne fut pas dans un sens absolu, comme s’ils eussent admis au nom de l’ordre toutes ces assertions ; ils convenaient, au contraire, que quelques-unes étaient moins ou peu probables.et Bellarmin aurait volontiers admis qu’on les prohibât. Le Bachelet, Auctarium Bellarminianum, p. 24, 179. Plus tard encore, dans l’enquête de 1612-1613, le P. Lancicius conseillait d’éviter celles de ces propositions qui avaient été gravement censurées par les adversaires et que nos théologiens n’avaient défendues que par esprit de charité, quas ex charilate noslri dejenderunl, non quod eas probarent.

Dans un sens spécial, plus restreint, on peut entendre par molinisme le système particulier, proposé par Molina dans le De concordia liberi arbitrii cum gratiee donis, divina preescientia, providenlia, prædestinatione et reprobatione, publié à Lisbonne en 1588 et tendant à concilier l’elRcacité de la grâce avec la liberté humaine C’est là ce que les théologiens jésuites admirent communément et ce que, au début de la controverse de auxiliis, Aquaviva se déclara prêt à défendre au nom de tout l’ordre. Le système comprenait, sous son aspect négatif, le rejet de la grâce dite efficace ab inlrinseco, c’est-à-dire d’une grâce qui par elle-même, par sa propre entité, aurait une connexion infaillible avec la position de l’acte libre, en vertu d’une motion physique qui prédéterminerait la volonté à l’acte voulu et réalisé par Dieu. Sous son aspect positif, le molinisme posait une grâce efficace ab extrinseco, c’est-à-dire en fonction d’un élément extrinsèque, la science moyenne ou connaissance que, dans une antériorité logique à ses décrets absolus. Dieu possède de tous les futurs conditionnels, y compris les actes libres que les créatures poseraient si elles se trouvaient placées sous l’influence de telle ou telle grâce, dans telles ou telles circonstances.

Les deux systèmes en conflit entraînaient des divergences multiples dans la manière de concevoir, non seulement l’efficacité de la grâce et l’adhésion de la volonté libre, mais encore la nature du concours divin en général, le jeu et les forces de la volonté créée, considérée en elle-même ou dans son exercice, etc., divergences énumérées, au cours de la controverse, dans un écrit qui fui présenté à Paul Y, voir Astram, op. cit., t. iv, p. 800, et qui lui plut beaucoup, au témoignage du cardinal de Lugo dans un traité inédit De gratia.

D’où vient l’adhésion commune des théologiens jésuites au molinisme, dans le sens qui vient d’être précisé ? Peut-on [’attribuer exclusivement a une réaction d’ordre corporatif, qui aurait été provoquée par les attaques portées contre le livre’le Molina et par L’âpre controverse qui s’ensuivit ? Les faits s’opposent

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    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. LA DOCTRINE DE LA CRACK

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â une telle interprétation. Dans son cours de Louain, plusieurs années avant la publication du De concordia, Bellarmin enseigna, connue il le rappelait lui-même en 1587, cju’il ne fallait pas concevoir la grâce efficace comme une détermination de la volonté produite par Dieu, mais comme un appel fait, sous la prescience divine, d’une manière propre à obtenir le consentement de la volonté, vocationem, prout apti pravidebantur ad sequendum qui vocabantur, Le Bachelet. Bellarmin avant son cardinalat, p. 175. Après avoir lu dans les commentaires de Bafiez sur la I™ partie de la Somme, q. xxvii, la doctrine de la grâce efficace par elle-même et de la prédétermination physique, Lessius écrivit au grand controversiste, le 2’. » décembre 1587 : Novit R. V. quod illa opinio sit perniciosa : rogo eryo ut illam lotis viribus impuynet, et suam ex Scripturis ci l’atribus stabiliat. Jbid., p. 1711. Ce que Bellarmin lit dans le dernier volume de ses Controverses, De yratia et libero arbitrio, I. IV, c. mv. De son côté, le 1’. Grégoire de Valence, professeur à Dillingen et a [ngolstadt, avait soutenu la même doctrine, reprise dans ses Commentariilheologici, 1. 1.

Ce dont il faut tenir compte pour comprendre l’entente commune des théologiens jésuites, c’est bien plutôt t’influence exercée sur eux par l’avertissement qu’avait donné leur fondateur dans la 17e règle d’orthodoxie Saint Ignace dit : « Ne nous arrêtons pas et n’insistons pas tellement sur l’cllicacité de la grâce, que nous tassions naître dans les esprits le poison de l’erreur qui nie la liberté. Sans doute il est permis de parler de la foi et de la grâce, autant qu’il est possible de le faire avec le secours divin, pour la plus grande louange de la divine Majesté ; mais il ne faut pas le faire, surtout en des temps si difficiles, de telle manière que Us œuvres et le libre arbitre en reçoivent quelque préjudice ou soient regardés, celui-ci comme un vain mot et celles-là comme inutiles. » L’efïort des théologiens jésuites, visiblement inspiré par une réaction nécessaire contre le calvinisme, alla donc à sauvegarder pleinement le libre arbitre, et c’est L’incompatibilité qui leur sembla exister entre la prédétermination physique et la notion vulgaire du libre arbitre, qui leur lit rejeter la grâce efficace ab intrinseco, inféodée â la prédétermination physique. Ce faisant, ils ne prétendaient pas s’écarter de la doctrine de saint Thomas : car ils trouvaient chez lui des passages multiples qui leur semblaient exclure, quand il s’agit des actes libres, la prédétermination physique ad unum. Si quelques-uns d’entre eux, comme Bellarmin, estimaient que la doctrine de saint Thomas suppose une prémotion physique, ils n’identifiaient pas les idées de prémotion et de prédétermination, mais les oppo saient l’une ; > l’autre.

En fait, les théologiens de la Compagnie de Jésus ^accordaient et s’accordent encore sur ces points : rejel de la prédétermination physique < ; </ unum ; attribution à Dieu d’une connaissance des actes libres tuturibles indépendante de décrets absolus ; réalisation de celle science, dite moyenne, pour expliquer comment la grâce donnée par Dieu peut avoir une connexion objective Infaillible avec la position de L’acte libre prédéfini, formellement ou virtuellement. L’opposition que divers auteurs ont cru trouver, sous ce rapport, entre le molinisme proprement dit et le cor gruisme, suarézien ou bellarmlnien, est fictive : elle repose, comme nous allons le voir, sur une confusion deux questions réellement distinctes, quoique’il’NCS.

2° Aquavtva : enquête de 1612-1613, et décret sur la grâce efficace. Les règles pro delectu opintonum fixées dans la Y" Congrégation générale et in : dans le Ratio studiorum, Laissaient aux professeurs une

Certaine latitude en ce (pu concernait l’obligation de

suivre saint Thomas dans le cas où ce docteur n’aurait pas traité une question, ou ne l’aurait pas traitée ex professa, ou l’aurait traitée d’une façon qui laissât sa pensée indécise. Dans ces conditions, il était moralement impossible qu’il n’y eût plus du tout de divergences ; île fait, il y en eut, qui donnèrent lieu â des attaques ou â des plaintes. Homme d’autorité et d’action. Aquaviva eu était préoccupé ; il rêvait d’une uniformité de doctrine plus rigoureuse et le moyen de l’obtenir lui semblait être dans une adhésion plutôt stricte â la doctrine de saint Thomas Dans une instruction sur la revision des livres, 21 juin 1604, il disait : « Dès qu’on constate qu’une doctrine est opposée â saint Thomas, cela suffit, on ne doit pas la laisser passer ; c’est le décret de la Congrégation compris comme l’entend Sa Sainteté. » Dans diverses lettres relatives à certaines divergences entre Suarez et Vasquez, il manifesta son déplaisir moins pour le fond des choses, semble-t-il. que pour l’obstacle mis â l’uniformité de doctrine telle qu’il l’aurait souhaitée. R. de Scorrailles. François Suarez, t.i. p. 305 sq.

Aquaviva en vint â se demander s’il ne serait pas urgent, pour mieux assurer l’unité, de renforcer les mesures déjà prises. Le 24 mai 1611, il écrivit aux provinciaux une lettre De soliditale et unijormilale doctrina’. Il y rappelait combien ces deux choses, la solidité el l’unité de la doctrine, étaient nécessaires pour le service de la sainte Église, le bon renom de la Compagnie et l’union et charité fraternelles. Il rappelait ce qu’il avait fait personnellement et ce qu’avait fait la Ve Congrégation générale pour obtenir ce résultat, en particulier le décret sur l’obligation de suivre la doctrine de saint Thomas. Il avait espéré que cette mesure serait efficace, mais l’expérience semblait démontrer le contraire. Il se trouvait des professeurs, avait-il appris, qui prétendaient avoir le droit d’avancer une opinion dès lors qu’on no pouvait la taxer d’erreur et qu’ils se sentaient capables de la défendre ; sentiment dont certains réviseurs s’étaient autorisés pour laisser passer indûment beaucoup de choses, < comme si la solidité et l’unité de la doctrine requéraient seulement qu’on pût la venger de toute erreur. » D’autres pensaient qu’il suffit de s’accorder sur la doctrine et les conclusions, tout en permettant dans les preuves utilisées une grande variété, propre d’après eux : i exercer les esprits.

A toutes ces vues, Aquaviva opposait l’obligation de suivre saint Thomas, en ajoutant cette remarque importante : i Autre chose est de s’écarter de ce docleur dans telle ou telle conclusion appuyée sur l’autorité de maîtres anciens et graves, ce qui semble permis par le décret -Il de la V Congrégation générale : autre chose est de faire cela dans des questions importantes et servant de fondement à plusieurs autres. »

En conséquence, Aquaviva demandait aux provinciaux de désigner, chacun dans son ressort, quelques Pères choisis parmi les plus graves et les plus doctes, et de délibérer avec eux sur les moyens plus efficaces qu’on pourrait prendre pour mieux assurer désormais L’unité de doctrine. Ces instructions furent suivies, et les résultats de l’enquête commune parvinrent à Home ; ils forment un gros cahier de près de 210 pages in-i", intitulé : De uniformitate etsolidilate doctrina in societate procuranda, judicio omnium prooinciarum, 1613. Un résumé l’ait par le secrétaire de la Compagnie et comprenant 1 I points, permet de se rendre aisément compte des mesures proposées. Aquaviva examina le

tout, exprima même son approbation ou sa désapprobation par quelques mots mis â la marge, puis publia, le i i décembre 1613, l’ordonnance De observanda Ratione si ml imam deque doctrina S. Thomee sequenda.

Le préambule de ce document contient des allusions L02

JÉS1 I ri’.s. LA DOCTRINE DE 1. GR ^CE

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multiples aux divers moyens suggérés par les pères consultés.

Un certain nombre étaient revenus au système déjà essayé des catalogues d’opinions et d’un texte commun. Ils proposaient d’envoyer aux provinces la liste des questions OU des opinions au sujet desquelles l’uniformité paraissait an défaut, et de prendre làdessus l’avis des Pères les plus graves ; ou bien d’envoyer un catalogue plus développé des opinions certaines ou probables, imposées ou prohibées. Ce catalogue serait soumis à la revision et à l’approbation de la prochaine Congrégation générale, à moins que le général ne traitât l’affaire avec un ou deux Pères de chaque province, les décisions étant prises à la pluralité des voix. La mesure était proposée comme devant s’appliquer non seulement à la théologie scolastique, mais encore, dans les choses de quelque importance, à la théologie morale et au droit canonique. D’autres souhaitaient qu’on lit rédiger dans toutes les provinces un abrégé de théologie, composé de conclusions extraites de saint Thomas avec leurs fondements principaux. On demandait pareillement qu’on fît une Somme de théologie morale, et qu’on composât un cours de philosophie d’après saint Thomas, qu’on imprimât les commentaires de ce docteur sur Aristote et qu’on les mît aux mains des étudiants, pour qu’ils les lussent conjointement avec les commentaires de Tolet et ceux de Coïmbre. Autant de mesures d’ordre réglementaire ou disciplinaire qu’Aquaviva semble viser dans sa lettre quand il parle de moyens qui entraîneraient des délais trop longs, aliqua diuturniorem moram poslularenl. Il savait, du reste, par expérience le peu de résultat pratique que ces moyens artificiels avaient donné et quels inconvénients ils pouvaient présenter. Maintenant encore, il lisait, dans les remarques reçues, des avertissements de ce genre : « Il faut prendre garde d’aller à la hâte en imposant des propositions, pour n’être pas obligé ensuite de se rétracter, comme la chose est arrivée dans certaines universités, et aussi pour ne pas exciter contre nous des ordres ou des corps enseignants qui profiteraient de cela pour traiter notre doctrine de jésuitique et pour la rejeter, comme n’étant pas la leur. » Ou encore : « Il faut prendre garde de ne pas trop restreindre la liberté d’opinion, de peur que l’élan ne se refroidisse chez les professeurs, et qu’ils ne se contentent de dire, sans rien contrôler par eux-mêmes : lia Suarcz, ila Vasquez, ou qu’ils n’en arrivent à s’en tenir purement et simplement aux écrits de leurs prédécesseurs. » Ces remarques devaient impressionner Aquaviva, car, s’il désirait ardemment l’uniformité, il n’entrait nullement dans &a pensée d’éteindre dans les professeurs l’initiative et de plonger les études elles-mêmes dans un état de stagnation.

D’autres proposaient des mesures d’ordre plutôt disciplinaire ou administratif : faire examiner soigneusement l’enseignement des nôtres par les provinciaux ou par des visiteurs ; au début de l’année scolaire, relire la lettre du Père général de uniformitale et solidilale doctrines, et faire des instructions sur le même sujet : assigner aux préfets des études une heure de considération, pour examiner la doctrine enseignée par les maîtres, en se servant des cahiers de leurs élèves : obliger les élèves à dénoncer au supérieur et celui-ci à dénoncer au provincial et au général les nouveautés que les professeurs auraient pu met he en avant ; châtier ceux qui manqueraient aux prescriptions contenues dans le Ratio studiorum, leur imposer une rétractation et, en cas de récidive, les écarter de l’enseignement. D’autres mesures s’ajoutaient, tendant a rendre plus difficile la publication des livres et plus sévère la révision. Quelques-unes de ces mesures furent approuvées par Aquaviva. mais la plupart

rejetées comme difficiles à mettre en pratique, alia

œgre ad praxim revocarentur, ou connue plus propres à causer des troubles qu’à servir au résultat désiré, alia plus turbarum excitarent quam adjumenii conferrent.

D’autres allaient plus loin encore : ils proposaient d’imposer aux professeurs de théologie et de philosophie une promesse stricte ou même un serment de suivre saint Thomas et les opinions prescrites dans le Ratio studiorum ; d’imposer également, dans les mêmes termes, aux censeurs et aux reviseurs, l’obligation d’avertir les supérieurs, toutes les fois que quelqu’un aurait avancé une opinion nouvelle. Suggestions formellement réprouvées par Aquaviva comme trop dures et contraires aux usages de la Compagnie, asperiora et socielati penitus insueta. I.e général reculait donc devant l’emploi de mesures coercitives pour procurer l’unité, malgré l’exemple donné par d’autres ordres religieux. Voir F. Ehrle, Die pùpsiliche Encijklika vom 4. August 1879, dans Stimmen ans Maria-Laach, 1880, t. xviii, p. 395-397.

Restait une autre solution, indiquée dans toutes les provinces par le plus grand nombre, plurimi in omnibus provinciis : chercher le remède non dans des ordonnances nouvelles, mais dans une meilleure exécution de ce qui avait été fixé dans le 55e décret de la Ve Congrégation générale, sur l’adhésion à saint Thomas comme docteur propre de la Compagnie. Sur ce terrain, il y aurait lieu de déclarer le sens exact et la portée de deux règles des professeurs de théologie : la seconde, où il est dit qu’on ne doit pas entendre l’obligation de suivre saint Thomas d’une façon si étroite qu’il ne soit jamais permis de s’écarter de sa doctrine ; et la quatrième où la liberté d’opinion est accordée dans les cas où la pensée du saint docteur serait douteuse. Une précision paraîtrait nécessaire, " car, si on ne déclare pas quels sont les points où il est permis de s’écarter de saint Thomas, ces concessions laissent la porte trop largement ouverte aux esprits libres. » Pour cette raison, certains demandaient l’envoi d’un catalogue comprenant les questions où la pensée de saint Thomas pouvait être considérée comme douteuse.

D’autres remarques manifestaient le désir d’un attachement plus prononcé à la doctrine du docteur angélique. On souhaitait qu’à la tête des collèges, où la philosophie et la théologie sont enseignées, il y eût des hommes très instruits et attachés au grand maître ; que les préfets des études eussent une parfaite connaissance de ses écrits, qu’ils fussent zélés et thomistes stricts, rigidi thomistse, qu’on choisît les professeurs avec beaucoup de discernement, en veillant à ce qu’ils fussent foncièrement attachés à saint Thomas, ennemis des nouveautés et d’esprit sérieux, et que sur le nombre il y en eût au moins un qui lût thomiste strict, rigidus thomisla. Dénomination qui ne visait pourtant pas le thomisme au sens dominicain du mot, car dans une remarque où l’on demandait qu’on n’obligeât pas les professeurs a suivie les opinions de saint Thomas d’une façon plus stricte que ne le font les dominicains eux-mêmes, on ajoutait que pour expliquer la pensée de ce docteur, il fallait s’en tenir « au jugement de nos auteurs, et non pas à celui des dominicains.

Aquaviva eu Ira volontiers dans un ordre d’idées qui répondail a ses propres convictions. Au début de sa lettre, il manifeste sa grande satisfaction de se trouver d’abord avec la plupart « les Pères consultés sur ce point pratique : assurer la solidité et l’unité d’enseignemenl dans la Compagnie par un attachement plus strict a la doctrine de saint Thomas. Nulle difficulté quand la pensée du saint est ccrl aine : il tant la suivre. I.n

énonçant ainsi l’obligatiqn sans distinguer entre ques

tions d’importance majeure ou d’importance secondaire, le Père général prétendait-il méconnaître la valeur de cette distinction, se montrer plus exigeant qu’on ne l’avait été ? Quelques-uns l’ont soupçonné, voirR.de Scorrailles, François Suarez, t. i, p. 237. Mais le seul fait de ne pas établir une distinction revient-il nécessairement à la nier, quand les fondements s’en trouvent dans d’autres documents de valeur reconnue ? En tout cas, quand la pensée de saint Thomas reste douteuse, on est libre de suivre l’opinion qu’on jugera plus probable et non opposée à l’ensemble de la doctrine du grand maître. Aquaviva faisait observer à ce propos qu’il ne sullil pas de recueillir de-ci de-là deux ou trois textes, et d’en déduire par voie de conséquence ou d’inconvénient ou par force, ce qu’on pense soi-même, comme si l’on pouvait croire qu’une opinion est vraiment de saint Thomas parce qu’il l’insinue d’une façon quelconque en parlant d’autre chose ; mais il faut voir ce qu’il affirme quand il traite la question ex professo, et examiner soigneusement si l’assertion est en accord ou en désaccord avec l’ensemble de sa doctrine. Aquaviva niait encore qu’on eût le droit d’embrasser une opinion parce qu’on la trouvait dans des livres parus avec l’approbation requise : « Si quelque opinion imprimée a passé jusqu’ici pour probable et qu’elle se trouve soutenue par des gens doctes, on peut bien dire que cette opinion n’est ni erronée, ni nouvelle, ni téméraire ; mais si elle est contraire à saint Thomas, les nôtres n’ont pas le droit de l’adopter. » Il reprochait du reste aux réviseurs, d’avoir été trop faciles dans leurs jugements. Enfin, il faisait siennes plusieurs des mesures d’ordre disciplinaire ou administratif qui avaient été suggérées dans l’enquête commune : faire lire au début de l’année scolaire la lettre De soliditate alque unijormitate doclrinæ, surveiller avec soin l’enseignement des professeurs et tenir compte, en les nommant, de leur attachement à saint Thomas.

Toutes ces prescriptions édictées, Aquaviva concluait qu’il n’y avait pas lieu de dresser un catalogue de propositions jugées probables ou non probables, permises ou prohibées, puisque l’obligation stricte de suivre saint Thomas constituerait désormais pour la doctrine un principe suffisant de solidité et d’uniformité. Il fit toutefois une exception relativement à un problème qui avait été depuis plusieurs années l’objet d’une vive discussion dans la Compagnie. La controverse se rattachait à deux points qui avaient été critiqués dans le De concordia de Molina. D’abord la définition que ce théologien avait donnée de la grâce efficace : Illa dicitur gratin effleax, cui Iwmo consentit. On avait attaqué cette définition comme inadéquate, n’envisageant la grâce efficace que dans son terme, in actu secundo, tandis qu’il fallait l’envisager aussi dans son principe, in actu primo, antérieurement au libre consentement de la volonté, car sous ce rapport, elle rentre comme moyen d’exécution, dans l’ordre de providence spéciale qu’entraîne la prédestination des élus, i.’autre point concernait la manière dont Molina comprenait et expliquait ta prédestination elle-même, en rejetant l’existence en Dieu d’une

volonté antécédente absolue, en vertu de laquelle il aurait décrété la gloire pour un certain nombre d’hommes indépendamment de la prévision des mérites lutins. A cette occasion, les adversaires avaient rappelé la 16’proposition contenue dans l’ordonnance, de saint François de Borgia : Preedestinationis non ilutiir causa ex parte noslra. Voir l.e l tachelet. Auctarium Bellarminianum, p. 100 ; Bellarmin avant son cardinalat, p. 2’.', s, 311.

En 1610, Lessius publia en Belgique sous forme de dissertation apologétique, son petit traité De gratta effleact, avec un appendice De preedestina’tone et repro

balione angelorum et hominum. Il y soutenait la doctrine de Molina sur la prédestination, en se servant de la formule : post prævisa mérita, qui ne se trouve pas dans le De concordia. Sur le point de la grâce efficace, il s’en tenait à la notion donnée par Molina. Dans un opuscule inédit. De gralia congrua, il pose expressément cette question, entendue de la grâce efficace considérée in actu primo ou antérieurement au consentement donné : L’emporte-t-clle, absolument parlant, comme grâce et comme secours, sur la grâce suffisante ? Non, répond-il, n. 4. Dico ergo, in auxilio quod dicitur congruum seu efficax, non necessario requiritur aliquid prævium, nostrum præveniens consensum, quod non sit in auxilio non congruo scu inefficaci. Lessius fut attaqué, spécialement par Suarez et Bellarmin : ils jugèrent cette position contraire à celle de saint Augustin et de saint Thomas. Auctarium Bellarminianum, p. 27, 186 sq. Cette affaire ennuya beaucoup Aquaviva, et l’opposition venant de théologiens qui jouissaient d’un si grand renom de science théologique, et que, personnellement, il estimait singulièrement l’impressionna beaucoup. Dans l’enquête de 1613, on trouve (égarée, semble-t-il, parmi des documents provenant de l’assistance de Germanie), une pièce anonyme intitulée : Loca aliquot S. Thomæ, in quibus videtur inter eos qui salvantur et damnantur, consenliunt et resistunt vocationi, ponere aliquod discrimen antecedens usum liberi arbitrii C’est un recueil de nombreux passages tirés des diverses parties de la Somme théologique et d’autres écrits de saint Thomas. Cette pièce fait comprendre le sens d’une critique de Bellarmin, publiée dans Y Auctarium Bellarminianum. p. 187 ; Quod Lessius non agnoscat ullam discrelionem electorum a reprobis ante prævisa mérita, neque cum sancto Thoma, neque cum Vasque :.

Ces documents et d’autres, qui seront bientôt publiés, prouvent à l’évidence que dans la controverse dont nous parlons il ne s’agissait pas de la grâce efficace in actu primo, considérée dans son entité physique et matérielle, point sur lequel Molina, Suarez, Bellarmin et Lessius s’accordaient, voir Auctarium Bellarminianum, p. 21 sq., il s’agissait de la même grâce considérée dans ce qu’on peut appeler son entité morale, c’est-à-dire le rapport spécial qu’elle doit à la sagesse qui dirige et à la volonté qui tend au but, en tant que secours ordonné par Dieu à produire infailliblement le consentement de l’homme. Lessius ne rejetait pas absolument cette considérai ion. car il allirmait qu’en donnant la grâce Dieu a la connaissance certaine de l’effet futur et qu’il le veut ; mais il n’insistait pas sur cet aspect de la grâce et, incontestablement, il n’expliquait pas la chose comme Suarez et Bellarmin ; ceux-ci. en ellet, tenants de la prédestination à la gloire ante prævisa mérita, rattachaient à l’élection divine préalable le caractère de bienfait spécial qui convient à la grâce efficace in actu prima, ce que Lessius niait, conformément à son système de la prédestination à la gloire post prævisa merila.

Aquaviva jugea qu’il fallait maintenir et nettement affirmer que la grâce efficace considérée même antérieurement au consentement de la volonté, in actu primo, remporte moralement et relativement sur la grâce purement suffisante. Il adjoignit donc à sa lettre du 1 1 décembre 1613 le décrel suivant :

Statuimus et mandamus

ut in tradenda divinn gra ttée effleacitate theologi socleiat is eatn oplnlonem sequan tur, Blve m lectlontbus sive

in publicia disputationlbus,

quæ a plerlsque societatls

Bcrlptorlbus tradltur atque

in controversla de auxilis

û Nous statuons ci ordon nons qu’en traitant de l’efll cacité de la grâce, les nôtres

suivent, soil dans les livres,

soit dans les cours et le

disputes publiques, l’opinion

que la plupart des auteurs

de la Compagnie ont ensei gnée, celle qui dans les cou

divins gratiacorani siimmis Pontificilnis pi.T mémorise démente VIII et S. P. N. Pauio Y, tanquam consentanea SS. Augustino et Thmuii’gravioruni Patrum Indlcio expllcata et detensa est Nostri in postenun omnino doceant, intei eam grattant, quat eflectum re Ipsa haln’t atque efflcax dicitur. et eam, quam sufflcientem nommant, non tantum discrimen esse in actn secundo, quia ex usu liberi arbitrii. ctiam cooperantem grattant habentis, eflectum sortiatur. altéra non item ; sed in ipso actu primo, quod posita scientia conditionalium et efficaci Dei proposito atque intentione efficiendi certissime in nobis boni, de industria ipse ea média seligit, atque eo modo et tempore confert quo videt eflectum infallibiliter habitura, aliis usurus, si hæc inefficacia prævidisset. Quare semper moraliter et in ratione beneficii plus aliquid in efficaci, quam in suflicienti gratia est. ia actu primo contineri atque hac ratione efRcere Deum, ut re ipsa faciamus, non tantum quia dat gratiant, mut facerc possimus. Quod idem dicendum est de perseverantia quæ procul dubio, donum Dei est.

traverses de auxiliis divùue

gratia-, tenues en présence des souverains pontifes Clément VIII et Paul Y, a été proposée et soutenue comme plus conforme, au jugement des Pères les plus graves, à la doctrine de saint Augustin et de saint Thomas. Désormais donc les nôtres devront nettement enseigner qu’entre la grâce qui obtient son effet et qu’on appelle efficace et celle qu’on appelle suffisante, il n’y a pas seulement différence du cote du terme, en ce que par l’usage du libre arbitre agissant sous l’influence de la grâce coopérante, l’une obtient son effet et l’autre ne l’obtient pas, mais qu’il y a encore différence du côté du principe, en ce sens qu’étant données en Dieu la science des futurs conditionnels et l’intention ou volonté efficace de procurer en nous l’acte bon, il choisit lui-même à dessein tels secours, et nous les confère au moment et dans les conditions où il sait qu’ils obtiendront leur effet, disposé d’ailleurs à en employer d’autres s’il avait prévu que ceux-ci dussent être inefficaces ; c’est pourquoi dans la grâce efficace considérée même antérieurement à l’effet qui suit, il y a toujours plus, moralement et comme bienfait, que dans la grâce suffisante ; et c’est ainsi que Dieu fait que nous agissions réellement non pas seulement parce qu’il nous donne la grâce de pouvoir agir. La même chose doit se dire de la persévérance, qui est incontestablement un don de Dieu.

Ce décret était très net et ne pouvait faire aucune difficulté dans sa partie principale, affirmant la supériorité relative de la grâce efficace considérée même antérieurement à l’effet. Il en allait autrement de l’explication ajoutée : quod posita scientia condilionalium ex efficaci Dei proposito atque intentione efficiendi certissime in nobis boni, de industria ipse ea média seligit, atque eo modo et tempore confert, quo videt e/leclum injallibilem habitura, aliis usurus, si hœc inefficacia prævidisset. S’agissait-il, dans cette phrase, de la volonté absolue impliquée dans l’acte même de la prédestination à la gloire, abstraction faite de la controverse relative à l’antériorité ou à la postériorité logique de cette volonté par rapport à la prévision des mérites futurs’.' Dans ce cas, l’assertion avait sa valeur dans l’ordre de fait ou d’exécution, comme Lessius en convenait lui-même. Entendue, au contraire, d’une volonté absolue logiquement antérieure à la prévision des mérites et commandant le choix des grâces même dans l’ordre d’intention, comme la fin une fois voulue commande les moyens, l’assertion renfermait un élément systématique intimement lié a la théorie de la prédestination à la gloire ante prsevisu mérita, et supposant lecongruisme bellarminosuarézien, que beaucoup de théologiens jésuites ne goûtaient pas. Aquaviva étant mort le.’il janvier 1615 et la VIIe Congrégation générale s’étant réunie au mois de novembre suivant pour lui donner un suc cesseur, Lessius, député de la province belge, profita de l’occasion et présenta deux mémoires aux Pères assemblés. Il examinait et discutait, dans le premier, le décret d’Aquaviva : Decrctum R. P. Claudii de gratia efficaci ejusque discussio ; à la fin, il ennuierait un certain nombre de propositions qu’il fallait logiquement admettre, si l’on entendait ce décret dans le sens du congruisme bellarmino-suarézien. Dans le second écrit, il posait nettement la question d’opportunité sur le point de l’obligation à imposer ou à ne pas imposer : Utrum societas cogenda sit ad docendum has propositions, vel eam doctrinam tradendam ? Une commission spéciale fut nommée pour étudier l’affaire ; les Pères conclurent qu’il y avait lieu de mieux préciser la portée du décret d’Aquaviva. Le fait que toute la discussion se fit en simple commission explique qu’il n’y ait rien sur ce sujet dans les actes mêmes de la Congrégation, sauf une allusion implicite dans le décret 41. Mais quelques mois plus tard, le 7 juin 1616, le P. Mutius Vitelleschi, nouveau général, publia cette déclaration :

Difficultas aliqua cum In- « A la suite d’une diffiter viros doctos super decreculte qui s’est élevée entre

to R. P. Claudii 1613, 14 novemb. , de efficacia gratis orta esset, variis varie id interpretantibus, P. Mutius Generalis et Assistentes et Secretarius, qui decreto illi présentes interfuerunt, et mentent P. Claudii probe perspectam habebant, Patres item a Congreg. VII ad id deputati censuerimt non intendisse P. Claudium hoc suo decreto decernere Deum per voluntatem prædeterminantem vel prædefinientem aliquod nostrum bonum opus independenter a coopérations libéra ; nostrae voluntatis. Nec etiam quod in gratia efficaci sit aliqua entitas realis, aut aliquis modus physicus in actu primo qui non sit in gratia sufficienti, sed hoc tantum quod fuerit spéciale beneficium Dei dédisse uni, v. g. Petro, ex proposito boni in eo faciendi çratiam eo tempore et loco

des gens doctes au sujet du décret du R. P. Claude sur la grâce efficace, décret que les uns et les autres interprétaient diversement. le P. général Mutius, les assistants et le secrétaire qui avaient été personnellement mêlés à la publication du décret et qui connaissaient bien ia pensée du P. Claude, en outre les Pères nommés par la VIIe Congrégation générale pour étudier le point, ont porté ce jugement : Par son décret, le P. Claude n’a point prétendu déclarer que Dieu prédestine ou prédéfinit par sa pure volonté nos bonnes actions indépendamment de la coopération (prévue) de notre libre arbitre ; ni que, dans la grâce efficace considérée antérieurement à l’effet, il y ait quelque entité réelle ou quelque mode physique qui ne serait pas dans la grâce suffisante ;

præscivit illum ea gratia bene usurum, quod beneficium non contulit alteri, v. g. Joanni, cui dédit gratiam eo tempore et loco quo præscivit eum sua culpa non usurum.

quo scientia conditionalium mais seulement qu’il y a, de la part de Dieu, bienfait spécial en ce qu’il donne à l’un, Pierre par exemple, dans l’intention ferme de lui faire poser un acte bon, la grâce au temps et lieu où il a prévu par la science des futurs conditionnels, que Pierre profitera de cettegrâce ; bienfait qu’il ne confère pas à un autre, Jean par exemple, auquel il donne la grâce au temps et lieu où il a prévu que Jean, par sa propre faute, n’en profitera pas. »

Ainsi lurent nettement dégagées deux choses que, dans son décret, Aquaviva semblait avoir, inconsciemment peut-être, trop mêlées : l’affirmation prin cipale, qu’il avait toul d’abord en vue, de la prééminence relative de la grâce efficace, considérée dans son principe et antérieurement au consentement donné, in actu primo ; puis l’explication de cette prééminence, explication qu’il avait proposée en des termes qui,

aisément, suggéi aient l’idée du congruisme bellarminosuarézien. La thèse de la grâce efficace in actu primo. io : ? :.

JÉSl [TES. LES RÉCENTES DIRECTIVES

1036

comme bienfait spécial, fut maintenue ; mais le pourquoi et le comment furent laissés à la libre discussion.

Quelques-uns avaient repris, dans la VIIe Congrégation générale, un projet déjà émis dans l’enquête de 1613 : « confier à des théologiens et à des philosophes de la Compagnie le soin de rédiger, pour leurs sciences respectives, des Sommes qui contiendraient sous une forme succincte et solide les opinions les plus reçues dans l’ordre, en se servant des écrits de saint Thomas et des Pères. » Les membres de la Congrégation ne jugèrent pas opportun de favoriser ce projet, décret 83 ; ils préférèrent s’en tenir, pour renseignement théologique et philosophique, aux principes posés dans le Ratio studiorum, augmenté du décret d’Aquaviva. tel qu’il avait été expliqué par le P. Mutius Vitelleschi. La VIIe Congrégation générale renforça même, ou plutôt’confirma ce décret, en déclarant, que les ordonnances des Pères généraux n’étaient pas périmées à leur mort, mais subsistaient tant qu’elles n’auraient pas été révoquées par leurs successeurs, décret 72. Par le fait même, la doctrine de la grâce soutenue au nom de l’ordre dans la controverse De auxiliis, doctrine rappelée dans le décret d’Aquaviva. restait doctrine officielle.

V. Les ordonnances de 1651 et de 1832. — 1° L’ordonnance du P. François Piccolomini, 1651. — La Compagnie de Jésus avait atteint, sous le généralat du P. Mutins Vitelleschi, son premier siècle d’existence. Les témoignages de félicitations et de louanges ne manquèrent pas à cette occasion : en revanche, des attaques multiples se produisirent contre l’Ordre, cont re son Institut, contre son enseignement et tout le reste ; attaques rappelées et discutées en détail dans les Vindiciæ Soçietatis Jesu, traité apologétique composé à Rome en 1669, sur la demande du P. général. François Piccolomini, par le P. Sforza Pallavicini, le célèbre auteur de [’Histoire du concile de Trente, alors professeur de théologie au Collège romain et, plus tard, promu au cardinalat par Alexandre VII. On voit, par les chapitres xxiv à xxviii, que les attaques continuaient contre l’enseignement théologique et philosophique, tel qu’il se donnait dans la Compagnie de Jésus.

Ces attaques ne laissaient pas les membres de l’Ordre indifférents. Plusieurs fois on parla, dans les Congre gâtions générales, de remèdes à prendre ou de moyens plus efficaces à déterminer. Toujours la réponse fut qu’on avait dans le Ratio studorium tout ce qu’il fallait ; les supérieurs n’avaient qu’à presser l’exécution. Ainsi, en ici."), dans la VIIIe Congrégation, avant de procéder à l’élection du P. Vincent Caraffa comme général, les Pères turent invités par le pape Innocent X a examiner s’il n’aurait pas lieu de renforcer les prescriptions relatives à l’obligation de suivre la doctrine de saint Thomas, comme on le voit dans une pièce intitulée : Relatio extensa quarundam actionum. Discussion faite, ils conclurent négative ment ; l’essentiel était de veiller à ce que les nôtres suivissent cette doctrine dans la mesure fixée par les Constitutions, les décrets des Congrégations précédentes et les règles des divers professeurs. Des ré ponses semblables furent données par d’autres Congrégations générales, par exemple, la IV. en 1649, décret S.’, : la Mb. en 1682, décret 28 ; la XVIIe, en 1751, décret 13. La suite de cette étude montrera quelle fut l’attitude de plusieurs autres, en particulier

la XI 1 en 1661, el la XII’. a l’occasion des accusations de témérité et (le laxisme portées contre les moralisles de la Compagnie de Jésus.

In aile plus important et plus précis doit être

Je. Dans la [Xe Congrégation, 13 décembre 1649’J’i février 1650, on s’occupa Je plaintes provenant

de plusieurs provinces contre des professeurs ; ils étaient accusés de perdre le temps dans des inutilités, de ne pas suivre dans leurs cours l’ordre indiqué par le Ratio studiorum, d’avancer des opinions nouvelles ou d’en ressusciter d’anciennes justement abandonnées, lue commission de théologiens fut chargée d’examiner l’affaire ; elle suggéra un certain nombre de mesures pratiques, dont la rédaction et la publication furent confiées au nouveau général, le P. François Piccolomini. De là vint l’ordonnance qui porte son nom : Ordinatio pro studiis superioribus, publiée en 1651. Institutum Soc. Jesu, Florence, 1892, t. iii, p. 235 ; Pachtler, Ratio studiorum, t. m. p. 77.

Ce qui attire d’abord l’attention dans ce document, c’est un long catalogue d’opinions prohibées : en tout, 96, dont 65 en philosophie, 25 en théologie, et 6 autres appartenant, sous des rapports différents, à l’une et l’autre science. D’où venaient toutes ces propositions et combien de professeurs les avaient enseignées, c’est un point qu’il serait aussi difficile qu’inutile de préciser ; ce n’était pas l’enseignement commun, tant s’en faut, et très heureusement, car on y trouve des affirmations dont on se demande comment elles ont pu venir à l’esprit de maîtres graves et sensés : par exemple, la troisième : Non répugnai potentia materialis adeo perfecta ut clevala possil videre Dcum ; la septième : Absolute loquendo, poluil Christus peccando perdere unionem hypostaticam ; et la huitième : Yerbum uniri potest diabolo. D’autres propositions témoignent de l’influence que le ; idées scientifiques du jour commençaient à exercer sur des professeurs de philosophie : par exemple, rejet implicite des changements substantiels, dans la proposition 37e : Elementa non transmutantur invicem sed unius particules in alio delilescunl incorruptse, quarum ingressus rarefactionis el condenstdionis es ! ratio ; de même abandon de l’ancienne doctrine de la connaissance sensible, dans la proposition 47e, Nulla datur in sensibus e.vternis species intentionalis, sed eius loco, ex. gr.. datur in oculo extramissio radiorum risualium.

En prohibant ces propositions, le P. Piccolomini ne prétendait pas les noter de censures proprement dites ni même porter sur elles un jugement spéculatif, chose qui dépassait, disait-il, ses attributions, id enim allioris subscllii est ; agissant comme général de la Compagnie de Jésus, il se contentait d’écarter de ses chaires un enseignement qui ne cadrait pas avec les principes fixés, ad majorent unilormitaten doctrïnse inter nos et copiosiorcm fruetum in auditoribus faciendum. Comme jadis Aquaviva. il n’admettait pas que, pour justifier leur conduite, les auteurs de ces propositions pussent alléguer qu’on les rencontrait dans des livres imprimés par des nôtres, « car beaucoup de réviseurs auraient dû se montrer plus diligents et plus sévères. »

La distinction faite par le P. Piccolomini entre une mesure d’ordre disciplinaire et un jugement d’ordre Spéculatif S’appliquait aussi, et même d’une façon particulière, a celle injonction contenue dans la proposition 25e, parmi les théologiques : In ma/cria de auxiliis servetur decrelum I’. Claudii condilum u dec. 1613, l.e successeur d’Aquaviva ne se proposait en aniline façon de mettre la doctrine de la Compagnie sur la grâce dans une autre condition que celle où le. pape Paul Y l’avait laissée ; il exigeait seulement qu’on respectât pratiquement le décret (le son prédécesseur. Ce lui dans le même sens et dans le même esprit qu’un autre général, le P. Vincent Caraffa écrivit, le 12 janvier 1664, une lettre très mile et très énergique aux provinciaux d’Espa pour blâmer la conduite de quelques professeurs qui s’étaient écartes (le 1.1 doctrine commune sur la

nature de la grâce efficace et sur la science moyenne, en le ;  ;  :

JÉSriTKS. I.KS UKf.KNTKS DIRECTIVES

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émettant dos nouveautés moins propres à fortifier cette doctrine qu’à l’obscurcir et à en fausser le vrai sens. Voir J. M. Prat. Histoire du I’. Ribadeneira, Taris. 1862, p. 167.

Au catalogue dont nous venons de parler, le P. Piceolomini joignit diverses prescriptions d’ordre pratique. Pour éviter les pertes île temps et les difficultés causées par le manque d’ordre, les professeurs devraient s’en tenir à la distribution des matières contenues dans le Ratio studiorum et aux questions traitées par l’auteur dont ils se servaient comme texte. On devrait éviter de revenir en théologie sur ce qui aurait été vu en philosophie, et. réciproquement, s’abstenir en philosophie d’empiéter sur le domaine de la théologie. En vue de mieux assurer l’uniformité de doctrine, des principes étaient posés pour déterminer ce que, en cas de conflit entre les professeurs et le préfet des études. il fallait considérer comme nouveauté et, à ce titre, rejeter. Enfin, un catalogue ou elenchus quæstionum était proposé, indiquant ce qu’il fallait traiter dans les diverses parties de la Somme théologique, en conservant le même ordre. L’expérience avait déjà montré combien il était difficile de composer un document de ce genre qui pût jouir d’une valeur universelle et permanente ; elle le montra de nouveau, car peu de temps après, en 1682, on demandait déjà dans la XII* Congrégation générale, décret 56, n. 3, la rédaction d’un nouvel Elenchus qui fût mieux au point : Xovus et accuratior index fiai.

2° Le nouveau Ratio studiorum, 1832. — Pendant l’espace de temps qui s’écoula ensuite jusqu’à la suppression de la Compagnie de Jésus par Clément XIV, en 1773, lien de substantiel ne fut ajouté aux règles et ordonnances fixées jusqu’alors. La doctrine commune de l’ordre resta, en philosophie, celle d’Aristote et, en théologie, celle de saint Thomas. Ce qui n’excluait pas le souci d’une certaine adaptation consistant à présenter l’ancienne doctrine d’une manière plus appropriée aux besoins du temps.

Quand, après un demi-siècle de suppression, la Compagnie de Jésus eut été rétablie dans le monde entier par Pie VII, en 1814, l’un des principaux soucis de ses chefs fut de réorganiser les études. Tous se rendaient compte de la nécessité qui s’imposait de mettre l’ancien Ratio en harmonie avec les exigences des temps nouveaux. Agréé et demandé par la XXe Congrégation générale, en 1820. le travail de révision commença sous le généralat du R. P. Fortis et s’acheva sous celui du R. P. Jean Roothan. Envoyé à la Compagnie avec une lettre-préface, datée du 25 juillet 1832, l’ouvrage fut examiné dans la XXII Congrégation générale : sous réserve d’une révision finale où l’on tiendrait compte des observations déjà faites ou qui pourraient encore être faites, le Père général fut autorisé à promulguer le nouveau Ratio, désormais obligatoire. Institution Soc Jesu, Florence, 1892, t. iii, p. 158.

Les modifications introduites dans ce code scolaire sont en dehors de notre sujet ; on n’y trouve aucun changement substantiel ni même notable dans les prescriptions relatives à l’enseignement de la théologie et de la philosophie ; la chose est visible à l’œil nu quand on examine le rapprochement des deux textes fait par le P. Pachtler, op. cit., t. ii, p. 234 sq. S’il va dc-ci de-la quelques recommandations nouvelles, elles sont d’ordre pratique, comme d’éviter de perdre le temps dans des questions inutiles afin d’étudier plus à fond les problèmes importants que des erreurs nouvelles soulèvent, ou de donner davantage, en philosophie, a l’étude des Sciences positives, physiques et mathématiques. De même, dans les Congrégations générales de la nouvelle Compagnie, on rencontre bien des prescriptions ou des résolutions d’ordre discipli naire pour l’organisation des études ou le développement de certaines sciences devenues plus importantes, comme le droit canonique, la patrologie, l’archéologie, la liturgie, la critique historique, les langues orientales et autres sciences dont l’élude ( st recommandée, comme propre à mieux expliquer et défendre les dogmes eux-mêmes. Congrég. XXV, en 1906, décr. 12, n. 5 ; mais rien de nouveau quant aux principes directeurs de l’enseignement théologique ou philosophique. La XXIe Congrégation générale, en 1829, prescrit de maintenir la théologie scolastique ; la XXII’". en 1859, de conserver la forme syllogistique et l’usage du latin ou d’y revenir, là OÙ l’usage serait tombé en désuétude. Deux documents méritent d’être mentionnés à part.

VI. Les récentes directives.

1° Le bref a Gravissime Nos » de Léon XIII, 1892. — L’encyclique ^Elerni Palris publiée par Léon XIII le 1 août 1879, en vue de restaurer dans toutes les écoles catholiques la philosophie chrétienne d’après saint Thomas d’Aquin, ne pouvait que renforcer et accentuer dans la Compagnie de Jésus, le mouvement de réaction thomiste, que plusieurs de ses membres, les Kleutgen, les Schrader, les Cornoldi, les Liberatore et autres avaient secondé ou même provoqué. L’ordre tout entier représenté par la XXIIIe Congrégation générale, réunie en 1883, tint à protester, décret 15, d’une façon officielle et solennelle, de sa pleine adhésion à la direction donnée à l’Église par son chef. L’assemblée renouvela, en recommandant de les observer avec le plus grand soin, les prescriptions contenues dans les Constitutions et dans les décrets de la Ve Congrégation générale, d’après lesquelles les nôtres doivent regarder saint Thomas comme leur docteur propre et le suivre en théologie scolastique. Elle renouvela également l’obligation, énoncée dans le décret 36 de la XVIe Congrégation et le décret 13 de la XVIIe, de s’en tenir à la philosophie scolastique comme préparation la meilleure aux études théologiques. Les professeurs de physique expérimentale devaient tenir compte de ces décrets et ne rien affirmer qui fût en contradiction avec le système scolastique sur les principes et la composition intrinsèque des corps. En même temps, pour favoriser l’union et la concorde des esprits, la Congrégation avertissait tout le monde, professeurs et étudiants de théologie ou philosophie, d’éviter une confiance excessive en leur propre jugement et de ne pas enseigner témérairement ou à la légère, comme vraie et légitime doctrine de saint Thomas, des interprétations nouvelles et purement subjectives, mais bien plutôt d’estimer beaucoup et de consulter avec soin les excellents docteurs de la Compagnie, loués et approuvés dans l’Eglise ; docteurs qui ont mérité d’être recommandés par les pontifes romains et par des hommes d’une très grande érudition, comme des disciples de saint Thomas, très attachés à ce maître, comme de sages interprètes et même comme des lumières de la sainte Eglise. Décret 18.

Léon XIII allait bientôt confirmer d’une façon notable l’ensemble de ces recommandations par le bref Gravissime Sus, adressé au général dela Compagnie de Jésus, le 30 décembre 1892, Le titre même de ce document en indique l’objet général : Lilleræ nposlolicæ quibus constitutiones Societatis Jesu île doclrina S. Thomas Aquinalis profllendaconfirmantur. Léon I II rappelait sou désir de restaurer dans les écoles catholiques la philosophie de saint Thomas d’Aquin et la demande de collaboration que, pour réaliser ce projet, il avait adresséeau ordres religieux. Dans le dessein de mieux assurere ! de régler d’une façon plus précise l’aide qu’il désirait obtenuet qu’il attendait de la Compagnie de Jésus eu particulier, il rappelait tous OCUmentS contenus dans les Constitutions de saint

Ignace, les décrets des Congrégations générales et les lettres ou ordonnances des Pères généraux, qui obligent les professeurs de la Compagnie à.suivre, en théologie, la doctrine de saint Thomas, et, en philosophie, celle d’Aii s tôte interprétée par l’Ange de l’Ecole. Toutes ces prescriptions, Léon XIII déclarait les confirmer de son autorité pontificale et leur donner le caractère de règle fixe, constante et définie. Non pas qu’il voulût, ajoutait-il, diminuer aucunement les grands mérites des écrivains que l’Ordre a produits ; « c’est là une gloire de famille qu’il faut maintenir et respecter ; » mais l’écueil serait que l’estime accordée à ces grands auteurs et rattachement a leurs écrits ne devinssent un obstacle, plutôt qu’une aide, pour l’unité de doctrine, qui doit venir de l’acceptation pratique de saint Thomas, comme docteur commun et propre. Il faut donc, en théologie, s’en tenir à l’enseignement de ce maître, même en matière d’opinions, quand il traite de la question ex professo et que sa pensée est certaine ; de même en philosophie, au moins dans les points principaux et liés avec plusieurs autres comme fondement, in præcipuis et quæ tanquam (undamentum sunt aliorum plurium, car il y a entre la doctrine théologique et philosophique du saint docteur une connexion si étroite, que l’une ne va pas sans l’autre.

Que Léon XI II n’ait nullement songé à trancher par ce bref les controverses relatives à la pensée du docteur angélique sur les sujets discutés entre les théologiens jésuites et les dominicains dans l’affaire De auxiliis et depuis lors, la chose ressort de ce que, rappelant et confirmant les prescriptions contenues dans les Constitutions de la Compagnie de Jésus, dans les décrets des Congrégations et dans les lettres ou ordonnances des Pères généraux, le souverain pontife n’excepte aucunement le décret d’Aquaviva ni ceux des Congrégations qui l’ont maintenu. En outre, parlant à la fin de celle lettre de l’enseignement donné à l’Université grégorienne, Léon XIII s’en déclare satisfait, lœtanwr oplatis jussisque nostris salis admodum esse factura ; or, c’est un fait de notoriété publique que l’enseignement donné à l’Université grégorienne comprend la doctrine officielle « le la Compagnie de Jésus sur la grâce et les matières connexes.

2° Conclusion : lu lettre du T. R. P. Ledôchowski, 1916. - Le bref qui vient d’être rappelé imposait aux professeurs de théologie, et surtout de philosophie, un examen de conscience sur leur fidélité pratique à suivre la doctrine île saint Thomas. Il pouvait avoir pour résultat de développer ou d’accentuer, chez quelques-uns la tendance à une adhésion plus stricte, que nous avons vu se manifester dès le

début de l’ordre par opposition à la tendance plus

large qui avait prévalu chez le plus grand nombre. La XXVI Congrégation générale réunie en 1915, énonça de sages recommandations à l’adresse de ions les professeurs. En traitant de questions controversées, ils doivent éviter soigneusement de censurer l’opinion contraire à la leur. Dans l’intérêt de la charité et de la Vérité et pour le plus grand bien de leurs élèves, ils ne doivent pas eonsacrer à ces sortes de

problèmes plus de temps que l’importance du sujet ne l’exige, mais se contenter plutôt d’exposer lo ment les diverses opinions avec leurs principaux fondements et d’indiquer avec modestie celles qu’ils estiment préférables ; mais il ne faut pas mettre au nombre des questions réputées libres dans les chaires de la Compagnie relies qui ont trait à la nature de la grâce et à la science moyenne, puisque, sur ces points. tou sont obligés, d’après les prescriptions de plusieurs généraux, d’enseigner la doctrine Boutenue au nom de la < ompagnie dans les Congrégations De auxiliis.

Dans le dessein de favoriser parmi les nôtres l’enseignentent et l’étude de la doctrine du docteur angélique, les Pères de la XXVIe Congrégation auraient désiré traiter plus longuement de ce sujet ; mais les événements politiques qui se produisirent alors ne leur en laissèrent pas le loisir.

Le R. P. Wladimir Ledôchowski compléta l’œuvre par sa lettre : De doctrina S. Thomæ magis magisque in Societate jovenda, datée du 8 décembre 1916, (19 mars 1917). Elle débute par un ample éloge de la scolastique, étudiée dans son développement historique, dans sa valeur intrinsèque et sous la lumière de l’expérience et d. s approbations que les souverains pontifes lui ont prodiguées : autant de titres qui s’appliquent plus particulièrement à la théologie et à la philosophie scolastiques telles qu’on les trouve chez celui qui a mérité le nom d’Ange de l’École et de prince des théologiens, et que Léon XIII a déclaré le patron des écoles catholiques du monde entier. Vient ensuite la partie doctrinale. Les prescriptions contenues dans les Constitutions, dans le Radio Sludiorum ancien ou nouveau et, dans les décrets des Congrégations générales, prescriptions confirmées et renouvelées par Léon XIII, concernent d’abord deux points fondamentaux : l’emploi de la méthode scolastique dans l’enseignement de la théologie dogmatique et la fidélité à suivre saint Thomas comme docteur propre. C’est dans le but de promouvoir toujours de plus en plus le second point, que des directions pratiques sont données à la fin de la lettre : lecture et étude approfondie, par les professeurs et par les étudiants, des écrits du saint docteur ; usage en classe de la Somme théologique comme texte, pour la partie scolastique de l’enseignement, avec emploi d’un autre texte pour la partie positive ; recommandation aux supérieurs de préparer des professeurs qui soient à la hauteur de la tâche, dans les circonstances actuelles, et en même temps réellement attachés à la doctrine de saint Thomas.

In troisième point avait besoin d’être précisé : dans quelles limites les professeurs de la Compagnie de Jésus sont-ils tenus d’adhérer à cette doctrine ? Deux affirmations résument la réponse à cette question : il y a obligation de suivre la doctrine de saint Thomas dans les points principaux, in omnibus enunliatis majoribus, ou, suivant la formule de Léon XIII, in ]>r : rcipuis ejus doctrinse capitibus, qute tanquam jundamenta siml muliorum plurium aliorum ; on est libre par rapport aux autres points, mais à la condition de rester dans la disposition de ne s’écarter du grand maître qu’à contre-cœur et très rarement, gravale admodum et rarissime. Mais qu’entendre par les enuntiala majora ? En premier lieu, l’ensemble des vérités rappelées par Pie X dans le Molli proprio : Doctoris A ngeliei, 29 juin 1914, « celles que les plus nobles philosophes et les principaux docteurs de l’Église ont acquises par leurs méditations et leurs i aisonnements touchant le mode propre de la connaissance humaine, la nature de Dieu et des autres êtres, l’ordre moral et la manière de tendre à notre fin dernière. i Vérités directement opposées aux assertions du matérialisme, du monisme, du panthéisme, du socialisme et du modernisme sous ses formes multiples. Pour aller plus loin, il faut tenir compte « le. plusieurs distinctions déjà rencontrées : il y a des doctrines que saint Thomas tient avec fermeté, des

questions qu’il a traitées expressément, <ic<lita opéra,

des affirmations qu’il appuie sur des arguments certains. Mais il v a aussi des points où sa pensée donne lieu a discussion, des questions qu’il n’a traitées qu’en passant, des assertions qui no sont fondées que sur des raisons probables et que d’autres docteurs de grande autorité rejettent ou contestent, ou du moins considèrent comme n’étant que d’une importance seconlu il

    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. LES RÉCENTES DIRECTIVES

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daire. Telles, par exemple, les vingt-quatre Thèses présentées à la Sacrée Congrégation îles Études et qu’elle a jugé, le 27 juillet 1914, contenir des points importants de la doctrine de saint Thomas..cas plane eonlinere sancti Doetoris prineipia et enuntiala majora, sans cependant les déclarer obligatoires. Ces propositions, ainsi rapprochées et groupées, constituent une synthèse d’ordre métaphysique qui semble fondée sur une interprétation spéciale de la doctrine, d’ailleurs fondamentale en elle-même, « de l’acte et de la puissance i et sur la théorie « de la distinction réelle entre l’essence et l’existence dans les êtres créés, » deux points vivement discutés depuis longtemps dans l'École.

Selon qu’on prétend suivie saint Thomas en tout, (sauf, bien entendu, le cas d’une déclaration contraire de la part de l'Église) ou qu’on se réserve le droit de discuter certaines assertions et, pour de justes raisons de s’en écarter, on arrive à la double manière de suivre le saint "docteur que le R. P. Ledôchowski distingue : une manière stricte et une manière plus large, où l’obligation s'étend aux enunliata majora, en excluant de cette catégorie les problèmes controversés dans l'École parmi les théologiens ou les philosophes jouissant d’une réelle autorité. Que la manière stricte ait ses avantages et qu’on puisse personnellement la préférer, le R. P. général ne le conteste pas, cum persuasum nobis sit hoc quoque proposilum Ecclesiæ esse ulilissimum. Mais il conteste qu’il y ait obligation de l’admettre en vertu des principes qui régissent l’enseignement théologique et philosophique dans la Compagnie de Jésus ; il conteste en outre qu’on puisse considérer comme opportune une mesure qui, en vue d’obtenir une uniformité absolue, imposerait cette obligation. Les raisons données rappellent celles qui avaient été déjà présentées avant Aquaviva et de son temps contre ce mirage d’une uniformité absolue. Ce serait se buter, comme l’expérience l’a suffisamment montré, à une chose moralement impossible, à cause.de la diversité des esprits. Une mesure de ce genre ne favoriserait pas réellement le progrès des sciences sacrées ; elle serait plutôt de nature à lui nuire, en déprimant l’initiative personnelle et en paralysant ce qui, dans l’ordre des choses auquel l’homme est soumis ici-bas, est le moyen normal du progrès intellectuel et de tout autre : la discussion, là où il y a matière discutable.

L’obligation ne s’impose pas davantage en vertu des directions données à l'Église en général et à la Compagnie de Jésus en particulier par les souverains pontifes. Le 23 août 1888, le R. P. Anderlédy écrivait au recteur du scolasticat de Zi-ka-wei, en Chine, au sujet du problème de la distinction entre l’essence et l’existence : i Je n’ai reçu aucune communication des désirs de Sa Sainteté relativement au point spécial que vous signalez. Tout ce que je sais, c’est que le souverain pontife Léon XIII a daigné faire savoir par écrit à mon prédécesseur, le R. P. Beckx, de pieuse mémoire, qu’en matière philosophique et dans les questions discutables, ce n'était pas son intention de proscrire la libre discussion ni d’imposer telle ou telle opinion. Je n’ai donc pas à prendre parti pour un système ou pour l’autre. » Un autre général, le R.P.Louis Martin, reconnaissait, dans un document rapporté par le T R. P. Ledôchowski, qu’on est libre de soutenir la distinction réelle, à la condition « de ne pas en faire le fondement de la philosophie chrétienne ni de la prétendre nécessaire soit pour démontrer l’existence de Dieu et de ses attributs, soit pour expliquer et prouver les dogmes d’une façon lonvenable. » Réponse approuvée et déclarée conforme à la pensée de Léon XIII, par le pape Benoît XV, le 9 mars 1915 : Prædiclum resfionsum R. P. Martin nouimus exaratum fuisse juxla menlem Leonis XIII jel. mem., ideoque illud approbamus et noslrum omnino jacimus. Dans une

audience accordée trois semaines auparavant, le 17 lévrier, au général de la Compagnie de Jésus et à ses assistants, le même pape, après avoir d’abord exprimé sa ferme volonté qu’on suivît dans l’ordre la doctrine de saint Thomas, complétait sa pensée en disant qu’il n’entendait pas par là restreindre la liberté d’opinion dans les matières discutées et discutables parmi les catholiques, comme celle de la distinction réelle entre l’essence et l’existence, et autres du même genre, qui ne sont pas contenues dans le dépôt de la foi ; il craindrait plutôt, en enlevant cette liberté, d’enrayer l’essor des esprits, au détriment de la profondeur dans les études théologiques et philosophiques. Plus importante encore et plus décisive fut l’approbation formellement donnée à la direction fixée dans la lettre du R. P. Ledôchowski : le général est particulièrement félicité d’avoir sagement apprécié les choses, œqua te lance' rationum momenta perpendisse, et de s'être maintenu dans le juste milieu, quo quidem in judicio recte Xos te sensisse arbilramur. Paroles de simple approbation, qui ne supposent nullement, comme certains l’ont prétendu, un privilège spécial, sous forme de dispense ou d’exception. Voir Son Éminence le cardinal Ehrle, Grundsalzliches zur Charakteristik der neueren und neuesten Scholastik, Fribourg-en-Brisgau, 1918, dans Erganzungshefte zu der Stimmen der Zeit. Erste Reihe, 6 Heft, p. 28-30.

Rédigée d’après les principes posés par la XXVI e Congrégation générale, soumise à l’examen personnel de Benoît XV et approuvée par lui, la lettre De doctrina S. Thomæ magis magisque in Societate fovenda, clôt et couronne la législation de la Compagnie de Jésus sur l’enseignement théologique et philosophique. En même temps qu’elle confirme l’obligation de suivre saint Thomas comme auteur propre, elle fixe l'étendue ou les limites de cette obligation. Le droit à l’interprétation plus large ne tend nullement à déprécier l’autorité du docteur angélique, ni à rendre plus faible la défense de la foi catholique ; au contraire, la doctrine du prince des théologiens n’en devient que plus forte et plus propre à défendre les vérités révélées contre des adversaires qui, souvent, accusent l'Église d’avoir laissé l'élément philosophique empiéter sur le dogme. Contre de tels adversaires, si nombreux de nos jours, il importe grandement de séparer ce qui est certain de ce qui ne l’est pas, de trier l'élément systématique et l'élément absolu, et même de passer le moins de temps possible dans des controverses abstraites qui, loin de contribuer à résoudre l’objection indiquée, pourraient plutôt la confirmer ou la renforcer.

A ces lignes rédigées avant la publication de l’encyclique Sludiorum ducem, du 29 juin 1923, à l’occasion du sixième centenaire de la canonisation de saint Thomas d’Aquin, nous sommes heureux d’ajouter la direction donnée par Sa Sainteté Pie XI à la fin de son encyclique : « Entre les vrais amis de saint Thomas, tels que doivent être les fils de l'Église qui s’adonnent aux études supérieures, nous désirons voir s'établir cette digne émulation qui respecte une juste liberté et fait progresser les études ; mais on doil éviter ces attaques blessantes qui ne servent point les intérêts de la vérité et ont pour unique résultat de briser les liens de la charité. Qu’on observe religieusement les prescriptions du droit canonique, can. 1366, S 2 : « Les professeurs auront soin de traiter les études de la philosophie rationnelle et de la théologie, et de Former les élèves 'tans ers branches de l’enseignement d’après la méthode, la doctrine et lis principes du docteur angélique, en s’y rattachant religieusement. « Que tous s’en tiennent à cette règle, de sorte que saint Thomas puisse les reconnaître tous et chacun pour ses fidèles disciples. Mais qu’ils n’exigent pas les uns des autres

plus que n’exige de tous la sainte Église catholique, leur commune mère et maîtresse. Car dans les matières où les avis ne sont pas unanimes parmi les auteurs du meilleur renom dans les écoles catholiques, nul ne doit être empêché de suivre le sentiment qui lui paraît plus vraisemblable : neque enim in iis rébus, de quibus in scholis ratlwlicis inler melioris notee auctores in contrarias parles dispulari solet. quisquam prohibendus est sequi sententiam quic sibi verosimilior videatur. »

Institution Soc. Jesn, Florence, 1892-93 ; Monnmenta pœdagogica Soc. Jesu, quæ primant Ralionum sludiorum anno 1586 éditant pnreessere, Madrid, 1901, dans la collection Monumenla historica Soc. Jesu, a patribus ejusdem

SocietattS mate primant édita ; G. M. Patchler, S. J., Ratio sludiorum et Institution) s scholastlem Soc. Jesu per Germaniam olim vigentes, dans la collection Monumenta Germaniæ pœdagogica, Berlin, 1887, 1890, 1894, t. ii, v, ix, xvi ; X. M. Le Bachelet, S. J., Bellarntin avant son cardinalat, Paris, 1911, append. ix-xv, p. 493-518 ; A. Astrain.S. J., llistorict de la Compania de Jésus en la Asistencia de Espana. Madrid, 1909, 1913, 1916, t. iii, iv, v ; p. Tacchi Venturi.S. J., 5tor(a délia Compagnia di Gesù in Italia. Home, 1910, t. i, p. 53 sq. ; Andr. Juanen, Stellang der Gesellschaft Jesn : nr Lettre des Aristoteles and des ht. Thomas vonl583, dans Zeitschrift fur katholische Théologie, Inspruck, 1916, t. XL, p. 201-237 ; Sforza Pallaviciui, Vindicationes Societatis Jesu, quibus multorum accusationes in ejas instilutum, leges, gymnasia, mores refelluntur, Rome, 1019. La lettre du P. P. Vladimir Ledôchowski a été publiée dans diverses revues : Civillà Cattolica, 1917, t. iv, p. 61 ; Scuola Cattolica, Milan, 1917, t. v, p. 276 ; Zeitschrift ftir katholische Théologie, Inspruck, 1918, p. 206 ; Bazon g le, Madrid, 1917, t. XLi.x.p. 339, etc. Voir Etudes, 1917, t. cliii, p. 74.

II. LA THÉOLOGIE DOGMATIQUE DANS LA COMPAGNIE DE JÉSUS. —Même séparée de la morale et de l’ascétique, la théologie dogmatique reste une science complexe qui comprend, outre la scolastique, les diverses disciplines qui rentrent dans la théologie positive ou qui s’y rattachent. Deux choses nous aideront à nous faire une idée générale du développement, dans la Compagnie de Jésus, de la théologie dogmatique ainsi comprise : I. Une vue d’ensemble du mouvement ; II. La considération des grandes controverses doctrinales où les théologiens jésuites furent engagés (col. 1054).

I. i I 1.1 NSEMBLE DU MOUVEMENT DOCTMNAL

coNsiDÉnÉ dans son développement. — Les historiens du dogme signalent chez les théologiens catholiques, à partir des débuis du XVI’siècle, un fort mouvement de renaissance et de réaction, provoqué par l’apparition du protestantisme et favorisé par l’invention de l’imprimerie Ils distinguent dans l’évolution de ce mouvement une période île préparation, qui s’étend jusqu’à la fin du concile de Trente (1563) ; une période d’éclat qui va jusqu’en 1660 et pendant laquelle le mouvement parvient à son apogée ; une période de stagnation qui dure environ un siècle (1660-1760) ; une période de profonde décadence qui

couvre le dernier quart du xviir siècle et les (renie

premières années du xix’(1770-1830) ; enfin, après cette date, une période de renaissance ou de resl m ration qui se continue et s’accentue au cours du xix c siècle. Scheeben, Lu Dogmatique, trad. Bélet, Paris, 1877, t. i, p. 691 sq. Si l’on excepte la première période, où la Compagnie de Jésus n’existait pas encore et la quatrième, où elle n’existait plus, on peut y retrouver, quoique d’une façon moins absolue ci moins tran élue les mêmes phases de développement,

I. PREMIER SIÈCLE ni : LA COMPAGNIE DE JÉSUS : PÉRIODE D’ÉCLAT ET DR CONSTRUCTION. Ce fui.

presque des le début, une efflorescence merveilleuse el presque Inouïe de grands hommes, suivant la remarque d’un théologien contemporain : Apud societatera Jesu pullulant summi viri mira et fit audita efflorescenlia. Dom Laurent Janssens, Prselectiones de lien un, , , t. i.

p. 19, Fribourg-en-B., 1899. Scheebe : i est encore plus expressif lorsque, parlant du renouveau théologique qui se manifesta dans les ordres religieux a la fin du XVI siècle, il ajoute : i la part du lion échut a l’ordre récemment établi des jésuites, qui produisitdes œuvres grandioses dans tous les domaines de la théologie. surtout dans l’exégèse et l’histoire et essaya, sous une forme éclect que et plus libre, correspondant aux besoins et aux progrès du temps, de faire avancer la théologie spéculative du moyen âge. » La Dogmatique. trad. Bélet. 1. 1. n. 1078.

L’Espagne, tout d’abord, présente une pléiade d’auteurs rangés communément parmi les théologiens de premier t ordre : François Tolet, Louis de Molina, Grégoire de Valence. François Suarez, honoré pat plusieurs papes du litre de Doctor eximius, Gabriel Vasquez, Didace Ruiz de Montoya, Jean Martinez de Ripalda et Jean de Lugo, devenu cardinal en 1 mais qui par l’époque de son enseignement au Collège romain et de la publication de ses œuvres, rentre dans le premier siècle de l’ordre. D’autres gloires surgissent ailleurs : en Italie, le cardinal Bellarmin : en Belgique, Léonard Lessius : en Allemagne, le bienheureux Pierre Canisius. Jacques Gretser, Adam Tanner ; en France, celui qu’on a nommé « l’aigle des jésuites », Denis Petau, sans compter un nombre beaucoup plus considérable d’auteurs inférieurs, mais d’une réelle valeur, qu’il serait superflu d’énumérer ; tels, par exemple, Jacques Granado, Commentarii in Summam Theologim S. Thomse, Séville, 1623 ; Pierre Arrubal et (iaspard Hurtado de Mendoza, voir t. iv, col. 1556 sq.

Tous ces théologiens n’ont assurément pas exercé la même influence, ni dans l’ordre ni au dehors, par exemple Suarez et Yasquez comparés’entre eux. D’ailleurs, ni Suarez lui-même ni aucun autre n’ont composé un corps de doctrine théologique que la Compagnie de Jésus ait fait sien ou que tous ses théologiens aient suivi ; en ce sens, il ne saurait être question d’une théologie suarézienne ou lugonienne ou ripaldienne ou même moliniste, si ce n’est dans un sens restreint et purement relatif, pour désigner un certain nombre d’opinions avancées par tels ou tels grands théologiens et admises par d’autres à leur suite et comme sous leur patronage. C’est ailleurs que dans les idées soutenues qu’il faut chercher l’influence plus universelle et plus profonde exercée par les grands auteurs jésuites du premier siècle sur le développement de la théologie dogmatique dans l’ordre.

Ce qu’il faut d’abord signaler, c’est la méthode adoptée par ces maîtres dans renseignement, oral ou écrit. Méthode caræl ériséc par l’alliance, dans un degré plus accentué qu’auparavant, de l’élément scolastique représenté par saint Thomas, et de l’élément positif fourni surtout par les Pères, les deux éléments se complétant et s’entr’aidant mutuellement, non pas seulement de fait, par simple nécessité de défense ou de polémique, mais en principe, conformément à la vraie notion de la théologie qui a pour objet propre les vérités révélées, principiarevelata sibi a lieu. s. Thomas, Summa Ihenl. I, q. i. a. 2. La tendance apparaît déjà chez Tolet. considère a bon droil comme le père de la théologie scolastique dans la Coinpagniedc.le.su s Après avoir l’ait de brillantes éludes à l’universilé de Salamanque, OÙ il eut pour professeur le célèbre Dominique Solo, doctissimi magislri nostri Solo, comme il aime à le rappeler. EnOTTatio, t. i. p. 282. il entra dans

la Compagnie de Jésus en 1558 ; appelé l’année sinvante au Collège romain, il y enseigna successivement la philosophie et la théologie Jusqu’en 1568, époque où saint Pie V lui confia d’autres fonctions. Sans nous faire connaître dans toute sou ampleur, ce que fut son enseignement oral, 1res brillant et très goûté d’après

les témoignages du temps, les noies publiées au siècle L04

    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. VUE D’ENSEMBLE Dl MOUVEMENT DOCTRINAL

L046

dernier sous le titre d’Enarratio in Siunmam Théologies S. Thomæ Aquinatis. Home. 1809. nous renseignent du moins sur sa méthode et son procédé. Tolet s’attache à la Somme théologique, œuvre de la plus grande valeur

et qu’on ne saurait jamais trop louer, opus quidem utilissimum et nunquam salis laudatum. i 11 étudie, article par article, les questions traitées par saint Thomas, soit en les résumant brièvement, soit en les développant, selon que la matière est plus facile ou plus dillicile. Viennent ensuite, sous le nom de Quæstiones ou Dubia. de courtes dissertations où les opinions émises sur le sujet par les principaux scolastiques sont exposées et discutées : en tin Tolet conclut en faisant les précisions ou les distinctions qui lui semblent nécessaires. Constante est la préoccupation, énoncée dès le début, de bien montrer ce qui est de foi et de s’attacher à la doctrine et aux sentiments des saints Pères ; quæ fidei tenenda surit, semper oslendenles, et quantum nobis fucrit concessum, sanctorum Patrum dicta et plæila proponentes.

Le genre inauguré par Tolet alla en s’accentuant, Les petites dissertations. Dubia ou Quæstiones, devinrent chez Grégoire de Valence, Bellarmin, Suarez, Vasquez et les autres, des Disputationes de large envergure et parfois de belle tenue littéraire. La part faite à l’élément positif, particulièrement à l’élément patristique, est réellement une note caractéristique même chez des théologiens plus proprement scolastiques, comme Suarez. Vasquez, Ruiz de Montoya, Ripalda, etc. C’est plutôt à leur érudition positive qu’à leur profondeur dialectique, que plusieurs de ces théologiens ont dû des appellations singulièrement expressives : « Augustin de l’Espagne » ou « Cyrille des temps nouveaux », données l’une à Vasquez, l’autre à Ripalda. C’est surtout sa vaste connaissance et sa pénétrante critique des opinions soutenues au cours des siècles qui a fait dire de Suarez, qu’en lui « on entend toute l’École ». Qu’une œuvre de ce genre comporte nécessairement, de la part de ceux qui l’entreprennent. quelque liberté d’appréciation, jointe à une certaine propension à prendre ce qu’ils jugent bon là où ils le trouvent, nulle raison de le nier ; mais au-dessus des maîtres secondaires, cités, discutés ou suivis à l’occasion en des détails, plane toujours la grande et exceptionnelle autorité du maître par excellence, celui qui reste pour tous le docteur propre, saint Thomas d’Aquin, dont ils commentent la Somme ou dont ils font du moins la base de leur enseignement. Grégoire de Valence donnant le plan de son ouvrage, Totius operis tlivisio et argumentum, commence par dire : « Quoniam disputationes nostras ad Summam theologicam D. Thomæ accommodare insliluimus… » Il déclare qu’en ce qui concerne la doctrine, il a marché d’ordinaire, comme il le devait, sur les traces de saint Thomas ; car, de l’avis de tous, ce grand maître « l’emporte tellement sur les autres théologiens scolastiques que les hérétiques eux-mêmes, dont il est pourtant l’ennemi capital, sont forcés de reconnaître cette supériorité. » Ce que l’auteur confirme par un témoignage emprunté à Théodore de Bèze.

Dans le prologue de ses leçons de Louvain sur la Trinité, I » q. xxvii, Bellarmin célèbre avec enthousiasme la méthode admirable et facile du grand maître : « Il propose toutes choses dans un si bel ordre, d’une manière si facile et si concise que, si quelqu’un étudie avec soin ces quelques questions de saint Thomas, j’ose aflirmer catégoriquement qu’il ne trouvera, en ce qui touche à la Trinité, rien de dillicile dans les Ecritures, les conciles, ou les Pères, et qu’en s’attachant à l’étude du saint docteur il fera plus de progrès en deux mois que s’il en consacrait un grand nombre à une étude personnelle et directe des Ecritures et des Pères. »

Dans le premier ouvrage qu’il publia, De incarnatione Verbi, Alcala. 1590, Suarez émet cette déclaration de principes : i Un de mes grands soucis a été de D’épargner ni travail, ni application, ni efforts, aliu d’expliquer la doctrine de saint Thomas avec assez d’exactitude et de clarté pour en faciliter l’intelli gence… Et là où le champ libre est laissé aux opinions. j’ai cherché à imiter l’exemple et la sagesse de ce docteur, préférant toujours ce qui me paraissait plus conforme à la piété, à la raison, à la tradition, laissant tout ce qui s’en écartait, t H. de Scorrailles, François Suarez, t.n, p. 455, 474, où le docte biographe relève la préoccupation constante chez Suarez de ramener la théologie « à sa nature trop oubliée de s ience révélée ». Vasquez, de son côté, avertit ses lecteurs qu’il n’aurait jamais osé mettre la main à ses Commentaires, « s’il n’avait eu pour précurseur et pour guide saint Thomas, ce docteur si grave et si profond dont Dieu a daigné nous faire don. »

Il en est de même des autres grands théologiens jésuites, bien qu’on puisse remarquer entre eux une différence accidentelle dans la manière technique de suivre le maître commun. Nous trouvons des Commentarii in Summam, commentaires dus à des professeurs enseignant dans de grandes universités, comme Tolet à Rome, Bellarmin à Louvain, voir t. ii, col. 587, Grégoire de Valence à Dillingen et à Ingolstadt, Molina à Evora, Suarez et Vasquez à Alcala, Salamanque et Coïmbre. Bientôt le souci d’adapter plus spécialement l’exposé de la doctrine théologique aux besoins des temps nouveaux amène d’autres théologiens à s’attacher moins strictement au texte même qu’à la doctrine de la Somme, avec un apport plus considérable de Télément positif. De là des œuvres aux titres variés, comme la Summa theologise scholasticæ, Mayence, 1623, par Martin Becan, VUniversa theologia scholastica, spéculation, praclica, ad methodum S. Thomæ, Ingolstadt, 1626, par Adam Tanner ; les Disputationes theologicse in Summam S. Thomæ, Anvers, 1643-1655, par Rodrigue de Arriaga, professeur à Prague ; les Disputationes in Summam theologicam, Paris, 1633, par Louis Le Mairat (Mseratius) ; la Theologia universa, Bordeaux, 1644, par Jean Martinon ; un Cursus theologicus ju.rta methodum, qua in scholis Soc. Jesu ubique prselegitur annis qualernis, sancti Thomæ ordini respondentem, Vienne, 1630, par François Amico.

Enfin aux cours généraux qui comprenaient l’ensemble de la théologie s’ajoutèrent dès lors des études particulières, restreintes à telle ou telle partie ou à telle ou telle question plus importante : ainsi, pour prendre deux exemples, le traité du portugais Christophe Gil (/Egidius), De sacra doclrina et essenlia atque unitate Dei, Lyon, 1610 ; et celui du lorrain Claude Tiphaine, Declaratio ac defensio scolastica doctrinæ sanctorum Patrum Doclorisqur angelici /le hypostasi et persona ad augustissima sanctissimæ TriniUdis., et stupendæ Incarnationis mijsleria illustranda. Pont-à-Mousson, 1634. Plusieurs des grands théologiens jésuites cultivèrent ce genre : Lessius, De gratia efficaci decretis divinis. libcrlate arbitra et præscientia Dei conditionala, Anvers, 1610 ; De perfeclionibus et nwribus dii’inis, Anvers. 1620, ete ; Jean Martine/, de Ripalda, De ente supernaturali, Bordeaux et Lyon, 1645, ouvrage où, pour la première*fois, toute la question du surnaturel fut systématiquement étudiée. A ce genre île travaux s’applique l’observation faiie. lors de l’enquête de 1613 par les PP. Decker et

ni : Pour choisir les opinions solides, il faut surtout tenir compte des auteurs qui ont publié peu de choses, mais qui ont écrit d’une manière exacte et ex professa sur un sujet spécial, car souvent ces auteurs traitent les questions avec plUS de soin que leJESUITES. VI i : D’ENSEMBLE DU MOUVEMENT DOCTRINAL

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autres plus encyclopédiques et par là même impuissants à donner le même soin à tous les détails. » Observation juste, mais qui ne s’oppose nullement à ce qu’on trouve chez ces divers auteurs l’air de famille. que l’emploi d’une même méthode générale donne à leurs écrits.

Le mouvement théologique, tel qu’il apparaît dans le premier siècle de la Compagnie de Jésus, présente un autre caractère : l’ampleur donnée à la culture des sciences sacrées. Saint Ignace avait, dans la 11e règle d’orthodoxie, préconisé l’alliance de la théologie scolastique et de la positive ; mais qu’entendait-il par cette dernière ? Dans son avis. De ralione theologiee et sacræ Scripturæ docendx, Maldonat semble identifier la théologie positive et la théologie morale : et morale m qiwm positivant vocant, dans Monumenla pœdagogica. p. 864. La pensée de saint Ignace allait certainement plus loin, car dans la règle même dont il s’agit, il énumère en parlant de la théologie positive la sainte Écriture, les écrits des saints docteurs positifs, les conciles, les canons, et constitutions de la sainte Église catholique notre mère. » Un document rédigé vers 1566 donne également la théologie positive pour « celle qui consiste dans l’étude des saintes lettres et des docteurs, des conciles et de la partie du droit canonique qui se rapporte à la théologie. » Instructio pro prxjecto sludiorum, dans Pachtler, op. cit. 1. 1, p. 203.

Toutes ces sciences et l’histoire ecclésiastique qui s’y rattache, peuvent être considérées sous un double aspect : en tant qu’elles fournissent à la théologie scolastique les matériaux dont elle se sert en les organisant, ou bien en tant qu’elles constituent en elles-mêmes des branches distinctes, quoique indépendantes. Considérées sous le premier aspect, ces sciences rentrent dans la théologie dogmatique, telle que les grands théologiens jésuites l’ont comprise et pratiquée. Mais ils tirent davantage ; plusieurs d’entre eux. et non des moindres, cultivèrent ces sciences pour elles-mêmes. Ceci est vrai tout d’abord de l’Écriture sainte. Pendant le premier siècle de son existence, la Compagnie de Jésus né fut pas moins fertile en grands exégètes (m’en grands théologiens scolastiques. Il serait même plus exact d’éviter l’opposition tacite que cette manière de parler semblerait supposer, car plusieurs parmi les plus grands turent tout a la fois énrinents comme théologiens scolastiques et comme exégètes. Si François Tolet s’est signalé comme professeur au Collège Romain, il n’est pas moins remar quable par ses commentaires sur l’évangile de saint Jean et sur l’épi ! re aux Romains. Salmeron, théologien pontifical au concile de Trente, s’est immortalisé par ses vastes travaux exégéliques sur le Nouveau Testament, Commentarii en onze volumes in- 1°. Madrid, 1598-1602. Si Maldonat eut tant de vogue., Paris, comme professeur de théologie au collège de Clermont, à cause de son mode d’enseignement nouveau et plus pratique, il s’est acquis un renom plus

encore par ses Commentarii in quatuor Evan

gelia, Pont a Mousson, l.V.)0- ! >7.

côté ou a la suite de ces trois grands espagnols, combien de noms d’exégètes marquants leur paj s nous fournirait, si pareil inventaire rentrait dans notre

ujet. L’effort et le résultat fut tel, que Scheeben a nu pouvoir dire, op. cit., t. i. p. 695 : i L’exégèse prit des le débul un essor si remarquable, principalement

les jésuites d’Espagne, qu’il resta peu de chose a

faire dans la période suivante. Le mouvement ne fut

pas exclusivement propre à un pays ; en plusieurs autres, à la même époque, apparaissent des exégètes de valeur : en Italie. Benoît.lustiniani ; en France, Jean i iiiimi’ii Belgique, Jacques Bonfrère, Cornélius à La pldejen Allemagne, Vdam Contzen, Nicolas Serarius,

lorrain de naissance. Voir Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, art. Jésuites (travaux des) sur la sainte Écriture, par le P. A. Durand, S. J., t. iii, col. 1403 sq.

L’activité des théologiens jésuites ne s’arrêta pas à la sainte Écriture. Le double but qu’ils avaient à poursuivre : corroborer les catholiques dans leur foi et combattre les erreurs contraires, leur imposait l’obligation de suivre les adversaires dans leurs attaques contre l’ancienneté et la stabilité des dogmes proposés par l’Église catholique. Dès lors il importait grandement d’utiliser les écrits des Pères et des auteurs ecclésiastiques, connue témoins des croyances primitives. Aussi, des la première édition de son catéchisme, paru en 1556 à Vienne, sous le titre de Summa doclrinæ christianw, le bienheureux Pierre Canisius ne se contentait-il pas d’indiquer en marge, les textes de la sainte Écriture ; il y joignait les principaux témoignages de la tradition patristique. Quand, plus tard, le P. Busæus (Pierre Buys) en donna intégralement le texte, ce fut comme une première ébauche de théologie patristique. Beaucoup marchèrent dans la voie ouverte, en suivant des sentiers différents. Les uns, comme Théodore Antoine, dit Peltanus, et Balthasar Cordier s’efforcèrent d’enrichir le dépôt traditionnel par des Catenæ ou collections de textes et de passages. D’autres, en plus grand nombre, publièrent des ouvrages inédits, des nouvelles éditions, des traductions de Pères ou d’écrivains ecclésiastiques. Nombreux furent ces ouvriers de second ou de troisième ordre qui, modestement et laborieusement, jetèrent leur pierre dans les fondements d’édifices appelés à prendre des proportions aussi grandioses que les A cta Sanctorum ou la Patrologia græca et latina, parue de nos jours.

Plus rares sont les représentants du droit canonique ; tel, en Allemagne, Paul Laymann († 1635), Jus canonicum, sive commentaria in libros Decrctalium, Dillingen, 1663-73. D’autres, comme Jean Buys, François de Torrès, Théodore Antoine, commencent à recueillir et à publier des textes conciliaires ou canoniques. Débuts bien humbles assurément, dépassés de beaucoup par les travaux postérieurs, mais n’en ayant pas moins la valeur de prémices et d’amorce. Beaucoup plus notables sont dès lors les études historico-patristiques, ducs en Allemagne à Jacques Gretser et en France à deshommes comme Fronton du Duc, Jacques Sirmond, Théophile Raynaud et, par-dessus tout, 1 lenis Petau, l’illustre auteur des Dogmata catholica, œuvre dont il parlait ainsi lui-même dans une lettre écrite en 1644, au P. Mutins Vitclleschi : « Je n’ai pas suivi, dans ce traité des choses divines, le chemin battu de la vieille école ; j’ai pris un chemin nouveau et, je le puis dire sans orgueil, un chemin où jusqu’ici personne n’avait encore posé le pied. Mettant de coté cette théologie subtile, qui marche, à l’exemple de la philosophie, a travers je ne sais quels dédales obscurs, j’en ai fait une, simple, agréable, sortant comme un fleuve rapide de ses sources pures et natives qui sont l’Écriture, les Conciles et les Pères, et, au lieu d’un visage hérissé et presque barbare qui fait peur, je lui ai donné une physionomie polie et aimable qui attire. » L’hyperbole mise à part. Petau enrichissait l’Église catholique d’une discipline nouvelle et pleine d’avenir : la théologie historien patristique.

Vers la même époque, un jésuite belge leP. Jean Bollandus († 1655), commençait à réaliser le projet que le P.HérlbertRoswoyde avait conçu le premier, de réunir en un vaste recueil les documents relatifs aux vies des saints. Acta sanctorum. Comme ouvrier de la première heure et comme organisateur de la bibliothèque et des archives, Jean Bollandus mérita de donner son nom à l’illustre société qui continua l’oeuvre et qui eut l’honneur de compter parmi ses pri miers membres à coté du fondateur, des érudits tels que Godefroid Henschlus

et Daniel Papebroch, Voir t. ii, col. 950 sq. ; Sommervogel, Bibliothèque, t. I, col. 1526 sq., avec indications des notices sur Le bollandisme col. 1673 sq., et H. Delehaye. L’œuvre des Bollandistes, Bruxelles. 1921.

Enfin, pour que rien ne manquât de ce qui peut contribuer à la profondeur des études théologiques, la philosophie fut cultivée avec soin, d’après les prineipes posés par saint [gnace et ses successeurs. Les grands théologiens jésuites ne furent tels qu’en fonction d’une forte culture philosophique ; aussi plusieurs d’entre eux. Tolet, Molina, Vasquez. Suarez, Arriaga. ont-ils mérité d’être cités parmi les représentants du mouvement philosophique réformateur qui se produisit alors. Caïd. Zéphirin Gonzalez, Histoire de la philosophie, trad. G. de Pascal, t. iii, p. 100, Paris, 1891. Leur influence s’exerça diversement. Il y en eut qui, enseignant cette science, publièrent comme fruit de leurs leçons des commentaires sur Aristote ; ainsi Tolet, Introductio in dialecticam Arislolelis, Rome. 1561 ; Commentaria una cum quæstionibus in très libros Aristotelis de anima, Venise, 1575 ; surtout Pierre de Fonseca, Commentariorum in libros Metaphysicorum Aristotelis Stayiritx lomi IV, Rome, 1577. Surnommé l’ « Aristote portugais », Fonseca fut l’initiateur’du mouvement remarquable qui eut pour résultat le grand ouvrage de philosophie péripatéticienne auquel le nom du collège de Coïmbre est resté attaché, Commentarii collegii Conimbricensis, Societatis Jesu, in octo libros Physicorum Aristotelis Slagyritæ, in quatuor libros de cœlo. etc., Coïmbre, 1592, Sans compter des commentaires plus modestes, comme ceux d’Antoine Rubio, Alcala, 1603, etc.

D’autres maîtres jugèrent utile de grouper dans une vaste synthèse les grands problèmes métaphysiques ; tels Suarez, Disputationes melaphysicie, Salamanque, 1597, et ^jpsquez, Melaphysicse disquisiliones, Anvers, 1618 : Des traités moins étendus suivirent, publiés sous le titre de Universa philosophia ou de Cursus philosophicus, par des disciples de ces maîtres : Pierre Hurtado de Mendoza, Lyon, 1624 ; Rodrigue de Arriaga, Anvers, 1632 ; François Suarez, portugais, Coïmbre, 1632. Ces travaux ont leur place dans l’histoire de la philosophie scolastique. Le cardinal Gonzalez les cite p. 100, 102, et porte sur le plus célèbre ce jugement flatteur, p. 136 : « Suarez est peut-être après saint Thomas, la personnification la plus éminente de la philosophie scolastique. Sa conception philosophique est la plus complète, la plus universelle, la plus solide, après celle de saint Thomas, qui lui sert de point de départ, de base et de règle, comme on peut le voir en parcourant ses œuvres. Dans la métaphysique comme dans la théodicée, dans la morale comme dans la psychologie, Suarez marche généralement à la suite du docteur angélique, dont il expose, commente et développe les idées avec une remarquable lucidité. Récemment, un auteur qui n’est pas suarésien, a reconnu le grand mérite du Doclor Eximius dans ce gigantesque travail de systématisation scientifique de toute la métaphsyique : A. Grabmann, Die Disputationes Melaphysicie des Franz Suarez in ihrer. methodischen Eigenarl und Forlwicklung, p. 29-75, des Beitrage zur Philosophie des P. Suarez, par K. Six, A. Grabmann, F. Natheyer, A. Juanen et J.Biederlak, Inspruck, 1917, p. 31-37, 48. Ajoutons un représentant de la tendance thomiste plus stricte, Côme Alamanni, Summa tolius philosophiae I). Thomm Aquinalis angelici Docioris dodrina, Pavie, 1618, 1623 ; ouvrage réimprimé au siècle dernier, Paris. 1885, LSSX.

Tel fut, dans ses grandes lignes, le développement du mouvement théologique dans la Compagnie de Jésus pendant le premier siècle de son existence. Pour 1 apprécier dans toute son ampleur, il importe de ne

i pas considérer les professeurs ou les écrivains jésuites isolément, mais de tenir compte de l’influence commune el, pour ainsi dire, sociale qu ils exercèrent dans les universités ou centres d éludes analogues qu ils fondèrent ou qui leur furent confiés en tout ou en partie. Nous en avons déjà rencontré un certain nombre, en particulier le Collège romain, auquel se rattachaient, pour la fréquentation des leçons, les collèges germanique, anglais, irlandais, écossais, grec, maronite et autres. Lu dehors de l’Italie, nombreuses furent les institutions du même genre. Qu’il suffise de citer, en Allemagne, les noms suivants : Breslau, Cologne, Dillingen. Fulda, Ileidelberg, lngolstadt, .Mayence.WurLbourg ; en Autriche, Gratz, Olmutz, Prague, Vienne ; en Hongrie, Tyrnau ; en Pologne, Cracovie, Lemberg, Vilna et Zolock en l.ithuanie ; en Fspagne et Portugal, Alcala, Madrid, Valladolid, Coimbre, Kvora ; en Lorraine, Pont-à-Mousson ; en Alsace, Strasbourg et Molsheim ; en Belgique, Couvain ; à Paris enfin, l’illustre collège de Clermont. Si l’on envisage ainsi le mouvement théologique dans la Compagnie de Jésus, on peut sans manquer de réserve, lui appliquer le jugement porté par Scheeben, op. cit., n. 694, sur le même siècle pris en général : « Ce qui constitute la grandeur de cette période, c’est que toutes les disciplines de la théologie y sont cultivées simultanément comme un seul corps de doctrine. » Il n’y eut pas là, en ce qui concerne les théologiens jésuites, une réussite purement fortuite ; l’ampleur qu’ils donnèrent à l’étude des sciences sacrées n’était qu’un moyen pratique de tendre au but qu’ils se proposaient d’atteindre : défendre le plus efficacement possible la foi et la doctrine catholique, et pour cela, suivre l’adversaire ou porter soi-même l’attaque sur tous les points.

II. SECOND SIÈCLE ET TROISIÈME, JUSQU’A LA SUP-PRESSION DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS EN 1773 : PÉRIODE D’ASSIMILATION ET DE VULGARISATION. —

Il n’est guère dans le cours habituel des choses qu’un mouvement intellectuel d’une puissance extraordinaire se poursuive longtemps avec la même intensité. Ainsi en fut-il pour la théologie doctrinale des jésuites. Il y aurait exagération manifeste à parler d’une période de décadence profonde, ou même de stagnation, en prenant ce mot dans un sens rigoureux et absolu ; mais il n’en est pas moins vrai que si l’on compare le second siècle au premier, notable est la différence, au désavantage du second. C’est là, du reste, un phénomène non particulier à la Compagnie de Jésus, mais général, à la même époque.

L’infériorité apparaît nettement en ce qui concerne les travaux de la sainte Écriture. Non que l’étude de cette science ait été abandonnée : en parcourant dans le Nomenclator d’IIurter la colonne qui s’y rapporte, on trouvera des jésuites en assez grand nombre, une cinquantaine environ ; mais aucun n’est comparable aux grands exégètes du premier siècle, et c’est à peine si l’attention est spécialement attirée par quelques noms, comme ceux d’un Ménochius, en Italie, d’un Tournemine, en France, d’un Didace Quadros, en Espagne. Si la science exégétique n’est pas stagnante, elle fait peu de progrès.

L’infériorité n’apparaît pas moins dans la théologie scolastique. Plus de commentaires de la Somme de saint Thomas, comparables par l’ampleur, a ceux des grands madrés ; suivant la remarque de Scheeben, op. cit.. |>. 709, mi s’en aperçoit par la substitution des ouvrages in-l° aux in folio, des in-S" (d. des in-12

aux in- 1°. On ne rencontre même plus, d’ordinaire, L’exposition ayant pour objet direcl le texte du docteur angélique. A pari quelques exceptions, comme l’Opus theologicum de Silvestre Maurus, Rome, ltis7, les docteurs nouveaux se contentent le plus souvent d’utiliser les matériaux accumulés par le Labeur de 1 1 15 1

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JÉSUITES. VUE D’ENSEMBLE DU MOUVEMENT DOCTRINAL

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leurs aines. Sous cet aspect, et en ce sens, le second siècle est, par rapport au premier, une période d’assimilation. C’est aussi une période de vulgarisation. On veut éviter les redites et les pertes de temps qu’entraînait le mélange des questions théologiques et des questions philosophiques dans la Somme de saint Thomas ; K-s longs commentaires et les Disputationes de large envergure font place à des compositions où l’on vise beaucoup plus à la brièveté, à la clarté, à l’ordre logique et a la valeur relative des questions pour l’époque et pour les pays. De là viennent les abrégés de toute sorte : Manuels ou Cours, présentés sous ce titre ou sous d’autres équivalents : Traclalus theologici, Instilutiones théologies ?, Theologia, soit simplement, soit avec des épithètes qui déterminent le genre spécial, parfois un peu encyclopédique, de ces cours, par exemple celui des jésuites de Wurzbourg, intitulé Theologia dogmatica, polemica, scholastica et moralis et honoré de cet éloge : ’Omnium finis et digna corona », par le P. Christ. Pesch, Prmlection. es dogmaticæ, t. i. n. 54.

Les auteurs sont de toute nationalité : Italiens, comme Sl’orza I’allavicini, Home. 1628, ete ; Dominique Viva, Padoue, 1712. Espagnols : Martin de Esparza Artiada, Home, 1662 ; Jean-Baptiste Gormaz, Augsbourg, 1707 ; Jean l’Iloa, Augsbourg, 1719 ; Jean Morin, Vienne, 1720 ; Jean-Baptiste Gêner, Home, 1767. Allemands : Christophe Ilaunold, Ingolstadt, 1659-1670 ; Antoine Liber, Vienne, 1747 ; Jos. Monscheim, Dilligen, 1703 ; Antoine Mayr, Ingolstadt, 1729 ; Henri Kilner et autres auteurs de la Theologia dogmatica polemica, scholastica et moralis, Wurzbourg, 1700. Français : Georges de Rhodes, Lyon, 1061 ; Edmond Simonnet, Nancy, 1721 ; Paul-Gabriel Antoine, Pont-à-Mousson, 1723. Belges, comme Jacques Platel, Douai, 1661. Anglais, comme Thomas O.ompton ou Carleton, Liège, 1658, 1662,

A coié des cours complets, les traités particuliers se multiplient en très grand nombre. Certains ont attiré l’attention par le nom de leurs auteurs ou l’originalité de leurs vues, comme VJEnigma sacrum et la Yita abscondiia, Home. 1717. 1728, de l’espagnol Alvare Cienfuegos, professeur au Collège romain, puis cardinal en 172( ». Voir t. n. col. 2511. D’autres ont leur place dans l’histoire des dogmes par l’in lluence exercée, comme l’ouvrage classique du sicilien lienoit Plazza, Causa immaculatæ conceptionis sanctisstmse Matris Dei Mariée, Palerme, 1717.

D’une façon plus générale, la mariologie traitée

avec prédilection par le bienheureux Pierre Canisius,

Suarez et autres grands théologiens, continue à se

développer avec une richesse dont on peut se faire une idée en jetant un coup d’cail sur le répertoire spécial du P. Sonunervogel, Bibliotheca Muriana de la Compagnie de Jésus, Paris, i.xii.").

La philosophie se présente à peu pics dans les même conditions que la théologie scolastlque. Des nombreux cours et traités, des nombreuses éludes sur

les philosophes anciens, des nombreux commentaires sur leurs écrits qu’on trouve signalé* dans la Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, t., col. 521-26, 15, beaucoup sont de l’époque présente : mais très peu SOrtent du commun. Au moins est-il juste d’en relever quelques-uns : en Italie, Sylvestre Maurus, Aristolelis opéra quæ exstani omnia bien paraphrasi, ac litteræ perpetuo inhserente explicaiione illuslrata, Rome, 1668 ; en Espagne, Louis de Lossada, Cursus philosophicus regalis collegii Salmanticensis, Sala manque, 1724, 1730, 1735 ; en Allemagne, Jean-Baptiste Tolomei, créé cardinal en 1712, Philosophia mentis etsensuumsecundum utramque Aristolelis metho iium pertractala, ihetaphgslce et empirtee, Augsbourg. Antoine Mayr, Philosophia pertpatettca anti quorum prineipiis et recentiorum experimentis confirmata, Ingolstadt, 1739.

Un fait plus important se rapporte à cette époque : l’apparition de la philosophie nouvelle avec les « Essais » de Descartes, 1037, etc. Cette philosophie nouvelle compta parmi ses principaux adversaires deux jésuites français : Pierre Bourdin (| 1653), septième objection ou dissertation touchant la philosophie première, et Gabriel Daniel, Voyage du monde de Descartes, Paris, 1090. Quoi qu’il en soit des cas particuliers, comme celui du P. Yves André, l’ordre dans son ensemble ne pouvait avoir qu’une attitude d’hostilité à l’égard d’un système dont les principes étaient en contradiction manifeste avec ceux de la philosophie péripatéticienne et thomiste. Sur la demande de la XIV’Congrégation générale, le P. Michel-Ange Tamburini. nommé général le 31 janvier 1706, fit un catalogue de trente propositions cartésiennes dont renseignement était prohibé dans les chaires de la Compagnie. Voir C. de Rocheniontcix, Le Collège Henri I Y de La Flèche, 1. 1, p. 60-89, Le Mans, 1889.

Si les écrivains jésuites de cette période cèdent la palme en plusieurs points à leurs grands aînés, en d’autres pourtant ils la leur disputent. Dans le champ du droit canonique, des commentateurs plus nombreux et de plus grand renom apparaissent, comme Henri Pirhing, Dillingen, 1071 ; Jacques Wiestner, Ingolstadt, 1717 ; François Schmalzgrueber, Ingolstadt, 1728 ; Joseph Biner, Augsbourg. 1754. A la seconde moitié du xvir siècle, appartiennent la plupart des nombreux ouvrages du P. Philippe Labbe, et spécialement la collection des conciles généraux et particuliers de France, qu’il publia en collaboration avec le P. Gabriel Cossart ; ouvrage considérable, dont une nouvelle édition fut donnée en 17Il par le P. Jean Hardouin, sur l’ordre de l’Assemblée du Clergé de France de 1085. Des travaux semblables furent publiés pour l’Allemagne, par Joseph Hartzheim, Cologne, 175963, et pour la Hongrie, par Charles PeterITv, Vienne, 1700-09.

Les études palristiques ne sont plus illustrées par un Pelau, mais le mouvement dont ce grand homme cl ses contemporains avaient été les initiateurs, se développe ; et bien qu’à cette époque les principaux représentants de la grande érudition palristique et ecclésiastique se rencontrent parmi lés bénédictins de France, la Compagnie de Jésus présente des noms dignes d’être associes aux leurs ; tels, en dehors de Philippe Labbe déjà mentionné, les PP. Pierre PoUS-Sines, Pierre François (’Juillet et Jean (iarnier. lui Italie, Sforza Pallavicini, professeur au Collège romain et cardinal en 1650, s’immortalise par son Isloria ilel Concilio ili Trento, Home. 1656. Enfin de nombreuses éludes de détail sur la vie, les écrits et la doctrine des saints Pères ou sur des faits Importants de l’histoire de l’Église sont provoquées, comme on le verra plus loin, par les controverses de l’époque, surtout le jansénisme et le gallicanisme.

Tout cet ensemble de travaux témoigne assurément d’une grande activité littéraire. Gênée pendant la période d’attaques et de persécutions que traversa l’ordre sous les pontificats de Clément Xlll et de Clément IY, cette activité n’en continua pas moins

jusqu’à l’heure de la suppression, en 1773, comme

l’attestent les multiples ouvrages publiés encore peu danl le quarl de siècle qui précéda ce i riste événement. Alors même brilla en Italie un homme d’une érudition et d’une fécondité merveilleuse, François Antoine Zaccaria tt 177.’)). doublement remarquable, et par

ses travaux personnels, nombreux et variés, et par son

Thésaurus theologicus, Venise, 1762, précieux recueil

d’études spéciales, empruntées aux meilleurs théologiens de son siècle ou des siècles antérieurs.

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    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. VUE D’ENSEMBLE DU MOl’VEMENT DOCT1 ! INAL

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/II. La S0WELI.E COMPAGNIE : PÉRIODE DE RÊA.C-T 10X ET DE RESMSsaSCE. — Le court demi-siècle qui s’écoula entre la suppression de la Compagnie de Jésus et SOU complet rétablissement par Pie VII en 1814, correspond à la. période île décadence profonde, » dont parlent les historiens du dogme ou de la théologie catholique. Si la Révolution française avait amené de grands bouleversements dans l’ordre politique, le désordre et le désarroi n’étaient pas moindres dans le domaine des idées. La Compagnie de Jésus n’étant plus, il ne saurait être question pour elle d’une part de responsabilité dans ce triste résultat. Ce qu’il est, au contraire, permis de constater comme un fait historique, c’est que, dans ces temps troublés, il y eut, parmi les anciens membres de l’ordre supprimé, de nobles et vigoureux défenseurs de l’Église et de la foi catholique, comme Alphonse Muzzarelli en Italie, Fauste Arevalo ea Espagne, et d’autres en France, en Belgique et en Allemagne, dont les noms viendront à propos île la controverse rationaliste.

Quand la Compagnie de Jésus sortit du tombeau, il lui fallut tout refaire en matière d’enseignement, car elle n’avait plus ni maisons d’études, ni bibliothèques, ni maîtres formés, ni traditions scolaires. Les traités de théologie et de philosophie qui avaient cours s’inspiraient le plus souvent des idées régnantes ; les autres avaient trop subi l’influence des mêmes idées pour être en parfait accord avec l’ancienne théologie, celle de saint Thomas d’Aquin, et l’ancienne philosophie, celle d’Aristote interprétée par ce même docteur. Ces difficultés furent encore compliquées par l’apparition de nouveaux systèmes philosophiques ou théologiques, comme le traditionalisme, le mennésianisme. l’ontologisme et autres. Ces nouveautés trouvèrent des adversaires décidés dans la Compagnie de Jésus : le mennésianisme, dans le P. Jean Louis de Rozaven ( f 1851) ; le traditionalisme, dans le P. Marie-Ange Chastel, († 1861), l’ontologisme dans le P. Henri Hamière († 188 1) et d’autres. Il y eut cependant dans quelques pays, en France notamment, des tiraillements dus a l’iniluence que ces nouveaux systèmes exercèrent sur les esprits ; mais la déviation ne fut que momentanée et, sous l’action vigilante et ferme des supérieurs, tout rentra dans l’ordre. J. Burnichon, La Compagnie de Jésus en France, Paris, 1919, t. iii, cm. p. 159 sq. En 1858, le R. P. Beckx adjoignit à son Urdinatio pro triennali philosophiæ studio un grand nombre de propositions prohibées ; beaucoup se rattachaient à des systèmes philosophiques opposés à l’enseignement d’Aristote et de saint Thomas, tels que le cartésianisme, le kantisme, le traditionnalisme, l’ontologisme, etc.

L’ordre renaissant renoua son enseignement à celui d’autrefois en recourant au même lien de doctrine et d’unité : les principes posés dans le Ratio studiorurn. Quand, vers le milieu du xixe siècle, un mouvement sensible de réaction se produisit en faveur de la théologie et de la philosophie thomiste, les membres de la Compagnie y eurent leur bonne part. Il suffit de citer en Allemagne, Joseph Kleutgen, Die Théologie der Vorzeit vertheidigt. Munster, 1853-60, et Die Philosophie der Yorzeit vertheidigt, Munster, 1860-63 ; H. Hurter, Theologiæ dogmalicæ compendium, Inspruck, l^T’i : Ferdinand Stentrup, Prselectiones dogmatiese de h"j uno, de Verbo Jncarnato, Inspruck, 1876, 1882, en Belgique, Louis de San, De Deo uno, Couvain. 1904, et autres traités justement estimés. Mais ce fut surtout en Italie, au Collège romain réorganisé, que le mouvement acquit une ampleur et une efficacité plus grande, si les Prselecliones théologies du P. Jean Pcrrone, P.omc, 1835-42, constituaient déjà un réel prod’autres maîtres publièrent ensuite des écrits qui, faisant moins large la part de la controvci

combinant dans une meilleure mesure l’élément scolastique et l’élément positif, rentraient davantage dans le genre traditionnel ; tels, pour ne parler que des morts, les cardinaux Franzelin et Mazzclla, les PP.Palmieri et Schifflni, auteurs dont les œuvres sont trop connues pour qu’il soit nécessaire de les énumérer.

La renaissance des sciences sacrées s’étendit, bien que dans des proportions diverses, aux autres branches de la théologie. L’exégèse biblique a été noblement cultivée, en Italie, par François Xavier Patiizi ; eu Allemagne, par les PP. Cornely, Knabenbauer et autres auteurs du volumineux Cursus scriptunu sacrée, Paris, à partir de 1886. Les éludes de droit canonique ont eu d’illustres représentants dans le cardinal Tarquini, Juris ecclesiastici publici institutiones, Rome, 1869, et surtout dans leR.P. François-Xavier Wernz, général de la Compagnie de Jésus, Jus Decretalium, Home, 1898. La théologie patristique a été moins riche en ouvrages généraux qui lui soient spécialement et directement consacrés, comme les Études de Théologie patristique sur la Trinité, par le P. Théodore de Régnon, Paris, 1892, etc. En revanche, la plupart des théologiens dogmatiques ont eu soin, à l’exemple du cardinal Franzelin, d’utiliser dans leur enseignement et dans leurs écrits les trésors d’érudition accumulés dans les œuvres de Petau et de ses émules. En outre, dans les grands dictionnaires de Théologie publiés depuis un demisiècle ou qui sont actuellement en cours de publication, de nombreuses et importantes études patristiques, doctrinales ou historiques, ont paru sous le nom de théologiens jésuites.

L’histoire ecclésiastique reste en honneur, représentée particulièrement par les nouveaux Bollandistes, tels que Victor de Buck († 1876) et Charles de Smedt († 1911). Une branche spéciale, l’archéologie sacrée, se développe et commence à intéresser les théologiens eux-mêmes pour l’apport fourni en faveur des croyances et des coutumes primitives ; telles, en Italie, les diverses publications du P. Raphaël Garrucci († 1885), et, en France, celles des PP. Arthur Martin († 1856), Alphonse Didron († 1867) et Charles Cahier († 1882).

Enfin, dans ce fécond mouvement de réaction et de renaissance, les études de philosophie scolastique ont eu leur belle part ; noblement relevée par Kleutgen, cette science a trouvé en Italie, particulièrement au Collège romain, toute une pléiade d’ardents apôtres dans les Cornoldi, les Tapparelli, les Liberatore, les Schifflni et leurs successeurs. Léon XIII a rendu hommage à ces efforts dans l’épithète de princeps philosophorum donnée à Kleutgen et dans le bref Gravissime nos, adressé aux membres de la Compagnie de Jésus ; après avoir rappelé l’encyclique JElerni Palris et le dessein qu’il y avait exprimé de faire revivre dans les écoles chrétiennes la philosophie scolastique d’après saint Thomas d’Aquin, il ajoutait que, pour exécuter cette œuvre il comptait sur la collaboration des ordres religieux en général, et en particulier sur celle de la Compagnie de Jésus : Quo guidera in numéro déesse non poteral inclyla Socielas Jesu.

II. Les GliANDES CONTROVERSES rHÉOLOGIQUES DE

la Compagnie de Jésus. Comme ce titre l’indique, il ne s’agira pas ici de toutes les controverses auxquelles des théologiens jésuites ont pu prendre part ou donner occasion : des controverses personnelles, locales ou particulières, c’est-à-dire restreintes a des points de détail, n’ont qu’un intérêt secondaire et n’accuseni pas un mouvement d’ensemble. Il en va autrement île certaines controverses capitales, ou tout l’Ordre fui à la différence des autres, celles-ci

sont de nature a manifester, par la spontanéité et l’universalité de l’opposition, un réel caractère de l’orientation Idéologique dans la Compagnie de Jésus.

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    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. LA CONTROVERSE PROTESTANTE

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Ces controverses générales ont porté sur quatre erreurs bien caractérisées : le protestantisme, le jansénisme, le gallicanisme et le rationalisme moderne. Abstraction sera faite de la controverse de auxiliis ; ce qui en a été dit ci-dessus suflit à montrer qu’il y a dans la doctrine officiellement soutenue par les théologiens jésuites, sous Clément VIII et Paul V, un point réellement caractéristique de leur enseignement en matière non de foi, mais d’explication systématique.

I. controverse protestaste.

En fondant la Compagnie de Jésus, saint Ignace lui avait donné pour mission spéciale de se consacrer sans réserve à la défense de l’Eglise romaine. Le principal et le plus menaçant adversaire était alors le protestantisme ; la lutte devenait inévitable. Les circonstances elles-mêmes en donnèrent le signal, quand trois des dix premiers jésuites, le bienheureux Pierre Lefèvre, Claude Le Jay et Nicolas Bobadilla, envoyés en Allemagne ou en Autriche, se trouvèrent en face de plusieurs chefs intellectuels de la Réforme. A la controverse orale s’ajouta bientôt la controverse par écrit. Outre son catéchisme, comparé par Scheeben au Livre des Sentences, libsr sententiarum sui temporis, le bienheureux Pierre Canisius publia ses Commentaria de Verbi Dei corruptelis, Dillingen. 1571, suivis d’un autre volume, De Maria Virgine incomparabili et Dei génitrice, Ingolstadt, 1577. La contre-révolution religieuse, qui se produisit alors dans les pays d’Allemagne restés catholiques et dans quelques-unes des régions entamées par l’hérésie, se rattache en grande partie à l’apostolat de cet homme de Dieu, surnommé « le marteau des hérétiques » ou « le nouveau Boniface ». Voir t. ii, col. 1509 sq. A côté de lui se place un théologien de marque, déjà nommé, Grégoire de Valence, professeur de 1575 à 1591 dans les universités d’Ingolstadt et de Dillingen ; il a mérité d’être salué comme « le restaurateur de la théologie en Allemagne, mêlant dans ses commentaires sur la Somme, de la façon la plus heureuse, dans un beau et riche langage, la théologie positive et la théologie scolastique. Scheeben, op. cit., t. i, p. 704. En même temps, il fit œuvre de controversisle vaillant et habile dans un grand nombre d’écrits sur les matières discutées entre catholiques et protestants. Voir t. iv, col. 1565.

En fondant à Rome en 1552. le Collège germanique, saint Ignace s’élail proposé d’assurer et tic perpétuer les fruits de ce grand mouvement de réaction catholique en Allemagne. Vingt-quatre ans plus tard, le pape Grégoire XIII décrétant, dans l’intérêt des élèves du même collège, l’érection au Collège romain d’une chaire de controverse, confiée à Robert Bcllarmin, posa l’occasion providentielle qui valut à l’Église romaine les Disputationes de < ontroversiis christianse fidei, advenus hujus temporis hæreticos, Ingolstadt, 1586, 1588, 1593. Œuvre capitale en son genre, dont on a pu dire qu’elle lui pour la théologie polémique ce que la Somme théologique « le saint Thomas avait été pour la théologie scolastique. Voir t. ii, col. 577, 588. Mais, en dehors de cette œuvre que son ampleur et son mérite mettent à part, la controverse protestante donna lieu, surtout dans les pays où les novateurs et les catholiques se coudoyaient, à nu puissant mouve nient littéraire qui se maintint dans les siècles suivants.

En Allemagne, dans la première moitié du xviie siècle, des théologiens de grand renom se distinguent aussi comme polémistes : Jacques Gretser (j 1621). auteur d’une érudition et d’une fécondité merveilleuse voir t. vi, col. 1866 ; Martin Becanus († 1621), bra bançon d’origine et longtemps professeur à Wurzbourg, Mayence et Vienne, connu surtout par son Manuale controversiarum, .Mayence, 162 !  !, ouvrage non seulement solide, mais digne et plein de mesure. voir i. u. col. 522 ; Adam Contzen († 1635), apologiste

des Controverses de Bellarmin et remarquable, en matière économique par des vues surprenantes pour l’époque, voir t. iii, col. 1756. A ces célébrités s’ajoutent, au cours du même siècle, d’autres champions de la foi catholique, dont les noms méritent d’être relevés ; George Scherer († 1605) ; Josse Kedd († 1657) ; Laurent Forez († 1659), voir t. vi, col. 539 ; Jacques Masen († 1651) ; Guy Erbermann (| 1695), voir t. v, col. 399. Au xviii c siècle, la préoccupation polémique est encore tellement à l’ordre du jour qu’elle est au premier plan dans des publications théologiques, comme le Cursus theologiæ polemicæ universæ de Guy Pichler, Augsbourg, 1713, ou que du moins elle va de pair avec le dogme, comme dans les théologies déjà citées des jésuites de Wurzbourg, Theologia dogmalica, polemica, etc., et dans celle de Sardagna, Theologia dogmatico-polemica.

La controverse protestante s’étendit naturellement aux pays voisins de l’Allemagne ; partout il y eut, dans la Compagnie de Jésus, de vaillants champions. En Pologne, Pierre Skarga († 1612), Nicolas Cichovius ou Cichocki (1669), Théophile Rutka (j 1700) ; Godefroy Hannenberg († 1729). En Hongrie, le cardinal Pazmany († 1637), et Martin Szentivany († 1705). En Bohême. Jean Kraus († 1732). En Belgique, Théodore Antoine Peltanus († 1584) ; François Coster († 1619), voit t. iii, col. 1920 ; Charles Scribani (| 1129) ; Jean de Gouda († 1630). Lessius lui-même († 1623), qui joignit à ses autres mérites celui d’avoir fait œuvre d’apologétique dans deux de ses écrits, Quæ fides et religio sit capessenda consultatio. Anvers, 1609 ; De antichristo et ejus prœcursoribus, Anvers, 1611.

En France, le calvinisme eut de dignes adversaires dans beaucoup d’écrivains, dont plusieurs furent également de grands prédicateurs et de vaillants apôtres : Edmond Auger († 1591), voir t. i col. 2267 ; Jean Gontery († 1610), italien d’origine, t. vi, col. 1491 ; Louis Richeome († 1625) ; Pierre Coton († 1626), t. m. col. 1928 ; l’alsacien JeanJacques Schelïmacher, († 1733), t. iv, col. 1570, et beaucoup d’autres. Voir J. Brucker, La Compagnie de Jésus, p. 471, 758.

En Angleterre, ce fut surtout par le témoignage du sang que les missionnaires jésuites rendirent hommage à la foi catholique ; mais plusieurs se distinguèrent aussi par l’apostolat de la plume comme le bienheureux Edmond Campiau, Raliones decem quibus jretm certamen anglicanm Ecclesise minislris oblulit, 1581, voir t. ii, col. 1449 ; Jacques Gordon Ilunlley, Controversiarum christianæ fidei adversus huius temporis hirrelicos epitome, Cologne, 1620, voir t. vi. col. 1496 ; Robert Persons, De persecutione anglicana, Home, 1582. etc. : Jacques Mumford, The Question oj Questions, Gand, 1658, etc. ; Jean Spencer, The trial o/ the Protestante privale spirit, 1630, etc.

Au xix L’siècle, dans la nouvelle Compagnie de Jésus, la controverse protestante ne cessa pas. mais dans l’ensemble elle changea d’aspect. Sous l’influence de la philosophie moderne, du kantisme surtout, la protestantisme agressif modifia peu à peu son terrain d’attaque ; répudiant l’ancien conservatisme, la plupart des théologiens évangéliques s’en prirent aux bases mêmes du catholicisme et du christianisme, considérés comme religion fondée sur la révélation divine Des lors, la lutte se confondit à peu près, dans les grandes lignes, avec la lutte plus générale contre le rationalisme et ses tonnes multiples.

La controverse protestante eut une influence notable sur le développement de la théologie dans la Compagnie de Jésus. Elle contribua incontestablement à l’adoption et au maintien jaloux de la méthode gêné raie Indiquée ci-dessus, celle qui consiste à combiner, dans un degré plus accentué qu’auparavant, l’élément positif avec l’élément scolastique. Les novateurs

rejetaient ou dédaignaient ce dernier ; il fallait, pour les atteindre, insister sur le premier et répondre aux accusations d’innovation ou de corruption doctrinale qu’ils lançaient contre l’Église romaine. La valeur exceptionnelle, exclusive même, qu’ils attribuaient à la Bible, à la parole de Dieu écrite, par opposition à la tradition ou parole de Dieu communiquée et transmise d’abord oralement, imposait aux champions de la doctrine catholique le devoir d’étudier de leur côté et d’approfondir les saintes lettres et les monuments de l’antiquité chrétienne, afin de pouvoir suivre et combattre les autres sur leur propre terrain.

La controverse protestante eut encore une autre influence. Les attaques des novateurs furent si multiples, dans leur objet direct ou dans leurs conséquences, elles entraînèrent tant de problèmes dépassant le champ propre de la théologie scolastique, qu’il fut rigoureusement impossible de les résoudre sans recourir aux diverses branches de la théologie positive, même aux branches purement auxiliaires, comme l’histoire ecclésiastique. Il suffit, pour se rendre compte du fait, de jeter un coup d’œil sur les Conlrcverses de Bellarmin ou sur des cours de théologie plus récents, comme celui des jésuites de Wurzbourg où ces mêmes Controverses ont été si largement utilisées. Cette considération explique et justifie l’ampleur que les théologiens jésuites, guidés par le Ratio sludiorum et par la connaissance des besoins du temps, donnèrent à l’étude des sciences sacrées.

II. COSTROVEESE JASBÉSISTE.

Cette nouvelle lutte eut son prélude dans le baïanisme. Voir Baius, t. ii, col. 04. Beaucoup des propositions que ce théologien soutint à Louvain, en particulier celles qui concernaient la grâce du premier homme et des anges, la justification et le mérite, le libre arbitre, la concupiscence et le péché, étaient si directement en contradiction avec la doctrine commune des théologiens jésuites sur les mêmes points que le baïanisme devait inévitablement trouver en eux des adversaires décidés et irréconciliables. François Tolet, chargé par le pape saint Pie V de porter et de faire accepter à l’université de Louvain la bulle Ex omnibus afjlictionibus, 1 er octobre 1567, qui condamnait 70 propositions, eut l’honneur et la joie de réussir dans cette mission. La soumission des esprits ne fut cependant pas complète. Bellarmin, arrivé à Louvain, en mai 1569, assista pendant quelque temps au cours du célèbre chancelier ; il se rendit si nettement compte de ce que son système avait de périlleux, que, devenu professeur, il profita de toutes les occasions, pour le réfuter, sans toutefois le nommer. Voir t. ii, col. 561. Les divers passages furent réunis ensuite sous ce titre : Sententiæ L). Michælis Baii, doctoris Lovaniensis, a duobus Pontificibus damnalæ et a Roberto Bellarmino rejutatæ, écrit récemment publié dans YAuclarium Bellarminianum, Paris, 1913, p. 314. Un autre grand théologien, Jean Martinez de Bipalda, fit suivre son célèbre ouvrage De ente supernaturali d’une appendice spécial contre le baïanisme : Adversus articulas olim a Pio V, Gregorio XIII et novissime ab Urbano VIII damnalos litri duo, Cologne, 1648 ; édit. Vives, Paris, 1871, t. v, et vi.

Ainsi commencée avec les baïanistes, la lutte devait continuer avec les jansénistes, après l’apparition de l’ouvrage capital de leur chef. Cet ouvrage ne parut que deux ans après la mort de Jansénius, sous ce titre : Augustinus, sire dodrina (suncti) Augustini de humanee naturie sanitate, œgriludine, medicina, adv(rsus pelagianos et massilienses, Louvain, 1640. L’auteur y rééditait, sous le couvert de saint Augustin, la doctrine de Baius, en l’accompagnant de vues particule res sur la nature « le la grâce efficace et de la prédestination, qui ne pouvaient être que souverainement

    1. DICT DE THÉOL##


DICT DE THÉOL. CATHOL.

antipathiques aux théologiens jésuites. L’année suivante, Urbain VIII condamna le livre du double chef, qu’il contenait de nombreuses erreurs renouvelées de Baius et que, malgré les défenses pontificales, il avait remis en discussion des questions relatives à la grâce efficace. Cf. plus haut col. 451. Mais la prohibition de V Augustinus ne mit pas fin à la controverse ; elle devait continuer, d’autant plus âpre qu’au désaccord foncier sur la doctrine se joignirent, en France du moins, des considérations et des éléments d’un tout autre ordre.

Petau fut des premiers à descendre dans l’arène. Aux interprétations arbitraires, il opposa la véritable doctrine des Pères sur la liberté, De libero arbitrio libri très, Paris, 1643 ; puis dans ses Dogmata theologica, il exposa dans un sens nettement contraire aux jansénistes plusieurs questions controversées, par exemple dans le tome i, celle de la prédestination ; dans le tome iv, t. IX, celle de l’existence et de la nature de la liberté en Jésus-Christ, et t. XIV, celle de l’extension à tous les hommes de la volonté de les sauver de la part de Dieu, ou de verser son sang pour eux, de la part de Jésus-Christ. A la même époque, d’autres théologiens soutenaient le même combat, en France et en Belgique : Philippe Labbe, Triumphus catholicæ verilalis adversus novalofes, Paris, 1651 ; Jean Martinon, sous le pseudonyme de Moraines, Antijansenius, Paris, 1652 ; Jean Bagot, sous le nom de Thomaï Augustini, Libertatis et gratiæ christianæ defensio adversus Calvinum et Pelagium in Cornelio Jansenio batavo redivivos, Paris, 1653 ; surtout Etienne Dechamps, De hæresi janseniana ab apostolica sede merito proscripla libri très, Paris, 1654.

Par la bulle Cum occasione, 31 mai, 1653, Innocent X condamna les cinq fameuses propositions de Jansénius, mais les échappatoires inventées par ses disciples, en particulier la distinction qu’ils établirent entre la question de droit et la question de fait, prolongèrent le débat, et la Compagnie de Jésus fournit de nouveaux défenseurs : François Annat, Opuscula theologica ad graliam speclantia, Paris, 1666 ; La doctrine des jansénistes contraire au Siège apostolique et à saint Augustin, Paris, 1668 ; René Rapin plutôt historien et parfois un peu fantaisiste dans ses Mémoires, Paris, 1865, et dans l’Histoire du jansénisme depuis son origine jusqu’en 1644, Paris, 1864 ; Jacques Philippe Lallemant, Jansénius condamné par l’Église, par lui-même et ses défenseurs, et par saint Augustin, Bruxelles, 1705 ; Le véritable esprit des. nouveaux disciples de saint Augustin, Bruxelles, 1706.

De nouveau la lutte reprit à l’occasion de la constitution dogmatique Unigenilus, 8 septembre’1713. Clément XI y condamnait 101 propositions de Quesnel, où se trouvaient allirmées, entre autres choses, l’irrésistible efficacité de la grâce divine et la limitation en Dieu de la volonté de sauver les hommes. Un des principaux défenseurs de cette constitution fut le jésuite belge Jacques Fontana, auteur d’un ouvrage considérable et classique en l’espèce : S. D. N. démentis PP. XI constitutio Unigenilus theologice propugnala, Rome, 1717. Les propositions de Quesnel furent, d’une façon plus succincte, passées au crible de la critique par Dominique Viva, jésuite napolitain, Trulina theologica thesium Quesncllianarum, Bénévent, 1717. Quand, sur la fin du xviiie siècle, le jansénisme joséphiste tenta de pénétrer en Italie, la cause catholique trouva de vaillants champions dans les jésuites de ce pays, Zaccaria, Bolgeni, Muzzarelli, etc.

Comme la controverse protestante, quoique d’une façon moins étendue et moins profonde, la controverse janséniste eut son influence sur le développement de la théologie dans la Compagnie de Jésus, particulièrement dans les pays où la lutte fut plus directe et plus

VIII. — 34 L059

JÉS1 [TES. LA CONTROVERSE GALLICANE

lOfiO

prolongée. La nécessité de combattre les novateurs avait forcé les premiers théologiens jésuites à faire la part plus large à la théologie positive ; la nécessité de suivre les jansénistes sur leur terrain d’attaque poussa leurs adversaires jésuites dans la même direction et nécessita une étude spéciale de la patristique et de l’histoire des anciennes hérésies. Car les jansénistes ne prétendaient pas seulement identifier leur doctrine, farouche et désespérante, sur la grâce, la prédestination, la corruption totale de la nature humaine, etc., avec la doctrine de saint Augustin, considéré par eux comme une autorité suprême et imprescriptible ; mais ils présentaient encore certaines hérésies, en particulier le pélagianisme et le semipélagianisme, de telle façon que la doctrine moliniste sur la grâce et la prédestination ne semblait plus qu’un renouveau de ces erreurs. Comme exemple du genre, on peut prendre, parmi les cinq propositions de Jansénius, la quatrième, d’après laquelle les semipélagicns auraient admis la nécessité d’une grâce intétieure prévenante pour tous les actes, même pour le commencement de la foi, et n’auraient été hérétiques qu’en soutenant une grâce telle que la volonté humaine piU y résister ou y consentir. Semipelagiani admillebant prœvenientis gratiæ interioris necessitatem ad singulos actus, etiam ad initium fldei ; el in hoc eranl hæretici, quod vellent eam gratiam lalem esse, cui possel luimana uoluntas resistere et obtemperare. Cf. supra, col. 491. Assertion qui, dans la bulle de condamnation, est déclarée falsa et hæretica ; fausse dans sa première partie et hérétique dans la seconde.

Pour détruire la prétention qu’avaient les jansénistes d’étayer leurs erreurs sur les anciens Pères et sur saint Augustin en particulier, il fallait nécessairement étudier et approfondir les écrits invoqués. Petau donna l’exemple dans ses Dogmata theologica, et les autres défenseurs de la doctrine catholique L’imitèrent. Signalons seulement, en dehors des auteurs déjà cités, deux jésuites italiens : Laurent Alticozzi, Summa augustiniana, Rome, 1744-81, recueil habilement composé de textes de l’évêque d’Hippone sur la grâce et sur l’Église ; Jean-Baptiste Faure, S. Aurelii Augustini Hipponensis episcopi, Enchiridion de fide, spe et carilale, Rome, 1755, ouvrage précieux par les annotations commentant le texte. Sans méconnaître en rien la valeur exceptionnelle de saint Augustin, comme docteur de la grâce, ces apologistes ne manquèrent pas de relever les exagérations manifestes des jansénistes. Petau traitant de la prédestination. De Deo Deique proprielatibus, 1. 1, t. X, ne craignit pas de distinguer entre Augustin soutenant ex prnfesso la foi de L’Église et Augustin ayant, comme docteur privé, ses vues personnelles et donnant de certains textes scripturaires des interprétations qui ne sont nullement communes parmi les Pères et qui ne s’imposent pas, au jugement des meilleurs exégètes. L’autorité dont jouissait alors le grand docteur était telle cpie cette indépendance relative à son égard a’lira parfois, en Espagne ou en France, des désagréments aux théologiens jésuites, el pourtant cette conduite

n’était-elle pas maintenue dans de justes et légitimes

limites’.' Le Saint-Siège lui-même dut réagir contre les outrances jansénistes ; parmi trente et une propositions

condamnées sous Alexandre VIII, le 7 décembre 1690,

on lit celle ci. la trentième : Ubi quis invenerit doctrinam in Augustino clore fundalam, illam absolule potest (enere et docere, non resplciendo <id ullam Pontificis bullam. « Quand on trouve une doctrine clairement établie dans saint Augustin, on peut absolument la soutenir et l’enseigner, sans avoir égard à aucune bulle des papes. » Voir ALEXANDRE VIII, 1. 1, col. 762.

Aux histoires jansénistes du pélagianisme et duscinipélagianisme ou autres erreurs, on opposa, pour remet

tre Les choses au point, des histoires serrant de plus près les documents anciens et faites par des hommes d’une érudition incontestable : Petau, De pelagianorum et semipelagianorum dogmalis hisloria, Paris, 1643 ; Jean Garnier, Dissertaliones septem quibus intégra continetur hisloria pelagiana, P. L., t. xliii, col. 255 sq., Louis Patouillet, Histoire du pélagianisme, Avignon, 1763, etc.

Enfin, sur un terrain qui se rapporte moins au dogme qu’à la pratique de la vie chrétienne, le livre d’Antoine Arnauld, De la fréquente communion, Paris, 1643, provoqua parmi les théologiens jésuites un mouvement de vive réaction, où apparaît encore au premier rang, Denis Petau, De la pénitence publique et de la préparation nécessaire à la communion, Paris, 1644. Voir J. C. Vital Chatellaiu. Le P. Denis Pelai d’Orléans, ch. xviii, Paris, 1884. Ce fut le signal d’une lutte qui s’est prolongée jusqu’à nos j >urs, pour aboutir sous Pic X au décret du 20 décembre 1905, De quolidiana S. Eucharistiæ sumptione.

m. controverse GALLICANE - On peut considérer cette controverse sous l’aspect particulier qu’elle présente dans certains pays, tels que la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et, plus tard, l’Italie, où le gallicanisme eut un caractère à la fois ecclésiastique et politique ; on peut aussi l’envisager sous un aspect plus général, en ne considérant que les grandes thèses dogmatiques impliquées dans le débat. Prise sous le second aspect, la controverse est plus ancienne et plus étendue, car dès le début les théologiens de la Compagnie de Jésus durent prendre position en face des deux assertions fondamentales qui avaient été formulées dans les assemblées de Constance et de Bâle : affirmation de la supériorité du concile général sur le pape ; rejet d’une infaillibilité pontificale qui serait indépendante du consentement ou de la ratification de l’Église universelle. En présence de ces deux assertions qui diminuaient l’autorité et les prérogatives du pontife romain, les théologiens jésuites ne pouvaient rester indifférents ; ils le pouvaient d’autant moins que l’Ordre s’était fait un devoir spécial de défendre l’Église, en général, et en particulier, son chef, le pontife romain, successeur de Pierre et vicaire de Jésus-Christ sur la terre.

Deux des premiers compagnons de saint Ignace de Loyola, Jacques Lainez, qui lui succéda comme général, et Alphonse Salmeron furent envoyés au concile de Trente par Paul III, comme théologiens du pape. Ils firent honneur à ce titre, Lainez tout particulièrement. Il ne se contenta pas de défendre la primauté pontificale avec la prérogative, p >ur le pape, de ne pouvoir être réformé par le concile ; il alla plus loin et, dans une question d’ailleurs controversée, soutint que les évoques tiennent immédiatement leur pouvoir de juridiction non de Jésus-Christ lui-même, mais de son vicaire. 1 1. (irisar. Jacobi Laine : Dispulationes Tridentinæ, Inspruck, 1888, 1. 1. p. 75, 97 sq., Lu, p. 74 sq.

Dans le premier siècle de la Compagnie de Jésus, tous ceux de ses grands théologiens qui eurent l’occasion de traiter le sujet, Furent les défenseurs convaincus el avisés de la suprématie et de l’infaillibilité pontificale : le bienheureux C.auisius. Grégoire de Valence, Bellarmin, Vasquez, Suarez, Lessius, Gretser, Tanner, Becanus, le cardinal de Lugo, Ripalda, Voir Sehwanc, Histoire des dogmes, trad. Degert, t. vi, § 50, p. 400 sq. Sans compter les traités spéciaux, publiés a la même époque par des auteurs de inoindre notoriété, par exemple, Emmanuel Ycga, De vero et unico prlmatu D. Pctri, aposlolorum principis, sacrosanctorum Ecclesiæ patrum testimoniis alque œcumenicorum conciliorum testimoniis comprobalo, Vilna, 1580 ; Henri Henrlquez, De pontifiais romani clave, Salamanque, 1593.

    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. LA CONTROVERSE GALLICANE

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La doctrine de la suprématie et de l’infaillibilité personnelle du pontife romain lut dès lors commune parmi les théologiens de la Compagnie de Jésus. comme le prouvent les cours publiés aux siècles suivants et, d’une façon particulière, des traités distincts dont les titres mêmes accentuent la position anti-gallicane, Tels, en France, Honoré Nicquet (+ 1667), Yindiciæ primatus S. Pétri, réfutation, demeurée inédite, d’un livre d’Antoine Arnauld. voir Sommervogel, Bibliothèque, t. v, col. 1711 ; en Italie, Thyrse Gonzalez de Santalla, alors professeur de théologie au Collège romain, De injallibilitale romani pontificis in deflniendis fidei et morum controversiis extra concilium générale et non exspectato Ecclesiæ consensu, Rome, 1689 ; en Allemagne, Guy Pichler, Papatus nunquam errans in proponendis fidei articulis, hoc est romanus pontifex Jesu Ctvisti in terris vicarius, D. Pétri successor, unioersalis Ecclesiæ paslor et rector, judex controversiarum ad fidem et mores pertinentium, auctoritate summus, potestate maximus, sententia infallibilis, publicae disputationi proposilus, Augsbourg, 1709, et J. Rupp, De infallibililale romani pontificis extra concilium générale, Heidelberg, 1763.

Une nouvelle phase de la controverse commença quand, sous le pseudonyme de Justini Febronii jurisconsulti, Jean-Nicolas de Hontheim eut publié son De statu præsenti Ecclesiæ et légitima potestate romani pontificis, liber singularis ad reuniendos dissidentes in religione composilus, Bouillon et Francfort, 1763. Il y soutenait les thèses gallicanes contre la primauté pontificale, mais en les dépassant notablement sous l’influence d’idées jansénistes. Voir t. v, col. 2117. Des théologiens jésuites ripostèrent : entre autres, en Allemagne, Joseph Kleiner et François Xavier Zech ; en Italie surtout, Antoine-Marie Zaccaria, Antifebronio, Pesaro, 1767 ; Antifebronius vindicatus, Césène 1771, etc. Voir t. v, col. 2122, 2123. Même après la suppression de la Compagnie de Jésus, plusieurs de ses anciens membres demeurèrent d’infatigables champions du pape et de ses prérogatives ; en Italie notamment, Jean Vincent Bolgini († 1811) et Alphonse Muzzarelli († 1813).

Enfin, de 1850 à 1870, dans le laps de temps qui fut comme une préparation prochaine au dernier et décisif combat, celui qui eut lieu au concile du Vatican, plusieurs écrits sur la suprématie du pontife romain parurent sous le nom de théologiens jésuites, la plupart professeurs au Collège romain : Charles Passaglia, De prærogalivis B. Pétri, Ratisbonne, 1850 ; Clément Schrader, De unilate romana, Fribourg-en-Brisgau, 1862 ; Joseph Kleutgen, De romani pontificis suprema auctoritate, Naples, 1870. etc. En même temps, les revues publiées par des Pères de la Compagnie de Jésus, en particulier la Civillà cattolica, soutenaient vigoureusement la même cause. La définition vaticane de la primauté et de l’infaillibilité papale fut le couronnement de ces trois siècles d’efforts et de luttes.

Cependant, telle qu’elle s’était historiquement développée, la controverse gallicane n’avait pas été restreinte aux vérités définies en 1870 ; aux deux thèses fondamentales dont il a été question jusqu’ici, s’en était jointe une autre, sur les rapports de l’Église et de l’État ou de la puissance spirituelle et de la puissance temporelle. Les théologiens gallicans refusaient au pape tout pouvoir, direct ou indirect, sur le temporel ; au contraire, les principaux théologiens jésuites lui attribuèrent un pouvoir non pas ordinaire et direct, mais extraordinaire et indirect, pouvoir ayant pour raison d’être et pour mesure le bien spirituel de l’Église et des âmes, in ordine ad spiritualia. Le cardinal Bellarmin a toujours été regardé comme le principal représentant de cette doctrine, quoiqu’il ne l’ait pas inventée et qu’elle ne lui soit pas propre. Il y eut là,

particulièrement en France, une pierre d’achoppement, d’autant plus que des assertions irritantes s’ajoutèrent à cette première source de mécontentement. Dans son livre De rege et régis institutions,

Madrid, 1599, Jean de Mariana soutint que, dans le cas d’un abus de pouvoir qui mettrait une nation en péril, le peuple aurait le droit de reprendre l’autorité que le prince tient de lui, et même de mettre à mort le tyran par mesure de légitime défense. Voir José Ignacio Valent i. Le P. Jean de Mariana, dans la Science catholique, 12° année, Arras, 1898, p. 865-75. Il y avait lieu de laisser dans l’ombre cet écrit, pour rester dans l’esprit de la 6e règle des professeurs de théologie : « Si l’on sait que certaines opinions, quel qu’en soit l’auteur, offensent gravement les catholiques dans une province ou dans une académie, il ne faut pas les y enseigner ou les y défendre. Car là où il n’y a péril ni pour la foi ni pour l’intégrité des mœurs, la prudence et la charité font aux nôtres une loi de s’accommoder à ceux parmi lesquels ils vivent, t Mais des protestants, escomptant sans doute le scandale qui en résulterait, firent rééditer l’ouvrage en 1605, à Cologne. L’émoi et les récriminations furent tels que le P. Aquaviva crut de son devoir d’intervenir ; par ordonnance du 8 juillet 1610, il interdit à ses sujets « d’admettre et de soutenir, soit en public dans les chaires ou dans les livres, soit en particulier par manière de conseil ou d’entretien, l’opinion d’après laquelle il serait licite à qui que ce soit d’attenter, sous prétexte de tyrannie, à la vie d’un prince ou d’un roi. » Cette mesure ne suffit pas pour calmer les esprits en France. Bellarmin ayant publié quelques mois plus tard son Traclalus de potestate summi Pontificis in rébus temporalibus, Rome, 1610, pour y défendre contre un juriste écossais, Guillaume Barclay, le pouvoir indirect du pape sur les choses temporelles, le Parlement de Paris prohiba, le 26 novembre, cet ouvrage comme « contenant une fausse et détestable proposition, tendant à réversion des puissances souveraines, ordonnées et établies de Dieu, etc. » L’intervention du nonce apostolique et du cardinal auprès de la reine régente, Marie de Médicis, obtint à grand’peine qu’il y eut un sursis à la publication. Voir t. ii, col. 571. Suarez fut encore plus durement traité pour avoir repris la même doctrine, Defensio fidei adversus regem Angliæ, Coïmbre, 1613 ; le livre fut condamné au feu et brûlé en place de Grève.

Aquaviva intervint de nouveau et renforça les mesures de prudence. Non content de rappeler la recommandation qu’il avait faite en 1610, il la renouvela et la transforma en précepte strict, in virtute sanctæ obedienliæ, en édictant les peines les plus graves contre les transgresseurs. Ordre fut donné le 5 janvier 1613 aux provinciaux « de ne laisser paraître dans leur obédience, sous n’importe quel prétexte et en n’importe quelle langue, aucun écrit traitant du tyrannicide ou de la puissance du souverain pontife sur les rois et les princes, à moins que l’ouvrage n’eût été préalablement revisé à Rome et approuvé, i Précepte renouvelé, le 13 août 1626, par le successeur d’Aquaviva, Mutius Vitelleschi. Conformément à ces ordonnances, les théologiens jésuites s’abstinrent désormais de traiter ces questions brûlantes. Une autre raison s’ajouta en France, quand la négation de tout pouvoir pontifical, direct ou indirect, sur les rois et les princes en matière temporelle eut été officiellement insérée, comme premier article, dans la Déclaration du Clergé gallican en 1682. Denzinger liannwarl, Enchiridion, n. 1322.

Mais ce serait une erreur d’interpréter celle prudente réserve dans le sens d’un abandon réel et définitif de la doctrine prise en elle-même. Pour s’en rendre compte, il suffit de voir les jugements portés de nos 1003

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JÉSUITES. LA CONTROVERSE RATIONALISTE

jours sur cette matière par des théologiens et des canonistes de grande autorité, qui ont enseigné au Collège romain : card. Tarquini, Juris ecclesiastici publici instilutiones, Rome, 1888, p. 22 sq. ; Palmieri, Tractatus de romano pontifice, 3e étlit., Prato, c. xxi, p. 548 sq. : Wernz, Jus Decretalium, 2e édit., Rome, 1905, 1. 1, p. 19. Sur l’état actuel de la question par rapport aux déclarations pontificales, voir l’article Gallicanisme, dans A. d’Alès, Dictionnaire apologétique de la Foi catholique, t. ii, col. 270 sq.

La controverse gallicane eut un double résultat pour la Compagnie de Jésus. Extérieurement, elle valut à ses théologiens l’épithète d’ullramontains ou de pontificaux. Épithète propre à leur concilier des sympathies de la part des catholiques profondément attachés au Siège romain, mais aussi des antipathies de la part de ceux qui, en vertu de préjugés nationaux ou pour d’autres raisons, avaient le souci d’atténuer le plus possible les prérogatives personnelles du pontife romain. En cela comme en d’autres points, les jésuites n’avaient qu’à suivre ce qu’ils considéraient comme le sentier du devoir, sans se préoccuper des attaques et de l’impopularité. L’autre résultat fut de confirmer l’orientation déjà déterminée par les controverses protestante et janséniste. Pour ruiner les prétentions des adversaires et répondre à leurs attaques, il fallait de toute nécessité recourir aux diverses branches de la théologie positive. Ainsi la défense de la suprématie pontificale et de l’infaillibilité personnelle du pape les forra-t-elle à chercher dans une étude plus approfondie de l’histoire ecclésiastique ou du droit canonique des réponses aux objections que les gallicans, comme les jansénistes, prétendaient tirer de certains faits où, d’après eux, cette infaillibilité avait sombré ; question des papes Libère, Vigile, Honorius, etc. De là, sur ces faits ou d’autres du même genre, tant d’études qu’il serait impossible de rappeler en détail. Voir Sommervogel, Bibliothèque, t. x, col. 606-611.

IV. controverse RATIONALISTE — Considéré comme système qui prétend opposer la raison à la foi ou subordonner celle-ci à celle-là, le rationalisme exista dès le début de la Réforme dans plusieurs sectes dissidentes. Les sociniens, en particulier, se conduisirent en vrais rationalistes à l’égard de points tenus jusqu’alors comme fondamentaux dans la religion chrétienne, par exemple, les mystères de la Trinité, de l’Incarnation et de la Rédemption, la divinité de Jésus-Christ..Mais au cours du xviii c siècle, le système s’organisa sous une forme plus méthodique et plus générale, soit en Allemagne, parmi les protestants libéraux, issus du socinianisme et de la philosophie moderne, soit en Angleterre, parmi les déistes, soit en France, dans le clan des « philosophes » ou encyclopédistes ». Devenue radicale et absolue, l’attaque ne s’étendit plus seulement à tels ou tels dogmes, mais à toute la révélation et aux préambules de la foi, c’est-à-dire, à cet ensemble de vérités que la foi suppose et qui comprennent, outre le fait de la révélation, les miracles comme signes ou preuves de l’intervention divine, l’authenticité, la véracité et l’autorité sacrée de la Bible, l’historicité des faits primitifs qui sont racontés dans les premiers chapitres de la Genèse et qui sont à la base du dogme du péché originel et de plusieurs autres, enfin l’existence même d’un Dieu Infiniment sage et vérace.

I le telles attaques demandaient de nouveaux efforts si l’on voulait répondre aux adversaires de la foi sur le terrain où ils se plaçaient, L’Église ne manqua pas de bons défenseurs, bien que, par une permission divine qui pouvait avoir le caractère d’un châtiment, l’esprit, le talent littéraire et la popularité aient été du mauvais coté. Les théologiens jésuites ne pouvaient pas se désintéresser d’une pareille lutte ;

dans les pays atteints, ils se montrèrent de vaillants et dévoués serviteurs de l’Église, avant et après la suppression de l’Ordre, soit en exposant avec plus de soin les preuves de la religion, soit en répondant aux principales attaques. Tels furent, en France, les PP. Gabriel Bouffier, Claude Merlin, Claude Adrien Nonotte et, dans les Mémoires de Trévoux, les PP. Tournemine et Berthier. En Belgique, François Xavier de Feller se distingua par divers ouvrages, dont le principal fut son Catéchisme philosophique, Liège, 1772. Il y eut également en Italie de valeureux champions : Jean-Baptiste Noghera, Christophe Muzzani, Alphonse Muzzarelli, etc. En Allemagne aussi, des jésuites ou anciens jésuites soutinrent noblement la lutte, entre autres, H. Goldhagen, Joseph Kleiner, Benoît Stattler, Demonslralio evangelica, Augsbourg, 1770, bien que cet auteur se soit trop laissé influencer, dans ses écrits philosophiques et théologiques, par les idées courantes. Mais, quand Hermès et Gunther tentèrent d’ériger en système une interprétation semi-rationaliste des dogmes chrétiens, ce fut du pays même où l’erreur s’était produite que vint la réaction, représentée principalement par un jésuite allemand déjà plusieurs fois signalé, le P. Joseph Kleutgen.

La controverse rationaliste eut, dans la Compagnie de Jésus, un très important résultat d’ordre pratique. Les théologiens dogmatiques comprirent qu’en face d’attaques portant directement contre les premiers fondements de la foi, il fallait soigner spécialement et renforcer la partie de la théologie où ces fondements sont exposés. De là naquit le traité De vera religione, présenté à part et d’une façon appropriée aux besoins des temps nouveaux, comme déjà dans la théologie de Wurzbourg, où ce traité apparaît en tête de tous les autres et dirigé, suivant les paroles mêmes de l’auteur, le P. Neubauer, » contre les athées, qui nient toute religion, contre les polythéistes, qui établissent une fausse religion, contre les mahométans, qui professent une religion impie, contre les théistes, qui n’admettent pas de religion révélée, contre les juifs, qui rejettent la religion chrétienne, et contre les sectaires, qui ne veulent pas de la religion catholique comme exclusivement vraie. »

Au xix° siècle, la même préoccupation de fortifier lis bases de la foi se rencontre non seulement chez les théologiens dogmatiques, mais encore chez les exégètes et tous ceux qui, de près ou de loin, peuvent contribuer à la défense du christianisme. C’est sous l’influence de ce mouvement que l’apologétique, appelée aussi théologie fondamentale, est devenue plus qu’un traité distinct ; elle est devenue la matière d’un enseignement autonome, séparé de la théologie dite dogmatique et la précédant, au moins dans les centres scolaires où le nombre des étudiants est assez grand pour permettre ce dédoublement des chaires. Ainsi en est-il dans l’Université grégorienne, à Rome, dans celle d’Inspruck et dans plusieurs grandes maisons d’études de la Compagnie de Jésus en France, en Espagne et en Allemagne.

Ajoutons enfin un double fait qu’il suffit d’énoncer : L’activité théologique, dogmatique ou apologétique des j ésuites s’est encore manifestée dans les nombreuses revues publiées ou dirigées par les membres de la Compagnie de Jésus, celles du moins qui ont, en tout ou en partie, un caractère théologique : en Italie, la Civillà caltolica ; en Autriche, la Zeitschrijt fur katholische Théologie, d’Inspruck ; en Allemagne, les Slimmen aus Maria-Laach et leurs Ergangzungshelle ; en France, les Études, et surtout les Recherches de science religieuse ; en Espagne, les revues madrilènes Razôn y Fe et Kstudios eclesiasticos. En outre, beaucoup de théologiens jésuites oui collaboré aux encyclopédies cl aux grands dictionnaires théologiques ou apologé

tiques qui ont été publiés depuis un demi-siècle ou qui sont encore actuellement en cours de publcation.

L’idéal serait que Dieu daignât accorder à son Église un nouveau Bellarmin qui, de tant d’éléments épais, sut tirer une Stumna controversi ; v part alternent appropriée aux conditions et aux besoins de notre temps.

III. Conclusions : Valetjb de la théologie dogmatique des jésuites. — Ce qui précède montre clairement combien grande et combien variée fut l’activité des membres de la Compagnie de Jésus dans le domaine de la théologie dogmatique. Que l’apport fourni par eux ne soit pas une quantité négligeable, c’est là un fait reconnu par les écrivains qui, comme Scheeben, Schanz et autres, ont étudié l’histoire de la théologie catholique en marquant les grandes lignes de son développement et les divers facteurs qui ont contribué à son progrès. Quelques-uns de leurs témoignages ont paru au cours de cette étude.

Par contre, les attaques n’ont pas manqué ; attaques d’ailleurs très différentes par le genre et le ton. Les unes furent grossières et déloyales, celles qui venaient de gens haïssant à fond la Compagnie de Jésus, désireux avant tout de la noircir le plus possible et même de la détruire ; dans ce but, ils ont fait usage de procédés qui auraient été universellement stigmatisés s’il s’était agi d’autres victimes que les jésuites : exposé inexact de la doctrine, falsifications matérielles, citations de passages coupés à dessein et séparés du contexte qui en précise le sens, etc. De pareilles attaques ont été réfutées par des apologistes, comme le F. Duhr en Allemagne et le P. Alex. Brou en France ; elles visent beaucoup plus la théologie morale que la dogmatique.

D’autres attaques restent sur le terrain d’une opposition honnête et loyale. Ce qui a été dit jusqu’ici permettra d’y répondre brièvement. Ainsi on a prétendu ou insinué que, sous le rapport du thomisme, il y avait chez les jésuites contradiction entre la théorie et la pratique : en théorie, protestations officielles d’attachement à la doctrine de saint Thomas ; en pratique, tendances antithomistes, puisque, sur des points nombreux et importants, les théologiens jésuites s’écartent du grand docteur et de ses interprètes légitimes. En face de cette objection qu’il rapporte dans ses Yindicationes, c. xxvii, le cardinal Pallavicini se déclare profondément étonné ; il n’arrive pas à comprendre comment on prétend voir dans les théologiens de la Compagnie de Jésus des adversaires de saint Thomas, quand il est facile de montrer, l’histoire en main, tout ce qu’ils ont fait pour introduire la Somme Ihéologique et pour en assurer la prédominance dans le haut enseignement, quand la part faite dans leurs écrits à la doctrine de l’ange de l’École est si grande. On peut, dit-il, compter les points où ils s’écartent de ce docteur, mais non pas ceux où ils le suivent, tant ils sont nombreux : consentanea non numerabis, quippe innumerabilia.

Au fond, n’y aurait-il pas dans l’objection une équivoque latente sous le terme de thomisme ? Car il y a un thomisme spécial, un thomisme d’école qui renferme comme partie intégrante un certain nombre d’affirmations qui, pour avoir été longtemps soutenues dans l’Église, peuvent néanmoins êire discutées, telles les doctrinessur la prédétermination physique ad unum, sur la grâce efficace ab intrinseco, sur la prédestination absolue des élus en dehors de toute prévision des mérites, d’autres encore, données comme théologiques, mais qui semblent s’appuyer sur des postulats d’ordre métaphysique sujets a discussion. Et il y a un thomisme plus large, celui des théologiens qui s’attachent sincèrement à la doctrine de saint Thomas, qui l’acceptent dans ses grandes lignes et la suivent de grand cœur, mais sans recon nailre par le fait même comme interprétation légitime de la pensée de ce docteur toutes les interprétations qui peuvent en être données dans telle école et sans croire déroger au respect dû au grand maître si, dans des points secondaires où l’évidence n’existe pas. ils désirent examiner la valeur objective des raisons alléguées ou des postulats philosophiques qui pourraient se trouver à la base de l’affirmation. Nous avons vu que les théologiens jésuites sont thomistes dans ce sens plus large. Le rejet du thomisme au sens plus étroit, du thomisme d’école, suffit-il pour qu’on ait le droit de déclarer leur théologie antitliomiste, purement et simplement ?

D’autres ont parlé d’éclectisme à propos de l’école des jésuites, comme Scheeben dans cette phrase, op. cit., 1. 1, p. 703. « Tout en se rattachant étroitement à saint Thomas, elle inclinait vers un certain éclectisme et mettait à profit les recherches et les ressources contemporaines. ».Mais la particule atténuante dont cet auteur fait usage et l’explication qu’il ajoute à la fin de sa phrase nous avertissent encore d’éviter l’équivoque possible. Il y a véritablement éclectisme dans le sens défavorable du mot, quand des théologiens ou des philosophes cueillent dans des systèmes différents ce que chacun lui paraît offrir de bon, sans se préoccuper de voir si ces emprunts forment un système homogène et cohérent. L’écueil aurait existé si l’on avait donné suite à une pensée émise par le P. Nadal dans un écrit, De sludiis societatis, imprimé dans les Monumenta pœdagogica Soc. Jesu, p. 98 ; à savoir « qu’avec le secours de Notre-Seigneur on formât, en s’aidant de tous les scolastiques, une Somme théologique qui renfermerait toute la doctrine contenue dans leurs écrits, en conciliant les controverses de manière à faire disparaître les divergences d’école entre thomistes, scotistes ou nominalistes ; en d’autres termes, un résumé le plus succinct possible de la théologie scolastique pure et simple : quæ… puram sinceramque theologiam scholaslicam tradat, quantum fieri poterit, compendiosissime. » Rêve utopique qui, heureusement, ne tenta personne. Nadal lui-même, envoyé comme visiteur en Allemagne et mieux inspiré, posa en principe à l’université de Dillingen, en 1563, qu’on prendrait saint Thomas pour base de l’enseignement théologique : Videtur instiluendus cursus theologiæ ex D. Thoma. Ibid., p. 765. Et nous savons en quel sens la IVe Congrégation générale, réunie en 1581, se prononça, can. 9 : sequantur nostri doclores in scolastica theologia doctrinam S. Thomæ, juxta praxim in libro de Ratione sludiorum ponemlam. Pris comme système, l’éclectisme n’a donc point droit de cité ni en théologie, ni en philosophie, dans la Compagnie de Jésus. Seulement, dans les limites où s’exerce l’indépendance relative que ses constitutions et ses prescriptions ont accordée, les écrivains et les professeurs peuvent choisir, dans les cas particuliers, telle opinion qui leur semble préférable. Tel est l’éclectisme dont Suarez en particulier a tait un légitime usage, au jugement de Grabmann, op. cit., p. 5365. Faisons l’application a deux controverses qui existaient au milieu du xvie siècle, quand l’ordre nouveau prit naissance. La première concernait la conception de la Mère de Dieu, déclarée immaculée par les scot ist es, et non immaculée par les autres. Les premiers théologiens jésuites se trouvèrent en face de cette double opinion, et remarquant que la thèse scotiste était devenue beaucoup plus commune et qu’elle paraissait plus sûre, ils n’hésitèrent pas à l’adopter. Ont-ils eu tort ? L’autre question concernait la solennité des vœux et la racine des effets Juridiques qui raccompagnent : les uns prétendaient que tout était de droit naturel, ou du moins de droit divin : les autres rapportaient le tout au droit ecclésiastique. Prenant la 10(37

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JÉSUITES. LA THÉOLOGIE DOGMATIQUE

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question dans l’état où elle se trouvait, les théologiens Jésuites optèrent pour la seconde opinion. Ont-ils eu tort ? D’autres applications seraient possibles. Rien de plus sage que l’avisdeBellanninsurla manière

de suivre saint Thomas : « Est-il croyable que la lumière de la vérité ait toujours brillé pour ce docteur, et qu’elle n’ait jamais brillé pour les autres ? Si donc il est permis d’emprunter à chaque auteur ce qu’il a de meilleur, pourquoi nous priverions-nous de cet avantage ? » Argumentation qui n’est nullement un plaidoyer en faveur de l’éclectisme érigé en système, puisque le vénérable cardinal avait commencé par dire qu’il fallait, à son avis, déclarer saint Thomas l’auteur commun, celui qu’en principe on doit suivre : Ut sanctus Thomas proponatur lanquam communis diiclor, loti societuti sequendus, placet.

D’autres ont estimé qu’en conséquence de la préoccupation apologétique ou polémique, dominant chez eux, les théologiens jésuites étaient arrivés à une théologie plutôt négative que positive, ou bien à une théologie de combat, n’ayant qu’une valeur relative, ad hominem. Il est vrai qu’il y a une mauvaise manière d’entendre la défense de la foi, celle qui consiste à créer des systèmes pour la circonstance, sans se préoccuper de la valeur absolue des principes, ni de leur conformité avec les données de la foi ou de la tradition ; et malheureusement l’écueil n’a pas été parfaitement évité dans plus d’une controverse récente. Mais il y a une autre manière, totalement différente, celle qui consiste, non pas à substituer des principes nouveaux aux anciens, mais à garder l’héritage du passé en y joignant seulement le souci d’une adaptation aux besoins du temps où l’on vit. Cette adaptation revient surtout à la manière de présenter, de prouver, de défendre la doctrine. Elle demande que la théologie scolastique et la théologie positive ne soient pas considérées comme deux théologies totalement distinctes, ce qui serait faux, puisque suivant la juste remarque de Tolet, elles ont le même objet, cum sint de iisdem ; mais qu’en outre on les combine pour qu’en s’entraidant elles aient toute leur efficacité. Si les jésuites, pris dans leur ensemble, ont donné beaucoup à la théologie positive, ce ne fut pas en faisant abstraction des principes que la scolastique leur fournissait, mais au contraire en s’en inspirant et en les faisant valoir. Leur théologie ne fut pas un simple instrument de combat, n’ayant qu’une portée d’ordre relatif ; et, de ce chef, il n’y a pas plus lieu de déprécier ces maîtres qu’il n’y a lieu de méconnaître les mérites qu’ils se sont acquis dans l’Église par un rajeunissement de l’ancienne manière lequel tendait uniquement à donner aux anciens principes plus de vigueur et plus d’efficacité contre des adversaires nouveaux.

D’autres enfin ont tenté de dénigrer les théologiens de la Compagnie de Jésus en relevant les écarts d’un certain nombre qui ont avancé des propositions condamnées par le Saint-Siège ou par des évêques, comme l.i thèse du péché philosophique réprouvée par décret du Saint-Oflice le 24 août 1690, Dcnzinger-Bannwai t, Enchiridion, n. 1290, voir t. i, col. 749 sq. ; opinion du P. Hardouin sur la filiation divine de Jésus-Christ censurée par la plupart des évêques français en 1753, voir t. vii, col. 549 sq., el beaucoup d’autres choses.

Les faits allégués sont réels ; il y a eu condamnation d’assertions théologiques émises par des écrivains ou îles professeurs Jésuites, il y B eu mise à l’index de livres composés par des jésuites, 80 environ, d’après .1. Hilgers, Dit Index (1er perboleiien IIwIht, I-ribourgiii BriSgau, 1904, p. 138 sq. ; mais ce furent là des

écarts individuels, parfois en matière disciplinaire, il combien peu nombreux comparativement à la.somme totale des écrivains Jésuites. D’écarts Individuels, non sanctionnés par l’Ordre, a i onlle droil de conclure

contre l’Ordre lui-même pris dans son ensemble et contre su doctrine propre ? Dans la Compagnie de Jésus, les théologiens qui comptent vraiment sont ceux que l’estime générale et la voix commune ont mis au nombre des probati auctores.

Demandons le dernier mot au pape Léon XIII. Parlant dans le bref Gravissime Nos des grands docteurs de la Compagnie de Jésus, probatos illos et eximios societatis doclores quorum laus in Ecclesia est, il ajoute : <> Xam virtute ut erant atque ingenio eximii, data studiosissime opéra scriptis Angelici, certis locis sententiam ejus copiose luculenterque exposuerunl, doctrinam optima erudilionis supelleclile ornaverunt, mulla inde acule utililerque ad errores refellendos novos concluserunt, iis prælerca adjectis quæcumque ab Ecclesia sunt deinceps in eodem génère vel amplius declarata vel pressius décréta ; quorum sollertiæ (ruclus nemo quidem sine jactura neglexerit. Distingués par le talent comme par la vertu, ils s’appliquèrent de tout leur zèle aux écrits du docteur Angélique. En maint endroit ils exposèrent sa pensée avec ampleur et netteté, en l’accompagnant d’un excellent appareil d’érudition. Ils en tirèrent des conclusions d’un incontestable profit pour la réfutation d’erreurs nouvelles ; d’autant qu’ils y T joignirent tout ce qui, depuis lors, avait été dans l’Église l’objet de déclarations plus explicites ou de décrets plus précis. Labeur industrieux, dont nul ne saurait, sans préjudice, mépriser les fruits. »

1. Sources bibliographiques.

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2. Éludes ou jugements sur les principaux théologiens jésuites. — Jos. Paria, préface de Francisci Toleti… in Summam theologiiv S. Thomte Aquinatis enarratio. Home, 1869 ; Ch. Verdière Histoire de l’université d’Ingohtadt, Paris, 1887 ; B. Duhr, Geschichte der Jesuilen in den Làndern deutscher Zunge, t. i et ii, Fribourg-en-Brisgau, 1907, 1913 ; J. M. Prat, Maldonat et V Université de Paris ou Xrie siècle, Paris, 1856 ; Ant. Astrain. Historia de la Compania de Jésus en la Asistencia de Espaila, l. i, t. I, c. n : t. v, t. I, c. iv ; t. vi, t. I, c. iv, Madrid, l’.)13, 1916, 1920 ; H. Fouqueray, Histoire de la Compagnie de Jésus en France, Paris, 1910, 1. 1, t. III, c. m et xi ; Cam. de Rochemonteix, Le collège Henri IV de la Flèche, Le Mans, 1889, t. iv, c. i ; Jos. de la Servière, La théologie de Bcllarmin, Paris, 1908 ; Karl Wcrner, Franz Suarez und die Scholastik der letzteii Jahrhunderte, Ratisbonne, 1861 ; Raoul de Scoraille, François Suarez, Paris, 1821 ; J. C. Vital Chatellaln, Le P. Dents l’etau d’Orléans, jésuite. Sa vie et ses écrits, Pari>. 1884 ; I). Franz Stanonik, Diongsius Petavius, Gratz, lsTo ; I. Martin, L’Université de Pont-à-Mousson, Nancy, 1891 ; Crabmann, Die Disputationes mctapliysiciv des Front Suaret in ihrer methodischen l’igenarl und Fortwirkunq. dans le recueil Franz Suarez, Gedenkblattrr zu scinem dreiluindertfàhrtgen Todestag, Beltrûge sur Phitosophie des p. Suarez, von Six, Grabmann, Hatheger, Juancn, Biederlack. In-.pruck, 1917 ; Th. TÔreillet, Le mouvement théologiqiu n Ironie depuis ses origines jusqu’à nos jours. Paris, 1902, e. vi-xiii.

3. Apologétique.

Sforza Pallaviclnl, Vtndtcatlones S in/is Jesu, quibus multorum accusattones in ejus institutum, 100 ! »

i ÉS1 I I I. S. LA THÉOLOG 11’. MORALE

L070

pires, ggmnasia, mores re/eUuntur, Homo. 1649 ; B. Duhr, Jesuiten-Fabetn, r Mit., Fribourg-en-Brisgau, 1904 ; Alex.

Brou, Les Jésuites de lu légende, Paris, 1906.

x. i. i i ; 1 1 1 ; î.i i.

III. LA THÉOLOGIE MORALE DANS LA COM-PAGNIE de Jésus. — 1. Importance de la théologie morale dans la Compagnie de Jésus (col. 1069). II. Son objet (col. 1073). III. Sa méthode (col. 107-1). IV. Sou esprit (col. 1076). V. Ses thèses caractéristiques (col. 1083). VI. Ses principaux représentants(col. 1088).

I. Importance »e la théologie morale dans la Compagnie pic Jésus. — 1° Les Jésuites et le ministère des confessions. — Four apprécier comme il convient le développement pris par la théologie morale dans la production littéraire de la Compagnie de Jésus, il faut avoir présente à l’esprit la place faite au ministère des confessions dans l’activité apostolique de l’Ordre. De par la volonté de saint Ignace, cette place est de premier rang. Non seulement le saint fondateur désire que -es religieux se confessent eux-mêmes chaque semaine au moins, Const., III, i. 11. — sxpius in hebdoniailu confiteri eonducet, dira plus tard Aquaviva, Reg. sacerd., n. 3 : InstiL, t. ii, p. 138, — mais il veut qu’entrés dans une société dont le but est le bien des âmes, ils soient toujours prêts à aider le prochain à se réconcilier avec Dieu. Cette pensée s’accuse avec relief en de nombreuses pages des documents dont l’ensemble forme Vlnslitutum. Bulles Regimini : Inslit., t. ii, p. 6 ; Cum inter cunctas, ibid., p. 12 ; Licel debitum, ibid., p. 18, etc. — Fxerc. spirit., Annotatio 18, Confessionis generalis et communionis usus, ibid., t. ii, p. 392, 396. — Examen générale, iv, 15, 22 ; v, 5 ; vi, 2. — Const., IV, proœm. A ; vui, 4 : xvi, 1 ; VII, iv, 5. — Résumant tous ces textes, la 8e règle des Prêtres s’exprime ainsi : Omnes ii quibus ex obedienlia confessiones audiendi sanctum munus commillitur, multum ad id officii studeanl, et lamquam noslri Institua valde proprium magni facianl. Instit., t. ii, p. 138 On trouvera, tant chez les polémistes protestants, entre autres J. Daillé, De sacramentali sive auriculari lulinorum conjessione, Genève, 1661, t. IV, c. ii, iii, viii, que sous la plume des jésuites eux-mêmes, par exemple Imago primi sœculi S. J., 1640, p. 369-374, des témoignages concordants sur le zèle effectif déplové dans ce sens. Cf. Dœllinger, t. i, p. 20-23.

2° L’étude de la morale à l’intérieur de la Compagnie.

— On ne pouvait insister si fort sur l’administration du sacrement de pénitence sans exiger des sujets une forte connaissance de la théologie morale et sans les mettre à même de se l’approprier. Une telle nécessité ne s’imposât-elle pas d’elle-même, saint Ignace l’eût bien aperçue au seul souvenir du jugement dont il avait été l’objet à Salamanque, en 1527, lorsque, tout en l’autorisant à continuer ses catéchismes et à donner les Exercices, on lui avait interdit de se prononcer sur la gravité des péchés, tant qu’il n’aurait pas passé quatre ans à étudier la théologie. Monum. hist., Monum. Ignatiana, ser. IV, t. i, p. 77-79. Nous ne savons à quel résultat put parvenir le saint en fait de science morale ; mais il est intéressant de noter que I.ainez, son successeur comme général, s’était acquis dans ce domaine une particulière compétence. Voir dans J. Lainez, Disputationes Tridentinæ, édit. Grisar, Inspruck, 1886, t. ii, le texte jusqu’alors inédit de plusieurs traités de morale (surtout De usura, p. 227-321, De simonia, >. 322-382), et dans Monum. hist., Lainii Monum., t. ii, p. 711, un grand nombre de consultations sur des cas de conscience. « In confessionibus, disent les Constitutions, IV, vin, 4, D, >t celer eludium scholaslicum tt casuum conscieniite, [irwsertim restitutionis, conveniet compendium aliquod casuum et censurarum quæ reser vantur, habere… ; ac brevem interrogandi meihodum de peccatis et eorum remediis ; et instruciionem ad bene ac prudentcr in Domino, sine damno suo et cum proximorum utilitale, hoc officium exercendum… » C’est en vue de ce dernier point que saint Ignace lit composer par Polanco un Direciorium brève ad con/essarii ac con/itentis nuinus reele obeundum, Couvain, 1554, premier ouvrage de morale émané de la Compagnie. Même préoccupation dans : Reg. sacerd., n. 11, InstiL. t. ii. ]>. 138 ; Ratio de 1586 dans Pachtler, Ratio sludiorum et Institutioncs sclwlasLcac in Germant » vigentes, t.n.p. 1 19 ; //is/ru(rf.d’Aquaviva, iv, n.2 ; xx. n.6, Instit.. t. ii, p. 3Il et 337 ; Congrcg.. IX, d. 8, Instit., 1. 1, p. 626 ; Circulaire du P. Centurione, 9 août 1756, Pachtler, t. iii, p. 133.

Dès l’origine deux institutions, inspirées, semble-t-il, d’une tradition des frères prêcheurs, répondent effectivement à ce souci : le cours biennal de cas de conscience pour les scolastiques théologiens et la conférence hebdomadaire de cas de conscience pour les prêtres.

1. Il y avait dans les couvents dominicains, pour les aspirants au sacerdoce qu’on ne jugeait pas à propos d’envoyer dans un studium, un enseignement de cas de conscience dont devaient profiter aussi les religieux formés. Mortier, Histoire des Maîtres généraux des Frères Prêcheurs, t. v, p. 47-48, 97, 151, 433. Déjà en 1259 le chapitre général de Valencienncs, auquel saint Thomas avait pris une part active, s’était préoccupé de la question : Si non possunt inveniri lectores sufficientes ad publiée legendum, saltem provideatur de uliquibus qui legant privalas lectiones, vel hislorias, vel 8UMMA.M de CASiBUS (vraisemblablement la Somme de saint Raymond), vel aliquod hujusmodi, ne fralres sint otiosi. Mortier, loc. cit., t. i, p. 565. Que saint Ignace ait connu ou non cette pratique dominicaine, le fait est qu’il adopta pour les siens une réglementation très semblable. Tous les sujets ne peuvent s’appliquer avec profit aux études spéculatives, mais tous doivent recevoir avant leur sacerdoce une solide formation in iis quæ ad doctrinam confessionibus utilem pertinent. Ce bagage n’est pas moins indispensable aux futurs coadjuteurs spirituels qu’à ceux qui deviendront profès. Const., IV, v, 2, D ; vin, 4, D ; xiii, 4, E. Aussi, dans le plan d’études élaboré sous les premiers généralats et consacré par le Ratio studiorum, remarque-t-on, en doublure de l’enseignement scolastique, un cours régulier de cas de conscience, dont le périodicité, d’abord variable, se fixe vite à une ou deux classes quotidiennes, durant deux ans, et dont le professeur, tout en ayant spécialement la charge de ceux qui ne font pas de théologie scolastique, ies casistx ou casuislæ, voit cependant casuistes et théologiens se réunir à certains jours sous sa chaire, l’attention soutenue par la perspective d’un examen final. Lainez, De sacrée theol. studiis, dans Monum. pivdag. S. J., p. 520-521 ; Congre g. II(1565), d.69, Instit., t. i, p. 500 ; E. Mercurian, Ordinal io de promovendis ad ordines sacras (1576), InstiL, t. ii, p. 255 ; Maldonat, Visilalio collegii Paris., (1579), Monum. pœdag., p. 715 ; Régulée provincialis, n. 56, InstiL, t.n, p. 82 : Ratio de 1586, Pachtler, t. ii, p. 7X-79. 119-124 ; Ratio de 1599, Requise pi ovincialis, n. 9 § 1, 12, 19 g 4, Pachtler, t. ii, p. 236 sq. ; InstiL, t. ii, p. 171 sq. ; Congrcg. VII (1615), d. 33, ibid., 1. 1, p. 598 ; Congreg. XIII (1687), d. 16, ibid., t. i, p. 066 ; divers autres documents dans Pachtler, t. iii, p. 133, 179, 187, 193,

.-)3, 391, 443.

2. I.a conférence des cas de conscience est née du besoin d’entretenir chez les prêtres cette science de la morale a laquelle les supérieurs de l’ordre tiennent tant. On la voit fonctionner de très lionne heure, même dans les maisons les moins nombreuses, tantôt tous les

jours, Monum. hist., Polanci complemenla, t. n. [>. 582, tantôt un jour sur deux, Monurn. Iiisl., Epistolæ P. H. Nadal, t. i v, p. 520, définitivement, aux ternies du Ratio, une ou deux fois par semaine. Ratio de 1586, Pachtler, t. n. p. 122-123 ; Ratio de 1599. ReguUv provincialis, n. 13-15 ; Regulie prefessoris casuum, n. 7-10, Pachtler, t. ii, p. 240, 320 ; Instit., t. a, p. 193. Elle consiste dans la discussion rationnelle de quelques espèces concrètes, que présentent deux ou trois membres de la communauté désignés d’avance, sous la direction d’un préfel spécialement compétent. Avec un peu de suite dans le choix du sujet, elle permet une révision méthodique et continue des questions qui se présentent le plus fréquemment au confessionnal. Aussi son utilité est-elle jugée considérable. On n’en dispense que les professeurs de théologie et de philosophie, et toute négligence à cet égard est sévèrement réprimée. Congreg. IX (1650), d. 8, Instit., t. i, p. 626. — Nous avons dit que cet exercice était présidé par un membre de la communauté d’une particulière compétence. Dans les collèges, c’est naturellement le professeur de théologie morale. Dans les autres maisons, le provincial doit faire en sorte qu’il y ait toujours quelqu’un qui in casibus conscientix bene versatus sit, ut difficullatibus domi et foris occurrentibus satisfacerc possit. Reg. prsepositi provincialis, n. 57, /ns/17., t.n, p. 83. Comme on a en pays protestant des spécialistes de la controverse, ainsi veut-on avoir partout un casuiste spécialisé capable de trancher les difficultés embarrassantes, devant lesquelles quiconque n’est pas du métier, eût-il d’ailleurs la science d’un Bellarmin (voir Le Bachelet, Bellarmin avant son cardinalat, p. 90), se reconnaît impuissant. Ce souci est tout à fait caractéristique.

L’enseignement de la morale au dehors.

On sait

à quel état de déchéance en étaient arrivés le clergé et les ordres religieux à l’époque de la crise protestante. La disparition des écoles épiscopales et abbatiales obligeant les évoques à ordonner des sujets médiocres, souvent illettrés, fatalement grandissait à peu près partout le nombre des prêtres incapables d’administrer les sacrements. Beaucoup, surtout en Allemagne et en Italie, ne connaissaient pas plus la formule de l’absolution que les cérémonies de la messe. J. Janssen. L’Allemagne et la Réforme, trad. fr., t. iv, Paris, 1895. p. 102-107, 112-114, 118 ; liraunsberger. Beat’Pet -i Cani. iii epistolæ et aeta Fribourg-en-B., t.i, 1896, p. 421, 442, 48 1, 491, 526, 630, etc. P. Tacchi-Venturi, Storia délia Compania di Gesù in Italia, 1. 1, p. 27 sq. Dans le diocèse de Milan, les préoccupations de ces malheureux étaient si éloignées des devoirs de leur état, qu’on disait par manière de proverbe : Se vuoi andare ail’inferno, fatti prête. Giussano, Vita di San Carlo Borromeo, t. II, c. i. En France la situation n’était guère meilleure. P. Imbart de la Tour, Les origines de la Réforme, t. ii, Paris, 1909, p. 287-305. Tandis que renseignement théologique clés universités, dès longtemps miné par le terminisme, achevait de se consumer en discussions verbales, l’ignorance du clergé alarmait les plus clairvoyants, i De ceulx qui viennent aux ordres y trouvons fort petite science et moult elère semée, écrivait en 1515 l’évéquc de Toul, Hugues des Hazards. Car de dix a grand peine en trouve-t-on ung qui sçache ce qu’il est tenu de sçavbir, ne grammaire, ne aultres sciences ; par quov ils n’entendent rien (eliam littéralement) de ce qu’ils lisent : qu’est une grande malédiction, i Dans E, Martin. Histoire de l’Université de Pont-à-Mousson, Paris-Nancy. 1891, p..". sq. L’Espagne semblait mieux partagée. Mais si une renaissance tics forte du thomisme permettait

a L’élite de recevoir dans les universités une bonne formation théologique, ce relèvement des hautes études n’ai teignait ni les desservants des paroisses rurale-, m la masse imposante des réguliers, et. va

l’aversion des prêtres instruits pour le confessionnal, servait peu la cause de l’indispensable réforme. Ideo populus Dei infirmus est, imbecillis. perterrilus ac perditus, quoniam in Israël medicus non invenitur, qui medelam applicare non ignoret. Telle était encore en 1580 la plainte de B. de Médina, Inslrucl. confessariorum, Prolog.

On pouvait craindre qu’une situation aussi universelle n’entraînât avec elle dans le peuple chrétien un abandon complet des sacrements et en particulier du sacrement de pénitence. C’est pour parer selon leurs moyens à ce grave danger, que, dès la création de leurs premiers collèges, les jésuites inscrivirent au programme un cours public de cas de conscience. Voici, à titre d’exemple, ce que portait à ce sujet le prospectus du collège de Messine, second en date des collèges de la Compagnie (1548). Une autre leçon se fera sur l’Éthique d’Aristole… Une autre encore sur quelque Somiw de cas de conscience, pour apprendre à bien recevoir et administrer le sacrement de Pénitence. Monum. pœdag., p. 616. Une lettre de Nadal, titulaire précisément de ce cours en même temps que recteur du collège, Monum. hist., Vita S. Ignatii par Polanco, 1. 1, p. 283, renseigne sur les résultats obtenus en 1551. Monum. hist., Epistolæ P. H. Nadal, t. i, p. 120. En cette même année un plan d’études rédigé sous les yeux de saint Ignace pour le collège de Vienne, prévoyait l’ouverture d’un cours de cas de conscience, que les circonstances devaient retarder quelque temps, Monum. hist., Monum. Ignatiana, ser. I, t. iii, p. 605 ; mais à Ingolstadt, en revanche, la leçon de morale obtenait plein succès. Monum. hist., Liiterse. quadrimestres, t. i, p. 284. En 1553, à Lisbonne, quatre cents auditeurs suivaient un cours similaire du P. François Bodriguez, l’archevêque obligeait tous les ecclésiastiques de la ville à y assister, et l’afïluencc croissante allait exiger l’aménagement d’une plus vaste salle. Monum. hist., Vita S. Ignatii par Polanco, t. m. p. 403-404. Au Collège romain, où les cours supérieurs s’inauguraient en octobre 1553, la chaire de cas de conscience du P. Quentin Charlart ne groupait pas un pareil public ; on voit néanmoins dans un document de 1563, que le nombre des auditeurs eût alors dépassé deux cents, si le local l’avait permis. Monum. hist., Vita S. Ignatii par Polanco, t. iii, p. 8 ; Polanci com plemenla, t. i, p. 422, 520.

Bref, à la mort de saint Ignace, l’enseignement public des cas de conscience se faisait dans presque tous les collèges. C’est ce qu’attestent les Lilleræ quadrimestres de 1556, t. v, p. 995 (dans les Monum. hist.). Moins de dix ans après, une formula acceptandorum collegiorum établie par Lainez stipulait que toutes les fondations d’établissements comprenant au moins la rhétorique eussent à entretenir un professeur de cas de conscience : ut unus lectionem casuum conscienliie possit profiteri, ul sacerdoles illius regionis, qui parum erunt in iis versati, hac in parle quæ eis necessaria est, fuocwi possint, quo ipsi melius o/Jicium suum faciant ad divinam gloriam. Dans Pachtler, t. i, p. 336.

4° Influence sur le développement de la théologie morale. — Pareille impulsion donnée à la fréquentation du sacrement de pénitence et à l’étude de la morale devait faire auxjésuites une réputation durable de confesseurs et de moralistes, réputation consacrée en quelque sorte par saint Pie V, lorsqu’on 1570 il confiait ; ’» la Compagnie l’important collège des Pénitenciers de Saint Pierre. Sacchini, Hist. Soc. Jesu, p. III. t. VI, n. 1-8. Mais de plus, c’est là en grande partie qu’il faut voir la raison du développement pris alors par la théologie morale. On sait comment saint Charles Borromée, qui employait d’ailleurs les jésuites de Milan ad dijudicandas conscientlæ obscuriores causas, Sacchini, lue. cil., I. I, u. 70, (voir la note de LOT :

JESl [TES. THÉOLOGIE MOKALE. TENDANCES

1074

dans S. Caroli Bor. Orationes XII, édit, d’Augs boorg, 1 758. p. 5.">), et qui faisait le plus grand cas du Directorium con/cssariorum de Polanco (voir Inslruct. ad confessarios, dans Acla Eccl. Mcdiol., Lyon, 1683, 1. 1, p. i)55), fit de la discussion méthodique des cas de conscience un élément essentiel des conférences ecclé siastiques instituées par lui et adoptées a son exemple par beaucoup d’évêques. I w Conc. prov. de Milan, 1565, p. II, decr. 20 ; Instructioncs congreg. diceces., tit. 17-21. Acta Eccl. Mcdiol., t. i, p. 21 et 513. En 1593 les franciscains introduisaient le même exercice dans leur enseignement. H. Holzapfel, Monnaie historiée 0. F. M.. Fribourg, 1909, p. 503. Enfin les réguliers qui ne l’avaient pas encore.se le voyaient imposer peu après par Cément VIII et Urbain VIII. Voir art. Conférences ecclésiastiques, t. iii, col. 828. Ainsi se préparait, grâce au mouvement imprimé par les jésuites aux études casuistiques, cette floraison inouïe d’ouvrages de morale à laquelle devait assister le xviie siècle. Les protestations mêmes de Saintl’. yran. Pétri Aurelii Opéra, édit. Paris, 1642, t. ii, p. 241-214. et de G. Hermant. Véritez académiques, Paris. 1643. p. 253 sq.. puis d’Arnauld et de Pascal contre les méfaits des casuistes jésuites confirment indirectement la réalité de leur influence. Longtemps après, saint Alphonse de Liguori ne craindrait pas d’écrire : « En fait de morale, je ne cesserai de le répéter, ils ont été et ils sont encore les maîtres. » Lettres, Lille. 1888-1898, Correspondance spéciale, t. i, l. 10 : 30 mars 1756.

IL Objet de l’enseignement moral. — 1° On pourrait être tenté de croire que l’intérêt des jésuistes, dans le domaine de la morale, se borne à la casuistique. Il n’en est rien. L’enseignement théorique est, co, mme il convient, à la base. Dès la philosophie, suivant les programmes d’études les plus anciens, une place importante est iaiteàV Éthique d’Aristote. Consl., IV, xiii, 3, C ; xiv, 3 : Monum. pædag., p. 616 ; Ratio de 1586, Pachtler, t. ii, p. 134 ; Raliole 1599, Regulæ professoris philosophise moralis, ibid., t. ii, p. 344 ; Instit., ].. ii, p. 195, Ratio de 1632, Pachtler, t. H, p. 344. D’autre part, en théologie scolastique, le plan de la Somme, qui, dès l’origine, sert de guide aux professeurs préférablement aux Sentences, amène à traiter à fond les principes rationnels de la morale. Ratio de . Pachtler, t. ii, p. 77-79 ; Ratio de 1599, Régulée professoris scholaslicæ theologiæ, n. 7, ibid., t. ii, p. 302 ; Instit., t. ii, p. 185 ; Ordinatio pro studiis superioribus, du P. Piccolomini (1651), n. S, Instit., t. ii, p. 229-230. Voir aussi Pachtler, t. iv, p. 486, 549.

—’Mais, à côté de ces études théoriques, il y a place, dans un système complet de formation sacerdotale, pour un enseignement pratique, qui, utilisant à titre de principes les conclusions des thèses spéculatives, en fasse l’application aux diverses éventualités de la Vie réelle, et mette ainsi le futur prêtre en état de résoudre par raisonnement ou par analogie les problèmes concrets du for sacramentel. A vrai dire, nulle conscience préoccupée de reconnaître son devoir dans cet enchevêtrement de circonstances qu’est la trame d’une vie morale, ne saurait se dérober à l’exercice spontané ou savant de la casuistique. Voir R. Thamin, Un problème moral dans l’antiquité, Étude sur la casuistique stoïcienne, Paris, 1884 ; Brunetière, Une apologie '/> la casuistique, dans Revue des deux mondes, 1 er janvier 1885, p. 200 ; A. Mobilier, Les Provinciales de Biaise Pascal, Paris, 1891, t. i, p. lvii ; A. de la Barre, L’/ moral-, Paris. 1911, p. 111-120. - Mais combien est plus vrai de qui prétend diriger les autres ! Comme le médecin doit joindre a l’étude des sciences médicales une format ion thérapeutique, el comme le masistrat doit connattre la jurisprudence avec la législation, pareillement faut-il qu’un confesseur ajoute a la

philosophie des mœurs une connaissance approfondie de la casuistique, cette morale appliquée. On l’avait compris dans l’Église depuis bien longtemps. Voir plus haut, col. 1070, et art. Casuistique, t. ii, col. 1870. Aussi l’originalité îles jésuites n’est-clle pas d’avoir inventé la casuistique ; elle est seulement d’en avoir mieux marqué la place dans le cadre classique des disciplines théologiques.

3° Qu’on ne s’attende pas, d’ailleurs, à trouver ces deux objets de la morale, principes et applications, aussi parfaitement distincts chez les auteurs d’autrefois que chez ceux d’aujourd’hui. L’habitude de commenter au cours de théologie scolastique les questions de la Secunda Secundo : consacrées aux vertus morales, obligeait à fusionner dans renseignement spéculation et casuistique : d’où le caractère mixte d’ouvrages tels que le De censuris de Suarez, ou les traités De justilia et jure de Lessius, Lugo, et autres. Peut-être cette circonstance n’a-t-elle pas été sans influer sur l’allure générale prise par la théologie des jésuites, et sur sa préoccupation constante de garder le plus possible le contact avec le donné psychologique et moral.

III..MÉTHODE DE L’ENSEIGNEMENT MORAL.

Dans leur enseignement et dans les manuels qui en sont issus, l’ensemble des casuistes de la Compagnie de Jésus ne procèdent pas autrement que leurs devanciers, si ce n’est que très vite, à l’ordre alphabétique des Sommes antérieures suivies d’abord par eux, (Voir Monum. pædag., p. 99, 869 ; Monum. hist., Polanci complementa, t. ii, p. 582 ; — les Aphorismes de Sa en sont une survivance), ils substituent l’ordre méthodique esquissé par le Ratio (Ratio da 1586, Pachtler, t. ii, p. 119 : Ratio de 1599, Regulx professoris casuum, n.2, ibid., t. ii, p. 324 ; Instit., t.n, p. 192. Cf. Pachtler, t. iii, p. 242-245), et adopté plus tard, à la suite de Busenbaum, par saint Alphonse de Liguori. A cela près, leur méthode n’offre rien de nouveau. Analytique, rationnelle, et, qu’on nous passe le mot, strictement obligationniste, elle s’efforce de répondre aux exigences de la casuistique.

1° Dans l’exposé didactique, c’est, sur chaque matière, l’application de règles générales, brièvement établies, à un certain nombre de cas-types, choisis parmi les plus usuels et les plus représentatifs. Melhodus illa et oplima visa fuit et facillima, ut, in quavis maleria seu dubio, in primis ex communi doctorum sententia respondeatur, quæ responsio ceu régula, quxpiam sil, ex qua deinde, quoties id fieri potest, — aut cerle circa eam — casus aliquol parliculares resolvantur, ut, secundum illos et responsionem diclam, alii similes, cum incidcrinl, resolvi possint. Ces lignes de Busenbaum, Medulla theol. mor., prsef., pourraient être signées de tous ses confrères, car elles ne font que paraphraser les règles du Ratio relatives au cours de théologie morale : Ratio de 1586, Pachtler, t. ii, p. 122 ; Ratio de 1599, Re guise prof essor is casuum., n. 4, t. ii, p. 324 ; Instit., t.n. p. 192. Cf. Maldonat, dans Monum. pœdag., p. S70.

Dans les recueils de cas, où la doctrine se présente sous forme de solutions de problèmes, le rôle de l’analyse est plus important encore. Là il ne s’agit plus d’énoncer des règles générales et de statuer sur des cas-types à peine circonstanciés, mais d’apprécier comme en une sorte de confession fictive des cas individuels, pris pour ainsi dire sur le vif, tels que pourrait les présenter un pénitent en chair et en os. On devine quel minutieux examen requiert une opération aussi délicate, où l’oubli de la inoindre circonstance suffirait à fausser toute la solution ; et l’on comprend, par suite, que la nécessité de préparer ou d’aider le confesseur à de telles dissections morales impose, la casuistique une subtilité en rapport avec les mouvantes combinaisons de l’activité humaine. L075

    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. THÉOLOGIE MORALE. TENDANCES

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2° Usant à ce point de l’analyse, la méthode des casuisti’s jésuites est par le fait, comme celle des moralistes de ton-- le>- temps, plus rationnelle que proprement théologique. Les jansénistes et leurs amis le lui ont assez reproché. La morale chrétienne, selon eux, ne (levait emprunter ses règles que de l'Écriture sainte, des maximes des Pères et des canons de l'Église. Il n’y avait, hors de là. que > philosophisme ». Arnauld, De la fréquente communion, l’rél, Œuvres, t. xxvii, p. 99 ; Concilia. Apparalus ad theol., t. I, diss. II, c. ii, n. 7-8 ; c. ni, n. 4-i'> ; c. v. — Avec autant de respect pour l'Écriture et la tradition (Zaccaria, Diss. pro/e ; L, part. Il), les jésuites sentent mieux, d’une paît. l’impossibilité de trouver là tous les éléments d’une morale adaptée à la complexité du réel, et, de l’autre, la légitimité du raisonnement dans l’exposé des règles des mœurs et la solution des cas de conscience. « La raison en est, dirons-nous avec J. Hogan, que presque tous les devoirs de l’homme sont des devoirs naturels. Ils se rattachent, il est vrai, à un ordre plus élevé pour le chrétien, mais ils n’en conservent pas moins tous leurs traits originaux et caractéristiques. Cette doctrine, exposée en différents endroits par saint Thomas Quodl. IV, a. 13 ; Sum. theol., I » II æ, q. cviii, a. 1, est admirablement développée par Suarez, De leyibus, t. X, c. ii, n. 20. Celui-ci remarque judicieusement que même les devoirs particuliers du chrétien découlent naturellement des faits de l’ordre surnaturel, tels qu’ils se sont produits et oni été manifestés à l’humanité. Au delà de ces étroites limites, tout ce que défend l'Évangile est également défendu par la loi naturelle, et tout ce qu’il prescrit dérive de la nature morale de l’homme. Par conséquent, le devoir moral, dans toutes ses parties, relève du jugement humain et lui est soumis, non comme à un arbitre suprême…, mais comme au moyen propre, voulu par Dieu, d’atteindre la vérité morale. » Les éludes du clergé, trad. Boudinhon, Paris, 2e édit., p. 2C2. Cf Caiio, De locis theol., t. VIII, c. vii, concl. 2.

3° Enfin, toute orientée vers le confessionnal, la casuistique se tient systématiquement sur le terrain des obligations auxquelles s'étend le for sacramentel : à ce troisième article de la méthode les auteurs de la Compagnie de Jésus restent aussi d’ordinaire scrupuleusement fidèles. Aux ascètes et aux mystiques les traités de perfection chrétienne, dont la production ne chôme guère dans la Compagnie. Eux, casuistes écrivant pour les confesseurs, se bornent à tracer les limites du devoir, à circonscrire la zone du péché. Que cela sutlise à fournir une règle adéquate de vie morale, ils sont bien loin de l’imaginer. Ils savent qu’en sa qualité de médecin et de guide le prêtre ne doit pas laisser les âmes s’installer délibérément sur cette frontière du permis et du défendu ; mais ils savent aussi que, comme juge, rien ne le dispense de connaître le sens exact des lois de Dieu, rien ne l’autorise à en majorer la portée. Voilà dans quelle pensée ils croient tout à la fois se rendre utiles aux âmes et servir la science des mœurs en distinguant avec soin le domaine des préceptes de celui des conseils. Voir J. Hogan, ibid., p. 289 ; L. Bail, dans Zaccaria, Diss. proleg., part. III, c. i.

Telle a été, durant les deux premiers siècles, la méthode constante des moralistes jésuites. Nous avons cité de préférence Hermann Busenbaum, parce que sa Mrdulla theologite moralis, rééditée environ 200 fois avant de servir de base à l'œuvre de saint Alphonse, peut être regardée comme le manuel type. Mais avant lin Sanchez, Filliucci, Laymann… ; après lui, — et d’ailleurs d’après lui. - Lacroix. Mazzotta, Rcutcr…

s’inspirent exactement des mêmes conceptions. Tout leur effort, redisons-le, va, dans le sens où déjà l’on

travaillai ! avanl eux, a organiser la casuistique en

une discipline scientifique nettement différenciée et

bien homogène, distincte à la fois de la théologie hmlastique et de la théologie ascétique ayant pour objet spécifique l'étude des devoirs du chrétien : bref, à fondre ensemble le contenu pratique de la Somme de saint Thomas et des Sommes de cas de conscience, pour constituer ce cpie nous appelons aujourd’hui,

ce que dès 1591 i [enriquez appelait la théologie monde. Ce long effort devait être couronné dans la personne de saint Alphonse de Liguori, qui, sur la question de méthode, ne di Itère en rien de Busenbaum et de Lacroix.

Après le rétablissement de la Compagnie, 181 I, l’activité de ses moralistes continua de s’exercer dans la même direction. Le compendium de Gury, 1850, où tant de prêtres se sont préparés à entendre les confessions n’est en somme qu’un résumé de saint Alphonse dans le cadre de Busenbaum, véritable

Medulla Alphonsiana. » Plus étendu, plus soucieux de remonter aux sources, plus personnel aussi et par conséquent plus contestable, l’Opus theologicum mortde d’Antoine Ballcrini, publié en 1889-1893 par Palmieri, ne veut être autre chose, au point de vue méthode, qu’un large commentaire de Busenbaum, en parfaite harmonie avec celui de Lacroix. Même formule générale chez Bucceroni, Génicot, Noldin.

Mais, parallèlement à ce grand courant casuistique, une autre tendance s’est fait jour depuis quelques années. Dès le milieu du xixe siècle, sous l’influence peut-être du renouveau thomiste qui caractérise cette époque, divers auteurs avaient cherché, en Allemagne surtout, à donner à la théologie morale une formule plus largement organique, en réintégrant dans son cadre les éléments théoriques et ascétiques que le travail des siècles précédents en avait dissociés. La Theologia moralis de Lehmkuhl, parue en 1883 et souvent rééditée depuis lors, répond à cette pensée. La méthode n’y est certes pas moins rationnelle que dans les ouvrages dont nous venons de parler : au contraire, une plus grande rigueur a été introduite dans le raisonnement, une suite plus logique observée dans le plan, où l’ordre positif du Décalogue, traditionnel depuis le xv° siècle, a fait place à l’ordre aristotélicien des vertus, plus satisfaisant pour l’esprit. Mais on y reconnaît d’autre part la préoccupation très sensible de préparer le prêtre à sa mission de docteur et de directeur autant qu'à son rôle de confesseur, et le souci d’envisager les questions dans une perspective élargie, plus adéquate à la vie chrétienne totale. Le P. Lehmkuhl a exposé ses idées sur la théologie morale dans The catholic Encyclopedia, NewYork, t. xiv, 1912, p. 601. Actuellement cette tendance, qui est celle de la Nouvelle revue théologique, organe des R. P. .Jésuites de Louvain, ne se trouve nulle part mieux représentée que dans le traité de morale, en cours de publication, du R. P. A. Vermeersch, professeur à l’Université grégorienne depuis 1919, après avoir enseigné longtemps au scolasticat de Louvain. Le titre de cet ouvrage, Theologiæ moralis principia, responsa, consilia, est à lui seul un programme.

IV. Esprit de la doctrine moralk.

1° Mentalité îles moralistes jésuites. — Dans son livre De l’existence et de l’institut des jésuites, 1844, c. ni, le P. de Ravignan définil l’esprit doctrinal de la Compagnie de

lisus par « la tendance à garder les droits de la liberté humaine et de la raison. » Cette vue générale, développée par le 1'. Matignon dans une série d’articles (voir la bibliogntphie), est certainement très exacte, mais elle demande a être complétée. On pourrait songer d’autre part au terme d' « anthropocentrisme » dans lequel l’abbé 11. Bremond incline à résumer l’attitude des Jésuites en spiritualité, cette haute morale. Histoire littéraire ilu sentiment religieux, t. iii, 107 ;

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JÉSUITES. THÉOLOGIE MORALE. TENDANCES

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p. 31. 113-117. 134, 136-138… ; Revue d’ascétisme et de mystique. 1922. p. 420 sq. Pour discutable que soit le mot, l’idée qu’il porte n’est certes pas a écarter tout net : mais il n’y aurait là encore, relativement du moins aux moralistes, qu’une face de la réalité en ce sens que les jésuites, comme tous les théologiens scolastiques d’attache aristotélicienne sont en morale foncièrement eudénionistes. — Renonçant pour notre compte à la séduction des synthèses simplificatrices, nous nous contenterons de caractériser les moralistes jésuites en esquissant ici les lignes maîtresses de leur mentalité professionnelle, avant d’indiquer, dans la section suivante, leurs thèses les plus représentatives. Si c’est au jeu que se trahissent les caractères, c’est plus encore dans la polémique que s’accusent les tempéraments intellectuels. Quelle est donc l’attitude des jésuites dans les controverses doctrinales qui remplissent les deux premiers siècles de leur histoire ?

1. Tout d’abord, en réaction contre la tendance protestante à réduire la vie chrétienne à une pure religion de l’esprit, ils manifestent un sacramentalisme résolu. On a pu se convaincre déjà de leur zèle à propager la confession. Voir col. 1069. Leurs efforts en faveur de la communion fréquente sont bien connus également. Voir art. Communion, t. iii, col. 532. Ils montrent par là à quel point ils comptent sur la grâce sacramentelle comme levier moral, et quelle disproportion ils mettent, dans la vertu du sacrement, entre l’efficacité ex opère operalo et l’influence, qui doit étrj cependant sauvegardée, des dispositions du sujet : très loin en cela du pur moralisme stoïcien que leur ont reproché des critiques superficiels. Ils pourront être combattus sur ce point au nom des principes tout opposés de Saint-Cyran et d’Arnauld ; ils n’en maintiendront que plus fermement leur point de vue, persistant à considérer avec le concile de Trente, dans l’absolution du prêtre un miséricordieux appoint à l’insuffisance intrinsèque de l’attrition, DenzingerBannwart, n. 898 et 915, et dans l’Eucharistie, non pas une récompense accordée à la vertu, mais Vantidotum quo liberemur a culpis quotidianis. Ibid, n. 875.

2. Absolument contraires, en second lieu, au sévère pessimisme que ses partisans cherchent à recommander de saint Augustin, et au déterminisme mystique qui en découle, ils résolvent par un franc optimisme, ainsi que l’a exposé l’article précédent, le double problème des conséquences de la chute originelle et des secours offerts en vue du salut. Avec saint Thomas ils refusent d’admettre que l’homme ait été atteint in suis naturulibus par le péché d’Adam. Ils ne croient donc pas que notre nature historique, privée seulement des dons gratuits, soit proprement mauvaise en soi, et ils soutiennent tout spécialement, avec Molina, qu’elle a conservé, non pas, en vérité, intègre, mais pourtant complète, la liberté sans laquelle leur paraîtrait vain le mot de responsabilité. Corrélativement, concevant, de la part de Dieu, la création de l’homme, non pas comme la volonté de glorifier en tel ou tel la divine Miséricorde et en tel autre la souveraine Justice vindicative, mais comme la manifestation en chacun d’une profusion d’amour, ils tiennent essentiellement à maintenir au-dessus de toute atténuation l’universelle Providence salvifique et le don offert à tous les hommes, en chaque acte moral, d’une grâce vraiment suffisante pour faire le bien.

3. C’est par l’effet de ce sain optimisme, et à l’imitation, du reste, du Bon Pasteur de l'Évangile, qu’ils inclinent plutôt à la mansuétude qu'à la sévérité. Le joug du Seigneur n’est-il pas doux ? Et, si la voie est étroite qui conduit au salut, le meilleur moyen d’y ramener le pécheur n’est-il pas encore de l’envelopper de bonté? De là vient qu'à rencontre du rigorisme janséniste, ils professent un souverain respect des

consciences, s’interdisant scrupuleusement d’imposer aux âmes la moindre obligation Incertaine. Etsi erramus modicam pæniteniiam imponentes, nonne melius est propter misericordiam rationem reddere quam propler crudelitatem ? Usait-on dans Gratien, Décret., p. 11. caus. XXVI, q. vii, c. 12 : Alligant. Saint Raymond de Pefiafort avait dit à son tour : A’on sis nimis promis judicare mortalia peccala, ubi libi non constat. Summa, t. III, tit. xxxiv, § Quid de venialibus. Et Gerson : Xe sinl [theologi], faciles asserere acliones aliquas aui omissiones esse peccala mortalia, .. [ ciim] per taies assertiones publicas nimis duras… nequaquam eruantur homines a luto peccatorum, sed in illud profundius, quia desperatius, immergantur. De vita spir., lect. IV, cor. 11. De son côté saint Antonin répétait : Si vero non potest [ confessarius] clare percipere utrum sit mortale, … polius videtur absolvendum. Summa, p. II, tit. iv, c. 5, § 8. C’est donc en harmonie avec la tradition des grands moralistes leurs prédécesseurs, que les jésuites entrent eux-mêmes dans l’esprit de cette règle du Ratio studiorum : Ita suas confirmet opiniones [ professor casuum conscientia ; ], ut, si qua alia fuerit probabilis et bonis auctoribus munita, eam etiam probabilem esse significel. Ratio de 1599, Pachtler, t. ii, p. 324. Cf. Ratio de 1586, ibid., p. 122. Du reste, souvent très durs pour eux-mêmes, ils savent, en chaire et dans leurs entretiens ou leurs livres spirituels, parler le langage ferme ou sévère qui sied au directeur ou au prédicateur, le langage d’un Lallemant, d’un Bourdaloue. Mais rentrés dans leur confessionnal ou penchés de nouveau sur leurs traités de casuistique, on les retrouve tous, à bien peu d’exceptions près, imbus du même esprit. Autant ils ont d’exigences pour les âmes déjà avancées, autant ils prennent garde de rebuter les pécheurs en leur demandant trop. Si nous avions les cahiers rédigés par Lallemant et Bourdaloue du temps que l’un et l’autre enseignaient les cas de conscience, nul doute qu’ils nous découvriraient i n doublure de ces austères ascètes des casuistes aussi soucieux que tout autre de ne majorer aucune obligation.

4. Enfin, en opposition avec le fixisme des réformateurs archaïsants, ils revendiquent pour la morale le droit à un certain progressisme. Très caractéristique avait été chez saint Ignace le souci de s’adapter, en tous les domaines où c'était possible, aux conditions faites par les circonstances. En matière d’enseignement théologique, par exemple, après avoir recommandé de suivre saint Thomas, ce qui marquait déjà un progrès, comme par crainte de faire dater son œuvre, le saint avait expressément réservé l’adoption éventuelle de quelque manuel répondant mieux aux besoins de l’avenir. Const., IV, xiv, 1, B. Cf. col. 1014. Un mot de Lainez, cueilli au hasard des Actes du concile de Trente, et relatif à la discussion sur la réforme disciplinaire, 1 juillet 1562, trahit le même sens de l’adaptation en un sujet qui touche de près à la morale. Il en est des ré/ormes comme des remèdes : elles doivent, pour servir répondre aux besoins du sujet. C’est la pensée de saint Bernard lorsqu’il dit dans le De Dispensatione, qu'à côté des devoirs absolus il y en a de relatifs, compor’un' adaptation à la quai ité des personnes, au milieu et au temps. Ain i dans l'élaboration d’une réforme doit-on mr>ins se régler sur la pratique de i antiquité et même sur les exemples des saints que sur les nécessités présentes et sir les moyens de faire renaître actuellement la ferveur. Theiner, Acla Concilii Trid., t. ii, ]). 660. On retrouvera la même inspiration dans le texte fameux de Valère Regnault, qui scandalisait si fort Arnauld, /, " théologie morale îles jésuites, Œuvres, t. i. p. 7 1. Pascal, Cinquième Provinciale, Œuvres, t. iv, p. 316, et Nicole [Wendrock], Note a cette Provinciale, mais qu’eussent signé tous

les jésuites : i In definiendis quidem circa credenda oceurrentibus difflcultatibus, qua antiquiores fùerint authores, eo majoris ponderis censeri ipsorum placita.. In dirimendis tamen controversiis circa agenda enatis, poliorem ex adverso haberi rationem doctorum recentiorum, quos constiterit cxcelluisse in doeirina, ac diligentes exstitisse in evoluendis et expendendis aliorum sententiis. atque ponderandis de novo emergentibus agendorinn… circumslanliis… [Etenim] poliores parles merilo Iribuuntur recenlioribus, qui præsentiutn lemporum morumque condiliones perspeclas habenl. i Praxis fori pœnitentialis, præf. Cf. Sanchez, In DecaL, 1. I.c.ix, n. Il ; Ceol, De Itierarchia, l.V.c. xvi, p. 714 ; Lallemant, La doctrine spirit p. 166, cité par Brcmond, loc. cit., t. v, p. 51 ; Nouet, Réponses aux Lettres Provinciales, XIXe Imposture ; Daniel, Entretien de Cléandre et d’Eudoxe, m : dans Recueil de divers ouvrages…. t. i, p. 375-381. — Ceci trouve surtout son application dans le domaine des relations sociales, où le flux perpétuel des institutions et des mœurs, en modifiant constamment la donnée des problèmes moraux, oblige par contre-coup les casuistes à un continuel travail de mise au point. Voir les articles du professeur Brants sur les efforts faits par Lessius en ce sens, Revue d’histoire ecclésiastique, 1912, t. xiii, p. 73 sq., 302, 306 sq. Voir également ici même l’art. Commerce, t. iii, col. 397, et, d’un point de vue plus général, J. Hogan, Les études du clergé, trad. Boudinhon, Paris, 2e édit., p. 299-300.

Tendance bénigne qui résulte de cette mentalité.


On sait que dans l’histoire de la casuistique les deux premiers tiers du xviie siècle, si on les compare à un passé assez lointain ou, par contre, à la période immédiatement suivante, s’en distinguent par une tendance à plus de largeur dans l’appréciation morale. Inaperçue ou mal discernée de beaucoup de contemporains, cette orientation ne pouvait échapper à des archaïsants de la nuance de Jansénius et de Saint-Cyran, et, de bonne heure, elle était imputée aux jésuites sous le nom de « morale relâchée ». Abordant, dans ses V éritez académiques, Paris, 1643, p. 98, le chapitre de la morale des jésuites, Godefroy Herniaul y énonçait sans ambages la thèse qu’avait insinuée déjà Petrus Aurelius, et qu’allait développer Ârnauld dans la Théologie morale des jésuites, 1643, en attendant que Pascal l’immortalisât par ses Provinciales. « Voicy, disait-il, la principale pierre d’achopement, le piège qui surprend la crédulité des peuples, le poison sucré qui corrompt les esprits en les flattant, le charme trompeur qui desguise les rigueurs de la justice divine, en un mot une des plus certaines causes de la dépravation de ce dernier siècle. Car sans faire iniure à la Vérité, il m’est permis de nommer ainsi la Théologie.Morale des Jésuites, et de déplorer avec tant de gens de bien toutes les estranges nouveautéL, qui mettent l’Église en trouble en promettant le repos aux mauvaises consciences. »

Il y avait Mans celle accusation une double erreur.

— On n’était pas (onde, d’abord, à qualifier la morale de ce temps de poison corrupteur. Ni les jésuites ni aucun autre moraliste n’avaient jamais songé, sinon dans l’imaginât ion passionnée de leurs adversaires, à une entreprise de dépravation, fùt-ec même sous la tonne atténuée présentée avec plus d’esprit que de vérité psychologique dans la Cinquième Provinciale. Cf. Daniel, Entreliens de Cléandre et d’Eudoxe, a, dans Recueil, t. I, p. 326-343 ; et, indépendamment des intentions, à n’examiner que la seule doctrine des casuistes, il était non seulement très exagéré mais inexact, — abstraction faite, du moins, des principes jansénistes, — que cette doctrine i promit le repos aux mauvaises consciences, i En réalité, quand on étudiera’l’une manière objective et complète l’histoire de la morale en cette période, on verra que le

terme de laxisme, aujourd’hui reçu, convient assez mal à la tendance indulgente qu’on désigne par là. Al. Brou, t. i, p. 416. « La société changerait de face, dit justement de Maistre, si chaque homme se soumettait à pratiquer seulement la morale d’Escobar, saus jamais se permettre d’autres fautes que celles qu’il a excusées. » De l’Église gallicane, t. II, c. xi.

La seconde erreur des adversaires des jésuites, c’était de dénoncer ceux-ci comme incarnant à eux seuls le mouvement dont se choquait l’archaïsme, alors qu’ils n’en étaient, de fait, ni les premiers, ni les seuls, ni les plus extrêmes représentants. Qu’ils n’aient pas été les premiers, il sullit, pour s’en convaincre, de lire sous la plume de Lainez, De usura, n. 5, dans Disput. Tridenlinæ, édit. Grisar, t. ii, p. 230, et d llenriqucz, Summa theol. mor., 1591, præf., des plaintes circonstanciées touchant l’excessive facilité de plusieurs confesseurs à absoudre ; de se reporter à titre documentaire, aux attaques de Luther, de Mélanchton, de Chemnitz, contre « les opinions inextricables des Ihéologastres », véritables conscienliarum cauteria, sûrs moyens de « désapprendre le Christ. » Ainsi parle Mélanchton dès 1521 ; cf. Corpus reformatorum, Melanchlonis Opéra, 1834, 1. 1, p. 312. Qu’au xvii° siècle ils n’aient pas été les seuls, la preuve en est, obvie, dans les noms de Jean Sanchez, Diana, Léandre du Saint-Sacrement, Zanardi, Pasqualigo, Th. Hurtado, Vidal, Verricelli, Cassien de Saint-Elie, Caramuel et autres parrains des propositions censurées par Alexandre VII et Innocent XL Enfin, que les plus indulgents d’entre eux se tiennent bien en-deçà de la plupart des auteurs immédiatement cités, c’est l’évidence même pour qui a jeté les yeux sur des apologies telles que l’Opusculum d’Amsedeus Quimenius.

A cet égard, soit dit en passant, prendre comme base comparative les condamnations de l’Index risquerait de mener à des conclusions irréelles. Entre la Théologie morale de Caramuel, qui n’a jamais été condamnée, et le Cursus theologicus d’Amico, qui l’a été pour trois opinions contestables (Reusch, t. ii, p. 315), la hardiesse d’indulgence n’est pourtant que chez le premier. On peut se demander lequel est le plus bénin de Bauny, l’ami du saint cardinal de La Rochefoucauld, condamné par décret du 26 octobre 1640, ou du dominicain Candido, dont les Illustriores disquisitiones, blâmées pour leur largeur par le général de l’Ordre. Quétif et Echard, Scriptores ordinis Prxdicatorum, t. ii, p. 580, ne furent néanmoins l’objet d’aucune censure. A tort ou a raison, les jésuites se sont souvent plaints, depuis Dclrio, f 1608, (cf. Amsedeus Guimenius, Opusculum. Tr. de fuie, prop. 14), jusqu’à Faure, t 1779, (cf. Reusch, 1. 1, p. 178 ; t. n. p. 444, 505), que l’influence prépondérante des frères prêcheurs au Saint-Office et a l’Index contribuât à attirer sur eux la sévérité de ces congrégations, si bien qu’en 1696, plusieurs émettaient le vœu suivant, bien significatif : ut Congregalio [generalis] supplicaret summo Pardi /ici, ne in posterum essel penes Patres Dominicanos urbitrium approbandi vel reprabandi librns noslrorum auctorum. Cf. Astrain, t. vi, p. 355.

Os réserves laites, - et on notera que les historiens tendent de plus en plus à les faire : voir nommément II. Bœhmer, J.cs jésuites, trad. G Monod, Paris, 1910, p. 236, et surtout l’introduction de Monod lui-même, p, xi.iv. il est hors de doute qu’un certain nombre de jésuites ont pai-fois incliné à l’excès vers l’indulgence, et ilonné Ici ou là dans le défaut de la morale bénigne, a laquelle les disposait plus que d’autres la mentalité décrite au paragraphe précédent. Les plaintes répétées des généraux, dont il sera question plus loin, ne permet (eut aucune hésitation à ce sujet, même en taisant la part de l’hyperbole parénétique. Voir Astrain, t. iii, p. I 16 ; Al. Brou, t. r, p. 411. — Baunj, 1081

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JÉSUITES. THÉOLOGIE MORALE. IT.NDANCKS

IOSU

Pellizzari, Fagnndez, Tamburini, Gobât, Casalicchio, Benzi, sont ceux qu’il convient surtout d’ajouter à la liste de casuistes trop bénins signalés précédemment, en y joignant les apologistes Pirot. Moya et Mendo, souvent entraînés, dans leur réaction contre le jansénisme, à dépasser le juste milieu dans l’appréciation dos opinions en conflit. Ce qu’il y a de plus fâcheux, chez ces auteurs, ce n’est pas encore le fait îles erreurs particulières qui leur ont échappé et qu’on retrouve ça et là parmi les propositions condamnées sous Alexandre VII et Innocent XI. A qui se scandaliserait qu’un moraliste catholique put se tromper dans la solution de problèmes aussi ardus que le sont certains cas de conscience, on redirait volontiers ces mots de Jean Azor : Souvenez vous qu’en un dom nne aussi vaste, en un tel dédale d’opinions diverses, l’homme ne peu prétendre éviter tout faux pas : je suis homme et c’est chose bien humaine que l’erreur. Inslit.mor., Præf. Il n’est probablement aucun théologien qui, en morale comme ailleurs, n’ait payé son tribut à cette infirmité humaine. Saint Antonin lui-même, un maître pourtant, se trouve représenté dans la liste des propositions censurées par Alexandre VII. Bien plus regrettable est l’illusion fondamentale en vertu de laquelle les casuistes dont il s’agit, obsédés pour ainsi dire par l’idée de probabilité, et impuissants à discerner une limite pratique entre probabilité et certitude, victimes aussi d’un trop grand désir de « diminuer » les péchés, tendent à se contenter, pour maintenir aux consciences leur liberté, de raisons plus ingénieuses que solides et d’autorités insuffisantes. Dum probabililale sive inlrinseca, sive exirinseca, quantumvis tenui, modo a probabilitalis finibus non exeatur, confisi aliquid aç/imus, prudenler agimus. Cette thèse de Tamburini, Explic. decal., t. I, c. iii, § 3, n. 3, qui ne diffère que par un mot de la 3e proposition d’Innocent X I, prêterait, telle quelle, à de graves abus ; et si son auteur, par une heureuse inconséquence de son sens moral, n’en tire pas dans le concret toutes les hardiesses qu’on lui a reprochées, il est sans excuse de livrer à d’autres comme règle d’action une formule aussi critiquable.

Pareil bénignisme n’est d’ailleurs le fait que d’une minorité d’auteurs jésuites. On s’en rendra compte en parcourant l’ouvrage où le P. Jean Pollenter indiquait les positions communes dans la Compagnie par rapport aux propositions condamnées : Sexaginta quinque propositions nuper a SS. D. X. Innocenlio XI proscriptæ, a Societatis Jesu theologis diu unie… consensu communissimo rejectee. Louvain, 1689. Deux textes de saint Alphonse ont ici leur place. Le premier est emprunté à une lettre du 30 mars 1756, déjà mentionnée : « Les opinions des jésuites, écrivait le saint, ne sont ni larges ni rigides, mais dans le juste milieu. Et si je soutiens quelque opinion rigide contre tel ou tel écrivain jésuite, je le fais presque toujours en m’appuyant sur l’autorité d’autres écrivains de cette Compagnie. » Lettres. Lille, 1888-1898, Correspondance spéciale, 1. 1, 1. 10. Le second est une liste de moralistes classiques, donnée par le saint docteur dans la 4e édition de sa Théologie morale, 1760, t. I, n. 87 : on y voit figurer Molina, Suarez, Valentia, Vasquez, Lessius, de Coninck, Lugo, Cardenas, Sa, Tolet, Azor, Sanchez, Layman, Castropalao, en tout 14 jésuites sur 26 auteurs postérieurs au concile de Trente.

Pour solidariser l’ordre entier avec ses casuistes les plus imprudents, les polémistes anciens faisaient volontiers valoir l’unité de doctrine prescrite par l’Institut de la Compagnie et assurée par la révision obligatoire de toutes les publications de ses membres. Déjà utilisé par Pascal (cinquième et neuvième Pro’inciales, Œuvres, t. iv, p. 299 : t. v. p. 195, qui l’a trouvé dans les Vëpjlezacadémiques d’Hermant, 1643, p. 108, 27.">),

lit arg tment forme une des pièces maîtresses de l’échafaudage juridique (liesse par les Parlements aux

procès do 1702. Mais aucun historien ne le prendrait aujourd’hui au sérieux. Sans doute, pareillonuiit à ce qui existe dans tous les groupements religieux, dans ceux-là moines qu’aucun lien d’école n’attache à la lettre de toi ou tel docteur (voir par exemple pour les lazaristes, S. Vincent de Paul, Correspondance, édit. Coste, t. iii, p. 329 : pour Saint-Sulpice, Correspondance de M. Tronson, t i, p. 247), les constitutions de saint Ignace proscrivent l’unité dans la doctrine : Const. III, i, 18, O ; IV, v, 4 ; xiv, 1 ; VIII, i, S, K. Cf. Rcgulx provincialis, 54, Instit., t. ii, p. 82 ; Congreg. V (1594), decr. 6, 50, ibid., 1. 1, p. 545, 555 ; Ratio de 1599. Régulée communes projessorum jacullalum superiorum, n. 6, Pachtler, t. ii, p. 288 ; Instit., t. ii, p. 181, etc. — Mais cette prescription, dans la pensée du législateur, ne vise qu’à assurer l’orthodoxie de l’enseignement et l’union des religieux entre eux. Elle est donc compatible avec la liberté dans la mesure où celle-ci ne nuit pas aux deux buts cherchés. C’est ce qui ressort du catalogue de propositions libres annexé au De delectu opinionum d’Aquaviva, 1613, Pachtler, t. iii, p. 31. — Quant à l’institution des réviseurs, Const. III, i, 18 ; Regulæ revisorum generalium, Instit., t. ii, p. 61 ; Congreg. X, d. 11, ibid., t. i, p. 636, — garantie nécessaire et moralement suffisante contre des écarts de doctrine de la part des écrivains, ce serait manifestement lui attribuer une vertu chimérique, incompatible avec l’aléa humain, que d’y voir le contrôle minutieux et infaillible d’une sorte de crible automatique. Cf. Caussin, Apologie pour les religieux de la Compagnie de Jésus, Paris, 1644, p. 107 ; Pallavicini, Vindicationes societatis Jesu, Rome, 1649, p. 195 ; Daniel, Entreliens de Cléandre et d’Eudoxe, ii, dans Recueil, t. i, p. 329 ; Réponse au livre intitulé Extraits des assertions, t. iii, p. 100-170 ; de Ravignan, De l’existence et de l’Institut des Jésuites, c. m ; J. Brucker, art. Ignace de Loyola, t. vii, col. 730. En revanche elle permet d’apprécier l’importance attachée dans la Compagnie à la sûreté de la doctrine et renseigne ainsi sur un aspect peu connu de l’esprit de la morale des jésuites.

3° Réaction des supérieurs de l’Ordre contre la tendance au bénignisme. — Avant qu’aucun polémiste ait songé à exploiter le thème de la « morale relâchée », le général Aquaviva (1581-1615), dans YInstructio pro superioribus, 1597, fait cette recommandation intéressante à l’adresse des confesseurs : Dent operam ut pestiferas quasdam et nimis laxas opiniones penitus evellanl…, etc. Instit., t. ii, p. 299. A relever également les mesures prises par le même général touchant les thèses du tyrannicide et de la légèreté de matière in sexto. Il y aura lieu d’y revenir à la section suivante. D’autres documents d’Aquaviva et de ses prédécesseurs relatifs à la prudence à apporter dans le choix des opinions, ne visent pas spécialement la morale. Beaucoup plus remarquable, en raison de sa portée précise, est la circulaire de Vitelleschi (1615-1645) du 4 janvier 1617. En voici le passage essentiel : Xonnullorum ex Socielale sententiæ in rébus preesertim ad mores spectantibus plus nimio libérée, non modo periculum est ne ipsam everlant, sed ne etiam Ecclesiee Dei universæ insignia af/erant delrimenta. Omni itaque studio pcrficianl, ut qui docent scribuntve, minime hac régula et norma in delectu sententiarum utantur : * Tucri quis potesi. — Probabilis est. — Authore non caret ; » verum ad eus sententias accédant, quæ lutiores, quiv graviorum majorisque nominis doclorum sufjrugiis sunt /requentatæ, quæ bonis moribus conducunt magis, quæ denique pielatem alcre et prodesse valeant, non vastare, non perdere. » Corpus Institutorum S..L, Anvers, 1702, I. ii, p. 749

Sans insister sur l’Ordonnance de Piccolomini (1649L083

JÉSUITES THÉOLOGIE MORALE ; THÈSES ( ARACTÉRISTIQUES

lus’,

1651) pru studiis superioribus, 1651, qui, dans un lot <le propositions à proscrire de l’enseignement, en insère quelques-unes concernant la morale, Instit., t. 11, p. 235 ; l’aduler, t. iii, p. 94, il convient de souligner, par contre, le geste très caractérisé de la Congrégation X (1652), réclamant a l’avance du général qu’elle a mission d’élire, l’efficace répression de la tendance au laxisme : cf. Astrain, t. vi. p. 145. Quelle satisfaction reçut ce vœu, on le voit par deux lettres de Nickel (1652-1664) qui fut élu : l’une adressée au provincial de la province de France le 22 juillet 1656, cf. Réponse au livre intitulé : Extraits des assertions, t. iii, p. 173, l’autre, beaucoup plus importante, écrite le 29 mai 1657 pour toute la Compagnie, Pachtler, t. iii, p. 102. Par allusion se trouve signalé dans cette dernière lettre un troisième document remontant au 4 juillet 1054, et spécialement destiné aux réviseurs. Comme la précédente, la Congrégation XI (1661), dans son décret 22e, se préocupe sérieusement de la question. Instit., 1. 1, p. 642. (Rapprocher le document donné par Pachtler, t. iii, p. 393). Oliva (1664-1681) de son côté y revient à quatre reprises différentes, 2 décembre 1662, 30 avril 1667, 16 janvier 1676, 10 août 1680, cf. Pachtler, t. iii, p. 104, 108, 114, 118,

— cherchant le juste milieu entre un bénignisme exagéré et l’excès inverse du probabiliorisme. Enfin, les Congrégations XII (1682) et XIV (1696), l’une dans son décret 28 6, l’autre au décret 5e, Instit., t. i, p. 655, 670, reprennent à leur compte la fermeté de leurs devancières, satisfaites d’ailleurs, et au delà, par l’attitude de Thyrse Gonzalez (1687-1705). — Après avoir rappelé, dans un de ses écrits, la même série de documents, Gabriel Daniel concluait : « On ne peut mieux connaître l’esprit d’un corps, surtout tel que celui des jésuites, où le gouvernement est monarchique, que par les ordonnances de ceux qui le gouvernent et par les règlements portés par les assemblées générales composées des supérieurs et des membres les plus considérables. » Seconde lettre au P. Serry, dans Recueil, t. ii, p. 389.

V. Thèses caractéristiques.

Il suffit de parcourir la table des Extraits des assertions pour se faire une idée de la morale des jésuites telle que la décrivaient les plumes jansénistes dès le temps d’Arnauld. Tout y est groupé sous les chefs suivants : probabilismc, péché philosophique, ignorance invincible, simonie, blasphème, sacrilège, magie, astrologie, irréligion, idolâtrie, impudicité, parjure, prévarication, vol, compensation occulte, homicide, parricide, suicide, régicide. Moins hardies dans l’invraisemblance, du moins depuis le xix 4 siècle, les publications protestantes ramènent volontiers les choses à trois points de repère : probabilisme, purification de l’intention, restriction mentale. Zôckler, dans RealencyklopOdie, 3° édit., t. vin (1900), p. 761. — De tout cela il n’y a guère à retenir, ainsi qu’on le verra plus loin, que les thèses relatives à l’ignorance invincible et au probabilisme. Touchant le rôle de Vintention dans la moralité, rien ne fonde les insinuations de la Septième Provinciale (Pascal, Œuvres, t. v, p. 85), rien ne dislingue l’en saignement des jésuites de celui des autres moralistes catholiques. Cf. Maynard, t. i, p. 316 ; P. Bernard, Études religieuses, 1901. t. < ;, p. 357 ; Al. Brou, t. i, p. 376. Il en est de même pour ce qui concerne la restriction mentale. ce vieux reproche anglican souvent renouvelé, le P. Daniel a finement répondu par une simple substitution, dans la Neuvième Provinciale, d’auteurs étrangers à la Compagnie aux jésuites cités par Pascal. Seeonde lettre au P. Serrg. dans Recueil, t. ii, p. 385. Et quant au tyranniclde, outre qu’il faudrait n’avoir pas lu Mariana, De rege et régis instituttone, Tolède, 1599, pour ignorer les nuances dont s’entoure sa pensée, faire de lui le porte-parole de

son ordre, ce serait oublier qu’aucun de ses confrères ne l’a suivi dans la partie critiquable de sa doctrine, et que la Compagnie s’en est formellement désolidarisée par le décret du P. Aquaviva, du 1 er août 1614. Pachtler, t. iii, p. 47 ; Instit., . t. ii, p. 5. Voir TYRitANNicinr et ci-dessus col. 1062.

Il y a pourtant dans l’enseignement moral des jésuites quelques thèses caractéristiques : doctrines catholiques (l’une part, défendues avec une fermeté spéciale contre des penseurs hétérodoxes ou suspects ; ou bien opinions libres particulièrement accentuées en raison de controverses d’écoles ; ou encore positions imposées par l’autorité de l’Ordre. Les plus importantes sont relatives aux conditions de la responsabilité et à la formation de la conscience douteuse, deux points touchant au vif la vie morale et la pratique de la confession.

Doctriie sur la responsabilité.

Malgré l’état

d’enfance où se trouve encore l’histoire ancienne de la théologie morale, on peut dire en gros que la s. - olastique avait tâtonné durant des siècles avant de réussir à élaborer une théorie intégrale et cohérente de la responsabilité. Héritière de conceptions morales augustiniennes et aristotéliciennes convergeant vers un amoindrissement des conditions subjectives de la moralité au profit de ses conditions objectives, il était impossible qu’elle ne cherchât pas, consciemment ou non, à s’en dégager. Mais cette lente et obscure épuration encore peu perceptible à l’époque de Gerson et de saint Anlonin. achevait à peine de s’accomplir au milieu dn xvr siècle, grâce surtout à l’influence de la première génération des dominicains de Salamanque et à la nécessité de réagir contre certaines idées de Luther. Survenant à ce noment, libres par conséquent de tout lien d’école qui les enchaînât au passé, très en garde d’ailleurs contre le péril protestant et plus généralement contre l’esprit d archaïsme, les jésuites ne pouvaient que soutenir, sur cette question de la responsabilité, une doctrine opposée à celle des archaïsants. C’est pourquoi ils insistent particulièrement sur la nécessité de l’advertence actuelle, t Pour pécher et se rendre coupable devant Dieu, dit Bauny, il faut savoir que la chose que l’on veut faire ne vaut rien, ou au moins en douter, craindre, ou bien juger que Dieu ne prend plaisir à l’action en laquelle on s’occupe, qu’il la défend, et nonobstant la faire, franchir le saut et passer outre. » Somme des péchés, 4e édit., 1636, p. 906. Aux termes près, — Bauny n’est pas toujours heureux dans ses entassements de synonymes, — tous les jésuites admettent le fond de cette doctrine et exigent pour le péché la plena advertenlia et deliberatio de saint Alphonse, Theol. mor., ., n. 53. On ne commet donc un péché actuel qu’autant qu’on croit pécher, et par conséquent la bonne foi est toujours par elle-même une excuse C’était là ce que niaient ceux qui se disaient augustiniens. Il faut citer ici un curieux document qu’on trouvera en entier dans Dôllinger, t. ii, p. 1 sq. C’est une lettre écrite par le jésuite français La Quintinye à son général, le P. Oliva, pour lui ouvrir les yeux sur les dangers de la morale de la Compagnie, t « Juillet 1666. Il a reconnu, dit-il, à la base de cette morale un faux axiome, auquel se doit imputer qttidquid fere est laxitaiis et corruptela apud aullwrcs… Est axioma de BON A F1DE, quod sic se habet : bona fides operantis aliquid malt semper eum excusât a peccato. C’est là la doctrine généralement admise autour de lui, doctrine dont on ne peut s’écarter sans se voir taxer de jansénisme. En inqutunt, germana Societatis doctrina, … quod nem.pt ibl numquam sit peccatum, ubi non sit actualis et pressens cognitto qua judicet operansse maie operarl. D’où, par conséquent : Tantum peccal quis quantum putat se peccare, et non magis. A force d’entendre de tels propos il s’était résolu à en référer lOtx

    1. JÉSUITES THÉOLOGIE MORALE##


JÉSUITES THÉOLOGIE MORALE. THÈSES CARACTÉRISTIQUES

L086

au provincial..1/ tantum abesl ut c<i improbarit, ut

etiam miratus sit me eadem non sentirc. Dans ces conditions il recourt an général lui-même, sans rien lui cacher de sa propre pensée, qui e<t aussi celle des anciens : Virtualem seu inlerpretativam cognitionem ego eontendo suffleere (ad peccatum). Et voilà parfaitement caractérisée, dans son énoncé direct comme par sa contradictoire, une des thèses morales auxquelles tiennent le plus les jésuites.

_ Le pnbabilismè. - — La thèse du probabilisme découle de la précédente. Qu’on suppose en effet le eas, fréquent en morale, où l’inévidence du sujet amène les auteurs à différer d’opinion sur la licéité d’un acte, ou. ce qui revient au même, sur l’existence d’une loi : s’il est vrai qu’alors la violation matérielle de cette loi ne peut être imputée à celui qui, de bonne foi. n’en sait pas l’existence, comme le savoir ne commence que là où cesse l’incertitude, il faut bien avouer que dans la mesure où l’une des opinions en conflit rend incertaine l’existence de la loi, agir suivant cette opinion ne saurait passer pour mal faire. C’est ce que reconnaissait dès le milieu du xvi° siècle la célèbre école de Salamanque et avec elle les meilleurs théologiens de l’époque. Voir Dictionnaire apologétique, t. iv, col. 316. Ex commuai sententia theologorum, constate Lainez, quoties de aliquo conlraclu varise sunt sententiæ gravissimorum doclorum, licet unicuique tuta conscientia accedere illi sententise quæ magis illi placet. De vecligalibus, c. iii, dans Disp. Tridentinæ, t. ii, p. 399. Et c’est aussi ce qu’enseigneront la plupart et les plus représentatifs des moralistes jésuites. Jusqu’à la réaction antiprobabiliste du milieu du xviie siècle, on n’en connaît pas parmi eux, à part Rebello (1608), Comitoli (1609) et Bianchi (1642) qui ne tiennent expressément ou d’une manière équivalente la doctrine commune en ce temps. Gonzalez, Fundamentum theologiæ moralis, Introd., n. 11-15, et Concina, Apparatus ad theologiam christianam, t. ii, édit. de 1773, p. 270, se trompent, lorsqu’ils font de Tolet, Molina et Bellarmin des adversaires du probabilisme. Tolet dans son cours inédit sur la *- æ, professé au Collège romain en 1567, q. xix, a. 6 reflète â peu près la pensée de son maître, Dominique Soto. Ses formules sont celles des prédécesseurs immédiats de Médina. Molina ne traite nulle part la question mais se montre d’accord avec les probabilistes sur des points importants. Cf. A. Schmitt, Zut Geschichle des Probabilismus, Inspruck, 1904, p. 105. Quant à Bellarmin, le passage souvent cité de YAdmonilio écrite pour son neveu, l’évêque de Teano, cf. Gonzalez, toc. cit., demande seulement que dans les actes de l’administration épiscopale on suive toujours le parti le plus sûr, devoir tout à fait compatible avec la thèse probabiliste. — Le P. Ter Haar, De sijstemate morali antiquorum probabilislarum, Tournai, 1894, p. 20, est également dans l’erreur, lorsqu’il voite a Suarez, Yalencia, de la Puente, Th. Raynaud des ancêtres de l’équiprobabilisme. Lire là-dessus A. Schmitt, op. cit., ]i. 176. — Il faut attendre jusqu’à la seconde moitié du xviie siècle, pour trouver dans la Compagnie un groupe, d’ailleurs assez peu important, d’antiprobabilistes. Pallavicini, de Aranda, Mamiani délia Hovere, Rassler, Mayr, Biner, Mannhart représentent, avec des nuances diverses, la formule équiprobabiliste. Cf. Ter Haar, loc. cil. Elizalde, de Scildere, Gonzalez, Muniessa, Camargo, Antoine vont jusqu’au probabiliorisme. Malgré de très vifs efforts, ni les uns ni les autres n’ont fait école dans leur ordre, et, depuis le xixe siècle, l’accord est redevenu complet pour le probabilisme.

Pareil ensemble chez les professeurs et écrivains commandait en quelque sorte l’attitude de l’autorité de l’ordre. Tant que le probabilisme fut unanimement

revu dan-- l’Église, la pensée ne pouvait venir de fermer la bouche a ces opposants qui ne se rencontraient qu’à l’état isolé. Aussi le P. Piccolomini se contentc-t-il, dans son Ordinalto pro studiis superioribus, 1651, de mentionner la question du probabilisme parmi celles qu’il faut étudier, l’achtler, t. iii, p. 239 ; Inslit., t. ii, p. 229. Mais il n’en fut plus de même après le déclenchement des controverses issues du jansénisme. Dès lors, la grande majorité des théologiens de la Compagnie signalant, preuves à L’appui, une liaison étroite entre la réaction antiprobabiliste et le courant d’idées qui finirait par provoquer la bulle Unigenilus, il eût été surprenant que les supérieurs tolérassent l’enseignement du probabiliorisme ou permissent la publication d’ouvrages conçus dans ce sens. De là le cas Elizalde, cf. Dôllinger, t. i, p. 51 ; le cas La Quintinye, cf. Dôllinger, t. i. p. 57 ; t. ii, p. 1 ; le cas Gonzalez, cf. J. Brucker, dans les Éludes, 1901, t. lxxxvi, p. 778 ; 1902, t. xci, p. 831 ; P. Bernard, dans ce Dictionnaire, t. vi, col. 1493 ; A. Astrain, t. vi, p. 119372, — et d’antres affaires encore. Voir une lettre significative du P. de Henao à Gonzalez dans R. de Scorraille, François Suarez, Paris, 1912, t. i, p. 193.

— Vraisemblablement une mesure générale, demandée de différents côtés dans la Compagnie, serait venue couper court à tous ces essais de propagande probabiblioriste, si le pape Innocent XI n’avait en 1680, sur une supplique de Gonzalez et grâce à certaines influences favorables au parti janséniste, prescrit au général Oliva de laisser libres la discussion du probabilisme et l’adoption du probabiliorisme. Denzinger-Bannwart, n. 1219. Cf. J. Brucker, loc. cit. G. Arendt, De conciliationis tenlamine, Rome, 1902, p. 96 sq. ; A. Astrain, t. vi, p. 204 sq. Plus encore, que cet ordre curieux, dont les circonstances et les suites ne sont pas parfaitement élucidées, l’intervention par laquelle Innocent XI faisait élire Gonzalez comme général en 1687, cf. A. Astrain, t. vi, p. 228, devait modifier profondément l’attitude de l’autorité de l’ordre à l’égard du probabilisme, comme on peut le voir au décret 18e voté par la Congrégation générale sur l’initiative du nouvel élu. Inslit., t. i, p. 667. C’est ainsi que malgré une longue résistance de ses assistants, Gonzalez parvint lui-même à faire paraître son Fundamentum theologiæ moralis, 1693, et qu’après lui purent se produire au grand jour quelques ouvrages probabilioristes, d’ailleurs bien oubliés aujourd’hui.

Vraiment homogène, malgré cela, dans son adhésion au probabilisme, la doctrine de la Compagnie de Jésus ne l’est pas autant, du moins avant le xixe siècle, lorsqu’il s’agit de définir, d’établir et d’appliquer ce système. Dans les débuts surtout on rencontre parmi les jésuites, ainsi qu’il a été dit, col. 1081, des casuistes peu philosophes, aussi inhabiles que leurs contemporains à critiquer la thèse fameuse de Médina : In omnibus negotiis, eliam magni momenti, et in maximam injuriam lertii, licilum est sequi opiniones probabiles ; ergo et in maleriis sacramentorum. Exposiliones in S. Thomam, la lire, q. ix, a. 6, q. 5, eoncl. 3. Le texte du P. Vitelleschi, cité plus haut, col. 1082, accuse la nécessité de rappeler à certains, en 1017, que le probabilisme ne les dispense pas d’enseigner sur toutes choses, l’opinion la plus probable. Mais, par ailleurs, un Suarez, qui meurt précisément en cette année 1617, a vu dès longtemps la vraie portée, la preuve rationnelle et les limites pratiques du système. De bonilalc et maliliu humanorum actuiim, disp. XII, sect. 5 et 6. Et avec lui, avant lui, beaucoup d’autres ont leur part au travail de précision qui s’accomplit, relativement au probabilisme. de Médina à I.aymann. Voir sur ce sujet l’excellente étude du P. A. Schmitt, Zur Geschichle’1rs Probabilismus, Inspruck. P.nu.et l’art. Probabilisme. ° Doctrine relative aux débuts de la vie morale. — Outre ces deux thèses fondamentales et vraiment communes parmi les jésuites, on peut signaler encore,

comme présentant un certain intérêt, leur doctrine relativement aux débuts de la vie morale. An sit uliquod Dei præceptum quo unusquisque leneatur ad Deum converti, cum primum ad usum rationis pervenerit. Sur cette question qu’ils rencontrent en expliquant la Somme, I 3 II » 1, q. lxxxix, a. G, et à propos de laquelle le De opinionum deleclu (1613) d’Aquaviva leur laisse toute liberté. Pachtler, t. iii, p. 36, la majorité des jésuites se sépare de la célèbre mais diflicile opinion de saint Thomas. Voir art. Infidèles, t. vii, col. 1863, 1867. Pour eux non seulement rien ne s’oppose a priori à ce que la vie morale commence par un péché véniel, soit chez le baptisé, soit chez l’Infidèle, mais l’expérience montre que les choses se passent ainsi d’ordinaire. Il n’y a plus dès lors aucune raison d’admettre que de soi l’éveil à la vie morale saisisse et engage l’âme à fond par une sorte de mise en demeure d’opter sans atermoiement pour ou contre la fin dernière ; En cela, d’ailleurs, aucun désaccord essentiel avec la morale thomiste, aucune atteinte notanunent’au grand principe que c’est l’attitude prise à l’égard de la fin dernière qui spécifie la moralité, puisque dans le péché véniel comme dans le péché mortel, c’est bien toujours par rapport à la fin que se conçoit la malice morale.

4° Doctrine sur la légèreté de matière en fait de luxure.

— Reste à dire un mot de la position des jésuites dans la question de savoir s’il peut y avoir légèreté objective en matière de luxure. C’était au xvi c siècle un point discuté entre moralistes, et ni d’un côté ni de l’autre on n’apportait d’arguments décisifs. De bons auteurs comme Fumo, D. Soto, Azpicuelta répondaient affirmativement. Quelques jésuites se rangèrent à cet avis. — Tel est le cas du célèbre Sanchez, t 1610. De nuitrimonio, 1602, t. IX, disp. xlvi, n. 9, 15, 16, 39. La rétractation posthume, que l’on trouve dans VOpus morale in præc. decal., 1613, t. V, c. vi, n. 12. est duc vraisemblablement aux éditeurs, comme la correction, d’ailleurs incomplète, introduite dans les éditions ultérieures du De malrimonio. Voir le Cursus theol. mor. des Salmanticenses, tr. XXVI. c. m. n. 77. Salas, f 1612, suit ici Sanchez. Disput. in l am I I æ S. Th., t. ii, 1609, tr. XIII. disp. vi, n. 149, 157. Lessius, t 1623, tout en préférant le parti contraire, estime la discussion possible. De just. et jure, 1605, t. IV, c. iii, n. 59.

Jugeant cette opinion peu sûre, le P. Cl. Aquaviva, non content de l’avoir blâmée en 1606, relativement au cas particulier des taclus et oscula, Ramière, n. 361, interdit à tous les membres de la Compagnie sous les peines les plus sévères de l’enseigner ou de la soutenir de quelque manière que ce soit, 24 avril 1612. Instit., t. ii, p. 5. Cette mesure a été confirmée depuis, d’abord dans des réponses particulières, données par Aquaviva lui-même et Mutins Vitcllesclii. Ramière, ibid. ; ensuite dans des documents de police générale par le P.Carrafa, 19 jaiiv. 1647, cf. Lacroix. Theol. mor., t. III, p. I, n. 911, et par la Congrégation IX (1649-1650) d.24, Instit., I. i, p. 628. Depuis lors la doclrinc la plus généralement tenue par les théologiens jésuites distingue deux sortes de délectations : l’une purement sensible, l’autre proprie venerea ; et restreint a la première la possibilité d’une légèreté de matière, lïlliucci, Morales questiones, t. ii, tr. XXX, c. 9, 10. Lacroix, Theol. mor., t. III, p. I, n. 912. C’est la renseignement de Bauny, Somme des péchés, c. viii, concl. 12 ; Escobar, Theol. mor.. tr. I, exam. viii. n. 75 ; Tamburini, Expl. decal., t. VII, c. viii, § 1, n. 8-9.

L’opinion de Sanchez n’a pourtant pas été. semblet il, condamnée par l’Église. Viva fait justement

remarquer qu’elle ne se confond pas avec la proposition XL censurée par Alexandre VII en 1666. Damnatm thèses, p. I, prop. XL. n. 1. Malgré l’effet produit par la décision d’Aquaviva en dehors même de la Compagnie, des auteurs tels qu’Araujo, Zanardi, Yillalobos, J. Marchant la donnent encore comme probable. Voir Am. Guimenius [M. de Moya], Opusculum, tr. de peccatis, prop. XI ; Mendo, Slatera opinionum, diss. V, q. 1. C’est par égard pour cette probabilité extrinsèque et en vertu d’un principe incontesté entre catholiques, qu’aux termes d’une réponse du P. Nickel, 15 janvier 1659, les prêtres de la Compagnie peuvent, doivent même, absoudre au saint tribunal un pénitent sincèrement convaincu de la légèreté de sa faute et peu disposé à y renoncer. Ramière, n. 361. Cf. Platel, Synopsis cursus theol., p. II, n. 252.

VI. Principaux représentants.

Un double enseignement de morale, l’un plus théorique, l’autre plus pratique, s’est toujours donné, on l’a vu (col. 1073), dans la Compagnie. Il était naturel qu’il en résultât une double série d’ouvrages, ceux-ci d’allure plus scolastique, ceux-là visant davantage à l’utilité immédiate des confesseurs. C’est par rapport à ces deux genres, que sont établies les deux listes suivantes. Classification assez imparfaite, d’ailleurs, et qu’on se gardera de trop presser, puisqu’il s’agit d’auteurs chez qui spéculation et casuistique sont rarement sans se compénétrer.

Pour l’exposé scolastique.

Louis Molina, 15361600, le plus représentatif des écrivains de la Compagnie,

psychologue et juriste autant que philosophe et théologien, plus remarquable encore peut-être par la « science étonnante » de son De jure et justitia (Molinier, t. n. p. 274) que par sa fameuse Concordia. François Suarez, 1548-1617, justement estimé comme moraliste, pour ses traités De religione, De legibus, De sacramentis, De censuris. Grégoire de Valentia, 1551-1603. Gabriel Vasquez, 1551-1604. Jean de Sales, 1553-1612. Léonard Lessius (Leys), 1554-1623, dont saint François de Sales appréciait hautement le De justitia et jure (lettre du 26 août 1618 : Œuvres, Annecy, t. xvin. 1912, p. 272) ; ses Cas de conscience, publiés en 1645 dans In D. Thomam… de bcatitudine… praiccliones theologiav, t. i, p. 145 sont le fruit d’incessantes consultations. Louis de Torrès (Turrianus), 1562-1655. Jean Le Prévost (Pneposilus), 1570-1634. Adam Tanner, 1571-1632. Gilles de Coninck, 1571-1633. Jacques Granados, 1572-1632. Nicolas Baldelli, 15731655. Gaspar Hurtado, 1575-1646. François Amico, 1578-1651 (le P. L’Amg de Pascal), chancelier de l’université de Gratz. Jean de Lugo, 1583-1660, cardinal depuis 1643, l’auteur préféré de saint Alphonse de Liguori, après saint Thomas (Theol. mor., t. III, n. 552). Son De justitia et jure passe pour un modèle du genre. Jean de Dicastillo, 1585-1653. François de Oviedo, 1602-1651. Paul Rosner, 1605-1664. Martin de Esparza, 1606-1689, longtemps consulteur du Saint-Office et d’autres congrégations romaines, Sforza l’allavicini, 1607-1667, cardinal en 1657, esprit extrêmement subtil, plus porté à la spéculation qu’à la casuistique. Jacques Platel, 1608-1681, adversaire résolu du rigorisme janséniste, modéré dans le ton, du reste, et toujours intéressant à consulter. Christophe llaunold, 1610-1689. Jean de Cardenas, L684. Michel de Elizalde, 1616-1678, Antoine Terillus (Honvill), 1623-1676 et Thyrse Gonzalez, 1621-1705, Célèbres tous les trois par la part importante qu’ils prirent à la controverse probabiliste. Dominique Viva, 1648-1726, bien connu par ses Damnatte tlwsrs. commentaire devenu classique des propositions condamnées par Alexandre Y 1 1, Innocent X I, Alexandre VIII. Jean Marin, 1654-1725. Christophe Rassler, 16541723, le père de l’équiprobabilisme. Antoine Mayr, JÉSUITES. THÉOLOGIE MOKALE. PRIN( [PAUX REPRÉSENTANTS

1090

-1749. François Mannhart, 1696-1773. Enfin Thomas Holtzclau, 1716-1783, et Ignace Neubauer, 1726-1793, les deux collaborateurs, pour la partie morale, de la Théologie de Wurzbourg.

A ces noms de théologiens scolastiques du temps passé il convient de joindre, pour le mv siècle, 1rs philosophes, à qui incombe de plus en plus exclusivement, ainsi qu’on l’a et ï t plus haut. col. 107(3. le soin d’exposer les principes fondamentaux île la morale. Méritent une mention particulière’: Louis Taparelli d’Axegbo, 1793-1862, Matthieu Liberatore, 18101892, Santo Scbiffini, t 1906. Théodore Meyer, t 1913, Auguste Ferretti. t 1911.

Pour l’enseignement casuistique.

Jacques

Lainez, 1512-1565, et Jean Polanco, 1516-1577, dont on a rappelé plus haut. col. 1( ! 69. les titres à figurer sur cette liste. Emmanuel Sa. 1530-1596. François Tolet (Toledo), 1532-1596. cardinal en 1594, auteur d’une Summa casuum conscientiasive Instruclio sacerdolum souvent rééditée et recommandée par Bossuet à son clergé (Ordonnance synodale de 1691, n. 14 : Œuvres, édit. Migne. t. v. col. 1864) ; son Commentaire de la Hi-II’, publié pour la première fois en 1869. est un précieux témoin de l’enseignement scolasticocasuistique de la morale dans la seconde moitié du xvie siècle. Henri Henriquez, 1536-1608. Jean Azur. t 1603, dont les Institutiones morales, fruit d’une longue carrière, sont également recommandées par Bossuet. Paul Comitoli, 1544-1626. Valére Rcgnault (Reginaldus), 1554-1623, si maltraité par Pascal malgré un réel mérite qui lui valut les éloges de saint François de Sales (Avertissement aux confesseurs, c. ix, a. 5). Ferdinand Rehello. 1546-1608. Etienne d’Avila, 1549-1601. Thomas Sanchez, 1550-1610, moraliste éminent, dont l’œuvre énorme peut çà et là prêter le flanc à la critique, mais reste néanmoins dans l’ensemble un beau monument de morale scientifique. Son De matrimonio, le plus discuté de ses ouvrages, est qualifié par saint Alphonse â’egregium opus (Theol. mor., t. VI, n. 900) ; nihil supra, dit plus énergiquement encore le cardinal d’Annibale, Summula, t. i, prooem., note 31, 2e édit. 1881, p. 11. Jacques Gordon, 15531641. Martin de Funez, 1560-1611. Diego Alvarez, 1 1618. Etienne Bauny, 1564-1649, la grande victime de Pascal. Vincent Filliucci, 1566-1622, longtemps professeur de morale au Collège romain, auteur de Queesliones morales traitées avec une remarquable méthode. Paul Layman, 1574-1635 : xque in theologia morali ac in jure canonico peritus, scripsit opéra perspicuitale et solidilale insignia, dit de lui le P. D. Priïmmer, O. P., Manuale theol. mor., Fribourg, 1915, 1. 1. p. xxvii, Nulli aut /ère nulli secundus, au jugement de Muzzarelli. Cf. Lehmkuhl, Theol. mor., t. ii, cala-Icgus scriplorum de theol. pracl. Etienne Fagundez, 1577-1645. Ferdinand de Castropalao. 1581-1633. Charles Musart, 1582-1653. François Bardi, 15831661. Antoine de Escobar y Mendoza, 1589-1669, si diversement apprécié en Espagne et en France (Voir Pascal. Œuvres, t. v. p. 381. note). Thomas Tamburini, 1591-1675. François Pellizaii. 1596-1651. Jean de Alloza, 1598-1566. Antoine de Quintanaduefias. 1599-1651. Hermann Busenbaum, 1600-1668, dont on a signalé déjà, col. 1076, la haute valeur de casuiste. Georges Gobât, 1600-1679. Emmanuel Mascarenhas, 1604-1654. Gabriel Beati, 1607-1673. Adam Burghaber, 1608-1687. Matthieu Stoz, 1614-1678. Richard Arsdekin (Archdeacon), 1620-1693. Jean Baptiste Taverne, 1622-1686. Charles Casalicchio, 16261700. Jacques Illsung, 1632-1695. Gaspar Biesman, 1639-1714. Jean Giuliani, 1640-1710. Claude Lacroix -1714, l’un des auteurs les plus étudiés et les plus largement mis à profit par saint Alphonse (Lettres, Lille, 1888-1898, Correspondance spéciale, t i, 1. 9 :

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

15 fév. 1756). Joseph Vogler, 1661-1708. Nicoi s Mazzotta. ir.ti’.MT ;  ;  : Paul Zelt, 1679-1740. Gabriel Antoine, 1679-1743, théologien de nuance sévère, bien

oublié aujourd’hui, mais très lu au xviii siècle et au début du xix*’. Jean Reuter, 1680-1762. François Zech, 1692-1772, connu par d’intéressants travaux sur l’usure. Pierre Theubet, 1699-1715. Edmond Voit, 1707-1780. Louis Wagemann, 1713-1792. Jean-Pierre Gury, 1801-1866, le Busenbaum du xix c siècle. Antoine Ballerini, 1805-1881, moraliste de grand talent, parfois desservi par son extrême subtilité, mais dont l’œuvre fait date. Maurice Matharan, t 1894.. Edouard Génicot, t 1900. Janvier Bucceronl, 1 1918. Augustin Lehmkuhl. f 1918. Jérôme Noldin, f 1922.

Tous ces écrivains n’ont évidemment ni la même importance, ni la même valeur. On risquerait de s’y tromper à l’aspect nivelé d’une nomenclature où s’alignent des noms pourtant aussi inégaux que ceux d’un Molina et d’un Hurtado, d’un Sanchez et d’un Bauny. Le lecteur averti corrigera facilement ce défaut de perspective. Il trouvera par ailleurs dans les articles de ce Dictionnaire consacrés à chacun des grands auteurs, autant d’études spéciales qui compléteront utilement le simple coup d’œil d’ensemble jeté ici sur l’œuvre de la Compagnie de Jésus dans la théologie morale. Se reporter également à la Bibliothèque de Sommervogel. Bonnes tables méthodiques au t. x, col. 189, 651, 779.

Apologistes.

Si c’est l’Espagne qui fournit, du

moins jusqu’au milieu du xviie siècle, le contingent le plus fort et le plus remarquable de théologiens moralistes, comme d’ailleurs de théologiens scolastiques — fait remarqué déjà des contemporains et justement attribué par Cano au lustre de l’université de Salamanque, contrastant avec le triste état des études en Allemagne, en France et en Italie, De locis, t. XII, c. iv, § Nul’a théologie as… — en revanche, la lutte contre la morale des jésuites, s’étant développée surtout dans les pays plus ouverts à l’influence janséniste, France, Belgique, puis Italie, c’est là que se rencontrent le grand nombre des apologistes.

Les premiers en date sont les PP. Nicolas Caussin, 1583-1651, François Annat, 1590-1670, Jacques de la Haye, 1599- ?, Pierre Le Moyne, 1602-1671 (celui de la Neuvième Provinciale), et François Pinthereau, 16051664 (l’éditeur des lettres de Saint-Cyran), qui tous répondent à la Théologie morale des jésuites publiée en 1643 par Arnauld. Annat, polémiste fécond, reprend la plume contre Pascal et collabore avec Jacques Nouet, 1605-1680, aux Réponses aux Lettres Provinciales. Peu après se placent la fameuse Apologie pour les casuistes du P. Georges Pirot, 1599-1659, les ouvrages, visant spécialement le probabilisme, d’Etienne Dechamps, 1613-1701, et de Jean Fcrrier, 1614-1674, et les apologies intéressantes d’Honoré Fabri, 1607-1688. L’émotion causée en Espagne par le Tcatro jesuilico du dominicain Jean de Ribas provoque alors la retentissante riposte d’Amadœus Guimenius, (le P. Matthieu de Moya) 1611-1684, auquel s’ajoute un peu plus tard le P. André Mendo, 1608-1684. L’Adversus quorumdam expostulaliones… opusculum de l’un, et la Stalera opinionum benignarum de l’autre sont des documents de première valeur pour l’histoire de la morale au xvii 1’siècle. Les années immédiatement suivantes marquent une courte trêve. Puis rentrent en scène Jean Pollentcr, 1037-1695, dont l’important ouvrage a été signalé plus haut, col. 1081, Dominique Bouhours, 1628-1702, le célèbre humaniste, auteur des Sentiments des jésuites sur le péché philosophique, 1690, et surtout Gabriel Daniel, 1649 1728, le plus brillant de tous lis défenseurs de la morale des jésuites. Ses Entretiens de Cléandre.et d’Eudoxc n’ont eu qu’un toit, celui de venir qua VIII. — 35 ÎO’.U

JÉSUITES. THÉOLOGIE A.SCÉTIQI E. IM5 1NCIPES

1092

rante ans après les Provinciales. C’est en Italie que s’exerce alors surtout l’activité littéraire des apologistes, d’abord avec J.-B. de Benedictis, 1622-1706, Ch.-Ant. Casnedi, 1643-1725, et Balthasar Francolini, 1650-1709, puis, — dans l’âpre polémique, que déchaînent les ouvrages de Concina et de Patuzzi, — avec Jean Richelmi, 1679-1751. Nicolas Ghezzi, 1683-1766, Frédéric Sanvitale, 1704-17C1, Gaspar Gagna, 16861755, Philibert Balla, 1703-1759, Josepb (’.ravina, 17021775, J.-B. Faure, 1702-1779, François Zaccaria, 17141795. Enfin, la campagne d’opinion extrêmement violente, qui prélude en France, en Portugal, en Espagne et en Italie à la suppression des jésuites, donne lieu <lu côté de ceux-ci à toute une littérature défensive où la morale tient une grande place et dont il convient surtout de retenir la monumentale Réponse au livre intitulé Extraits des assertions, 3 vol. in 4°, 1764, œuvre, précieuse à consulter, des PP. Henri Sauvage. 1701-1791 et Jean Nicolas Grou, 1731-1803. Depuis lors rien de ce genre n’a paru sous la signature d’un jésuite. Mais il convient de faire une place ici à deux importants ouvrages d’auteurs étrangers à la Compagnie de Jésus. Ce sont / es Provinciales et leur réfutation, Paris. 2 vol., 1851. du chanoine Maynard et, du docteur K. W’eiss. P Antonio de Escobar a Mendoza als Moraltheologe in Pascals Beleuchtung undim Lichte der Wahrheit, Fribourg-en-B., 1911.

PlUNCIPAUX OUVRAGES UTILISÉS DANS CET ARTICLE. —

Annales de la Société des soi-disans jésuites, Paris, 5 vol., 1764-1771 ; A. Arnauld, Œuvres, Paris-Lausanne, 43 vol., 1775-1783 ; A. Astrain, S..1., Historia de la Compania de

Jésus en la Asistencia de Espafia, Madrid, 6 vol. parus, 1902-1920 ; T. Bouquillon, Theolugia moralis jundamenlalis, Bruges, 3e édit., 190.’}, Introduction historique, p. 71107 ; H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours, Paris, 6 vol. parus, 1916-1922 ; Al. Brou, S. J., Les jésuites de la légende, Paris, 2 vol., 1906 ; J. Brucker, La Compagnie de Jésus, Paris, 1919 ; J. Crétineau-.Joly, Histoire religieuse, )><ditique et littéraire de la Compagnie de Jésus, Paris, 1844, 6 vol. ; G. Daniel, S. J., Iiecueil de divers ouvrages…, Paris, 3 vol. 1724 ; A. De Meyer, Les premières controverses jansénistes en France, 1640-1649, Louvain, 1917 ; I. von Dôllingcr und Fr.-ll. Beusch, Geschichle der Moralstreitigkeiten in der rômisch-katholischen Kirche, Nordlingen, 2 vol., 1889 ; B. Duhr, S. J., Geschichte der Jesuiten in den Làndern deutscher Zunge, Fribourgen-B. , 3 vol. parus, 1907-1913 ; Extraits des assertions… nue les soi-disans Jésuites ont… soutenues, Paris, 1762 ; H. Fouqueray, S. J., Histoire de la Compagnie de Jésus en France, îles origines à la suppression, Paris, 3 vol. parus, 1910-1922 ; Aiuad : eus Guimenius (Matthieu de Moya, S. J.), Adversus quorumdam expostulaliones… opusculum, Palermc, 1657, Madrid, 1664 ; J. Gulraud, Histoire partiale, histoire vraie, Paris, 1919, t. iv ; Th. Hugues, S. J., Historg o/ the Society of Jésus in North America, Londres, 3 vol. parus, 1908-1917 ; Institulum Sociclatis Jesu, Prague, 2 vol. 1757 ; A. Lclimkuhl, s. J., art. Moral Theologg, dans The catholte Encyclopedia, New-York, 1912, t. xiv ; A. Matignon, s. J., Les doctrines de la Compagnie de Jésus sur la libelle, dans Études religieuses, 1864-1867, 12 articles ; M. Maynard, Les Prolales a leur réfutation, Paris, 2 vol. 1851 ; A. Mendo,

S. J., Statera opinionum benignarum, Lyon, 1666 ; A. Moli nier, Les Provinciales de niaise Pascal, Paris, 2 vol., 1891 ; Monumenta historica Societatis Jesu, collection entreprise en 1894 par les jésuites espagnols et publiée a Madrid ; M. de Moya, s. J., cl. Amadœus Guimenius ; G.-M. Pachtler, s..i, Ratio studiorum et Instllutiones scholasticm.Societatis Jesu per Germaniam oigentes, Berlin, i vol. 1887-1894, collection Monumenta Germaniæ patdagoglca ; Pascal, Œuvra, édlt. L. Brunschvicg, P. Boutroux, P. Gazier, Paris, il vol. 1904-1914, collection Les grands écrivains de la France ; Ramière, s. J., Compendtum Institua Societatis

lésa, foulouse, 3’édlt., 1896 ; Réponse OU livre intitule

Extraits des assertions, Paris, : t vol. 1763-1765, par les

PP. Sauvage et G S..J. ; Fr.-H. Reusch, Der Index der

verbotenen Bâcher, Bonn, 2 vol. 1883-1885 ; Th. Slater, S. J.

t short history o/ moral Theologg, NewYork, 1909 ; C. Som mervogel, S.. !., Bibliothèque de la Compagnie de Jésus,

Bruxelles-Paris, 10 vol., 1890-1900 ; P. Tacchi-Veuturi. S. J., Storia délia Compagnia di Gesù in Italia, Rome-Milan, 2 vol. parus, 1910-1922 ; D Viva, S. J., Damnal.r thèses ab Alexandro VII, Innocentio XI, Alexandro VIII ad theologicam trutinam revocativ, N’aples, 1708 ; Fr. Zaccaria, S. J., Dissertatio prolegomena de casuisttese theologuv originibus, tocis atque præstanlia, en tête de la Théologie morale de saint Alphonse de Liguori, de la 3 « à la 8’édition inclusivement.

Jacques de Blic.

IV. JÉSUITES (THÉOLOGIE ASCÉTIQUE OU SPIRITUALITÉ). - La spiritualité chrétienne est un ensemble de principes, de règles et de pratiques destinés à diriger l’âme vers la perfection, c’est-à-dire vers l’union à Dieu par la charité. Si dans sa substance cette spiritualité est immuable comme l’Évangile, dans ses formes elle est susceptible de modifications, d’adaptations et de perfectionnements. On peut reconnaître les mêmes principes et différer dans la manière de les envisager, de les exprimer et de les appliquer ; on peut poursuivre le même but et différer dans le choix et le dosage des pratiques employées pour y parvenir, dans l’énoncé des règles adoptées pour assurer la marche et faciliter le travail. C’est ainsi qu’on a pu distinguer entre spiritualité et spiritualité : celle du chartreux n’est pas celle du franciscain ; celle de saint François de Sales n’est pas celle de l’abbé de Rancé ; celle des carmélites n’est pas celles des Filles de la charité. A ce point de vue. la Compagnie de Jésus, comme du reste la plupart des grandes familles religieuses, doit avoir sa spiritualité spéciale.

Venue api es quinze siècles de christianisme, elle a trouvé tout un trésor de doctrine et d’expérience depuis longtemps rassemblé par l’Église. C’est dans ce trésor qu’elle a puisé à pleines mains et qu’elle a pris les éléments de sa vie spirituelle. Mais, en les adaptant à sa vocation propre, elle leur a imprimé un cachet particulier qui donne à sa spiritualité une forme très caractérisée.

Pour donner une idée de cette spiritualité dans ce qu’elle a d’original et de substantiel.il nous suffira de considérer les principes qui la dominent, les procèdes qu’elle emploie, les pratiques dont elle se sert. Après ce coup d’œil d’ensemble, nous indiquerons les caracrères qui la distinguent, nous montrerons l’influence qu’elle a exercée et nous répondrons aux accusations qui lui ont été adressées. Nous terminerons par quelques mots sur la mystique dans cette école de spiritualité.

Ce travail d’exposition est relativement facile, car toute la spiritualité de la Compagnie de Jésus se trouve condensée dans les Exercices spirituels de saint Ignace.

C’est là que, sur la recommandation formelle du maître.

les ailleurs ascétiques et mystiques de l’ordre, sont

venus, les uns après les autres, à quelques exceptions près, chercher leurs piincipales inspirations. Sans limiter notre étude aux Exercices, ce qui suffirait à la rigueur, c’est naturellement sur les Exercices que se portera surtout notre attention.

I. Les principes. IL Les procédés (col. 1094). III. Les pratiques (col. 1096). IV. Les caractères (col. 1097). V. I inuuence(eol.llOO).YI.Lcsaccusations(col. 1103). VII. La mystique (col. 1106).

1. Les Principes. - Toute la spiritualité de saint Ignace repose sur deux principes, accompagnés chacun d’une conséquence féconde en applications.

1 le ces deux principes, l’un est fourni par la raison et l’autre par la foi ; l’un découle de la nature même de l’homme, l’autre de son élévation à l’ordre surnaturel par Jésus-Christ ; l’un s’appuie sur le fait de la i réalion, l’autre sur Le fait de l’incarnation.

1° Le premier principe est formulé dans la considérai ion qui ouvre les Exercices spirituels : L’homme 1093

rÉSUITES. THÉOLOGIE ASCÉTIQUE. PROCÉDÉS

est crée pour glorifier, c’est-à-dire pour louer, honorer et servir Dieu, et par là sauver son aine.

t Tout le reste, sur la surface de la terre, est destiné a l’homme pour l’aider à al teindre cette fin. »

D’où cette conclusion que celui qui veut tendre à la perfection doit user ou s’abstenir de ces moyens dans la mesure où ils l’aident ou le gênent dans la poursuite de sa fin, et pour cela arriver à une telle indifférence par rapport à ces moyens qu’il ne veuille et ne choisisse que ceux qui le servent le mieux en vue de sa fin.

Cette fin étant d’abord la gloire de Dieu, c’est dire que celui qui tend à la perfection doit en tout et toujours viser à la plus grande gloire de Dieu : Non vulendo neque quærendo quidquam aliud nisi in omnibus et per omnia majorem laudem et gloriam Dei Domini nostri. (Exercitia, 2° hebd. in fine).

Cet objectif de la plus grande gloire de Dieu que saint Ignace avait constamment en vue, il le proposa dès l’origine à sa Compagnie. Tandis que les autres familles religieuses sont appliquées d’ordinaire à une forme déterminée de prière, de pénitence, de charité ou d’apostolat, il ne voulut appliquer la sienne à aucune œuvre spéciale, afin qu’elle pût, selon les circonstances, adopter celles dont on pourrait espérer le plus de gloire pour Dieu. Et ce principe qui guide le corps entier dans le choix des œuvres auxquelles il se consacre, doit guider aussi chacun de ses membres dans le choix des ministères qui s’offrent à son dévouement et à son zèle. Ad majorem Dei gloriam ! ce sera tout ensemble leur devise, leur cri de guerre et leur programme.

2° Le second principe est également inscrit dans les Exercices, dont il domine les trois dernières parties. Dans l’état de rectitude primitive, l’indifférence au milieu des créatures pouvait nous suffire pour rechercher et procurer en tout la plus grande gloire de Dieu. Mais, depuis que le péché a tout bouleversé en nous et autour de nous ; depuis que les créatures, au lieu de nous porter au bien, nous sollicitent au mal ; depuis que notre nature dépouillée et blessée, au lieu d’aller spontanément au devoir, se sent attirée vers les jouissances défendues, ce n’est plus assez de l’indifférence, il faut l’abnégation. C’est la leçon que Jésus-Christ est venu donner au monde par son enseignement et surtout par ses exemples. Saint Ignace présente Jésus comme un roi guerrier et conquérant, qui combat pour rétablir et affermir l’autorité de Dieu sur la terre, et qui appelle tous les hommes à s’enrôler, sous son étendard, au service de la plus noble et de la plus grande des causes. La connaissance, l’amour et l’imitation de Jésus-Christ, voilà le second principe que proclame saint Ignace et dont il tire une conséquence capitale. Si tous les hommes sont tenus de répondre à l’appel de Jésus-Christ, ceux qui aspirent ardemment à la perfection voudront se distinguer dans cette glorieuse armée, et suivre leur divin chef d’aussi près que possible, dans cette voie royale de la croix, où il s’élance le premier, et ou il invite les hommes de cœur à marcher sur ses pas. L’auteur des Exercices donne à cette conclusion une formule expressive, qu’il appelle le troisième degré d’humilité : t Dans l’hypothèse où il faudrait choisir entre la pauvreté et la richesse, entre les humiliations et les honneurs, et où l’on verrait également la gloire de Dieu de part et d’autre, la perfection consiste à préférer la pauvreté à la richesse, les humiliations aux honneurs, par amour pour Jésus-Christ, qui nous a donné cet exemple et à qui on veut ressembler. » C’est en somme Yabneget semelipsum de l’Évangile ; c’est lajpratique du conseil donné par Notre-Seigneur lui-même : .S" ; vis perfectus essi vade, vende que hnbes et da pauperibus… et veni, sequere me.

On voit comment ces deux principes se correspondent. Le premier contient la thèse : en toute condi tion, la perfection consiste à choisir le mieux par rapport à la fin ; le second applique la thèse à l’hypothèse de notre condition actuelle, où le mieux consiste à imiter Jésus-Christ, tel qu’Use présente à nous, volontairement pauvre et humilié.

II. Les Procédés.

Comme elle a ses principes, la spiritualité de la Compagnie de Jésus a ses procédés, procédés qu’on retrouve sans doute ailleurs, mais qui ont peut-être ici une forme plus accentuée ou qui sont d’une application plus intense.

1° C’est le but de toute spiritualité de procurer l’union aussi complète que possible avec Dieu par l’amour. Mais si le but est identique, les procédés employés pour l’atteindre ne sont pas toujours les mêmes.

Pour conduire à l’amour, saint Ignace recourt au procédé le plus naturel et le plus efficace. Il s’efforce de détruire dans l’âme tout ce qui s’y oppose. Pour la remplir de Dieu, il faut, en effet, commencer par la vider de tout et principalement d’elle-même. Pour qu’elle puisse se conformer à la volonté de Dieu, il faut qu’elle détruise ou qu’elle dompte d’abord, à force de lutte, toutes ses habitudes désordonnées. Tel est précisément le programme formulé dans le titre même des Exercices : Exercitia spiritualia ut liomo vincat seipsum et ordinet vilam suam quin se delerminet ob ullam affeclionem quæ inordinata sit. Long et rude travail, qui occupe la plus grande partie de ces Exercices, qui aboutit au troisième degré d’humilité, et qui prépare de la façon la plus sûre la contemplation finale ad amorem spiritualem. Il n’est peut-être pas inutile de faire remarquer que le procédé de saint Ignace est absolument celui de saint Thomas, qui s’en exprime avec sa précision ordinaire : Tanto perjectius animus hominis ad Deumdiligendum fertur quanto magis ab affectu temporalium revocatur. S. Thomas, opusc. xviii. De per/ect. vilee spirit., c. 6.

Ce n’est pas que, dans la pensée de saint Thomas et de saint Ignace, il faille attendre à la dernière phase de la vie spirituelle pour faire des actes d’amour ou pour s’inspirer de l’amour, pas plus qu’arrivé sur les hauteurs de l’amour on ne renonce complètement à la pratique de la mortification et des autres vertus chrétiennes. Mais enfin pour s’unir pleinement à Dieu il faut d’abord se déprendre des créatures ; et puisque chaque phase est caractérisée par le but immédiat qu’on y poursuit, avant de vivre d’une vie d’amour il faut vivre d’une vie de renoncement.

De nos jours, une école qui se croyait nouvelle a reproché à saint Ignace de ne pas commencer par l’amour. Elle préconisait une méthode toute différente, qu’elle intitulait « la Voie ». Au lieu d’aller par le renoncement à l’amour, c’est par l’amour qu’elle espérait arriver au renoncement. Cette tentative n’était en réalité que renouvelée. Saint Grégoire le Grand l’avait certainement rencontrée, pour signaler comme il le fait les illusions d’une pareille méthode. Il constate que, sous des apparences de dévotion fort vive, les passions qui n’ont pas été préalablement combattues gardent toute leur force et reparaissent avec violence à la première tentation : Ili iwnnumquam lacrijmas in oratione percipiunt ; sed cum post ora~ tionis tempora eorum mentent superbia pulsaverit, illico in fastu elationis intumescunt ; cum auarilia insligat, mox per incendia avirfic roqilulionis cxœstuant. Moralia, t. XXXIII, c. xxii, P. I.., t. lx.xvi, 700. D’ailleurs la charité ne pourra que difficilement exercer son commandement royal sur les vertus qui dépendent d’elle, si ces vertus n’ont pas été d’avance fortifiées et disciplinées par un effort vigoureux et prolongé, qui su]) pose le renoncement à soi-même. Faute de cet te pi é paration, Cajétan, traitant la question dans son Commentaire de la Somme théologique. Il’1 1’q. ci.xxxii, a. 1, dit qu’on bâtit sur le sable : Ob defectum liujus.

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    1. IISIITI##


IISIITI.S. THÉOLOGIE ASCÉTIQUE. PRATIQUES

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mulli nonumbuluntes sed saltantes in via De/, postquam mullum temporis vitæ suæ conlemplationi dederunl, vacui rirtulibus inveniuntur… sed super arenam (abncarunt.

2° Un autre procédé, qui trouve son application dans les exercices de piété comme dans les œuvres de zèle, l’est de ne compter sur le secours de Dieu qu’après avoir fait ce qui dépend de soi, sous l’influence de cette grâce initiale qui ne fait jamais défaut. On peut dire que tonte la spiritualité de saint Ignace est dominée par ce principe : Facienli quod in se est Deus non denegat graliam ! Qu’il s’agisse de combattre des habitudes mauvaises ou d’avancer dans la perfection, il prescrit avec insistance l’usage de l’examen particulier, ce moyen par excellence d’intensifier l’effort de l’homme en le concentrant et en le régularisant. A qui veut recevoir les lumières du ciel et les excitations de la grâce, il ne dit pas de se tenir dans une expectative béate, U ne conseille pas d’attendre Dieu, d’écouter Dieu, de laisser faire Dieu ; il recommande de se disposer à cette intervention divine, en faisant tout ce qui dépend de lui, comme si Dieu ne devait rien faire ; il i appelle que le meilleur moyen d’obtenir les grâces que nous voulons, c’est d’utiliser les grâces que nous avons. Exerccre se, disponere se, adjuvarc se, voilà les conseils qu’il donne au début des Exercices. Avec saint Augustin, il sait que Dieu n’aide d’ordinaire que ceux qui s’aident eux-mêmes, et il semble constamment nous jeter cette consigne du bon sens chrétien : Aide-loi et le ciel t’aidera. Mais quand Dieu daigne récompenser des efforts généreux et persévérants, soit en faisant briller quelque lumière devant l’intelligence, soit en accordant quelque consolation au cœur, soit en excitant quelque bon mouvement dans la volonté, saint Ignace veut qu’on s’arrête pour recueillir ces lumières et savourer ces consolations aussi longtemps qu’elles dureront. C’est en ce sens, mais uniquement en ce sens, qu’il faut écouter Dieu et laisser faire 1 >icu dans la prière.

> Un troisième procédé, plus important et non moins caractéristique que les précédents, c’est de ramener tout le travail de la perfection à l’imitation de Jésus-Christ. On sait que dans les Exercices saint Ignace ne procède ni par dissertations ni par exhortations ; immédiatement après les purifications du début, il conduit son disciple à l’école de Jésus-Christ, pour ne plus l’en laisser sortir. Il lui indique le moyen le plus simple, le plus pénétrant et le plus fructueux de contempler et d’étudier ce divin exemplaire, mais il se garde bien de faire lui-même cette étude à sa place, il se conforme le premier au conseil qu’il donne à tout directeuj d’âmes, de ne pas s’interposer entre le Créateur et lu créature. Il l’arrête successivement devant chacun des giands mystères de la vie et de la passion de Notrc-Seigneur ; il lui conseille de contempler les personnes, d’écouter les paroles, de considérer les actions, puis de s’appliquer à lui-même les réflexions qu’il fera ou que l’Esprit Saint lui suggérera, de s’arrêter le plus possible aux sentiments que lui inspirera cette considération, enfin de tirer de toul cela quelque fruit pour son avancement spirituel. Inspice et fac secundum excmplar quod libi in monte monslratum est, semble-t-il lui dire ; puis il le laisse à son initiative et à sa générosité, il l’abandonne en toute confiance à l’action de la g) âce.

On s’est demandé si, au lieu de faire contempler ainsi les scènes évangéliques, il ne sciait pas préféi able de faire contempler ce qu’on a appelé r Intel leur de Notre-Seigneur, c’est à-dire évidemment le principe <|ui le tait agir ci les sentiments qui raniment vis de son Père, vis-à-vis des hommes et de toutes les créatures. Autant que personne, saint Ignace étall persuadé que la vraie contemplation « loi t

aller jusqu’à l’intime de Notre-Seigneur et pénétrer jusqu’à son divin Cœur ; il fait demander constamment cognitionem intimamDomini qui pro me faclus est homo ; mais il a pensé que rien ne nous révèle l’Intérieur de Jésus comme les mystères de sa vie, et que c’est précisément pour nous aider à découvrir les sentiments de son âme que Jésus a voulu pratiquer en quelque sorte sous nos yeux, toutes ces vertus qui en sont la manifestation sensible. Nous ne sommes pas des anges, et c’est par les sens que s’alimente régulièrement notre vie intellectuelle.

III. Les Pratiques.

Aux pratiques de piété déjà en usage dans l’Église, la Compagnie de Jésus en ajouta un certain nombre d’autres, dont quelques-unes, avant surtout d’être universellement répandues, ont donné à sa spiritualité une physionomie spéciale.

Au premier rang de ces pratiques, il faut placer l’oraison mentale, l’examen de conscience et la retraite spirituelle, qui sont regardés à bon droit comme des éléments essentiels dans la spiritualité de la Compagnie. On s’accorde même à reconnaître que si ces exercices ont été adoptés de toutes parts, au cours de ces derniers siècles, l’influence de la Compagnie n’y est pas étrangère. Nous dirons bientôt un mot de cette influence.

Ce qui est certain c’est que saint Ignace a été le premier à tracer des règles précises et complètes pour faciliter l’usage et assurer le succès de ce triple exercice, et que depuis longtemps c’est à cette triple source que ses disciples vont régulièrement puiser de quoi entretenir leur vie spirituelle.

Pour être moins répandue, c’est cependant sur le même plan que ces trois pratiques spirituelles qu’il faut mettre celle de l’élection, à laquelle saint Ignace attachait une importance de premier ordre, et autour de laquelle il a tout fait converger dans son livre des Exercices. Il savait, en effet, (m’en maintes circonstances où le devoir ne s’impose pas d’une manière évidente, nous avons à prendre des déterminations et parfois des déterminations fort importantes, qu’il s’agisse de nos intérêts personnels ou des intérêts de ceux dont nous avons la charge. Mais, pour se déterminer dune façon raisonnable et surnaturelle, il faut délibérer, recourir aux lumières de la foi, aux lumières de la raison et aux lumières de l’expérience. C’est pour diriger cette délibération que l’ascète de Manrôse a tracé ces îègles d’élection, qui permettent de suivre en toute confiance le parti auquel on s’est arrêté, avec la persuasion [ondée d’être dans la voie voulue par la Providence.

L’histoire ne permet pas de passer ici sous silence la place considérable qu’occupe dans la spiritualité de la Compagnie de Jésus, le zèle qu’elle a déployé et pour la pratique de la communion et pour le culte du Sacré-Cœur. C’est ce zèle qui lui a valu tant de haine et tant d’attaques de la part du jansénisme. Depuis le P. Salmeron, un « les premiers compagnons de saint Ignace, qui développa dans ses commentaires sur l’Évangile toutes les raisons qu’on peut alléguer en faveur de la fréquente communion, jusqu’aux jésuites qui de nos jours ont préparé ou défendu les décrets de Pie X sur la communion fréquente des fidèles et la communion des enfants arrivés à l’âge de discrétion, on peut dire que la Compagnie, par ses écrivains et par ses apôtres, n’a jamais cesse de réagir contre le rigorisme qui s’opposait à l’accès de la Table sainte.

Quant au culte du Sacré-Cœur, les jésuites onl reçu, par l’intermédiaire de la sainte visitandine de Paray, la mission de le propager, et il faut reconnaître qu’ils s’j sont vaillamment employés, Par la plume, par la parole, ils onl expose, expliqué, défendu ce culte réservé à ces derniers siècles. C’est à cette dévotion qu’ils ont, semble i il. consacre la meilleure pari cl L09 :

    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. THÉOLOGIE ASCÉTIQUE CARACTÈRES

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dans leur vie religieuse et dans leurs œuvres spirituelles.

Enfin il faut rappeler au moins d’un mot ces Congrégations de la très sainte Vierge qui, dans les collèges et dans le monde, ont groupé tant d’hommes et de jeunes gens sous l’étendard de Marie Elles ont été sans contredit l’un dos moyens d’apostolat les plus fructueux entre les rrjains de la Compagnie.

IV. Lns C.viiveTÈREs. -- Après ce que nous venons de dire sur les principes, les procédés et les pratiques de la spiritualité de saint Ignace, il reste à signaler quelques-uns des caractères qui la distinguent.

1° ï.e premier caractère à remarquer, c’est lapre’a’st’ort plus ou moins didactique de cette spiritualité. On peut dire qu’on y trouve classés et ordonnés tous les conseils donnés jusque-là par les auteurs spirituels. Saint Ignace et ses’disciples ont trace la marche à suivre pour sortir du péché et parvenir d’étape en étape jusqu’au sommet de la perfection ; ils ont indiqué tous les obstacles qui se dressent sur cette route, toutes les ressources qui s’y rencontrent et dont on peut se servir avec profit. La remarque en a été faite par l’historien Janssen, à propos des Exercices : * Ce qui donne au petit livre son caractère, son originalité, sa valeur intrinsèque, c’est, outre l’admirable concision de la forme, la mise en œuvre psychologique de tout ce qu’avait conseillé jusque-là l’ascétisme chrétien de tous les siècles. Les Exercices en effet, résument avec génie l’expérience des saints : ils nous offrent un système pratique, on pourrait dire un plan de campagne plein d’unité et de logique, un manuel complet de tactique spirituelle pour parvenir à la conquête de soimême. > L’Allemagne et la Réforme, trad. franc., t. iv, p. 403. Mgr Preppel voit dans le livre des Exercices un manuel du soldat chrétien : « Réduire en art la lutte avec l’enfer et le monde, voilà le but de cette stratégie spirituelle, étudiée d’après nature et prise sur le fait. Rien n’est oublié dans ce manuel du soldat chrétien, les moyens et les obstacles, les périls comme les secours. .. Toute la science de la milice chrétienne se trouve ramassée dans ce livre merveilleux. » Panégyrique de saint Ignace, 1868.

Et cette précision, qui frappe dans l’ordonnance de l’ensemble, n’éclatepas moins danschacune desparties. Il est difficile de trouver quelque chose de plus concis et en même temps de plus complet et de plus clair que les prescriptions relatives à l’oraison mentale, à l’examen de conscience et à la retraite spirituelle, que les règles de l’élection, de l’orthodoxie et du discernement des esprits.

2° Ce qui distingue encore la spiritualité de saint Ignace, c’est la largeur d’esprit avec laquelle il la conçoit et il l’applique. Il commence par déclarer que t vouloir conduire toutes les âmes à la perfection par la même voie, c’est une méthode pleine de dangers ; » il recommande expressément d’adapter ses prescriptions aux dispositions de chacun, et de n’imposer jamais ; i qui que ce soit plus que ses forces ne comportent ; il ne propose rien sans ajouter habituellement des notes comme celles-ci : « A moins que les dispositions ou les circonstances n’exigent autre chose ; à moins qu’on ne trouve mieux ; ceci pour l’ordinaire ; sauf exception, etc. » L’un des principaux commentateurs des Exercices demande dans quelles parties de ce code il convient d’apporter des modifications selon les dispositions du retraitant, et, s’inspirant de la pensée de l’auteur, il répond sans hésiter : t absolument dans toutes, Facile respondrtur : in omnibus. Gagliardi, Commentant i in Exerciiia, Præf. On ne peut vraiment porter plus loin la condescendance.

Pour entrer dans quelques détails, s’agit-il de l’oraison mentale, saint Ignace sait que la même méthode ne conviendrait pas à toutes les âmes, aussi cen’est pas une méthode, c’est toute une série de méthodes qu’il pro pose à ceux qui veulent se livrer a cet exercice : prière vocale méditée, réflexion en forme d’examen, simple considération, méditation proprement dite, contemplation, application des sens, répétition. Parmi ces méthodes chacun peut choisir suivant ses aptitudes, ses attraits, ses dispositions et suivant la nature du sujet sur lequel il veut réfléchir. Dans une lettre à saint François de Borgia, saint Ignace dit expressément que « pour chacun la meilleure méthode d’oraison est celle par laquelle Dieu se communique davantage à lui » ; et il ajoute que le plus pratique est de tâtonner, en essayant tantôt une méthode tantôt une autre, jusqu’à ce qu’on ait trouvé celle qui convient le mieux. Lettres de S. Ignace, mars 1548. Le P. Gagliardi. dans son étude sur l’Institut, reproduit la même pensée : « C’est le caractère de notre oraison, dit-il, de ne pas dépendre d’une règle déterminée et invariable, car cela est le propre des commençants ; mais l’habitude de la prière doit conduire chacun de nous à la forme d’oraison qui lui convient le mieux et lui apprendre au besoin à la changer. » De plena cognilione Instiluli S. J., p. II, s. i, c. 2, a. 3, § 4, n. 7.

D’ailleurs quelle que soit celle des méthodes qu’on emploie, il semble que la préoccupation du maître soit avant tout de respecter les attraits de la grâce et de sauvegarder la liberté du disciple. C’est ainsi qu’il évite habituellement de suggérer les réflexions à faire, les sentiments à exciter, les actes à produire, les demandes à adresser, les résolutions à prendre. Tout cela, en effet, doit correspondre à la disposition de l’âme et à l’inspiration de l’Esprit Saint. S’il donne quelques indications, il a bien soin d’ajouter qu’il faut les appliquer dans la mesure où elles seront utiles. Il n’y a pas jusqu’à la position qu’il abandonne au choix de chacun, en se contentant de conseiller celle qui favorise le plus la dévotion.

Cette largeur qu’il montre par rapport à l’oraison, on la retrouve sur tous les autres points de la vie spirituelle. En fait de pénitence, il ne demande et surtout il n’exige rien, il se contente d’indiquer les formes et les avantages de la mortification corporelle, et, tout en défendant de franchir les limites de la prudence, il donne cette règle, qui est une excitation discrète : quo plus eo melius.

En fait de perfection, il montre le sommet et la voie ; mais il laisse à l’âme le soin de s’élancer, en se fixant elle-même le point qu’elle se propose d’atteindre.

En fait de vocation, il trace des règles qui permettent de reconnaître la volonté de Dieu, il donne des conseils pour aider à découvrir et à déjouer les suggestions du tentateur, à dissiper les illusions et à surmonter les faiblesses de la nature ; mais il se garde bien de peser en quoi que ce soit sur la décision finale, et d’intervenir dans cette affaire intime qui doit se traiter entre l’âme et Dieu.

Pour peu qu’on connaisse cette spiritualité d’une conception si large et d’une application si souple, il est difficile de voir autie chose qu’une caricature dans ce prétendu tableau qu’on traçait récemment et que Michelet aurait signé avec un malin plaisir : i Par ses Exercices, saint Ignace institue une méthode militaire, qui fait marcher l’âme et les différentes facutés au commandement, acte par acte, modalité par modalil é.

3° Un autre caractère de la spiritualité de saint Ignace, c’est qu’elle est éminemment pratique : pratique dans le genre d’exposition qu’elle adopte, pratique dans le but qu’elle poursuit, pratique dans sa facilité d’adaptation, pratique dans l’utilisation de tous les moyens dont l’homme dispose.

1. Dans le genre d’exposition’qu’elle adopte. Il y a en effet deux genres d’exposition pour la spiritualité : il y a l’exposition directive, qui tiace les règles à suivre et les conseils à observer pour acquérir les

différentes vertus et pour avancer dans la perfection, et il y a l’exposition descriptive qui représente d’une façon plus ou moins brillante et plus ou moins sentimentale, soit les vertus d’une âme qui vit de la vie surnaturelle, soit les rapports de cette âme avec Dieu, soit la vie idéale de l’Homme-Dieu. Ces deux génies d’exposition ne s’opposent pas, ils se complètent, ils peuvent même se compénétrer. Mais tandis que certains auteurs se contentent de décrire ces splendeurs de l’ordre surnaturel, soit dans l’âme chrétienne, soit dans le Christ, saint Ignace vise surtout à diriger l’âme mis le dégagement d’elle-même et l’union à Dieu qui en résulte. D’où le caractère didactique et merveilleusement pratique de son enseignement. Parmi ses disciples un grand nombre sont restés dans la ligne du maître ; d’autres ont préféré le genre descriptif sans omettre toutefois, d’ordinaire, de dégager eux-mêmes ou du moins d’insinuer des conclusions pour la direction de la vie.

2. Cette spiritualité n’est pas moins pratique dans le but qu’elle poursuit. Saint Ignace avait en vue des hommes apostoliques ; or le repos dans l’oraison, la consolation de goûter et de savourer Dieu dans la solitude peuvent suffire à des contemplatifs, mais ne sauraient suffire à des apôtres destinés au rude et incessant travail de l’évangélisation. Pour ces apôtres ce n’est pas assez de connaître et d’aimer Dieu, d’estimer et de souhaiter sa gloire, il faut que cette connaissance et cet amour, cette estime et ces vœux les déterminent à l’action, en leur mettant au cœur le zèle du salut des âmes. Aussi toute la spiritualité ignatienne a-t-elle pour but de préparer des ouvriers évangéliques et d’en faire des instruments de plus en plus souples entre les mains de Dieu. L’oraison dans la Compagnie, n’éloigne pas du travail, elle y dispose et elle y entraîne.

M. La spiritualité de saint Ignace est encore pratique en ce sens qu’elle convient à toutes les âmes, depuis celles qu’il faut arracher à une vie coupable jusqu’à celles qui sont déjà pai venues aux cimes de la perfection. Elle est d’une souplesse qui permet de l’adapter de la façon la plus naturelle aux dispositions les plus diverses. Saint Ignace a prévu ces adaptations indéfiniment variées, et il a laissé des indications pour l’emploi gradué de sa méthode, dont l’application doit se modifier selon les circonstances, si on veut lui faire produire tout son effet. Ce caractère a parfois échappé à certains directeurs qui ont cru que cette méthode ne convenait qu’à des âmes fortement trempées, à des tempéraments vigoureux et presque militaires. Il est vraisemblable que ces directeurs n’avaient vu la spiritualité des Exercices qu’à travers une application déterminée, sans se douter qu’elle se prêtait à bien d’autres adaptations.

1. Enfin la spiritualité de saint Ignace est une spiritualité pratique par la manière dont elle tire parti de toutes les ressources qui sont à la disposition de l’homme. Il ne lui suffit pas d’avoir recours à la piièrc et aux sacrements, à la raison elle emprunte ses lumières, qui lui permettent d’arriver, de déduction en déduction, à cette règle de très haute perfection qu’en toutes circonstances il faut choisir ce qui nous sert le mieux en vue de notre fin ; à l’Évangile elle pi end le nVit de la vie et de la passion de Notre-Selgneur avec ses enseignements qui conduisent jusqu’à l’entière abnégation de soi-même ; à la direction clic demande les conseils de l’expérience ci la sanction de l’autorité ; puis cite met :, contribution toutes les facultés de l’âme,

.sans en excepter l’imaginât ion appelée a prêter son concours, SOil dans la composition de lieu au déliul de

chaque méditation, soit dans la contemplation « les mystères de Notre-Selgneur ; clic va même Jusqu’à utiliser les conditions extérieures qui ont leur Influence mu le travail Intérieur : la solitude aussi complète

que possible, la lumière ou les ténèbres selon les sentiments qu’on veut favoriser, le plus ou moins de nourriture, etc. On peut dire que saint Ignace prend l’homme tel qu’il est, pour le rendre tel qu’il doit être.

4° Le dernier caractère qu’il paraît utile de signaler c’est la sûreté de la spiritualité ignatienne. Elle a pour elle en effet la double garantie de l’autorité et de l’expérience ; l’Église elle-même en fait la remarque, dans le Bréviaire romain, où elle appelle les Exercices admirabilem librum Sedis apostolicæ judicio et omnium utilitate comprobatum.

C’est ce caractère que proclamait Mgr d’Hulst, quand il montrait dans saint Ignace le maître « à l’autorité duquel il faut toujours revenir comme au plus sûr interpi ète de la tradition catholique en matière de spiritualité. » Conférences de X.-D., -1896, p. 249.

Dès qu’elle a été formulée dans le livre des Exercices, cette spiritualité a été couverte et en quelque sorte consacrée par l’autorité du Saint-Siège. C’est en tête de la première édition (1548) qu’on trouve la bulle où Paul III déclare que, de science certaine, il approuve, loue et confirme de son autorité apostolique les Exercices spirituels, dans leur ensemble et dans toutes leurs parties : Documenta et Exercilia, ac omnia et singula in eis contenta, auctoritate prædicla tenore præsentium, ex cerla scient ia Noslra, approbamus, collaudamus, ac præsenlis scripti patrocinio communimus. Non seulement Paul III approuve les Exercices, mais il les déclare remplis de piété et de sainteté, très propres à procurer l’édification, et le progrès des fidèles : Documenta et Exercilia… pietate ac sanctilale plena, ad œdificationem et spiritualem projectum fidelium valde ulilia et salubria esse et fore comperimus. Pour conclure, il exhorte vivement tous les fidèles de l’un et l’autre sexe à utiliser ce moyen de sanctification : Horlantes plurimum in Domino omnes et singulos ulriusque sexus Christi fidèles ubilibet constilulos ut lam piis documentis et Exercitiis uti et illis instrui dévote velint. Comme le dit Pie XI dans sa constitution apostolique Summorum Ponlificum du 25 juillet 1922, les pontifes romains ont tenu les uns après les autres à renouveler cette approbation et cette exhortation : Romani -Pontifices hune parvæ quidem molis sed « admirabilem librum » cum jam inde a prima ejus editione solemniter approbarint, laudibus extulerint, Apostolica auctoritate communierint, deinceps ejus usum, lumsanctis indulgen(iarummuncribuscumuhiml<>, lum novis subinde preeconiis honeslando, suadere non deslilcrunl.

Mais aujourd’hui, avec l’autorité de Paul III et de ses successeurs, c’est l’expérience de trois siècles et plus qui atteste la sûreté de la spiritualité ignatienne. Elle a été mise en pratique sur une vaste échelle, et elle n’a jamais manqué de produire abondamment des fruits de salut, i Nous savons, disait Léon XIII. à quel point les Exercices de saint Ignace peuvent être utiles au bien éternel des âmes, et par l’expérience de trois siècles et par le témoignage de tous ceux qui durant ce temps se sont distingués soit par leur science ascétique soit par la sainteté de leur vie t. (1 « février 1900). En réalité, la doctrine des Exercices a été maintes fois passée au crible de la critique ; amis et ennemis l’ont examinée et scrutée dans tous les sens ; ciic est sortie victorieuse de cette épreuve et au v siècle elle reçoit les mêmes approbations qu’au xi :

V. 1m lubnce. - Depuis quatre siècles, il est certain que la spiritualité de la Compagnie de Jésus a é une influence sur la spiritualité chrétienne. Cciic Influence est assez complexe, il suffira d’en indique] ici les traits les plus saillants.

1° Une première Influence a été signalée par le cardinal Parocchl, dans une circulaire du 21 janvier 1881 au clergé de Rome, c’est l’influence qui s est 1101

JÉSl [TES. THÉOLOGIE ASCÉTIQUE. [NFH ENI l

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fait sentir sur la forme même de la littérature spirituelle. Quand on écrira l’histoire de l’ascétisme,

disait le cardinal-vicaire, on signalera les Exercices comme la source de cette précision géométrique qui, depuis saint François de Sales jusqu’à nos joins, a distingué le plus noble des arts moraux. » Fn parlant de la précision qui caractérise la spiritualité de saint Ignace, nous avons dit avec quelle méthode il avait exposé soit l’ensemble de ses conseils, soit les différentes pratiques dont il recommandait l’usage. Il s’était beaucoup inspiré de Y Imitation de Jésus-Christ, mais au lieu de cette forme un peu libre qu’avait adoptée l’auteur de l’Imitation, il employa une forme plutôt didactique, c’est cette foi me régulière et didactique que lui ont empruntée lesnombreux auteurs qui appartiennent à l’école des Exercices, et qu’ont imitée après eux la plupart des écrivains ascétiques de ces derniers siècles.

2° Mais c’est surtout sur les pratiques de la piété chrétienne que l’influence de la spiritualité ignatienne s’est fait sentir.

Fntre tous les exercices de la piété chrétienne telle que nous la voyons comprise et pratiquée de nos jours, il n’est personne qui ne place aux premiers rangs et qui ne regarde comme substantiels, la méditation quotidienne, l’examen de conscience et la retraite annuelle. Ces exercices entrent actuellement comme articles organiques dans toutes les constitutions religieuses : ils sont adoptés par tous les prêtres : ils forment pour ainsi dire la base du règlement spirituel de tous nos séminaires : enfin ce sont ces exercices que conseille d’abord un directeur éclaiié à tonte âme qui lui manifeste le désir d’avancer dans les voies de la perfection. Or. si l’on remonte au delà des quatre derniers siècles, on ne trouve ces pratiques, organisées et généralisées comme elles le sont de nos jours, ni dans le cloître, ni dans le sanctuaire, ni dans le monde. Je dis organisées et généralisées comme elles le sont de nos jours, car, sous une forme ou sous une autre, dans une mesure ou dans une autre, il est incontestable qu’elles sont aussi anciennes que la religion elle-même.

Pour ce qui est de l’oraison mentale, par exemple, autre chose est de se livrer à la réflexion et à la contemplation quand on en sent le goût ou l’inspiration, autre chose est de prendie chaque jour un temps déterminé, d’ordinaire à heure fixe, pour s’appliquer à la méditation. C’est de l’oraison mentale ainsi entendue qu’on a dit et répété que, sauf pour des cas individuels et relativement rares, il n’en est l’ait mention, avant le xvi c siècle, ni dans l’histoire ni dans les auteurs de spiritualité. Il semble que si elle avait existé quelque part, c’eut été dans les monastères, mais les constitutions religieuses antérieures à cette époque n’en parlent pas davantage.

Au xvir siècle, D. Martène, commentant la lègle de saint Benoît, écrivait : « Dans aucune des anciennes règles monastiques, on ne trouve un temps déterminé pour l’oraison mentale. » Thomassin faisait la même constatation : Aucune des plus anciennes règles monastiques n’en fait en quelque endroit mention : même silence au moyen âge. - Il y a quelques années le Père chartreux qui a écrit le livre de la * ie ii lérieure simplifiée, éditée par le P. Tissot, le redisait encore : Les règles des ordres monastiques en font foi, (jadis) il n’y avait pas de temps affecté à la méditation. »

La remarque que nous venons de faire sur la pratique de l’oraison mentale, nous pouvons la faire plus facilement encore au sujet des retraites spirituelles entendues au sens universellement accepté. Quand l’évoque de Vannes, Mgr de Rosmadec, voulut en introduire l’usage dans son diocèse, il disait dans un mandement daté du 9 janvier 1664 : Dieu les a inspirées à son e, dans ces derniers siècles, comme un moyen

très efficace pour la conversion des pécheurs et la perses érance des justes. >

On ne peut pas dire la même chose de l’examen de conscience, que la plupart des maîtres spirituels ont toujours recommandé. Mais aucun n’en avait tracé une méthode complète ; aucun législateur de la vie religieuse n’en avait fait une règle. C’est l’observation que faisait Orlandini, à la fin du xvi c siècle : Nemo enim quod legerim, in suis Regulis acConstitutionibus de quolidiuna sui pectoris discussions prsecepii. Tractatus seu Commentarii, opusc. x. de Examine, <S 3.

Ainsi c’est à la même époque, on pourrait presque dire à la même heure, qu’apparaisseni et commencent à pénétrer dans la vie chrétienne ces trois pratiques de piété. Coïncidence vraiment singulière, car ces pratique sont indépendantes entre elles et aucune des trois n’entraîne nécessairement les deux autres. Ne serait-ce pas plutôt que ces trois courants dérivent d’une même source qui, à un moment donné, aura jailli providentiellement dans l’Église ? On l’a généralement pensé. En réalité, s’il faut proclamer avant tout l’action de l’Esprit-Saint qui peut seule expliquer un changement aussi profond, aussi général et aussi durable dans les foi mes de la piété chrétienne, il faut reconnaît ! e également que les Exercices de saint Ignace furent l’instrument principal dont l’Esprit Saint a voulu se servir pour opérer cette transformation. La plupart des auteurs n’hésitent pas à constater cette origine. « L’honneur d’avoir introduit dans la vie chrétienne la pratique de l’examen particulier revient surtout à saint Ignace », écrit M. Ribet dans son Ascétique chrétienne. Benoît XIV, dans son bref Quantum secessus du 29 mars 1753, dit à propos de la retraite spirituelle : Postquam S. Ignalius… admirabilem illum composait Exercitiorum librum… nulla certe religiosorum ordinum jamilia fuit qu ; v salutdre haju.smu.di institutum non fueril amplexa. « Méthode sainte, avait dit saint François de Sales, en parlant lui aussi de la retraite, dans son Traité de l’amour de Dieu, t. XII, ch. viir, méthode sainte, familière aux anciens chrétiens, mais depuis presque tout à fait délaissée, jusqu’à ce que le grand serviteur de Dieu, Ignace de Loyola, la remit en honneur du temps de nos pères, i

Pour l’oraison mentale, non seulement on reconnaît que l’usage en a été répandu sous l’influence des Exercices, mais on a fait à l’auteur des Exercices le reproche d’avoir inauguré « une méthode de méditation qui tranche absolument sur les modes antiques traditionnels de l’oraison piivée. » L’Église a montré ce qu’elle pensait de ce reproche, en louant la pratique de l’oraison mentale, en l’encourageant par ses indulgences, en la recommandant dans sa législation à tous les clercs et en l’imposant à tous les religieux, Mais si le reproche tombe, la consta ation subsiste. I "u siècle ne s’était pas écoulé depuis la retraite de Manrèse qu’une véritable transformation s’était opérée dans les habitudes de la vie chrétienne.

3° En approuvant les Exercices, Paul III exprimait l’espérance qu’ils seraient toujours très utiles pour « l’édification et l’avancement spirituel des fidèles. » L’histoire atteste que cette espérance n’a pas été déçue. Pour le constater, Léon XIII en appelait à « l’expérience de trois siècles et au témoignage de tous ceux qui, durant ce temps, se sont distingués soit par leur science ascétique soit par la sainteté de leur vie. » (8 février 1900.) L historien Jansscn affirme spécialement pour l’Allemagne l’action sanctifiante des Exercices : « Ce petit livre, dit-il, a été pour le peuple allemand, pour l’histoire de sa loi et de sa civilisai ion. l’un des écrits les plus importants des temps modernes… Il a exercé une influence si extraordinaire sur les.unes qu’aucun ouvrage ascétique ne peut lui être comparé. » L’Allemagne et lo Réforme, trad. franc., t. iv, p. 102,

40"). Le cardinal Paiocchi généralisait cette remarque « Quiconque, disait-il, remontera dans l’histoire des âmes jusqu’à trois siècles en arrière, se convaincra aisément qu’une infinité de conversions doivent être attribuées à la pratique des Exercices, et que pas un peut-être de ceux qui ont atteint les sommets de l’héroïsme n’a manqué de donner aux Exercices une part de reconnaissance. » 24 janvier 1881. Enfin Mgr Freppel disait du livre des Exercices : « Livre merveilleux qui, avec Y Imitation de Jésus-Christ, est peut-être de tous les livres faits de main d’homme celui qui a conquis le plus d’âmes à Dieu. » Panégyrique de saint Ignace. 186

A propos de cette influence sanctifiante de la spiritualité ignatienne, il faut au moins mentionner les missions paroissiales dont le plan a été le plus souvent inspiré par les Exercices, les innombrables recueils de méditations qui ne sont que le développement du cadré tracé par saint Ignace, enfin les maisons affectées aux retraites fermées qui s’ouvrent actuellement de toutes parts en si grand nombre, font un bien considérable et sont encouragées chaleureusement par les souverains pontifes.

4° Une influence encore fort remarquable de la spiritualité de saint Ignace, c’est celle qu’elle a exercée sur l’s formes de la vie religieuse.

Avant le xvie siècle, la récitation conventuelle de l’office divin était regardée comme une partie essentielle de toutes les constitutions régulières. On ne concevait pas la vie religieuse sans cette participation commune et prolongée à toutes les prières liturgiques. Plusieurs même, pendant un certain temps, s’obstinèrent à ne pas considérer comme véritables religieux ceux qui vivaient sous une règle où cette obligation n’était pas inscrite. Après la mort de saint Ignace ses premiers disciples durent soutenir une longue lutte pour maintenir dans sa Compagnie cette suppression du chœur.

A la réflexion cependant, on n’eut pas de peine à comprendre que l’office conventuel n’appartient pas à l’essence de la vie religieuse, et que, si respectable qu’il f lit à tous égards, il n’en interdisait pas moins aux ordres qui s’y trouvaient astreints des œuvres fort importantes dont le besoin se faisait réellement de plus en plus sentir. Du moment, au contraire, où l’oraison mentale quotidienne, l’examen de conscience une ou deux fois chaque jour et la retraite annuelle passèi ent en usage, on dut se dire qu’il y avait là, pour la vie religieuse, non pas une mesure de prière suffisante, car, selon la recommandation de Notre-Seigneur, la prière doit être continuelle, mais un moyen suffisant pour y entretenir et y renouveler l’esprit de prière. Dès lors la nécessité du chœur apparut moins rigoureuse, et l’on ne tarda pas à voir apparaître toute une floraison d’instituts qui, organisés sur un plan nouveau, se consacrèrent plus libremetil à l’apostolat de l’éducation, de la prédication et de la charité.

C’est ainsi qu’un renouvellement dans les pratiques de la vie chrétienne facilita certainement et détermina peut-être une transformation dans l’organisation et même dans la conception de la vie religieuse.

VI. Accusations portées contre la spiritualité iGNATii nm. Une spiritualité qui sortait ainsi des voies liât lues, qui rompait avec des habitudes plusieurs lois séculaires et qui exerçait une influence réelle dans l’Église, ne pouvait manquer de susciter des contradictions et même des accusations, Biles se produisirent, en effet, elles vinrent parfois du coté

le moins attendu et elles prirent à certains moments un caractère de violence Inouïe.

Le livre des Exercices n’était pas encore imprimé que déjà il élail dénoncé a l’Inquisition et déféré au jugement des universités en Espagne ci en France.

Les copies en étaient saisies et sou nise- à l’examen le plus rigoureux. On croyait y découvrir des idées subversives et même des hérésies.

En vain ceux qui avaient fait loyalement l’essai des Exercices étaient-ils unanimes à proclamer qu’ils y avaient trouvé d’incomparables lumières, avec des énergies inespérées pour le bien ; en vain les divers tribunaux ecclésiastiques appelés à se prononcer déclaraient-ils qu’ils ne voyaient dans ce livre aucune syllabe à reprendre, la tempête ne s’apaisa que lorsqu’en 1518 Paul III, après un long et mûr examen, l’approuva et le recommanda solennellement.

Sans nous attarder aux attaques dirigées par les jansénistes contre la spiritualité de la Compagnie, rappelons seulement les accusations qu’on a pu lire ou entendre de nos jours, en dépit des approbations que ne cessent de renouveler les souverains pontifes. A cet te spiritualité on a reproché d’être formaliste, d’être antiliturgiste, d’être individualiste et d’être novatrice.

1° Au reproche de formalisme nous avons déjà amplement répondu, en disant de quel esprit de largeur s’inspire toute cette spiritualité, assez souple pour s’adapter à tous les attraits, à toutes les forces, a toutes les circonstances, et assez condescendante pour n’imposer jamais que ce qu’on peut allègrement porter.

2° Quand on a accusé la spiritualité de saint Ignace d’être antiliturgiste, je crois qu’il y a eu surtout confusion. Ce fut une conception hardie que celle d’organiser la vie religieuse sans y introduire l’ofiice conventuel. Si saint Ignace réalisa ce plan ce n’est pas faute d’estime pour la liturgie. Il avait au contraire un goût très prononcé pour les cérémonies de l’Église, et il lui en coûta pour en faire le sacrifice. Deux ans avant sa mort, le lundi saint de l’année 1554, il disait au P. Ribadeneira : « Si j’écoutais mon goût personnel et si je suivais mon inclination, j’établirais le chœur et le chant dans la Compagnie ; mais ne je ne le ferai pas, car je sens que ce n’est pas la volonté de Dieu et que telle n’est pas la vocation de notre Institut. » Monumentahist. S. J., Mon. Ignaliana, Ser. IV, Scripta de S. Ignatio, t. i, p. 3 18. Il se rendait compte, en effet, que le genre de vie qu’il imposait à son ordre ne pouvait s’accorder avec la régularité des offices liturgiques. Une grande partie de ses religieux devaient être employés a l’œuvre de l’éducation. Comment concilier les fonctions absorbantes de l’enseignement et de la surveillance avec l’assistance régulière au chœur ? Ceux qui seraient appliqués aux œuvres de l’apostolat, soit dans les pays catholiques, soil parmi les hérétiques ou les infidèles, n’allaient pas d’ordinaire se trouver réunis assez nombreux pour sullhe aux exigences de la liturgie.

Manifestement il lui fallait sacrifier toutes ce œuvres, ou renoncer à organiser dans les maisons de son ordre la vie liturgique avec sa régularité et son ampleur. C’est à ce dernier parti qu’il s’arrêta. 11 dut se dire, comme jadis saint Thomas d’Aquin, que s’il est bon de chanter les louanges de Dieu, il es ! meilleur de gagner des âmes à Dieu par l’enseignement cl la prédication : Melior modus est provocandi homines ad devotionem per doctrinam et prædicationem quam per canins, et que ceux qui sont employés aux ministères apostoliques ne doivent pas s’adonner au chant pour ne pas être détournés par là de fonctions plus Importantes : Non debent cantibus insistere ne per hoc a maforibus retrahantur. Sum. theol, , II » -II », q. xci, a. 2. Il dut surtout s’inspirer des exemples de Notro-Seigneur et de ses recommandations à ses apôtres. Quoi qu’il en soil, l’Église l’approuva et renouvela à pi i sieurs repi ises son approbation. Voici en quels lerm. Grégoire XIII renouvelait, le 28 février 1573, L’approbation iléj.i accordée par Paul III, le 27 septembre 1540 :.Vos considérantes Religionem prædictam uberrimos jructus, ad Dei laudem et sanctee ftdei cath JE SI [TES. THÉOLOG II. Mi STIQl I :

L106

proptttjationcm per unirersum orbem, dédisse, meriloque in suis piis instituas confooendam esse : molli proprio et ex certa Nosiïa scientia, sociis prtedictis, ut livras canon icas, singuli et privatim, juxta usum romanæ

Ecclesia’. non autan communiter scu in choro. rceitarc ieneantur.. aucioritate apostolica de nova concedimus.

Mais si saint [gnace, ne crut pas devoir adopter pour son ordre les exercices liturgiques solennels, il tint à inspirer et à entretenir, autant qu’il dépendait de lui, l’estime et le respect de la liturgie. Quand il traça dans les Exercices îles règles pour sauvegarder et développer l’esprit catholique, il eut soin d’en consacrer une. la troisième, à la liturgie, recommandant de » louer l’assistance fréquente à la messe, ainsi que les chant s. les psaumes, les longues prières dans l’église et ailleurs ; île même encore la détermination de certains temps pour les offices divins, les prières et les heures canoniales, t C’est de cet esprit que se sont inspirés les disciples de saint Ignace. Pour mettre la méditation en relation avec la liturgie, le principal confident du saint, le P. Nadal, compose un recueil de sujets d’oraison, disposés d’après le cycle de l’année ecclésiastique, qu’il intitule : Annotaliones et medilaliones in Eoangelia. Dans les notes spirituelles laissées par le même P. Nadal. on lit : < Il faut s’associer aux dévotions de l’Église dans ses offices. Car l’Esprit se fait sentir davantage quand toute l’Église s’abandonne à cet Esprit. » Monum. hist. S. J., Epislol. P. Nadal, t. iv, p. 691. A la même époque, saint François de liorgia composait également un recueil de méditations, en tête duquel il écrivait : « Les sujets d’oraison ne sont pas laissés au choix de chacun. Le plus sûr est de prendre les sujets que l’Église romaine, épouse de Jésus-Christ, a choisis elle-même, en nous proposant des évangiles les dimanches et les jours de fêtes… Aussi ne trouvera-t-on pas ici d’autres méditations que celles-là. « Après le P. Nadal et S. François de Borgia, on ne compte plus les recueils de méditations composés par les jésuites. A très peu d’exceptions près, tous ont proposé comme sujets d’oraison, les mystères de la vie et de la passion de Notre-Seigneur. Plusieurs ont suivi l’ordre chronologique, mais un grand nombre ont tenu à suivre l’ordre liturgique. Parmi ceux qui ont été le plus souvent utilisés, je cite seulement Busée (1567-1611), dont l’Enchiridion, traduit par M. Portail, sur l’ordre de saint Vincent de Paul, devint et reste encore le manuel ordinaire des Prêtres de la Mission, Havneuve (1588-1663), Avancin (1612-1686), Médaille (1638-1709) et plus près de nous Chaignon (1791-1883). Plus encore que ces recueils de de méditations, il faut rappeler l’Année chrétienne du P. Croiset, publiée pour la première fois en neuf volumes (1712-1720), sous ce titre : < Exercices de piété pour tous les jours de l’année, contenant l’explication du Mystère, ou la Vie du saint de chaque jour, avec des réflexions sur l’cpître et une méditation sur l’Évangile de la messe, et quelques pratiques de piété propres à toutes sortes de personnes. » L’ouvrage fut immédiatement traduit dans les principales langues de l’Europe, et, après un siècle et demi quand il céda la place à l’Année lilurrjique de D. Guérangcr, il avait atteint plus de soixante éditions. C’était une assez belle contribution à la cause de la liturgie.

3° De tous les reproches adressés à la spiritualité de saint Ignace, le plus invraisemblable est bien celui d’être individualiste. N’a-t-on pas écrit, que le futur fondateur de la Compagnie de Jésus, profondément individualiste quand il arrive à Manrèse, l’y devient davantage encore : … qu’il s’efforcera avant tout de donner aux âmes qu’il emploie une formation éneTgiquement Individualiste. »

uniil s’agit du fondateur d’ordre qui a organisé la vie religieuse de la façon la plus sociale, le reproche ne peut viser que les formes de la prière.

Mais alors on ne voit pas comment saint Ignace profondément Individualiste quand llarriveà Manrèse, l’y devient davantage encore, car, pendant son séjour a Manrèse. d assiste régulièrement aux offices qui se célèbrent, et jusqu’à la fin de sa vieilgarde le goût des cérémonies liturgiques. Quand aux prières qui se font dans la Compagnie, on pourrait d’abord faire observer que tous les jours les prêtres célèbrent la sainte messe et récitent l’office divin, qui sont bien des prières publiques, laites au nom de l’Église universelle ; pour d’autres prières, pour l’oraison mentale notamment, que chaque jésuite fait, à une heure réglementaire, en son particulier, cet usage n’est que la mise en pratique du conseil de Notre-Seigneur : Cum oraveris, intra in cubiculum tuurn. et, elauso ostio, ora Patrem tuum in absconditn. Matth., vi, 6. S’il faut voir là de l’individualisme, c’est de l’individualisme évangélique.

4° Enfin on a fait un grief à la spiritualité de saint Ignace d’être novatrice, de sortir des voies de la tradition, et d’introduire dans le courant de la piété. chrétienne des exercices que les générations précédentes n’avaient pas connus.

Nous avons montré qu’en effet cette spiritualité avait exercé une réelle influence tant sur les pratiques de la piété chrétienne que sur les formes de la vie religieuse. Mais, il faut distinguer entre innovations téméraires et subversives et innovations salutaires et bienfaisantes. Quand des transformations répondent à à une aspiration générale ou à un besoin universel. quand surtout elles ont l’approbation formelle de l’Église qui les appuie de son autorité ou les favorise de ses encouragements, il est difficile de ne pas les attribuer à quelque inspiration de l’Esprit Saint. Car c’est lui qui anime et dirige constamment l’Église, c’est à lui qu’elle doit ce sens merveilleux de l’opportunité dont elle fait preuve chaque jour dans le gouvernement des âmes. Et alors c’est mal raisonner que de dédaigner des pratiques ainsi introduites dans les usages du peuple chrétien ou dans les habitudes de la vie religieuse, sous prétexte qu’elles ont été plus ou moins inconnues et inusitées pendant des siècles. La plupart de nos dévotions les plus légitimes et aujourd’hui les plus chères aux âmes chrétiennes, dans le cloître et dans le monde, ne tiendraient pas devant ce raisonnement, s’il était tant soit peu fondé. Ainsi d’ailleurs l’a-t-on généralement compris, et l’Église n’avait pas encore imposé à tous les religieux, comme elle vient de le faire dans son Codex, l’oraison mentale quotidienne et la retraite annuelle, que déjà le P. Denifle O. P. pouvait écrire, en parlant spécialement de la retraite : « C’est ainsi que les anciens jésuites ont été formés, et c’est ainsi que le sont les jésuites modernes. Tous les autres ordres leur ont pris cette méthode, sans pour cela changer un iota à leurs anciens statuts. » Luther et le luthéranisme, trad. franc., t. i, p. 308.

VII. La mystique dans la spiritualité ignatif. nne. — Pour saint Ignace, comme pour tous les maîtres de la vie spirituelle, la contemplation mystique occupe le premier rang entre les grâces d’oraison. Il en avait lui-même suffisamment l’expérience, et il avait eu l’occasion de l’admirer assez souvent dans plusieurs de ceux qui l’entouraient, pour l’apprécier à sa haute valeur et pour la souhaiter à ses disciples. Mais, au lieu de proposer cri le contemplation, comme un but a poursuivre, il n’y lait que de rares allusions. On pourrait presque dire qu’il y pense toujours mais qu’il n’en parle jamais. En réalité, il prépare constamment les âmes, plus ou moins à leur insu, a recevoir les visites de Dieu, si elles en sont favorisées. Sage réserve qui prévient bien d s illusions.

Dans son célèbre commentaire des Exercices, parlant

îles formes supérieures de la prière, le P. Gagliardi

07) écrivait : <nr celui qui s’adonne à l’oraison sache bien que personne au momie ne saurait donner

une règle pour assurer la réception de ces grâces sublimes, car elles ne dépendent que de I >ieu et elles sont conférées directement par Dieu. Le plu-- sûr est de s’en remettre à Dieu avec une paix complète et une soumission entière, en se regardant comme très indigne de ces faveurs célestes, en ne recherchant et en ne demandant que la confoimité à sa sainte volonté, i On ne pouvait mieux exprimer les sentiments du maître sur ce sujet délicat.

Mais, si on ne peut tracer des règles infaillibles pour se procurer ces grâces mystiques, que Dieu se réserve d’accorder à qui il veut, quand il veut, dans la mesure qu’il veut, on peut donner des règles pour aider les âmes à se disposer de plus en plus aux communications divines, et c’est précisément ce que font les Exercices spirituels.

C’est par ce moyen des Exercices que saint Ignace s’était disposé lui-même, quand Dieu daigna l’élever jusqu’aux sommets de la contemplation. La remarque est du P. Nadal. Après cette expérience, il ne voulut d’autre méthode ni pour lui ni pour les autres, dit encore le P. Nadal, car il savait que les Exercices suffisent pour conduire à l’oraison la plus parfaite et, si l’on veut, la plus sublime : His Exerciliis quoad vixit, ab inilio suæ conversionis ususestpro se et proaliis… Xeque aliam methodum voluii unquam oraiionis dure vel permittere… (Hinc) enim sciebat principia accipi et vim unde ad omnem orationis perfectionem et, si relis, sublimittitem evadere possimus. Monum. hisl. S..L, Epistolm P. Nadal, t. iv, p. C66, 669.

En réalité, rien ne manque aux Exercices pour mettre les âmes dans la disposition prochaine aux grâces mystiques. La purification active, dont parle longuement saint Jean de la Croix, ne saurait être plus complète que da ?is l’observation de cette consigne du Règne : A (/ère contra suam propriam sensualitatem cl contra suumumorem carnalem et mundanum, ou dans la pratique du troisième degré d’humilité ; toutes les indications sont données, dans les Règles du discernement des esprits, pour faire reconnaître et pour faire traverser fructueusement les purifications passives ; la prière est réglée de façon à devenir de plus en plus affective et à se simplifier de plus en plus, grâce à ces répétitions et â cette application des sens qui reviennent chaque jour ; si l’on ajoute la recommandation de s’arrêter pour goûter et savourer â loisir les communications divines dès qu’on aperçoit quelque lumière ou qu’on ressent quelque consolation ; si l’on remarque enfin que les sujets proposés pour la méditation sont toujours présentés d’une façon concrète, sous une forme en quelque sorte visible et tangible qui attire et retient l’attention, on reconnaîtra que rien n’est omis de ce cpii peut préparer l’âme â la contemplation. L’effort de l’homme ne peut aller plus loin ; le reste n’appartient qu’à Dieu : Suarez le dit avec raison : Contentas est (S. Ignatius) ponendo sapientes in via, nam quod reliquum est magis ad magislerium Spiritus Snncti quam hominis spécial, lureligione, tr. X.l. IX, c. vi. n. 9, Mais si après cela Dieu, dont l’Esprit souffle où il veut, daigne couronner cet effort et récompenser cette préparation par des grâces mystiques, ’es Règles du discernement des esprits contiennent en substance toutes les Indications nécessaires pour se diriger prudemment sur ce terrain où ilesl Facile de s’égarer.

En somme, ce ne sont pas seulement tous les principes de la théologie ascétique, ce sont ions les pi incipes de la théologie mystique qui ont été conden lans le livre des Exercices, La remarque en a été pai Suarez dans son étude sur les pages de saint Ignace Nihil ad spiritualem instructionem necessarium in eis (Exerciliis) desideratur quantum pet brevem methodum tradi polerat. De religione, S..L, I. I,

c. vi, n. 11. Avant Suarez, le P. Gagliardi faisait la même observation : Liber Exerciliorum spirilualium B. Patris lgnutii pie ne præscribit quidquid ad interiorem animarum cullum perlinet… Principia (ère omnia ac dot/mata tolius interioris disciplinas tradil. Commentarii in Exercitia spirit. S. P. Ignatii. Proœm., § 1, 2.

En ce qui concerne spécialement la mystique, le P. Diertins disait au xvii c siècle : Per liane methodum oblinetur facile illa animi præparalio quam ad sublimiorem conlemplationem Deus prærequirere solel, et il ajoute : l’Uni autan hanc præparationem velle connili ad conlemplationem illam extraordinariam antequam Deus illam concédât, lemerilale plénum est. Historia Exerciliorum spirit., Præfatio. l’a sage commentateur des Exercices au xviii siècle, le P. Ferrusola, après avoir recommandé la lecture de quelques ouvrages de théologie mystique, en particulier ceux du P. du Pont, ajoutait : Yerumutaperte dicam quod sentio, neque in eoneque in aliis. vix quidquam reperies, nisi forlasse vocabula, quod in Exerciliorum libro non contineatur. Commentaria in librum Exerciliorum, P. I, s. ii, c. 5.

C’est dans la voie ouverte et frayée par saint Ignace que sont entrés généralement ceux de ses disciples qui se sont occupés des questions mystiques. A part quelques exceptions, ils ont préféré le genre direct if au genre descriptif, même ceux qui ont été favorisés de grâces d’oraison extraordinaires. Un demi-siècle après la publication des Exercices, la Compagnie de Jésus comptait un certain nombre d’auteurs qui avaient écrit sur la théologie mystique. Dans ses luttes contre le quiétismo. Hossuet. en appelait à leur autorité, et il citait avec éloge le P. lialthazar Alvarez. - une des gloires de sa Compagnie et qui a été parmi les confesseurs de sainte Thérèse un de ceux dont elle a vu de plus grandes choses ; » le P. Louis du l’ont, « un des plus grands spirituels de sa Compagnie et de son siècle : i le P. Alvarez de Paz "savant jésuite qui a traité plus amplement que tous les autres la théologie mystique ; » le P. Suarez « en qui on entend toute l’École, i

On ne peut s’attendre à trouver ici la bibliographie ascétique des jésuites. Cette bibliographie a été dressée par le P. Bliard dans la table qui forme le dixième volume de la Bibliothèque de la Compagnie de Jésus par le P. Sommervogel. Les seuls noms relevés dans cette table et rangés sous le titre de Théologie ascétique remplissent plus de 220 colonnes (342-ôG : i i. Nous ne pouvons que renvoyer à cet excellent répertoire.

Pierre Bouvier, S. J.


JESUS-CHRIST.
Dans cet article, ainsi qu’on l’a indiqué à Incarnation, t. vii, col. 1445, on se propose d’étudier, au point de vue de la théologie catholique, le sujet concret. Dieu et homme, résultant de l’union hypostatique de la nature humaine â la personne du Verbe, qui est apparu sur la terre, a vécu parmi les hommes et a conversé avec eux, et dont les ennemis de la foi chrétienne ont essayé de nier, tour à tour, la divinité ou l’humanité. L’objet de notre étude est donc moins la personne que le personnage même du Verbe incarné.

Ce personnage, dont l’existence est historiquement établie, est né d’une vierge de la race de David. Mais, chose admirable, son histoire n’a pas pour point de départ sa naissance selon la chair : on doit la faire remonter plus haut. C’est pour ainsi dire dès l’origine de notre race que la figure de Jésus-Christ commence à se dessiner dans l’avenir. Dans beaucoup de livres, de 1’ancien Testament, se rencontrent déjà un certain nombre de traits, projetés par avance sur le personnage du Messie futur et que le croyant se plait à retrouver en Notre Seigneur Jésus-Christ. Au point de vue de l’existence de l’Homme-Dieu, ces traits ne sont donc pas à négliger : ils font pressentir cotte exis