Dictionnaire de théologie catholique/JUDAÏSME VI. Pratiques religieuses

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 113-121).

VI. I’katiques RELIGIEUSES. —

1° Point (le vue de lit critique indépendante. - D’après la critique indépendante c’est surtout dans la pratique religieuse que le judaïsme se distinguerait le plus de la période précédente. Avant l’exil, grâce à la prédication des prophètes, Jahvé aurait reçu un culte intérieur et spirituel ; après l’exil, la vie religieuse aurait été réglementée et rendue extérieure par les multiples lois contenues dans le Pentateuque, principalement celles du Code sacerdotal, composées et publiées entre temps par les prêtres. D’un mot ce sérail « la nuit du légalisme », A Hrucc Apologeties, Edimbourg, 1892,

p. 278-287 ; d’autres ont dit le « nomisme », opposé à la piété prophétique.

Personne sans doute n’a davantage relevé et déterminé cette différence entre la religion préexilienne des prophètes et la religion postexilienne des prêtres que K. Marti dans les différentes éditions de sa Geschichte (1er isrælitischen Religion, 5e édit., 1907. D’après lui, « aucun des prophètes ne se vit obligé d’exposer en détail le contenu des exigences religieuses et morales de Jahvé… Ils avaient le sentiment ferme qu’un tel exposé ne correspondrait quand même pas à la profondeur et à la largeur de la volonté divine… Cela d’autant plus que Jahvé devait indiquer à chacun dans son intérieur ce qui est bon et fortifier sa volonté pour l’exécution des ordres divins » p. 133. La fixation du décalogue lui-même n’aurait pas été conforme à leur conception : « une telle détermination statutaire des devoirs envers Jahvé n’aurait guère été en harmonie avec leurs intentions » p. 134. Les prophètes n’auraient voulu qu’une chose : créer une union intime entre la foi en Jahvé et l’accomplissement de sa volonté.

Par contre la Thora que les prêtres à partir du règne de Josias introduisirent en Israël aurait déchiré cette union, p. 260, surtout parce qu’elle mettait les lois rituelles sur le même plan que les lois morales. Ce serait principalement Ézéchiel, plutôt prêtre que prophète, qui aurait introduit les lois cérémonielles et enseigné que le salut ne pourrait être obtenu que par l’observation de la Thora, p. 224 sq. Il serait ainsi devenu le père du judaïsme, p. 227, et la promulgation du Code sacerdotal par Esdras et Néhémie serait un des événements les plus décisifs dans l’histoire religieuse d’Israël, p. 231 sq. Dorénavant, les Juifs vécurent sous le fardeau de lois qu’ils n’ont pas connues auparavant… Tout d’abord on les aurait regardées comme un résumé de la prédication prophétique. Ce n’est que peu à peu qu’on oublia leur provenance et que l’autorité de la Thora supplanta celle des prophètes, p. 217.

On se demande, comment une telle conception de l’origine de la législation du Pentateuque est possible. Car le point de départ théorique est déjà en contradiction flagrante avec les notions les plus élémentaires de la morale et de la religion. Si la religion n’est pas simplement un sentiment vague, elle a nécessairement pour base indispensable une série très nette de prescriptions morales à la manière du décalogue. Dire que de telles lois, énumérées et présentées systématiquement, sont un empêchement à l’union de l’âme avec Dieu, c’est méconnaître et même ébranler la portée de tout l’ordre moral du monde. Prétendre que de telles lois sont indignes de la religion des prophètes, de ces hommes qu’on présente non seulement comme les propagateurs mais comme les créateurs du monothéisme moral, c’est faire d’eux des utopistes, et de leur religion une mystique hyperspiritualiste. Déprécier à ce titre la religion postexilienne, c’est la juger de la façon la plus injuste.

La base historique du système n’est pas moins fragile. Pas plus qu’Amos et Osée ne présentent leur , prédication d’un seul Dieu comme une chose nouvelle, le grand prêtre Helcias, le prophète Ézéchiel, le prêtre Esdras ne donnent comme récentes les lois qu’ils promulguent. Supposer qu’ils les ont créées de toutes pièces, c’est leur imputer la fraude la plus raffinée et la plus déloyale.

Pour ce qui regarde surtout les lois rituelles, il faut relever que leur attribution globale au temps exil>n et postexilien se heurte d’abord à ce fait que le formalisme extérieur, qui serait censé récent dans la religion d’Israël, se rencontre dans toutes les anciennes religions orientales dès leur commencement, en parti culier chez les Babyloniens et les Égyptiens avec qui les Juifs avaient des contacts étroits. Il y aurait ensuite la plus grande invraisemblance psychologique à ce que les Israélites, retournés à Jérusalem, se fussent laissé imposer le lourd fardeau du Code sacerdotal, si compliqué, s’ils ne l’avaient pas regardé comme un héritage de leurs pères. Est-il en effet probable que les rapatriés, qui vivaient pendant les premiers temps dans la plus grande détresse, qui, déçus de ce que le salut messianique ne se fût pas immédiatement réalisé, étaient si négligents dans la reconstruction du temple, qui s’opposaient si opiniâtrement à la réforme de Néhémie et d’Esdras au sujet des mariages mixtes, eussent accepté les prescriptions si gênantes du Code sacerdotal, en particulier celles qui regardent la pureté rituelle et la dîme, si ces prescriptions n’avaient pas plongé leurs racines dans la plus ancienne tradition préexilienne ?

Du reste, celui des critiques qui a étudié plus que tous les autres les lois lévitiques du Pentateuque, AVolf Baudissin, Geschichte des alttestamentlichen Priesterlums, 1889, est d’avis que le Code sacerdotal appartient entièrement au temps préexilien, à l’époque du Deutéronome. Eerdmans, Alttestamentliche Studien, t. iv, 1912, p. 83-135, prouve par une argumentation très vigoureuse que la « Loi de sainteté », Lev., xviixxvi, regardée par la critique comme le noyau primitif et la partie essentielle du Code sacerdotal, est très antique. E. Sellin, Einleitung…, 1920, p. 31 sq., affirme que ce même ensemble de lois qu’on aime à mettre en connexion avec Ézéchiel ne précède pas seulement le livre de ce prophète, mais encore le Deutéronome (C21 avant J.-C). La récente et vaste étude du P. Kugler, S. J., sur la législation du Code sacerdotal réunit bien des arguments en faveur de son caractère antique. Von Moses bis Paulus, 1922, p. 36133 : Zum Aller der wichtigsten bùrgerlichen und kullischen Gesctzesbestimmungen des Pentateuchs. insbesondere des sogenannten Pricsterkodex. Il est d’autant plus surprenant qu’un historien et critique aussi averti que E. Schùrer, Geschichte…, t. ii, p. 226, prétende qu’ « il est évident que le Code sacerdotal, c’est-à-dire la grande masse des lois de l’Exode, du Lévitique et des Nombres, est plus récent que le Deutéronome et Ézéchiel. »

Pour toutes ces raisons nous sommes en droit de dire que le « nomisme » (pour prendre l’expression des critiques) a été un caractère spécial du culte mosaïque dès ses origines et que la religion judaïque ne diffère sous ce rapport de l’ancienne que par une pin s grande intensité. Après l’exil encore, malgré le zèle progressif pour l’accomplissement des lois rituelles, la foi et la morale restèrent à la base de la vie religieuse du judaïsme.

La foi.

L’exagération du rôle joué par la Loi

au temps postexilien a amené plus d’un critique à regarder la foi comme un élément bien secondaire. Voir E. Konig, Geschichte der alltestamentlicheh Religion, 2e édit., Gùtersloh, 1915, p. 534. Rien n’est moins justifié. J. Touzard relève très justement que c’est la foi « qui a empêché Israël de s’abîmer dans le malheur comme le faisaient autour de lui un si grand nombre de nations subjuguées par Nabuchodonosor, o Revue biblique, 1916, p. 299, et que « c’est la ferveur de leur foi qui avait donné aux rapatriés de la première heure le courage de rompre avec la vie facile des plaines de la Chaldéc, pour regagner les âpres montagnes de Juda. » Ibid., 1923, p. 63. Lors du renouvellement de l’alliance sous Néhémie et Esdras, nous voyons la promesse d’observer la Loi accompagnée de la profession la plus claire et la plus ferme de la croyance en Jahvé et ses œuvres. Neh.. ix, 5 sq. Le zèle croissant que le judaïsme déployait et la peine qu’il se donnait

pour se conformer à la Thora ne s’expliquent cpie par une conviction religieuse très vive.Les martyrs et les héros du temps des Macchabées, les missionnaires du prosélytisme dans tout le monde antique montrent à quel point la foi juive était ardente.

II va tellement de soi que la foi forme la base de toute la vie religieuse que nos sources la relèvent à peine expressément. Nous lisons cependant, Judith, xiv. 0, que l’Ammonite Achior, voyant ce que le Dieu d’Israël avait lait, « crut en Dieu », et longtemps avant les épîtres de saint Paul, nous rencontrons Abraham présenté comme modèle de la confiance et de la croyance en Dieu. I Macch.. 11, 52 ; Jub., xvii. 15 ; xix, 9. Philon surtout s’est emparé de la figure de ce premier patriarche pour montrer par son exemple la beauté et l’importance de la foi, « qui est le seul bien sûr et indubitable ». De Abruhamo, § 40. Il développe même une psychologie très fine de la foi et ce qu’il a écrit à ce sujet compte parmi ses plus belles pages. Voir Bousset, op. cit., p. 224.

Très instructif sur le caractère solide de la foi juive est le livre de l’Ecclésiaste. On le cite souvent pour prouver le contraire à savoir que, sous l’influence de l’hellénisme le doute se serait glissé dans les âmes juives. En réalité l’auteur ne fait que relever l’insuffisance de la croyance de l’Ancien Testament, parce que la rétribution dans l’autre monde lui est encore inconnue. Constatant en outre l’absence de la rétribution terrestre, il est pessimiste et sceptique au sujet de la valeur de la vie humaine. Cependant la triste réalité ne lui arrache aucun murmure contre Dieu. Il reste tout à fait croyant et le principe directeur de la vie est selon lui de jouir dans la crainte de Dieu des biens de cette terre.

D’autre part le même livre nous apprend que « si le respect de la foi était grand chez les Juifs, le travail, même hardi, de l’intelligence n’était pas interdit, et qu’une forme de la pensée religieuse a existé, celle des sages, qui, pour n’être pas toujours populaire, ni précisément chaude, expansive et conquérante, parut néanmoins nécessaire, obtint la reconnaissance officielle et fut favorisée de l’inspiration divine. » E. Podechard, L’Ecclésiaste, Paris, 1912, p. 197. Ce sont justement ces spéculations auxquelles on s’adonnait avec une grande prédilection, qui sont caractéristiques du judaïsme tardif. Nous les avons déjà relevées en parlant de l’œuvre des scribes et nous les avons surtout constatées dans les idées messianiques et eschatologiques.

Les conceptions sur les mêmes sujets étaient si multiples et évoluaient à un tel degré qu’on se demande quels furent les véritables dogmes inaltérables du judaïsme. Avec quelque apparence de raison, on dit parfois que le peuple d’Israël avant et après l’exil n’a connu qu’un seul dogme, celui du monothéisme. Cependant on doit y ajouter l’espérance messianique au moins pour son fond. Le judaïsme tardif a regardé aussi comme un dogme la rétribution dans l’autre monde. Dans la Sagesse, i-v, la croyance à un jugement après la mort par lequel chacun sera récompensé selon ses œuvres est signalée comme le caractère qui dislingue les justes des pécheurs, .losèphe relève celle croyance comme le dogme principal des pharisiens, donc du judaïsme orthodoxe, Bell. Jud., I f.n.vil I ;.InL, XVIII, I, 3, et considère les sadducéens comme incrédules parce qu’ils le nient. Bell. Jud., Il, viii, 14. La littérature apocryphe et rabbinique prouve que. <u temps de Jésus-Christ, la vie religieuse du judaïsme fut entièrement dominée par la pensée de la rétribution dans l’au-delà. Rabbi Akabja qui a vécu encore avant la destruction du temple, disait : Réfléchis à trois choses, et lu ne commettras pas de péché : sache d’OÙ lu es venu… ou tu vas et devant qui lu

dois rendre compte. » Mischna, Pirke Aboth, iii, 1.

Tels sont les trois dogmes principaux qui ont été les étoiles conductrices des Juifs à travers leur vie. La croyance en Dieu qui les a préférés à tous les autres peuples les remplit vis-à-vis du paganisme d’une orgueilleuse satisfaction. L’espérance en l’avenir glorieux de leur race leur donna d’ordinaire une résignation calme pendant la longue domination étrangère, parfois et surtout dans certains milieux un courage qui les poussa aux luttes les plus héroïques. La conviction que la vie d’outre-tombe dépend absolument de la manière dont on a observé les prescriptions divines, a influé sur toute leur existence quotidienne.

La Morale.

Dès lors nous ne devons pas nous

étonner de trouver dans le judaïsme une morale très développée. Les sources qui nous renseignent à son sujet sont assez abondantes : parmi les livres canoniques il faut citer surtout l’Ecclésiaste, l’Ecclésiastique, la Sagesse et le livre de Tobie ; parmi les apocryphes, en premier lieu les Testaments des Douze Patriarches avec leurs longues exhortations, en outre Hénoch slave, IV Macch. et la lettre d’Aristée, parmi la littérature rabbinique, le traité Pirke Aboth de la Mischna. I.a littérature hellénique fournit aussi une riche contribution : l’explication du décalogue par Philon, surtout les fragments des Hypothetica (Eusèbe, Prsep. ey., viii, 6-7), l’exposé de la morale juive et de la Loi par Josèphe, Cont. Apion., ii, 22 ; Ant., IV.vnr, 4 sq., le poème de pscudo-Phocylide et de pseudo-Ménandi e.

1. L’Ecclésiastique montre que le motif fondamental de toutes les actions morales est la crainte de Dieu. Tout cet écrit avec ses multiples prescriptions et conseils est animé par un souille très fort de piété. 11 se distingue même assez sous ce rapport du livre des Proverbes où la note religieuse est moins accentuée. Toujours il est dit que la moralité dépend de l’attitude qu’on observe envers Dieu, i. 20. 25-30 ; ii, 12 sq. ; xxxii, 14, etc. ; que Dieu voit le cœur et exige une intention pure, vii, 9 ; xxxv, 1 sq. Cette conception se retrouve aussi sans cesse dans la littérature extracanonique : « Les justes pensent toujours à Dieu », Ps. Sal., iii, 3 : « en tout ce que le juste fait ou dit ou regarde, il sait que le Seigneur contemple son âme. Test. Pair., Benj., vi ; Mischna, Pirke Aboth, i, 3 ; Ps. Sal., iv, 21-23 ; xiv, 2 : Hénoch slave, lxvi, 3 sq.

A côté de ce motif suprême de la conduite, nous en trouvons d’autres moins élevés : d’abord l’espérance de la rétribution d’outre-tombe, ensuite celle de la rétribution terrestre. Cette dernière, qui est constamment exprimée dans les psaumes, s’est maintenue à travers tout le judaïsme, même après que la croyance en l’autre vie eut surgi et lut devenue dominante. On continuait à être convaincu que chaque péché est puni sur terre et reçoit même une punition qui correspond au délit. II Macch., V, 9 ; vii, 37 ; Sa])., xi, 0-8 ; xvii, 2xviii, 1 ; Test. Patr., Joseph, v ; Zabulon, x ; Siméon, i. Le sage I lillel vit un jour un crâne nager sur l’eau et il dit : parce que tu as noyé, on t’a noyé et ceux qui t’ont noyé seront aussi noyés. Mischna. Pirke Aboth. n, 0. Plusieurs fois Jésus fut obligé de combattre cette conception populaire. Luc, xiii, 1-5 ; Joa., ix, 1-3.

Un autre principe, tout en étant subordonné à ces données religieuses a joué un assez grand rôle dans la morale juive, celui de l’utilitarisme. Autant le Siracide recommande la crainte de Dieu. autant il attire l’attention sur le profit qui en résulte. Celui qui observe les commandements, est sage parce qu’il se rend heureux et évite bien des ennuis. Eccli., ix. 0 : xviii, 22 ; i. 3 ; wwii. 30-31… Dans le même sens, les sentences morales des rabbins (Pirke Aboth) et des poètes hellénistes pseudo-Phocylide et pseudo-Ménandre sont souvent des conseils de prudence. Il ne faut pas trop eu vouloir aux sa^es juifs et déprécier leur morale. La

foule n’est que trop accessible aux maximes d’une prudence utilitaire et se laisse guider par elle autant que par les hautes doctrines d’une morale désintéressée.

2. La morale juive manque d’ailleurs de cohésion. Dans toute la littérature du judaïsme, nous ne trouvons aucun exposé systématique des devoirs de l’homme. Les maschals de l’Ecclésiastique se suivent, comme ceux des Proverbes, sans aucun ordre. On cherche en vain le principe d’après lequel l’auteur les aurait réunis : « Les nombreux sujets… ne sont pas traités d’une façon méthodique. La pensée de l’auteur va de l’un à l’autre ; elle retourne ensuite à tel détail déjà effleuré, elle reprend un thème pour en achever l’étude, et il est à peu près impossible de faire une analyse raisonnée et systématique de cet ouvrage. » .L. Gautier, Introduction à l’Ancien Testament, Paris, 1906, t. ii, p. 458. Le manque de plan pourrait à la rigueur s’expliquer par le genre gnomique : le Siracide comme l’auteur les Proverbes voulait tout simplement faire un recueil de belles sentences. Mais ils auraient pu l’un et l’autre se tenir à une règle dans l’arrangement de leurs collections.

Ce défaut est plus surprenant encore dans la littérature rabbinique. Les savants du judaïsme tardif aimaient partout ailleurs à systématiser : ils ont réuni les prescriptions rituelles et juridiques du Pentateuque en des codes très compliqués. Mais ils n’ont pas senti le besoin de faire le même travail pour la morale. Ils discutent les prescriptions éthiques seulement en passant. Toute la Mischna ne contient qu’un seul traité moral, celui des Pirke Aboth ; mais même ici il n’y a pas d’ordre logique : les propos des rabbis, qui témoignent du reste tous d’une haute morale, - sont présentés dans un ordre chronologique. On rencontre plus d’ordre dans les Testaments des Douze Patriarches. Dans le cadre du testament de chacun des fils de Jacob, l’auteur s’efforce d’exposer un domaine circonscrit de la vie morale : mais trop souvent il ne se tient pas au plan qu’il s’est proposé.

Cependant, malgré ce manque de système, malgré cette casuistique désordonnée, on a l’impression que pour les Juifs les différents actes de la vie morale forment une unité. Elle se révèle par la doctrine sur la simplicité, â^Xô-r/jç, et ses contraires : la St^u^îa. le vouç SittXoôç. Cette doctrine signifiait surtout qu’une action mauvaise ne devient pas bonne par une bonne intention et que l’homme qui néglige un seul précepte grave est un grand pécheur bien qu’il observe tous les autres. Dans ce sens nous trouvons plusieurs fois dans l’Ecclésiastique la recommandation de ne pas s’approcher du Seigneur avec un double cœur et de ne pas marcher sur deux voies, i, 36 ; ii, 14 et bien des règles s’inspirent de cet esprit dans le Testament des Douze Patriarches, Ruben, i ; Siméon, iv ; Lévi, xiii ; Iss., v-vi. Le Testament d’Asser est tout un exposé de cette doctrine, il y est dit que celui qui vole pour faire l’aumône, celui qui jeûne et qui est en même temps adultère n’est pas bon, mais « désuni » et par suite » complètement mauvais », Test. Asser, i, n ; celui par contre qui tue un malfaiteur accomplit malgré le meurtre une œuvre dont l’ensemble est bon, parce qu’il « extirpe le mauvais ». Ibid., iv.

3. Le contenu lui-même de la morale juive, est excessivement riche. Il embrasse toute la vie humaine, envisage les réalités les plus concrètes, s’adresse à tous les états, se rapporte aux situations les plus variées de la vie privée et publique.

Pour en relever les caractères principaux, il faut nommer en premier lieu la forme négative de la plupart des préceptes. Les moralistes juifs disent surtout ce qu’il ne faut pas faire. Souvent reviennent des variations sur ce thème : « ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas non plus aux autres, » tandis que

Jésus dira d’une façon positive : « Ce que tu veux qu’o 11 te fasse, fais-le aussi aux autres. » Matth., vii, 12 ; Luc, vi, 31. C’est dans ce sens que les rabbis recommandent de ne pas haïr, calomnier, vexer, être précipité en paroles, agir d’une façon irréfléchie, etc., et qu’ils prônent les vertus passives, la patience, l’humilité, l’humeur pacifique, la résignation, la modération, le contentement. Voir les textes nombreux dansBousset, op. cit., p. 486 sq.

Parmi les vices qu’il faut éviter, aucun n’est nommé aussi souvent que la luxure. Dans tous les exposés moraux, l’interdiction des péchés d’impureté est un trait saillant. Que de fois le Siracide met ses lecteurs en garde contre l’incontinence et la séduction, p. ex. xxih, 16-27. Le livre d’Hénoch l’ait remonter au péché commis par les anges avec les filles des hommes tous les maux de la terre. En regard de la corruption païenne, les écrits helléniques stigmatisent encore davantage toutes les débauches sexuelles. Sap., iii, 13, 16 ; iv, 6 ; xiv, 23 sq. ; III Sib., 594-600 ; pseudo-Phocylide, 175-206.

Parmi les vertus, trois sont recommandées plus que toutes les autres, la piété, le jeûne et la charité envers les malheureux. Elles sont déjà réunies dans Tobie, xii, 8. La piété s’exprime surtout dans la prière. Voir plus bas.

Le jeûne était pratiqué déjà dans l’ancien Israël. Nous en retrouvons l’usage privé immédiatement après l’exil, Esdr., viii, 23 ; Neh., i, 4 ; Esth., iv, 16. Zacharie nomme quatre jours de jeûne officiels, vii, 5 ; viii, 19, qui furent ajoutés au jour de jeûne par excellence qui était la fête de l’Expiation. Dans la suite, on fut plus que jamais fidèle à la pratique du jeûne : I Macch., m, 47 ; II Macch., xiii, 12 ; Ps. Sal., iii, 8 ; IV Esdr., v, 13 ; vi, 31 ; Apoc. Bar., ix, 2 ; xii, 5. Le sanhédrin prescrivit trois jours de jeûne pour les temps de sécheresse ou de malheurs publics. Mischna, Taanith, i, 5 ; ii, 9. Au temps de Jésus-Christ, les Juifs pieux jeûnaient deux fois par semaine, le lundi, et le jeudi, Mischna, Taanith, ii, 9 ; Matth., ix, 14 ; Luc, xviii, 12 ; cf. Didaché, viii, 1. Le jeûne fréquent devint dans la Diaspora un des caractères distinctifs des Juifs. Tacite, Hist., v, 4.

Un des traits qui honorent le plus le judaïsme est son souci des pauvres. Les prescriptions du Pentateuque à ce sujet fuient largement observées. Bousset, op. cit., p. 162, cite avec raison la charité comme un des piliers de la vie religieuse et morale des Juifs. Fréquemment le Siracide exhorte à donner l’aumône, attire l’attention sur sa grande valeur ; il promet à l’homme charitable des faveurs spéciales de la part de Dieu, iii, 30-iv, 10 ; vii, 10 ; xvii, 22…. Dans le livre de Tobie, la charité forme également le centre des devoirs moraux ; près de la moitié des exhortations que le vieux Tobie donne à son fils avant son départ sont relatives à cette vertu. Les rabbins nommèrent l’aumône sedaqa. c’est-à-dire justice, et organisèrent l’assistance publique. Mischna, Pea, viii, 2 ; Pesachim. x, 1. Dans les synagogues, on faisait des quêtes régulières pour les pauvres, Mischna. Demai, iii, 1 ; Kidduschin, iv, 5 ; Matth., vi, 2. Le Talmud contient des éloges nombreux et bien sentis de la charité, p. ex., Talmud Bab., Baba Bathra, 10a, lia. — Ajoutons d’ailleurs que le particularisme juif trouvait ici encore occasion de s’exercer. Les sages comme les rabbins restreignent trop volontiers aux membres de leur nation les bienfaits de lacharité, et les réservent même à ceuxlà seulement qui sont pieux comme eux. Voir Eccli., xviii, 13 ; Tob., iv, 13, 17. Les pharisiens contemporains du Sauveur dédaignent le vulgaire et en veulent à Jésus de ce qu’il prend égard aux pécheurs et aux publicains.

4. Parmi les prescriptions qui réglaient la vie quotir,

dienne des Juifs, il faut surtout relever celles qui étaient prévues pour les différents états de vie. Elles nous permettent de jeter un regard sur les coutumes sociales des Juifs.

A leur tête se trouvent celles qui ont trait aux relations entre les parents et les enfants. Dans l’Ecclésiastique, elles sont placées au commencement du livre, m, 1 sq. ; le livre de Tobie les glorifie par les plus beaux exemples. Philon (dans Eusèbe, Pnvp. eu., VIII, vii, 2), Josèphe, Cont. Apion., ii, 200, iv, 262, les recommandent d’une façon toute spéciale.

Les rapports entre époux et épouse étaient moins bien compris ; il semble qu’on regardât toujours la femme comme un être inférieur. L’Ecclésiaste ne dit-il pas : « J’ai trouvé un homme entre mille, mais je n’ai pas trouvé une femme entre elles toutes ? » vii, 29. Le Siracide représente la femme comme dangereuse à cause de la séduction qu’elle exerce. Eccli., vii, 24 ; xxii, 3 ; xlii, 3 sq. ; cf. Eccle., vii, 27. Le Talmud dit même que cent femmes valent seulement deux hommes. Berachoth, 45fc. Comme les enfants et les esclaves, la femme n’avait pas besoin de dire la prière du Schéma. Mischna, Berachoth, iii, 3. Aujourd’hui encore, dans le judaïsme, les hommes récitent la prière suivante qui était déjà en usage au iie siècle après Jésus-Christ : « Je te remercie, ô Dieu, de ce que tu ne m’as pas fait naître, infidèle…, esclave…, femme. » Tosephta, Berachoth, vii, 18.

Cependant le mariage était regardé comme une institution sacrée. En théorie la polygamie n’était pas encore abolie, même au temps de Jésus-Christ ; la Mischna suppose l’existence de femmes secondaires. Edujoth, iv, 8. Mais dans la pratique la monogamie était déjà devenue la règle ; voir Felten, op. cit., t. i, p. 429 sq. Il est d’autant plus surprenant que le divorce fût regardé comme permis pour des causes insignifiantes. Ilillel enseigne que l’homme peut répudier sa femme même si elle a seulement brûlé ou trop salé son repas et Rabbi Akiba admet que si quelqu’un trouve une autre femme plus belle que la sienne, il peut congédier celle-ci. Mischna, Gittin, ix, 10.

Aucun état n’est plus estimé que celui des scribes. L’Ecclésiastique le glorifie déjà comme le meilleur, xxxix, et les Testaments des Patriarches renchérissent encore davantage. Liai, xiii.

Les artisans jouissent aussi d’une haute considération ; la meilleure preuve en est que les scribes exercèrent presque tous un métier manuel pour gagner leur pain. Voir Fr. Delitzseh, Jùdisches Handwerkerleben zur Zeit Jc.su, Erlangen, 1879, p. 77 sq.

L’état des paysans n’est pas moins estimé, Eccli., vu, 15 ; Testam. Issachar, i sq. ; le commerce par contre n’est pas encore trop en honneur : Eccli., xxvii.2 ; Issachar. vi ; l’irke Aboth. ii, 5. Pour la morale juive, voir surtout Bousset, op. cit., p. 154-163, 47$1-$296.

4° La vie sous la Loi, — 1. Le zèle pour la Loi. — Si caractéristiques que soient pour le judaïsme sa foi et sa morale, elles ne sont pourtant pas les traits les plus saillants de sa pratique religieuse. C’est l’observation de la Thora, qui donne à celle-ci l’empreinte la plus forte. Les différents codes du Pentateuque ne contiennent que quelques lois morales ; la plupart de leurs prescriptions se rapportent aux rites religieux et c’est à ces derniers que les Juifs après l’exil ont accordé une particulière attention.

A différentes reprises nous avons déjà relevé que ce n’est pas à une création du Code sacerdotal qu’est due une observation désormais si méticuleuse des disciplines rituelles, mais au changement survenu dans la situation du peuple. Les rapatries tonnaient plutôt une communauté ecclésiastique qu’un État proprement dit. Les prêtres en détenaient le gouvernement. Le vasselage dans lequel se trouvait le peuple par

rapport à ses suzerains, perses et autres, enlevait tout intérêt à la politique et favorisait ainsi les aspirations religieuses.

A ces circonstances extérieures correspondent des changements intérieurs, dus à l’enseignement que les prophètes Jérémie et Ézéchiel avaient donné à leurs compatriotes en face de la catastrophe de 586. Ils leur ont répété sans cesse et leur ont inculqué l’idée que ee désastre est le châtiment de leurs prévarications. Ils leur ont fait prendre conscience « de l’énorme poids d’iniquité qui, s’étant accumulé pendant des siècles » (Touzard), pesait sur le peuple juif. D’où, la résolution prise par les survivants d’observer sérieusement la Thora dans tous ses détails pour expier la faute et davantage encore pour ne plus irriter le Très-Haut. En même temps ces prophètes publient que la partici-, pation au salut ne sera pas un privilège de toute la nation, mais une récompense dont chaque individu devra se rendre digne par sa conduite. « De là cette préoccupation qui, en des temps encore lointains, dégénérera en scrupule, de se conformer au bon plaisir divin. De là cette piété profonde, sincère même en ses déviations, qui s’exprimera surtout en forme d’obéissance par une fidélité chaque jour croissante aux préceptes de la Loi. » Touzard, Bévue biblique, 1918, p. 400-401.

Telles sont les causes qui ont fait du légalisme le caractère principal de la vie religieuse après l’exil.

Cette vie sous la Loi se révèle déjà dans la manière dont fut faite la restauration. La réforme de Néhémie et d’Esdras consista essentiellement dans la mise en vigueur complète de la Loi. Le peuple professa par ses représentants que les désastres nationaux étaient causés par les transgressions continuelles de la Thora, Neh., ix, et promit de l’observer dorénavant dans toute sa rigueur. Une classe nouvelle se forma, celle des scribes, dont l’unique but était d’augmenter le prestige de la Loi. Lorsque, par le despotisme d’Antiochus Épiphane, le conflit entre le judaïsme et le paganisme devint aigu, la révolte nationale fut déchaînée par ce cri de Mathathias : « Que tous ceux qui ont le zèle de la Loi viennent après moi. » I Macch., ii, 27. Cette réaction victorieuse contre l’infiltration de l’hellénisme ne pouvait qu’augmenter énormément la ferveur de l’observance légale. Les plus zélés ne tardèrent pas à s’organiser en parti. A la fin de l’époque macchabéenne commence cette chaîne ininterrompue des célèbres docteurs de la Loi qui guidèrent le peuple et le poussèrent à l’extrême rigorisme. A partir du milieu du premier siècle de l’ère chrétienne, sur l’ordre de Rabbi Josué ben Gamala qui était grand prêtre de 63-65, on institua même, surtout dans les villes, des écoles primaires où les garçons dès l’âge de six ans devaient lire et apprendre par cœur la Thora, Talmud Bab., Baba Bathra, 21 a. Lorsque la catastrophe finale priva le judaïsme de son existence nationale et de son culte, il se cramponna avec une énergie héroïque à la Loi, le seul bien qui lui restât de son antique grandeur.

Les Juifs de la Diaspora observaient la Loi non moins consciencieusement que les Juifs palestiniens. L’intransigeance dont ils témoignèrent à cet égard en dépit de tout le mépris qui les accablait pour ce motif, fit d’eux un élément complètement étranger à leur entourage païen.

A cette pratique zélée de la Loi correspond L’éloge qu’en faisait les écrivains, l.e plus long de tous les psaumes, le psaume CXVtn, la nomme et la célèbre dans chacun de ses cent soixanle-seize versets. Pour le Siracide, elle est la Sagesse divine, descendue sur la terre, xxiv, s, 10, ilillel dit : si tu l’es acquis les

paroles de la Loi, lu t’es acquis la vie de l’autre monde i. Mischna, l’irke Abolit, ii, 7. Philon l’appelle la plus judaïsme, pratiques religieuses

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grande merveille, opérée par Dieu dans ce monde, un reflet de l’ordre éternel de l’univers. Vita Mosis, ii, 51, édit. Mangey, t. ii, p. 142. A cette gloire de la Loi on faisait aussi participer Moïse, son auteur. « Jahvé le glorifia comme un Dieu. » Eccli., xlv, 2 (hébr.). Philon présente Moïse comme infiniment supérieur à tous les sages grecs ; il l’appelle même le médiateur du monde entier, De congressu qaœr. erud. gratta, 21, édit. Mangey, t. i, p. 536 ; Vita Mosis, ii, 166, ibid., t. ii, p. 160.

Si les.Juifs étaient fiers de leur croyance en un seul Dieu, ils ne l’étaient pas moins des coutumes particulières sanctionnées par la Loi. Ils savaient bien que les païens avaient une certaine morale, mais ce qu’ils n’avaient pas, c’étaient les mœurs, basées sur la Thora. « Le législateur, peut-on lire dans la Lettre d’Aristêe, 139, … nous entoura d’une haie impénétrable et de murs d’airain pour que nous n’entrions pas en relation avec aucun autre peuple, restant purs de corps comme d’àme et libres de toute croyance insensée. »

Plus encore que cette conviction de supériorité à l’égard des païens, les Juifs devaient à la Thora le moyen sur de plaire à Dieu. Se soumettre complètement à sa volonté par l’obéissance la plus stricte à toutes ses prescriptions était pour eux le comble de la religion. Le psaume cxviii l’exprime sans cesse. Les rabbins disaient expressément qu’il ne s’agit pas tant des détails de l’observance en eux-mêmes que de l’esprit de soumission qui s’y exprime. Dans ce sens, Rabin Jochanan ben Zakkai enseignait : « Ni le mort ne rend impur, ni l’eau pur, mais le Saint… a dit : j’ai donné une loi, j’ai fixé une décision : tu n’a pas le droit de transgresser la décision qui est écrite, » d’après A. Schlatter, Beitrâge zur Fôrderung christlicher Théologie, 1898, t. iii, p. 4 : Jochanan ben Zakkai, p. 42 ; Bousset, op. cit., p. 149.

Cette haute estime de la Loi fait, sans contredit, honneur au judaïsme et le christianisme lui-même s’y est largement associé. Jésus-Christ n’a-t-il pas dit : non veni solvere Legemsed adimplere, Matth., v, 17, et saint Paul : lex pœdagogus noster fuit in Christo ? Gal., iii, 24.

2. L’abus de la Loi.

Malheureusement tout ne fut pas parfait dans ce culte de la Loi. Il n’est que de lire les Évangiles et les épîtres de l’Apôtre des gentils, pour que l’admiration à l’endroit du zèle des Juifs soit contrebalancé par les sentiments opposés. Car Jésus-Christ et saint Paul y dénoncent la manière dont la Thora était pratiquée de leur temps comme une perversion de la religion et du sens moral. Matth., xv, 2 sq. ; xxiii, 25-26 ; Marc, vii, 2-5 ; Luc, xi, 38-39 ; Rom., ix, 31-32 ; x, 1-4.

En effet l’observation de la Loi était sous l’influence des scribes pharisiens viciée par plusieurs graves abus.

a) Et d’abord la pratique religieuse avait pris une forme presque exclusivement extérieure. Certes la Thora elle-même contenait dans sa majeure partie des préceptes rituels. Cependant ces lois cérémonielles n’étaient ni les seules, ni les plus importantes, témoin la publication si solennelle des dix commandements. Elles devaient en outre, dans l’intention du législateur, produire un effet intérieur, évoquer la conscience de la culpabilité et le besoin du salut divin. Rom., iii, 20 : per legem enim cognitio peccati. Mais les scribes étaient parvenus à ne plus faire de distinction entre les prescriptions morales et rituelles ; ils préféraient même ces dernières — parmi les soixante-trois traités de la Mischna un seul a un contenu moral — et en les accomplissant ils se contentaient d’observer la lettre sans se soucier de l’esprit. La justice légale leur suffisait à tel point qu’ils se donnaient plus de peine pour être extérieurement corrects par rapport à un détail insignifiant que pour réaliser la justice inté 1646

rieure : « ils filtraient le moucheron et avalaient le chameau, ils nettoyaient le dehors de la coupe et du plat, tandis que le dedans restait rempli de rapine et d’intempérance. » Matth., xxiii, 24-25.

b) Cette préférence pour des lois cérémonielles en avait entraîné la multiplication dans des proportions déraisonnables. Le contenu des gros volumes de la Mischna et du Talmud consiste essentiellement en des additions innombrables faites aux prescriptions rituelles et accompagnées d’explications minutieuses. On avait tellement multiplié les lois que les prescriptions du Pentateuque étaient devenues très peu de choses en comparaison, de sorte que Jésus pouvait dire avec raison : « Les scribes et les pharisiens se sont mis sur la chaire de Moïse. » Matth., xxiii, 2.

C’est surtout pour le repos du sabbat et la pureté légale que les lois du Pentateuque ne leur suffisaient pas. A la place des quelques œuvres défendues le sabbat par Ex., xvi, 23-30 ; xxxi, 12-17 ; xxxiv, 21 ; xxxv, 1-3 ; Num., xv, 32-36, ils distinguaient trente-neuf travaux principaux qu’ils subdivisaient et appréciaient avec une subtilité incroyable. Voir Schùrer, Geschichte, t. ii, p. 470-478. Les rabbis Jochanan et Siméon ont employé trois ans et demi pour élaborer ces prescriptions détaillées. Bâcher, op. cit., 1. 1, p. 210 ; Bousset, op. cit., p. 146. Mais la casuistique des scribes atteignit son apogée en matière de pureté rituelle. Elle prévoyait tant de cas de souillures que le Juif ne pouvait presque rien faire, à peine quitter la maison ou fréquenter quelqu’un sans craindre d’être « infecté ». Voir Schûrer, Geschichte…, t. ii, p. 478-483.

Le Christ ridiculise ce pédantisme mesquin qui portait les dévots à prélever la dîme même sur des produits aussi insignifiants que la menthe, l’anis et le cumin. Matth., xxiii, 23.

Mais il leur reproche encore davantage « de lier des fardeaux pesants et difficiles à porter et de les mettre sur les épaules des hommes. » Matth., xxiii, 4. La Loi devenait en effet de cette façon une intolérable servitude, un véritable instrument de torture morale. Le Christ en apporta la délivrance. En face de l’abus de la Loi, ses paroles sont doublement significatives : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés… car mon joug est suave et mon fardeau léger. » Matth., xi, 28-30.

c) On comprend aisément qu’une telle conception de la Loi ne pouvait servir ni la religion ni la morale. La religion doit réaliser l’union de l’homme avec Dieu. Le Juif, dans son zèle exagéré pour les lois extérieures, oubliait cet idéal et ne cherchait qu’à marcher correctement devant Dieu. Au lieu de s’abandonner à la bonté divine, il croyait faire du Très-Haut son débiteur par les mérites de ses œuvres.

La morale était également compromise par un système qui empêchait toute spontanéité. La casuistique, en donnant d’avance la règle pour chaque cas possible et en supprimant toute décision personnelle, paralysait l’essor normal de la vie morale. C’est donc bien à tort que Josèphe, Cont. Apion., ii, p. 17, vante cette casuistique en disant : « Il (Moïse) n’a pas laissé la moindre chose au choix et au libre arbitre. »

d) Ce culte tout extérieur de la Loi a même créé des vices, tels que l’orgueil et l’hypocrisie. Ce sont les deux fautes que Jésus a condamnées chez les pharisiens dans les ternies les plus vifs : « Ils aiment les premières places dans les festins, les premiers sièges dans les synagogues, les salutations dans les rues. Matth., xxiii, 6 ; ils ressemblent à des sépulcres blanchis, qui au dehors paraissent beaux, mais au dedans sont pleins d’ossements de morts. » Matth., xxiii, 27. Aussi bien l’orgueil était inévitable chez ceux qui s’efforçaient constamment de vivre d’après les prescriptions innombrables, élaborées avec le temps. Car

il leur fallait être tellement sur leurs gardes et faire tant de sacrifices pénibles qu’ils s’imaginaient avoir

accompli des actes héroïques dont les hommes ordinaires n’étaient pas capables. Leur fierté était d’autant plus grande qu’ils croyaient devenir ainsi les artisans de leur propre justice et les créanciers de Dieu. Noir Prat., art. Pharisien, dans Dictionnaire de la liible. t. v. col. 215.

D’autre part cette multitude de lois et la difficulté ou plutôt l’impossibilité de les observer toutes devait mener forcément à l’hypocrisie. L’idéal était trop élevé pour pouvoir être atteint. Pour garder quand même le prestige de l’avoir réalisé il fallait affecter des apparences de perfection, il fallait dissimuler ses défaillances. Dans cet art les pharisiens étaient tellement versés que pharisien est devenu synonyme d’hypocrite. Autant les scribes avaient été minutieux pour amplifier et compliquer les préceptes, autant ils étaient habiles pour échapper à ce lourd fardeau. Tous les stratagèmes des casuistes les plus retors leur étaient bons pour tempérer par exemple la rigueur du jeûne, pour modérer l’incommodité du repos sabbatique. Prat., ibid.

Au total la vie religieuse des Juifs à l’époque néotestamentaire est très exactement caractérisée par les paroles de saint Paul : « Je leur rends témoignage qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais sans intelligence. » Rom., x, 2. On serait cependant injuste si on faisait peser ce grief sur toute l’histoire du judaïsme. La lettre n’a pas tout de suite tué l’esprit et l’Ecclésiastique par exemple, ne montre pas encore cette tendance. Marti, lui-même, op. cit., p. 2C0, doit avouer qu’il n’y est guère question de « nomisme ». Mais déjà le livre des Jubilés, composé à la fin de l’époque macchabéenne, révèle d’après Bousset, op. cit., p. 144, un légalisme exagéré, qui allait prendre son développement à partir de l’époque hérodienne.

Culte ait temple.

Un groupe tout à fait à part

et très important de lois cérémonielles était formé par celles qui avaient trait au culte. Tandis que toutes les autres prescriptions réglaient presque exclusivement la vie privée, les lois sur le culte concernaient plus ou moins des actes officiels, au moins par rapport au lieu où ils s’accomplissaient et aux ministres du culte par l’intermédiaire desquels ils se faisaient.

La grande place que tenait le culte dans la vie du judaïsme se révèle déjà dans les prophéties exiliennes sur la restauration. La réédification du Temple s’y trouve au premier plan. Is., xi.iv, 28. Ézéchiel la dépeint en ses visions jusque dans ses moindres détails. Les exilés reviennent dans l’intention principale de reconstruire le temple. Esdr., i, .">. Aggée et Zacharie indiquent comme cause de la misère des rapatriés leur tiédeur à cet égard et rattachent les plus brillantes promesses à l’achèvement du temple. Agg., i, 4 sq., ii, 3sq ; Zach., l, 16 ; iii, 9sq. ; vi, 12 sq. D’après Malachie, c’est au temple que Jahvé se manifestera a son arrivée. Mal., iii, 1. L’histoire du culte tient dans l’ouvrage du Chroniqueur une large place. I Par., xiu-xvii ; xxuxxix ; II Par., i-vii. Le Siracide décrit avec une satisfaction toute spéciale la façon majestueuse dont le grand prêtre Simon pontifiait au temple. Eccli., L, l-2.’(. Le deuxième livre des Macchabées rapporte à plusieurs reprises que tous les ennemis du sanctuaire ont été visiblement punis par Dieu, v, ’. » ; ix, 18-28 ; xiu. X. Bien des psaumes expriment la joie que le temple cause à l’âme juive, par exemple, cxxi, l.œtatns sum, etc. De la reconstruction du Temple, « jusqu’à sa destruction par Titus, l’amour du sanctuaire serait a la base ditoute la pieté juive et. le forfait consommé, ce serait encore cet amour qui amènerait les fils d’Israël en pleurs devant les suprêmes restes de l’enceinte sacrée. Touzard, Revue biblique, 1918, p. 397.

Bien que les scribes se trouvassent en opposition avec les prêtres, ils développaient néanmoins les lois sur les sacrifices et les codifiaient minutieusement même lorsque le culte avait depuis longtemps cessé. Rabbi Simon le juste avait coutume de dire : « Sur trois choses repose le monde, sur la Loi, le culte et l’accomplissement de bienfaits. » Mischna, Pirke Aboth, 1, 2.

Tout le culte consistait en des sacrifices et en les actes qui les accompagnaient ; il était public ou privé. Le culte public, dont les frais étaient payés par les impôts, avait lieu matin et soir : il comportait l’immolation d’une brebis et l’oblation de farine, d’huile et de vin. Ces deux sacrifices, inaugurés le matin et clos le soir par un sacrifice d’encens, formaient l’essentiel du culte : ils étaient l’expression de l’adoration de Jahvé par tout le peuple. Leur cessation était regardée comme le plus grand malheur, Joël, i, 13, Dan., xi, 31 ; xii, 1 1 ; même pendant le siège de Jérusalem par Titus, on continua malgré la famine à offrir ces sacrifices ; la nécessité de les omettre à partir du 17 Tammouz fut regardée comme une des épreuves les plus graves du peuple. Bell. Jud., l, ii, 1 ; Mischna, Taanith, iv, 0. Le traité Tamid de la Mischna décrit ce culte public jusque dans ses moindres détails.

Pour en rehausser la beauté, on l’accompagnait de chant et de musique. Pendant que les prêtres offraient l’holocauste, les lévites chantaient des psaumes, chaque jour de semaine un autre, et jouaient des harpes ; deux prêtres sonnaient les trompettes d’argent, Num., x, 1, 2. 10 : II Par., xix, 26-28 ; Mischna, Tamid, vii, 3 sq. L’assistance qui se tenait en grand nombre dans la cour, se prosternait au son des trompettes ; le peuple fut divisé en vingt-quatre sections qui correspondaient aux vingt-quatre classes des prêtres et chaque section devait envoyer au temple une délégation pendant la semaine où officiait la classe correspondante, Mischna, Taanith, iv, 1-4. Le sacrifice quotidien terminé, cinq prêtres sortaient du temple et donnaient au peuple leur bénédiction. Num., vi, 22 sq. ; Mischna, Tamid, vii, 2.

Les sacrifices quotidiens étaient augmentés les sabbats et les jours de fêtes ; le premier jour de la fête des Tabernacles, par exemple, on offrait treize jeunes taureaux, deux béliers et quatorze brebis. Num., xxix. 12-13.

A côté des sacrifices publics, il y avait en plus grand nombre encore, les sacrifices privés. Tandis que les premiers consistaient surtout en holocaustes, et oblations, les derniers comprenaient en outre les sacrifices pour le péché et pour le délit ainsi que les sacrifices pacifiques. La Loi les prévoyait pour une foule de circonstances et la piété y voyait le meilleur moyen de rendre hommage à Dieu. Aussi étaient-ils offerts chaque jour en grand nombre. Les jours de fête, les milliers de prêtres ne suffisaient pas à la besogne. Philon, Vita Mosis } iii, 19.

Comme avant l’exil, les Juifs célébraient surtout les trois [êtes de la Pàque, de la Pentecôte et des Tabernacles. Sur leur célébration, la Mischna nous renseigne avec une minutie qui ne laisse rien à désirer et qui montre qu’ici encore les scribes ont bien précisé les prescriptions du Pentateuque. Ces jours-là tous les Israélites devaient apparaître au temple à l’exception des femmes, des enfants, des idiots, des sourds, des aveugles, des malades, des vieillards, el de tous ceux qui ne pouvaient pas s’y rendre à pied. Mischna, Chagiga, i, 1. Les garçons y étaient tenus dès qu’ils axaient atteint l’âge de puberté. Mischna. Nidda, vi, 1 1. Aussi les jours de fêle attiraient-ils à Jérusalem des foules Innombrables. Josèphe raconte qu’il y eut trois millions de personnes à la Pàque de l’an (il après Jésus-Christ, Jiell., /nd., II. xiv, .’!. el que plus d’un

million y aurait péri lors de la prise de la ville par Titus. Bell. Jud., VI, ix, 3. Le rituel de la Pàque et de la fête des Tabernacles est très longuement développé dans des traités spéciaux de la Mischna : Pesachim et Sukka.

La fête de l’Expiation avait un tout autre caractère. Son rituel se trouve dans le traité Jomi ; c’était le seul jour de l’année qui fût consacré officiellement à la pénitence. D’après la critique, il aurait été introduit seulement après Esdras. Sur cette prétendue origine postexilienne de la fête de l’Expiation, voir Kugler, op. cit., p. 125-133 : Die Fest-und Op/erordnung bei Ezechiel und Esra.

Deux fêtes seulement ont été vraiment introduites par le judaïsme : celles des Puriin, qui devait rappeler la délivrance des Juifs de Perse par l’intervention d’Esther et celle de la Dédicace ou des Encénies, en souvenir de la purification du Temple par Judas Macchabée.

C° L’office de la synagogue. — A côté du temple, le judaïsme a connu un autre lieu de culte, la synagogue. Si l’on n’y offrait pas de sacrifices, c’était du moins une maison de prière, où se maintenait la connaissance de la Loi. La synagogue est d’institution récente. Les origines n’en peuvent guère remonter à l’exil ou à l’époque d’Esdras, comme on l’a souvent prétendu. Schurer, Geschichte…, t. ii, p. 129 ; Felten, op. cit., t. i, p. 358. Il semble même qu’au temps des guerres macchabéennes les synagogues n’existaient point encore en Palestine, car, si dès ce moment, elles avaient joué un rôle dans la vie religieuse, les livres des Macchabées n’eussent point passé sous silence leur destruction. Il est très probable queles synagogues ont pris naissance dans la Diaspora où elles remplacèrent en quelque sorte le temple. Les premiers renseignements certains sont fournis par des papyrus grecs, d’après lesquels il y avait déjà des synagogues en Egypte dans la seconde moitié du iiie siècle avant Jésus-Christ. Voir Bousset, op. cit., p. 198 ; Th. Reinach, Revue des études juives, 1902, t. xlv, p. 162. Pour la ville d’Antioche, Josèphe, Bell. Jud., VII, iii, 3, mentionne une synagogue peu après l’époque d’Antiochus Épiphane. Dans la Palestine même, le besoin de synagogue ne se fit guère sentir dans les premiers siècles qui suivirent l’exil. Le district habité par les Juifs était petit, et chacun pouvait facilement aborder le temple. Plus tard, lorsque les guerres des Asmonéens eurent agrandi l’État juif, quand surtout l’œuvre des scribes se fut développée, la coutume d’élever des synagogues et d’y tenir des assemblées régulières s’est introduite également en Palestine. Au temps de Jésus-Christ, il yen avait par ; out dans la Terre sainte comme dans la Diaspora, Philon, Vita Mosis, ii, 21fi, édit. Mangey, t. ii, p. 168, même dans les petits villages comme Nazareth. Matth., xtn, 54. Les villes en comptaient plusieurs. Act., vi, 9 ; xxiv, 12 ; Philon, Legalio ad Cajum, 20, édit. Mangey, t. ii, p. 565. On aimait construire les synagogues hors des villes, près d’un fleuve ou sur le bord de la mer, Act., xvi, 13, pour pouvoir faire avant l’office les ablutions rituelles. D’après les ruines quisubsistent de synagogues galiléennes, du premier et du second siècle chrétien, elles furent souvent divisées en plusieurs nefs par des rangées de colonnes. Voir Renan, Mission de Phénicie, p. 761-783 ; Schurer, op. cit., t. ii, p. 445 sq. La synagogue d’Alexandrie était un temple somptueux. Talmud Pal., Sukka, v, 1, fol. 55 ab. Il y avait dans chaque synagogue une tribune pour la lecture de la Loi, des sièges pour les fidèles. Un chef avait mission d’y maintenir l’ordre, Luc, viii, 49 ; Act., xviii, 8, et de désigner les officiants.

Les réunions avaient lieu tous les samedis et toutes les fêtes dans la matinée. L’office s’y déroulait de la

DICT. DE THÉOL. CATKOL.

façon suivante. D’abord on récitait le Schéma et le Schemoné-Esré. Ensuite on lisait un chapitre de la Thora qui dans ce but fut partagée en cent cinquante-quatre parasch pour un cycle de trois ans, et un texte prophétique quelconque (haphtar). Comme la masse du peuple ne comprenait [dus très bien l’hébreu, on y ajoutait toujours la traduction. Suivait un sermon qui était d’ordinaire un commentaire de la leçon biblique. Quiconque était à même de prêcher pouvait prendre la parole. Philon, De sepienario. vi. Il va de soi que cette tâche incombait principalement aux scribes. C’est par leur activité dans les synagogues qu’ils ont exercé une influence profonde sur leurs coreligionnaires. Si un prêtre était présent, l’office se terminait par sa bénédiction. Mischna, Berachoth, v, 4 ; Megilla, ix, 3, 5-7 ; voir Felten, op. cit., t.i, p. 355-369 ; Schurer, op. cit.. t. ii, p. 427-459.

Cette institution de la synagogue et de son office mérite la plus grande estime. Elle est dans l’histoire religieuse de la plus haute importance ; c’est la synagogue qui a permis au judaïsme de faire de ses idées et de ses pratiques religieuses un ferment capable de pénétrer la grande masse et non pas seulement quelques scribes savants. Par la synagogue le sabbat n’était plus un simple jour de repos, il se transformait en jour de sanctification. L’office synagogal est ensuite devenu le modèle de l’office chrétien.

Prières.

Les Juifs qui allaient si souvent au

temple et se réunissaient encore plus fréquemment dans les synagogues pratiquaient nécessairement beaucoup la prière. A cet égard, c’est le psautier qui leur servait de livre. Non seulement les Juifs ont conservé les compositions de David et des autres psalmistes préexiliens, mais ils les ont enrichies. Le recueil et l’arrangement définitif des cent cinquante psaumes est l’œuvre du judaïsme. Les psaumes se prêtent à toutes les occasions de la vie humaine ; ils contiennent une théologie élevée ; ils font résonner tous les sentiments que l’âme humaine peut exhaler envers son Dieu, depuis le repentir sincère après de grands péchés jusqu’à l’union mystique avec Dieu. Le Psautier, après avoir été le bréviaire des Israélites, est pour ces raisons le meilleur legs fait par le judaïsme au christianisme.

Après la Thora, aucun livre ne fut p’us connu et plus appris que le psautier. Il était le livre de prières et de chants dans le temple comme dans la synagogue. Sur l’usage détaillé que les Juifs en faisaient, nous avons cependant peu de renseignements directs. Nous savons seulement que du premier jour de la semaine au sabbat les sept psaumes xxiii, xi.vu, lxxxj, xciii, lxxx, cxii, exi, étaient chantés à tour de rôle lors du sacrifice quotidien, Mischna, Taanith, iv, 3, vu, 4, et que le Hallel, c’est-à-dire d’après la tradition ordinaire les psaumes cxii-cxvii étaient chantés aux trois grandes fêtes, à la fête de la Dédicace et aux néoménies. Talmud Pal.. Pesachim, 117 L

Nous savons par la littérature rabbinique qu’à côté des psaumes les scribes ont introduit beaucoup d’autres prières et qu’ils en ont exactement réglé la récitation.

Ils ont d’abord imposé deux prières quotidiennes, le Schéma et le Schemoné-Esré. Le Schéma se compose de trois morceaux de Pentateuque : Deut., vi, 4-9 ; xi, 13-21 ; Num., xv, 37-41, entourés de quelques bénédictions. Selon Mischna, Tamid, iv liii, v, 1, il était déjà en usage avant l’an 70 de notre ère. D’après son contenu le Schéma était plutôt une profession de foi qu’une véritable prière. Chaque homme adulte devait le réciter matin et soir, Mischna, Berachoth, i, 1-4 ; les femmes, les esclaves et les enfants en étaient dispensés. Ibid., iii, 3.

Le Schemoné-Esré comprend, comme son nom l’indique, dix-huit demandes. Il était aussi nommé la

VIF. — 53

judaïsme, rapports avec le milieu païen

1652

prière tout court. Chaque Israélite devait le réciter le malin, l’après-midi et l<- soir. Mischna, Berachoth, iii,

3 ; iv, 1. Il y a de cette prière deux recensions : la recension babylonienne, qui est encore aujourd’hui en vigueur et qui se compose de dix-neuf demandes, (la quatorzième sur 1ère messianique étant divisée en

deux), et la recension palestinienne, qui se distingue de l’autre surtout par une malédiction contre les chrétiens, introduite par décision d’un synode de Jabné. Talmud l’ai.. Beracholh, 28b. LeSchémoné-Esré est très long.au moins vingt l’ois plus que le Pater, de sorte que plusieurs docteurs étaient d’avis que la récitation d’un extrait su disait : voir Dalman, op. cit., p. 30 1. Conformément a la prescription, Deut., viii, lu. les rabbins ont en outre impose une prière d’action de grâces après le repas, Mischna, Berachoth, iv, 3-4 ; Talmud, Berachoth, Ha. Elle se composa primitivement de trois bénédictions et de trois demandes auxquelles s’ajouta une quatrième après le soulèvement de Barkokéba.

Non contents d’introduire ces prières, les scribes ont méticuleusement lixé le temps, le lieu, la manière de les réciter. Par exemple, on ne doit pas dire le Schéma du matin avant qu’on puisse distinguer entre le bleu et le blanc. Mischna. Berachoth, i. 2. Ils discutèrent longuement, si on peut réciter le Schéma en route et dans quelles conditions on peut alors saluer des passants pendant les prières. Berachoth, ii, 1-2. Ils se demandèrent pour combien de nourriture il faut remercier Dieu, les uns répondirent : déjà pour la grosseur d’une olive, les autres, pour celle d’un œuf. Berachoth, vu, 2.

Les maîtres en Israël ont encore joint à la récitation des prières des pratiques purement extérieures. En interprétant à la lettre les passages de la Thora, Ex., xiii. II. 10 : Deut., vi, 8, 11, 18 où il est dit qu’il faut avoir la Loi dans la main et devant les yeux, ils ont introduit la coutume des phylactères ou tephillim. Cf. Matth., xxiii, S. Certains textes de la Loi écrits sur parchemin étaient placés en de petits étuis et ceux-ci étaient liés à l’aide de courroies au iront et au bras gauche, au moins pour la prière du matin. On attachait a ces phylactères une telle importance qu’il en est question dans quinze traités de la Mischna et dans plusieurs Targums.où l’on en règle l’emploi de la façon la plus minutieuse.

Malgré l’excès de ces pratiques extérieures, il faut admirer la piété des Juifs. Ils s’efforçaient vraiment de sanctifier la vie quotidienne par de nombreuses prières. In cercle de dévots a la tête desquels se trouvait Siméon ben Menas j a, consacrait un tiers du jour à la prière, un autre tiers à l’étudede la Thora et h’troisième tiers au travail manuel. Kohelet h R. ix, 9 ; Taln%ud l’ai., Maaserscheni, a, 53 d. ; Rousset, op. cit.,

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traité Berachoth, c’est-à-dire Prières, est le premier de la Mischna. Le formalisme n’étouffait pas complètement l’esprit intérieur, (.’est ce qui résulte entre autre d’un conseil que donnait Rabbi Simon,

île de Rabbi lien Zakkai. Ne fais pas de la prière un acte purement extérieur ; [u’ellesoiî une supplication intime adressée au Seigneur. Mischna, Pirke Aboth, n. 13.

Outre les ouvrages généraux, cités pour les idées religleuses, consulter : J. Touzard, L’âme juive au temps <les Perses, dans Bévue biblique, 1916-1920, 1923 ; II. G. Mit-i. il. The ethics o/ // » Old Testament, Chicago, 1 « >i : > ; il. M. Hughes, The ethics « j jewtsh apocryphal Literalure, 910 ; J. Kôberle, Sùnde und Gnade im religiôi n I’’oel bis’ni/ Christum, Munich, 1905 ; M. I b

Judentums, Francfort, t. i, 1898 ; t. n 191 i ; .1. Benzinger, Wie wurden d cires ?

i 908 ; Schurer, (.< schichle, t. n ; i elten, oj !. I ;, I I|’e /" lilf/rli Mi. I L’J ni il.

tlunich, 1869 ; i.. Kortleltner, Archœolngia bit’Hm,

2’édit., Inspruck, 1917 ; H. Lesètre, Temple, dans Dictionnaire de la Bible, t. v, col. 2024-2079 ; T. W. Davies, Temple, dans Hastings, Dictionary o/ the Bible, t. iv, p. 695-716 ; W. H. Green, Die Teste (1er llebruer in ihrer Beziehung ouf die nmdernen kritischen Ilypothesen ùber den Pentateuch. Ans de m Englischen iibersetzt von O. Bêcher, Gutersloh, 1894 ; Œsterley etBox, The religion and worship oj the synagogue, 1907 ; lilbogen, Der jùdische Gottesdienst in seiner geschichtlïchen Entivickelung, Leipzig, 1913 ; H. Kohi et C. Vs’atzinger, Antike Synagogen in GaliUea, Leipzig, 1910 : H. Lesètre, Synagogue, dans Dictionnaire de la Bible, t. v, col. 1899-1906 ; W. Bâcher, Synagogue, dans Hastings, Dictionary of the Bible, t. iv, p. 636643 ; Jos. Simon, L’éducation et l’instruction des enfants chez les anciens Jui/s d’ajirés la Bible et le Talmud, 3e édit., Leipzig, 1879 ; Blau, Origine et histoire de la lecture du Schéma et des formules de bénédiction gui l’accompagnent, dans Bévue des études juives, 1895, t. xxxi, p. 179-201 ; Loeb, Les dix-huit bénédictions, ibid., 1889, t. xix, p. 17-40 ; Lévi, Les dix-huit bénédictions et les psaumes de Salomon, ibid., 1896, t. xxxiii, p. 161-178.