Dictionnaire de théologie catholique/JUSTIFICATION : Doctrine à l'époque de la Réforme.
IV. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION A l’époque de la réforme
A la différence des époques précédentes, qui n’avaient connu que des affirmations dispersées ou de sereines spéculations d’école, le xvi’siècle marque le moment où la justification commence pour la première fois à se poser dans le monde chrétien sous forme de problème aigu. Le fait est dû aux innovations révolutionnaires introduites sur ce point parla Réforme, qui allaient avoir pour conséquence, in même temps que les réactions diverses de la théologie catholique (col. 2151), les définitions du concile de Trente, où la loi traditionnelle de l’Église serait solennellement affirmée et entourée de toutes les précisions dont l’erreur avait fait sentir le besoin (col. 2165).
I. La Réforme. —
Jetée dans le monde religieux par l’âme passionnée de Luther comme le programme de son opposition à l’Église et le principe essentiel de sa nouvelle doctrine, puis élaborée par les premiers docteurs et fixée par les symboles de la Réforme naissante, la justification par la seule foi au Christ fut regardée de bonne heure et n’a plus cessé d’être considérée depuis, chez les protestants, comme Yarticulus stanlis et cadentis Ecclesiæ. Luther lui-même en disait : Articulus juslificationis est magister et princeps, dominus, rector et judex super omnia gênera doctrinarum, gui conservai et gubernat omnem doctrinam ecclesiaslicam. .. Sine hoc arliculo mundus est plane mors et tenebrse. Dans P. Drews, Dispulationen Dr. Martin Luthers, Gœttingue, 1895, disp. du 1er juin 1537, p. 119. Voir une abondante collection de textes semblables pris à travers toute l’œuvre du réformateur dans Fr. Loofs, Der articulus stanlis et cadentis Ecclesiæ, Gotha, 1917, p. 4-14. On ne fait pas tort à la Réforme en la ramenant tout entière à ce point fondamental que Mélanchthon appelait preecipuus locus doctrinæ christianse. Apol. Conf., iv, 2, dans J. T. Mùller, Die symb. Bûcher, p. 87. Autres déclarations du même ordre dans Loofs, op. cit., p. 14-25.
I. ORIGINE.
Personne ne songe à mettre en doute l’originalité foncière de la Réforme sur ce point capital. Articulus juslificationis quem nos soli hodie docemus, ou encore quem lotus mundus ignorât, disait Luther en 1527-1529, Scholia in lsaiam, xlii, 21 et xlih, 24, Luthers Werke, édit. de Weimar, t. xxv, p. 276 et 282. Dès 1521, Mélanchthon allait jusqu’à parler en termes lyriques d’une nouvelle révélation de l’Évangile : O miseros nos qui jam a quadringenlis fere annis neminem habuimus in Ecclesia scriptorem qui reclam ac propriam pœnilentiæ jormam prodidissel… Nunc tandem Dei misericordia respexit nos revelavitque Evangelium populo suo. Apologie pour Luther contre les Parisiens, dans Luthers Werke, édit. de Weimar, t. viii, p. 311. Dans la genèse de cette « révélation » il n’est pas étonnant de rencontrer comme le confluent de toutes les causes d’où est sortie la Réforme.
1° Cause déterminante : l’expérience religieuse. — Quelle qu’en soit la nature exacte, et que ce soit pour l’en louer ou l’en blâmer, tout le monde reconnaît que l’expérience personnelle du premier des réformateurs est à la source de sa théorie de la justification.
1. Point de départ psychologique.
Luther lui-même aimait à se présenter comme la malheureuse victime du système catholique des œuvres. S’il était entré au cloître, s’il s’y était, à son dire, livré à des austérités de toutes sortes, c’était, assurait-il vers 1539-1540, « parce que je tâchais d’arriver à la certitude que ces œuvres m’obtenaient le pardon de nies péchés. » Enarr. in Gen., xxii, dans Opéra exeg. latina, édit. d’Erlangen, t. v, p. 267. Mais, devant l’impuissance de cette méthode, il se serait jeté dans les bras de la divine miséricorde, qui sauve gratuitement le pécheur par la seule foi. Telle est la conception tendancieuse que les historiens et théologiens protestants entretiennent volontiers pour expliquer la conversion de Luther. Voir quelques témoignages dans Denifle, Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, t. a, p. 2392Il et.’i(i. r) -370. En réalité, les documents permettent d’établir que, si la part de l’expérience ne fut pas moins grande dans cet événement, elle fut d’un autre ordre. Voir Denifle, ibid., p. 377-151 et, plus loin, l’art. Luther.
Dans une lettre du 8 avril 1516, Luther encore moine invite un de ses confrères à « prendre en dégoût sa propre justice pour respirer et se confier en la justice du Christ. » C’est que beaucoup de son temps, surtout
parmi les hommes vertueux, lui paraissent tentés de présomption et appliqués à faire le bien par eux
mêmes, « jusqu'à ce qu’ils aient la confiance de se tenir devant Dieu comme s’ils étaient ornés de vertus et de mérites. » Véritable pélagianisme pratique où est oubliée la part nécessaire de la grâce. Or, continue Luther, « cette opinion, ou plutôt cette erreur, je l’ai partagée moi-même, et je travaille encore à la combattre sans en être venu à bout. » Enders, Luthers Briefwechsel, t. i, p. 29. Ce qui l’a détrompé, c’est, expliquait-il dans un sermon antérieur de quelques mois, le fait persistant de la concupiscence, qui est pour lui à la fois invincible et coupable. « Nous constatons que, malgré toute notre sagesse…, il nous est impossible d’extirper de notre être la concupiscence. Elle est pourtant contre le précepte qui dit : « Tu ne « convoiteras point, » et nous éprouvons tous qu’elle est absolument invincible. » Édition de Weimar, t. i, p. 35. C’est le Cerbère que rien n’empêche d’aboyer, le géant Antée que personne ne peut vaincre. Com. in Rom., v, 14, édition Ficker, Leipzig, 1908, t. ii, p. 145.
Luther semble l’avoir surtout ressentie sous la forme subtile de cet orgueil propre aux âmes correctes, qui en arrivent aisément à entretenir pour ellesmêmes une secrète complaisance. « Dans ma folie, je ne pouvais comprendre comment, après m'être repenti et confessé, je devais m’estimer un pécheur semblable aux autres et ne me préférer à personne ; alors, en effet, je pensais que tout avait été effacé, même intérieurement. » Ibid., iv, 7, Ficker, t. ii, p. 109. Sous le coup de cette expérience, il en vint petit à petit au sentiment contraire, c’est-à-dire que le péché continue à vivre en nous et que notre volonté est irrémédiablement mauvaise. Il ne saurait donc être question de justification intérieure, puisque le péché originel subsiste en nous sous forme de concupiscence. « Toutes les vertus coexistent dans l'âme avec les vices contraires… Le juste est toujours dans le péché du pied gauche, c’est-à-dire par le vieil homme, et dans la grâce du pied droit, c’est-à-dire par l’homme nouveau. » Sermon du 27 décembre 1515, édition de Weimar, t. iv, p. 664. Dire que nous sommes régénérés intérieurement, c’est conduire les âmes au désespoir. Il ne nous reste plus qu'à nous réfugier vers le Christ comme le poussin sous les ailes de la poule. « Parce que charnels, il nous est impossible d’accomplir la loi ; mais le Christ seul est venu l’accomplir… et il nous communique cet accomplissement. » Ibid., 1. 1, p. 35. « Il fait mienne sa justice et sien mon péché, Mais s’il a fait sien mon péché, je ne l’ai donc plus et je suis libre. S’il a fait sienne ma justice, je suis juste désormais de sa justice à lui. » Com. in Rom., ii, 15, Ficker, t. ii, p. 44. Il n’est besoin pour cela que de reconnaître « que nous ne pouvons pas vaincre le péché » et de croire en sa parole. « Par cette foi il nous justifie, c’est-à-dire qu’il nous tient pour justes. » Ibid., iii, 7, Ficker, p. 60.
2. Notion subjective de la justification.
Tous ces textes, antérieurs à la révolte de Luther, indiquent le travail qui s'était fait en son âme et comment la conscience de sa faiblesse morale, succédant à une excessive présomption, l’accule au plus noir pessimisme, d’où il ne parvient à sortir qu’en faisant planer sur son incurable misère une foi aveugle en la miséricorde de Dieu et en l’application extérieure des mérites du Christ Sauveur. « Dans ce « système » tout est subjectif : pour Luther un point de dogme n’est vrai qu’autant qu’il lui apparaît comme tel. En s’inspirant de sa pratique orgueilleuse de la vertu, la seule qu’il connût, et qu’il attribuait à tous, il répète sans cesse que toutes les œuvres faites avant la justification et l’acte même d’amour de Dieu sont à condamner comme des œuvres de la loi. En s’inspirant de son expérience personnelle, et dont seul il portait la
responsabilité, il déclare que partout et toujours la concupiscence est invincible, et il l’identifie avec le péché originel. De son intérieur, quMl attribue gratuitement à tous, jaillit la chimère de la justice extérieure du Christ, qui nous couvre comme d’un manteau. » Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 459-460. Cf. Loofs, Dogmengeschichle, p. 635-638 et 713-714, après Ritschl, op. cit., p. 153-159 et 174-185.
En un mot, la théorie de la justification par la foi s’est formée dans l’esprit de Luther pour remédier à une crise profonde de son âme. C’est une construction théologique inspirée par le sentiment de sa détresse morale et qui ne cesserait plus d'être alimentée par elle. Il en fut de même, bien qu'à un degré moindre ou en tout cas moins connu, pour les autres réformateurs. Voir pour Calvin sa lettre-manifeste à Sadolet, du mois de septembre 1532, dans Opéra, édit. Baum, Cunitz et Reuss, t. v, col. 411-412. D’où la tendance, ici érigée en doctrine, à transformer la justification en un drame psychologique où le problème serait pour chacun d’acquérir l’assurance de sa réconciliation avec Dieu. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 17871792.
Aussi cet argument expérimental tient-il déjà une grande place chez Mélanchthon, soit pour critiquer la doctrine catholique qui serait coupable d'épouvanter les consciences, Apol. conf., iv, 21, dans Mùller, op. cit., p. 90-91, et iii, 83, p. 121-122, soit pour appuyer la conception protestante seule capable de les rassurer. Ibid., 170-200, p. 133-141.
Les protestants de toutes les écoles applaudissent à cette transformation comme à un progrès, qui transplanterait la grâce de l’ordre abstrait dans la vie profonde des âmes. Et cette apparente satisfaction donnée aux besoins religieux de consciences inquiètes a pu contribuer au succès de la Réforme, comme elle a certainement présidé à ses premières origines ; mais cet avantage, si c’en est un, est compensé par le danger trop réel qui par là expose nécessairement la doctrine de la justification à se contaminer d'éléments tout subjectifs.
2° Causes auxiliaires.
A ce facteur de l’expérience
personnelle, qui fut de beaucoup le principal, d’autres vinrent prêter leur concours.
Et d’abord le souci d’exégèse historique et littérale mise à la mode par l’humanisme. Combiné avec le mysticisme ardent des premiers réformateurs, il eut pour effet général d’opposer aux systématisations scolastiques la parole de Dieu. Saint Paul en particulier apparut comme le témoin de cet Évangile vécu dont on éprouvait alors le besoin. D’où une attention plus grande accordée à ses déclarations pessimistes sur la nature humaine, à ses formules abruptes sur la justification par la foi.
Non pas que cette doctrine portât nécessairement en elle-même le principe dogmatique de la Réforme. Des humanistes comme Lefèvre d'Étaples ou Érasme savaient prendre la pensée de l’Apôtre dans sa plénitude, au lieu de s’attacher à tel ou tel de ses aspects incidents, et par là lui garder sa signification catholique. Textes dans Denifle, Die abendlâtidischen Schriftausleger, p. 279-307. L’exégèse paulinienne ne pouvait suggérer la justification par la foi seule, sans ou contre les œuvres, que chez des mystiques acquis par ailleurs à cette idée et suffisamment passionnés pour la projeter dans les textes. Mais elle pouvait et devait entretenir cette conception dans des esprits qui l’avaient déjà, en leur fournissant l’illusion de la retrouver dans l'Écriture. Il n’est pas indifférent à l’histoire de noter que la plus notable approximation du système luthérien se trouve dans le commentaire de Luther sur l'Épître aux Romains. Textes choisis dans Denifle, ibid., p. 309-331. Et l’on sait que saint
Paul ne cessa plus d’être pour les protestants l’autorité par excellence.
Il faut en dire autant des influences théologiques auxquelles le père de la Réforme a pu être soumis.
D’une part, il n’a vu de la scolastique que l’école nominaliste : l’école thomiste, autrement équilibrée, lui est re : tée inconnue. Loofs, op. cit., p. 689-690. Ce qui peut expliquer plus facilement sa réaction contre le Moyen Age dont il ne connaissait que la moindre et non la meilleure partie.
Mal préparé de ce chef à la résistance, il fut exposé à l’action des principes augustiniens, si propres à entretenir ses conceptions personnelles sur le mal de la concupiscence et la justice imputée. Le pessimisme spirituel de cette théologie offre une indéniable parenté avec celui de la Réforme. Voir col. 2129. Or Luther a connu les œuvres imprimées de Pierre Lombard et des Victorins. Il a surtout pu recevoir l’influence personnelle des théologiens augustiniens qui furent ses maîtres ou à côté desquels il a vécu. J. Paquier, Recherches de science religieuse, 1923, p. 299-301. Est-il étonnant que son esprit en ait reçu quelque empreinte ? Mais de ces matériaux théologiques, comme de ceux que pouvait lui fournir la tradition mystique du Moyen Age, seules ses convictions personnelles lui permirent de tirer parti en les encadrant dans un système nouveau. Quum doctrina de fide… lamdiu jacueril ignota, quemadmodum faleri omnes necesse est…, proclame la Confession d’Augsbourg, art. xx. Toutes les sources qu’on peut découvrir à Luther n’empêchent pas son originalité. Sa pensée n’est pas plus un produit de l’augustinisme que du paulinisme, bien qu’elle ait pu trouver dans l’un et l’autre de quoi s’alimenter.
A ces causes qui purent partiellement concourir à la genèse de la doctrine luthérienne de la justification, il faut ajouter le besoin d’opposition ecclésiastique qui servit à la maintenir et à la développer. D’une part, cette doctrine avait un aspect négatif, la condamnation des œuvres, qui fournissait une plate-forme polémique des plus larges et des plus avantageuses pour critiquer comme entachée de pélagianisme toute l’organisation catholique de la vie spirituelle : bonnes œuvres communes, ascétisme monastique, indulgences et sacrements. Par son aspect positif, savoir l’appel à la foi qui justifie, elle cadrait avec ce mysticisme et cet individualisme qui sont les marques caractéristiques de la Réforme et permettait de leur donner une sorte de base théologique. A ce double titre, la théorie de la justification était faite pour devenir le centre du nouvel évangile.
L’action convergente de ces diverses causes aide à comprendre que cet article fût déjà donné par Luther comme la summa tolius doctrinæ christianæ, Enarr. in Ps. CXXX, dans Opéra exeg. lai., édition d’Erlangen, t. xx, p. 193, et qu’il soit toujours demeuré tel parmi les siens.
il. Développement HISTORIQUE. — En raison de ce caractère fondamental, la question de la justification est étroitement liée à toutes les manifestations doctrinales qui marquèrent les débuts de la Réforme naissante. Il suflira de noter ici brièvement les principales, en vue de fournir son cadre historique à l’exposition qui doit suivre.
1° Manijesles personnels des premiers réformateurs.
— Une première source est fournie par les écrits des divers Initiateurs de la Réforme. Il est unanimement reconnu que tout l’essentiel de la nouvelle doctrine est déjà constitué dans sonespritau moment où, encore moine et professeur catholique, Luther commente l’Épitre aux Romains (1515-1516). Voir K. Holl, Die Rechi/eriigungslehre tri Luthers Vorlesung ùber den Rômerbrlef, dans Zcilscliri/t für Théologie und Kirche,
1910, t. xx, p. 245-291 ; Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 407-454 ; Loofs, Dogmengeschichte, p. 700-709 ; Seeberg, Dogmengeschichte, t. iv, p. 80-125.
Après sa rupture avec l’Église, sans être nulle part traitée ex professo, la justification par la foi s’affirme suffisamment dans les sermons ou les œuvres exégétiques du maître pour être aperçue comme une de ses erreurs. Voir spécialement le sermon De duplici justitia, vers 1519, édition de Weimar, t. ii, p. 143-152, et le commentaire sur l’Épître aux Galates, septembre 1519, ibid., p. 436-618. Plusieurs des propositions condamnées par Léon X, le 15 juin 1520, la supposent ou en dérivent : par exemple, les prop. 2-3 sur la persistance du péché originel, les prop. 31-36 sur l’extinction du libre arbitre et le vice radical de toutes nos bonnes œuvres, les prop. 10 et 15 sur le rôle de la confiance par rapport aux sacrements de Pénitence et d’Eucharistie. Denzinger-Bannwart, n. 742-743, 771-776, 750 et 755. En réponse à la bulle pontificale, vers le début de novembre 1520, Luther publia son petit traité De libertate christiana, qu’on a donné, non sans raison, Loofs, p. 736, comme la meilleure synthèse de sa doctrine en matière de justification. Édition de Weimar, t. vii, p. 49-73 ; traduction française, avec introduction et notes, par L. Cristiani, Paris, 1914. On le complétera principalement par son Traité des bonnes œuvres, 1520, édition de Weimar, t. vi, p. 196-276, et son traité De servo arbitrio, composé contre Érasme en 1525, édition de Weimar, t. xviii, p. 551-787.
Cependant Luther n’avait rien d’un docteur. Il était réservé à son jeune disciple Mélanchthon de transformer ses intuitions mystiques ou ses polémiques véhémentes en un corps raisonné de doctrines. Les Loci communes parurent en décembre 1521, petit livre dont Luther devait dire qu’il était non solum immorlalitate sed canone quoque ecclesiastico dignus. Opéra lat. var. arg., édition d’Erlangen, t. vii, p. 117. Douze éditions se succédèrent de 1535 à 1541, Corpus Reform., Brunswick, 1854, t. xxi, col. 230-242, en attendant l’édition augmentée de 1543 dont la diffusion devait être plus grande encore. Ibid., col. 561-594. Naturellement la justification y occupe la place centrale et y est traitée avec un soin tout spécial. Voir l re édition, ibid., col. 159-183, et dernière édition, ibid.. col. 739-800.
En même temps, Zwingle établissait la Réforme en Suisse sur la base des mêmes conceptions fondamentales. Mélanchthon lui a reproché de méconnaître la foi justifiante et de trop accorder aux œuvres. Lettres du 5 octobre 1529 et de mars 1530, Epist., iv, 637, et v, 670, dans Corp. Reform., t. i, col. 1099, et t. ii, col. 25. Tous les historiens modernes s’accordent à lui rendre meilleure justice et à reconnaître son accord essentiel avec Luther en matière de justification, encore que sa conception plutôt pratique de la Réforme l’empêche en général d’accorder à cette doctrine le même relief. Ritschl, op. cit., p. 165-174, et Loofs, Dogmengeschichte, p. 79-1-801. De toutes façons ses écrits n’ont pas la même importance documentaire que ceux des protagonistes du luthéranisme allemand primitif.
2° Symboles officiels de l’Église luthérienne.
Aussitôt
que le protestantisme voulut prendre figure d’Église, il éprouva l’obligation de définir ses doctrines en confessions de foi. La plus importante est la célèbre Confession d’Augsbourg, du 25 juin 1530. Texte dans J. T. Mùller, Si/mb. Bûcher, p. 35-70. Rédigée par Mélanchthon pour être soumise à l’empereur Chai’les-Quint, elle contient sous une forme succincte et modérée les positions officielles de la première Réforme. L’art. 1, De justificatione, Millier, p. 39, y est très bref ; mais il doit être complété par l’art. 2 sur le péché originel, ibid., p. 38-39, plus encore par les
art. 18-20 relatifs au libre arbitre et aux bonnes œuvres. Ibid., p. 43-46.
De la Confessio augustana est inséparable YApologia qu’en écrivit tout aussitôt son auteur. Elle fut présentée à l’empereur le 22 septembre, comme réponse à la Confutatio pontificia dont il avait été saisi le 3 août, et publiée au printemps de 1531, avec de notables remaniements, en même temps que la Confession elle-même dont elle constitue le commentaire autorisé. Texte dans J. T. Muller, p. 71-291. L’article 4 de V Augustana y est longuement justifié au double point de vue polémique et positif, ibid., p. 86-109, sans préjudice des détails complémentaires provoqués par l’art. 2 : De peccalo originali, p. 77-86, et surtout par l’art. 3 : De dilectione et implelione legis, p. 109-152. Il suffit de songer aux nombreuses monographies protestantes consacrées à la doctrine de la justification d’après YApologia, bibliographie à la fin de l’article, pour se rendre compte de l’exceptionnelle importance qui revient ici à ce document.
Telles sont les sources principales auxquelles l’histoire peut demander l’expression authentique des conceptions luthériennes sur la justification. Elles offrent une double valeur puisqu’elles sont les symboles officiels de la Réforme et que c’est d’après elles que le concile de Trente a connu et jugé le système des novateurs.
3° Documents relatifs à l’Église réjormée.
En
regard de la théologie luthérienne, la théologie réformée n’est qu’un sous-produit dont le principal intérêt réside dans les confirmations qu’il apporte ou les comparaisons qu’il autorise.
Les premières positions officielles des îéfc-Mués sont marquées par les 67 articles de Zwingle (152.i), commentés par deux petits écrits postérieurs : la Ftae > xatio adressée à l’empereur Charles-Quint le 3 juillet 530, donc contemporaine de la Confession d’Augsbourg, et Y Expositio christianæ fldei, écrite par Zwingle peu de temps avant sa mort et publiée par Bullinger en 1536. Texte dans H. A. Niemeyer, Collectio con/essionum in ecclesiis re/ormatis publicatarum, Leipzig, 1840, p. 3-77. La Confession de Bâle (1532 ?), ibid., p. 85-104, et la première Confession helvétique de 1536, ibid., p. 115122, en sont directement inspirées.
Mais c’est à Calvin que la théologie réformée doit surtout son empreinte. Deux monuments caractéristiques de sa pensée remontent à cette époque primitive : Y Institution chrétienne, dont la première édition parut en 1536, et que son auteur n’a plus cessé de reprendre dans la suite, voir Calvin, t. ii, col. 1381, et le Catéchisme de Genève, publié peu de temps après pour donner au peuple l’esprit et les éléments de la nouvelle doctrine. Texte dans Niemeyer, p. 123-168. Sa destination populaire ne lui permet pas d’être autre chose qu’un écho atténué de Y Institution. Il faut donc chercher dans celle-ci la synthèse du système calviniste. Voir Calvinisme, t. ii, col. 1398-1399.
D’après ces diverses sources, dont les premières sont de beaucoup les plus importantes, nous pouvons reconstituer les traits distinctifs de la justification selon la nouvelle foi.
/II. exposé synthétique. — Comme la justification est le centre du christianisme, surtout dans la conception protestante, on ne saurait bien la comprendre sans rappeler les principes qu’elle suppose à titre de postulats.
1° Présuppositions théologiques.
Elles sont au
nombre de deux principales, qui marquent les deux pôles opposés du problème. Voir Th. Harnack, Luthers Théologie, Erlangen, 1862, t. i, p. 253-401, et mieux J. Kôstlin, Luthers Théologie, 2e édit., Stuttgart, 1901, t. ii, p. 110-172.
1. Péché originel.
C’est d’une part le péché ori ginel qui grève l’humanité et la rend incapable de réaliser les conditions du salut.
Par où il faut entendre une corruption radicale de notre nature, qui l’empêche de connaître et d’aimer Dieu, et la tourne, au contraire, vers l’appétit des créatures. Le libre arbitre, en particulier, n’existe plus en matière morale. Nulla est voluntatis nostrx libertas.., internos affeclus prorsus nego in potestate nostra esse, écrivait Mélanchthon dès 1521. Loci corn., dans Corp. Réf., t. xxi, col. 88 et 92. De son côté, Luther, de qui procédait cette doctrine, voir son Assertio omn. artic. per bullam damnatorum, art. 36, édition de Weimar, t. vii, p. 142-149, allait prendre la plume pour écrire contre Érasme son De servo arbilrio. où s’affirme le déterminisme théologique le plus complet. Analyse dans Loofs, op. cit., p. 757-760.
Le péché originel conçu avec ces terribles effets es., identifié à la concupiscence. Celle-ci nous apparaît dès lors, non seulement comme une peine ou une faiblesse, mais comme une véritable faute : elle est le péché originel vivant et subsistant en nous. D’où il suit que, même après le baptême, le péché originel n’est pas effacé et que notre nature est par là dans un état fondamental de corruption, qui la rend, non seulement incapable do tout bien, mais foncièrement coupable devant Dieu Seeberg, Dogmengeschichle. t. iv, p. 84-89 et 163-169. Voir Péché originel.
Telles furent, comme on l’a vu col. 2132, les découvertes de Luther et telles sont les positions qui s’affirment discrètement dans l’art. 2 de Y Augustana. Muller, p. 38. Le commentaire de Mélanchthon les rend explicites à souhait, Apologia, art. 2, ibid., p. 77-86, et Calvin ne fait que les reprendre avec la rigueur dialectique qui lui est propre. Voir Calvinisme, t. il, col. 1401-1403.
2. Rédemption.
A cette déchéance de l’humanité s’oppose la rédemption par le Christ, qui est venu réconcilier avec nous le Père justement irrité, se faire victime sur la croix et par là offrir à Dieu satisfaction pour nos péchés. Confess. Aug., art. 3, Millier, p. 39, et Apologia, ibid., p. 86. Et il faut ici rappeler en passant que le système fait consister la satisfaction du Christ dans sa double obéissance, active et passive : par celle-là il accomplissait la loi à notre place, tandis que par celle-ci il payait à la justice divine la dette de nos péchés. Ritschl, op. cit., p. 217-235. Voir Rédemption. Ce point est à noter pour comprendre le concept de justification qui en dépend.
Tous les protestants sont d’accord pour insister sur ce dogme, voir Zwingle, art. 1-21, dans Niemeyer, p. 3-7 et Fidei ratio, p. 19-21, comme pour s’en faire un monopole. C’est qu’il leur permet, en proclamant le rôle du Christ comme unique et nécessaire médiateur, en affirmant la pleine suffisance de son œuvre satisfactoire, d’exclure la part des œuvres humaines et de condamner la foi catholique comme entachée de rationalisme pélagien.
3. Plan divin du salut.
On ne donnerait d’ailleurs pas à ces thèses abstraites toute leur valeur si on n’ajoutait qu’elles commandent le plan divin du salut, qui à son tour sert à les illustrer.
L’apôtre saint Paul a décrit en traits vigoureux, Rom., c. i-m, l’impuissance à faire le bien, soit des gentils avec la seule loi naturelle, soit des juifs avec la seule loi mosaïque, pour faire éclater d’autant mieux l’universelle nécessité de la Rédemption dans le Christ. Cette vue religieuse de l’histoire a été reprise et exagérée en fonction de leur système par les protestants. Voir Mélanchthon, Apol., art. iv, Muller, p. 87-95. Ils y voient en acte dans l’expérience séculaire de l’humanité le drame de la justification qui doit se renouveler en chacun de nous : vanité et corruption de nos œuvres propres ; rôle accusateur de la loi, qui fait
ressortir notre misère par l’impuissance où nous sommes de satisfaire à ses exigences ; en un mot, déchéance incurable et profonde, à la fois signe et cause de la colère divine, jusqu’à ce que luise enfin sur le monde désespéré la lumière de l’Évangile annonçant la bonne nouvelle du salut dans le Christ. Voir Th. Harnack, op. cit., t. i, p. 475-599, et t. ii, p. 59-108 ; Kôstlin, op. cit., t. ii, p. 224-230.
Sur ces bases dogmatiques l’édifice de la justification spécifiquement protestante allait s’élever.
2° Notion de la justification.
Elle est résumée en
ses traits essentiels dans l’art. 4 de la Confession d’Augsbourg, Millier, p. 39 : Item doce.nt quod homines non possinl justificari coram Deo propriis viribus, meritis aut operibus, sed gratis justificentur propter Christum per fidem, quum credunt se in gratiam recipi et peccata remitli propter Christum qui sua morte pro nostris peccatis satisfecit. Hanc fidem imputât Deus pro justifia coram ipso. Cf. art. 20, p. 44. Formule où l’on peut distinguer une partie négative et critique, marquant ce que la justification n’est pas, suivie d’une partie positive qui en indique les conditions et la nature.
1. Aspect négatif et critique.
Tout le pessimisme
théologique de la Réforme, toute son exégèse uniquement attachée à la lettre de quelques passages de saint Paul, le dogme même de la rédemption et de la grâce qu’elle voulait maintenir non sans en abuser, tout cela s’accordait pour faire poser en principe et souligner avant tout que l’homme ne saurait se justifier par lui-même. Imaginer le contraire est un attentat sacrilège contre les droits de Dieu et l’œuvre du Rédempteur. L’Écriture et l’expérience s’accordent à dire que la justification n’est pas due à nos mérites. Dans son commentaire de l’Épître aux Romains, Denifle, p. 319, Luther admettait une préparation à la justification et Loofs ici encore a parlé de « crypto-pélagianisme », op. cit., p. 700. Mais la logique du système entraîne bientôt maître et disciples à exclure toute œuvre humaine.
Au nom de ce principe, non seulement on condamne, en effet, les observances monastiques ou l’abus de pratiques purement extérieures, Apolog., iv, 10, mais on s’acharne contre toute œuvre morale. Tout au plus l’homme peut-il accomplir correctement externa opéra civilia ; mais il lui est impossible d’obéir à la loi divine avec l’esprit et la perfection qui conviennent, impossible surtout d’aimer, de craindre et prier Dieu, de se préparer à la grâce en faisant ce qui dépend de lui par le repentir et les bonnes œuvres. S’il en était ainsi, ce serait une juslilia rationis, et alors à quoi bon l’avènement du Christ ? Quid inleresl inler philosophiam et Christi doctrinam ? Si meremur remissionem peccalorum liis nostris actibus elicitis, quid prwstat Clirislus ? Si justificari possumus per raiionem et opéra rationis, quorsum opus est Christo aut regeneralione ? Apolog., iv, 12, p. 88. Cf. ibid., 87, p. 103, où sont nettement exclues, avec les œuvres légales, toutes sortes d’opéra moralia.
Même avec le secours de la grâce, la nature ne peut accomplir un acte d’amour divin dont elle est incapable : sine juslilia fidei nique exislcre dilectio Dei in hominibus, neque quid sit dilectio Dei inielligi potest. Ibid., 18, p. 90. Cꝟ. 28-35, p. 91-93. D’aucune façon, par conséquent, il ne saurait être question de mérites antérieurs et préparatoires à la foi. Le mérite de congruo lui-même n’est qu’une subtilité inventée pour parer au reproche de péiagianisme. Num si J)cus necessario dut gratiam pro mérita congrui, jam non est meritum congrui, sed meriluni condigni. Ibid., 17-19, p. 89 90.
A ces arguments théologiques, l’expérience ajoute son appoint. Car la fiducia operum ne saurait qu’abou tir, ou bien à l’hypocrisie chez les âmes suffisantes qui se confient hardiment en leur propre justice, ou bien au désespoir chez les âmes timorées qui multiplient les bonnes œuvres sans avoir le sentiment d’en avoir jamais fait assez. Ibid., 20-21, p. 90-91.
Toute cette doctrine se résume en un mot, d’apparence affirmative, mais qui n’est, en réalité, qu’une formule d’opposition à la valeur des œuvres humaines : gratuité de la justification. Gratuilum excluait noslra mérita, lit-on un peu plus loin, ibid., 53, p. 96. Cette notion n’est pas seulement imposée par le nom même de grâce et les paroles formelles de saint Paul, Rom., xi, 6 : elle est inhérente à tout l’ensemble de la révélation évangélique, qui s’annonce comme une promesse bénévole de salut pour nous donner ce que la loi ne pouvait accomplir. Ibid., 40-42, p. 94.
2. Aspect positif : Conditions de la justification. — lue fois écartée l’œuvre de l’homme, même sous sa forme la plus bénigne, il ne reste plus comme condition nécessaire et suffisante de la justification que la seule foi
a) Rôle exclusif de la foi. — Cependant la Confession d’Augsbourg use ici d’euphémisme, pour ne pas dire d’équivoque, en se contentant d’écrire sans autres précisions : Docent quod homines… gratis justificentur propter Christum per fidem. Il est vrai qu’un peu plus loin, art. 20, p. 44, on lit : Justificationem tantum fide consequimur. En réalité, toute l’évolution du mysticisme luthérien et toute la logique de sa théologie l’acculaient à la formule exclusive : sola fide, qui du reste était depuis longtemps son programme.
Si Luther, dans son commentaire de l’Épître aux Romains, gardait encore assez de la tradition catholique pour compléter saint Paul à l’aide de saint Jacques, la remarque a déjà été faite qu’il parle surtout des œuvres accomplies par l’homme déjà justifié. Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 439-440. Voir les textes dans Die abendlàndischen Schriflausleger, p. 315-331. Mais, dans son commentaire de l’Épître aux Galates (1519), son point de vue spécial s’accuse nettement par cette distinction : Vides quam non su/ficiat sola fides, et lamen sola justificat. In Gal., v, 21, édition de Weimar, t. ii, p. 591. Par où il ne faut pas entendre seulement, au sens dogmatique, que l’on ne saurait être justifié que par la foi : Xeminem justificari posse nisi per fidem, Acta augustana, 1516, édition de Weimar, t. ii, p. 13, mais encore, au sens psychologique et moral, qu’il n’est pas besoin d’autre disposition : Anima per fidem solam… justificatur, sanctificatur, verificatur, pacipeatur… ne cuiquam opus sit lege aut operibus ad justiliam et salutem. De lib. christ., 10, édition de Weimar, t. vii, p. 53 ; trad. Cristiani, p. 35. Cet attachement exclusif à la foi seule est tellement profond chez Luther qu’il glisse — inconsciemment peut-être — cette réserve dans les textes évangéliques, tels que Joa., vi, 29, qui ne la contiennent pas. Ibid., 8, p. 52, et Cristiani, p. 31. D’une manière plus consciente il a modifié dans le même sens la traduction de Rom., iii, 28 et maintenu violemment cette version tendancieuse contre les « criailleries des papistes ». Edition de Weimar, t. xxx b, p. 636-612. Il n’est pas de point plus fondamental dans le système Luthérien. Voir les textes réunis dans Th. Harnack, op. cit., t. ii, ]>. 430-443.
Aussi bien, si le tenue sola fide ne Qgure pas dans la Confession d’Augsbourg. et cela par une prudence facile à comprendre, il est repris et expressément commenté par Mélanchthon : Cognitio Christi fusttflcatio, cognitio autem sola fides est… Unii’ersx vitiv jnstitia non alia nisi fides, avait-il écrit dans Loc. com., Corpus Réf., t. xiii. C*0l, 178 et 179. De ces formules lapidaires VApologiu fournit un ample développement. Pour les Justifier, l’auteur remonte aux principes
essentiels qui caractérisent l’économie du salut selon la Réforme. S’il est vrai qu’il n’y a pas d’autre médiateur que le Christ, la justification doit en tenir compte et ne peut, dès lors, consister qu’à croire en ses mérites. Quomodo enim erit Christus mediator si in justificatione non utimur eo mediatore ?… Id autem est credere confédéré merilis Christi. De même, ce n’est pas la loi qui nous sauve, mais la promesse qui nous vient du Christ ; al hœc non potest accipi nisi fide. D’où il suit que la foi n’est pas seulement une condition préliminaire, initium justificationis seu præparatio ad justiflcationem. Elle renferme en elle-même et en elle seule la totalité de la justification : Hoc defendimus quod proprie ac vere ipsa fide propter Christum justi reputemur seu acceptiDeo simus. Apol., iv, 69-71, p. 99-100.
C’est pourquoi Mélanchthon accepte hardiment la formule sola fide, ou, suivant ses propres termes, Vexclusiva sola, qu’il lit équivalemment dans Rom., iii, 24, 28 et Eph., ii, 8. Une longue argumentation complémentaire, établie sur le concept de la rémission des péchés, aboutit à la même conclusion. Consequi remissionem peccalorum est justi ficari… Sola fide in Christum, non per dilectionem, non propter dilectionem aut opéra consequimur remissionem peccalorum… Igitur sola fide justi ficamur. Ibid., 75-78, p. 100.
La même doctrine s’exprime également chez les réformés. Témoin cette formule toute primitive de Calvin : Sola Dei misericordia constat nostra juslificatio, quam dum fides apprehendit justi ficare dicitur. Inst. chr., édition de 1536, dans Calvini opéra, t. i, col. 81. Cf. Catech. Gen., dans Niemeyer, p. 138. Dans l’édition de 1539, x, 10, ibid., col. 742-743, Calvin prend à son tour contre les « sophistes » la défense formelle de la particule sola. Aussi en trouve-t-on l’équivalent adouci dans les plus anciennes confessions de foi, telles que la Conf. Basil, prior, art. 9 : Justitiam… non tribuimus operibus…, sed lantum verse fiduciie et fidei in effusum sanguinem Agni Dei, Niemeyer, p. 99, et la première Confession helvétique, art. 12 et 14, ibid., p. 118 : … Sola nos Dei misericordia et Christi merito servari… Non quidquam tamen his officiis, licel piorum, sed ipsi simpliciter (fidei) justi ficationem… tribuimus.
b) Nature de la foi justifiante. — Que faut-il donc entendre par cette foi justifiante ? La pensée des réformateurs est loin d’être aussi claire ou aussi uniforme sur ce point. Elle se caractérise pourtant, d’une manière générale, en ce que, pour eux, foi est synonyme de confiance et signifie avant tout un mouvement du cœur. Voir Foi, t. vi, col. 60-63.
Bien que la doctrine de Luther ne soit pa-s exempte d’obscurité, Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 440-444, et t. iii, p. 256, elle est certainement dominée par ce concept mystique de la foi. De bonne heure, sa crise de conscience l’amenait à traduire la foi par le sentiment de la miséricorde divine. Loofs, Dogmengeschichle, p. 697, et Seeberg, Dogmengeschichte, t. iv, p. 104-107, 217-220. La même conception s’exprime formellement chez Mélanchthon : Fides non aliud nisi fiducia misericordiæ divinse. Loc. com., édition de 1521, dans Corp. Reform., t. xxi, col. 163. Cf. col. 164, où croire est traduit par fidere graluila Dei misericordia. Assurément cette foi suppose d’abord la connaissance de la divine révélation et l’adhésion de l’esprit à la Rédemption par le Christ qui en est le principal élément. C’est pourquoi la Confession d’Augsbourg semble prendre la foi au sens objectif et dogmatique de l’Église. L’art. 4 est, en tout cas, rédigé de telle façon qu’il est susceptible d’être interprété dans ce sens : Gratis justi ficantur propter Christum per fidem, quum credunt se in gratiam recipi et peccala remitti propter Christum. Muller, p. 39. Cf. art. 20, p. 44 : Credenles quod propter Christum recipiemur in gratiam. D’où il suit qu’avec l’histoire du Christ la foi doit en’atteindre l’effet salutaire : …Fidem quæ crédit non lantum historiam sed etiam effectum historiée, videlicet hune arliculum remissionem peccatorum. Ibid., p. 45,
Cependant le fait que ces formules sont rédigées à la première personne indique déjà qu’il ne s’agit pas seulement d’adhérer à une doctrine générale, mais d’en avoir la perception personnelle. Et ceci tient au principe même du système, d’après lequel la justification est un acte psychologique et subjectif. Dixi neminem justi ficari posse nisi per fidem, sic scilicet ut necesse sit eum certa fide credere sese justificari et nullo modo dubitare. C’est ainsi que Luther établissait, en 1518, sa position à l’égard de l’Église, Acta augustana, édition de Weimar, t. ii, p. 13 : il a toujours continué à s’y maintenir. Fiducia cordis per Christum in Dzum est pour lui le dernier mot de la justifia christiana. In Gai, iii, 6, même édition, t. xl, p. 366. Autres textes dans Th. Harnack, op. cit., t. ii, p. 435-439, et J. Kôstlin, op. cit., t. ii, p. 180-183.
Mélanchthon définit pareillement la foi comme étant le sensus misericordise Dei. Loc. com., dans Corp. Reform., t. xxi, col. 163. Aussi dans VApologia, à côté des passages où la foi est prise au sens objectif : assentiri promissioni Dei…, velle et accipere oblatam promissionem remissionis peccatorum, iv, 48, Muller, p. 95, ou encore : quoties nos de fide loquimur intelligi volumus objectum, scilicet misericordiam promissam, ibid., 55, p. 96, voit-on apparaître la fiducia misericordiæ Dei, ibid., 58, p. 97. Et celle-ci ne peut que signifier un mouvement subjectif du cœur : Sola fide consequimur remissionem peccatorum, quum erigimus corda fiducia misericordiæ propter Christum promissse. Ibid., 79, p. 101. Cꝟ. 86, p. 103 : Reconciliati… per misericordiam propter Christum, si tamen hanc misericordiam fide appréhendant. Ailleurs on voit clairement que cette foi prend un caractère expérimental : Hoc proprie fidei est illius, de qua nos loquimur, quæ sentit se habere Deum placalum. Ibid., ni, 153, p. 136. Cf. xii, 35-36, p. 172, et 60, p. 177 : Nos præter hanc fidem (in génère) requirimus ut credat sibi quisque remitti peccata, ou encore ibid., 73-74, p. 179-180, où il se réclame de saint Bernard.
Cet aspect subjectif de la foi justifiante prend sous la plume de Calvin une forme didactique et précise : Hic præcipuus fidei cardo vertitur, ne quas Dominus offert misericordiæ promissiones extra nos tantum veras esse arbilremur, in nobis minime ; sed ut potius eas intus complectendo nostras faciamus. Hinc demwn nascitur fiducia… Est autem securitas quæ conscientiam coram Dei judicio sedat et serenat. Inst. chr., v, 9, édition de 1539, dans Opéra, t. i, col. 458. Formule qui donne son vrai caractère à cette autre, un peu antérieure, où Bellarmin, De justifie, i, 4, Opéra, t. vi, p. 153-154, croyait voir un concept d’ordre intellectuel : Nunc jusla fidei definilio nobis constabil si dicamus esse diuinæ erga nos benevolentiæ firmam certamque cognilionem, quæ graluitæ in Christo promissionis veritate fundala per Spirilum Sanctum et reuelatur mentibus nostris et cordibus obsignatur. Ibid., 6, col. 456. Car, si cette révélation repose, à n’en pas douter, sur une base objective, elle ne produit son effet qu’en devenant une persuasion personnelle. Quod adeo verum est ut sœpiuscule pro fiducia nomen fidei usurpetur. .. Id autem fieri nequit quin ejus (Dei) suaoitalem vere senliamus et experiamur in nobis ipsis. Toute autre conception s’arrête à mi-chemin. Ibid., 8, col. 457458.
Et rien n’est, en somme, plus logique. Du moment que l’homme est incapable d’aucune bonne œuvre pour se préparer à la justification, il ne lui reste plus d’autre ressource que de s’abandonner à la divine miséricorde avec la ferme confiance que, malgré sa misère, les mérites du Christ lui sont appliqués : Fide medialorem
Christum opponere debeamus iræ Dei, non opéra nostra Mélanchthon, Apol, v, 84, p. 182.
3. Aspect positif : Nature de la justification. — En elle-même, la justification comporte nécessairement un double élément, savoir la rémission du péché et le don de la grâce. Sur l’un et l’autre la Réforme a mis sa marque spéciale.
a) Rémission du péché. — Il faut se rappeler qu’à la base du système se trouve l’identification du péché originel et de la concupiscence. Celle-ci est donc absolument mauvaise en elle-même et, comme elle ne cesse d’exister en nous, il s’ensuit que nous sommes toujours en état de péché. La grâce de la justification consiste seulement en ce que ce péché ne nous soit pas imputé.
Telle est la conception à laquelle, sous l’influence de la théologie nominaliste et de quelques textes tendancieusement compris de saint Augustin ou de saint Paul, Luther était nettement arrivé dès son commentaire sur l’Épître aux Romains. Sancti intrinsece sunt peccatores semper : ideo extrinsece justificantur semper… Intrinsece dico, id est quomodo in nobis…, extrinsece autem quomodo apud Deum et in repulatione ejus sumus. Igitur… ex sola Dei reputalione justi sumus… Rêvera peccatores, sed repulatione miserentis Dei justi. Et son mysticisme s’édifie de cette étrange contradiction : Mirabilis et dulcissima misericordia Dei, qui nos simul peccatores et non peccatores habet ; simul manet peccalum et non manet. In Rom., iv, 7, Ficker, t. ii, p. 104106, et de même plus bas, p. 124 : Nunquam remiltitur omnino, sed manet et indiget non imputalione, ou encore p. 115 : Sciunt (sancti) in se esse peccatum, sed propter Christum legi et non imputari. Conduit à cette conception par les expériences douloureuses de sa conscience, Denifie, trad. Paquier, t. ii, p. 445-454, et t. iii, p. 3641, Luther la garda toute sa vie. Voir Th. Harnack, t. ii, p. 424-426 et J. Kôstlin, t. ii, p. 192-194. La formule suivante résume sa pensée : Dominus g’ratuilo non imputando remittil. Dictata sup. Psalt., Ps. xxxi, 2, édition de Weimar, t. iii, p. 175. Cf. t. xl, p. 233-235.
Sous une forme moins vibrante mais non moins nette, elle se retrouve chez les autres réformateurs. En termes juridiques très étudiés, Mélanchthon, dès la première édition de ses Loci communes, parlait de condonatio peccati. Corp. Reform., t. xxi, col. 140. Dans son Apologia, la remissio peccatorum joue un très grand rôle, en particulier iv, 75-110, p. 100-107, comme dans la Confession d’Augsbourg elle-même, art. 4 et 12, p. 39-41. La manière dont il l’entend se fait jour quand, à propos du péché originel, il adopte et défend la doctrine de Luther : Peccatum originis manere post baplismum… Hic palam falctur esse, hoc est manere peccatum, lametsi non imputetur, ii, 35-36, p. 83. Cf. ibid., 38-41, p. 84. Néanmoins cette théorie reste, en somme, discrète dans V Apologia, et dans ce fait on peut voir un germe de l’évolution postérieure de son auteur.
Chez Calvin également, la concupiscence est un péché, et qui demeure même chez les saints, mais qui ne leur est pas imputé. Insl. chr., édit. de 1539, ii, 63 et 64, Opéra, 1. 1, col. 348-3 19. Il faut toujours entendre dans ce sens juridique et extérieur d’une remise des péchés, et non d’une rémission véritable, cette remissio peccatorum dont la Réforme se plaisait à faire état.
b) Imputation de la justice ; Le (ail. — La nonimputation du péché a pour corrélatif le don divin de la grâce, qui est elle-même conçue comm ; une simple imputation : le caractère de l’une entrain. 1 celui de l’autre. Pour Luther, c’est, en effet, tantôt Celle Ci qui est la raison logique de celle-là : Tuli enim (credenti ) non imputai peccatum quia reputat ei jusliliam, ! n Ps. xxxi, 2, édition de Weimar, i.iu, p. 175 ; d’autres fois, au contraire, c’est la seconde qui est équiparée à la première et par elle expliquée : Jusliliam dari per
reputationem sine operibus, quod utique fit per nonimputationem injustitiæ. Ergo idem est dicere : « Cui Deus reputat jusliliam » et « Cui Dominus non imputai peccatum. » In Rom., iv, 7, Ficker, p. 119. De toutes façons son hostilité contre les habitus infus de la scolastique le fait insister sur le caractère purement extrinsèque de la grâce : Extrinsecum nobis est omne bonum noslrum quod est Christus. In Rom., iv, 7, Ficker, p. 114. Aussi être justifié est-il toujours synonyme pour lui d’être tenu pour juste : Justi jical, id est justos reputat. In Rom., ni, 7, Ficker, p. 59-60. Voir encore cette glose caractéristique, en marge de Rom., ii, 13 : Non enim quia juslus est ideo reputatur a Deo, sed quia reputatur a Deo ideo justus est. Ficker, 1. 1, p. 20,
C’est pourquoi il ne veut rien savoir d’une justice qui serait une réalité intérieure à notre âme : Justitiam non esse formaliter in nobis, ut Aristoteles disputai, sed extra nos in sola gratia et reputalione dioina. Et nihil formée seu juslitiæ in nobis esse præler illam imbecillem fidem seu primilias fidei quod cœpimus apprehendere Christum ; intérim lamen vere peccatum in nobis manere. Deuxième commentaire de l’Épître aux Galates (1535), iii, 6, édition de Weimar, t. xl a, p. 370. Cf. ibid., ii, 16, p. 225-228. Autres textes réunis dans Loofs, Dogmengeschichle, p. 702 et 706.
On a pu reprocher à Mélanchthon dans sa première manière quelque hésitation, plus exactement quelque confusion sur ce point. Loofs, Dogmengeschichle, p. 825-827 et 836-837. Il admet, en effet, comme également scripturaires l’interprétation réaliste ou l’interprétation purement déclarative de la justification. Et quia justifïcari significal ex injustis justos effici seu regenerari, significal et justos pronuntiari seu repulari. Ulroque enim modo loquitur Scriplura.. Mais, dans ce texte même, on peut déjà voir que la seconde a ses préférences. Il avait d’ailleurs écrit quelques lignes plus haut : Fide propter Christum justi reputemur seu accepli Deo simus. Apol., iv, 72, Millier, p. 100. Aussi peut-on croire que l’idée d’une justification réelle est une concession faite momentanément à ses adversaires, tandis qu’il se rallie partout pour son compte à la notion de justice imputée.
c) Imputation de la justice : Le mule. — Il est d’ailleurs assez difficile de savoir en quoi consiste exactement cette imputation. Dans les débuts, il semble que Luther ait conçu que ce soit la justice même du Christ qui nous est imputée à cause de notre foi. (Christi) justitia eos (peccatores) tegit et cis imputatur. In Rom., vii, 25, Ficker, t. ii, p. 176 Le Christ serait ainsi « le manteau qui cache notre honte ». Peccatum adest, adest vere… ; sed ignoratur et absconditum est apud Deum, obstante mediatore Christo. Deuxième com. sur Gai..n, 16, édition de Weimar, t. xl, p. 234.
Aucune conception n’était plus conforme à ses propres expériences et au pessimisme moral qui en fut le fruit. Denifie, trad. Paquier, t. ii, p. 436-440 et t. iii, p. 67-70. Ce qui lui faisait dire que la justification n’est, de notre part, que pure passivité. Ad primim gratiam, sicut et ad gloriam, semper nos habemus passive sicut millier ad conceptum. In Rom., viii, 27, Ficker, t. ii, p. 206. Autres textes dans Denifie, trad. Paquier, t. iii, p. 261-263, et Loofs, p. 709. Doctrine mystique dont on trouve l’écho fidèle dans les Loci de Mélanchthon : Justi ficamur… ciun illi fuie adluvremus, nihil dubitantes quin Christi justitia sit nostra justilin. quin Cliristi satisjaclio sit expialio nos tri. Corp. Reform., t. xxi, col. 159. Cf. Apolog., iii, 56, Millier, p. 118 : Senticndum est quod reconciliati fide propter Christum justi repulemur. Elle est toujours resiée un élément capital dans le concept luthérien de la Justification. Voir Th. Harnack, op. cit., t. ii, p. 1 13-1 17, et J. Kostlin, op. cil., t. ii, p. 197-201.
Cependant on croit saisir une autre nuance quand Luther dit que c’est notre foi qui nous est imputée à justice : Fides sufflcit sine Mis operibus, et ita non est operantis sed Dei acceptantis fldem ipsius ad justitiam. Glose interlinéaire sur Rom., x, 6, et iv, 4, Ficker, 1. 1, p. 93 et 37. Foi qui assurément est un don de Dieu, mais qui est aussi une soumission de notre part, propre à lui rendre hommage. De lib. christ., 11, trad. Cristiani, p. 35-36. Où l’on entrevoit que la foi est un acte moral dont la valeur n’est pas à négliger.
De subtils interprètes expliquent, en effet, que la justification d’après Luther serait un processus vital commencé en nous par l’acte de foi et que Dieu accepte, malgré son insuffisance, parce qu’il en comble le déficit au moyen des mérites du Christ déjà vivant en nous. Seeberg, Doymengeschichle, t. iv, p. 108-116 et 238-245. Bien que foncièrement hostile à la doctrine des œuvres, Luther s’en rapprocherait ici d’une manière assez notable et l’on comprendrait par là que cette considération surgisse surtout dans les moments où il s’agit d’atténuer le paradoxe inquiétant de la justification par la seule foi.
Toujours est-il que c’est tantôt le Christ qui est appelé par lui notre justifia formalis, Lettre à Brenz de 1531, dans Enders, t. ix, p. 20, tantôt la foi elle-même, deuxième commentaire sur l’Épître aux Galates, m, 6, édition de Weimar, t. xl, p. 364. Ces variations de Luther sont déjà relevées par Bellarmin, De juslif., ii, 1, Opéra omnia, t. vi, p. 208. Et la raison dernière de cette divergence est sans doute que, dans cette intelligence plus ardente que précise, la foi est moins un acte à nous qu’un acte de Dieu en nous. Denifle, trad. Paquier, t. iii, p. 280 et 284-286. C’est pourquoi sa valeur subjective se confond avec sa portée objective, qui est de nous revêtir de la justice même du Christ : Fides est hase vestis qua induimus justitiam Christi coram Deo. Opéra lat. var. arg., édition d’Erlangeh, t. vii, p. 431-432. Ou encore : Fide apprehensus et in corde habitons Christus est justifia christiana propter quam Deus nos reputat juslos, deuxième com. de Gal., ii, 16, édition de Weimar, t. xl, p. 229. Cf. ibid., p. 233 : Fides apprehendit Christum… includitque eum ut annulus gemmam.
Dans la Confession d’Augsbourg et son Apologie, chaque fois qu’on se trouve en présence de formules précises, c’est partout notre foi qui nous est imputée à justice, parce que, tout imparfaite qu’elle soit, elle est tenue par Dieu comme suffisante… Gratis justifteentur propter Christum per fidem, quum credunt se in gratiam recipi… Hanc fidem imputât Deus pro justifia coram ipso, art. 4, Mûller, p. 39. Fidèle à cette doctrine, Mélanchthon d’exposer à son tour quod fides sit ipsa justifia qua coram Deo justi reputamur. Apol., iv, 86, p. 103. Et encore, ibid., 89, p. 104, à propos de Rom., iv, 5 : Hic clare dicit fidem ipsam imputari ad justitiam. Fides igitur est Ma res quam Deus pronuntiat esse justitiam et addit gratis imputari. Cf. ibid., 114, p. 108 : Hac fide iusti reputamur propter Christum, et xii, 36, p. 172 : Hœc fides justi ficat coram Deo. Pour la position des réformés, voir Calvinisme, t. ii, col. 1403-1404.
d) Rôle de la foi. — Il ne faut d’ailleurs pas se méprendre sur le rôle de cette foi. Les réformateurs entendent bien exclure tout ce qui en ferait une œuvre méritoire. Elle ne reste plus, du côté de Dieu, que comme une condition à l’octroi de sa grâce, de notre côté, que comme le moyen d’appréhender, pour nous en couvrir, la justice du Christ.
Propter fidem quæ apprehendit Fitium nos reputat justos, disait Luther, Enarr. in Gen., xv, dans Opéra exeg. lat., édition d’Erlangen, t. iii, p. 301-302. Cf. Th. Harnack, op. cit., t. ii, p. 431-433 et 439-441 ; J. Kôstlin, op. cit., t. ii, p. 195-197. D’une manière un peu moins nette, mais dans un sens manifestement ana logue, Mélanchthon expose que toute la valeur de la foi lui vient de ce qu’elle reçoit ou saisit la promesse du pardon divin. Nam fides non ideo justi ficat et salvat quia ipsa sit opus per sese dignum. sed tantum quia accipit misericordiam promissam. Apol., iv, 56, p. 96. Formule qu’on retrouve ibid., 86, p. 103. Cf. xii, 80, p. 181 : Necesse est contritos apprehendere fide promissionem remissionis peccatorum donatse per Christum
Ce qui fait que la foi n’est, au total, qu’une condition préalable pour bénéficier de l’imputation que Dieu nous fait de la justice du Christ. Quia justifia Christi donatur nobis per fidem, ideo fides est justifia in nobis imputative, id est : est id quo efficimur accepti Deo propter imputationem et ordinationem Dei. Ibid., iii, 186, p. 139-140. Cf. Loofs. Dogmengeschichle, p. 835836. Il avouait d’ailleurs que dans V Apologia il n’avait pas pu dire toute sa pensée et se montrait plus explicite dans sa correspondance. Corp. Re/orm., t. ii, col. 501-502.
e) Conséquence : Justification forensique. — D’où il suit que, strictement parlant, la justification demeure extérieure à notre âme. Elle est seulement une procédure divine qui consiste à ne plus tenir compte de nos péchés et à nous appliquer du dehors les mérites du Sauveur. Un historien protestant, Loofs, p. 697, ramène toute la piété de Luther et toute sa conception du christianisme à cette triple égalité : justi ficari = absolvi ; gratia = misericordia Dei non imputantis ; fides = fiducia misericordiae. Cet extrinsécisme fondamental devait conduire les théologiens de la Réforme à équiparer la justification du pécheur par Dieu à celle que les tribunaux prononcent sur l’accusé.
Mélanchthon, qui semblait tout d’abord réserver l’analogie de Vusus forensis pour caractériser la doctrine de saint Jacques où intervient la considération de nos œuvres, Apol., iii, 131, p. 131, finit par l’adopter pour son propre compte, à propos de Rom., v, 1 : Justificare hoc loco forensi consuetudine signifteat reum absolvere et pronuntiare justum sed propter alienam justitiam, videlicet Christi, quæ aliéna justifia communicatur nobis per fidem. Ibid., 181, p. 139. Il n’a plus cessé de l’entendre ainsi dans la suite. Nim Hebrœis justificare est foreuse verbum ; ut si dicam : populus Romanus justificavit Scipionem accusatum a tribunis, id est absoluit seu justum pronuntiavit. Lie. com., édition de 1535, dans Corp. Reform., t. xxi. col. 421, et édition de 1559, ibid., col. 742. Même principe et même exemple historique dans Com. in Rom., introduction intitulée Summa doctrinse… de jwstificatione, t. xv, col. 510.
On trouve également chez Calvin une doctrine et une image de tous points identiques : Juslificxri coram Deo dicitur qui judicio Dei censetur justas… Quemalmjdum si reus innocens ad tribunal œqui judicis adiacatur, ubi secundum innocentiam ejus judicatum tuerit, justificatus apud judicem dicitur, sic apud Deum justi ficatur qui, numéro peccatorum exemptus Deum habet suse justifias testem et assertorem. Et il va de soi que cette justice n’est pas la sienne, mais celle du Christ dont il est revêtu : Justificabitur Me fide qui, operum justilia exclusus, Christi justitiam per fidem apprehendit, qua vestitus in Dei conspectu non ul peccalor sed tanqaam juslus apparet. Inst. christ., x, 2, édilion de 153J, dans Opéra, t. i, col. 737-738.
Un non-lieu divin, tel serait ainsi le dernier mot de l’économie du surnaturel en nous.
3° Propriétés de la justification — Il suffisait aux premiers réformateurs de marquer leurs principes essentiels, sans se livrer encore à cette analyse méthodique des propriétés de la justification qui devait tenir tant de place dans la scolastique protestante des siècles suivants. Cependant il faut relever encore quelques-unes de leurs positions secondaires, ne lût-ce
que pour comprendre l’enseignement que le concile de Trente dut leur opposer. Elles sont relatives à l’état de l’âme justifiée, point sur lequel la Réforme naissante n’est pas parvenue à sortir d’une profonde confusion.
1. FIBSI de la justification.
D’une part, en effet, la justification est ici un état progressif et jamais achevé. Semper homo fchristianusj est… in fïeri, disait Luther dans ses premières notes sur l’Épître aux Romains, xii, 2, Ficker, t. n. p. 266-267. Ce qui est vrai d’un point de vue objectif : Deus est adhuc in aclu juslificationis non completo, mais aussi du point de vue subjectif : Colidie justificamur immerita remissione peccatorvm. Disp., édition Drews, p. 49 et 154. Tous les historiens protestants ont insisté sur cet aspect de la pensée luthérienne, qui peut tout d’abord sembler favorable à l’action conquérante de la grâce en même temps qu’à l’effort moral de l’homme pour y coopérer. Voir Seeberg, Dogmengeschichte, t. iv, p. 111-112.
Mais Luther ne se rapproche du catholicisme qu’en apparence. Car ce fieri de la justification emporte pour lui la conséquence que le point de départ n’en est jamais acquis. Non justificavit nos, id est perfecit et absolvil justos ac justiliam, sed incepil ut perfteiat. In Rom., iii, 21, Ficker, t. ii, p. 94. Incipit enim remissio peccatorum in baptismo et durât nobiscum usque ad mortem. Disp., édit. Drews, p. 46. Le point d’arrivée n’en est pas moins problématique ; car notre justification tst seulement commencée, donc à peine réelle. Omnis qui crédit in Christum juslus est, nondum plene in re, sed in spe. Cceplus est enim juslificari et sanari. Ccm. in Gal., ii, 17, édition de Weimar, t. ii, p. 495.
De telle sorte que nous ne sommes pas précisément des juslificali, mais plus exactement des justifleandi. In Rem., iv, 7, Ficker, t. ii, p. 111. II s’ensuit que la justification n’est, en somme, qu’une espérance et non point une réalité. Sic ergo in nobis sumus peccatores et lemen, reputante Deo, justi per fidem… Numquid ergo perjecte juslus ? Non, sed simul peccator et justus, peccator rêvera sed juslus ex reputatione… Ac per hoc sanus perjecte est in spe, in re autem peccator, sed inilium habens jusliliw. Ficker, ibid., p. 107-108.
Pour paradoxale qu’elle nous paraisse, aucune conception n’était plus logique dans un système qui identifie le péché originel et la concupiscence, Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 446-454, et subordonne à la foi la valeur, non seulement de nos œuvres, mais encore des sacrements. Ibid., t. iii, p. 70-71.
2. Certitude de la justification.
Malgré cet état précaire de notre justification, chacun de nous peut et doit la tenir pour certaine.
Au début sans doute Luther affirmait plutôt le contraire. Le lait a été mis en évidence par Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 443-444, et accepté par des protestants tels que Loofs, p. 707, contredit par R. Seeberg, t. iv, ]). 108. Il faut d’ailleurs en chercher la raison moins dans un reste d’attachement à la tradition catholique que dans le pessimisme moral qui désole en ce moment l’âme du réformateur. Car, s’il est certain que nous sommes sauvés par la foi, cette foi elle-même demeure incertaine. Quamquam enim certi simus nos in Christum credere, non tamen certi sumus nos in omnia quæ ipsius sunt credere. Ac per hoc cliam in ipsum credere incertum est. In Rom., iii, 22, Ficker, t. ii, p. 89. Et, si c’est la pure acceptation divine qui inuis sauve, qui peut être assuré de celle-ci V Ignorant fsancii) quando justi sunt, quia ex Dca reputante justi taiitummodo sunt, eu jus reputationem nemo m, vil. sed solum postulare et sperme débet. Ibid., IV, 7, p. 104.
SOUS la pression croissante « le son mysticisme, l’évolution de Luther tut d’ailleurs rapide. Dès son commentaire UI l’Épître aux Hébreux, commencé en
1517, il admet une « présomption » confiante appuyée sur les promesses du Christ. Loofs, p. 711. En août
1518, les resolutiones des fameuses 95 thèses font déjà intervenir la certitude, th. 7, édition de Weimar, t. i, p. 542, et cette theologia nova est par lui défendue contre Cajétan : Dixi neminem juslificari posse nisi per fidem. sic scilicel ut necesse sit eum certa fi de credere sese juslificari et nullo modo dubilare quod graliam consequatur. Si enim dubilat et incertus est, jam non justificatur sed evomit graliam. Acta aug., édition de Weimar, t. ii, p. 13. Désormais il n’y a plus de doute sur ce point et le sentiment contraire est rejeté par Luther comme une fable scolastique. In Gai, i, 4, édition de Weimar, t. ii, p. 458. Textes dans Seeberg, t. iv, p. 107-108, et 230-232.
La certitude de la grâce emporte d’ailleurs pour lui la certitude du salut. Bien que moins accusée peut-être que chez Calvin, cette conséquence s’affirme à l’occasion chez Luther, comme en conviennent ses plus récents interprètes. Voir Denifle, trad. Paquier, note du traducteur, t. iii, p. 41-42. Ni son mysticisme, ni son opposition à l’Église ne lui permettaient de penser autrement. L’absolue certitude de la grâce divine était la contre-partie nécessaire de la justification par les œuvres qu’on voulait écarter et l’aboutissement normal de la justification par la foi.
Cette même conception fut recueillie de bonne heure par Mélanchthon, Loc. com., édition de 1521, Corp. Relorm., t. xxi, col. 196 et 197 : Necesse est certos nos esse de gralia, de benevolenlia Dei erga nos… Nihil christianismus ni ejusmodi vila quæ de misericordia Dei certa sit. Elle se reflète également dans la Confession d’Augsbourg, art. 20, Millier, p. 45 : Conscienlise non possunt reddi tranquillæ per ulla opéra sed tantum fide, quum certo statuant quod propler Christum habeant pacatum Deum. L’Apologia, iv, 110, p. 107, ne veut pas non plus d’une incerta remissio et la subordonne également à une persuasion certaine de chacun : Non diligimus nisi certo statuant corda quod donala sit nobis remissio peccatorum. Cf. xii, 88-89, p. 183. Cette assurance est étendue formellement par Calvin à la certitude même du salut, qui est devenue une des caractéristiques de l’esprit calviniste, encore que, sur ce point, le réformateur ne fasse, comme on l’a vii, que développer les principes de Luther. Voir Calvinisme, t. ii, col. 1405-1 106.
Il resterait maintenant à concilier cette certitude nécessaire avec le perpétuel devenir qui pèse sur notre justification. Jusque dans son Apologia, Mélanchthon concède que notre foi se débat toujours dans la lutte : Hase fûtes paulatim crescit et per omnem vitam luctatur cum peccalo. xii, 37, p. 172. Comment dès lors peut-il y avoir place pour cette ferme assurance qui est requise par le système ? Obtenue dans ces conditions paradoxales, la certitude de la grâce risque fort de se réduire à une promesse illusoire ou de se tourner en auto-suggestion. Le protestantisme, comme l’a bien marqué Loofs, Dogmengeschichle, p. 767-768 et 834836, ne pouvait qu’aboutir à cette impasse, du moment qu’il s’imposait la tâche de transposer en système objectif du salut ce qui avait été d’abord et devait nécessairement rester un fait de conscience tout subjectif.
IV. PRBltlÈRSS DIVBRQBKCE3. — Si l’accord fondamental était suffisamment réalisé chez les premiers réformateurs sur les principes essentiels de la justification, de bonne heure aussi on voit s’affirmer parmi eux des tendances divergentes qui ne feront que s’accentuer plus tard. Les principales sont déjà
marquées dans J. A. MdhJer, Symbolik, 8° édit., Mayence, 1872, p. 117-118, 140-112, 158-160 et 203 205.
l u Essence de la justification : Justice inhérente ou
imputée. — Même sur ce point capital l’unité des vues ne serait pas absolument parfaite parmi les premiers réformateurs.
1. Chez les Luthériens.
On a vii, col. 2144, que Luther, au moins dans ses débuts, admettait que le principe formel de notre justification est la justice même du Christ. D’autre part, il parlait volontiers de la foi comme étant rêvera regeneratio qu&dam in novitatem, Disp. de ftde, th. 65, dans Drews, p. 13, et Opéra lat. var. arg., édition d’Erlangen, t. iv, p. 328, de la remissio peccati comme d’une resurrectio.
Sans peut être marquer qu’il s’agit là plutôt d’un effet psychologique et subjectif que d’une réalité objective, dos historiens protestants tels que Loofs, op. cit., p. 697-698, ont souligné ces traits qui dénoteraient une « intelligence religieuse du christianisme ». Et comme cette foi est une production directe de l’esprit de Dieu, Luther en arrivait à dire, par occasions, que la justification a pour résultat, mieux encore, pour caractère constitutif, de faire habiter et vivre en nous le Christ : fide apprehensus et in corde habitons Christus. In Gai, ii, 16, édition de "Weimar, t. xl, p, 229. Dans son entourage, quelques-uns comme Brenz, voulaient entendre la valeur de la foi en ce qu’elle est un principe de renouvellement. Voir la lettre écrite par Mélanchthon pour le ramener à de meilleurs sentiments. Corp. Reform., t. ii, col. 501-502, et la réponse de celui-ci, ibid., col. 510-512. Toutes formules qui révèlent une impression assez nette du mysticisme chrétien, mais qu’il était assez difficile de réduire en théorie et, plus encore, de concilier avec la doctrine reçue de l’imputation.
Aussi chez les spéculatifs, qui cédaient moins aux impulsions capricieuses du sentiment qu’au besoin de systématisation claire, c’est l’idée d’imputation qui fut retenue de préférence et qui répondait d’ailleurs à un autre aspect de la pensée de Luther. C’est surtout Mélanchthon, Loofs, p. 847-850, qui est rendu responsable de cette théorie, où la justification se ramène à un acte extérieur et juridique par lequel Dieu consent à ne plus nous imputer le péché et à nous tenir pour justes, tandis que la régénération est un second élément, inséparable sans doute mais formellement distinct du premier. Ainsi s’est constituée la doctrine classique du protestantisme orthodoxe, où l’on aboutit à une théorie cohérente de la justification, mais qui a le tort de la vider de sa signification religieuse. Ce serait là un des traits caractéristiques de ce « philippisme » qui devait prendre une place croissante dans le luthéranisme postérieur. Loofs, ibid., p. 868.
Il faut bien avouer que les contemporains furent moins sensibles à ces nuances que ne le sont les historiens récents, puisque Luther, comme Loofs, p. 856857, en fait lui-même la remarque, ne cessa jamais de témoigner à Mélanchthon la plus entière confiance. Mais ce fait permet de comprendre la réaction que nous verrons se produire bientôt contre la justification forensique par les soins d’André Osiander, plus bas col. 2195 sq, et que celui-ci avait bien quelque droit d’opposer la pensée authentique de Luther à celle de ses interprètes officiels.
2. Chez les réformés.
D’après le sentiment de ceux qui l’ont analysé avec le plus de soin et de pénétration, le concept de la justification chez les réformés se caractériserait également par une semblable nuance. Mathias Schneckenburger, Yergleichende Darslellung des lutherischen und reformierten Lehrbegrifjs, Stuttgart, 1855, t. ii, p. 45-92.
Tandis que l’élément objectif, c’est-à-dire l’acte divin de non-imputation, est le principal élément pour le luthérien, ici l’on insisterait plutôt sur l’élément subjectif de régénération, dont la justification proprement dite serait ensuite le fruit. La justification luthé rienne se ramènerait à ce jugement synthétique : le pécheur est juste, c’est-à-dire déclaré tel, tandis qu’elle se résoudrait, pour le réformé, en un jugement analytique comme celui-ci : le croyant est juste, c’est-à-dire qu’il est et se sent réellement tel. Ici la foi serait justifiante par elle-même, tandis que là elle est plutôt une condition de la justification. Schneckenburger, ibid., p. 112-115. Et il ne saurait échapper à personne, ibid., p. 30, que cette dernière conception est beaucoup plus éloignée que la première de la doctrine catholique.
Ces subtiles analyses ont d’ailleurs été contestées par A. Ritschl, op. cit., p. 212-213. F. Loofs doit cependant reconnaître, op. cit., p. 884-885, que la doctrine calviniste est plus apparentée à ce qui lui paraît être la pensée primitive de Luther qu’à la scolastique inaugurée par Mélanchthon. D’où il faut au moins retenir qu’un même système d’opposition à la tradition catholique pouvait recouvrir bien des variétés, qui préparaient pour l’avenir des controverses à grand éclat.
2° Conséquences morales de la justification : Rapport de la foi et des œuvres. — S’il n’y avait pas d’article plus essentiel à la Réforme que celui de la justification par la foi seule, il n’y en avait pas non plus de plus déconcertant. Ce mysticisme ne semblait-il pas faire fi de la morale, sinon même la condamner ? Aussi les premiers réformateurs s’efforcèrent-ils d’incorporer à leur système une doctrine des œuvres. Tâche laborieuse entre toutes, et qui n’alla pas sans de longs et pénibles tâtonnements.
1. Diverses tendances du protestantisme primitif. — D’après tous ses principes, Luther devait combattre les œuvres ou tout au moins les dédaigner. La corruption profonde de notre nature et l’absence de vrai libre arbitre les rendent impossibles. Puisque la foi seule justifie, comment ne seraient-elles pas inutiles ? Elles sont même dangereuses, parce qu’elles nous exposent à la tentation de la suffisance et de l’orgueil.
Ces diverses conséquences ont été tour à tour accueillies par le réformateur. Par suite de notre perversion, nos meilleures œuvres, pour lui, sont encore des péchés, même après le baptême : Cum sit fomite corruptus, ideo invenietur iniquitas in justilia ejus, id est quod etiam opéra ipsa bona injusta sint et peccatum. In Rom., iv, 7, Ficker, t. ii, p. 123. Voir Denifle, trad. Paquier, t. iii, p. 47-58. C’est pourquoi elles n’ont rien à voir avec la justification, qui se produit sans elles, sine adjuiorio et cooperalione operum… ; non enim hic opéra necessaria sunt ut vivas et salvus sis. Gloses sur Rom., iv, 6, et x, 6, Ficker, 1. 1, p. 38 et 93. A quoi il faut ajouter la théorie bien connue d’après laquelle le Christ a rempli les obligations de la loi pour nous, Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 436-440, et ci-dessus, col. 2138 : ce qui entraîne logiquement que nous soyons dispensés de l’accomplir. C’est une des formes, la principale, sous lesquelles s’affirme la « liberté du chrétien ». De lib. christ., 8-10, trad. Cristiani, p. 3235. D’une manière générale, il n’est pas de thème plus familier à Luther que l’opposition entre la Loi et l’Évangile, l’annulation de celle-là par celui-ci, Loofs, p. 721-722, et l’observation a été faite par des historiens protestants que le concept de loi demeure assez indéterminé chez lui pour s’étendre même à la loi morale. Loofs, p. 770-778.
Néanmoins on voit ailleurs que la foi n’est jamais seule, bien que seule elle justifie. Doctrine résumée dans cette antithèse : Fides sola justificat, sed nunquam est sola, dont les éléments, bien que pris en divers endroits de son œuvre, expriment bien la pensée de Luther. Loofs, p. 765. Voir Com. in Gen., xv, Opéra exeg. lat., édition d’Erlangen, t. iii, p. 305-306. Cf. In GaL, v, 21, édition de Weimar, t. ii, p. 591 : Vides
quam non suffuiat sola fides et lamen sola juslificel. La foi, en effet, doit être active ; elle a pour but les œuvres : Juslitia fidei… ad opéra et propter opéra datur, cum sit res qutedam viva nec possit esse otiosa. Sermon du 1er janvier 1517, édition de Weimar, t. i, p. 119. On ne peut pas plus les séparer que, dans le feu, la flamme et la lumière. Œuvres, édition d’Erlangen, t. lxiii, p. 125. C’est dire que non seulement les œuvres accompagnent nécessairement la foi (nécessitas prœsenliœ), mais que normalement elles en découlent (nécessitas consequenlise).
Aussi Luther corrige-t-il la « liberté du chrétien » en ajoutant qu’il doit accomplir par une sorte de spontanéité d’amour cette loi à laquelle il n’est pas tenu. De lib. christ., 19-22, trad. Cristiani, p. 45-49. L’essentiel est que toute la valeur des œuvres soit due à la personne et non l’inverse. Ibid., 23, p. 50-51. Dans cette voie, il arrive à Luther de professer la nécessité des œuvres pour le salut : Propter hupocrilas dicendum est quod bona opéra sint etiam necessaria ad salutem. Disp. de just., dans Disputationen, édit. Drews, p. 47. Il est vrai que, plus loin, il ne veut plus entendre parler de nécessité à cause de l’idée d’obligation et de mérite qu’elle inclut. Ibid., p. 159.
Nulle part on ne saisit mieux le caractère de « cette nature impressionnable et versatile, dont l’éloquence unilatérale souligne avec le même exclusivisme tantôt un aspect et tantôt l’autre des choses. » Loofs, Dogmengeschichle, p. 782. Et l’on voit assez par là combien difficile est la tâche des apologistes, tels que K. Thiemc, Die sitlliche Triebkraft des Glaubens, Leipzig, 1895, p. 265-314, qui s’efforcent d’établir la vertu moralisatrice de la foi dans le système luthérien.
2. Mélanchthon et la Concession d’Augsbourg.
Au milieu de cette confusion, Mélanchthon s’employa à introduire un peu d’ordre et de clarté. Son humanisme le prédisposait d’ailleurs à une moindre sévérité envers la nature humaine.
Dès 1521, alors que toute sa pensée se développe encore dans le sillage de Luther, il ne veut pas séparer la foi des œuvres qui en sont le fruit : Summam habes vniversa’vitæ christianæ, ftdem cum (ruclibus suis. Loc. com., dans Corp. Re/orm., t. xxi, col. 182. Il est seulement bien entendu que c’est la foi qui fait toute la valeur des œuvres : Fides distinguit opéra. Ibid., col. 181. Aussi précise-t-il que seule la loi cérémonielle est abolie : le décalogue demeure donc en vigueur, sauf que l’âme régénérée l’accomplit spontanément et nécessairement sous la pression de l’amour divin qui vit en elle, comme la clarté du jour suit nécessairement le lever du soleil. Ibid., col. 199-200.
La même doctrine se traduit dans la Confession d’Augsbourg. Falso accusantur nostri quod bona opéra prohibeant, art. 20, 1, Millier, p. 44. On voit que le reproche n’est pas d’aujourd’hui. Pour y répondre. Mélanchthon évoque d’abord le fait des nombreux traités consacrés par les réformateurs aux diverses obligations du chrétien, dont il se plaît à opposer la haute Inspiration éthique aux puerilia et non necessaria opéra qui absorbaient jusque-là le zèle des moralistes et des prédicateurs. Mais autre chose est le fait de prêcher la morale, autre chose de la rattacher logiquement aux principes de la Kéforme.
Après avoir longuement exposé que les œuvres ne contribuent en rien à notre justification, qui demeure gratuite, Mélanchthon les réclame cependant parce qu’elles sont commandées par Dieu, Dorent nostri quod necesse sit bono opéra lacère, non ut confldamus per ea gratiam mereri, sed propter voluntatem Det. En effet, la foi donne le Saint-Esprit, grâce auquel l’âme est arrachée au joug (le Satan et revêtue d’affections nouvelles qui la rendent désormais capable de faire le bien.
l)c telle sorte que non.seulement la doctrine protes
tante n’est pas incompatible avec les bonnes œuvres, mais que seule elle expliquerait comment nous pouvons arriver à les produire. Hinc facile apparet hanc doctrinam non esse accusandam quod bona opéra prohibeat, sed multo magis laudandam quod ostendil quomodo bona opéra facere possimus. Ibid., 35, p. 46.
Ces principes assez peu explicites sont repris et développés dans VApologia, où il est exposé comment les œuvres sont fructus et testimonia fidei, m. 63, p. 119, parce que la foi qui régénère le chrétien est active et se traduit, en conséquence, par une nouvelle vie. Quia fides offert Spirilum Sanclum et parit novam vilam in cordibus, necesse est quod pariât spirituales motus in cordibus. Ibid., 4, p. 109. Cette vie nouvelle est d’ailleurs obligatoire, parce que la loi divine s’impose toujours au chrétien et lui devient désormais possible grâce au Christ qui vit en lui : Profitemur igitur quod necesse sit inchoari in nobis et subinde magis magisque fieri legem. El complectimur simul ulrumque, videlicet spirituales motus et exlerna bona opéra. Ibid., 15, p. 111. A cette raison de fond s’ajoutent quelques considérations secondaires, fournies par la psychologie religieuse. Sunt enim facienda opéra propter mandalum Dei, item ad exercendam fidem, item propter confessionem et gratiarum actionem. On peut même reconnaître à ces œuvres un certain mérite : Docemus bona opéra meriloria esse, non remissionis peccatorum, gratise aut justificationis…, sed aliorum præmiorum corporalium et spiritualium in hac vita et posl hanc vitam. Ibid., 68 et 73, p. 120.
L’essentiel est de maintenir que les œuvres suivent la foi, au lieu de la précéder, que par conséquent c’est dans celle-ci qu’il faut placer sa confiance et non dans celles-là. iv, 74 et 77, p. 100. Au nom de cette règle, l’auteur pense pouvoir rendre suffisamment compte des textes si nombreux où saint Paul, par exemple, m, 97-107, p., 123-125, et saint Jacques, iii, 123-132, p. 129-131, réclament l’accomplissement de la loi et la pratique des œuvres pour le salut.
3. Controverse antinomiste.
De ces divergences mal unifiées par la Confession d’Augsbourg, la première controverse antinomiste allait être une publique manifestation.
a) Origine. — La remarque a été faite depuis longtemps que Mélanchthon commença de bonne heure à quitter les voies du luthéranisme officiel. Une des formes de cette indépendance fut l’affirmation du libre arbitre, qui, dès 1528, le rapprocha d’Érasme. Loofs, Dogmengeschichte, p. 787-789. D’où cette doctrine du synergisme, affirmée dans les Loci communes de 1535, qui autorise et réclame, à rencontre du déterminisme orthodoxe, la collaboration de l’homme à l’action divine. Ibid., p. 845-816. Ces nouvelles prémisses métaphysiques ne pouvaient que donner à la doctrine des œuvres un plus grand relief, qui eut pour conséquence de l’exposer à une première et très grave contradiction.
D’une part, dans l’entourage de Mélanchthon et manifestement sous son influence, on voit s’affirmer une école d’extrême droite, que sa tendance rapproche, bon gré, mal gré, du catholicisme. Témoin la thèse, soutenue en juillet 1536 par Caspar Creutziger, d’après laquelle le Christ serait, dans l’affaire du salut, la causa propter quam, tandis qu’à côté d’elle nostra conlrilio et noster conatus sunt causalusti/icationis sine quibus non. On conçoit que les luthériens fidèles en aient manifesté de l’émotion. Voir la correspondance échangée à ce propos entre Conrad Cordatus et Creutziger, Corpus Reform., n. 1460 et 1561, t. iii, col. 1o>'J-Ki 2 et 350-351. Premier germe de la controverse antinomiste que les aimées suivantes allaient voir éclater.
Il n’est plus aujourd’hui contesté par personne que
les débuts de la Réforme allemande furent marqués par un très grand débordement des mœurs. Les témoins contemporains ne manquèrent d’ailleurs pas d’apercevoir les relations de ce fait avec la doctrine de la justification par la foi. Du moment que les œuvres étaient proclamées inutiles, la logique populaire en tirait la conclusion qu’il n'était plus besoin de s’en préoccuper. Voir le dossier de textes réunis dans A. Baudrillart, L'Église catholique, la Renaissance, le Protestantisme, Paris, 1904, p. 306-329, d’après Dôllinger, La Réforme, trad. française, t. i, p. 12-177.
b) Explosion, — Cependant, malgré ces déboires pratiques, les principes restaient saufs. Ils allaient être ébranlés, jusqu'à inquiéter Luther lui-même, par un luthérien de la première heure, Jean Agricola. Voir 1. 1, col. 632-634.
On a mis en doute qu’il lût, en réalité, l’exact interprète du luthéranisme primitif. Loofs, p. 859-860. Toujours est-il qu’il a pu s’en réclamer et que la « pure doctrine » lui paraissait exiger, avec l’inutilité des œuvres, l’abolition totale de la loi pour le chrétien. D’où il concluait qu’il n’y a plus à prêcher la loi, mais seulement l'Évangile, et son enseignement trouva un écho favorable en divers milieux allemands.
Luther, qui commençait à constater les ravages contagieux de ï'inconduite dans son troupeau, ne pouvait rester insensible devant une doctrine qui risquait de la favoriser en lui donnant un fondement spéculatif. C’est pourquoi l’antinomisme d’Agricola deva’t lui paraître un danger.
Un premier conflit mit aux prises Agricola et Mélanchthon, qui se termina, sur l’intervention irénique de Luther, par la conférence de Torgau (26-28 novembre 1527). Dix ans plus tard, Agricola reprenait ia propagande de ses doctrines sur la loi, en visant cette fois Luther en personne. Celui-ci se défendit par deux sermons en date du 1er juillet et du 30 septembre 1537, puis par des discussions académiques, d’abord modérées, mais qui ne tardèrent pas à devenir violentes, Drews, Disputationen M. Luthers, p. 249-484, où il dénonçait l’erreur criminelle des antinomistes. Une réconciliation momentanée eut lieu le 30 octobre 1537. Mais la controverse reprit de plus belle entre les deux réformateurs en 1538, puis encore en 1539-1540 : ce qui amena Luther à soutenir de nouvelles thèses et à publier son petit traité Contre les antinomistes (janvier 1539), édition de Weimar, t. l, p. 461-477. Agricola finit par se soumettre, mais sans guère renier ses principes, dont nous retrouverons l’influence quelques années plus tard. Les principaux documents de la controverse sont publiés dans C. E. Fôrstemann, Neues Urkundenbuch zur Geschichle der evang. KirchenRe/ormalion, Hambourg, 1842, t. i, p. 291-356. Ils sont utilisés dans G. Kawerau, Johann Agricola, Berlin, 1881, p. 168-222, repris par le même auteur dans Beilrâge zur Rclormationsgeschichle, Gotha, 1896, p. 6080 ; résumés dans Realenajclopâdie, art. Agricola, et Antinomistische Streitigkeilen, t. i, 3e édit., p. 249253 et 585-590.
Cet épisode de la première Réforme fournit en général aux théologiens protestants l’occasion de célébrer la victoire de Luther sur le « faux esprit évangélique ». J. Kôstlin, op. cit., t. 1, p. 400-402. Il est peutêtre plus intéressant et plus révélateur, pour l’histoire, de voir l’initiateur de la Réforme réagir contre ses propres principes, aussitôt que la logique intransigeante de quelques extrémistes les poussa jusqu'à leur plein épanouissement.
4. Doctrine caluiniste.
On ne trouve pas les mêmes déchirements ches : les réformés, parce que la place y fut toujours plus nettement faite aux œuvres humaines dans l'économie du salut. Par où ils accusent
un nouveau trait de différence avec le luthéranisme strict. Après Schneckenburger, op. cit., t. ii, p. 91, il est assez couramment admis, chez les protestants, « que l’une des deux Églises a plus insisté sur la justification et l’autre sur la sanctification. » A. Matter, art. Justification, dans Encycl. des se. relig., t. vii, p. 569.
F idem oporlel esse fontem operis, professait déjà Zwingle, et il estimait paradoxal qu’on ait pu dire omne opus noslrum esse abominationem. Pourvu que nos œuvres soient inspirées par l’esprit de foi et rapportées à Dieu par l’humilité, elles sont, non seulement utiles, mais nécessaires. Si fidèles sint, opère sese nobis probent esse fidèles ; fidem sine operibus (urgemus) morluam esse…, in Christo nihil valere nisi fidem quæ per caritatem operatur. Expos, christ, fidei, dans Niemeyer, p. 57-59. Sur quoi Môhler, op. cit., p. 204, a noté que Zwingle expose ici la doctrine protestante d’une manière inexacte : il serait plus juste de dire qu’il en représente une très intéressante variété.
On la retrouve à peu près identique chez Calvin. Fatemur quidem cum Paulo non aliam fidem iustificare quam illam caritate efficacem. Inst. chr., édit. de 1539, x, 11, Opéra, 1. 1, col. 743. Et plus loin : Non enim aut fidem somniamus bonis operibus vacuam, aut juslificationem quæ sine eis constet. Mais il ajoute aussi par manière de précision : Hoc tantum interest quod, quum fidem et bona opéra necessario inter se cohserere faleamur, in fide tamen, non in operibus justificationem ponimus. Ibid., 57, col. 776 ; cf. col. 743 : Abrilla caritatis efficacia justificandi vim (fides) non sumit. C’est assez dire que nous sommes toujours sur le terrain fondamental de la Réforme ; mais n’est-il pas significatif que la justification par la foi se réduise ici à une simple distinction formelle dans un acte total où les œuvres ont nécessairement leur part ?
Sans exagérer la portée de ces dissentiments, qui laissent subsister le plus complet accord dans une commune opposition à la tradition catholique, on n’en saurait méconnaître la réalité. Ils commencent dès la première heure la longue série de ces « variations » dont si justement les controversistes catholiques se plairont toujours à tirer parti.
II. RÉACTION DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE. —
Ces critiques et ces nouveautés de la Réforme naissante ne restèrent pas sans réponse. Les défenseurs de la cause catholique s'élevèrent en nombre, dont l’effort prépare avec plus ou moins de bonheur et, par conséquent, conditionne dans une large mesure l’œuvre du concile de Trente. Par suite de ces répercussions ultérieures un certain intérêt s’attache aux solutions, même imparfaites, que le problème central de la justification fit naître, au cours de cette controverse, dans l’esprit des théologiens qui improvisèrMit alors la défense de la foi.
I. DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE.
A côté des
points qui avaient plutôt trait à l’ordre pratique, le thème spéculatif de la justification est entré pour sa part dans les premières controverses. Dôllinger, Die Rejormation, t. iii, p. 277, estimait que l’importance de cet article ne fut pas bien aperçue par les théologiens catholiques jusqu'à la Confession d’Augsbourg. Ce jugement a été rectifié, sur une étude plus complète des sources, par H. Lâmmer, Die vortridentinischkatholische Théologie, Berlin, 1858, p. 176-177. Sans méconnaître les développements et les précisions que cette question devait recevoir dans la suite à l’occasion des colloques où s’affrontèrent les deux confessions, les faits permettent d’affirmer que les positions fondamentales de la théologie catholique furent prises dès le début.
1° Premières controverses.
Il y a seulement lieu d’observer que les premiers adversaires du protestan
tisme ne se trouvaient pas encore en présence d’une doctrine nettement définie. Leur principal guide était la série des 41 propositions condamnées en 1520 par Léon X et la réponse apologétique opposée par Luther à la bulle de celui-ci. Or la justification ne s’y trouve pas directement touchée, encore qu’on l’y aperçoive à l’arrière-plan. En dehors de là, il ne restait, pour orienter leur elïort, que la connaissance personnelle des œuvres si toufïues où s’affirmaient les principes de la Réforme. Ce qui permet de comprendre que la doctrine de la justification ne soit guère chez eux l’objet que d’expositions occasionnelles, au milieu de beaucoup d’autres, mais suffisantes toutefois pour établir que l’essentiel du problème ne leur a point échappé.
Naturellement c’est en Allemagne que la controverse devait surtout se développer. Il y a peu à glaner dans les premiers écrits de Jean Eck, voir t. iv, col. 2056-2057 : mais on trouve déjà un chapitre sur la foi et les œuvres dans VEnchiridion controversiarum qu’il opposait, en 1525, aux Loci communes de Mélanchthon. Plus importante encore est la contribution fournie d’abord par Jacob Hochstraten, voir t. vii, col. 11-17, dans ses Cum divo Augustino colloquia conlra… Lutheri errores, 1522, et dans son petit traité spécial sur les bonnes œuvres publié sous ce titre : Calholicæ aliquol disputationes contra lutheranos, 1526 ; puis par Conrad Wimpina, dans sa volumineuse Anacephalœosis, publiée en 1528, où le livre IX de la deuxième partie traite De fide et operibus d’après la doctrine de saint Augustin.
A ces doctes représentants de l’École il faut ajouter les apologistes qui s’adressaient au peuple dans sa langue, pour le prémunir contre les nouvelles erreurs. Ainsi le dominicain Jean Dietenberger, voir t. iv, col. 756. dans les opuscules intitulés : Der Bauer. Obe die Christen mùgen durch iere gûlen Werk das lu/melreich verdienen, 1523, et encore Der leye. Obe der gelaub allein selig mâche, paru en 1524 avec une préface de Jean Cochlée ; le cistercien Berthold Pirstinger, évêque de Chiemsee, dont la Tewlsche Theologey, 1528, traduite en latin par l’auteur trois ans plus tard, est une véritable somme sur les matières de controverse. Voir Lâmmer, op. cit., p. 27-30.
En dehors de l’Allemagne, il faut signaler la Condemnaiio doctrinæ lulheranæ per Facultatem theologicam Parisiensem, du 15 avril 1521, texte dans Duplessis d’Argentré, Collectio judiciorum, t. n a, p. i-iv, cꝟ. 1. 1 a, p. 365 sq., rédigée par Josse Clichtoue. voir ici t. iii, col. 236-243, et surtout la célèbre Assertionis lutlicranæ conjutatio, 1523, due à l’illustre John Fisher, voir l. v, col. 2555-2561, évêque de Rochester et chancelier de Cambridge, dont on a dit qu’elle est la plus remarquable production polémique de la première moitié du xvie siècle. Lâmmer, p. 19.
2° Autour de la Confession d’Augsbourg.
Ces
efforts isolés prirent corps au moment de la fameuse diète d’Augsbourg, 1530, quand il s’agit d’opposer à la Confessio présentée au nom des protestants par Mélanchthon un exposé de la foi catholique.
Une commission de vingt théologiens, parmi lesquels figuraient la plupart des controversistes déjà nommés, fut chargée de ce travail. De leur collaboration sortit une Catholica et quasi exlemporanea responsio, qui suivait pas à pas la confession luthérienne et s’accompagnait de neuf appendices documentaires sur les erreurs de la secte. Ce document, parce que trop long et trop agressif, fut diversement remanié à quatre reprises pour aboutir à un texte définitif, qui fut accepté le 3 août et dont Jean Cochlée se bâta de faire un résumé populaire en allemand. Voir Lâmmer, p. 33-46, et Hefele, Hlst. des conciles, trad. Leclercq, t. vin b, p. 1117-112(1
Les novateurs étant restés irréductibles, la con troverse continua après comme avant. Aux champions déjà connus de l’orthodoxie s’ajoutèrent alors Jean Cochlée, voir t. iii, col. 264-265, avec ses quatre Philippiques. parues en juin 1531, dont la troisième répond aux art. 4-6 de V Augustana et porte, par conséquent, sur la justification ; plus tard, Jean Faber, qui devait devenir évêque de Vienne, avec son traité en trois livres De fuie et operibus, 1536.
3° Colloques postérieurs.
Malgré leur insuccès
immédiat, les conférences d’Augsbourg avaient amené les protestants à laire quelques concessions, dont leurs adversaires catholiques s’empressaient de profiter. C’est dans les années suivantes que l’évolution de Mélanchthon au sujet des œuvres, col. 2152, alla s’accentuant. En même temps, du côté catholique, quelques théologiens, soucieux de réaliser avant tout l’union de l’Église, s’ouvraient à l’idée qu’on pourrait s’accorder avec les luthériens en distinguant une double justice. Enseignée à Cologne par Albert Pighius et pleinement adoptée par son élève Jean Gropper, voir t. vi, col. 1880-1885, cette doctrine semblait offrir une possibilité de compromis.
Un nouveau colloque se tint, en effet, d’abord à Haguenau (27 juin 1540), puis à Ratisbonne (janvierjuillet 1541). Gropper en lut l’âme et, d’accord avec Bucer, élabora l’Intérim dit de Ratisbonne en vingt-trois articles, dont le cinquième est relatif à la justification. L’idée de la double justice en faisait les principaux frais : ce qui permettait de satisfaire les protestants en parlant d’imputation, moyennant quoi ceux-ci consentaient à entendre le fldes sola d’une foi vive et efficace. C’est au cours de ces tractations, auxquelles il assistait comme légat pontifical, que le cardinal Contarini, voir t. iii, col. 1615-1616, composa son Tractatus de justificatione, daté du 25 mai 1541, qui abondait complètement dans le sens de Gropper et obtint, entre autres, la haute approbation du savant cardinal Pôle. Voir sur ce mouvement Dôllinger, Die Rcjormation, t. iii, p. 308-322. Son ami Ant. Paleario poussait encore plus loin les concessions dans son Trattato utilissimo del beneficio di Giesu Christà, Venise, 1543. Lâmmer, op. cit., p. 66.
Cet accord hybride et quelque peu équivoque eut le sort qui attend en général ce genre de compromis : celui de ne contenter personne et d’être suspect à tous. Aussi, cinq ans plus tard, une nouvelle conférence s’ouvrait-elle encore à Ratisbonne (janvier 1546), où les interlocuteurs catholiques se tenaient fermement sur le terrain traditionnel. Dôllinger, op. cit., p. 322333. Il est vrai que, dans l’intervalle, étaient survenues les définitions du concile de Trente.
Au total, soit les controverses privées, soit les colloques officiels avaient eu pour résultat, sinon de ramener les dissidents, du moins d’attester l’existence d’un double courant dans la théologie catholique : l’un qui se contentait d’opposer aux erreurs protestantes la doctrine traditionnelle, l’autre qui cherchait à frayer entre les deux une sorte de via média. Ces deux tendances, si différentes par leur direction et si inégales dans leur valeur, doivent, de toute évidence, être étudiées séparément.
II, THÉOLOGIE TKAD1TIOSXELLE. — H. LàniIIUT,
op. cit., p. 137-176, a résumé en dix-sept thèses la doctrine de la justilication telle qu’elle s’exprime dans l’ensemble des controversistes énumérés ci-dessus. 11 suffit de les parcourir pour se rendre compte qu’elles représentent très exactement les positions du catholicisme en regard des innovations de la Réforme.
1° Conditions de la justification.
Leur principal
effort semble s’être porté surles causes et conditions de la justification — a) Doctrine. — Celle-ci n’est pas due à nos mérites, mais à la grâce de Dieu. Nusquam scribimus aut docemus Iwminem propler mérita sua jus
tiflcari, cumnon ignoremus sed faleamur aperle homines non per mérita sua sed per graliam Dei justiftcari et consequi remissionem peccatorum. Cochlée, Philipp., iii, 5, édition non paginée, Leipzig, 1534. Cf. ibid., 10 : Non enim ex noslris viribus, sed ex gralia Dei miserentis justificatio nostri est. La Con/utatio pontificia s’associe volontiers à l’art. 4 de la Confession d’Augsbourg pour condamner les pélagiens qui font fi de la grâce. Texte dans C. A. Hase, Libri sijmbolici, Leipzig, 1846, p. lvii. C’est dire que, du côté de l’homme, il ne saurait être question que de conditions préalables.
Parmi ces conditions le premier rang appartient à la foi, que Jean Faber appelle déjà « le commencement du salut ». De fide et op., i, 10. Cf.Wimpina, Anacephal, ii, 9, ꝟ. 87a : Fidem… inilium nostree salutis et auspicium jundameniumque agnoscere’debemus. Mais la foi seule n’est pas suffisante pour justifier le pécheur. Cet aspect de la doctrine luthérienne est celui qui a le plus frappé nos controversistes, qui abondent en développements pour la réfuter.
Quod… justificationem soli ftdei tribuunt ex diametro pugnal cum evangelica veritate opéra non excludente, prononcent les auteurs de la Confutatio, i, 6, p. lviii-Lix. .Un petit dossier de textes scripturaires et patristiques appuie cette affirmation. C’est aussi à l’exégèse fécondée par une dialectique vigoureuse que John Fisher demande de rétablir ici Y evangelica veritas. Sa thèse générale est celle-ci : Prseler fidem exiguntur etiam cetera cuncta sine quibus frustra de juslificatione quis gloriatur. Ces « autres choses » se ramènent à notre apport moral : la foi qui justifie est celle qui est féconde en œuvres ou bien, si parfois elle justifie toute seule, c’est qu’elle est déjà par elle-même un commencement de justice, qui doit d’ailleurs être ensuite consommée par les œuvres effectives : Quoniam poieslate quadam intra se continet opéra quæ nundum in lucem édita sunt iccirco per eam iniliari solum justus dicitur, non autem consummari. Assert, luth, conf., art. 1, édition de 1524, s. 1., p. lxiv-lxv. Cf. art. 11, p. ccxxvi : Aliud est fidem exigi et aliud hanc solam sufficere.
Toute la troisième philippique de J. Cochlée est consacrée à ce point fondamental, qu’il s’applique à éclairer par les Pères et la raison, en même temps qu’il le soutient par de vives polémiques contre le crimen falsi dont se rendent coupables les protestants, ibid., 32, et contre les funestes effets de leur doctrine. Ibid., 59-63.
b) Méthode. — Sans insister sur un thème aussi fécond, il peut être intéressant de noter les principes de méthode posés à ce sujet.
Pour rendre compte de la doctrine de saint Paul, Wimpina distingue entre justice commencée et justice consommée : la foi seule suffit pour celle-là, mais les œuvres sont nécessaires pour celle-ci. La grande erreur des protestants est, à son avis, de méconnaître cette distinction. Anacephal., ii, 9, ꝟ. 87 a-b, 91 6-93 a, dans Làmmer, p. 151-153. J. Fisher s’inspire de vues toutes semblables. Assert., art. 1, p. lxv-lxix.
La synthèse exégétique vient à l’appui de cette analyse théologique. Car Fisher, par exemple, lit dans saint Augustin que certains passages de saint Paul isolés de leur contexte ont donné lieu à nier la nécessité des œuvres, p. lxxvii et lxxx-lxxxi. Aussi s’applique-t-il d’abord à rétablir le sens exact de ces passages, où il est question d’œuvres légales et non pas d’œuvres tout court, puis à éclairer saint Paul, soit par lui-même, soit par les autres livres de l’Écriture et en particulier par l’Épitre de saint Jacques, p. lxxmi sq. : Projecto sane intelligendus est et omnino cum divo Jacobo conciliandus. Neque enim hos inter se dissidere, neque horum alterulrum non dixisse verissima cuivis opinandum est, p. lxxxii. Pour Faber égale ment. De fide et operibus, i, 11, saint Paul trouve en saint Jacques son « très fidèle interprète ». L’accord des deux apôtres est un des lieux communs de nos controversistes. Làmmer, p. 154-156.
A ces deux règles s’ajoute une observation tirée de l’ordre psychologique et moral : c’est que « la foi est elle-même une bonne œuvre, » Berthold, Teivlsche Theologey, iii, 7, édition Reithmeier, Munich, 1852, p. 25, et qui en entraîne d’autres. Sans doute la foi peut être morte et nos auteurs s’accordent pour soutenir la possibilité de la fides in/ormis. Làmmer, p. 144. Mais normalement « une bonne foi ne peut pas être sans de bonnes œuvres. » Berthold, ibid. Elle engendre la charité, et c’est par là qu’elle devient propre n^nt justifiante. Fisher, p. xcv ; cf. a. 6, p. clxxxvi ; a. 9, p. ccxxiii-ccxxiv, et a. 12-13, p. ccxxxiii-ccxxxvi. Dès le premier jour, la pensée catholique a refusé de consentir à la dissociation de l’ordre religieux et de l’ordre moral.
2o Nature de la justification.
Autant nos auteurs
abondent sur la doctrine des œuvres dans ses rapports avec la justification, autant ils sont brefs sur la nature même de celle-ci. Soit parce qu’elle ne leur paraissait pas encore caractérisée, soit pour tout autre motif, la théorie protestante de la justics imputée n’a guère retenu leur attention. Néanmoins on ne manque pas de recueillir chez eux l’écho indirect et dispersé de la foi catholique sur ce point.
C’est ainsi que Berthold expose comment l’âme justifiée passe de l’injustice à la justice, rappelant que le baptême a pour effet de la laver et justifier. Op. cit., iv, 1-2, p. 29-31. J. Fisher s’attache à établir que, si la concupiscence demeure dans l’âme juste, elle n’est pas un péché, art. 2, p. ex et cxxx : toute la coulpe de nos fautes est effacée par le baptême, p. cxxii et cxxxvi-cxxxvii. Sa principale autorité est saint Augustin, au nom duquel il explique combien sont diverses dans saint Paul les acceptions du mot péché. Sur la foi des Écritures, il oppose à Luther qu’il n’y a pas de non-imputation possible sans véritable pardon, ibid., p. cxlii : Deum non imputare cuique peccatum est eidem remiltere et ignoscere penitus. Mais le péché ne peut être remis que gratiæ pnesentia, a. 13, p. ccxxxviii. Nam has duas, hoc est graliam et culpam, simul cuiquam adesse nequaquam est pDSsibile, a. 17, p. cccii. Cf. a. 36, p. dcxii. Aussi la grâce est-elle synonyme d’un principe de rénovation spirituelle : per Christi graliam renovamur et justificamur, a. 2, p. cxv, qui est infusé dans notre âme, a. 17, p. cccix, et devient sa véritable vie, a. 36, p. DLn.
En même temps que la grâce nous sont infusés les vertus et les dons du Saint-Esprit. J. Cochléa, Philipp. , iii, 15 et 48 ; Faber, De fide et operibus, i, 6 ; Berthold, Teivlsche Theol., xci, 1, p. 629, et autres dans Làmmer, p. 137-138. C’est par là que l’âme justifiés peut devenir féconde en œuvres de salut. J. Cochlée s’indigne comme d’un « blasphème contre le Christ » à l’idée que le juste pécherait dans tous ses actes. Philipp., iii, 60-61. J. Fisher consacre à réfuter cette assertion luthérienne tout l’art. 31, p. cccclxxccccxcvi. Au contraire, la grâce qu’il a reçue doit fructifier en bonnes œuvres, que Berthold, op. cit., Lxxvii-Lxxviii, présente comme une véritable « dette », p. 533-548, que J. Fisher et les autres réclament, comme on l’a déjà vii, tout à l’heure pour la « consommation » de notre justice. D’ailleurs « tous les théologiens sont unanimement d’avis, tous proclament d’une seule voix que la vertu méritoire des œuvres a sa source dans la passion du Christ, » Hochstraten, Aliquot disput. cont. Luth., i, 5, 1, Cologne, 1526, ꝟ. 62.
Ainsi la justification est progressive comme notre vie. Quamvis fide viva et fertili quis juslificatus fuerit, tamen adhuc eumdem per opéra magis et magis justi
ficari necesse est. J. Fisher, a. 1, p. lxviii. Car, sans mettre en cause la première grâce, il reste toujours à se défaire des restes du péché. Ibid., a. 13, p. ccxxxix. Et chaque fois que nous sommes absous du péché, c’est pour nous une nouvelle justification. Cochlée, Philipp., iii, 40.
Non seulement cette œuvre est toujours inachevée, mais r.otre fragilité la rend incertaine pour nous. Certissima quidem est Evangelii promissio secundum se, sed incertvm nobis et singulis an ea promissione digni simus. Cochlée, ibid., 46. Et J. Fisher de montrer la contradiction de Luther, qui, d’une part, promet à la foi l’assurance du pardon, tandis que, d’autre part, il afilime que nous ne sommes jamais sûrs de ne pas pécher mortellement par strite de quelque secret orgueil, a. 35, p. dxxxiv. La vérité est dans une modeste confiance qui n’exclut pas le recours à la miséricorde de Dieu.
S’ils n’ont pas épuisé le problème de la justification, ces premiers controversistes ont du moins bien aperçu l’essentiel des erreurs protestantes et commencé à mettre en œuvre les éléments de la théologie traditionnelle pour les réfuter.
/ ; I. ÉCOLE DE COLOGNE ; THÉORIE DE LA DOUBLE JV&T1CE. — Plus original, et d’ailleurs beaucoup moins heureux, fut l’effort de l’école de Cologne, qui crut pouvoir gagner les protestants en s’établissant sur le terrain contestable et assez mal défini d’une double justice.
La première manifestation littéraire en est due à Jean Gropper, dans VEnchiridion christianæ instituiionis qu’il joignit à l’édition des canons du concile provincial de Cologne, Canones concilii provincialis Coloniensis…celebrati anno 1536, Cologne, 1538. Un petit chapitre y développe sa théorie spéciale de la justification, ꝟ. 163-177, système qu’il reprit bientôt dans son Antididagma seu christianæ et catholicæ religionis per rev. et M.. :. Eccl. Coloniensis canonicos propugnalio, Cologne, 1544. Mais il en devait les principes à son maître, Albert Pighius, qui les avait publiés seulement dans l’intervalle, Controversiarum pracipuarum in comiliis Ralisponensibus traclatarum… explicatio, ouvrage dédié à Paul III, édité d’abord en 1541, puis de nouveau en 1542. La justification y occupe la seconde controverse tout entière en 41 grandes pages non foliotées.
Aux mîmes influences obéit le « traité de la justification t composé à Ratisbonne, en 1541, par le cardinal Contarini, publié ensuite dans l’édition complète de ses œuvres, Paris, 1571, p. 588-596, et reproduit dans A. M. Quirini, Epistolarum Reginaldi Poli…, pars III, Brescia, 1748, f° cic-ccxvi. C’est d’après ces trois témoins que nous avons à reconstituer les grandes lignes du système.
1° Doctrine de Pighius.
Victime du nominalisme
alors régnant, A. Pighius ne concevait le péché originel que tomme la simple imputation qui nous est faite du péché d’Adam. Linsenmann, Alberlus ] J ighius und sein theologischer Slandpunkt, dans Theol. Quurtalschrifl, 1866, p. 623-624. Ce qui le préparait à porter le même extrinsécisme dans sa théorie de la justification.
1. Exposé, — Strictement parlant, la justice ne se trouve qu’en Dieu : en nous, elle ne peut jamais exister que dans une mesure imparfaite et par voie de participation ; mais celle-ci même est réduite par suite de notre incurable misère. Et l’auteur d’emprunter à l’Écriture les passages qui soulignent notre état de péché pour conclure : Verum reperietur de hac ipsa, quanwis imperjetia, justitia quod non justificabitiir in conspeetu Dei omnis vivens. Ne pouvant trouver la justice en nous-mêmes, nous sommes invités a la chercher dans le Christ, qui interpose ses mérites entre le jugement du
Père et nos péchés, nous couvre d’abord de sa propre justice et par là nous met à l’abri de la colère divine, puis nous communique cette justice et la fait nôtre. Ainsi couverts, nous pouvons nous présenter devant Dieu et, non seulement paraître justes, mais l’être en réalité. Car nos péchés sont ensevelis avec le Christ et nous renaissons assimilés au nouvel Adam. Mais de nous-mêmes nous ne sommes jamais rien qu’impureté : c’est le Christ seul qui est notre justice.
Pour nous en obtenir l’application, il ne suffit pas de la foi : il faut, en outre, le repentir, l’espérance et l’amour de Dieu qui en découlent. Non pas qu’il soit nécessaire d’accomplir tous les commandements : pourvu que nous soyons disposés à le faire, Dieu nous tient compte de cette bonne volonté et nous applique la justice du Christ.
On voit que Pighius tient à s’éloigner des protestants. Il leur reproche d’attribuer la justification à la foi seule, sans tenir compte des autres vertus. Mais il ne veut pas non plus que nous soyons justifiés par elles, pas même par la charité : nous n’avons, en somme, d’autre justice que celle du Christ. Illi sola fide, non charilate nos juslificari affirmant : nos contra dicimus nec fide nec charilate nostra nos juslificari ccram Deo, si formaliter et proprie loquamur, sed una Dei in Christo justitia, una Christi nobis communicala justitia, una ignoscente nobis peccata nostra Dei misericordia.
Même après la justification, si nos œuvres sont méritoires, c’est non ex ipsis aut ex nobis sed ex divina gratia, parce qu’elles sont enveloppées dans les mérites du Christ… Dei hominis meritis, quæ nobis ut membris ejusdem communicantur, quibus nostra involvuntur atque induuntur opéra. Ailleurs Pighius, acceptant une formule caractéristique des réformateurs, disait de nos œuvres qu’elles ne nous justifient pas, mais nous sont imputées à justice : …nec nos vere justificare, sed misericorditer et gratiose nobis impulari a Deo ad jusliliam. Ratio componendorum dissidiorum, Cologne, 1572, p. 524. Voir Linsenmann, loc. cit., p. 640-643.
2. Appréciation.
Cette doctrine est surtout importante par ses conséquences.
Au cours de tout son exposé, Pighius fait moins figure de théologien que de moraliste et de mystique, attentif à minimiser l’œuvre de l’homme pour faire mieux ressortir l’œuvre de Dieu. Le savant cardinal Quirini s’est employé à défendre l’orthodoxie de sa doctrine sur ce point. Epist. Reg. Poli, t. ii, Diatriba ad Epislolas, p. cxxx-cxxxix. Et l’on peut y trouver, en effet, un écho assez fidèle de ce mysticisme pessimiste que la tradition de saint Augustin entretint à travers le Moyen Age. Voir col. 2120 sq. Mais les contemporains en furent choqués et y soupçonnèrent des accointances protestantes. Ruard Tapper, Explic. artic. ven. Facullulis Louan., Louvain, 1557, t. ii, p. 32, et Vega.De justificatione, vii, 21, Cologne, 1572, p. 159.
2° Doctrine de Gropper.
Élève de Pighius, Jean
Gropper n’eut pas seulement l’honneur de porter les doctrines de son maître aux célèbres colloques de Ratisbonne (1541), pour en faire la base d’un accord avec les protestants. Voir V. van Gulik, Johannes Gropper, Fribourg-en-B., 1906, p. 71-85. Il en reprit en même temps l’exposé systématique et semble leur avoir donné une expression tout à la fois plus théologique et plus modérée.
1. Exposé.
A rencontre des protestants, il affirme que la justification doit signifier une réalité intérieure : Jusliliam Dei tmputaiioam a justitia bomv conscicnti : r… non esse discernendam. Mais il tient à distinguer entre la justice de l’homme et celle de Dieu : Secundum omnium veterum sententiam potius discernendam esse dicimus justitiam Dei a justitia humana. Enchir. »
ꝟ. 163 v°. Aucun de nos actes ne peut être vraiment cause de la justification : toute notre confiance doit reposer en Jésus et les plus grands saints ne cessent pas de se dire à bon droit des pécheurs. La foi ellemême ne nous justifie que parce qu’elle nous met en mesure de recevoir la divine miséricorde. Elle nous tourne vers Dieu et nous invite à pratiquer sa loi : ce qui nous manque à cet égard est suppléé par la foi qui nous applique les mérites du Christ.
D’où il suit que la vraie cause efficiente de notre justification, c’est Dieu seul. La cause formelle est sa propre grâce ou son amour qui vient renouveler notre cœur : …graiiam Dei nos innovanlem, quæ proprie causa formalis justificationis est, accipiamus, ꝟ. 167 v°. Quant à la foi au Christ, elle joue le rôle de cause instrumentale. La justification ainsi produite nous infuse au cœur une véritable charité et se traduit en œuvres méritoires : malgré leur imperfection, nous devons être assurés qu’elles sont agréables à Dieu à cause du Christ en qui elles sont faites. Gropper ne cesse de reprocher aux protestants de réduire la justification à une simple imputation et de rejeter, en conséquence, les œuvres de la foi avec celles de la loi. Mais il admet que nous soyons justifiés sans celles-là : Constat… operibus noslris causant justificationis delrahi et recle ac vere dici nos sine operibus juslifîcari, ꝟ. 171 v°.
Cette doctrine est par lui reprise et plus clairement résumée dans son Antididagma, f° Il v°-15 v°. Dieu y est toujours donné comme la seule cause efficiente de notre justification : nos actes sont seulement des causse dispositivse et susceptivæ. Quant à la cause formelle, c’est-à-dire l’essence propre de la justification, elle est double. C’est, d’une part, la justice même du Christ en tant qu’elle nous est imputée : Justificamur a Deo justitia duplici tamquam per causas formates et essentiales. Quorum una et prior est consummala Christi justitia…, quando eadem nobis, dum tamen fide apprehenditur, ad justiliam imputatur. Telle est la cause principale, præcipua et summa justificationis nostrse causa. Mais, en même temps, il y a place aussi pour une justice qui nous devient inhérente. Aliter vero justificamur formaliler per justiliam inhserenlem, quæ… remissione peccalorum simul cum renovalione Spiritus Sancti… nobis donatur, injunditur et fit propria. Justice toujours imparfaite et qui ne saurait être notre principal appui : cui…, quod sit imper jecta, non innilimur principaliler, ꝟ. 13 v°. Cf. Dôllinger, Die Rejormation, t. iii, p. 309-310.
Il y aurait donc lieu de distinguer deux éléments dans l’acte total de la justification : l’un intrinsèque et déficient, le seul qui nous soit propre ; l’autre extrinsèque et imputé, savoir la justice même du Christ qui vient s’ajouter à la nôtre et en suppléer les défauts.
2. Appréciation.
Dès l'époque, cette doctrine fut suspectée de connivences, au moins involontaires, avec le protestantisme et l' Enchiridion finit par être inscrit au catalogue de l’Index. Gulik, op. cit., p. 53-57. h' Antididagma fut censuré par l’Université de Louvain, le 9 juillet 1544, spécialement pour avoir enseigné que nos péchés nous sont remis per imputationem justitia ; Christi, que celle-ci nous est obtenue par la foi tamquam per causam susceplivam, que nous sommes justifiés par la justice du Christ tamquam (per) causam formalem potiorem, alors que la justitia inhærens ne serait qu’une sorte d’indice secondaire, une garantie d’expérience intime que la justice du Christ nous est imputée : tamquam inleriori quodam expérimente ceriificamur nobis… dimissionem peccalorum jactam et Christi consummalam justiliam imputari. Pièces éditées par Fr.Dittrich, Lovaniensium et Coloniensium theologorum de Antididagmate Joannis Gropperi judicia, Braunsberg, 1896, et résumées dans Gulik, op. cit., p. 102-105. Gropper se défendit contre ses censeurs. Mais, quand sa doctrine fut portée au concile de Trente par Séripando, elle y fut l’objet d’une réprobation unanime, bien que le respect dû à l’auteur pour ses éminents services lui ait évité toute espèce de condamnation. Et. Ehses, Johannes Groppers Rechlferligungslehre auf dem Konzil von Trient, dans Rômische Quartalschri/l, t. xx, 1906, section d’histoire, p. 175-188. Il n’en sentit pas moins l’obligation d’abandonner ses positions anciennes, ainsi qu’il ressort de la lettre qu’il écrivit en 1552 à l'évêque Pflug de Naumbourg, qui l’avait questionné à ce sujet, Chr. G. Millier, Epistulse… ad Julium Pflugium, Leipzig, 1882, p. 114-116, encore que, dans cette lettre même, il nourrisse la suprême illusion de se croire d’accord avec l’esprit, sinon avec la lettre, du décret conciliaire.
3° Doctrine de Conlarini.
Légat pontifical à la
conférence de Ratisbonne, Contarini y eut l’occasion d’approcher les théologiens de Cologne et le thème de la justification tint une grande place dans leurs doctes entretiens.
A Pighius il adressait des observations très pénétrantes sur sa théorie, qu’il combattait au nom des principes mêmes par lui reconnus : savoir esse quoddam immanens per modum habitus infusum nobis divinilus quo ut forma quadam quæ menti inhæret vivimus vila christiana, et encore quod id animée inhærens a Deo inditum sit justitia qua possimus dici formaliter justi. Cette double notion, qu’il établit rapidement sur l'Écriture, la philosophie et les Pères, lui paraît atteindre la thèse fondamentale du maître de justitia qua sumus justi apud Deum quam tolam constituis extra nos in Christo. Lettre n. 88, dans Fr. Dittrich, Regesten und Briefe des Card. G. Conlarini, Braunsberg, 1831, p. 349-353.
Cette attitude de critique très avertie à l'égard du système n’a pas empêché Contarini d’en subir l’influence dans son propre traité sur la question.
1. Exposé.
Après avoir donné la définition des divers termes qui interviennent dans le problème, l’auteur aborde la justification proprement dite : ea qua impius adultus-ex impio fit justus, Quirini, f° cch. De ce changement l’Esprit Saint est la cause efficiente par le moyen des dispositions qu’il inspire à l'âme en vue de sa conversion. La principale est la foi, avec la confiance qui s’ensuit quod Deus remiltat peccata et jusliftcet impium per myslerium Christi. Quand cette foi se traduit en charité, Dieu ne nous donne pas seulement l’esprit du Christ, mais le Christ lui-même, et nous impute sa justice : Donat nobis cum Spiritu Christi Christum ipsum et omnem justiliam ejus gratis… nostram jacit, nobis imputât qui induimus Christum, f° ccm. Ainsi la justification n’est pas due aux œuvres, mais à la foi, en ce sens que celle-ci est le moyen par lequel nous recevons celle-là. Non quod mereamur justi ficationem per fidem et quia credimus, sed quia accipimus eam per fidem. f° cciv. Ce qui permet de dire que la foi nous justifie, mais à titre de cause efficiente, non de cause formelle, f° ccv.
Le terme est une double justice : alteram nobis inhserentem qua incipimus esse justi…, alteram vero non inhserenlem, sed nobis donalam cum Christo, justitiam inquam Christi et omne ejus merilum, f° cciv. Bien entendu, la première est toujours imparfaite et ne doit pas être notre principal point d’appui : les saints nous donnent partout l’exemple de la défiance et de l’humilité. C’est la seconde seule qui peut nous donner confiance : Justitia Christi nobis donala est, vera et perfecla justitia… Hac ergo sola, cerla et stabili nobis nilendum est et ob eam solam credere nos justificari coram Deo, id est justes haberi et dici justes, f° ccvi.
Contarini emploie côte à côte les termes de justilia nobis donala et imputala. Mais c’est le second qui com VIII. — 69
mande et explique le premier. L’auteur invoque à l’appui de cette conception la doctrine de saint Paul sur le baptême commentée par saint Thomas : … Mortem Cliristi, passionem ac meritum nobis donari, nobis imputari in baptismale… Non quod nobis inhæreant, qui jam vivimus, sed quia nobis donantur et imputantur, f° ccvn. Et il s’applique ensuite à réduire les textes de l'Écriture qui semblent parler d’une justice qui nous serait personnelle.
Quelques mots lui suffisent pour la seconde espèce de justification, celle qui consiste dans l’accroissement de la grâce reçue. Accroissement nécessaire, et qui se fait par nos bonnes œuvres inspirées par l’esprit de charité. Cette justification, à la différence de la première, lui paraît pouvoir être dite justiftcatio operum, f° ccxi. Néanmoins Contarini n’aimait pas qu’on parlât proprement de mérite à l'égard de la vie éternelle, parce que celle-ci nous est d’abord donnée gratuitement et que nous ne pouvons acquérir de droit sur elle, de mérite secundum quid, qu’en utilisant les dons mîmes de Dieu.
Aussi fut-il d’avis qu’on devait s’abstenir d’imposer aux piotestants une expression qui les choquait et s’en expliqua-t-il, auprès du cardinal Alexandre Farnèse, dans une lettre spéciale, datée de Ratisbonne, le 22 juin 1541, qui, devenue à peu près introuvable, a été reproduite par Th. Brieger, Theol. Studien und Kriliken, 1872, t. xlv, p. 144-150. Simple résumé dans Dittrich, op. cit., p. 201-202.
2. Histoire.
Grâce à la renommée de l’auteur et au retentissement des accords de Ratisbonne qu’il avait conclus, sa doctrine attira de bonne heure l’attention. D'éminents personnages y applaudirent, tels que le cardinal Pôle. Quirini, t. iii, p. 25-28 et 53-54. Mais déjà les protestants se prévalaient de son attitude, et Jean Eck dut prendre sa défense contre Bucer dans son Apologia pro rev. et ill. princ. catholicis, Anvers, 1542, ꝟ. 145 V-157 v°. Chez d’autres, la formule de compromis trouva la plus vive opposition : ce fut, en particulier le cas pour Jérôme Aléandre, auquel Contarini jugea bon de répondre par une lettre apologétique, en date du 22 juillet 1541, dans Beccadelli, Monumenti di varia letteralura, t. i b, Bologne, 1799, p. 186-190.
Plusieurs théologiens importants exprimèrent à tout le moins des réserves dans des traités spéciaux ; par exemple Ambroisc Catharin, De perjecta jusli/icatione a fide et operibus ad G. Contarenum, 1541, p. 229 sq., et Jacques Sadolet, De justificatione, dans Beccadelli, op. cit., p. 162-167, qui écrivait à Catharin en juilletaoût 1541 : Nunquam milii persuaderi poluil /idem solam per se sine operibus bonis ad adipiscendum regnum Dci idoneam censeri debere… Mini eadem rei summa est ut judicem ad veram justificationem fidem cum operibus c&njunctam este oportere. Episl., xiv, 13, dans Opéra viiinia, Vérone, 1738, t. ii, p. 80.
Finalement le traité, qui avait paru intact dans l'édition de Paris, 1571, fut expurgé par les censeurs de l’Inquisition avant de figurer dans l'édition de Venise, 1589. Il a fallu attendre l'édition de Quirini, 1748, pour qu’en fût rétabli le texte primitif.
3. Appréciation.
Aussi le problème est-il depuis longtemps ouvert, devant l’histoire, du jugement à porter sur la tentative doctrinale de Contarini. Le cardinal Quirini ayant pris la défense de son orthodoxie, op. cit., t. iii, p. xi. i-i. iv, fut vivement con tredit par le luthérien J. R. Kiesllng, qui s’appliquait a montrer en lui un témoin de la « foi » selon la Réformei Quirini répliqua sous forme de lettres adressées à divers savants, auxquelles Kiesllng opposa de nouvelles ripostes. Et ce fut ainsi, au coins des années 1749-1753, une sorte de discussion publique, à laquelle mit fin la mort du docte évéque de Brescia.
Les lettres de Riesling sont réunies dans ses Epistolx anti-quirinianec, Altenbourg, 1765, p. 201-430, et les historiens modernes admettent, après Dôllinger, Die Reformation, t. iii, p. 312, qu’il eut gain de cause contre son adversaire. Plus récemment le procès de Contarini a été repris dans une longue étude de Th. Brieger, Theol. Studien und Kriliken, 1872, p. 87-150, qui conclut, p. 141-142, en disant que, par son fond et ses tendances, cette doctrine est « authentiquement protestante ».
Il y a plus de modération et de vérité dans l’appréciation de H. Lâmmer, qui termine une consciencieuse analyse, op. cit., p. 186-197, en faisant ressortir les équivoques de ce traité, dues à l’imprécision de la matière et au désir d’aboutir à une formule de conciliation, mais en notant aussi les points qui le distinguent de la théologie protestante. La justification y demeure une grâce de sanctification, mais beaucoup trop imparfaite, puisque tout ce qui compte, en somme, c’est l’imputation de la justice du Christ que nous obtient la foi.
Par analogie avec d’autres controverses historiques, Hefele applique à cette théorie de la double justice, telle qu’elle fut développée par l'école de Cologne, le terme de « semiluthéranisme », Hisl. des conciles, trad. Leclercq, t. vin b, p. 1247, et la formule a eu quelque succès chez les historiens postérieurs. Elises, toc. cit. p. 183. Bien que cette qualification paraisse excessive, appliquée à des théologiens qui voulaient retenir l’essentiel de la doctrine catholique et que l'Église, en somme, n’a jamais censurés, elle n’en souligne pas moins le fait d’une tendance incontestable à jeter sur le fossé qui déjà se creusait entre catholiques et protestants une sorte de pont.
C'était aussi l'époque où des mystiques encore moins pondérés tels que le Vénitien Ant. Paleario, sous prétexte de faire ressortir aux âmes le « bienfait de Jésus-Christ », parlaient de notre « impuissance » à obéir aux commandements divins, proclamaient que « Dieu nous donne le Christ et sa justice sans aucun mérite de nos œuvres, » que nous sommes justifiés « par la foi seule » et que cette conception s’impose à tous les chrétiens qui n’ont pas « des âmes hébraïques ». Trattato utilissimo del beneflcio di Giesu Christo, Venise, 1543, reproduction fac-similé de l'édition originale, Londres et Cambridge, 1855, c. ii, ꝟ. 5 r° ; c. iv, ꝟ. 29 r° et v°, ꝟ. 36 v° et 37 r° ; c. vi, ꝟ. 70 r° et v°.
Soit sous forme d’infiltrations théologiques inconscientes, soit par l’attrait suspect d’un mysticisme mal défini, le protestantisme menaçait évidemment d’introduire la confusion dans bien des esprits. Il était temps pour l'Église d’intervenir.
III. DÉFINITIONS DE L'ÉGLISE : CONSTITUTION
du concile de Trente (13 janvier 1547). —
Parmi les 41erreurs de Luther condamnées par Léon X, dans sa bulle Exsurge Domine du 15 juin 1520, aucune ne porte sur le point précis de la justification. Tout au plus les principes directeurs du système protestant y sont-ils implicitement visés dans les propositions relatives au caractère coupable de la concupiscence, n. 2-3, Denzlnger-Baruvwart, n. 742-713, et Cavallera, Thésaurus, n. 1019 et 1460, à l’extinction du libre arbitre et à la malice de tous nos actes même bons, n. 31-32 et 35-36, ibid., n. 771-776 et 869, au rôle nécessaire et suffisant de la foi dans la rémission du péché par l’absolution sacramentelle, n. 10-12 et 15, ibid., n. 750-755 et 1209, 1236.
Loin de se soumettre, Luther accentua sa révolte et la controverse ne tarda pas à taire apparaître au grand jour que la justification formait la clef de voûte du nouvel évangile. Aussi cette question allait-elle former le centre et le bloc principal des définitions que le concile de Trente opposerait à l’hérésie,
I. histoire du DÉCRET.
Il est peu de textes conciliaires qui aient été aussi longuement et aussi soigneusement élaborés que le décret du concile de Trente sur la justification. Tous les* documents en sont aujourd’hui à la portée de l’historien, depuis la publication intégrale des actes de la vie session, Conc. Trid., t. v, Act., pars 2 a, édit. Elises, Fribourg-en-B., 1911, p. 257-833, auxquels il faut ajouter de nombreuses pièces contenues dans les volumes consacrés aux diaires, spécialement t. ii, 1901, p. 428-432, et aux épîtres relatives à cette période, t. x, 1916, p. 531-789. Bien qu’il ait paru avant cette publication, le volume de J. Hefner, Die Enlslehung gseschichte des Trienter Rechtferligungsdekretes, Paderborn, 1909, écrit d’après les papiers du cardinal Cervino, reste indispensable et toujours très précieux pour débrouiller cette vaste matière. Il annulé en tout cas les vieilles esquisses de B. Seeberg, dans Zeitschrift fur kirchliche Wissenschafl und kirchliclies Leben, 1889, p. 546-559, 604-616, 643-700, et de W. Maurenbrecher, dans Hislorisches Tasclienbuch, 1890, p. 237-330.
1o Préparation du décret.
Dès le 30 janvier 1546, le légat Marcel Cervino, cardinal de Sainte-Croix, qui devait être « l'âme du concile en cette matière, » Hefner, p. 33, écrivait à Borne qu’il lui paraissait opportun de mettre au programme de l’assemblée d’abord la question du péché originel, puis celle de la justification. Conc. Trid., t. x, p. 352 ; cf. p. 459 et 470. Le 13 mai, le cardinal Farnèse faisait, de son côté, savoir aux légats que le pape était impatient qu’on arrivât sans retard aile cose sustanliali corne è l’articolo délia giustificazione, p. 487. A quoi ceux-ci répondaient, le 19, que, per andare ordinatamente, il leur paraissait logique de commencer tout d’abord par le péché originel, p. 492 ; cf. p. 496 et 526.
Il en fut ainsi fait et ce décret préalable fut mis à l'étude, puis promulgué à la ve session (17 juin 1546). Dès le 21, les légats proposaient à l’assemblée d’aborder le point de la justification. Articulas… salis difficilis, observait le cardinal Cervino, cum alias decisus non fuerit in conciliis. Conc. Trid., t. v, p. 257. Quelques évêques inclinaient à attendre l’arrivée d’un plus grand nombre de prélats, per essere (queslo punlo) il più importante che si possa traltare in queslo concilio, t. x, p. 532. Ils se rendirent pourtant aux raisons des légats et adoptèrent, tutti ad unum, le plan proposé, t. v, p. 357-360.
1. Préparation éloignée.
Très sagement, l'évêque de Belcastro avait demandé que, pour ne pas se perdre en disputes inutiles, la question fût d’abord soumise à des spécialistes. Cervino décida, en effet, qu’on commencerait par entendre les théologiens : ante omnia theologi minores audientur quibus aliqui articuli proponentur hanc materiam comprehendentes. Ibid., p. 260. Ces « articles » furent au nombre de six, qui portaient sur la notion de la justification, ses causes du côté de Dieu et de l’homme, le sens de l’expression justificari per fidem, la valeur des œuvres ante et post, les circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes de la justification elle-même, les autorités scripturaires et traditionnelles relatives à ces divers points. Ibid., p. 261. « Et parce que l’importance de ce concile en matière dogmatique, dépend principalement de cet article, » les légats suppliaient le pape de le faire étudier également à Borne par ses propres théologiens, t. x, p. 532.
Les consulteurs conciliaires ne tinrent pas moins de six longues séances du 22 au 28 juin, t. v, p. 262-281, per essere la maieria importante et di lunga discussione, comme en rendaient compte les légats, t. x, p. 536. Trente-trois docteurs de tous les ordres y prirent part : seuls les mémoires du jésuite Alphonse Salmeron et du franciscain Antoine de Pignerol, celui-ci naturelle ment d’inspiration scotiste, se sont intégralement conservés, t. v, p. 265-272 et 275-277.
Dans l’ensemble, les réponses furent concordantes ; mais deux augustiniens, Grégoire Perfecto de Padoue et Aurélius de Boccacontrata, soutenus par le dominicain Grégoire de Sienne et le servite Laurent Mazzochi, se distinguèrent des autres en soutenant que le libre arbitre ne concourt à la justification que mère passive et semblèrent diminuer en conséquence le mérite des œuvres. Qui non satis videntur catholice loculi, note le secrétaire Massarelli. Le dominicain Jean d’Udine se joignit à eux pour dire que « la -foi nous justifie, parce que nous sommas justifiés quand nous croyons fermement recevoir la rémission de nos péchés par les mérites du Christ. » Ibid., p. 280. Doctrines qui paraissent offrir « une certaine parenté avec les conceptions protestantes, » Hefner, p. 91, et que les légats jugèrent, en tout cas, défavorablement. Mais l’ensemble de la discussion, à laquelle beaucoup d'évêques avaient assisté, leur paraissait propre à jeter « une grande lumière » dans l’esprit des prélats appelés à trancher la question. Lettre du 1er juillet, t. x, p. 516. 2. Préparation prochaine.
Aussi, dès le 30 juin, les légats proposaient-ils au concile un programma en trois points : première justification ou passage de l’infidélité à la foi, deuxième justification ou conservation et développement de la première, troisième justification ou recouvrement de la grâce perdue par le péché. Chacun était accompagné de brèves formules où étaient condensées les erreurs, en tout vingt-deux, soumises à l’examen des Pères, t. v, p. 281-282.
Approuvé à la réunion générale du 30 juin, ibid., p. 282-285, ce programme fut aussitôt mis en discussion. Tous les prélats devaient donner individuellement leur avis : beaucoup lurent des déclarations écrites, plus ou moins étendues ; mais d’autres se contentèrent de se rattacher en quelques mots à l’un ou l’autre des préopinants.
Les délibérations sur le premier point remplirent huit assemblées du 5 au 13 juillet, ibid., p. 286-336, coupées, le 8, par la réception des ambassadeurs de France et le discours de Pierre Danès, p. 309-316. D’importantes communications doctrinales y furent faites : le 5, par l’archevêque de Matera, p. 287-291 ; le 6, par l'évêque de Feltre, p. 296-298 ; le 7, par les évêques de Vaison, p. 299-302, et de Motula, p. 302308 ; le 10, par les évêques de Badajoz, p. 322-324, et de Bellune, p. 325-327 ; le 13, par le général des augustins, Jérôme Séripando. p. 332-336. Ce dernier fut particulièrement remarqué, bien qu’il manifestât déjà sa tendance à réduire la part de l’homme au profit de la grâce. Hefner, p. 93. Ces divers avis furent résumés à la séance du 14, t. v, p. 337-340.
Pour aller plus vite en besogne et rédiger le décret ainsi préparé, le concile désigna, le 15, une commission de quatre membres. Bobert Vauchop, archevêque d’Armagh, et Benoît de' Nobili, évêque d’Accia, obtinrent chacun 19 voix ; Jacques Jacomelli, évêque de Belcastro, fut élu par 23 suffrages et Cornelio Musso, évêque de Bitonto, par 40. Ibid., p. 310. Entre temps, les délibérations se poursuivaient sur la deuxième et la troisième justification, qui occupèrent encore huit séances, du 15 au 23 juillet. Ibid., p. 340378. Ce furent le plus souvent les mêmes orateurs qui eurent l’occasion de s’y distinguer.
Un incident tragi-comique interrompit la gravité de ces échanges de vues. L'évêque de La Cava, Jean Thomas Sanfelice, qui avait soutenu, le 6 juillet, que nous sommes justifiés per solam fidem, p. 295, reprit la parole, le 17, pour maintenir son opinion, p. 317, et remit un mémoire écrit dans ce sens, p. 352-351. Indigné de ces propos, qu’il avait déjà blâmés en parI ticulier, l'évêque de Chiron, Denys Zannettino, sur
nommé le Greccheto, se mit à l’accuser à haute voix d’ignorance ou d’insolence. Sur quoi Sanfelice lui porta vivement les deux mains au visage et lui secoua si rudement la barbe qu’il lui en arracha plusieurs poils, t. v, p. 357-359. Le scandale étant public, une sanction était inévitable. Il y eut enquête d’urgence, t. v, p. 354-359, et le bouillant Sanfelice dut subir par ordre des légats quelques jours de prison préventive au couvent de Saint-Bernardin, t. x, p. 565. Mais, le 28, sur les instances de Zannetino, qui avait bien conscience d’avoir un peu provoqué l’incident, l’assemblée décréta sa délivrance, sous la double condition qu’il quitterait le concile et irait se faire absoudre par le pape, t. v, p. 359, 396-397, et t. x, p. 576. L’incident est également relaté dans le journal de Massarelli, 1. 1, p. 561 et 563.
En dehors de cette « rixe », les consultations théologiques suivirent paisiblement leur cours. Un prélat désireux d’avancement, l’évêque Staphileus de Sebenico, prenait même le soin d’envoyer les siennes au pape, afin de se recommander par là en vue d’un poste plus avantageux, t. x, p. 561-563. Les séances se terminèrent le 23 juillet par une longue exposition de Séripando, t. v, p. 371-375, et du général des Carmes, p. 375-378. Il ne restait plus qu’à résumer l’ensemble, p. 378-384, pour aborder ensuite la rédaction même du décret.
Dans l’intervalle, les avis des théologiens romains, si souvent sollicités, étaient expédiés de Rome le 17, t. -x, p. 566-567, et arrivaient à Trente le 22, p. 569570. Mais à ce moment-là le travail des commissaires du concile était déjà prêt.
2o Élaboration du décret.
Avant d’arriver à sa
forme actuelle, le décret sur la justification est passé par trois rédactions successives, et plus ou moins différentes, qui furent tour à tour abandonnées.
1. Premier projet.
Sans perdre de temps, la commission désignée le 15 juillet s’était mise à la tâche, avec le concours des théologiens choisis par elle « parmi les meilleurs », t. x, p. 565 et 569. Le plus important fut le franciscain André Véga, qui, d’après des sources encore inédites, serait le primus et principulis auctor de ce premier projet. Elises, t. v, p. 384, et Hefner, p. 103.
Le texte en fut distribué aux membres du concile le 24 juillet, t. v, p. 384-391. Il comprenait vingt et un petits chapitres, dont les trois premiers seuls avaient une forme affirmative, tandis que les autres commençaient par une formule d’anathème contre l’erreur visée. Chacun était suivi d’arguments théologiques et scripturaires propres à l’établir. On a n mai que avec raison, Hefner, p. 107, que ce projet primitif suit de très près la liste des vingt-deux propositions dressée par les légats en date du 30 juin.
En raison des difficultés intérieures qui entravaient alors la marche du concile, la discussion de ce texte fut retardée jusqu’au mois d’août. De Rome on suggérait d’ « expédier l’article de la justification », t. x, p. 612, afin de procéder ensuite à la translation de 1’asseiublée. Cette suggestion ne fut pas suivie et la discussion occupa les congrégations des 13, 17 et 28 août, t. v, p. 402-419.
Le piojct des commissaires fut assez maltraité. Quelques théologiens avaient déjà fait à son endroit des remarques de détail, p. 392-394, Presque tous les J’en s en critiquèrent la forme, qu’ils trouvaient longue et obscure. D’autres y signalaient des superlluités ; beaucoup se plaignaient de n’avoir pas sous les yeux
les notes des théologiens. 1.’architecture même en
déplaisait à plusieurs, parce qu’ils y voyaient trop de raisonnements et pas assez de décisions. Ainsi l’évêque de Sinigaglia souhaite que les canons soient rédigés
in tnodum dedivuiis non persuasionis, p. 403. Non
placent tôt rationes, appuie l’évêque de Bertinoro, p. 404, quia Spiritus Sanctus déterminât dogmata, non rationes. Moins mystique, l’évêque d’Agde en appelle à la suprême autorité du concile : Non reddantur rationes in canonibus, cum conciliorum suprema sit auctoritas, p. 409.
Profitant de ces hésitations, les prélats du parti impérial cherchaient à faire durer les débats par des chicanes de procédure. Ainsi l’évêque de Saint-Marc désirait revenir sur la liste des erreurs proposée le 30 juin, p. 408, et le cardinal de Jaën voulait connaître au préalable les raisons des commissaires, p. 410. Pour des scrupules théologiques, motivés par l’importance et la gravité de la question, le cardinal Pôle demandait de son côté qu’on prît du temps. Lettre du 28 juillet, t. x, p. 630-632.
Sur quoi le cardinal del Monte conclut le débat en promettant un nouveau texte, amendé juxla censuras Patrum, p. 410, auquel on trouverait bien moyen d’ajouter, sur la certitude de la grâce, p. 419, une formule propre à donner satisfaction aux desiderata de l’assemblée.
2. Deuxième projet.
Pour aboutir d’une manière
plus rapide et plus sûre, le cardinal de Sainte-Croix, Marcel Cervino, résolut de renoncer aux services de la commission et de prendre l’affaire en mains propres. Il recourut à cette fin aux lumières de Jérôme Séripando, dont le rôle déjà considérable allait ainsi devenir prépondérant.
Le général des augustins a lui-même raconté les vicissitudes de cette collaboration, t. ii, p. 428-432. Dès le 24 juillet, il était mandé par Cervino, qui le priait de rédiger un decrelum de justifteatione et lui faisait part de ses vues à cet effet. Ce texte fut prêt le 11 août et le cardinal sembla fort le goûter : il est publié au t. v, p. 821-828. Quelques jours après, le 19, Séripando lui en présentait, sur ses désirs sans doute, une seconde rédaction, légèrement remaniée sur certains points. Ibid., p. 828-833.
Car, entre temps, Cervino consultait aussi d’autres théologiens. A l’aide de ces divers éléments, il rédigea un travail personnel, que Massarelli commençait à transcrire dès le 20 et qu’il reprenait les jours suivants, après des conférences privées avec l’auteur qui durèrent souvent de longues heures, t. i, p. 568-570. On voit que le cardinal, comme il s’en rend témoignage, ne recula pas devant la fatigue, t. x, p. 623 et 629. Ce texte fut soumis, dans les premiers jours de septembre, à divers évêques ou théologiens importants. Massarelli, t. i, p. 571. Le 10, les légats pouvaient rendre compte à Rome qu’ils y avaient travaillé sans interruption et qu’il n’était pas un seul mot qui n’eût été pesé en particulier avec tous les membres du concile che son qui di qualche repulatione, t. x, p. 642 ; cf. p. 647 et les notes de Massarelli, t. i, p. 573-575.
Le projet si soigneusement élaboré fut envoyé à Rome le 22, t. x, p. 660, et soumis au concile le 23, t. v, p. 420-430. Il paraît que « personne n’ouvrit la bouche si ce n’est pour le louer, » t. x, p. 06 1 Seul Séripando n’y reconnut pas son œuvre sous les multiples remaniements qui l’avaient modifiée et en présenta ses observations au cardinal, t. ii, p. 430. Les langues allaient d’ailleurs se délier au cours de la discussion.
A la différence du premier, ce nouveau projet séparait nettement l’exposition positive, en onze petits chapitres, et la condamnation des erreurs en vingt et un canons qui suivaient. Il fut d’abord discuté en congrégation par les théologiens, les 27, 28 et 29 septembre, t. v, p. 431-1 12, puis en assemblées générales par les Pères du concile, les 1. 2,.">, 6. 7, 8, 9, Il et 12 octobre, p. 442-197. Les diverses observations qui furent faites sont résumées p. 498 509, tilles portaient sur maints détails de fond ou de forme et faisaient,
dans l’ensemble, sentir le besoin d’une rédaction encore plus courte et plus claire. Dans l’intervalle, on avait aussi reçu les avis des théologiens romains, t. x, p. 692693, tandis que les théologiens du concile discutaient, au cours de dix séances, les deux points de la justice imputée et de la certitude de la grâce, p. 523-633. Cf. t. x, p. 684.
Il fallut donc se mettre à un nouveau remaniement, mais il n’en est pas moins vrai de dire, avec Hefner, p. 113, que « le projet de septembre restera la base du décret futur. »
3. Troisième projet.
Dès le 25 octobre, Cervino demandait à Séripando de se remettre à l’œuvre pour tenir compte de toutes les suggestions qui lui en paraîtraient dignes et écarter d’un mot les autres.
Celui-ci se livra soigneusement à cette révision, avec le concours de Massarelli, qui venait chez lui de grand matin, t. ii, p. 430, et 1. 1, p. 581-582. Le travail fut terminé le 31 octobre. Ibid., p. 583. Voir le texte t. v, p. 510-523. Puis il fut remis à Cervino, qui lui fit subir de nouvelles et sensibles retouches, t. i, p. 583. Aussi, lorsqu’il fut soumis au concile le 5 novembre, Séripando eut encore la surprise de le voir tellement modifié, deformatum et quoad materiam et quoad formam, qu’il ne le reconnaissait plus. Cervino crut devoir s’en excuser auprès de lui, en alléguant qu’il avait dû sacrifier ses préférences personnelles pour donner satisfaction au cardinal del Monte, t. ii, p. 430.
Le nouveau texte se présentait avec seize chapitres, quelques-uns du précédent projet ayant été dédoublés, précédés chacun d’un titre qui en marquait l’objet. De vingt et un le nombre des canons était également passé à trente et un, t. v, p. 634-641. La discussion générale s’ouvrit le 9 novembre et occupa quatorze séances jusqu’au 1er décembre, p. 642-685. Elle fut surtout marquée, les 26 et 27, par une longue intervention de Séripando en faveur de la double justice, p. 666-675.
A l’aide de ces monologues successifs, un travail de précision finissait par s’accomplir. Pour le mener à bonne fin, la commission de quatre membres, qui chômait depuis le mois de juillet, reprit ses travaux, p. 678, et classa les critiques formulées par les Pères en trois catégories, suivant leur gravité, p. 685. C’est de là qu’allait sortir rapidement le texte définitif.
Quelques observations parurent assez légères pour que la commission prît sur elle de les régler. Neuf seulement furent jugées assez sérieuses pour être soumises à l’assemblée, qui en délibéra du 3 au 6 décembre, p. 685-691. Puis, du 7 au 16, elle aborda l’examen des chapitres et canons réformés suivant ses désirs, p. 691723. Trois ou quatre points plus délicats furent remis à de nouvelles assemblées ou laissés au jugement des prélats théologiens, qui s’en occupèrent dans les dernières semaines de décembre et les premiers jours de janvier, p. 724-778.
Ce travail minutieux donna lieu à de nombreuses modifications de détail et à l’addition de deux canons nouveaux, dont le nombre total s’éleva de la sorte à trente-trois. Deux suprêmes séances eurent encore lieu les Il et 12 janvier, p. 780-786, et la proclamation solennelle du texte fut décidée pour le lendemain.
77. PROMULGATION DU DÉCRET. — Au milieu de cette élaboration théologique, la diplomatie avait dû également s’exercer.
Si la justification était, en effet, une de ces questions doctrinales qui intéressent au premier chef la foi de l’Église, elle avait aussi, ou risquait d’avoir, des répercussions sur la politique de l’empereur. Celui-ci, qui gardait toujours l’espoir de réduire les protestants par la force, ne pouvait voir de bon œil que l’Église accusât trop vite ou trop fort les divergences dogma tiques qui la séparaient d’eux et mît par là un obstacle infranchissable sur le chemin de l’union rêvée. Voilà pourquoi, en dehors de ses ambassadeurs officiels, l’empereur eut au concile des représentants attitrés et connus comme tels — dont le principal était Pierre Pachecco, cardinal de Jaën, Hefner, p. 36 — qui s’employèrent de leur mieux à retarder l’élaboration, puis, en tout cas, la promulgation, du décret jugé compromettant. Hefner, p. 73-79.
1° Manœuvres dilatoires. — Tant que durèrent les débats, les impériaux s’appliquèrent à les prolonger par des méthodes qui ressemblaient fort à l’obstruction.
Dès que l’article de la justification fut proposé pour l’ordre du jour conciliaire, le cardinal de Jaën commença par demander qu’on fît soigneusement collection des erreurs adverses, de manière à ne pas procéder contre elles avant d’avoir établi la contumace, t. v, p. 257. Au cours de la discussion, il lui arriva souvent de se dérober sous prétexte qu’il n’était pas prêt, p. 340 et 403, d’insister pour faire remettre la session sine die, p. 394, d’en appeler à l’assemblée contre l’arbitraire des légats, p. 399-401. Il était soutenu par les évêques espagnols, qui ergotaient à l’envi sur les textes et les procédures en vue de gagner du temps.
Aussi avait-on l’impression dans le concile que, pour les impériaux, la discussion doctrinale avait moins pour but de chercher la vérité que de traîner les choses en longueur, t. x, p. 582. Les légats s’en plaignaient à plusieurs reprises, p. 593, 616, 660 et 708 ; non sans quelque exagération, l’évêque de Chiron, Zannettino, assurait qu’avec toutes ces entraves on était en train de faire durer, non pas seulement huit mois mais huit ans, une affaire qui pouvait se liquider en huit jours, p. 585.
2° Le conflit.
Comme malgré tout l’élaboration du
décret suivait son chemin, les opposants cherchèrent une position de repli en essayant d’en faire ajourner la promulgation.
La manœuvre se dessina clairement à la session du 2 octobre, où le vieil évêque de Siriigaglia, Marc délia Rovere, après avoir approuvé le texte du décret, fit valoir que la question était trop grave et le concile momentanément trop déconsidéré, vu le petit nombre de ses membres, pour qu’il ne fût pas opportun de surseoir. Il avouait avoir eu et souvent exprimé une autre manière de voir ; mais les événements l’avaient contraint à changer d’avis. Voir son votum au t. v, p. 460, à compléter par le résumé plus étendu qu’en donne Severoli, t. i, p. 104. Les évêques de Castellamare et de Lanciano adoptèrent aussitôt son sentiment, t. v, p. 461.
Au cours des sessions suivantes, les évêques espagnols firent chorus et plusieurs demandèrent qu’on abordât plutôt les questions relatives à la réforme ; car les mauvaises mœurs faisaient plus de tort à l’Église que les hérésies, t. v, p. 467 et 470-471, tandis que d’autres prélats prenaient une position inverse, p. 456 et 467-468. Les légats, qui rendaient fidèlement compte au Saint-Siège de ces incidents, se tirèrent d’affaire en déclarant que la question de promulgation ne se posait pas encore et qu’il fallait tout d’abord achever la rédaction du décret : après quoi on aviserait à lui faire un sort, t. x, p. 668-669 et 670-673.
Pour déjouer cette manifesta et aperta conspiralio, le meilleur moyen leur paraissait être la translation du concile à Rome, p. 674 et 679-680. Mais de Rome on suggérait, le 22 octobre, de rester à Trente et, pour donner satisfaction à l’empereur, d’ajourner à six mois le décret de la justification, qui serait publié eu même temps que le décret disciplinaire relatif à la résidence, p. 697. Les légats, au contraire, voulaient brusquer la situation en mettant les impériaux en demeure de se
proiîorcer sur le décret et par là de provoquer euxiiu’mes la suspension du concile, p. 702 et 708. De toutes façons, ils ne pouvaient consentir à une remise du décret, p. 713 et 717-718.
Entre temps un nouvel expédient dilatoire était imaginé par l’empereur, qui faisait demander qu’on consultât au préalable les universités sur la question, spécialement celles de Louvain et de Paris, p. 721.
3° La solution.
Sur ces entrefaites, le cardinal
Farnèse, qui arrivait d’Allemagne, ménagea, le 16 novembre, une entrevue aux deux partis en présence et l’on tomba d’accord que la publication ne semblait pas opportune dans l’état actuel de l’opinion. On décida donc de surseoir à la promulgation du décret, mais à condition que l’empereur consentirait, de son côté, à une suspension du concile que le Saint-Siège trouvait désirable à tous égards, p. 726-728
La réponse de l’empereur à cet appuntamento se fit attendre plus d’un mois. Pendant ce temps les Pires du concile travaillaient au décret senza alcuna intermissione o perdita di tempo, p. 730 et 741, et la répugnance des opposants à la promulgation semblait faiblir, p. 732, tandis que croissait l’impatience des autres. Le dominicain Thomas Stella se plaignait, le 28 novembre, qu’on embarrassât une doctrine aussi claire de questions scolastiques sans intérêt, p. 742743. Malgré les entraves, qui ne manquaient toujours pas, les légats pouvaient témoigner, le 7 décembre, que, con la nostra palientia et assiduité, per non dire arte, en finissait par aboutir, article par article, à des solutions définitives, p. 752.
Cependant la réponse impériale n’arrivait pas et les légats avaient bien l’impression que ce retard promettait un refus, p. 734, 736, 741 et 746. Aussi se préparaient-ils dès le 15 à fixer la session qui promulguerait le décret, croyant d’ailleurs sentir un fléchissement dans la résistance des impériaux, p. 758-759. Le 20, les cardinaux de Jaën et de Trente communiquaient enfin la réponse désirée, qui était négative sur toute la ligne : l’empereur ne voulait ni de la promulgation du décret ni de la suspension de l’assemblée, p. 762-763. De ce chef, le compromis conditionnel du 16 novembre devenait caduc et les légats avaient les mains libres pour hâter l’œuvre doctrinale du concile.
A la séance du 29, le cardinal del Monte attirait l’attention sur les raisons pour lesquelles on ne pouvait plus retarder sans scandale la promulgation d’un décret depuis si longtemps attendu, t. v, p. 741-742, et une majorité des deux tiers, non solo col consenso, ma con plauso ancora de più. che dui terzi del concilia, t. x, p. 772, adoptait pour la session définitive la date du 13 janvier.
De Rome Paul III approuvait la conduite de ses légats, p. 771 et 779. Il fallait cependant tout prévoir et, bien que le pape tînt en principe à l’alternative : ou publication du décret ou suspension du concile, on devait envisager l’hypothèse où les impériaux opposeraient au dernier moment un non placet. Alors même que cette opposition s’expliquerait uniquement par des scrupules politiques sur une promulgation jugée inopportune, elle ne manquerait pas d’être interprétée dans le sens d’une répugnance doctrinale, ce qui aurait pour conséquence d’affaiblir l’autorité morale du décret. Pour cette raison, sans limiter l’initiative des légats qui jugeaient mieux sur place de la situation, le pape les autorisait et les engageait même à contremander à la dernière minute la promulgation litigieuse
et à choisir comme un moindre mal la suspension
Immédiate du concile. Lettre du 7 janvier, p. 782-734.
4° Séance de promulgation.
Il ne fut pas besoin
de recourir à cet expédient désespéré.
La session du 13 janvier fut célébrée avec toute la pompe liturgique d’usage. André Cornaro, archevêque
de Spalato, célébra la messe solennelle du Saint-Esprit, suivie d’un grand sermon par Thomas Stella, évêque de Salpe. Texte au t. v, p. 811-817. Puis ce fut le cardinal del Monte qui prit la présidence de la cérémonie et souligna la gravité de l’heure devant l’assemblée, en évoquant les fameux textes messianiques où Isaïe, lx, 1 chante la lumière qui jaillit de Jérusalem sur le monde enténébré. « Nous siégeons, ajoutait-il, comme les censeurs de l’univers chrétien… Vous avez entendu lire à l’évangile : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. » Jamais parole ne fut d’application plus actuelle qu’aujourd’hui, quand nous avons à assaisonner la terre du sel de la sainte doctrine et de la véritable sagesse… » Puis lecture fut donnée par l’archevêque de Spalato, * à haute et intelligible voix », du décret sur la justification, et chacun des Pères fut invité à donner son placet. Il n’y eut pas une seule voix discordante et le cardinal del Monte en exprima sa joie par ces paroles consignées au procès-verbal : Gratias immensas agimus omnipotenti Deo ; sanctum hoc decretum de justificatione approbalum est universaliter ab omnibus uno consensu, p. 790-802. Un Te Deum solennel clôtura cette mémorable séance, 1. 1, p. 121-122 et 601-602.
Rendant compte de ce résultat obtenu nemine discrepante, les légats ne purent dissimuler que leur bonheur égalait leur surprise. « Le fait (de cette unanimité) a paru un miracle, non seulement aux autres, mais aux prélats eux-mêmes. » Et ils notaient que les Espagnols avaient été li primie li più pronli. D’autres témoins, tels que l’archevêque d’Armagh, dans une lettre à Paul III, eurent aussi l’impression d’un « évident miracle » et, plus tard encore, le franciscain Véga, en écrivant son traité de la justification, n’en cachait pas son étonnement. Hefner, p. 78. « Notre Saint-Père et tout le Sacré Collège, continuaient les légats, en peuvent rendre grâces à Dieu ; car, depuis des centaines et des centaines d’années, il n’y a peut-être pas eu de concile qui ait produit un exposé doctrinal de cette importance. » Lettre du 13 janvier, t. x, p. 786-788.
En termes semblables et d’une parfaite justesse historique, Jean-Baptiste Cicada, évêque d’Albenga, pouvait se féliciter le lendemain auprès du cardinal Farnèse, p. 790-791, que l’Église eût reçu de cette sixième session une bellissima doltrina et tanto examinata quanlo sia possibile. Le jugement de la postérité n’a pas démenti ces impressions du premier jour.
/II. analyse DU DÉCRET. — Extérieurement, après un petit prologue en guise d’introduction, le décret si laborieusement mis sur pied se présente avec seize chapitres, suivis de trente-trois canons. Mais ceux-ci, comme il ressort de la formule de transition, ne font que reprendre et compléter sous une forme négative le contenu de ceux-là. Post liane de justificatione doctrinam. .., placuil sanctæ Synodo hos canones subjungere, ut omnes sciant, non solum quid lenere et sequi, sed etiam quid vitare et fugere debeant. Cette distinction fut adoptée dès le projet de septembre, et toujours conservée dans la suite, comme plus favorable à la clarté. Mais elle n’empêche pas l’unité réelle de ces deux parties. D’autant que l’ordre des canons est à peu près parallèle à celui des chapitres. Il faut donc, pour restituer sa logique interne à ce diptyque doctrinal, rapprocher l’un de l’autre ces fragments symétriques d’un même tout.
1° Prologue.
Sans contribuer d’une manière précise
à la doctrine de la justification, le prologue indique l’esprit dans lequel fut conçu le décret. Il n’est pas reproduit dans Denzlnger Bannwart, mais bien dans Cayallera, Thésaurus, n. 872.
Cum hoc tempore non Attendu qu’en ce temps, sine luiillarum aiiinmrum pour la perte île beaucoup jætura et gravi ecclesiasd’Aines et nu grave détriment
ticae unitatis detrimento, erronea quædam disseminata sit de justificatione doctrina, — ad laudem et gloriam omnipotentis Dei, Ecclesiae tranquillitatem et animarum salutem, sacrosancta oecumenica et generalis Tridentina synodus, in Spiritu Sancto légitime congregata — præsidentibus in ea, nomine sanctissimi in Christo patris et domini nostri domini Pauli, divina providentia papas tertii, reverendissimis dominis Io. Maria episcopo Prænestino, de Monte, et Marcello, tit. S. Crucis in Jérusalem presbytero, sancta ? Romanae Ecclesise cardinalibus et apostolicis de latere legatis — exponere intendit omnibus Christi fidelibus veram sanamque doctrinam ipsius justificationis, quam sol justitiae Christus Jésus, fidei nostrae auctor et consummator, docuit, apostoli tradiderunt et catholica Ecclesia, Spiritu Sancto suggerente, perpetuo retinuit, districtius inhibendo ne deinceps audeat quisquam aliter credere, prædicare aut docere quam præsenti décret o statuitur ac declaratur.
de l’unité ecclésiastique, une doctrine erronée de la justification a été répandue, — pour l’honneur et la gloire du Dieu tout-puissant, pour la paix de l’Église et le salut des âmes, le saint concile œcuménique et général de Trente légitimement réuni dans le Saint-Esprit, présidé, au nom de notre très saint père et seigneur dans le Christ Paul par la divine Providence troisième pape du nom, par les très révérends seigneurs Jean Marie del Monte, évêque de Palestrina, et Marcel, prêtre du titre de Sainte-Croix à Jérusalem, cardinaux de la sainte Église romaine et légats apostoliques, — se propose d’exposer à tous les fidèles du Christ la vraie et saine doctrine de cette justification même que le Christ Jésus, soleil de justice, auteur et consommateur de notre foi, a enseignée, que les apôtres ont transmise et que l’Église catholique, sous l’action du Saint-Esprit, a toujours conservée, en interdisant sévèrement que personne désormais ose croire, prêcher ou enseigner autrement qu’il est décidé et déclaré dans le présent décret.
Où l’on voit, en dehors des formules de chancellerie, que le concile prend soin de préciser l’occasion, le but et l’objet du document qui va suivre. L’occasion en est fournie par l’erreur protestante et ses ravages ; le but en est, comme toujours, la gloire de Dieu et le bien des âmes ; l’objet en sera la proclamation de la doctrine traditionnelle que l’Église tient de son divin fondateur. Déjà s’afïîrme l’autorité doctrinale et le caractère définitif du décret, puisque le concile, non content d’ « exposer la vraie doctrine », y ajoute l’interdiction de manifester ou seulement de professer une autre conception. Langage impératif qui annonce une définition de foi.
2° Corps du décret : Première justification (c. i-ix). — Suivant le plan primitif proposé le 30 juin 1546, l’architecture du décret reste dominée par la distinction d’un triple état possible de l’homme et du triple aspect sous lequel on peut, en conséquence, envisager la justification. Il est d’ailleurs entendu que la première est de beaucoup la plus importante et commande « tout le processus » de cet acte divin, t. v, p. 281. Aussi tient-elle à elle seule plus de la moitié du décret.
1. Bases dogmatiques de la justification (c. i-iv). — Pour suivre sur leur terrain les protestants, qui aimaient déjà grouper autour du concept de justification toute l’économie du surnaturel, et aussi pour marquer la place centrale qui revient à ce dogme dans l’ensemble de la foi, le concile a voulu rappeler en quelques mots les prémisses dont il dépend. Les titres officiels qui précèdent les chapitres permettent, ici et ailleurs, de suivre aisément la liaison des idées. On les trouve reproduits par Denzinger-Bannwart dans la table initiale des matières, tandis que le corps du volume ne les donne qu’en abrégé.
Un premier chapitre expose les conditions négatives de la justification, en traitant, sur les pas de saint Paul, de naturse et legis ad juslificandos homines imbecillitate, c. i, impuissance à laquelle remédie la
rédemption qui nous vient du Christ. Cette condition positive, à la fois seule nécessaire et seule suffisante, de notre justification fait l’objet des deux chapitres qui suivent, soit d’abord le principe ou la mission du Rédempteur : De dispensalionc et mysierio adventus Christi, c. ii, puis l’application ou l’union de l’homme à l’œuvre rédemptrice : Qui per Christum jusdficantur, c. m. A la suite de ces considérations préliminaires arrive logiquement la notion générale de la justification, dont un texte de saint Paul, Col., i, 12-14, fournit les éléments : Insinuatur descriptio juslificationis impii et modus ejus in statu gratise, c. iv.
Les trois premiers canons affirment, à rencontre des erreurs pélagiennes ou semipélagiennes, l’insuffisance de la nature et la nécessité de la grâce, can. 1-3.
2. Genèse de la justification (c. v-vi). — Quoique la justification soit un fruit de la grâce, il y a place pour un effort de l’homme en vue de s’y préparer. De cette préparation le concile affirme d’abord le fait : De necessilate preeparationis ad justificationem in adultis et unde sit, c. v ; puis il en décrit le mode, en esquissant le schéma psychologique de la conversion : Modus preeparalionis, c. vi.
A cette section correspondent six canons, qui condamnent les erreurs protestantes sur le libre arbitre et la valeur des œuvres qu’il produit, ainsi que sur la justification par la seule foi, can. 4-9.
3. Nature de la justification (c. vii-vm). — - Au terme de cette préparation survient la justification elle-même.
Sa nature est exposée en un long chapitre, où, après quelques mots de définition plus précise, le concile en marque d’abord les causes, puis l’essence et les effets : Quid sit justificatio impii et quæ ejus causse, c. vu. Un chapitre complémentaire, sorte d’appendice apologétique au précédent, explique, à rencontre des protestants, comment il faut entendre ces mots de saint Paul dont ceux-ci abusaient tant au profit de leur thèse : savoir que nous sommes justifiés « par la foi » et « gratuitement », c. viii.
Cinq canons réprouvent, en regard, le système des novateurs sur la foi justifiante et la justice imputée, can. 10-14.
4. Conséquences psychologiques de la justification (c. ix). — De leur système les protestants déduisaient la possibilité, voire même la nécessité, pour le chrétien, de se tenir pour absolument assuré de sa justification. Le concile tient à écarter spécialement cette « vaine assurance », en marquant les limites dans lesquelles notre confiance peut et doit se. tenir. D’où le c. ix : Contra inanem heereticorum fiduciam, et les canons correspondants, qui joignent à ce thème celui de la prédestination, can. 15-17.
3° Corps du décret : Deuxième et troisième justifications (c. x-xv). — Après avoir ainsi amplement traité de la première justification, le concile aborde ensuite les deux autres : c’est-à-dire le développement de la grâce reçue et la récupération de la grâce perdue.
1. Développement de la justification (c. x-xm). — Assimilation de notre âme au Christ, la vie surnaturelle n’est jamais tellement parfaite qu’elle ne puisse encore grandir. De même qu’il appartient à l’homme, avec le secours de la grâce, de se préparer à la justification, ainsi est-il en mesure et en devoir de la développer. Le fait et ses conditions générales sont exposés au c. x : De acceptée juslificationis incremento.
Il ne saurait y avoir d’autre moyen pour cela que la pratique de la loi divine. Ce qui fournit au concile l’occasion de s’expliquer ex professo sur les commandements de Dieu, que les protestants donnaient volontiers, soit comme impossibles, soit comme superflus : De observatione mandatorum deque illius necessitate et possibilitate, c. xi. Cette vie morale soulève naturellement les deux problèmes connexes de la prédesti
nation et de la persévérance finale. Le concile tient à protéger contre toute « présomption téméraire » le mystère de l’une et de l’autre : Prædestinationis temerariam prxsumplionem cavendam esse, c. xii : De perseverantiæ munere, c. xiii.
Par analogie, les erreurs protestantes sur ces deux derniers points avaient été rapprochées, can. 15-17, de celles qui visent la certitude initiale de la justification, can. 14. Il ne restait plus au concile qu'à rejeter ici celles qui portent sur l’observation des commandements divins, can. 18-21, puis sur la valeur des œuvres morales qui sont le moyen d’obtenir le don de la persévérance et de réaliser notre accroissement spirituel, can. 22-26.
2. Récupération de la justification (c. xiv-xv). — Au lieu de ce perpétuel progrès que tout rend possible et nécessaire, c’est trop souvent la défaillance qui se produit. Voilà pourquoi le concile ajoute aussitôt le moyen de retrouver la grâce perdue par le péché : De lapsis et eorum reparatione, c. xiv. Simple esquisse de cette doctrine de la pénitence qui devait faire, cinq ans plus tard, l’objet de la session xiv (25 novembre 1551). Après l’avoir ici touchée en quelques mots, le concile écarte la conception protestante, qui solidarise tellement la justification et la foi qu’on ne perdrait jamais l’une sans l’autre. Ce qui lui fournit l’occasion de distinguer les deux plans de la foi et de la charité dans l'édifice surnaturel : Quolibet mortali peccato amitti gratiam, sed non fidem, c. xv.
Deux canons reprennent la condamnation de cette erreur, can. 27-28, tandis que les deux suivants visent celles qui portent atteinte au principe même de la récupération, can. 29-30.
4° Conclusion du décret : Fruits de la justification (c. xvi). — « Aux hommes ainsi justifiés, soit qu’ils aient toujours conservé la grâce une fois reçue, soit qu’ils l’aient perdue et recouvrée, » il reste à faire fructifier le don de Dieu par des œuvres saintes, dont la vie éternelle sera la récompense.
Par cette transition qui ouvre le c. xvi : De fruclu justificationis, hoc est de merito bonorum operum deque ipsius meriti ratione, le concile marque bien que cette doctrine du mérite est le couronnement de toute la foi catholique en matière de justification. Une fois de plus s’y affirme, dans la perspective du terme final, cette collaboration de Dieu et de l’homme qui est la loi de la vie spirituelle pour l’humanité régénérée par le Christ.
Les deux canons 31 et 32 vengent la notion du mérite contre les objections et préjugés des protestants.
Telle est « la doctrine catholique en matière de justification, » dont le concile de Trente, dans une antithèse expressive calquée sur la finale du symbole de saint Athanase, déclare en terminant qu’il est indispensable de la croire pour être justifié : …calholicam de juslificatione doclrinam, quam nisi quisque fidclilcr firmilerque reccperit justificari non poterit. A tous les canons qui ont condamné dans le détail les erreurs opposées le décret en ajoute encore un dernier, can. 33, qui tend à la couvrir contre un grief d’ensemble.
Si quis dixerit per hanc doctrlnam catholicam de justiflcatione, a sancta synodo hoc præsenti decreto expressam, aliqua ex parte gloria : Dei vel meritis Jesu Chri.stl Domlnl nostri derogari, et non potius verltatem fidei nostra :, Dei denique ac Christl Jesu gloriam illustrari, anathema
Ml.
Si quelqu’un dit que cette doctrine catlioliquede la justification, exprimée par le saint concile dans ce présent décret, déroge en quelque mesure à la gloire de Dieu ou aux mérites de Jésus-Christ Notre -Seigneur, et non pas plutôt qu’elle met en lumière la vérité de notre toi, la gloire do Dieu en lin et celle du Christ Jésus, qu’il soit anathème.
Le décret se clôt sur ces paroles solennelles, où le concile, en même temps qu’il énonce la suprême protestation de l'Église contre les calomnies passionnées de ses adversaires, dégage l’inspiration fondamentale et le but dernier de sa définition.
IV. PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DU DÉCRET. —
Relever et commenter toutes les doctrines contenues dans un document d’une telle envergure équivaudrait à écrire un vaste traité De ente supernaturali. Plusieurs parties en ont été étudiées en leur temps aux art. Attrition, 1. 1, col. 2239 ; Foi, t. vi, col. 82, 280, 395 ; et surtout Grâce, ibid., col. 1569, 1608-1609, 1618-1619, 1626-1629, 1631-1635, 1640, 1654-1655, 1659, 1678, 1684-1685 ; Indifèles, t. vii, col. 1772-1779. D’autres le seront aux art. Libre arbitre, Mérite, Péché originel, Persévérance, Prédestination, Rédemption. Il nous suffit de noter ici les points qui précisent la tradition catholique sur la question proprement dite de la justification, à rencontre des innovations introduites par les premiers réformateurs.
1° Préparation de la justification.
Un des points
fondamentaux de la Réforme était que la justification est absolument gratuite, sans autre concours de notre part que la foi, et que le libre arbitre y joue un rôle purement passif sous l’action de la grâce. Ce qui amène le concile à définir l'égale nécessité de la grâce et de notre libre coopération.
1. Question de principe.
Elle est tranchée auc. v, Denzinger-Bannwart, n. 797, et Cavallera, Thésaurus, n. 877.
Déclarât præterea (sancta synodus) ipsius justificationis exordium in adultis a Dei per Jesum Christum præveniente gratia sumendum esse, hoc est ab ejus vocatione qua nullis eorum exsistentibus meritis vocantur, ut qui per peccata a Deo aversi erant per ejus excitantem atque adjuvantem gratiam ad convertendum se ad suam ipsorum justificationem eidem gratiae libère assentiendo et cooperando disponantur.ita ut, tangente Deo cor hominis per Spiritus Sancti illuminationem, neque homo ipse nihil omnino agat inspirationem illam recipiens, quippe qui illam et abjicere potest, neque tamen sine gratia Dei movere se ad justitiam coram illo libéra sua voluntate possit.
En outre, le saint concile déclare que le commencement de la justification chez les adultes doit être cherché dans la grâce prévenante de Dieu par Jésus-Christ, c’est-à-dire dans cet appel qu’ils reçoivent sans aucun mérite de leur part, de telle sorte que, détournés de Dieu par leurs péchés, au moyen de sa grâce excitante et adjuvante ils se disposent à se tourner vers leur propre justification en consentant et coopérant librement à cette même grâce. Ainsi Dieu touche le cœur de l’homme par l’illumination du Saint-Esprit de telle façon que l’homme lui-même ne reste pas absolument inerte sous le coup de cette inspiration, car il peut aussi bien la repousser, et que cependant sans la grâce de Dieu il ne peut se mouvoir vers la justice devant lui par le libre effort de sa volonté.
L’objet de ce chapitre est visiblement double : c’est, d’une part, d’opposer à toutes les formes de seinipélagianisme l’initiative de la grâce divine ; mais, en même temps, d’affirmer contre les protestants la possibilité et la nécessité de notre libre coopération. Suivant son habitude, le concile indique à l’appui de cette doctrine deux catégories de textes scripturaires : les uns, tels que Lament., v, 21, qui soulignent la part de la grâce ; les autres, tels que Zach., i, : t, qui marquent celle de la liberté.
De ces deux points le premier ne souffrit pas de difficultés : V exordium jusliflcationis, comme au concile d’Orange l’inttlum fldei, ne pouvait qu'être reporté à Dieu. Pour bien préciser, le concile Introduit ici les termes de grâce prévenante ou excitante depuis longtemps adoptés par l'École.
Le concours de l’homme souleva plus de discussions ; car, en vertu d’un « augustinisme mal compris », Hefner, p, 140, d’aucuns crurent pouvoir réduire cette part de notre libre arbitre. Dans les consultations préalables, quatre théologiens soutinrent, d’après le résumé de Massarelli, t. v, p. 280, quod liberum arbilrium se habet mère passive et nullo pacto active ad justificationem. Voir p. 263-264 le détail de leurs vues, qui semblent avoir été plus nuancées, puisqu’ils admettent les œuvres de l’homme, sinon comme « nécessaires », du moins comme dispositiva ou disponentia, encore qu’on ne puisse parler proprement de dispositiones effectives. Au cours des débats, l’archevêque de Sienne, François Piccolomini, s’exprima dans le même sens — omnes justificationis partes ad Christum tribuit, au rapport de Severoli — et fut, de ce chef, mal noté apud plerosque, t. i, p. 86 ; cf. t. v, p. 286. C’est assez dire qu’en dépit des augustiniens la majorité n’eut pas d’hésitation à reconnaître le rôle effectif de notre liberté.
Une fois l’accord sur le fond réalisé, la rédaction fut assez rapide. Ébauché dans le projet de juillet, c. x-xi, t. v, p. 387, le texte actuel est à peu près acquis dans celui du 23 septembre, c. vi, p. 422, qui suit en le modifiant d’une manière assez heureuse le brouillon de Séripando, p. 829. Les principaux changements qu’il reçut dans la suite n’intéressent guère que la forme : troisième personne du pluriel au lieu de la première ; suppression de quelques pléonasmes tels que præveniente (misericordia seu) gratia, per (impietaies et) peccata ; adoption pour écarter l’erreur protestante, au lieu de l’image un peu forte tamquam exanime quoddam organum, d’une formule à la fois plus philosophique et plus atténuée : ita ut… neque homo nihil omnino agat. Un seul détail touche un peu le fond : c’est l’addition à la dernière ligne, après movere se ad justitiam, des deux mots coram Deo ou plus tard coram illo. Proposée par Claude Le Jay, procureur du cardinal d’Augsbourg, à la séance du 23 novembre, p. 658 et 681, elle était encore discutée le 7 décembre, parce qu’elle paraissait exclure opéra moralia et mérita de congruo, p. 693 ; mais, le 9, l’ensemble de l’assemblée s’y montrait acquise, p. 695.
Comme ailleurs, le concile a eu soin de se maintenir ici dans la ligne des principes certains. Il affirme la nécessité de la grâce, mais sans dire le mode de son efficacité ; la possibilité et l’obligation de notre libre concours, donc la valeur de nos œuvres préparatoires à la justification, mais en évitant de prononcer, malgré l’avis favorable de la majorité des théologiens, p. 280, qu’elles constituent un mérite de congruo. Un canon primitivement prévu pour condamner la doctrine d’après laquelle nos œuvres antérieures « pourraient mériter vraiment et proprement la justification devant Dieu, » t. v, p. 426, fut définitivement écarté pour ne point heurter de front la thèse scotiste sur ce dernier point.
Des mêmes principes s’inspire le can. 4, spécialement dirigé contre les erreurs protestantes.
Si quis dixerit liberum hominis arbitrium a Deo motum et excitatum nihil cooperari assentiendo Deo excitanti atque vocanti, quo ad obtinendam justifleationis gratiam se disponat ac præparet, neque posse dissentire si velit, sed velut inanimé quoddam nihil omnino agere mereque passive se habere, anathema sit.
Denzinger-Bannwart, n. 814, et Cavallera, n. 892.
Si quelqu’un dit que le libre arbitre de l’homme mû et excité par Dieu ne coopère aucunement en donnant son assentiment à Dieu qui l’excite et l’appelle, par où il se prépare et dispose à obtenir la grâce de la justification, et qu’il ne peut pas refuser son consentement s’il le veut, mais que, à la façon d’un être inanimé, il est absolument inerte et joue un rôle purement passif, qu’il soit anathème.
Le dogme catholique de notre coopération à la grâce est fixé ; mais les divers problèmes théologiques qui s’y rattachent sont laissés à la libre discussion des écoles. Hefner, p. 146-147.
2. Question d’application.
Après avoir ainsi posé le principe de notre préparation, le concile en décrit aussitôt le mode, c. vi, Denzinger-Bannwart, n. 798, et Cavallera, n. 878.
Disponuntur autem ad ipsam justitiam dum, excitati divina gratia et adjuti, fidem ex auditu concipientes, libère moventur in Deum, credentes vera esse quæ divinitus revelata et promissa sunt atque illud imprimis a Deo justificari impium per gratiam ejus per redemptionem quae est in Christo Jesu ; et dum, peccatores se esse intelligentes, a divinse justitise timoré quo utiliter concutiuntur ad considerandam Dei misericordiam se convertendo in spem eriguntur, fidentes Deum sibi propter Christum propitium fore illumque tamquam omnis justitiae fontem diligere incipiunt ; ac propterea moventur adversus peccata per odium aliquod et detestationem, hoc est per eam pænitentiam quam ante baptismum agi oportet ; denique dum proponunt suscipere baptismum, inchoare novam vitam et servare divina mandata.
Or ils se disposent à la justice dans ce sens que, excités et aidés par la divine grâce, ils conçoivent la foi par l’ouïe et se tournent librement vers Dieu ; qu’ils croient aux vérités et aux promesses révélées par Dieu, à celle-ci surtout que l’impie est justifié par la grâce de Dieu au moyen de la rédemption qui est dans le Christ Jésus ; que, se reconnaissant pécheurs, de la crainte de la divine justice qui les frappe utilement ils en viennent à considérer la miséricorde de Dieu et s’élèvent à l’espérance, ont confiance que Dieu leur sera propice à cause du Christ et commencent à l’aimer comme source de toute justice ; que, par conséquent, ils se retournent contre leurs péchés dans un sentiment de haine et de détestation, c’est-à-dire par cette pénitence qu’il faut faire avant le baptême ; qu’ils se proposent enfin de recevoir le baptême, de commencer une vie nouvelle et d’observer les commandements divins.
Logiquement cette doctrine est précédée par celle du canon 9, dirigé contre le point central de la conception protestante. Denzinger-Bannwart, n. 819, et Cavallera, n. 892.
Si quis dixerit sola fide impium justificari, ita ut intelligat nihil requiri quo ad justificationis gratiam consequendam cooperetur, et nulla ex parte necesse esse eum su » voluntatis motu præparari atque disponi, anathema sit.
Si quelqu’un dit que l’impie est justifié par la foi seule, de telle sorte qu’il entende que rien d’autre n’est requis pour coopérer à la grâce en vue d’obtenir la justification, et qu’il n’est aucunement nécessaire qu’il se prépare et dispose par un mouvement de sa propre volonté, qu’il soit anathème.
Contre les scrupules de quelques Pères, t. v, p. 453 et 508, il fut entendu, p. 522, que ce canon ne visait aucunement le cas de ces baptêmes hâtifs, tantum christianæ credulitatis confessione clariftcata, autorisés par une fausse décrétale attribuée au pape Victor. Hinschius, Décrétâtes pseudo-Isidorianæ, p. 128. -Il ne pouvait être question ici que de condamner le dogme capital de la Béforme. Aussi, sans rien dire des spéculatifs qui tenaient à la vertu justifiante de la foi, le concile se place-t-il dans l’ordre des réalités morales, en réprouvant ceux qui donneraient la foi comme la seule condition nécessaire et suffisante de notre part. Il demande en outre « un mouvement de volonté », qui reste indéterminé ici, mais dont le chapitre vi a précisément pour but d’analyser le détail.
Une marche psychologique y est tracée, où, sous l’action antécédente et concomitante de la grâce, on voit l’âme du pécheur franchir progressivement les étapes suivantes : foi en Dieu et en ses promesses,
spécialement en sa grâce rédemptrice ; sentiment du péché et crainte salutaire de la justice divine ; espérance en la miséricorde de Dieu et commencement d’amour ; détestation du péché par une sincère pénitence ; bon propos de recevoir le baptême et de mener une vie nouvelle conforme aux commandements divins.
a) Insuffisance de la foi. — De ce double texte l’intention ressort en premier lieu de marquer à la foi son rôle et de fixer en même temps qu’il s’agit de la foi théologique ou croyance, et non pas de la confiance mystique, fides fiducialis, dont parlaient les protestants. Voir Foi, t. vi, p. 56-84. C’est là que, « par suite d’une connaissance superficielle de saint Paul, quelques Pères s’approchèrent fâcheusement des conceptions luthériennes, » Hefner, p. 147-148, en croyant pouvoir se contenter de cette foi pour la justification. « Après que Dieu a éclairé notre intelligence, expliquait, à la session du 6 juillet, Thomas Sanfelice, évêque de La Cava, qu’il a rectifié notre volonté et nous a donné cette foi vivante qui entraîne avec elle l’espérance et la charité, il n’attend pas pour nous justifier que nous fassions un acte d’espoir ou d’amour. Mais, dès que l’intelligence s’est ouverte par la foi au mystère de la Rédemption et que la volonté s’est persuadée par la foi de la miséricorde divine au point de n’en pouvoir plus douter, aussitôt les péchés sont remis et l'âme rétablie dans la grâce de Dieu… D’un mot, l’homme est aussitôt justifié ; et cela se fait en dernier lieu par la foi, soit parce qu’il n’appartient pas à l’espérance ni à la charité qui accompagnent toujours cette foi de percevoir la miséricorde et la justice de Dieu…, soit parce qu’il a plu au Dieu tout-puissant de nous prévenir de ses dons… L’impie est donc justifié par la foi seule ; puis, ainsi transformé, il aime Dieu et espère en lui. » T. v, p. 295.
A la séance du 10, l'évéque de Bellune, Jules Contarini, neveu du cardinal, se fit le défenseur de vues toutes semblables qu’il tenait sans nul doute de son oncle, p. 325. Opéra nostra facla extra justificationem nullius esse ponderis, assurait-il. Tout ce qui regarde notre disposition au salut doit être laissé à la bonté et à la miséricorde divines. Il suffit à l’homme d’avoir cette foi vivante dont la charité est l’annexe : jam enim factus est fidelis et juslus ex eo quia Dei fldem accepil, per quam fidem applicantur ei mérita Christi. R. Seeberg a pris la défense de cette doctrine, qu’il trouve d’inspiration thomiste. Zeitschrift für kirch. Wissenscha/t und kirch. Leben, 1889, p. 656-662. Au témoignage de Severoli, t. i, p. 88, elle choqua pourtant les membres du concile, dont quelques-uns allèrent jusqu'à parler d’hérésie, et l’auteur jugea bon de s’en défendre à la séance du 20 juillet, t. v, p. 364. On a vu plus haut, col. 2166, les incidents soulevés par Sanfelice, et R. Seeberg reconnaît, bien qu’on puisse l’expliquer, que cet auteur se rapproche davantage du point de vue protestant. Loc. cit., p. 663-666.
b) Bôle des œuvres. — C’est pourquoi l’assemblée décida d’affirmer le rôle des œuvres préparatoires à la justification et, pour le mieux marquer, d'énumérer au moins les principales.
Préparée par Séripando, dont le texte était cette fois plus bref, p. 829, la matrice du texte actuel est déjà constituée dans le projet du 23 septembre, p. 422423. Il fut successivement retouché dans les séances des 10, 13 et M décembre, p. 695 698 et 704-708, des 8 et 9 janvier, p. 763 et 776. Dans l’intervalle, on avait remplacé les substantifs per fidem, per spem, prévus tout d’abord, par les participes enduites, etc., qui
avaient l’avantage de ne pas préjuger l’existence <l<s
vertus infuses, on avait primitivement écrit que le
pécheur est justifié a Deo SOLO ; cet adjectif fut supprimé comme équivoque. En revanche, à per odium
on ajouta aliquod, p. 713, pour sauvegarder l’attrition ; mais un passage contesté sur la crainte de l’enfer et son rôle dans la vie morale fut remplacé par la formule plus atténuée : quo (timoré) utiliter concutiuntur. Voir Attrition, t. i, col. 2254-2255. On discuta fort pour savoir si la crainte précède l’espérance ou vice versa, p. 704-705 : le 14 décembre, l’archevêque d’Armagh soutenait encore que l’espérance doit précéder ; mais les prélats théologiens convinrent de donner le premier pas à la crainte, p. 708.
Thomistes et scotistes s’affrontèrent plus sérieusement sur la question de l’amour naturel de Dieu, de telle sorte que le commencement d’amour mentionné dans le projet du 23 septembre, p. 423, avait disparu dans celui du 31 octobre, p. 511, et du 5 novembre, p. 636. Il fut rétabli le 10 décembre, p. 695, et définitivement conservé : mais il n’y est question que d’un amour ébauché, diligere incipiunt, et l’on évite d’y parler d’un amour super omnia. Ainsi le concile se tenait, ici encore, au-dessus des controverses d'école. Voir Charité, t. ii, col. 2236-2251.
Les canons correspondants ne condamnent, eux aussi, que les erreurs protestantes sur l’extinction du libre arbitre, can. 5-6 ; sur la malice radicale de toutes les œuvres faites avant la justification, quacumque ralione facta sint, can. 7 ; sur le caractère coupable de la crainte de l’enfer, can. 8. Denzinger-Bannwart, n. 815-818 et Cavallera, n. 892.
De cette psychologie de la conversion prise dans son ensemble il est d’ailleurs entendu qu’elle représente une sorte de type abstrait, dont le concile n’a pas prétendu dire qu’il soit indispensable ni toujours réalisé. Ainsi en témoigne formellement Véga, Trid. decreti de juslificatione exposilio, Venise, 1548, p. 89 : Non ila patres harum sex dispositionum hoc loco meminerunt ut asserere voluerint eas omnes necessarias esse et neminem vel una earum déficiente justifleari. Neque eo animo eas ordine slatim expresso numerarunt ut eum ordinem semper servari a Deo aut a nobis crediderinl in prœparando nos ad gratiam. Noverant mine ordinem hune, nunc illum a Deo servari et mine pluribus, nunc paucioribus dispositionibus trahi peccalores et venire ad gratiam Dei.
2° Nature de la justification.
Plus encore que la
préparation de la justification, c’est sa nature même qui était mise en cause par la Réforme. Aussi le concile est-il particulièrement étendu sur cet article. Il fait l’objet du c. vu tout entier, Denzinger-Bannwart, n. 799-800, et Cavallera, n. 879-880, qui devient ainsi « le point culminant de tout le décret ». Hefner, p. 2 17.
1. Notion générale de la justification.
Tout d’abord le concile y pose une définition de la justification, qui anticipe sous une forme générale ce qui sera dit plus loin de son essence.
liane dispositionem seu præparationem justificatio ipsa consequitur, quac non est sola peccatorum remissio, sed et sanctificatio et renovatio interioris huminis per voluntariam susceptionem gratias et donorum, unde homo ex injusto fit jusi us. et ex inimico amicus.
Cette disposition ou préparation est suivie de la justification elle-même, qui ne consiste pas seulement dans la rémission des péchés, mais encore dans la sanctification et le renouvellement de l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons, par quoi l’homme d’injuste devient juste, et d’ennemi ami.
On ne trouve cette définition sommaire de la justification que dans le projet du 5 novembre, p. 636, et encore en quelques mots seulement qui furent un peu plus développés dans la suite, à la demande surtout de l’archevêque de Torrès, p. 64 i et 681. Elle est évidemment conçue pour exprimer en gros le concept catholique et l’opposer au système protestant. Il en
ressort que la justification n’est pas un acte purement négatif, sola peccatorum remissio, cf. can. 11, Denzinger-Bannwart, n. 821, et Cavallera, n. 892, mais une rénovation positive de notre état spirituel. Formule qu’on rapprochera du c. iv, Denz., n. 796, et Cav., n. 876, où la justification est définie, d’après saint Thomas, comme une trunslatio de l’état de péché à l’état de grâce.
Dans ce sens tout à fait général, le texte proposé ne pouvait soulever que des difficultés de rédaction, qui furent aisément résolues dans la séance du Il décembre, p. 700-701. La formule définitive est construite de manière à ne préjuger aucune opinion d’école, par exemple sur le rapport de la grâce et des dons, sur la relation logique entre la rémission des péchés et l’infusion de la grâce..Hefner, p. 258. Au rapport de Véga, op. cit., p. 52, les mots per vohmlariam susceptionem furent expressément introduits adversus dogma Lutheri asserentis etiam nolentes et reluctantes adullos justificari.
2. Causes de la justification.
Pour mieux situer dans l’ensemble du champ dogmatique le concept ainsi défini, le concile continue par un petit développement sur les « causes de la justification », c’est-à-dire, en style d’école, les divers agents qui, à divers points de vue, interviennent pour la réaliser.
Hujus justificationis causse sunt, finalis quidem : gloria Dei et Christi ac vita seterna ; efficiens vero : misericors Deus, qui gratuito abluit et sanctificat… ; meritoria autem : dilectissimus Unigenitus suus Dominus noster Jésus Christus, qui… sua sanctissiraa passione in ligno crucis nobis justificationem meruit et pro nobis Deo Patri satisfecit ; instrumentais autem : sacramentum baptismi, quod est sacramentum fidei sine qua nulli unquam contigit justificatio. Demum unica causa formalis est justitia Dei, non qua ipse justus est, sed qua nos justos facit.
De cette justification voici les causes. Cause finale : la gloire de Dieu et du Christ et la vie éternelle ; cause efficiente : le Dieu de miséricorde qui nous purifie et sanctifie gratuitement… ; cause méritoire : son très cher fils unique Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui…, par sa passion très sainte sur le bois de la croix, nous a mérité la justification et a satisfait pour nous à Dieu son Père ; cause instrumentale : le sacrement de baptême, qui est le sacrement de la foi sans laquelle personne n’a jamais obtenu la justification. Enfin l’unique cause formelle est la justice de Dieu, non pas celle par laquelle il est juste en lui-même, mais celle par laquelle il nous rend justes.
Dès le 29 juin, les légats avaient interrogé les théologiens mineurs sur les « causes de la justification », t. v, p. 261. Et les réponses n’avaient pas manqué ; mais elles n’entrèrent pas dans les premières rédactions du décret, pas même dans le projet du 23 septembre, p. 423. C’est seulement celui de Séripando, en date du 31 octobre, qui commence à leur faire une place, p. 512. D’où ce paragraphe est passé dans le texte officiel du 5 novembre, p. 536. Il ne reçut dans la suite que des retouches insignifiantes. D’aucuns voulaient y faire entrer la foi, qui, plus qu’une simple disposition, leur paraissait être au moins un commencement de cause formelle. L’évêque d’Oporto y tenait avec beaucoup d’autres, et Séripando n’en était pas éloigné, p. 743. A un autre point de vue on discuta pour savoir si la « gloire du Christ » devait y figurer au titre de cause finale. Toutes ces questions furent réglées dans le sens actuel aux séances du 23 et du 28 décembre, p. 737-743.
Cette partie du décret fournit ce qu’on pourrait appeler le cadre général de la justiiication. Son principal intérêt est d’amorcer par symétrie l’exposé de la cause formelle ou essence de la justification qui suit immédiatement.
3. Essence de la justification — Il n’était guère de point plus discuté, soit par les protestants, soit même par certains théologiens catholiques. Après une longue élaboration, le concile aboutit au texte suivant :
L’unique cause formelle de la justification est la justice de Dieu, non pas celle par laquelle il est juste en lui-même, mais celle par laquelle il nous rend justes, c’est-à-dire celle qu’il nous donne et qui renouvelle l’esprit de notre âme, de manière à ce que non seulement nous soyons réputés justes, mais vraiment appelés et constitués tels par le fait que nous recevons en nous la justice… Quoique, en effet, personne ne puisse être juste que par la communication des mérites de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ceci se produit, dans cette justification du pécheur, de telle façon que, par le mérite de cette très sainte passion, grâce à l’Esprit Saint, la charité de Dieu se répand dans le cœur de ceux qui sont justifiés et leur devient inhérente. D’où il suit que, dans la jus, tification même, avec la rémission des péchés, l’homme reçoit en même temps, par Jésus-Christ auquel il est inséré, tous ces dons infus : la foi, l’espérance et la charité.
A ce chapitre se rattachent étroitement les can. 10 et 11, Denzinger-Bannwart, n. 820-821, et Cavallera, n. 792, qui indiquent à quelles conceptions le concile entend opposer sa doctrine.
Unica causa formalis est justitia Dei, non qua ipse justus est sed qua nos justos facit, qua videlicet ab eo donati renovamur spiritu mentis nostrae et non modo reputamur sed vere justi nominamur et sumus, justitiam in nobis recipientes. .. Quamquam enim nemo possit esse justus nisi cui mérita passionis Domini nostri Jesu Christi communicantur, id tamen in hac impii justificatione fit dum, ejusdem sanctissimae passionis merito, per Spiritum Sanctum caritas Dei diffunditur in cordibus eorum qui justificantur atque ipsis inhæret. Unde in ipsa justificatione cum remissione peccatorum hæc omnia simul infusa accipit homo per Jesum Christum cui inseritur : fidem, spem et caritatem.
Can. 10. Si quis dixerit hommes sine Christi justiati per quam nobis meruit justificari, aut per eam ipsam formaliter justos esse, anathema sit.
Si quelqu’un dit que les hommes sont justifiés sans fa justice du Christ par iaquelle if a mérité pour nous, ou que c’est par elle-même qu’ils sont formellement justes, qu’il soit anathème.
Si quelqu’un dit que les hommes sont justifiés ou bien par la seule imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule rémission des péchés à l’exclusion de toute grâce et charité qui serait répandue dans leurs cœurs par l’Esprit Saint et leur deviendrait inhérente, ou encore que la grâce qui nous justifie est seulement la faveur de Dieu, qu’if soit anathème.
a) Première rédaction : Le problème de la double justice. — Ce n’est qu’après beaucoup de temps et de peine que fut arrêté le texte ci-dessus.
En effet, tout le monde voulait enseigner contre les protestants une justification effective du pécheur. Quoad nomen justi ficatio idem est quod justifactio, justificari idem quod juslum fieri coram Deo ; quoad rem autem justi ficatio est remissio peccatorum per graliam. Tels sont les termes dans lesquels Massarelli résume, t. v, p. 279, les dépositions, unanimement concordantes au fond, des théologiens dans les séances d’études tenues du 22 au 28 juillet. Et parmi les
. Can. 11. Si quis dixerit homines justificari vel sola imputatione justitiae Christi vel sola peccatorum remissione, exclusa gratia et cantate quæ in cordibus eorum per Spiritum Sanctum difundatur atque illis inhæreat, aut etiam gratiam qua justificamur esse tantum favorem Dei, anathema sit. « erreurs » soumises le 30 au concile par les légats, figure, sous le n. 7, la suivante : …dimissa peccala per justitiam Christi nobis, licet injustis, imputatam et justitiam aliam inhserentem non habentibus, p. 282.
De fait, les Pères furent d’accord, d’après le résumé de Massarelli, pour dire : Gratis (homo) justifteatur a Deo non per imputatam sibi justitiam Christi solum, sed per gratiam inhwrentem, qinr sibi donatur, in)unditur et fit propria, ila ut illa justus efficiatur, p. 337. Les canons 4-7 du premier projet, déposé le 24 juillet, parlent, eux aussi, de donalio justilia ; et repoussent l’idée d’une justification comprise comme une dénomination tout extrinsèque : … tantum justum reputari et non justum fieri, ut ipsa justificatio sit sola imputatio justilia’… ; gratiam… nihil esse nobis inhærens vel nos informons, p. 386.
Mais, dans ces premières ébauches, on peut déjà remarquer la nuance très étudiée de cette formule restrictive : … non per imputatam justitiam Christi solum. N’est-ce pas dire équivalemment que, dans un certain sens, notre justice consiste en une imputation ? C’est bien de cette façon que l’entendaient quelques Pères, dont Massarelli exprime ainsi la pensée : Justificatio est justitis 1 Dei imputatio per Christum, p. 339. On retrouve très nettement cette conception jusque dans le projet du 23 septembre, rédigé sous l’inspiration de Séripando qui en fut toujours un des plus déteiminés partisans : Ejus enim (Dei) juslitia proinde nobis, quando juslificamur, communicatur et imputatur ac si nostra essel, p. 423.
Dans ces formules caractéristiques on saisit l’influence de ce système de la double justice qui avait été construit, dans les années qui précédèrent le concile, par l’école de Cologne et adopté par le cardinal Contarini.
b) Discussions sur la double justice. — Ainsi esquissée, la théorie de la double justice ne tarda pas à passer au premier plan, et ce fut le gros débat du concile.
Car les discussions qui s’étaient produites à son endroit parmi les théologiens allaient reprendre au sein de l’auguste assemblée. Hefner, p. 209-244. Il est remarquable cependant que les deux évêques de La Cava et de Bellune, qui se signalèrent en défendant un autre élément du système, savoir la justification par la seule foi, col. 2179, ne se prononcèrent pas nettement sur la justice imputée. Hefner, p. 211. Mais cette conception trouva un zélé défenseur en la personne du général des augustins, Jérôme Séripando.
Ses dépositions du 13 et du 23 juillet trahissent déjà, bien que discrètement exprimée, une appréciation minimiste de la justice propre à l’homme, p. 335 et 371-375. Plus nette est sa pensée dans son brouillon du 19 août, p. 829, où, tout en reconnaissant que nous sommes vraiment justes et non pas seulement réputés tels, il tient à préciser, d’après les Pères, quod est juslitia et gratia Dei per Jesum Christum quodque ea vere justus est quicumque justus est. Aussi n’y est-il nullement question de justice inhérente, et pas davantage dans le projet du 23 septembre dont il fut le principal inspirateur. Cependant le texte en était encore trop formel à son gré et il intervint expressément, à la séance du 8 octobre, pour exposer le système de la double justice. Il ne faisait, eu cela que rapporter les vues (le ces piissimi et criidilissiini viri doclores quoque celeberrimi et catholici, qui les axaient exposées dans leurs écrits ; un peu plus loin il cite nommément Contarini, Cajétan, Pighius, Pflug et Gropper. Mais il tient a les défendre contre toute accointance avec l’hérésie. C’est pourquoi il supplie les membres du concile de prendre garde à l’importance « le la question et de songer, avant de condamner cette doctrine, au Jugement divin qu’ils devront subir un jour, p. 181) ISS.
Il semble bien que cette énergique intervention dut exciter quelque surprise, puisque les légats crurent bon de faire observer, à la séance du 12, que cette opinion n’avait rien de commun avec l’erreur des hérétiques. En tout cas, il fut décidé qu’elle ferait l’objet d’une discussion spéciale, p. 496-497, et Séripando lui-même fut chargé de poser les termes de la question qui devait être soumise aux théologiens, t. ii, p. 431. Son texte un peu modifié devint finalement celui-ci : Utrum justificalus qui operatus est opéra bona ex gratia… ila ut retinuerit inhærentem justitiam… censendus sit salisfecisse divinie juslitiæ ad meritum et acquisitionem ville seternse, an vero cum hac inhærenle justifia opus insuper habeat misericordia et justilia Christi… quo suppleantur defectus suæ justifia ?, t. v, p. 523.
Ces consultations commencèrent le 15 octobre pour se terminer le 26. Au rapport de Massarelli, 1. 1, p. 449, trente-sept théologiens prirent la parole au cours de ces dix séances. Sur ce nombre, cinq seulement se montrèrent favorables à la justice imputée : savoir les trois augustins Aurélius de Roccacontrata, t. v, p. 561-564, Marianus de Feltre, p. 599, Etienne de Sestino, p. 607-611 ; le séculier espagnol Antoine Solisius, p. 576, et le servite Laurent Mazocchi, p. 581586, qui dixerunt, résume Massarelli, p. 632, inhærentem justitiam non sufficere sed esse opus impulatione justitiee Christi. Tous les autres se prononcèrent contre, spécialement, à la séance du 26, le jésuite Jacques Lainez, p. 612-626, qui opposa douze raisons à la justice imputée et discuta un à un onze arguments de la thèse adverse.
Éclairés par ces débats, les Pères du concile ne firent guère qu’en reprendre les conclusions, du 9 novembre au 1er décembre. Seul le franciscain Antoine de la Cruz, évêque des Canaries, tout en admettant unica… juslitia qua nos juslificamur, soutint, au sens scotiste le plus avancé, que cette justice ne nous est pas véritablement inhérente : Quæ juslitia non est ipsa caritas, sed est ipsa acceplalio et ipsa justificatio qua formaliter justi sumus… Non sumus justi caritale nobis inhærente, sed quia Deus acceptât nos in gratiam propler Christum, p. 654.
Aux deux séances du 26 et du 27 novembre, Séripando, qui n’avait pas caché son mécontentement du texte déposé le 5, où il croyait voir la « très pure justice du Christ… noyée dans le gouffre des inventions humaines, » t. ii, p. 430, intervint encore une fois pour préciser et défendre sa doctrine des deux justices. Il n’entendait pas parler des grands saints, mais des justes médiocres qui mêlent tant d’imperfections à leurs œuvres les meilleures, et il expliquait comment ils doivent compter, devant le tribunal divin, sur la justice du Christ qui leur est imputée plus que sur la leur propre. Cette justice d’ailleurs produit en nous un effet qui nous rend formellement justes ; mais ces deux principes restent différents, bien que très étroitement unis, de telle façon que nous devons toujours nous appuyer sur les deux, t. v, p. 666-675.
De ces discussions le concile retint qu’il y avait lieu de condamner la justice Imputée, comme l’indiquait le cardinal dei Monte, secundum assertioncm lurrclicorum, p. 633. Le projet du 5 novembre fut conçu dans ce sens, p. 636 : il est à peu près littéralement Identique au texte définitif, sauf l’incise augustinienne : … justilia Dei, non qua ipse justus est sed qua (corant ipso) justos facit, qui fut ajoutée le 11 décembre.
p. 700, et soulagée le 23 du complément circonstanciel
coram ipso, p. 737. Quant à la condamnation plus nette de la justice imputée que demandaient plusieurs Pères,
p. 087 et 691, elle fut renvoyée aux canons 10 et 11. présentés à la séance du 15, p. 711, et. adoptés le
16 après quelques légères modifications, p. 722.
c) Doctrine conciliaire. — Au terme de cette minu
tieuse élaboration, le décret conciliaire se contente d’écarter discrètement le système de la double justice, en précisant que, la « cause formelle » de notre justification est « unique ».
Du reste, la suite marque, à plusieurs reprises, que notre justice est dans un rapport d’étroite dépendance avec la justice de Dieu, et l’imperfection de la nôtre est soulignée par ce qui est dit plus loin de son essentielle incertitude. Où l’on peut voir, avec Hefner, p. 244-247, un gain providentiel dû au système de Contarini. Les vaillants efforts de Séripando eurent au moins pour résultat que toute forme directe de condamnation lui fut épargnée. Elises, dans Rômische Quartalschrift, 1906, t. xx, p. 187-188.
Tout le décret tend par ailleurs à affirmer que nous sommes véritablement renouvelés et justifiés, que nous recevons en nous la justice et que celle-ci nous devient inhérente avec son cortège de dons surnaturels. C’est la tradition catholique opposée à la justitia forensis des protestants. A quoi les canons ajoutent la réprobation formelle de leurs principales erreurs. D’où il appert que, si nous ne sommes pas justifiés indépendamment de la justice du Christ, celle-ci n’est pourtant pas la cause formelle de notre justification ; que la grâce que nous y recevons n’est pas une pure imputation, ni la seule rémission des péchés ou toute autre forme de dénomination extrinsèque qui la ramènerait à une simple « faveur de Dieu », mais bien une réalité interne que l’Esprit Saint répand dans l’âme juste et qui lui demeure attachée.
Dans un enseignement tout entier dirigé contre les erreurs protestantes, il n’y a évidemment pas lieu de chercher une solution aux controverses d’école sur l’essence ou le siège de la grâce sanctifiante, son rapport avec la charité ou avec les dons, que le concile s’est soigneusement abstenu de toucher. Hefner, p. 264. Voir sur toute cette question la monographie de A. Prumbs, Die Stellung des Trident. Konzils zu der Frage… der heiligmachenden Gnade, Paderborn, 1909.
3° Propriétés de la justification.
De l’essence de la
justification découlent logiquement ses propriétés. Il suffira de relever ici les principales d’après les derniers chapitres du décret.
1. Gratuité de la justification.
Bien que la gratuité
de la justification ressortit déjà suffisamment du rôle attribué à la grâce dans son origine, les protestants accumulaient tellement de préjugés sur ce point que le concile a voulu s’en expliquer ex professo. C’est l’objet du court c. viii, où sont interprétées les deux formules connexes de saint Paul que nous sommes justifiés « gratuitement » et « par la foi », Rom., iii, 24 et 28. Denzinger-Bannwart, n. 801, et Cavallera, n. 881.
Cum vero Apostolus dicit Lorsque l’Apôtre dit que
justificari hominem per fil’homme est justifié par la
dem et gratis, ea verba in foi et gratuitement, ces pa eo sensu intelligenda sunt rôles doivent être comprises
quem perpetuus Ecclesiae dans le sens que le consente catholicae consensus tenuit ment perpétuel de l’Église
et expressif, ut scilicet per catholique a tenu et exprimé,
fidem ideo justificari dicac’est-à-dire quenous sommes
mur quia fides est humanae dits justifiés par la foi parce
salutis initium, fundamenque la foi est le commence tum et radix omnis justifiment du salut, le fondement
cationis… ; gratis autem juset la racine de la justifica tifleari ideo dicamur quia tion…, et justifiés gratuite nihil eorum quae justificament parce que rien de ce
tionempra’cedunt, si ve fides qui précède la justification,
sive opéra, ipsam justificani la foi ni les œuvres, ne
tionis gratiam promeretur. mérite la grâce même de la justification.
Parmi les textes de saint Paul que les réformateurs aimaient exploiter au profit de leurs doctrines, ces deux étaient les principaux. Aussi tiennent-ils naturellement beaucoup de place dans les délibérations
conciliaires. Les théologiens furent expressément consultés le 22 juillet sur le rôle de la foi, p. 261, et les Pères s’en expliquèrent abondamment, p. 339-340. Aussi le besoin se fit-il sentir d’une interprétation officielle, qui est déjà esquissée dans le projet du 23 septembre, p. 423, et devient l’objet d’un chapitre spécial, c. vii, dans celui du 5 décembre, p. 636.
Cependant les opinions étaient loin d’être unanimes. Deux tendances se firent jour, dont l’une entendait qu’il s’agit de l’acte de foi comme première disposition dans la voie du salut ; l’autre, de la vertu de foi, qui concourait à l’acte même de la justification. Hefner, p. 278-279. Ce point fut spécialement discuté les 6, 17 et 21 décembre, t. v, p. 696-700 et 724-735, pour être définitivement tranché le 8 janvier, p. 763-764.
Dans l’intervalle, sur les instances réitérées du cardinal Cervino, on avait décidé de s’en tenir au sens des Pères anciens, p. 725, et d’interpréter les textes de saint Paul de manière à comprendre, non seulement la première justification, mais aussi les autres, p. 731. Pour le cardinal, il étudiait de près saint Augustin et l’on a retrouvé dans ses papiers, Hefner, appendice, p. 126-127, une collection de textes sur ce point. Dj fait le concile s’en tint à des formules augustiniennes, Hefner, p. 290-291, sur la foi comme « commencement » et « fondement » du salut, sans autrement spécifier son rôle. Le chapitre précédent avait déjà précisé qu’il s’agit de la foi vivante et active, c’est-à-dire de celle qui s’accompagne de la charité.
Puisque la justification dépend ainsi de la foi, elle ne peut être que radicalement gratuite. Cette conséquence fut spécialement examinée le 22 décembre, p. 735-737. On convint qu’il n’était pas nécessaire de relever l’expression paulinienne sine operibus, mais qu’il était bon de souligner la gratuité de la justification. D’où la formule actuelle, d’après laquelle rien de ce qui précède la justification n’a de valeur proprement méritoire pour l’obtenir. Elle fut proposée par le cardinal Cervino comme un moyen de conciliation et acceptée comme telle, sous réserve qu’on ne toucherait pas au mérite de congruo.
2. Incertitude de la justification.
Non sans beaucoup de tergiversations, la Réforme en était venue à dire que le chrétien peut et doit se tenir pour assuré de sa propre justification. Le concile ne pouvait éviter un point de cette importance. Il est tranché au c. ix, Denzinger-Bannwart, n. 802, et Cavallera, n. 882.
Quamvis autem necessarium sit credere neque remitti neque remissa unquam fuisse peccata nisi gratis divina gratia propter Christum, nemini tamen fiduciam et certitudinem remissionis peccatorum suorum jactanti et in ea sola quiescenti peccata dimitti vel dimissa esse dicendum est…
Sed neque illud asserendum est oportere eos qui vere justificati sunt absque ulla omnino dubitatione apud semetipsos statuere se esse justificatos neminemque a peccatis absolvi ac justificari nisi eum qui certo credat se absolutum et justificatum esse atque hac sola fide absolutionem et justificationem perfici, quasi qui hoc non crédit de Dei promissis deque mortis etresurrectionis Christi efficacia dubitet.
Bien qu’il soit nécessaire de croire que les péchés ne sont remis et ne le furent jamais que gratuitement par la grâce divine à cause du Christ, il ne faut pas dire cependant qu’il en soit ou fut ainsi fait pour aucun de ceux qui affectent l’assurance et la certitude de cette rémission et se reposent en elle seule…
On n’affirmera pas non plus qu’il faut que ceux qui sont vraiment justifiés s’établissent eux-mêmes dans ce sentiment sans l’ombre d’aucun doute, et que personne n’est absous de ses péchés ou justifié s’il ne croit avec certitude qu’il est absous et justifié, et que seule cette confiance réalise notre absolution ou notre justification, comme si ne pas le croire revenait à mettre en doute les promesses de Dieu, l’efficacité de la mort et de la résurrection du Christ.
Nam, sicut nerao pius de
Dei misericordia, de Christi
nierito deque sacramento runi virtute et elficacia
dubitare débet, sic quilibet,
dum seipsum suamque pro priam infirmitatemet indis positionem respicit, de sua
gratia forraidare et timere
potest, cum nullus scire
valeat certitudine fidei, cui
non potest subesse falsum,
se gratiam Dei esse conse cutum.
Car, de même qu’aucun
chrétien pieux ne doit mettre
en doute la miséricorde de
Dieu, le mérite du Christ, la
vertu et l’efficacité des sacrements, ainsi chacun, quand
il se regarde soi-même avec
sa faiblesse et ses mauvaises
dispositions, peut craindre
au sujet de son état de grâce, puisque personne ne peut
savoir d’une certitude de
foi, de cette foi qui est
incompatible avec l’erreur,
qu’il a obtenu la grâce de
Dieu.
Les trois canons 12, 13 et 14, Denzingcr-Bannwart, n. 822-824, et Cavallera, n. 892, reprennent la même doctrine sous la forme d’anathèmes portés contre les divers aspects de l’erreur protestante. A la « vaine confiance des hérétiques » l’Église entend évidemment opposer l’incertitude de notre justification.
a) Position et discussion du problème. — Mais cette question était une de celles où les théologiens catholiques avaient déjà pris position. Saint Thomas, suivi par Biel, se montrait contraire, tandis que Scot était ou passait pour être favorable à la certitude subjective de la justification. Après le concile, sans doute, les franciscains Alphonse de Castro et André de Véga ont essayé de laver le docteur subtil sur ce point ; mais, au moment du concile, l’exposé de Biel faisait foi, qui lui attribue la possibilité pour le chrétien de connaître son propre état de grâce certitudinaliter…, licet non evidenter. Hefner, p. 301-303.
Or ces deux écoles avaient leurs représentants au sein de l’assemblée, dont plusieurs membres, au rapport de Séripando, t. ii, p. 432, et notamment le cardinal légat dei Monte, étaient acquis à la thèse scotiste. Aussi les discussions furent-elles très longues et très vives sur ce point. Résumé dans Hefner, p. 304-323. Elles commencèrent avec le projet du 24 juillet, c. xviii, p. 390, à propos duquel le général des conventuels défendit l’opinion de Scot, p. 404. Plusieurs Pères exprimèrent un semblable sentiment, tandis que d’autres demandaient que la question fût étudiée de près, p. 408-410. La séance du 28 août y fut consacrée tout entière et l’on résolut de laisser la question indécise pour condamner seulement l’erreur luthérienne, p. 418-419.
De fait, le projet du 23 septembre, c. vii, p. 424, s’exprime d’une manière plus circonspecte et se contente d’une formule à peu près identique au premier paragraphe du texte actuel. Il y eut de fortes objections en faveur de la certitude de la grâce, qui furent surtout présentées, le 6 octobre, par le dominicain Ambroise Catharin, évêque de Minori, p. 471. Aussi la question fut-elle de nouveau soumise, conjointement avec celle de la justice imputée, aux délibérations des théologiens, p. 523 : Utrum aliquis possit esse cerlus de sua adepta gratia secundum præsentem jusliliam et quo génère certitudinis. D’après la statistique de Massarelli, t. i, p. 449, vingt et un furent d’avis qu’une certitude est possible en certains cas, quatorze absolument déterminés contre et deux restèrent neutres.
Le texte du 5 novembre, c. ix, t. v, p. 037, conserva celui du 23 septembre sans parvenir à rallier tous les suffrages, thomistes et scotistes le trouvant, chacun dans leur sens, trop peu allirmalif, p. 082. Il s’agissait, en tout cas, de savoir si l’erreur protestante était suffisamment condamnée, ("est une des questions qui lurent soumises au concile le 3 décembre, p. 687, et une douzaine de Pères furent d’avis que la condamnation devait être plus nette, p. 691. Devant ces et i Il i culte
- , la discussion fut renvoyée à la fin et, le 17 dé
cembre, la majorité décidait enfin de condamner seulement le mysticisme protestant sans trancher le problème de fond, p. 727-728.
b) Solution du problème. — Entre temps les légats avaient consulté Rome et, le 14 janvier, le maître du sacré palais adressait à Cervino une lettre assez enflammée contre la thèse de la certitude. Hefner, app., p. 128134. Le concile cependant s’en était tenu à sa décision du 17 décembre et le chapitre définitif fut adopté le 9 janvier, p. 772-773 et 777. Au texte primitif un second paragraphe était ajouté pour condamner les protestants, qui réclamaient l’assurance du salut comme absolument indispensable pour être justifié. Il se terminait par une formule transactionnelle, où il était précisé que la confiance légitime du chrétien ne peut jamais être une « certitude de foi ». El ita, note Massarelli, p. 773, cum magno gaudio omnes recesserunt.
De cette histoire, comme aussi du texte lui-même, il ressort que ce chapitre est tout entier conçu en fonction du système protestant. Il enseigne que l’assurance du salut ne saurait jamais être suffisante, « puisqu’elle peut aussi bien exister chez des hérétiques et des schismatiques, et que, de nos jours encore, on prêche à grand bruit contre l’Église cette doctrine aussi vaine qu’impie. » Cette assurance n’est pas davantage nécessaire comme condition absolue de la justification, et la raison en est qu’elle n’est, à vrai dire, pas possible. Non pas que nous devions douter de Dieu, mais nous avons toujours dans notre misère persistante de graves raisons pour douter de nous. Tandis que la doctrine luthérienne est anthropocentrique et réclame la certitude personnelle de la grâce, la doctrine de l’Église est théocentrique et, tout en admettant les motifs qui fondent la confiance légitime du chrétien, rappelle ceux qui lui imposent le devoir d’une crainte salutaire. Hefner, p. 326-327. Dans ces limites, il y a place pour la liberté des systèmes suivant les préférences de chacun. Voir Grâce, t. vi, col. 1620-1626.
Les deux problèmes de la prédestination et de la persévérance finale sont résolus d’après les mêmes principes, c. xii-xin et can. 15-16. Denzinger-Bannwart, n. 805-806, 825-826, et Cavallera, n. 885-886 et 892. Au regard de la logique aussi bien que de l’histoire ces textes sont étroitement connexes à celui-ci.
3. Inégalité et perfectibilité de la justification.
Étant une réalité intérieure et conditionnée par notre préparation personnelle, la grâce de la justification ne saurait être la même pour tous. Aussi est-il marqué dès le c. vii que « nous recevons en nous la justice chacun selon sa mesure, que le Saint-Esprit répartit à chacun comme il le veut, I Cor., xii, 11, et selon sa propre disposition et coopération. » Denzinger-Bannwart, n. 799, et Cavallera, n. 879. D’où il suit qu’elle est susceptible de progrès et appelée normalement à se développer. Cette conséquence est déduite au c. x, à propos de ce qu’on appelait, en style d’école, la seconde justification. Denz., n. 803, et Cav., n. 883.
Sic ergo justificati…, per
observationcm mandatorum
Dei et Ecclesiæ, in ipsa jus titia per Christi gratiam ac cepta, coopérante fide bonis
operibus, crescunt atque
magis justiflcantur.
Ainsi justifiés…, par l’ob servation des commande ments de Dieu et de l’Église
(les hommes) croissent dans
la justice reçue par la grâce
du Christ, la foi coopérant
aux bonnes œuvres, et de viennent de plus en plus
justes.
Ce chapitre est complété par le can. 2 1 dirigé contre l’erreur protestante. Denz., n. 834 et Cav., n. 892.
Si quis dixerit justitiam Si quelqu’un dit que la
acceptant non conservarl justice reçue, n’est pas cou atque etlam augeri coram serves et encore augmentée
Deo per bona opéra, sod devant Dieu par les bonnes
opéra ipsa fructus solummodo et signa esse justificationis adeptæ non autem ipsius augenda ; causam, anathema sit.
œuvres, mais que les œuvres sont seulement les fruits et les signes de la justification obtenue et non pas la cause de son accroissement, qu’il soit anathème.
Dès le 30 juin, la question du progrès de la justification était posée au concile, p. 281 ; mais le projet du 23 septembre n’y touchait encore qu’en quelques phrases dispersées au cours des c. vu et vrn, p. 423424. Celui du 5 novembre lui consacre un petit chapitre spécial, p. 637, qui s’est conservé à peu près tel quel dans la suite. On y ajouta seulement le complément coopérante fide bonis operibus et, dans le dossier scripturaire particulièrement étoffé qui comprenait déjà Ps. lxxxiii, 8 ; II Cor., iv, 16 ; Apoc, xxii, 11, et Eccli., xviii, 22, on introduisit encore Jac, ii, 24, plus le début de la collecte pour le XIIIe dimanche après la Pentecôte. Toutes modifications qui lurent adoptées sans grandes difficultés dans la séance du 13 décembre, p. 705-708.
Ainsi était affirmé contre les protestants le caractère vivant et progressif de notre justification, Hefner, p. 329-335, et, par voie de conséquence, la valeur surnaturelle de nos œuvres morales, qui, sous l’action de la grâce, sont les agents de ce progrès.
Diverses dans leur détail, ces œuvres rentrent toutes dans une catégorie générale, savoir « l’observation des commandements de Dieu et de l’Église. « Luther professait l’impossibilité, l’inutilité, voire même la nocivité de la loi, y compris la loi chrétienne. Cette doctrine est écartée par le c. xi, Denzinger-Bannwart, n. 804, et Cavallera, n. 884, qui affirme que la pratique de la loi chrétienne est possible, nécessaire et fructueuse. Cf. can. 18-21, Denzinger-Bannwart, n. 828834, et Cavallera, n. 892.
En portant cette définition, « les Pères du concile savaient bien qu’il y a dans saint Paul, saint Augustin et saint Bernard plusieurs expressions qui semblent favoriser la théorie du réformateur. » Mais le tout est de ne pas exagérer les conséquences du péché originel. Sans se prononcer entre les théories d’école, le concile se contente d’enseigner qu’avec le secours de la grâce il n’est pas de commandement qui soit impossible au chrétien. « Dans la formule de définition plusieurs expressions de saint Augustin furent littéralement reproduites, pour montrer en cet endroit qu’il y a la plus complète harmonie entre la doctrine bien comprise du grand théologien et celle de l’Église. » Hefner, p. 335-336.
D’une manière plus générale encore, cette synthèse tend à sauver l’harmonie entre le sens chrétien et le sens moral.
4. Amissibilité de la justification.
Professer l’accroissement de la justification, c’est en reconnaître la caducité toujours possible. Les protestants admettaient qu’elle dure autant que la foi qui en est l’unique condition. Cette erreur est spécialement visée au c. xv. Denz., n. 808, et Cav., n. 888.
Adversus etiam hominum quorumdam callida ingénia asserendum est, non
modo infidelitate per quam et ipsa fides amittitur, sed etiam quocumque alio mortali peccato, quamvis non amittatur fides, acceptam justilicationis gratiam amitti. ..
Contre la perfidie de certains hommes… il faut affirmer que, non seulement l’infidélité qui nous fait perdre la foi elle-même, mais encore tout autre péché mortel, bien qu’il ne porte pas atteinte à la foi, nous fait perdre la grâce reçue de la justification…
De ce chapitre il faut rapprocher les canons 27 et 28. Denz., n. 837-838, Cav., n. 892.
Can. 27. Si quis dixerit Si quelqu’un dit qu’il n’y nullum esse mortalepe ccaa de péché mortel que celui
tum nisi infidelitatis, aut nulloalio.quantumvis gravi et enormi.proeter quam infidelitatis, peccato semel acceptam gratiam amitti, anathema sit.
Can. 28. Si quis dixerit amissa per peccatum gratia simul et fidem semper amitti ; aut fidem quæ remanet non esse veram fidem, licet non sit viva ; aut eum qui fidem sine cantate habet non esse christianum, anathema sit.
d’infidélité, ou bien qu’aucun autre péché, quelque grave et énorme qu’il puisse être, ne fait perdre la grâce une fois reçue, qu’il soit anathème.
Si quelqu’un dit qu’en perdant la grâce par le péché on perd en même temps toujours la foi ; ou que la foi qui survit n’est pas une vraie foi, bien qu’elle ne soit pas vivante ; ou bien que celui qui a la foi sans la charité n’est pas chrétien, qu’il soit anathème.
En accord avec les principes préalablement posés sur le rôle de la foi et des œuvres, le décret marque ici que le maintien de la justification, tout comme son origine, ne dépend pas seulement de celle-là, mais encore de celles-ci. Il en ressort qu’il y a deux manières de perdre la grâce de Dieu : l’une totale (sur laquelle le concile n’insiste pas), quand on perd le foi qui en est la base ; l’autre moins complète, quand la foi survit à la ruine de la charité détruite par un péché mortel. Par où le concile manifeste l’intention de « défendre la doctrine de la loi divine, qui exclut du royaume de Dieu, non seulement les infidèles, mais aussi bien les fidèles quand ils sont fornicateurs, adultères, efféminés, impudiques, voleurs, ivrognes, médisants, rapaces, I Cor., vi, 9-10, et tous autres qui commettent des péchés mortels dont ils pourraient s’abstenir avec l’aide de la grâce divine et par suite desquels ils sont séparés de la grâce du Christ. » C. xv.
D’où il résulte que la foi et la charité sont séparables. Ce point, touché dès le premier projet, c. xix, p. 390, et repris dans le second, c. x, p. 425, fut contesté, le 7 octobre, par l’abbé Lucien de Sainte-Marie près Ferrare, qui, au nom des autre-s abbés, soutint que tout péché entame la foi : Peccata omnia ex fidei imperfectione prodire et unumquemque nostrum tantum peccare quantum a fide deficimus, p. 476. Il proposait donc, ou de supprimer l’article, ou d’ajouter à la mention du péché mortel cette précision tendancieuse : quami’is non sine quadam infidelitate.
Le texte ayant été maintenu quand même dans le troisième projet, c. xv, p. 639, l’abbé Lucien revint à la charge le 23 novembre. Per peccata fides amittitur, disait-il, et fides non potest slare cum peccato. Ce qu’il soutenait per argumenta lulheranorum. Sur une question du cardinal del Monte, il précisa qu’il entendait parler de la fides christiana. Doctrine qui suscita de vives rumeurs et fut taxée d’hérésie. Lucien reprit la parole le lendemain pour se soumettre au concile et expliquer qu’il ne pensait qu’à la vera fides ou fides formata, p. 659-660. Sur quoi il reçut l’assurance publique du cardinal légat que « le concile lui pardonnait et, prenant en bonne part toutes ses paroles, l’admettait comme fils. » Ce qui ne l’empêcha pas d’être contredit plusieurs fois dans la suite, notamment, le 29 novembre, par l’évêque d’Oporto, p. 677.
Aussi, non seulement la teneur du texte projeté fut-elle intégralement conservée le 14 décembre, p. 709712, mais le dernier canon, qui, dans le projet du 5 novembre, ne contenait encore que la première phrase, p. 641, fut successivement complété par les deux autres, p. 716, à l’effet de bien préciser que la foi du pécheur, pour n’être pas une fides viva, n’en est pas moins une « vraie foi ». Une dernière fois cependant, le 1er janvier, la question fut posée aux prélats théologiens de savoir s’il fallait spécifier dans le chapitre quelle est la foi qui subsiste dans un pécheur après son péché, p. 752. Ils furent tous d’avis que les termes du décret fussent maintenus sans autre explication.
r. CONCLUSION. — Tels sont les principaux enseignements du célèbre décret sur la justification. Il manifeste partout l’intention d’opposer aux nouveautés de la Réforme les principes de la tradition catholique. On y trouve clairement et indubitablement exprimée la conception commune à l’ensemble de la scolastique, qui l’avait héritée de saint Augustin, sur l’essence de la justification. Loofs, Dogmengeschichle, p. (367. Voir également F. Biehler, Die Rechtferligungslehre des Thomas von Aquino mit Hinblick auf die tridentinischen Beschlùsse, dans Zeitschrift für die kirchliche Wissenschafl und kirchliches Leben, 188C, t. vii, p. 417-434. « Mais, continue F. Loofs, le décret conciliaire est équivoque et prudemment obscur dans le détail, quand il s’agit de toucher aux difféiences qui existent entre la notion augustino-thomiste de la grâce et le néo-semipélagianisme des anciens franciscains, comme aussi de Scot et des nominalistes. » Ce qui revient à reconnaître, de mauvaise grâce, que le concile, comme il s’en était fait une loi, t. i, p. 108, n’a pas voulu trancher les questions librement discutées entre catholiques. Sur presque tous les points on a pu voir le concile s’arrêter à des formules qui planent au-dessus des controverses dont l’écho s’était fait entendre jusque dans son sein. Il faut y chercher la définition du doî-iiucatholique, non l’élaboration d’une théologie systématisée.
Ses tendances sont d’ailleurs tellement nettes que, suivant son mythe familier, F. Loofs, p. 668-669, y trouve aussitôt des traces de « néo-semipélagianisme ». C’est-à-dire que, sous l’action de la grâce divine à qui revient toujours le premier rang en matière de surnaturel, l’homme garde sa part de libre concours, soit, aux origines, soit dans tout le processus ultérieur de la justification. Pour arriver à la grâce, une préparation de notre paît est possible et nécessaire, qui met en œuvre toutes nos énergies morales ; il ne s’agit pas de croire seulement, mais d’agir en conséquence. La justification elle-même se traduit en une grâce de régénération qui vient renouveler notre être spirituel et lui donner la possibilité, en même temps que lui imposer l’obligation, de fructifier en œuvres méritoires de salut. Moyennant cette coopération, la grâce initiale se développe ; mais elle diminue si notre volonté défaut et I eut arriver à se perdre si nos actes sont gravement contraires, quitte à pouvoir se rétablir d’ailleurs par une nouvelle conversion.
Cette mutuelle interaction, dans l’œuvre du salut, de Dieu ( anse première et de l’homme régénéré par sa grâce caractérise la doctrine catholique, qui par là se place à égale distance entre le rationalisme pélagien qui supprime l’action divine et le mysticisme protestant où disparaît la collaboration humaine. De cette doctrine fondamentale on retrouve la trace à toutes les lignes du décret. Sous la pression irrésistible de leur exclusivisme confessionnel, les historiens de la Réforme prononcent volontiers à ce propos le mot de <’compromis ». Loofs, op. cit., p. 671, et Harnack, Dogmengeschichte, 4e édit., t. iii, p. 714. C’est, en réalité, d’équilibre qu’il faudrait parler, en présence d’une doctrine assez large et synthétique pour dominer tous les extrêmes et absorber les vérités partielles qu’ils contiennent jusqu’en leurs excès.
Au regard de l’histoire comme de la théologie, le mérite du concile <ie Trente est d’avoir officiellement fixé les iiK ||( s maîtresses de cette synthèse. Son œuvre
- i ce point de vue est assez, heureuse pour que, malgré
tous ses préjugés, Ad. 1 larnack lui-même, » Pcit., p. 711, ne puisse lui refuser un hommage significatif. » Bien qu’il soit un produit artificiel, le décret sur la justification est, à plusieurs égards, parfaitement travaillé. On peut même douter que la Réforme se lût
développée, si ce décret avait été publié par le concile du Latran au commencement du siècle et était effectivement passé dans la chair et le sang de l’Église. »
Ce qui importe, c’est que, pour atteindre ce résultat, le concile n’eut qu’à puiser dans le trésor de l’ancienne tradition catholique. Qu’il y ait apporté les précisions rendues nécessaires par les besoins nouveaux, ce n’est pas douteux. Mais, si l’on peut noter avec Ad. Harnack, p. 693, après F. Loofs, p. 663, que la Réforme a contribué à cette « régénération du catholicisme », c’est à condition d’ajouter, pour ramener ce paradoxe historique à ses véritables proportions, que ce fut à la manière dont le mal engendre le bien, dont l’erreur sert à la manifestation plus éclatante du vrai.
V. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION DEPUIS LE CONCILE DE TRENTE. —
En proclamant définitivement la doctrine de l’Église en matière de justification, le concile de Trente avait terminé la cause ; mais il était loin d’avoir, par là-même, mis fin à l’erreur. Les protestants semblent n’avoir profité du décret conciliaire que pour élaborer plus fermement, de leur côté, leur propre doctrine. Œuvre d’ailleurs laborieuse et précaire, comme toutes les entreprises tentées en vue d’aboutir à une consolidation dogmatique de la Réforme, et qui n’allait pas tarder à subir, sous l’action combinée des divergences intestines, du temps et de la critique, une dissolution progressive, qui n’en laisse presque plus aujourd’hui subsister de traces. Elle n’en a pas moins amené, par réaction, la théologie catholique à défendre ce point capital toujours menacé et à l’enserrer de plus en plus dans cette armature technique que le génie de l’École a pour mission d’élever autour des vérités de la foi.
I. Théologie protestante. —
Par suite de la place centrale que la justification a toujours occupée dans le protestantisme, l’histoire de cette doctrine se confond avec celle des mouvements théologiques et religieux qui ont successivement agité la Réforme. Il suffira d’en noter ici les traits les plus généraux.
I. ÉLABORATION DU PROTESTANTISME OFFICIEL.
— Bien que déjà constituée dans toutes ses lignes essentielles, la doctrine protestante de la justification allait prendre, à l’occasion du concile de Trente, un surcroît de précision.
1° Polémique anti-catholique.
Elle a tout d’abord
développé cet aspect polémique dont Luther avait marqué ses origines, que l’Apologia de Mélanchthon lui avait conservé et qui reste, sinon sa principale ressource, du moins son caractère le plus constant. Adversarii… inopes urgumentorum et divites calumniarum, faisait observer déjà Bellarmin, De justifie, i, 3, Opéra omnia, édit. Vives, t. vi, p. 152. Seulement aux pamphlets du premier jour ou aux batteries légères, improvisées plutôt pour les besoins de la propagande que construites suivant les exigences d’une méthode scientifique, allaient succéder les œuvres massives, où, pour établir la foi nouvelle sur les ruines de l’ancienne, la dialectique la plus insidieuse s’unirait à la plus imposante érudition.
1. Polémique spéciale contre le concile de Trente. — A cet égard, le décret du concile de Trente était un document dont les controversistes de la Réforme ne manquèrent pas de mesurer l’extrême importance et qu’ils ne voulurent pas laisser sans contrepoids.
Dès 1517, Calvin donnait l’exemple en publiant un volume intitulé : Acta synodi Trldeniinet evan untidoto, où sont, en effet, reproduits les décrets concilaires avec les aniinadversiones de l’auteur. Voir Joannis Calvini opéra, édition Baum, Cunitz et Reuss, t. vii,
Brunswick, L868, p. xxxiv-xxxvii pour l’histoire littéraire de l’ouvrage et col. 360-506 pour le texte. Les actes de la VI* session y tiennent naturellement la -1
place centrale et 1’ « antidote » du réformateur genevois y est particulièrement étendu, col. 441-486. Une traduction française parut l’année suivante, précédée d’un prologue en vers contre
ces Pères Cornuz
Qui souz le nom de Dieu sont convenuz Pour dépraver la doctrine céleste. Qu’ilz sachent donc que par tout son tenuz Asnes masquez, et Antéchristz au reste.
Un avis également versifié mettait le lecteur en garde contre la « belle apparence » de ces « editz malheureux », qu’il comparait aux charmes suspects de la courtisane.
Parquoy, Amy, si tu sens ta pensée De tel venin quelque fois offencée Prens ce remède ou gist la guerison.
Chez les luthériens, Mélanchthon avait donné le branle à l’offensive, dès 1546, par ses Acta concilii
Tridentini… una cum annolationibus piis et lectu dignissimis, opuscule parfois confondu avec celui de Calvin. Op. cit., p. xxxvii. Mais la grosse attaque devait être fournie par Martin Chemnitz, voir t. H, col. 2354-2357, avec son Examen concilii Tridentini, fruit de huit années de travail, dont les quatre parties s’échelonnèrent de 1565 à 1573. L’ouvrage fut de bonne heure traduit en allemand, puis en français, et a connu de très nombreuses rééditions. Voir D. Reimbold, Historiée examinis conc. Tridentini spécimen, Leipzig, 1736. D’après les protestants modernes, « comme réfutation complète des canons de Trente, cet Examen conserve son intérêt encore aujourd’hui. » Lichtenberger, Encycl. des se. relig., art. Chemnitz, t. iii, p. 103. Aussi cet ouvrage est-il resté comme l’arsenal où les controversistes postérieurs viennent en général se ravitailler.
La justification et les questions connexes y occupent la moitié de la première partie, édition in-folio, Francfort, 1596, p. 107-188. Chemnitz y reproche au concile d’avoir cédé à l’esprit scolastique et couvert sous une avalanche d’anathèmes la doctrine de tous les apôtres et prophètes, p. 128. Il s’attache donc à rétablir cette pure doctrine des Écritures, non sans y joindre également un petit dossier de veterum lestimonia, p. 141-144 ; puis il se livre à la critique méthodique des articles du décret sur la justification elle-même, la foi et les œuvres. Son dernier mot est pour prier le Saint-Esprit de préserver contre les ténèbres pontificales la lumière de sa parole allumée dans nos Églises, p. 188. Pour la genèse et l’analyse de l’ouvrage voir H. Hachfeld, Martin Chemnitz nach seinem Leben und Wirken, Leipzig, 1867, p. 229-252 ; pour l’appréciation de ses méthodes et de sa valeur du côté protestant, voir R. Mumm, Die Polemik des Martin Chemnitz gegen dus Konzil von Trient, Leipzig, 1905, p. 32-78.
Au cours des xviie et xviiie siècles, le concile de Trente fut encore l’objet de nombreuses attaques. Voir la liste bibliographique dressée par R. Mumm, op. cit., p. 79-104, qui ne comprend pas moins de cent vingt-sept numéros. Une des plus appréciées chez les luthériens est la Consideratio doctrines pontificise juxta duclum concilii Tridentini, œuvre posthume de Georges Calixte, Helmstadt, 1659-1672 ; chez les calvinistes, la Concilii Tridentini anatome historicotheologica, 1672, de J. H. Heidegger, reprise et augmentée par l’auteur, en 1690, sous le titre funèbre de Tumulus concilii Tridentini. La vi c session y est longuement ensevelie sous une masse compacte de questions et d’arguments, 1. 1, p. 243-548.
2. Polémique générale.
Sans être moins agressifs, d’autres prenaient une forme plus sereine. Des compilations érudites revendiquaient pour la foi nouvelle
I>ICT. DE THÉOL. CATHOL.
le témoignage du passé : tels le Calalogus leslium vert’tatis, Bâle, 1556, de Flacius Illyricus, voir ici t. vi, col. 1-12, et, spécialement en matière de justification, l’ouvrage de Herm. Hamelmann intitulé : Unanimis omnium Patrum ex apostolica Ecclesia, ex Media JEtale et qui postremis vixerunt seculis consensus de vera juslifieatione hominis coram Deo, Ursel, 1562.
Des théologiens se chargeaient de mettre en œuvre ces matériaux. La tradition de Mélanchthon, qui rééditait encore en 1559 ses Loci communes avec de nombreuses additions, Corpus Re/orm., t. xxi, col. 601-1106 — ouvrage désormais classique et qui a connu des traductions dans presque toutes les langues européennes, ibid., t. xxii — a largement inspiré les docteurs de la Réforme. Qu’il suffise de rappeler les Loci communes de Victorin Strigel, 1581-1584, de Chemnitz, 1591, de Léonard Hutter, 1619, de Henri Hôpfner, 1673, ceux surtout de Jean Gerhard, 16101622, suivis d’une Confessio catholica de même caractère, 1634-1637, et ceux d’Abraham Calov, 1655-1661 et 1677, voir ici t. ii, col. 1376-1377, dont on a dit qu’ils sont « la plus importante production dogmatique du siècle, avec celle de Gerhard, et dépassent même sous plusieurs rapports les Loci de ce dernier. » Kunze, art. Calovius, dans Realencyclopàdie, t. iii, p. 651.
Le double esprit de ces œuvres est bien exprimé par le titre donné par Jean André Quenstedt à sa Theologiadidactico-polemica, 1685, et il est inutile de faire observer que le problème de la justification ne cesse pas d’en faire les principaux frais. Aperçu de cette abondante littérature par Zscharnack, art. Orthodoxie, dans Gunkel-Scheel, Die Religion in Geschichte und Gegenwart, t. iv, col. 1056-1068 ; histoire méthodique dans W. Gass, Geschichte der protestantischen Dogmalik, Berlin, 1854, 1. 1, p. 147-378.
2° Divisions intérieures.
Tandis que les réformateurs faisaient front contre l’Église, ils ne laissaient pas d’éprouver, au sein de leurs propres Églises, les plus graves dissensions. On en peut saisir les germes dès les premiers jours de la Réforme, voir plus haut col. 2148 sq : l’activité doctrinale suscitée par le concile de Trente fournit à ces querelles l’occasion de prendre un développement imprévu et qui ne tarda pas à devenir menaçant.
1. Conditions de la justification : Nouvelle controverse antinomiste. — Déjà discutées du vivant de Luther, les conditions de la justification le furent beaucoup plus encore après sa mort. L’influence de Mélanchthon devint prépondérante et se traduisit par ce qu’on a appelé le « philippisme ». Voir Realencyclopàdie, t. xv, p. 322-331. Un des éléments du système ou un des aspects de la tendance était une plus grande confiance faite à la nature humaine. D’où devait suivre une place plus considérable accordée aux œuvres dans le processus de la justification.
Cet esprit se manifeste dans le célèbre Intérim de Leipzig (22 décembre 1548), où il est question d’une justice communiquée et de la nouvelle obéissance qui en est la suite en des termes qui pouvaient s’accorder avec la doctrine catholique. Loofs, Dogmen geschichte, p. 867-868. Un de ses principaux artisans, George Major, voir Realencyclopàdie, t. xii, p. 85-88, se mit à soutenir (1552-1558) que les œuvres sont nécessaires pour le salut. Non qu’elles aient une nécessitas merili, mais il faut leur reconnaître une nécessitas regenerationis, mandali et debiti. Loofs, p. 898. Il fut soutenu par Juste Ménius, Realencyclopàdie, t. xii, p. 577-581, qui prenait la défense de la nova obedientia.
De telles propositions ne pouvaient que choquer les vieux luthériens et une vive controverse s’ensuivit. Résumé par G. Kawerau, ibid., p. 88-91, et Loofs, p. 898-900. Publiquement et violemment dénoncés par Amsdorf, voir ici t. i, col. 1123-1124, les novateurs se
VIII. — 70
défendirent. Il y eut un assaut général de pamphlets théologiques, de dénonciations politiques, de censures ecclésiastiques, que, pour le bien de la paix, Mélanchthon s’efforçait vainement d’arrêter. Voir sa lettre du 6 septembre 1552. Corpus Re/oim., t. vii, col. 1061. Le combat ne cessa qu’en 1558 par la mort de Ménius et le silence de Major.
Au point de vue doctrinal, les thèses des deux docteurs représentaient évidemment une réaction dans le sens catholique contre l’orthodoxie reçue. Elles entraînèrent par répercussion une crise aiguë d’antinomisme. Voir G. Kawerau, dans Realencyclopàdie, t. i, p. 590591. Car Amsdorf, soutenu par André Poach d’Erfurt et Antoine Otto de Nordhausen, défendait la thèse radicale que la loi n’a plus, pour le chrétien justifié, d’utilité pratique ni de valeur obligatoire. Il mit le comble au scandale quand il publia un opuscule, en 1559, pour établir que « les bonnes œuvres sont nuisibles au salut. »
Entre ces deux tendances extrêmes la position des luthériens orthodoxes était assez difficile. Les principaux représentants en furent Hesshusen, Westphal et surtout l’impétueux Flacius Illyricus, qui s’efforcèrent de montrer, non sans quelque embarras, que, si les auvres sont le fiuit de la justification, elles n’en sont à aucun titre la cause. Néanmoins, Flacius devait at corder que la foi est plus que « la main du mendiant », qu’elle est en elle-même une nova vita, voire n.in.e une ouvre bonne, encore que le croyant le doive oublier. Voir Y. Preger, Matthias Flacius Illyricus, Erlangen, 1859, t. i, p. 354-417. Même « chez les épargnes, l’intelligence du protestantisme réformateur tl-ispaiaissait de plus en plus. » Loofs, p. 897.
2. Controverse, syneryistique. — A peine assoupie, la t-c ntioverse allait renaître sur le problème spéculatif Ce la liberté et de son concours à la grâce. Voir (j. Kawerau, ait. Syneryismus, dans Realencyclopàdie, t. xix, p. 229-235, et Loofs, op. cit., p. 900-902.
Le synergisme de Mélanchthon avait trouvé un défenseur en la personne de Jean Pfeflinger, De liberIule icluntatis humanw. puis De libero arbitrio, 1555. Trois ans plus tard, Amsdorf d’abord, puis, avec sa violence coutumière, Flacius Illyricus, prirent position contre lui. Voir Preger, op. cit., t. ii, p. 113-166. Mélanchthon dut intervenir, Corp. Rejorm., t. xii, col. 651-654, et fut secondé par un ancien lieutenant de Flacius, Victorin Strigel. Celui-ci eut une conférence tontradictoire avec Flacius, à la cour de Weimar (2-8 août 1560), qui tourna contre ce dernier. Preger, t. ii, p. 195-227. Strigel dut cependant quitter Iéna ; mais 1-lacius en fut banni à son tour (1561), Preger, t. il, p. 109-180, et Strigel y retrouva son poste en 1562. Il fallut un changement de règne pour rétablir les affaires des vieux-luthériens.
Tout au moins avaient-ils nettement posé leurs principes. Contre ses adversaires, qui soutenaient le ooncours du libre arbitre, Flacius défendait notre entière passivité : Sicut truncus aut saxum se mère I assive Iwbet erga slatuarium aut lapicidam, sic et berna in conversion* et regeneratione erga Dcum. Le temps était proche ou cette doctrine, momentanément vaincue, reprendrait sa revanche et où le synergisme m i ait taxé d’erreur.
3. Essence de la justification : Jastite inhérente ou imputée. — Entre temps un nouveau débat avait surgi sur la nature nu nie de la justi Qcation. Il l’ut occasionné par le réformateur de Nuremberg, André Osiander.
I i s [549, ii Un ci s'élevait enotre l’Intérim où ne se trouvait pas, à son sens, la notion du la vraie jus.1 Ice, il lonna une pn mdère esquisse « le ses idées sur ce point dans une petite dissertation, De lege et evani (5 avril 1549), puis encore, le 24 octobre 1 550, dans ane Disputatio de justi ftcatione traduite en allemand
l’année suivante. En réponse aux critiques qu’il reçut, il s’expliqua dans un ouvrage plus étendu. Von dem einiyen Millier Jhesu Christo und Rechtfertigung des Glaubens, Kônigsberg, 1551, traduit en latin quelques mois après sous ce titre : De unica mediatore Jesu Christo et justi ficatione fidei. Voir V. Millier. Andréas Osiander, Elberfeld, 1870, p. 379-409. Ces publications allaient susciter une des plus violentestempêtes qu’ait connues le premier âge de la Réforme, à laquelle put seule mettre un terme la mort de l’auteur (17 octobre 1552). Pour le détail de la controverse, voir Môller, ibid., p. 410-522.
Osiander soutenait que, grâce aux mérites du Rédempteur, la justice de Dieu devient nôtre et se traduit en ce que le Christ habite en nous. Dès lors « être justifiés » signifie pour nous devenir réellement justes. Ce qui se produit par ce fait que la présence du Christ en nous et la divine justice qu’il y apporte nous sont imputées comme mitres. Mais cette imputation répond à une vérité objective : car Dieu, qui est un juste juge, ne peut nous déclarer justes sans nous rendre effectivement tels. Il faut donc entendre que nos péchés nous sont vraiment remis et que la justification se traduit par une rénovation intérieure. La foi en est l’instrument, non pas comme une bonne œuvre, mais parce qu’elle l’ait habiter le Christ en nous. Voir Mdller, p. 398-408, et A. Ritschl, Die Rerhl/crligungslehre des Andréas Osiander, dans Jahrbùcher für deulsche Théologie, 1857, t. ii, p. 795829, résumé dans Die christliche Lehre von der Rechtjertigung und Verso hnung, 1. 1, p. 235-240.
Cette nouvelle doctrine ne rencontra guère de suffrage favorable que chez le Wurtembergeois Jean Brenz, voir t. ii, col. 1128-1130, dont la pensée sur ce point a été étudiée par C. W. von Kiigelgen, Die Recht/erligungslehre des Joh. Brenz. Leipzig. 1899. Mais luthériens et philippistes s’unirent contre elle dans une commune et violente opposition. Non seulement Flacius Illyricus, toujours sur la brèche pour la bonne cause, voir Preger, op. cit., t. i. p. 205-297, mais les théologiens de Weimar, Ménius, Strigel et Schnepf, suivis par Amsdorf et Jouas, soutenus par le surintendant Pollicarius, prirent parti contre lui. Môller, op. cit., p. 478-491. Consulté par le duc Albert, Mélanchthon lui-même se prononça publiquement contre Osiander. Corp. Rejorm., t. vii, col. 892-902. Le grand reproche qu’on lui faisait était de s'écarter de Luther pour revenir à la doctrine catholique. Loofs, p. 870-872. Ce qui caractérise assez bien l’esprit de cette tentative doctrinale et dit en même temps' la raison de son insuccès.
3° Fixation de l’orthodoxie : Les derniers symboles. — Toutes ces divisions intestines firent sentir le besoin de resserrer les liens déjà flottants de l’orthodoxie C’est à quoi pourvurent les derniers symboles, qui ont donné leur physionomie officielle, sinon définitive, aux Églises issues de la Réforme.
1. Églises luthériennes : Formule de concorde (15771580). — En Allemagne, surtout, l’intérêt politique s’unissait à l’intérêt doctrinal pour faire souhaiter un accord si gravement compromis jusque-là. L’entrée en scène d’une seconde génération de théologiens, les protagonistes de la Réforme ayant tour à tour disparu, rendit possible l’u’uvrc nécessaire.
Sous l’action de Jacob Andréa, de Chemnitz et de Seinecker, un formulaire d’union fut élaboré, qui rallia les Églises de Souabe et de Saxe au cours des années 1574 et 157."). De nouvelles tractations, auxquelles
prirent pari Chytræus, Vtusculus et Kôrner, aboutirent, en mars 1577, a l’actuelle Formate de concorde,
qui lut successivement souscrite par presque tous les
États germano-évangéliques et publiée en allemand le
25 juin 158, 1. en attendant de l'être en lai in quatre ans -J2197
- JUSTIFICATION##
JUSTIFICATION, THÉOLOGIE PROTESTANTE MODERNE
2198
plus tard. Voir R. Seeberg, art. Koncordicnformel, dans Realencyclopàdie, t. x, p. 732-745. Texte dans J. T. Millier, Die symbolischen Bûcher der evangelisch-lutherischen Kirche, p. 513-730.
Ce document capital se compose, de deux parties complémentaires, qui diffèrent surtout par la longueur. La première s’intitule : Epitome arliculorum de quibus controversiæ orlse sunt, p. 515-561 ; la seconde : Solida, plana, et perspicua repetitio et declaratio quorumdam arliculorum auguslanee Confessionis de quibus aliquandiu inler nonnullos theologos eidem addictos disputalum fuit, p. 563-730. Dans les deux s’affiche l’intention de résoudre ces points de controverse par un accord unanimement reconnu.
La justification y tient naturellement une place importante. Après avoir posé en principe que le péché originel est en nous quiddam essenliale cdque substantiale, on y affirme que l’homme est, en conséquence, « purement passif » dans l’affaire de sa conversion et que son libre arbitre y reste deterior lapide aut trunco quia répugnât verbo et voluntati Dei. Solida declar., ii, 59 et 89, Mùller, p. 602 et 609. C’était la revanche de la stricte orthodoxie luthérienne, dans les termes de Flacius encore aggravés, contre le synergisme de Mélanchthon. Voir pour l’étude détaillée Fr. H R. Frank, Die Théologie der Concordienformel, Erlangen, 1858, t. i, p. 118-145.
En elle-même, la justification se ramène au pardon des péchés : justificare… idem signiftcare quod absolvere a peccatis, et la rénovation spirituelle n’y entre à aucun titre. Ce pardon nous est accordé ex mera gratia ubsque ullo respectu nostrorum operum et consiste en ce que Dieu nous impute les mérites du Christ : donal algue imputai nobis juslitiam obedientim Christi. Pour obtenir cette grâce, nous n’avons pas à réaliser d’autre condition que la foi : Solam fidem esse illud médium et inslrumentum quo… Christum apprehendimus ; propter Christum enim fides illa nobis ad juslitiam imputatur. On insiste spécialement pour que soient maintenues les « particules exclusives » dont se sert l’apôtre Paul pour ramener au Christ toute la gloire de notre salut. Sans doute « la vraie foi n’est jamais seule » ; mais nous ne pouvons prétendre qu’à être tenus pour justes, sancti et jusli coram Deo Patri reputemur, et l’idée d’une sanctification réelle per caritatem a Spiritu Sanclo infusam fait partie des falsa dogmala dont il faut s’écarter. Epitome, m : De justitia fidei, Millier, p. 528529. Pour le développement, voir Solida declaratio, m, p. 610-624.
L’intérêt de ces formules est dans l’énergie avec laquelle elles condamnent les doctrines d’Osiander, Frank, op. cit., t. ii, p. 24-85, pour séparer la justification de la sanctification et pour faire de celle-là, bien que le terme technique de justitia forensis y soit évité, Loofs, p. 916, un acte juridique d’imputation.
Quant aux bonnes œuvres, la Formule de concorde repousse les deux erreurs opposées, d’après lesquelles elles seraient nécessaires, ou, tout au contraire, nuisibles au salut. Elles suivent la grâce de la justification lumquam fructus bonse arboris et donc entrent en ligne de compte pour le salut, mais sous réserve de la liberté chrétienne et de la prépondérance qui doit rester à la foi. Epitome, iv, Mùller, p. 530-533, et Solida dccl., p. 624-632. Ainsi sont écartées les doctrines extrêmes, soit de Major, soit d’Amsdorf. Frank, op. cit., t. ii, p. 148-215. Toutes décisions valables à perpétuité, avait l’illusion d’affirmer la Solida declaratio, Introd., 16, Mùller, p. 572, et qui avaient au moins l’avantage de fixer l’orthodoxie sur les positions mieux précisées de la Confession d’Augsbourg.
2. Églises réformées.
C’est aussi vers la même époque que les Églises réformées arrêtèrent leurs symboles de foi : Suisse (1562), France (1559), Pays-Bas
(1561), Ecosse (1560), Angleterre (42 articles en 1552 et 39 articles en 1571). On y voit s’accuser les traits distinctifs de l’anglicanisme ou du calvinisme ; mais la doctrine de la justification plane au-dessus de ces controverses intestines et garde sans difficulté la physionomie que lui avait donnée le protestantisme primitif.
Il y est donc question partout de justice imputée, Conf. helv. post., art. xv, et Conf. gallic, art. xvii, dans H. A. Niemeyer, Collectio Conjessionum, p. 319 et 494 ; de justification par la seule foi, Conf. gall., art. xx, p. 320 ; Conf. belg., art. xxii, p. 374 ; Conf. helv., art. xv, p. 495 ; Conf. anglic, art. xi, p. 603. La foi elle-même n’est que l’inslrumentum quo Christunt juslitiam noslram apprehendimus. Conf. belg., art. xxii, p. 374.
Mais on y peut remarquer çà et là quelques touches discrètes qui diffèrent du luthéranisme Ainsi les bonnes œuvres, bien qu’elles ne constituent pas un mérite, sont nettement proclamées possibles et nécessaires, après la justification, comme fruits de la foi et condition du salut. Conf. helu., art. xvi, p. 497, et Conf. anglic, art. xii, p. 603-604. La Confession gallicane, art. xxti, p. 320, déclare même que « par cette Foy nous sommes régénérez en nouveauté de vie, » et pareillement celle des Pays-Bas : Credimus veram hanc fidem… in nobis productam nos regenerare ac velut novos homines efficere. Conf. belg., art. xxiv, p. 375. D’après la Confession helvétique, art. xv, p. 495, nous sommes donati justitia Christi et la Confession d’Ecosse, art. xiii, p. 346, identifie cette justice avec le sancti ficationis spiritus.
On a remarqué aussi que les symboles anglicans « adoptent une attitude très réservée à l’égard des doctrines le plus spécifiquement luthériennes, » telles que la corruption originelle et l’inutilité des œuvres. L. V. Grensted, A short history of the doctrine of the Atonement, Manchester, 1920, p. 259-260. Et ce trait est à retenir pour comprendre l’évolution de plus en plus générale de l’anglicanisme moderne.
Au total cependant, les deux Églises s’accordaient à fixer en orthodoxie les positions caractéristiques des premiers réformateurs.
4° Hérésies naissantes.
Cette codification de ses
doctrines n’allait d’ailleurs pas empêcher le protestantisme de sentir la menace de nouvelles hérésies.
1. Socinianisme.
A l’extrême aile gauche de la Réforme allemande s’est développé le rationalisme socinfen. En niant la satisfaction du Christ, voir J. Rivière, Le dogme de la Rédemption, Étude théologique, Paris, 1914, p. 412-421, il ébranlait le fondement même de la justification. Aussi l’imputation des mérites du Christ y est-elle écartée comme un nonsens. On y parle bien encore de justification par la foi, et par la foi seule ; mais cette foi est comprise comme l’adhésion et l’obéissance au témoignage divin, c’est-à-dire comme un commencement de vie morale. Commencement d’ailleurs très imparfait, mais dont Dieu veut bien nous tenir compte par grâce. En tout cas, nous n’avons pas besoin d’une justice étrangère : la nôtre nous suffit. Voir principalement F. Socin, Traclatus de jusli ficatione, dans Bibliotheca fratrum polonorum, t. i, p. 601-627, et De Jesu Christo servatore, part. IV, ibid., t. ii, p. 213-246, suivi d’une courte Justi ficationis noslrse per Christum synopsis, p. 247252.
Ce rationalisme hardi fut maintenu en marge de l’Église officielle et n’eut guère que l’influence d’une école, en attendant d’inspirer la secte des unitariens.
2. Arminianisme.
Plus sérieuse fut la crise provoquée,
chez des réformés, par les arminiens, qui, en soulignant la libellé humaine contre la stricte prédestination, arrivaient forcément à rendre aux, œuvres
une bonne partie de leur valeur. Noir Arminius, t. i, col. 1968-1971. Ils admettaient que la seule foi salvifique est relie qui s’accompagne (le charité et possède dès lors en elle-même une qualité justifiante. Aussi faisaient-ils entrer la sanctification dans l’acte même de' la justification. Toutes positions où A. Ritschl ne craint pas de constater des tendances catholiques. Op. cit., p. 344-345. C’est pourquoi la nouvelle doctrine fut vivement combattue par les calvinistes orthodoxes et finalement condamnée au synode de Dordrecht <(> niai 1619), aux tenues duquel la justification est gratuite, la loi un pur don de Dieu, la régénération spirituelle une suite et non un élément de la justification, ii, 4, et m-iv, 11-12. Xiemeyer, p. 707 et 710-711. En regard de la tradition catholique définie par le concile de Trente, le protestantisme avait désormais son dogme, où ses docteurs croyaient bien avoir fixé au nouvel évangile ses contours définitifs.
5° Scolastique des xviie et XVIIIe siècles. — Autour de ces confessions de foi les théologiens protestants s’appliquèrent à élever le rempart d’une véritable scolastique.
1. Orthodoxie classique.
Elle marque d’abord le règne d’une orthodoxie que personne ne songeait plus guère à contester et qui s’affirmait avec une égale confiance à l’encontre des hérétiques de droite et de gauche.
On a signalé plus haut, col. 2194, les principaux de ces théologiens et il n’y aurait aucun intérêt à les suivre en détail. Ils s’accordent à rejeter la doctrine des ctuvres comme entachée de pélagianisme, celle de la ji stice iiifuse comme inspirée de vaines catégories philosophiques au détriment de l’Evangile et de saint Paul. La justification y est commandée par une conception tout à fait pessimiste du péché originel, aggravée, chez les calvinistes, par le dogme de la prédestination absolue. Ce qui interdit d’accorder à nos œuvres préparatoires aucune valeur et permet de s’opposer aux catholiques comme aux sociniens.
En elle-même, la justification est étroitement coordonnée à une théologie spéciale de la rédemption, où le Christ a pleinement satisfait pour nous à la justice divine par sa double obéissance active et passive. Voir J. Rivière, op. cit.. p. 381-401. Cette œuvre rédemptrice, nous pouvons et devons nous l’approprier par la foi ; mais celle-ci ne joue que le rôle d’instrument, Cpyavov Xtjtctixôv suivant la formule technique, par lequel nous saisissons les mérites du Christ. Sur quoi Dieu veut bien nous remettre nos péchés, qui ne nous sont plus imputés a cause de la satisfaction pénale que le Christ a fournie à notre place, et nous imputer, au contraire, le prix de sa sainte vie. La justification est essentiellement cette procédure divine qui nous inscrit, malgré notre misère constitutive, parmi les bénéficiaires de l'œuvre du rédempteur, qui nous déclare justes en dépit de nos péchés. Dans la mesure OÙ elle est possible avec une nature essentiellement corrompue, la sanctification ne peut être qu’une suite de ce premier acte divin.
Comme spécimens de cette théologie, on peut consulter, chez les luthériens, .1. Gerhard, Luc. theol., loc. xvii et xviii. édition Cotta, Tubingue, 1768, t. vii, p. 1-317, et t. viii, p. L-199 ;.1. A. Quenstedt, Theologia didaclico-potentica, Wittemberg, 1701, part. 111, c. viii, p. 514-578 ; chez les réformés, Fr. Turretin, Insliluliones iheologiæ elencticæ, Genève, 1082, t. ii, p. 691 792. 2. Écoles et tendances. - A travers cette commune
opposition a la loi catholique, il n’est pas impossible
d’apercevoir quelques divergences entre luthériens
et réformés. On a pu en saisir le germe chez les initiateurs de la Réforme, COl. ZHH gq, et nous en retrouvions tout à l’heure la tiare jusque dans la sobriété voulue
des symboles officiels. Il résulte de l’exposition comparative établie par Matthias Schneckenburger, Vergleichende Darstellung des lulherischen und reformirien Lehrbegriffs, Stuttgart, 1855. surtout t. u. p. 12-134 que ces premières tendances n’ont fait que se développer dans les âges suivants.
Le principal point de divergence porte sur l’essence même de l’acte justificateur. Tandis que les luthériens s’en tiennent à la stricte imputation, il est frappant que les réformés éprouvent le besoin de dire, d’après Rom., ii, 2, que le jugement divin est et doit être secundum vcrilatem. C’est-à-dire qu’il suppose une réalité correspondante, et cette réalité n’est autre que notre union au Christ déjà réalisée. Imputalio non dénotât fictionem mentis et opinionem, sed vertim justumque judiciiim, dit Rodolph. Judicium Dei de fidelibus in communione justitiæ jam constituas vocatur justificatio. précise Melchior.Hulsius va jusqu'à parler d’une justice qui nous est inhérente : Cerlum est, cum justificatur, eum non esse peccalorem in statu peccati, sed fidelem et consequenter justum justitia inhwrente. Schneckenburger. ]>. 15-16 ; cf. p. 64.
A. Ritschl, op. cit., p. 295-305, s’est appliqué àréduire ces textes et autres semblables. Mais ils ont été retenus et augmentés par Dortenbach. art. Sùnden vergebung, dans Realencyclopadie, l re édit., 1802, t. xv, p. 237-239. (Cet article n’a pas' été conservé dans les éditions suivantes.) Il est à remarquer avec Schneckenburger, p. 23-24, que ces expressions n’apparaissent que dans les exposés sereins et ceci en explique la rareté, tandis que la polémique contre l'Église les ramène au pur système luthérien.
En conséquence, plusieurs réformés admettent que nous sommes justifiés, non pas per /idem, mais propter /idem. Schneckenburger, p. 78-79. Ce qui les conduit à écarter la fides fiducialis pour donner le premier rang à la croyance et à la receplio ipsins Christ i qui en est l’acte spécifique. Mastricht, ibid., p. 97. Pour eux, la foi est un mouvement de l'âme tout entière et comprend déjà l’amour. Heidegger et Marck, ibid., p. 1 13114. Ainsi une certaine régénération morale est à la base de la justification : elle en devient surtout le terme, parce que les bonnes œuvres y sont plus nettement réclamées, soit, d’un point de vue subjectif, comme signe de la foi, ibid., t. i. p. 38-74, soit, du point de vue objectif, comme condition du salut. Ibid. p. 74-94 ; cf. t. ii, p. 90-91.
Conformément à l’esprit des xxxix articles, les théologiens anglicans sont particulièrement aflirmatifs sur les œuvres et l’on a pu dire de Cranmer, par exemple, que i dans le fond, si ce n’est dans la forme, il adhère à la doctrine de la justice infuse. » Grensted. op. cit.. p. 250.
Du moment que ces tendances, dont l’importance a pu être exagérée mais dont la réalité n’est pas niable, apparaissent en plein règne d’une orthodoxie particulièrement rigide, on peut prévoir qu’elles se montreront plus actives quand le concours de diverses causes aura fait perdre à l’ancien dogmatisme le meilleur de son crédit.
II. ÉVOLUTION DU PROTESTANTISME UODBRNb. — En matière de justification comme ailleurs, il ne reste depuis longtemps que le souvenir des symboles pri mitil’s et de la théologie qui les commenta. L'édifice de l’orthodoxie protestante était a peine construit qu’il menaçait ruine et ne pouvait survivre qu’au prix des plus profonds remaniements.
l° Dissolution de l’orthodoxie. - Nombreuses et diverses sont les causes qui précipitèrent la dissolution de l’orthodoxie si laborieusement édifiée et tout d’abord si fidèlement maintenue.
1. l’ii’tismc.
Par réaction contre la sécheresse du
protestantisme officiel, se forma de bonne heure un
-courant de mysticisme, dont J. Arndt fut l’initiateur, voir 1. 1, col. 1983-1984, Spener le théologien, et qui est Allé se développant à travers les xviiie et xixe siècles. Voir A. Ritschl. op. cit., p. 347-363 et 588-606. On y prônait la vie intérieure et l’union avec le Christ comme étant la marque du vrai christianisme et, pour les alimenter, on ne craignait pas de revenir aux sources et aux pratiques de la piété médiévale. Cette tendance ne pouvait que se répercuter sur la doctrine de la justification au détriment du vieux dogme protestant. L’importance de ce mouvement ressort de la grande place qu’il tient dans V. Gass, Geschichte der prot. Dogmatik, t. ii, p. 374-499, et t. iii, p. 12-104.
Un adversaire orthodoxe, G. Thomasius, Christi Person und Werk, t. ii, p. 458, marque en ces termes la principale influence de cette école. « On y mettait sur la vivacité et l’activité de la for un accent tel qu’il pouvait sembler que ce n’est plus la foi comme telle, mais la pénitence qui l’accompagne et la charité qu’elle contient qui serait l’élément justificateur. » « Plus on attache d’importance à l’effort subjectif de la foi, écrit de son côté A. Ritschl, op. cit., p. 363, plus il -apparaît clairement que le jugement divin qui prononce notre justification n’est que la consécration de la valeur représentée par cette foi. » En conséquence, les théologiens de cette école, Schwenkfeld, Weigel, Bôhme, Dippel et, en Angleterre, les Quakers, s’élèvent contre la conception d’une justice imputée et la veulent remplacer par une régénération spirituelle dont le Christ serait en nous l’auteur. Voir Chr. Baur, Die christliche Lehre von der Versôhnung, Tubingue, 1838, p. 459-477. Cf. A. Ritschl, op. cit., p. 360-362.
2. Rationalisme.
Tandis que le piétisme ressuscitait dans les âmes la mystique catholicisante d’Osiander, l’école de l’Au/klârung ramenait les intelligences au rationalisme de Socin. Elle refusait à la vie et à la mort du Christ toute valeur satisfactoire et ramenait toute son œuvre rédemptrice à la vertu d’un exemple. Baur, op. cit., p. 478-530, et Ritschl, p. 363-419. L’imputation de ses mérites était dès lors sapée par la base et le salut ne pouvait plus être dû qu’à nos efforts personnels, sauf que la miséricorde divine veut bien nous tenir compte d’une foi encore imparfaite comme si elle répondait à toutes les exigences de sa loi. Renchérissant encore, Kant ne voit plus dans le dogme ecclésiastique que l’expression symbolique de ce qui se passe dans l’ordre moral, où le premier mouvement de la liberté vers le bien, parce qu’il est un signe et un principe de régénération, compte déjà pour la vie dont il contient la promesse. Baur, op. cit., p. 575-580, et Ritschl, op. cit., p. 438-459.
Sous son action s’est formée, avec Flatt, Staiidlin, Tieftrunk, Sùskind, toute une école de théologie rationaliste, dont Wegscheider est resté le plus important docteur. Voir F. Lichtenberger, Histoire des idées religieuses en Allemagne, t. ii, 2e édit., Paris, 1888, p. 2830. o Le principe que nous sommes justifiés par la foi et non par les œuvres n’y a plus d’autre sens que celui-ci : c’est que Dieu ne regarde pas à nos actions isolées, mais à l’ensemble de notre intention morale, pour laquelle l’homme devient l’objet du bon plaisir divin, et cela dans la mesure où il devient moralement plus parfait. » Thomasius, op. cit., p. 458. Cf. Ritschl, op. cit., p. 477-478.
3. Libéralisme.
Cette crise de moralisme rationaliste, où tout disparaissait du surnaturel chrétien, a suscité par réaction ce mouvement complexe, où semble revivre l’esprit du piétisme mais privé de ses bases dogmatiques, et qui, sous le nom de libéralisme, domine tout le protestantisme contemporain.
Soit qu’il s’agisse, avec Schleiermacher, de la conscience du renouvellement intérieur qui accompagne Ja conversion, Baur, op. cit. p. 635-638, et Ritschl,
| op. cit., p. 531-538, ou, avec Ritschl, du sentiment que Dieu qui est un père plein d’amour est tout prêt à nous accueillir malgré nos péchés si, de notre côté, nous sommes disposés à travailler à l’œuvre de son règne, la justification n’est plus qu’un phénomène subjectif. Sur la doctrine de ce dernier, voir Die christliche Lehre von der Rechtlerligung und Versôhnung, t. iii, p. 84183 ; résumé en français par Ern. Bertrand, Une conception nouvelle de la Rédemption, Paris, 1891, p. 111139.
Aussi la doctrine classique de l’imputation y est-elle l’objet d’une critique en règle. Ritschl, op. cit., t. iii, p. 84-90 ; cf. p. 60-61 et 255-256. La justification ne saurait être qu’une modification de nos états de conscience, qu’on s’efforce de rattacher plus ou moins vaguement à l’œuvre du Christ. Voir Lichtenberger, op. cit., t. ii, p. 213-222, et Gass, op. cit., t. iv. p. 435649.
De bonne heure, le subjectivisme libéral a été importé en France. Auguste Sabatier, Les religions de l’autorité et la religion de l’esprit, Paris, 1904. p. 253403, et Eugène Ménégoz, Publications diverses sur le fidéisme, Paris, 1909-1921, spécialement t. i, p. 15-34, 259-263, 282-285 ; t. ii, p. 16-50, 390-408 ; t. iii, p. 487491 ; t. iv, p. 109-112 ; t. v, p. 182-183, en fuient d’illustres et très écoutés propagateurs. Quoi qu’il en soit des nuances qui distinguent leur pensée, ils sont d’accord pour ramener la foi à un sentiment de religieuse confiance et tous les libéraux souscriraient sans doute à la formule par laquelle Ménégoz entend concilier saint Jacques et saint Paul, op. cit., t. iv, p. 49 : « à savoir que Dieu accorde le salut à tout homme qui lui consacre sincèrement son cœur. »
4. Critique historique.
Le même auteur a écrit, op. cit., t. iii, p. 148, que « la grande ennemie de l’orthodoxie…, c’est l’histoire. » Lui-même oppose volontiers l’enseignement de Jésus à celui de ses disciples et de saint Paul lui-même, t. ii, p. 405-407, à plus forte raison à celui des Églises, t. iii, p. 489-491. Cette arme redoutable est, depuis quelque temps surtout, dirigée avec une particulière insistance contre la citadelle de l’orthodoxie.
Au cours de pamphlets célèbres, publiés en 1873 puis en 1891, P. de Lagarde en dénonçait crûment les points faibles. La doctrine de la justification, d’après lui, n’est pas l’Évangile, mais une petite découverte paulinienne due à l’esprit judaïque de l’Apôtre. Même dans saint Paul, ce n’est pas la seule ni la plus profonde manière de résoudre la question du rapport de l’homme avec sa dette de péché. Elle n’a pas été non plus le principe fondamental de la Réforme et aujourd’hui elle est entièrement morte dans’les Églises protestantes. Et cela avec raison. Car les doctrines de la justification et de l’expiation sont des mythes qui ne sont acceptables qu’à condition d’admettre le vieux dogme de la Trinité : ce qui n’est plus le cas pour personne aujourd’hui. Ueber einige Rcrliner Theologen et ivas von ihnen zu lernen ist, Gœttingue, 1897, p. 104-108. Cf. Deutsche Schriflen, Gœttingue, 1886, p. 58. On dirait que, depuis lors, divers auteurs ont pris à tâche de réaliser les diverses parties de ce programme agressif.
Des historiens de l’Église ont contesté que la justification ait été le centre de la Réforme et joué un rôle. capital dans son histoire. W. Dilthey, Gesammelte Schri/len, Leipzig, 1914. t. ii, p. 211, cf. p. 157, et J. Haller, Die Ursachen der Re/ormalion, Tubingue, 1917, p. 42. Plus graves étaient les coups portés par les exégètes au rôle joué par elle dans les origines chrétiennes. Déjà Weizsàcker ne lui accorde plus qu’un rang secondaire dans le développement de la pensée de saint Paul. Das aposlolische Zeitalter, 2e édit., Fribourg-en-B. , 1892, p. 138-139. Wrede ne lui attribue
plus d’autre valeur que celle d’un moyen pour échapper au judaïsme, tandis que la vraie conception paulinienne serait la doctrine de l’esprit et de la vie nouvelle dont il est le principe. Tous ceux qui tiennent à l’influence des religions de « mystères » se rangent à sa suite.
Ainsi seraient définitivement détruites par l’histoire les bases du vieux dogme et le péril paraît assez grand aux tenants de l’orthodoxie pour qu’ils éprouvent le besoin de s’en préoccuper. Voir K. Holl, Die Rechtfertigungslehre im Licht der Geschichte des Protestantismus, 2e édit., Tubingue, 1922, p. 1-3.
2° Transformation de l’orthodoxie.
Sous le coup
de ces attaques diverses, l’orthodoxie n’est pas restée sans défense : mais pour cela elle n’a pas dû tarder à s’établir de plus en plus loin du terrain primitif.
1. Restauration des anciennes formules.
A la dissolution croissante du dogme il était naturel que ses défenseurs cherchassent tout d’abord à opposer le rempart des anciens foimulaires et de la théologie qu’ils avaient inspirée. C’est ainsi que la première moitié du xix° siècle a vu renaître en Allemagne une orthodoxie de stricte observance, voir Lichtenberger, op. cit., t. ii, p. 295-314, dont le nom le plus brillant est Ern. Sarlorius, avec son petit livre souvent réédité Lie Lehrc von der heiligen Liebe, 1844. Voir sur lui Ritschl, op. cit., p. 638-640. Déjà plus souples, les théologiens de la génération suivante s’en tiennent encore aux ioimules classiques du luthéranisme, interprétées et vivifiées à l’aide de l’expérience religieuse. Lichtenberger, op. cit., t. iii, p. 149-209. Le plus marquant de tous est G. Thomasius, qui, après avoir rappelé l’autorité dogmatique des symboles ecclésiastiques, Bas Bekenntniss derevang. lutherischen Kirche, Erlangen, 1.S48, entreprit d’en développer systématiquement le contenu dans son grand ouvrage : Cluisli Person und Werk, 1e édit., 1852-1861 ; 3e édit., 18861888. Il y distingue formellement la sanctification de la justification, laquelle est un premier acte, d’ordre proprement juridique, où Dieu nous impute les mérites du rédempteur, et qui ne demande pas d’autre condition que la foi. La vie nouvelle dans le Christ survient ensuite comme conséquence. Voir t. ii, p. 405-493. Sur les tendances de Thomasius et de son collaborateur Philippi, voir Ritschl, op. cit., p. 641-644, et. sur l’ensemble de l’école orthodoxe, Gass, op. cit., t. iv, p. 80-179.
En France également, le mouvement du Réveil, qui se produisit au début du xix° siècle, fut marqué par une dévote fidélité aux formes les plus strictes de l’ancienne orthodoxie. « La justiiication et la sanctification ne sont plus présentées comme les deux laces distinctes d’un même fait moral qui ne saurait Être absolument scindé ; mais elles sont entièrement séparées, si bien que le salut est complet avant même que l’œuvre de rénovation ait commencé. » Ce qui plaçait les apôtres du Réveil, en dépil de toutes leurs bonnes intentions, "sur la pente de l’antinomisme l Géologique ». Edm, de Pressensé, Essai sur le <h><jme de lu Rédemption, Paris, 1867, p. 45-46.
Le même auteur rapporte pour la Suisse un témoignage de Vinet, qui dénonçait dans l’antinomisme « l’une des faiblesses de notre Réveil ». et signale < la même tendance dans l’école évangélique anglaise. * « Vous pouvez, écrivait le 1 tév. Read, Le sang <I. Jésus, p. 3(i, par le pardon de imis mis péchés obtenir à tout instant la paix avec Dieu, attendu que VOUS n’avez pour cela ni à vous repentir, ni à faire la moindre chose, ni à attendre, niais qu’il vous suffit simplement de croire. Ibid., p. M. Cꝟ. 1 '>. l’ozzj, Histoire du dogme de la Rédemption, Parts, 1868, p. 109, après E. Guers, Le Sacrifice de christ, Genève, 1867, p. 84. 1 Jl ne faut évidemment pas se presser de voir un sys tème arrêté dans ces formules de prédicateurs. Elles n’en montrent pas moins combien tendait à se simplifier, aux dépens de la vie morale, la doctrine officielle de la justification par la foi.
2. Essais de formules nouvelles. — D’autres besoins n’allaient d’ailleurs pas tarder à surgir qui feraient éclore un peu partout des formes nouvelles d’orthodoxie. Rien n’est plus difficile que de s’orienter à travers une littérature particulièrement touffue et il faut résister à la tentation d’y chercher des courants uniformes ou universels. Mais on peut y relever quelques manifestations assez saillantes pour montrer à quel point les défenseurs du surnaturel chrétien tournent le dos au dogme périmé de leur Église et retrouvent, sans peut-être le vouloir ni le savoir, la grande voie de l’enseignement catholique traditionnel.
a) Allemagne. — Ici comme ailleurs, c’est de l’Allemagne qu’est venue l’impulsion.
Déjà un orthodoxe rigide comme E. W. Hengstenberg voulait synthétiser les doctrines de saint Paul et de saint Jacques, puisqu’elles se trouvent toutes deux dans le canon, et, avec le vieux piétisme, restituer sa place dans la justification à l’amour repentant. Voir ses articles sur l’Épître de saint Jacques, dans Evangelische Kirchenzeitung, 1866, n. 92-94, col. 1097-1129, et sur la pécheresse, ibid., 1867, n. 23-26, col. 265-303. Cf. ibid., n. 47-48, col. 553-575. On consultera sur lui Ritschl, op. cit., p. 644-646 et K. Holl, op. cit., p. 44.
Une impulsion plus forte et plus efficace dans ce sens fut imprimée à la théologie allemande par J. T. Beck de Tubingue, dont on a résumé la doctrinedans les propositions suivantes : « a) La justification n’est pas un fait déclaratif ou forensique se passant en Dieu, mais un effet se réalisant en l’homme, b) La justification n’est pas un fait initial, mais consécutif à la sanctification, c) La justification n’est pas un fait absolu ou seulement continu, mais progressif au même titre (lue les deux autres actes du salut, la sanctification et la glorification. » Où l’on reconnaît à bon droit « la tradition représentée tour à tour par saint Augustin, saint Thomas d’Aquin et Osiander. » A. Grétillat. Expose de théologie systématique, Paris, 1890, t. IV, p. 376. Pour plus de détails, voir du même auteur Beck et sa doctrine de la justification, dans Revue de théologie et de philosophie, 1884, t. xvii, p. 5-30 et 144-181. Cf. Ritschl, op. cit., p. 630-632. Sur la controverse provoquée par ces doctrines, voir E. T. Gestrin, Die Rechtfertigungslehre des Professoren J. T. Beck, etc. Berlin, 1891, p. 88-122.
De semblables principes inspirent l’école dite de conciliation, où l’on veut, avec Tholuck, que la justification soit « une déclaration conforme à la vérité » et, avec Nitsch, que « la conversion et la justification deviennent vraies dans la mesure où grandit la sanctification. » Or ces vues ont rallié en Allemagne un nombre toujours plus grand de théologiens. A..Malter. art. Justification, dans F. Lichtenberger, Enci/cl. des sciences religieuses, t. vii, p. 571. Les plus modernes se réclament à la lois de la Bible, de l’expérience et de Luther pour identifier cette justification et cette sanctification que l’ancienne orthodoxie s’appliquait à séparer. Voir Jellinghaus, Das vôllige, gegenwartii/c llcil durch Chriatus, 5’édit., 1903 ; E. Rietschel, Lutherische Rechtfertigungslehre oder moderne, Jleiligungslehre, 1009 ; B. Steffen, Das Dogrna von Kreuz, t.ulersloh, 1920, p. 168-174.
b) Suisse et l’rancc. — Ces doctrines ont aussi pénétré dans la théologie de langue faneaise.
Le principal initiateur à eel égard lut Alexandre Vinet. Voir de lui La grâce et la lui. dans Etudes rruugéllquts, 2e édit., Paris, 1861, p. 287-805, où l’ontrouv » un plaidoyer pour la doctrine de saint Jacques, et, à l’adresse de « ceux qui réclament à grands cris les »
œuvres, » un développement psychologique d’où il appert que la foi est « une œuvre aussi, la première des œuvres, l’œuvre des œuvres pour ainsi dire…, un acte qui contient tous ceux qu’il faut faire, qui exclut tous ceux dont il faut s’abstenir. » p. 300. Cf. J. F. Astié, Les deux théologies nouvelles, Paris, 1862, p. 277-280.
En France, Edm. de Pressensé a consacré son éloquence et sa piété à la défense des mêmes conceptions. Pour lui, l’appropriation du salut réclame 1’ « assimilation au Christ, » autrement dit un « douloureux travail de sanctification. » Sans doute cette appropriation se fait par la foi. s Mais cette foi justifiant ; est déjà sanctifiante, elle implique la renonciation au mal et l’entrée dans une voie nouvelle ; elle est repentir et amour, et, par conséquent, elle a été précédée par des actes libres, par des déterminations de volonté. > Op. cit., p. 105-106. Il est vrai que l’auteur tient à se distinguer du concile de Trente en ce que « cette régénération commencée » est seulement un « moyen pour nous de saisir sérieusement le sacrifice parfait de la rédemption. » Mais, dès là que ce moyen est « le seul », autant dire qu’il a une valeur causale et, s’il subsiste encore des différences avec la doctrine catholique, comment n’être pas plutôt frappé des convergences réelles qui tendent à s’établir sous la diversité des mots ? La foi qui justifie, pour M. Jean Monod, est pareillement « la foi vivante qui porte en elle le principe des bonnes œuvres. » Encycl. des sciences religieuses, art. Foi, t. v, p. 7.
En Suisse, un exégète de grand crédit, Fréd. Godet, ne veut pas non plus entendre parler d’une opposition entre saint Paul et saint Jacques. Éludes bibliques, Paris, 1874, t. ii, p. 255-260. Pour les concilier, il distingue « la justification d’entrée », dont parlerait saint Paul et qui s’obtient par la seule foi, de la justification finale, qui comporte les œuvres et à laquelle s’attache saint Jacques. Ibid., p. 260-267. Ainsi s’établirait « la vérité simultanée des deux formules. » D’autant que l’œuvre, pour Jacques, est « celle qui est accomplie en état de foi, » et que, « aux yeux de Paul, l’élément actif de l’âme, la volonté, est compris dans la notion de la foi, » c’est-à-dire que « l’œuvre émane spontanément de la foi dans laquelle elle est virtuellement renfermée comme la conséquence dans son principe » et qu’il n’y a de foi efficace que « celle de la conscience embrassant l’homme complet et opérant par la volonté. » Ibid., p. 265-267. Voir du même auteur le Commentaire sur l’Épîlre aux Romains, Paris, 1879, t.. i. p. 311-130.
Tout en critiquant cette distinction d’une double justification, op. cit., t. iv, p. 4Il et 417-419, Aug. Grétillat ne laisse pas d’en tenir compte, puisque les œuvres doivent intervenir dans l’appréciation de la personne morale au jugement, p. 422. Pour sa part, il se rallie sans doute à la « doctrine de l’imputation », p. 388. et tient, en conséquence, que « la justification est un acte déclaratif ou forensique résidant en Dieu et non pas un effet se réalisant en l’homme, » p. 392. Tous traits, semble-t-il, de la plus scrupuleuse orthodoxie protestante. Cependant cette justification, à son sens, doit avoir, non seulement unellet négatif ou rémission des péchés, mais un effet positif, qui est de « réhabiliter l’homme dans son droit primitif, fondé d’ailleurs comme tout droit de l’homme sur la grâce divine qui l’a institué et qui le restitue : le droit de filiation, » d’où suit le libre accès auprès du Père et « la réceptivité rendue à l’homme pour tous les dons de Dieu, p. 400. La justification ainsi conçue s’obtient par la foi ; néanmoins cette foi se traduit par « une appropriation personnelle de la justice de Christ, » p. 403, c’est-à-dire, en somme, par « une œuvre », p. 413, mais qui tire sa valeur de l’objet qu’elle s’approprie et dont le Christ qui en est le terme supplée l’imperfection,
p. 416-417. Dans le moule des anciennes formules un esprit nouveau, ou, plus exactement, le vieil esprit catholique, n’est-il pas évidemment jeté ?
<) Angleterre. — On retrouverait la même tendance chez de notables représentants de l’anglicanisme moderne, sauf qu’en général l’attachement aux formulaires du xvi 1’siècle y est moins prononcé. Voir, par exemple, J. Macleod Campbell, The nature of the alonemenl, l re édit., 1855, cité d’après la 6e édit., Londres, 1906, p. 80-92 et 333-310 ; R. V. Monsell, The religion of Rédemption, l re édit., 1866, cité d’après l’édition populaire, Londres, 1901, p. 219-254 ; J. Scott Lidgett, The spiritual principle of the atonemenl, Londres, 1897, p. 398-409 ; R. C. Moberly, Alonemenl and personalitg, Londres, 1907, p. 136-153 et 277-285 ; J. Denney, The Christian doctrine of reconciliation, Londres et NewYork, 1918, p. 286-332 ; P. L. Snowden, The atonement and ourselues, Londres, 1919, p. 191-264. D’aucuns mêmes deviennent nettement agressifs à l’égard de l’ancienne orthodoxie : tels l’évêque Forbes, qui, au cours d’une explication des trente-neuf articles, dénonce la 8 grave erreur » commise par Luther dans son insistance sur la justification forensique et l’inutilité des œuvres. A cette doctrine classique une autre est opposée, qui présente la justification comme a certain supernatural change. « Changement » qui consiste en ce que « nous sommes rétablis dans la grâce de Dieu, en ce que nos péchés nous sont remis et nos âmes renouvelées. » Exposé dont on a pu dire avec raison « que le retour au point de vue romain y est incontestable. » Grensted, op. cit., p. 268-269. D’une manière générale, la caractéristique de la théologie récente, ibid., p. 363, serait que « la justification, quelque distincte qu’elle puisse être en stricte logique de la sanctification, ne peut pas, en fait, être séparée d’elle sans devenir une abstraction sans valeur. »
Ce n’est pas, bien entendu, que les théologiens protestants de toutes confessions et de tous pays renoncent à la justification par la foi, qui fut le mot d’ordre de la Réforme, et ne S2 fassent, en général, de cette formule une arme contre les doctrines romaines. Mais, pour tout observateur impartial, l’examen objectif des faits montre cjue ces polémiques portent à faux et que les anciens vocables conservés par habitude recouvrent un tout autre contenu. Déjà signalé par Môhler, Neue Unlersuchungen, 1872, p. 216, ce fait est reconnu par des protestants eux-mêmes. « On est en droit de publier ouvertement que, dans la conscience protestante aujourd’hui régnante, la direction semipélagienne du dogme catholique est plus sensible que la conception de la Réforme dans son austère majesté. D’où il est arrivé que les théologiens protestants de nos jours, et de ceux qui s’estimaient les porteurs du pur luthéranisme, ont présenté comme la foi justifiante celle-là précisément qui agit dans l’amour, conformément au concept scolastique de la fides formata, et l’ont opposée à un prétendu dogme catholique de la justification par les bonnes œuvres. » K. Hase, Handbuch der protestantischen Polemik, 7e édit., Leipzig, 19d(i, p. 2(51-262. « La théologie croyante moderne ne peut pas s’empêcher de reconnaître que sa doctrine de la justification est substantiellement d’accord avec la conception romaine et mystique. » Fr. Ad. Philippi, Kirchliche Glaubenslehre, Stuttgart, 1867, t. v, p. 203. Cf. R. Bartmann, Lehrbuch der Dogmalik, Fribourgen-B. , 2e édit., 1911, p. 482-483.
Ainsi, pour le dogme de la justification comme pour celui de la rédemption qui en est la base, voir J. Rivière, op. cit., p. 498-548, c’est à rencontre de leurs symboles les plus officiels et dans le sens de la tradition de l’Église toujours méconnue que, par la force des choses, s’orientent aujourd’hui les théologiens pro
testants qui veulent rester fidèles à l’esprit chrétien. Sur cette < réforme silencieuse », voir les conclusions du Dr K. Krogh-Tonning, Die Gnadenlehre und die stille Re/ormalion, Christiania, 1894, p. 45, 61-62, 72-84.
II. Théologie catholique. —
Si le concile de Trente avait fixé tout l’essentiel de la doctrine catholique, par le soin même qu’il avait mis à se tenir au-dessus des controverses d’école il laissait aux théologiens bien des points à éclaircir ou du moins à explorer. Il fallait aussi défendre le dogme contre les attaques de la science protestante dont on a vu l’acharnement en cette matière. Aussi, depuis le xvi° siècle, la théologie catholique a-t-elle déployé autour du problême de la justification un effort sans précédent.
I. DÉveloppehext histoiuqve.
Cette littérature est en double connexion avec les vicissitudes de la controverse protestante et avec les progrès accomplis au sein de l’école dans la systématisation de l’enseignement relatif à la grâce.
1° Enseignements de l’Église.
Au décret du concile
de Trente à peine quelques actes nouveaux du magistère se sont-ils ajoutés.
1. Contre les erreurs de Bains.
Par ses tendances générales, Baïus était conduit à se rapprocher le plus possible des conceptions protestantes. Ainsi semblait-il ne pas admettre de justice infuse, établir entre la justification et la rémission des péchés une distinction suspecte, ou encore dissocier celle-ci de la charité parfaite. D’où la condamnation portée contre ses propositions 31-33, 42-44, 63-64, 69-70. Elles sont citées et commentées à l’art. Baïus, t. ii, col. 100-104. Il est facile de voir qu’elles allaient contre la lettre ou, tout au moins, contre l’esprit du concile de Trente et de la tradition qu’il définit.
2. Projet de nouvelles définitions au concile du Vatican. — Une méfiance excessive à l’égard des catégories scolastiques, jointe au désir de rendre la foi assimilable aux intelligences modernes, détermina en Allemagne, dans le premier tiers du xix° siècle, ce mouvement de théologie rationalisante dont Hermès fut le principal fauteur. Sous la poussée d’un nominalisme aigu, il ne concevait plus la justification comme une réalité immanente à l’âme, mais bien comme la disposition où Dieu se trouve d’accorder à l’homme les grâces actuelles qui lui sont nécessaires. Voir Hermès, t. vi, col. 2299-2300. Cette erreur n’est pas nommément signalée dans le bref de Grégoire XVI en date du 25 septembre 1835 : mais elle fut aperçue et réfutée par les théologiens catholiques. Voir J. Kleutgen, Die Théologie der Vorzcit, .Munster, 1854, t. ii, p. 274-291. Le souvenir en était encore assez vivant en 1870 pour que le concile du Vatican ait projeté de lui opposer une plus ferme déclaration de la foi catholique. « Parce que de nos jours quelques-uns ont perverti toute la doctrine de la grâce sanctifiante, celle-là surtout qui en fait un don inhérent (à l’âme), il paraît nécessaire de l’enseigner distinctement et de l’inculquer à nouveau. » Ainsi s’exprime le rapport justificatif qui accompagne le premier Schéma de doclrina catholica, note 42, dans Collectio Lacensis, t. vii. col, 551. C’est pourquoi le chapitre xvin du projet porte sur la grâce. Sancti/icans graliu, y est-il dit, neque in favore Dei tantummodo, neque in prwtereunlibus actibus conslituitur ; sed est [jermanens supernaturate doniim a Deo anima in/usum atque initierais, lu canon dirigé contre Hennés aurait condamné ceux qui disaient sanctificantem graliam nihil aliud esse quam eondonationem peccalorum dut fuvorem divinum quo Deus hominem lanquam graluni acceptet paratusque ait ad concedenda ei auxilia gratis actualis. Ibid., col. 517-518.
On retrouve le même texte dans le projet soumis aux Pères de la Députât ion de la foi. col. 1635 et 1638, sauf que les canons y sont rejetés à la fin et que le
deuxième vise plus nettement la justification : Si quis dixerit justifleationem non esse nisi remissioncm peccalorum, etc. Les Pères en discutèrent le 20 mars, col. 1667-1668, et plusieurs proposèrent quelques précisions encore plus poussées sur la remissio peccalorum. Mais le Schéma reformatum conserva le même libellé. Voir c. v, 2, col. 562, et can. 2-3, col. 566. Le rapport officiel expliquait qu’on avait voulu renouveler plus clairement la définition du concile de Trente, mais en évitant comme lui les termes techniques d’habitus ou de qualilas. Ibid., col. 562, n. 2.
Si elle avait abouti, la définition projetée par le concile du Vatican aurait, en somme, laissé le problème en l’état. Mais le concile fut prorogé avant qu’elle pût être mise en délibération.
3. Erreurs de Rosmini.
Parmi les 40 propositions de Rosmini condamnées par le Saint-Office le 14 décembre 1887, la trente-cinquième est relative à la justification. Denzinger-Bannwart, n. 1925.
Quomagis attenditurordo Plus on prend garde à
justificationis in homine, eo l’ordre de la justification
aptior apparet modus dicendans l’homme, plus apparaît
di scripturalis quod Deus juste le langage de l’Écri
peccata quredam tegit aut
non imputât.
ture d’après lequel Dieu
couvre ou n’impute pas cer tains péchés. « D’après le Psalmiste, xxxi, 1, continue le texte, il y a une différence entre les iniquités qui sont remises et les péchés qui sont couverts. Celles-là, semble-t-il, sont les fautes actuelles et libres, ceux-ci les péchés non libres de ceux qui appartiennent au peuple de Dieu et qui n’en reçoivent de ce chef aucun dommage. » Opinion singulière qui vise plutôt la responsabilité morale du chrétien ; mais l’Église n’a pas voulu laisser s’accréditer un langage qui rappelle celui du protestantisme en matière de rémission des péchés.
2° Production théologique.
A défaut de controverse
nouvelle, les problèmes soulevés par la Réforme et périodiquement repris par ses docteurs ont largement suffi à défrayer l’activité des défenseurs de l’Église.
1. Théologiens du concile de Trente.
Il faut faire un rang à part aux théologiens qui, après avoir participé aux délibérations du concile de Trente, consacrèrent leurs talents à en exposer et défendre les doctrines.
Déjà le P. Grisar a édité le texte intégral d’un votuni très important du jésuite Lainez, Dispulationes Tridentinse, Inspruck, 1886, t. ii, p. 153-192. Un volume spécial est annoncé par la Gôrresgesellschafl, pour la publication des traités relatifs à la justification que provoqua l’assemblée conciliaire. En dehors de ces textes que réveille l’érudition moderne, d’autres furent publiés dès l’époque par leurs auteurs, dont quelques-uns eurent un particulier retentissement.
Le premier en date est le traité du dominicain Dominique Soto, De natura et gratin libri III ad synodum Tridentinam, Venise, 1547, qui se présente comme un commentaire des décrets de la v c et de la vi c session. Sa manière de concevoir l’incertitude de la grâce fut contestée par son confrère Ambroise Catharin, qui publia contre lui une Dejensio catholicorum pro possibili cerliludinc gratite, Venise, 1547. Il s’ensuivit une vive polémique entre les deux théologiens sur ce point précis. Voir H. Ilurter, Nomenclaior litlcrurius, 3’édil., t. ii, col. 1371-1375.
Plus importante encore est la contribution du franciscain André de Véga, ibid., col. 1390-1391. Avant même que le concile abordât le problème de la justification, celui-ci avait mis à profit ses loisirs pour écrire un Optisculum non soltim de justifications, sed etiam de gralia, fide, operibus et merilis egregie tracions quastiones quindecim, Venise, 1546. Peu après Soto,
il écrivit à son tour un commentaire très étendu sur le décret de la vi c session : Tridenlini decretî de juslificatione expositio et defensio libris quindecim distincta tolam doctrinam justificationis compleclentibus, Venise, 1548. Ce dernier ouvrage valut à son auteur les éloges du cardinal Cervino, Hefner, op. cit., appendice, p. 101, et connut dans la suite de nombreuses éditions. Les deux furent réédités en un seul volume par Pierre Canisius, Cologne, 1572. Véga s’y préoccupe de répondre à l’Antidotum de Calvin et fournit beaucoup de détails précieux sur les délibérations conciliaires auxquelles il avait pris une part active.
En dehors du dogme qui les unit, ces deux œuvres reflètent des tendances théologiques assez différentes pour que Petau, en rendant hommage à leur grande valeur, les puisse appeler duo inter se pugnanles libri. De Trid. conc. et S. Augustini doclrina, c. xv, dans Dogmala theologica, édit. Vives, Paris, 1866, t. iv, p. 688. Soto est, en effet, un adhérent de l’école thomiste, tandis que Véga se rattache, d’une manière d’ailleurs plutôt indépendante, aux doctrines franciscaines.
Dans cette catégorie on peut encore mentionner l’œuvre plus tardive du jésuite portugais Andrada de Païva, voir ici t. i, col. 1179, qui prit la défense du concile de Trente contre les attaques de Chemnitz et dont celui-ci tient compte dans son Examen concilii Tridenlini.
2. Controversisles des XVIe et XVIIe siècles. — Il était difficile d’exposer la doctrine du concile de Trente sans prendre parti contre les protestants. Mais d’autres s’adonnèrent à la tâche spéciale de critiquer ex professo leurs positions ou de rétorquer leurs arguments. Dans cette abondante littérature de controverse, la justification occupe naturellement un rang de choix.
En abordant à son tour ce problème, Bellarmin énumère les principaux de ses précédesseurs. -De ; tis/<L, i, 3, Opéra omnia, Paris, 1873, t. vi, p. 152. Il y remonte jusqu’aux polémistes des premiers jours de la Réforme : Driedo, Latomus, Pighius, John Fisher, Y Enchiridion de Cologne. Puis il mentionne les auteurs qui écrivirent immédiatement avant ou après le concile de Trente : Dominique Soto, Pierre Soto, Pierre de Castro, André Véga, Catharin, Cajétan, Andrada. Enfin il signale les controversistes postérieurs : Hosius, ConI. pol., 61-75, Jean de Louvain, De fide speciali, François Turrianus, Henri Helmésius, Nicolas Sander, tous trois auteurs d’un traité De justifieatione, Josse Tiletanus, Apolegia pro conc. Tridentino, Ruard Tapper, Explic. articulorum Lovaniensium, et termine par le nom illustre de Thomas Stapleton, Universa justi/icationis doclrina. Tout cela, ajoute-t-il modestement, prœler alios multos qui mihi noli non sunt .
Cette énumération, en tout cas, suffit à montrer que les attaques des protestants n’étaient pas restées sans réponse du côté catholique. Mais, pour méritoire qu’elle soit, l’œuvre de ces divers controversistes a été éclipsée par celle de Bellarmin lui-même, dont les cinq livres De justifieatione, 1593, ibid., p. 145-386, restent le modèle du genre. Résumé dans J. de la Servière, La théologie de Bellarmin, Paris, 1908, p. 666-704. Son importance est attestée par les multiples réfutations qui en furent tentées par les protestants. Voir Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, t. i, col. 1175.
Au xviie siècle, la controverse dure encore, mais tend, en général, à se faire plus irénique. Bossuet s’y est livré dans ce sens, à plusieurs reprises, au cours de sa longue carrière, voir ici t. ii, col. 1054-1055, 10581060, 1080-1081. La justification est déjà traitée dans la Réjulalion du catéchisme du sieur Paul Ferry, 1655, 2e section, Œuvres complètes, édit. Vives, t. xui, p. 393-432. Elle est touchée plus brièvement dans
l’Exposition de la doctrine catholique sur les matières de controverse, 1671, c. vi-vn, ibid., p. 62-67, et reprise enfin, en vue de dissiper les équivoques dont cette matière commençait tout juste à se dégager, dans sa pacifique discussion avec l’abbé luthérien Molanus. Pour les positions de Molanus, voir Cogitaliones privatæ, dans Œuvres complètes, t. xvii, p. 402-403, et, pour celles de Bossuet, Episc. Meld. sententia, ioid., p. 473-475, 478-479 ; Declar. fldei orthodoxas, c. i, p. 500-510 : Réflexions, c. i, p. 549-562. Voir également Histoire des variations, t. III, c. xxxiii-xli, t. xiv, p. 116-123.
3. Théologiens scolasliques.
Pendant ces assauts de la dialectique ou de l’érudition, l’École poursuivait en paix la systématisation de la foi catholique en matière de grâce. Non pas d’ailleurs qu’on y perde entièrement de vue la controverse protestante ; mais cette dernière est subordonnée aux problèmes d’ordre proprement théologique, qui prennent ici le premier pas avec tout le cortège de discussions et de précisions qu’ils ne manquent pas d’entraîner.
Les monuments les plus imposants de cette scolastique furent élevés par Suarez, De gralia, et Ripalda, De ente supernaturali. Chez l’un et l’autre, les questions diverses que pose la doctrine de la justification tiennent une large place. Voir Suarez, De gratia, 1. VU-XI, dans Opéra omnia, édit. Vives, t. ix, p. 90686, et Ripalda, De ente supernaturali, t. IV, disp. lxxxvi-lxxxviii, et t. VI, disp. cxxxii, édit. Palmé, t. ii, p. 165-193 et 694-785. A la suite de ces maîtres, tous les traités de la grâce consacrent à la justification des exposés plus ou moins étudiés, dont les détails sont naturellement influencés par l’école théologique à laquelle ils se rattachent.
Chez les initiateurs de la théologie positive au xviie siècle, c’est surtout la grâce actuelle qui estau l’ordre du jour. A propos des missions divines, Petau est amené’cependant à traiter de la grâce sanctifiante, qu’il veut identifier, d’après les Pères grecs et spécialement d’après saint Cyrille d’Alexandrie, avec la substance même du Saint-Esprit présent dans l’âme régénérée. De Trinitate, t. VIII, c. iv-v, dans Dogmala theol., édit. Vives, t. iii, p. 453-481. En établissant le Consensus scholæ de gratia, Thomassin rapporte et discute quelques opinions des théologiens anciens ou récents sur la justification, celle, par exemple, de Contarini. Voir Dogm. theol., édit. Vives, t. vi, p. 209212 ; cf. p. 219-220, 324, 349.
Dans l’ensemble, les aspects historiques du problème de la justification sont abandonnés aux controversistes, tandis que les théologiens s’en réservent les côtés spéculatifs.
4. Théologie et controverse au XIXe siècle. — Jamais entièrement assoupie, la controverse a repris une nouvc’e activité, dans les pays de religion mixte, au coura i du xixe siècle.
Le premier signal en fut donné en Allemagne par ! célèbre Symbolique d’Adam Môhler, Mayence, IKïl où l’auteur s’applique à montrer les oppositions dogmatiques des catholiques et des protestants d’après leurs symboles officiels. Nécessairement l’article d la justification y tient une très grande place et Môhler est conduit à mettre en relief, à la lumière des textes, les particularités un peu estompées depuis lors du protestantisme primitif. Voir dans la dernière édition, Mayence, 1872, p. 99-253, et le résumé de G. (joyau, Mwhler, Paris, 1905, p. 175-257. L’ouvrage eut un succès retentissant en Allemagne et dans les autres pays catholiques. A leur façon les protestants en nnrquèrent la valeur par de nombreuses et vives ripostes. Il y eut notamment une intervention de Christian Baur, Der Gcgensalz des Kalholicismus und ProlesUmlismus, Tubingue, 1833. Môhler se défendit contre lui
dans s ( s Neue l’ntersuchungen der I.ehrengeijensâlze zwischen den Kaiholiken und Proiesianiea, Mayence, 1834. Baur répliqua, cependant que Marheræcke et
C. J. Nitsch entraient en lice de leur côté pour la défense du protestantisme. Sur la Symbolique et la controverse qui s’ensuivit, voir A. Vermeil, Jeanvdam Mo Mer et V école catholique de Tubingue, Paris, 1913. p. 190-21Ï et 249-260.
Sans avoir le même retentissement, les publications de Dôllingi r sur la Réforme, surtout son volume Kirehe und Kirclien, Munich., 1861, voir ici t. iv. col. 1521, ne passèrent pas inaperçues et le Dr J. E. Osiander prit la peine de défendre contre lui la tradition protestante en matière de justification. liemerkungen ùber die evangelische Rechtfertigungslehre und ihre GeschicHe, dans Jahr bûcher für deutsche Théologie, 1863, t. vin. p. 691-715.
Récemment encore la bataille s’est rallumée autour du Luther und Lulhertum du P. Dcnifle, dont la juslilication forme le centre, et que l’auteur a complété par un volume documentaire sur la Justitia Dei dans l’ancienne exégèse en Occident. Voir ci-dessus, col. 21 07 et 21 1 1. D’innombrables articles ou brochures ont tendu à venger la mémoire de Luther contre les conclusions du premier ouvrage, v. gr. L. Ihmels, dans Neue kirchliche Zeilschrifl, 1904, p. G18-648, tandis que le Di K. i l’ill s’appliquait à réduire la portée du second, dans Fcstgabc… A. von Harnack… dargebrachl, Tubingue, 1921, p. 73-92. A la même intention polémique sont dues les diverses publications de l’ancien dominicain Alpli. Victor Mùller, col. 2129, que l’on a pu nommer un « Anti-Denifle ». Grisar, Luther, t. iii, p. 1012.
Ces controverses avaient au moins l’avantage de ramener périodiquement au grand jour les éléments essentiels de la question. Les théologiens s’en sont plus ou moins largement inspirés dans les traités de la grâce qui se sont multipliés pour les besoins de l’exposition ou de l’enseignement. Voir Grâce, t. vi, col. 16861687. De cette collaboration entre les principes de l'École et les faits de l’histoire est appelée à sortir la systématisation intégrale de la doctrine catholique sur l’article de la justification, soit pris en lui-même, soit dans son opposition essentielle au système protestant.
II. EXPOSÉ SYSTÉMATIQUE.
Peu d’idées sont plus complexes que celle de justification. Sans l'élargir indûment, on peut y faire entrer, et on l’a fait quelquefois, toute la théologie de la grâce. Quelle que soit la raison d'être de cette synthèse, on peut aussi s’en tenir à la stricte analyse et l’on comprend alors sous le tenue de justification, conformément à son élymoJogie et à son acception dans la langue de l'École, le passage de l'état de péché à l'état de justice ou l'établissement de la grâce dans l’ame. Ainsi entendue, la justification répond à un problème précis et qui reste. même et surtout après cette restriction, le nœud vital ou s’entre-croisent, tant au point de vue de la spéculation que de la psychologie, tous les fils de la trame surnaturelle.
1° Conditions de la justification. - - Si elle se traduit, en dernière analyse, par un acte de la huile puissance divine qui institue ou restitue la vie de la grâce dans l'âme pécheresse, la justification est, en réalité, le tenue d’un long processus qui l’a rendue possible. Il y a donc lieu d’en étudier tOUt d’abord la genèse, en vue de marquer les agents qui contribuent à la produire et de préciser le rôle de chacun.
l. Part, de Dieu ou rôle de la grâce, -Avant tout, la Justification est un acte essentiellement surnaturel el qui, è oe titre, demeure tout entier suspendu à l’action de la grâce divine. Nous sommes justifiés gratuite ment par sa grâce, l Rom., in. 24. Quelle que soit la
pari qu’il convienne de faire à l’action de l’homme, ce
travail humain s’entend toujours sous réserve de ce principe primordial. Il importe d’autant plus de le mettre en relief que les protestants nous accusent plus obstinément de l’oublier ou de le violer.
Cette grâce elle-même est tout d’abord, si l’on peut ainsi dire, d’ordre lointain et objectif, o…Justifiés gratuitement par sa grâce ». c’est-a-dire. comme continue l’Apôtre, par le moyen de la rédemption qui est dans le Christ-Jésus. 1 toctrine qui vient au terme d’un long développement dogmatique où saint Paul a établi l’insuffisance de droit et de fait, soit de la loi naturelle, soit de la révélation judaïque, pour conclure : < Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu… Mais la justice de Dieu s’est manifestée sans la loi…, justice de Dieu par la foi de Jésus-Christ dans et sur tous ceux qui croient en lui. » Rom., iii, 21-23. « Car l'Écriture a renfermé toutes choses sous le péché pour que la promesse qui vient de la foi de Jésus-Christ fût donnée aux croyants. » Gal., iii, 22.
Le concile de Trente a consigné expressément en quelques lignes didactiques les principaux traits de cette philosophie religieuse de l’histoire que saint Paul se plaisait à dessiner. En tête du décret sur la justification, il est rappelé que, par la faute d’Adam, tous les hommes avaient perdu la justice originelle et étaient devenus à ce point esclaves du péché que « non seulement les païens ne pouvaient en sortir et s’en libérer par les forces de la nature, mais pas davantage les juifs eux-mêmes par la lettre de la Loi mosaïque. » Aussi Dieu le Père, quand fut venue la plénitude des temps, a-t-il envoyé son Fils « pour racheter les juifs qui étaient sous la Loi et pour que les païens, qui ne connaissaient pas la justice, en eussent communication, Rom., ix, 30, et que tous ainsi reçussent l’adoption des enfants. » Sess. vi, c. i et ii, Denzinger-lianiiwart, n. 793-794, et Cavallera, n. S7 : ; 874. Doctrine reprise sous l’orme d’anathème aux canons 1-2, Denz.. n. 811-812, et Cav., n. 892. Toute l'économie de la justification se trouve ainsi conditionnée par une première grâce, savoir la grâce même de la Rédemption.
De là découlent les secours divins destinés à procurer aux hommes l’application de ce bienfait initial. Contre les pélagieiis, l'Église avait déjà défini en général la nécessité de la grâce pour le salut. Conc. Miter.. can. 3-4, Denz., n. 103-101. et Cav., n. S 13. A la suite des controverses semipélagiennes, le concile d’Orange avait précisé que cette nécessité s’applique même à l’inilium fidei et à ce t sentiment de confiance par lequel nous croyons en celui qui justifie l’impie et parvenons à la régénération baptismale. > Can. 5, Denz., n. 178, et Cav., n. 853. Voir également les canons 6-16 et 21-22. En conformité avec ces principes, le concile de Treille < enseigne que, chez les adultes, le commencement même de la justification doit être cherché dans la grâce prévenante de Dieu par le Christ Jésus » et que c’est cette grâce qui excite et aide les pécheurs à leur conversion, de telle sorte que, sans la grâce de Dieu, ils ne peuvent pas se mettre en mouvement devant lui vers la justice. » Aussi tous les actes de l’homme qui sont décrits dans la suite s’entendent-ils connue accomplis sous l’action de cette double grâce excitante et adjuvante. Sess. vi, c. v-vi, DenL., n. 797-79X, et Cav.. n. 677-878, Cf. ibid.. can. 3, Denz.. n. 813, et Cav., n. 892. I.a raison en est que la préparation à la justification est un acte surnaturel et qui ne saurait, dès lors, se faire sans une mol ion spéciale de l >ieu. S. Thomas, Sum. theol., [ I [ », q enc, a. 0. Voir Grâce, t. i. col. l">7.'i 1578.
2. l’art tic l’homme : Principe. lue lois assurée de i.i sorte l’initiative divine, il faut affirmer avec la même
énergie la possibilité el la nécessite de la coopération humaine'
C’est ce qu’enseigne le concile de Trente en rappelant que la liberté de l’homme doit donner à la grâce son assentiment et sa collaboration : eidem gratiae libère assenliendo et eooperando disponuntur. Denz., n. 797, et Cav., n. 877. Où l’on peut observer que les deux termes employés par le texte conciliaire sont intentionnellement progressifs pour mieux marquer l’étendue de notre concours, lequel ne consiste pas seulement à recevoir la grâce (assenliendo). mais à la faire efficacement fructifier (eooperando). Sous l’action de Dieu, c’est donc toute une vie morale qui peut et doit se développer dans le pécheur en vue de le disposer à la giâce de la justification.
Rien de plus conforme aux données de la révélation qu’une préparation humaine ainsi conçue. A titre d’indication, le concile rappelle que, s’il est des textes scripturaires, comme I.ament., v, 21, qui soulignent l’action prévenante de la grâce, il en est d’autres qui professent non moins nettement notre liberté. « Convertissez-vous vers moi et je me convertirai vers vous, » dit Jahvé, dans Zacli., i, 3. D’une manière générale, la prédication des Prophètes, comme d’ailleurs celle du Christ et des Apôtres, ne se résume-t-elle pas dans l’appel à la pénitence, c’est-à-dire au redressement effectif des sentiments et de la conduite ? S’il promet la régénération par la vie dans le Christ, le christianisme aussi, par un cercle qui n’a rien de vicieux, la suppose déjà commencée dans l’âme qui en doit recevoir le bienfait. Il s’agit de pleurer ses fautes comme la pécheresse, de réparer ses torts comme le publicain, de se retourner vers Dieu comme le prodigue ; pour tous, en un mot, de t faire la volonté du Père. » Matth., vii, 21. Quiconque est animé de ces dispositions n’est « pas loin du royaume de Dieu. » Marc, xii, 34.
De cette pédagogie élémentaire le principe rationnel est bien dégagé par saint Thomas. « La justification de l’impie s’accomplit par le fait que Dieu meut l’homme à la justice… Mais Dieu meut toutes choses selon la nature de chacune… Or l’homme a dans sa nature d’être libre. C’est pourquoi, dans un être doué de libre arbitre, la motion divine vers la justice n’a pas lieu sans une impulsion donnée à son libre arbitre. Dieu donc infuse de telle façon le don de la grâce justifiante qu’il imprime en même temps dans le libre arbitre un mouvement pour l’accepter. » Sum. theol., la Hæ q. cxiii, a. 3. Et s’il en est ainsi pour recevoir le don de la grâce, à plus forte raison pour s’y disposer. Ibid., q. exii, a. 2. On s’explique par là l’accueil différent fait à la prédication de l’Évangile. Suarez, .Z)e gratia, t. VIII, c. vi, 9, Opéra, t. ix. p. 336.
Chaque fois qu’on parle de cette préparation humaine, les protestants affectent de redouter qu’on ne fasse tort aux mérites souverains du Christ. Mais il était dans l’ordre que la grâce de la rédemption nous fût appliquée moyennant notre part de libre concours. « Par sa passion, explique saint Thomas, le Christ nous a délivrés de nos péchés par manière de cause… Car la passion du Christ précède comme une sorte de cause universelle de notre pardon ; mais il est nécessaire qu’elle soit appliquée à chacun pour la rémission de ses péchés personnels. » Sam. theol., Illa, q. xlix, a. 1, ad 2ume t 3uiu. Et cette application demande que nous soyons configurés à sa passion. assimilés à son corps mystique, en un mot pénétrés de son esprit. Ibid., a. 3, ad 2um et 3um.
Tout cela suppose que le péché laisse intactes les forces vives de notre âme. L’Eglise a toujours professé ce minimum d’optimisme spirituel et le concile de Trente en défend le principe contre le pessimisme radical de la Réforme. Dès lors, si nous sommes capables de quelque bien, il est normal que nous soyons invités à le fournir et il y a une vue psychologique des plus
profondes, en même temps que des plus salutaires, dans cette idée de l’homme travaillant sous l’action de la grâce à sa propre régénération. Le surnaturel selon la pensée de l’Église comporte une exaltation et, par conséquent, une utilisation de la nature. Toute autre conception n’est pas seulement une diminution spéculative de la dignité humaine, mais une atteinte grave portée à la valeur morale du christianisme.
3. Part de l’homme : Application. — De ce principe l’application est une simple affaire de psychologie religieuse qui ne saurait guère offrir de difficultés.
a) Rôle de la foi. — La première de ces dispositions est évidemment la foi.
Tout ce que les protestants ont dit de son importance et des textes scripturaires qui l’exigent peut et doit être retenu comme un élément positif de la révélation divine. Voir Foi, t. vi, col. 512-514. La foi est, d’après le concile de Trente, humanæ salutis initium. fundamentum et radix omnis juslificationis. Sess., vi, c. viii, Denz., n. 801, et Cav., n. 881. La raison en est, comme l’expose saint Thomas, qu’elle est logiquement et réellement le premier mouvement de l’âme vers Dieu. « Il faut pour la justification de l’impie un mouvement du libre arbitre, en tant que l’âme de l’homme est mue par Dieu. Or Dieu meut notre âme en la tournant vers lui-même…, et c’est pourquoi il faut pour la justification de l’impie un mouvement de l’âme en vue de se tourner vers Dieu. Or ce premier mouvement se fait par la foi, selon ce mot de l’épître aux Hébreux, xi, 6 : « Quand on s’approche de Dieu, il faut d’abord croire qu’il est. » Sum. theoi, D II », q. cxiii, a. 4. Voir Infidèles, t. vii, col. 1758-1827.
Par cette foi il faut entendre, non pas un sentiment personnel de la miséricorde de Dieu, mais l’adhésion au message divin de la révélation. Assurément cet acte ne peut aller sans des dispositions du cœur où la confiance a sa part : l’Église et la théologie lui maintiennent néanmoins un caractère essentiellement intellectuel. Voir Foi, t. vi, col. 56-84. La foi qui sauve est éminemment théocentrique et signifie la soumission de notre raison créée à la suprême autorité divine. Conc. Vatic., Const. Dei Filins, c. ni, Denz., n. 1789, et Cav., n. 145-147. Sinon on aboutit au fidéisme moderne où la foi n’est plus qu’un vague sentiment religieux sans aucun élément de croyance proprement chrétienne.
Néanmoins, parmi les vérités révélées et les promesses divines que nous devons croire, se trouve « surtout, celle-ci : que Dieu justifie le pécheur par sa grâce. » Principe général qui est évidemment susceptible d’une application personnelle. Aussi y a-t-il place pour un acte subjectif où le pécheur s’élève à « la confiance que Dieu lui sera favorable à cause du Christ. » Conc. Trid., sess. vi, c. vi, Denz., n. 798, et Cav., n. 878.
b) Rôle des œuvres. — Mais la foi ne saurait aller sans les œuvres. « Il est facile de se rendre compte que la foi tend nécessairement à devenir pratique… Comment, en effet, quelqu’un pourait-il croire que le Fils de Dieu fait homme est mort pour expier nos péchés sans être en même temps pénétré d’un très vif sentiment de contrition, et comment un tel désir pourrait-il être sincère s’il ne conduisait pas à l’aire des actes de pénitence ? … Enfin comment croire à l’incarnation et a la rédemption du Christ sans être pénétré pour lui d’un sentiment d’amour’?… La foi conduit donc d’elle-même à l’action, c’est-à-dire à la pénitence, à l’espérance, à l’aniouret à toutes les œuvres intérieures et extérieures que dictent de telles dispositions… Une foi qui ne contiendrait pas en elle-même tout au moins l’exigence de l’action ne serait pas la vraie foi. » Voila pourquoi « le chemin qui mène à la justification, c’est la foi et la charité jointes ensemble, réunies comme
dans une seule et même disposition. La foi en est le commencement, l’espérance en marque le développement, le début de la charité est le point de départ de son épanouissement. » L. Labauche, Leçons de théologie dogmatique, t. n : L’homme, Paris, 4e édit., 1921, p. 268-269.
Quelle que soit l’évidence de cette psychologie et la rigueur de cette logique, c’est ici le point qui a toujours le plus profondément choqué la Réforme. Il est Mai que plus d’une fois nos adversaires l’ont étrangement déformé. Sous le nom d’œuvres, ils reprochent souvent à l’Église de ne compter qu’avec les actes extérieurs : ce qui réduirait le salut à une question d’observances matérielles. C’est pourquoi il importe de souligner que les actes externes ne sauraient avoir de valeur que par les sentiments qui les inspirent et que l’Église demande avant tout ceux-ci, encore que ceux-là doivent en être normalement la suite. Les œuvres justifiantes ne peuvent être que celles qui présentent un caractère moral et qui procèdent de l’esprit de loi vivant dans le cœur. Dans ce sens, l’École explique que seule la charité ou la contrition parfaite a le caractère de disposilio proxima, les autres œuvres n’étant qu’une disposilio remolu. Suarez, t. VIII, c. vi, n. 11-14, p. 337-339.
Plus subtilement on argue que ce n’en est pas moins mettre l’homme à la place de Dieu. Ce reproche de semipélagianisme s’évanouit lui-même si l’on tient compte qu’il s’agit d’œuvres faites avec le secours de la grâce et qui, par conséquent, ne sont-elles-mêmes, en dernière analyse, qu’un don divin. Ainsi entendues, les œuvres de l’homme entrent comme condition indispensable dans le plan normal de sa justification.
On ne conteste pas que, soit d’après l’Évangile, Matth., xvi, 27, et xxv, soit d’après saint Paul, Rom., n, 6, c’est d’après elles que nous devons être jugés au dernier jour. Voir Jugement, col. 1754 sq. S’ilenest ainsi de la dernière justification, il est assez logique d’induire qu’il en va de même pour la première, sous peine de se heurter à ce que A. Grétillat est bien obligé de reconnaître comme « une des antinomies les plus aiguës de l’enseignement scriptnraire. » Op. cil., p. 417. N’estce pas déjà un avantage de la conception catholique que cette antinomie s’y résolve aisément en harmonie ?
D’autant qu’il n’est dit nulle part que la première justification se fera par la foi seule. Pour en donner l’apparence, les protestants doivent, non seulement isoler saint Paul des autres écrits du Nouveau Testanu 1. 1. mais donner à ses aphorismes une portée exclusivè que les textes n’autorisent pas. La réprobation de l’É] itre de saint Jacques et l’addition systématique de la particule sola là où saint Paul enseigne que nous sen nies justifiés « par la foi » sont les indices d’une position désespérée que seul le parti pris confessionnel a peimis de maintenir. Au contraire, en professant la solidarité et la continuité des témoignages successifs où nous apparaît la révélation néo testamentaire, l’Église se place dans les meilleures conditions pour en interprète]- exactement les divers aspects.
On voit, en effet, que partout Jésus lait appel à la bonne volonté, à l’effort moral des pécheurs qu’il invite à se convertir ; que saint Paul, quand il oppose ! ; t lui aux œuvres, n’expose pas précisément en moraliste les conditions pratiques du salut, mais développe en théologien le plan divin de la Rédemption, dans ! ( qu( I lée onemie de la loi chrétienne annule les observances d’une loi désoimais périmée ; que, pour lui-même, la foi justifiante est celle c|iù « opère par la charité -. Gai, v, 5 ; <in « - saint Jacques piée-isequ’il n’y
- i | : is ele lui vivante sinon celle qui se’traduit e’H actes.
Avec des nuances qui tiennent au but OU au tempe i : in iil ele chacun, il y a parlait aee oiel, chez ces divers
témoins du christianisme primitif, pour rattacher le
salut à l’union étroite de l’élément religieux et de l’élément moral, à la profession de la foi et à la pratique des œuvres qui en sont la conséquence. La doctrine de l’Église est tout entière établie sur cette synthèse. Si cette position avait besoin d’être confirmée, elle le serait par l’exemple de la Réforme, qui. pour l’avoir quittée, n’a jamais su trouver qu’un équilibre précaire et se voit, en fin de compte, obligée d’y revenir.
c) X’ature des œuvres justifiantes. — Quant au détail des œuvres appelées par le processus de la justification du pécheur, il relève du moraliste et ne laisse pas de place à de sérieuses contestations.
Saint Thomas les ramène au moins liberi arbitrii in peccatum, c’est-à-dire à la pénitence, I » Ilæ, q. cxiii, a. 5. Le concile de Trente est plus explicite, sess. vi, c. vi et xiv. et dessine tout un schéma de la conversion, où figurent comme deux éléments connexes les actes personnels que l’action de la grâce provoque dans l’âme du pénitent et le recours à la médiation de l’Église par la réception des sacrements. Voir le commentaire qu’en donne Suarez, t. VIII, c. xv-xx, p. 392-417. Telle est, en effet, la grande direction, compatible d’ailleurs avec bien des itinéraires individuels, suivant laquelle doit s’accomplir tout retour sincère d’une âme vers son Dieu.
Il va sans dire que cette préparation s’entend de la conversion normale, sans préjudice pour ces cas exceptionnels, nécessairement rares, où, comme pour saint Paul, la grâce divine subjugue le pécheur sans aucune collaboration visible de sa part et réalise en un instant les conditions qui sont d’ordinaire le fruit d’un long effort. Suarez, ibid., c. xxiii, n. 3-4, p. 441-442.
4. Valeur de la préparation humaine.
On peut enfin se demander quelle est, d’un point de vue spéculatif, la portée qui revient à cette œuvre de l’homme dans l’économie totale de la justification.
Contre les protestants, toujours prompts à parler de pélagianisme, le concile de Trente marque expressément que notre justification reste absolument gratuite et que nos œuvres antérieures, même faites avec le secours de la grâce, ne méritent pas, à proprement parler, la grâce de la justification. Sess. vi, c. viii, Denz., n. 801 et Cav., n. 881. La raison en est que le mérite suppose l’état de grâce, qui, dans l’espèce, est, par hypothèse, encore à venir. Voir Mérite.
Néanmoins nos œuvres préparatoires ne sont pas seulement une condition sine qua non : elles jouent le rôle de disposition, comme s’exprime le concile de’Trente. Ce qu’il faut entendre tout au moins dans le sens d’une disposition morale, qui d’une certaine façon incline Die’U à nous accorder la grâce et comporte une véritable causalité. Il est vrai que l’Écriture ne parle jamais proprement de nos actes que comme d’une condition préalable au pardon divin..Mais ici, comme le dit Suarez, condition signifie logiquement cause : In materia promissiva, ut sic dicam, oplime in/ertur (causalitas) quando condilio requisita est aliquod obsequium libcrum e.rhibendum ab co cui talis j>romissio sub lali conditione fil et inluitu cujus aliquid promitlitur, et hoc est esse causant moralem. Suarez, De gratin, t. VIII, e. ix, n. 16, p. 354. Ce qui le confirme, c’est que plus loin, c. vii, Denz.. n. 789, et Cav., n. 879, le e-e>ne’ile précise que la gràev est infusée secundum propriam cu.ju.sque dispositionem et cooperationem.
Allant plus loin, d’aucuns ont parlé ele disposition physique, en ce se-ns que par elle L’essence de l’âme serait rendue apte à l’infusion ele la grâce. Contre Alvarez et d’autres, Suarez écarte cette opinion parce
que cette disposition physique devrait être surnaturelle, c’est-à-dire qu’elle supposerait une autre grâce, et sic in infuiitum. Op. cil., t. VIII, c. îv. n. 15, et c v n. 4. p. 327 et 330.
On est donc suffisamment’fidèle à la pensée de l’Église en restant dans l’ordre des réalités morales. Dans ce sens on peut tout au plus accorder aux œuvres de l’homme un mérite de congruo. Cette position de l’ancienne école franciscaine est aujourd’hui adoptée par les théologiens de la Compagnie de Jésus. Voir Chr. Pesch, Prælect. dogmat., Fribourg-en-B., 1897, t. v, p. 197 et Hurter, Theol. dogm. compendium, 10e édit., 1900, t. iii, p. 134. Mais les écoles thomistes et augustinienne s’en tiennent généralement à la doctrine de saint Thomas, Ia-IIæ, q. cxiv, a. 5, qui n’admet pas de mérite à l’égard de la première grâce. Voir Bartmann, Lehrbuch der Dogmulik, Fribourg-en-B. , 1911, p. 486.
Diverses questions ont encore été soulevées dans l’École sur les rapports de l’acte de contrition et de l’acte de charité, c’est-à-dire exactement sur le point de savoir si la dernière préparation à la grâce relève déjà de la grâce habituelle ou d’un secours divin spécial. Saint Thomas se rattache à la première conception, tandis que Suarez défend la seconde. La controverse est exposée à l’art. Grâce, t. vi, col. 1630-1633, ainsi que les raisons qui militent pour l’opinion de saint Thomas.
Ces discussions subtiles auxquelles se complaisait le génie de l’École supposent acquise cette vérité fondamentale qu’il dépend de l’homme de se disposer à la justification par une préparation effective. Préparation, on ne saurait trop le redire, qui s’accomplit sous l’action de la grâce actuelle, mais qui associe l’homme à Dieu en vue d’aboutir à la grâce sanctifiante qui est le terme normal de cette collaboration.
2° Nature de la justification.
Ainsi préparée, la justification ne peut être logiquement qu’une grâce de régénération intérieure. C’est, en effet, le point par où la doctrine catholique se distingue le plus fondamentalement de la Béforme.
1. Notion générale de la justification.
On s’est donné autrefois beaucoup de peine chez les protestants pour établir que, d’après l’Ancien Testament, la justification est une métaphore empruntée à l’ordre judiciaire et dont, par conséquent, l’application à l’ordre spirituel ne comporterait pas une modification réelle de l’âme qui en est l’objet. Toute la question, dès lors, semblait être de savoir si saint Paul avait ou non conservé ce sensus jorensis. Ces préoccupations peuvent se comprendre dans une théologie où la lettre de la Bible était censée dire le dernier mot de tous les problèmes : elles s’évanouissent dans une vue intégrale de l’économie de la divine révélation telle que l’Église l’a toujours professée.
Il est clair, en effet, que, d’une manière générale, l’Ancien Testament ne donne des mystères divins qu’une idée encore imparfaite et n’est, dès lors, pas qualifié pour fournir la clé du christianisme. Bartmann, op. cit., p. 475. On tiendra compte également que les images de l’ordre humain sont à la fois nécessaires et inadéquates pour traduire les réalités divines : ce n’est donc pas, en bonne méthode, celles-ci qu’il faut ramener à celles-là, mais inversement celles-là qu’il faut interpréter à la lumière de celles-ci. Si l’on se place sur ce large terrain, n’est-il pas incontestable que, même dans l’Ancien Testament, les justes apparaissent comme l’objet des complaisances de Dieu ? A plus forte raison en est-il ainsi dans le Nouveau Testament, où une mystique solidarité assimile les croyants à la personne et à la vie même du Christ. Et l’on sait que ce mysticisme n’a pas eu d’interprète plus éloquent que saint Paul. Or ces données religieuses ne se comprendraient pas si elles ne correspondaient à une réalité. Toute autre conception est Inacceptable tant du côté de Dieu que du côté de’homme.
S’il est vrai que la justification consiste en ce que Dieu prononce qu’une âme est juste, comment imaginer qu’il soit dupe d’une fiction ? Non seulement il y a là un anthropomorphisme enfantin, mais, dès lors qu’il s’agit du Tout-Puissant devant qui tous les cœurs sont ouverts, une véritable absurdité. Aussi les protestants sont-ils amenés à concevoir que le jugement divin ne peut qu’être secundum veritatem.
On a vu également que, pour être acquise à une âme, la grâce divine doit normalement être préparée par un effort de sa part. Comment échapper à l’évidence que cette préparation indispensable est déjà un commencement de la justification qui en est le tenuet que celle-ci couronne et consacre l’œuvre spirituelle esquissée par celle-là ? La conclusion est particulièrement rigoureuse dans la conception catholique, où la préparation humaine signifie un exercice complet de toutes nos puissances de vie morale. Mais elle ne s’impose pas moins dans la conception protestante, où la foi requise s’entend d’une foi vivifiée par le repentir et l’amour. L’imputation pouvait avoir un sens dans le mysticisme radical de Luther, où la foi n’était qu’un simple sentiment de confiance en Dieu. Ce qui lui permettait d’aboutir à ce paradoxe que nous sommes a la fois justes et pécheurs. En reculant devant cette extrémité, ses disciples ne peuvent pas échapper à cette conséquence qu’au moment où Dieu nous déclare justes cette justification est déjà nécessairement réalisée en nous.
Quant à distinguer avec l’orthodoxie protestante moderne deux moments théoriques : l’un qui serait la justification, acte purement déclaratif et judiciaire, l’autre la sanctification proprement dite, ce n’est plus qu’un artifice pour sauver les apparences d’un système dont on abandonne toute la réalité. « L’Église catholique, dit avec raison Bossuet, ne comprend pas cette subtilité superflue. Elle procède plus simplement : elle recherche les Écritures avec les anciens docteurs orthodoxes et elle n’y remarque aucune raison sur laquelle cette distinction puisse être fondée. » Rêfu’ation du catéchisme de Ferry, Ve partie, sect. ii, c. m. Œuvres, t. xiii, p. 399 ; cf. Réflexions sur l’écrit di Molanus, t. xvii, p. 560.
Voilà pourquoi la logique et la mystique sont d’accord pour définir la justification comme une modification réelle de notre état spirituel : Translalio abe i statu in quo homo nascitur filius primi Adx in statum gratin 1 et adoptionis filiorum Dei per secundum Ad i n Jesum Christian s : di>alorem nostrum, ainsi que s’exprime le concile de Trente, sess. vi, c. iv, Denz., n. 796, et Cav., n. 876. Formule qui, prise au sens actif, exprime l’acte divin qui nous justifie et, au sens passif, la réalité spirituelle qui en est le résultat. Elle répond à celle de saint Thomas, Ia-IIæ, q. cxiti, a. 1 : Transmutatio quædam de statu injustitiie ad statum jusliliie, et tout de même à celle de saint Augustin, De spiritu et litlera, xxvi, 45, P. L., t. xiiv, col. 228 : Quid est enim aliud justificali quam justi facli abe > scilicel qui justi ficat impium (Rom., iv, 5), ut ex impiu fiât jus tus ? Ce réalisme ainsi affirmé à travers les âges est l’expression même du sens chrétien tel qu’il s’impose à tout esprit que les systèmes préconçus ou les passions confessionnelles ne font pas dévier.
2. Effets de la justification.
Sur la base de cette donnée fondamentale, la justification se décompose en deux actes distincts au moins en théorie : rémission du péché et infusion de la grâce, dont le commun résultat est une transformation réelle de notre état spirituel.
a) Rémission du péché. — Puisqu’on suppose, par hypothèse, le péché comme point de départ, le premier effet de la justification doit être de le faire disparaître.
Quelques textes exclusivement retenus et tendan
cieusement interprétés, tels que Ps. xxxi, 2, repris
dans Rom.) IV, 6-8, ont servi aux protestants pour appuyer leur théorie, d’après laquelle la justification consisterait en ce que le péché n’est pas imputé bien qu’il subsiste toujours. En réalité, leur système se fonde sur une considération pessimiste de la concupiscence, qui serait par elle-même un péché. Du moment qu’avec l'Église et la saine psychologie on écarte cette erreur, voir Concupiscence, t. iii, col. 809-812, il s’ensuit que le péché peut être remis, et tout demande qu’il le soit.
Bien que l’Ancien Testament s’en tienne souvent à des images tout extérieures, il est certain que la rémission des péchés y est offerte aux pénitents sincères, qu’elle est surtout promise comme le grand bienfait de l'ère messianique, et les termes employés ne peuvent s’entendre que d’une rémission réelle. Voir par exemple Is., xuv, 22 ; Ez., xxxvi, 25 ; Ps. l, 12, et en, 12. Cette promesse, le Nouveau Testament la donne comme devenue effective. Dans le Christ l'âme chrétienne se sent lavée, I Cor., vi, 11, et Apoc, i, 5 ; illuminée, Eph., v, 8 ; ressuscitée, Eph., ii, 5. Toutes expressions qui correspondent à ce que l'Évangile nous montre en acte, dans le cas des pécheurs ou des pécheress< s que l’appel du Maître éveille à une nouvelle vie.
Lu point de vue rationnel, dire que le péché n’est plus imputé par Dieu c’est être esclave d’une métaphore : comme si quelque chose pouvait en dissimuler le désordre à ses yeux 1 C’est aboutir à cette conséquence que, devant la souveraine vérité, le péché est tout à la fois et n’est pas. Il n’y a pas moyen de concevoir que le péché soit remis sans être réellement effacé. Non pas que rien puisse annuler la réalité historique du fait accompli, mais, par suite de la conversion qui redresse la volonté et la ramène dans l’ordre, ses méfaits antérieurs sont supprimés et anéantis dans leur portée morale. Si Dieu s’abstient de les punir, c’est parce que, en toute vérité, le désordre qu’ils constituaient n’existe plus. Ainsi l’exige, en regard de la raison, la notion de la sainteté divine et surtout, au regard de la foi, la plénitude do l’œuvre rédemptrice. Du moment que la faute d’Adam nous a constitués vraiment pécheurs, le mérite du second Adam doit se traduire par le résultat inverse. « Sinon, fait observer saint Thomas, la malice de l’homme serait plus puissante en éloignant la grâce divine par le péché que la bonté de Dieu en éloignant le péché par le don de grâce. » Compend. theol., 145, Opéra omnia, t. xxvii, p. 58. Cf. Leclerc de Heauberon, De gratin, TV, 1, 2, dans aligne, Theologiæ cursus, t. x, col. 1089. En même temps que le péché, est détruite la peine éternelle qui lui est due, Rom., viii, 1, mais non les peines temporelles qui en sont la suite. L'âme chrétienne peut ainsi unir au sentiment de sa dignité retrouvée, qui permet la confiance et inspire l’action, celui d’une salutaire humilité et d’une pénitence dont le pardon même qu’elle a reçu lui fait davantage sentir le besoin.
b) Infusion de la grâce. — Ce1 aspect négatif de la justification est logiquement et réellement inséparable de son aspect posii il : savoir la régénération effective de l'âme par la grâce.
lin eilel, d’api es l « ssence même des choses, la nuit n’est expulsée que par l’entrée du jour et le mal que par l’action du bien. Aussi doit-on duc avec saint Thomas, Sum. ///< « L, U II », q. cxiii, a. o, ad 2°" » : Grattée infusio et remissio culpse… secundum subslan tiam aclus… idem smd ; cmlcrn l’iiim ni lu Drus et tnrgitnr
gràtiam et remitlit culpam. Entre ces deux faits qui constituent la Justification il ne saurait y avoir qu’une différence formelle. " On peut, si Ton veut, distinguer la Justification de la sanctification, mais a condition de signifier par ces deux mots les deux faces d’un seul
et même acte. » Labauche, <>i>. cit., >. 285.
Même dans l’Ancien Testament, le pardon divin ne va pas sans la communication d’un esprit nouveau, Ps. i.. 12 ; Jer.. xxxi. : il sep : Ez., xxxvi, 26. I. 'Évangile en apporte la réalité, Matth., v, 20 ; xiii, 23 et 33 ; Joa.. m. 5 : XV, 1-7 ; xvii, 21, et les apôtres en décrivent â l’eiivi le magnifique épanouissement. Tit., iii, 5 ; I Petr., i. 3, 15-10 ; ii, 1-11. Saint Paul est loin de faire exception. Car, pour lui, la justification n’est pas seulement future, mais déjà réalisée dans le présent. Rom., iii, 24 et v, 1. Et si elle s’enveloppe volontiers de formes judiciaires, elle est toujours effective et réelle au fond. Rom., v, 19 ; II Cor., v, 17 ; Gal., vi, 15 ; Eph., iv, 24. L’ensemble du Nouveau Testament suggère en traits multiples et variés une même mystique, qui faisait alors plus que jamais tout le fond du christianisme et se ramène à ces deux termes connexes : la vie du croyant dans le Christ ou la vie du Christ dans le croyant. Est-il besoin d’ajouter que cette création de l’homme nouveau coïncide avec la destruction du vieil homme de péché, c’est-à-dire avec l’acte même qui nous unit à la grâce du Christ, sans que rien autorise â pratiquer une dissociation chimérique entre ces deux réalités indissolubles que sont la justification et la sanctification ?
Plus récemement on a imaginé, dans quelques écoles protestantes, que cette sanctification initiale serait une simple anticipation de ce qui sera plus tard une réalité. Voir Grétillat, op. cit., p. 4JJ8. Et il est vrai que cette première grâce est appelée à se développer ; mais encore faut-il, pour qu’il y ait anticipation véritable, que le germe en existe dès le début. Si elle n’est pas une simple formule verbale, cette « théorie proleptique » signifie un retour déguisé, et par là-même insullisant, à la réalité de la grâce telle que l’a toujours enseignée l'Église.
On ne voit d’ailleurs pas comment une imputation purement extrinsèque peut avoir un sens devant Dieu, comment surtout elle est psychologiquement compatible avec cette vie nouvelle que les protestants euxmêmes demandent au chrétien. Non sans raison le cardinal Billot évoque à ce propos l’image évangélique du sépulcre blanchi. De gratia Christi, Rome, 1920, p. 212-213 Au contraire, puisque la loi du bien est de se répandre, il convient que Dieu communique à l'âme qui retrouve sa grâce une partie de son infinie sainteté, et, si l’on fait intervenir l’ordre chrétien, que la rédemption se traduise par une restauration de notre nature. L’homme ne gagne pas seulement à ce réalisme surnaturel un sentiment plus haut de sa grandeur, mais une puissance efficace d’action Il n’y a d’ailleurs pas lieu de craindre l’orgueil ; car cette grâce de vie nouvelle reste un don de Dieu et une source de plus grandes responsabilités.
c) Question d'école. — Une fois la justification ainsi comprise, on peut discuter le rapport théorique de ses deux éléments constitutifs.
I. école scotiste a toujours admis que le lien entre l’expulsion du péché et l’infusion de la grâce est ddrdre accidentel et extrinsèque. En toute rigueur, on pourrait concevoir que le péché fût remis sans que lui infusée la grâce et réciproquement. Tout en combattant cette conception. De gratia, t. VII, c. xix, p. 24 1-252, Suarez s’en rapproche par la thèse suivante, qu’il affirme et démontre aussitôt après, c. xx, p. 252-265 : Sou dubito quin possit liabilus charitatis iujuudi sine habilu gratinpeccatori et consequenter possit habitua carilatis u gratia separalus de absolula Dei potentia conseruari vel infundi homini existtnti m statu peccati mortalis et permanenti in Mo. Sur les rapports formels de la grâce et du péché, voir ibid., c. Mi-xviii, p. 182-241, ou l’auteur soutient notamment, c, xii, n. 12, p. 186 : l’cr justitinrn inluvrcntem et informantem animam non expellitur peccatum sine
peculiari voluntate quasi cooperaliva Dei ad remissionem peccaii. — Contre ces diverses nuances du nominalisræ l'école thomiste soutient que l’opposition entre le péché et la grâce est l’ondée sur la nature même des choses et que, dès lors, la justification a pour terme nécessaire une véritable rémission des péchés. Voir Billot, op. cit., th. xv, p. 214-224. En plus des autorités qui l’appuient, cette conception théologique a l’avantage de s’opposer plus nettement au protestantisme et de mieux correspondre à nos manières actuelles de penser.
Quoi qu’il en soit de ces discussions spéculatives, ce qu’il importe de retenir en tout cas, c’est que, dans le plan actuel de la Providence surnaturelle, la justification du pécheur signifie la communication d’une réelle sainteté. Par où le dogme catholique, en plus de ses attaches traditionnelles incontestables, s’enracine au plus profond de la vie chrétienne.
3. Essence de la justification.
Mais encore de cette sanctification peut-on se demander quelle est l’essence intime ou, en termes d'école, le principe formel.
Du moment que la grâce est une réalité d’ordre surnaturel, il est certain que c’est en Dieu qu’il en taut chercher la source. Étant une participation à la vie divine, voir Grâce, t. vi, col. 1612-1615, elle ne peut qu'être en elle-même un bien d’ordre essentiellement divin. Voilà pourquoi le concile de Trente enseigne que la « cause formelle unique de notre justification est la justice même de Dieu. » Non pas évidemment cette justice qui est l’attribut personnel et la propriété immanente de l'être divin, mais celle qui de lui découle sur sa créature : Justifia Dei, non qua ipse justus est, sed qua nos justos jucil. Mais, comme cette vie surnaturelle nous vient dans et par le Verbe incarné, on peut et doit dire avec saint Paul, I Cor., i, 30, que le Christ est « notre justice » ou, avec le concile de Trente, sess. vi, can. 10, que notre justice est celle du Christ. Les deux principes ainsi hiérarchisés n’en font, en réalité, qu’un seul : d’après le langage de l’Apôtre, II Cor., v, 21, « dans le Christ nous sommes laits justice de Dieu. >
Cependant il ne peut en être ainsi que si cette justice devient véritablement nôtre, c’est-à-dire se réalise et s’actualise en nous. Voilà pourquoi le concile de Trente précise qu’elle nous est accordée, qua ab eo donati, que nous la recevons en nous, justiliam in nobis recipienles, que la grâce est répandue dans nos cœurs et leur devient inhérente, c. vu et can. 11. Par où il condamne la conception des protestants qui ne voulaient admettre qu’une justice imputée, c’est-à-dire n’emportant aucune modification de notre être intérieur, et concevaient tout au plus la grâce simplement comme une dénomination extérieure pour exprimer la « faveur de Dieu » à notre égard. Mais, par là-même, il semble bien écarter aussi la conception de Pierre Lombard et de quelques autres anciens scolastiques, qui n’admettaient qu’une grâce incréée. Voir Katschthaler, De gratia, Ratisbonne, 1880, p. 282-283.
Il s’ensuit donc qu’il laut considérer la grâce comme un effet créé, qui a son principe en Dieu assurément, mais qui en est distinct et se réalise mystérieusement en notre âme pour l’assimiler à Dieu. Dans ces termes généraux, Suarez estime que cette doctrine est de foi définie depuis le concile de Trente, op. cit., t. VI, c. iii, p. 12-20. Elle exprime, en tout cas, la pensée la plus cei taine de l'Église et de la théologie catholique. Le concile du Vatican se proposait de la fixer encore une fois en définissant la grâce comme un donum supernaturale permanens et in anima inhserens. Cependant, puisque l'Église s’est soigneusement abstenue d’imposer les concepts scolastiques de qualitas ou d’habitus, il s’ensuit qu’elle n’excl it pas absolument l’opinion ancienne, reprise par Petau, qui explique la grâce
par l’habitation du Saint-Esprit, à condition d’entendre que ce principe se traduit par une réalité spirituelle et permanente en nous.
C’est à la théologie de la grâce qu’il appartient de développer cette notion, voir t. vi, col. 1609"-1612. Il sullit d’en retenir ici le principe qui caractérise exactement le concept catholique de la justification et que l’on ne saurait mieux résumer que dans les termes si pleins du concile de Trente, c. xvi, Denz., n. 809, et Cav., n. 889 : « Ainsi notre propre justice n’est pas déclarée propre comme si elle venait de nous, et l’on n’ignore ni ne repousse la justice de Dieu, Rom., x, 3. Car la même justice qui est dite nôtre parce qu’elle nous est inhérente et que par elle nous sommes justifiés est aussi la justice de Dieu pane qu’elle nous est infusée par Dieu au nom des mérites du Christ. »
On s’explique par là que la justice nous soit étrangère par son origine et que saint Paul puisse la comparer à un habit dont nous sommes revêtus, Eph., iv, 24, et Gal., iii, 27, mais aussi qu’elle soit réellement devenue notre propre bien depuis que la charité de Dieu est répandue en nous. Rom., v, 5. Dans ce sens, Bellarmiii, Z)e/'(is//y., ii, 7, Opéra, t. vi, p. 227, et d’autres après lui, Katschlhaler, op. cit., p. 261-205, ont admis qu’on puisse d’une certaine façon parler d’imputation. Non pas d’une imputation tout extérieure qui ferait de la justice du Christ le principe formel de notre justification — justificari sola imputatione justilue Christi, suivant la nuance très précise du concile de Trente, can. Il — mais, si l’on peut dire, d’une imputation active qui nous communique réellement la vie surnaturelle dont le Christ est en nous l’auteur et l’agent.
3° Propriétés de la justification.
-Cette conception catholique de la justification commande celle de ses caractères. Quelques mots nous suffiront, la question ayant été largement traitév à l’art. Grâce, t. vi, col. 1616-1630, dont la justification est ici particulièrement inséparable.
1. Incertitude de la justification.
En vertu de leur conception anthropocentrique, les protestants étaient obligés de dire que la justification peut et doit être connue d’une manière certaine, sous peine d'être pratiquement comme si elle n'était pas. Le drame de conscience dont le péché est la cause ne peut se dénouer que par une assurance subjective, quand la foi en est le terme, ou, sinon, par le désespoir.
Au contraire, la doctrine catholique, parce qu’elle fait consister la foi dans la soumission à Dieu et dans l’effort moral qui en est la suite logique, est bien placée pour reconnaître ce fait d’expérience indéniable que nos dispositions sont toujours imparfaites et fort au-dessous de ce que Dieu était en droit d’attendre de notre collaboration. Quelles que soient donc les garanties objectives de notre salut, il reste un aléa dans leur application subjective. Ainsi voit-on dans l'Écriture que les meilleures âmes témoignent de cette humble défiance à laquelle personne ne saurait sans une funeste illusion échapper ici-bas. Eccl., ix, 1 ; Job, ix, 20 ; Prov., xxix, 9 ; Eccli., v, 5 ; I Cor., iv, 4 ; Phil., ir, 12. La raison théologique de son côté montre que la grâce n’est pas affaire d’expérience. Billot, op. cit., p. 207-208. Il n’y a aucun moyen d’excepter de cette règle la première grâce ou le fait même de la justification. C’est pourquoi il faut dire que la justification ne peut pas être connue d’une manière absolument certaine, bien qu’on la puisse conjecturer par des indices suffisants pour nous en donner une certitude morale. Voir Grâce, t. vi. col. 1616-1626. Ainsi se concilie la souveraine sainteté de Dieu, qui doit toujours nous inspirer une crainte salutaire, avec le besoin de confiance qui est une loi de notre vie.
2. Inégalité de la justification. '- Dans le système protestant, où la grâce de Dieu n’esl qu’une faveur
extrinsèque et où tout se ramène â la non-imputation
du péché, il ne saurait être question de degrés dans la justification. Ou elle n’existe pas, ou elle est un nonlieu égal pour tous les pécheurs. Une mesure d’amnistie peut couvrir des fautes plus ou moins nombreuses et graves : en elle-même elle ne comporte pas d’inégalité. Il en va autrement dans la conception catholique, où la justification se traduit par une réalité intérieure, par une sanctification effective de l’âme qui la reçoit. Dès lors, l’inégalité est non seulement possible, mais nécessaire et normale. « Nous recevons en nous la justice, enseigne le concile de Trente, chacun selon sa mesure. » Deux causes la font varier, savoir < le Saint-Esprit qui distribue à chacun ses dons comme il le veut, 1 Cor., xii, 11, puis notre propre disposition et coopération. » Sess. vi, c. vii, Denz.. n. 789. et Cav., n. 879. Ces principes valent éminemment pour le cas de la contrition parfaite, mais aussi pour le cas des sacrements, dont l’efficacité ex opère operato se diversifie suivant les dispositions personnelles du sujet. Voir Sacrement.
3. Développement de la justification. - — En conséquence de cette inégalité initiale et sous l’action des mêmes causes, la grâce de la justification peut et doit se développer. Mais il importe ici d’en bien distinguer l’origine et le processus ultérieur.
Bien qu’elle soit l’objet d’une préparation qui dans beaucoup de cas peut être lente et progressive, la justification en elle-même, sous peine de perdre son caractère surnaturel, doit être considérée comme un acte divin qui se produit instantanément. C’est la doctrine foimelle de saint Thomas, D Ilæ, q. r.xiii, art. 7, et des théologiens modernes. Voir Grâce, t. vi, toi. 1631, et Katschthaler, op. cit., p. 271-275. Mais cette première grâce est destinée à s’accroître et dans ce sens la justification est progressive. Voir Grâce, l. vi, col. 162(5-1028. Ce progrès est souvent marqué dans l’Écriture, Prov., iv, 18 ; Eccli., xviii, 22 ; Il Cor., iv, 10 ; Apec, xxii, 11 ; II Petr.. iii, 18, et expressément enseigné au concile de Trente, c. x, Denz., n. 803, et Cav., n. 873. Est-il besoin d’ajouter qu’il n’est pas de loi plus conforme aux conditions générales de notre vie intérieure ici-bas et plus capable, en même temps qie de grandir l’homme à ses propres yeux, de stimuler ses ell’orts dans la voie du bien ?
Ce développement de la justification est dû pour une large paît aux initiatives incontrôlables et aux poussées mystérieuses de la grâce divine. Mais il dépend aussi et en même temps de notre action personnelle. Parce qu’elle a reçu une grâce de régénération et de vie, l’âme justifiée peut et doit devenir l’ouvrière de son propre perfectionnement. Obligés à faire une place aux œuvres, les protestants ne les voulaient admettre que comme signes de la justilical tion. Contre eux le concile de’fiente en marque expressément la valeur réelle : de même qu’elles préparent l’avènement de la grâce sanctifiante dans nos âmes, elles sont la cause de son développement, eau. 21, Denz.. n. 834, et « ’.av., n. 892. Voir MÉRITE.
Nulle part n’apparaît mieux l’économie du surnaturel selon l’Église catholique, qui associe l’homme à l’action de Dieu et lui accorde l’honneur, en même . temps qu’elle lui impose le devoir, d’y collaborer. Conçue dans son principe comme une grâce de régénération spirituelle, la justification devient ensuite le moyen de la réaliser par des actes effectifs. N’est-il pas écrit que le bon arbre porte "le bons fruits et que, s’il vient a être stérile, il sera coupé el jeté au feu’.'
4. Amissibililé de lu justification. Comme tout le capital spirituel de l’homme ici-bas. la grâce de la justification peut se perdre. Plus encore que la raison, l’expérience atteste la versatilité du libre arbitre. Aussi l’Écriture multiplie-t-elle les appels à la vigilance
devant le danger toujours menaçant. Et cette instabilité, en même temps qu’elle est une condition inévitable de l’épreuve présente, devient une source d’effort moral.
Il faut pour échapper à ces évidences céder à un pharisaïsme naïf comme celui de Jovinien, voir col. 1577, ou tomber dans le prédestinatianisme absolu qui fut l’erreur de Calvin. Voir Calvinisme, t. ii, col. 1405-1406. Aussi le concile de Trente se contentet-il de quelques mots pour déclarer qu’< une fois justifié l’homme peut pécher encore et perdre la grâce, » can. 23, Denz., n. 833, et Cav., n. 892. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne fut pas véritablement justifié, mais qu’il a cessé d’en remplir les conditions.
Parmi ces conditions le protestantisme ne demande que la foi. Aussi le paradoxe passionné de son mysticisme et son mépris des œuvres conduisaient-ils Luther à déclarer la grâce de la justification compatible avec les pires désordres, tant que la foi restait sincère et vivace. La doctrine catholique, au contraire, fait dépendre de nos œuvres la durée tout comme l’origine de notre justification. Ce n’est pas seulement l’infidélité, mais tout péché grave qui peut la détruire. Voir Grâce, t. vi, col. 1628-1630. En quoi l’Église manifeste une fois de plus son intention de ne pas séparer, dans l’économie pratique de notre salut, l’élément religieux de l’élément moral, et de solidariser ou, mieux encore, de fondre dans la plus intime union la grâce de Dieu et le concours de notre volonté.
Conclusion générale. — Ainsi la doctrine catholique bien comprise se présente avec un caractère de plénitude propre à satisfaire tout â la fois le philosophe et le théologien. Tandis que celui-là y peut découvrir une conception harmonieusement équilibrée de l’ordre surnaturel, celui-ci constate sans peine, par de la les déviations tendancieuses du protestantisme, les multiples attaches qui la mettent en continuité avec la révélation scripturaire et la tradition patristique. Le rapport est ici tellement direct entre la foi définie au concile de Trente et les sources du christianisme primitif, si l’on prend celui-ci dans toute sa teneur, qu’on peut â peine parler de développement, sinon au sens tout extérieur d’un progrès dans la précision des analyses et l’ampleur de la systématisation.
Sans le trouble jeté par la Réforme dans les intelligences et les âmes, l’Église n’aurait peut-être jamais eu à intervenir en matière de justification et il n’est sans doute pas de définition dogmatique qui se tienne plus près du donné traditionnel, lai plus de son auto rite surnaturelle qui fixe le croyant, la raison, l’histoire et l’expérience s’unissent pour reconnaître dans ses formules discrètes le juste milieu propre à consolider, entre les prétentions inverses d’un rationalisme areligieux et d’un mysticisme amoral, le plus précieux de l’héritage chrétien.
Bibliographie. — Sans revenir sur les sources qui ont été signalées aux endroits respectifs de cet article, ou se contentera de grouper ici les principales publications modernes qui les ont exploitées et qui peuvent, à des titres divers, permettre encore d’en tirer parti. Cette question est naturellement le Bel des protestants et e’est assez dire quelles réserves s’imposent, en ce qui concerne la doctrine catholique, à l’égard de travaux toujours plus ou moins inspirés par les préjugés confessionnels.
I. Histoire de la doctrine : fin ois <i m h mi Une.doctrine aussi complexe que celle de la justification n’est guère susceptible d’être traitée sous forme de monographie. Mais elle tient une grande place :
1° Dans les histoires, surtout protestantes, du dogme de lu Rédemption. La plus complète a cet égard est Albert Rltschl, Die christliche Lettre von der Rechlfertigung und
Versôhnung, lîonn. Il’édit., 1889, I. i. On trouve aussi de
précieux renseignements, pour l’Allemagne, dans Chr. Baux, 222 :
JUSTIFICATION
2226
Die christliche Lehre von der Versôhnung, Tubingue, 1838, et, pour l’Angleterre, dans L. W. Grensted, A short hislory o/ the doctrine o/ the Atonement, Manchester, 1920. Éléments partiels dans W. Liese, Der heilsnolwendige Glaube, Fiibourg-en-B., 1902.
2° Dans les histoires générales du dogme.
1. Du côté
protestant. — Les plus riches en données positives sont, parmi les anciennes, G. Thomasius, Die christliche Dogmengeschichte, Erlangen, 1874-1876 ; parmi les modernes : F. Loofs, Leilfaden zum Sludium der Dogmengeschichte, .2e édit., Halle, 1906 ; R. Seeberg, Lelirbuch der Dogmengeschichte, Leipzig, 1908-1917. — 2. Du côté catholique. — J. Schwane, Histoire des dogmes, traduct. française par A. Degert, Paris, 1909-1915, et, pour la période patristique, J. Tixeront, Histoire des dogmes, Paris, 19091915.
3° Matériaux dans les œuvres des vieux controversistes. — Les plus importants sont : 1. Du côté protestant : Hermann Hamelmann, Unanimis omnium Patrum ex apostolica Ecclesia, ex Media JElate et quipostremis vixerunt seculis consensus de vera j usti ficatione hominis coram Deo, Ursel, 1562 ; Martin Chemnitz, Loci communes, Francfort, 1591, et Examen concilii Tridentini, Francfort, 1596, étudié par R.Mumm, Die Polemik des Martin Chemnitz gegen das Konzil von Trient, Leipzig, 1905 ; J.Gerhard, Loci theologici, édit. Cotta, Tubingue, 1762 sq., et Confessio catholica, Francfort, 1670.
— 2. Du côté catholique : Th. Stapleton, Universa justificationis doctrina hodie controversa, Paris, 1581 ; R. Bellarmin, Décimas quortæ controversiæ generalis de reparatione graliæ controversia secunda principalis : De justificatione impii et bonis operibus generalim, dans Opéra omnia, édit. Vives, t. vi, Paris, 1873, p. 145-386.
II. Histoire de la doctrine : Études spéciales. — 1° Période antérieure à la Ré/orme. — 1. Chez les Pères. — Ad. Harnack, Geschichte der Lehre von der Seligkeit allein durch den Glauben in der allen Kirche, dans Zeitschrift fur Théologie und Kirche, 1891, t. i, p. 82-178 ; J. Kôrber, Sanctus Irenxus de gratia sanctificante, Wurzbourg, 1866 ; J. B. Aufhauser, Die Heihlehre des hl. Gregor von Nyssa, Munich, 1910 ; E. SchoU, Die Lehre des hl. Basilius von der Gnade, Fribourg-en-B., 1881 ; Kohlhofer, Sanctus Cyrillus Alexandrinus de sanctificatione, Wurzbourg, 1866 ; E. Weigl, Die Heilslehre des hl. Cyrill von Alexandrien, Mayence, 1905 ; J. Mahé, La sanctification d’après saint Cyrille d’Alexandrie, dans Revue d’histoire ecclésiastique (de Louvain), 1909, t. x, p. 30-40 et 479-492 ; J. Mausbach, Die Elhik des heiligen Augustinus, Fribourg-en-B., 1909.
2. Moyen Age.
H. Denifle, Die abendlàndischen
Schriftausleger bis Luther iiber Justitia Dei (Rom., I, 17) und Justificatio, Mayence, 1905 ; critiqué par K. Holl, Die Justitia Dei in der vorlutherischen Bibelauslegung des Abendlandes, dans Festgabe von Fachgenossen und Freunden A. von Harnack… dargebracht, Tubingue, 1921, p. 73-92 ; Albert Ritschl, Lesefrùchte aus dem hl. Bernhard, dans Theologische Studien und Kritiken, 1879, t. Ln, p. 317-334 ; J. Gottschick, Studien zur Versôhnungslehre des Mittelullers, dans Zeitschrift fiir Kirchengeschichte, t. xxi-xxiv, 1901, p. 378-438 ; 1902, p. 35-67, 191-222, 321-375 ; 1903, p. 15-45 et 198-231 ; K. Heim, Das Wesen der Gnade bei Alexander Halesius, Leipzig, 1907 ; J. Stufler, Die entfernte Vorbereitung auf die Rechtfertigung nach dem hl. Thomas, dans Zeitschrift für katholische Théologie, 1923, t. xlvii, p. 1-24, 171-184 ; F. Biehler, Die Rechtferligungslehrc des Thomas von Aquino mit Hinblick auf die Tridentinische Beschliisse, dans Zeitschrift fiir die kirchliche Wissemehaft und kirchliches Leben, 1886, t. vii, p. 417-434 ; P. Minges, Die Gnadenlehre des Duns Scotus, Munster, 1906 ; Alphonse Victor Millier, Luthers theologische Quellen, (liessen, 1912 ; Luther und Tauler, Berne, 1918 ; Ag. Favaroni e la teologia di Lutero, dans Bilychnis, 1914, p. 373387 ; O. Scheel, Aus der Geschichte der mittelallerlichen Rechtfertigungslehre, dans Theologische Rundschau, 1913, t. xvi, p. 58-75 et 95-111 ; J. Paquier, Luther et l’augustinisme, dans Revue de philosophie, 1923, t. xxiii, p. 197-208 ; du même, Un essai de théologie platonicienne à la Renaissance : le commentaire de Gilles de Viterbe sur le I" livre des Sentences, dans Recherches de science religieuse, 1923, p. 293-313 et 419-437 ; G. Ficker, Das uusgehende Mittelultcr und sein Verhàltniss zur Reformation, Leipzig, 1903 ; C. Stange, Ueber Luthers Beziehungen zur Théologie seines Oiiens, dans Neue kirchliche Zeitschrift, 1900, t. XI, p. 574585 ; Luther iiber Gregor von Rimini, ibid., 1902, t. xiii, p. 721-727 ; O. Scheel, Taulers Myslik und Luthers reformer. DE THÉOL. CATHOL.
matorische Entdeckung, dans Festgabe fiir D’Julius Kaftan, Tubingue, 1920, p. 248-318.
2° Période de la Réforme.
1. Études d’ensemble. —
J. A. Mohler, Symbolik, 1e édit., Mayence, 1832 ; 8e édit. définitive, Mayence, 1872, et Neue Unlersuchungen der Lehrengegensatze zwischen den Katholiken und Protestanten, Mayence, 1834, édit. définitive, Ratisbonne, 1872 ; critiqué par Chr. Baur, Der Gegensatz des Katholicismu.-. und Protestantismus nach den Principien und Hauptdogmen der beiden Lehrbegriffe, Tubingue, 1833, et C. J. Nitsch, Fine protestantische Beantwortung der Symbolik Môhlers, 1835 ; I. Dôllinger, Die Reformation, Ratisbonne, 18461848 ; Kirche und Kirchen, Munich, 1861 ; critiqué par J. E. Osiander, Bemerkungen iiber die evangelische Rechtfertigungslehre und ihre Geschichte, dans Jahrbucher fin deulsche Théologie, 1863, t. vrn, p. 691-715 ; F. Loofs, Der articulus slanlis et cadenlis Ecclesiæ, Gotha, 1917 (extrait des Theologische Studien und Kritiken, t. xc, p. 323-420) ; K. Holl, Die Rechtfertigungslehre im Licht der Geschichk des Protestantismus, 2e édit., Tubingue, 1922 ; Mathia : -Schneckenburger, Ycrgleichende Darstellung des lutherisclien und reformierten Lehrbegriffs, édit. posthume par Ed. Gûder Stuttgart, 1855 ; W. Gass, Geschichte der protestantischeu Dogmalik, Berlin, 1854-1867 ; K. Krogh-Tonning, Dit Gnadenlehre und die stille Reformation, Christiania, 1894.
2. Monographies.
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VIII. — 71 222"
.JUSTIFICATION
JUSTIN, VIE
2228
t. wii. p. 5-80 et 144-181 ; Ebrard, Sola. Wissenschaftliche Beleuchtung von Beck’s Rechtfertigungslehre, 1871 ; critiqué par Sturhahn, Die Rechtfertigungslehre von Deck, Leipzig, 1890 ; E. T. Gestrin, Die Rcciit/crtigungslehre der Professoral der Théologie J. T. Beck, (). F. Mgrberg inul A. W. lngmarm, Berlin, 1891.
3° Concile île Tri nie.
1. Le milieu théologique. —
H. Laminer, Die nortridentiniseh-kutholiselw Théologie, Berlin, 18.">S ; Linsenmann, Alberlus Pighius und sein theologischer Standpunkt, dans Theologische Quartalschrift, 1866, t. XLvra, p. 571-644 ; Th. Brieger, Die Rechtfertigungslehre des Cardinal Contarini, dans Theologische Studien und Kritiken, 1872, t. xlv, p. 87-150 ; Et. Ehses, Johannes Groppers Rechtfertigungslehre auf dent Konzil von Trient, dans Rômische Quartalschrift, 1900, t. xx, section d’histoire, p. 175-188 ; Y. Braun, Gasparo Contarini oder der - Reformkatholizismus unserer Tage im Lichte der Geschichte, Leipzig, 1903.
2. Doctrine conciliaire.
Concilium Tridentinum, t. : Aclorum pars altéra, édit. Et, Ehses, Fribourg-en-B., 1911 ; IL Seeberg, Beilràge zut Entstehungsgeschichte der I.chrdecrete des Konzils von Trient, dans Zeitsehrift für kirehliche Wissenschafi und kirchliches Leben, 1889, t. x, p. 546-559 ; 604-G16 et 613-700 ; W. Maurenbrechci, Tridentincr Conzil. Die Lehre von der Erbsiinde und der Reehtferligung, dans Historisches Taschenbuch, 1890, VI « série, t.rx, , p. 237-330 ; J. llelner, Die Entstehuhgsgeschichte des Trienter Rechtfertigungsdekreles, Paderborn, 1909 ; A. Pruntbs, Die Stellung des Trienter Conzils zu der T’rage nacli déni Wesen der heiligmachenden Giw.de, Paderborn, 1909.
III. Exposé systématique de la doctrine.
1° Chez les protestants. — Toutes les dogmatiques protestantes traitent plus ou moins copieusement de la justification. On se contentera designaler ici quelques ouvrages propres à orienter sur les tendances actuelles de la Réforme. — l.Du eaté libéral. — Albert Btitsohl, Die ehristliche Lehre von der Reehtferligung und 'ersohnung, 3 édit., Bonn, 1889, t. m ; résumé et critique du point de vue orthodoxe par Ern. Bertrand, Une conception nouvelle de la Rédemption, Paris, 1891 ; Aug. Sabalier, Les religions de l’autorité et la religion de l’esprit, Paris, 1904 ; Eug. Ménégoz, Publications diverses sur le fidéisme, Paris, 1909-1921. — 2. Du côté orthodoxe. — G. Thomasius, Christi Persan und Wcrk, 3e édit., par F. J. Wûrtar, Erlangen, 1888, t. ii, p. 370-392 ; Ed. Boni, Von der Reehtferligung durch Glauben, Leipzig, 1890 ; L. Ihmels, Die Rechtfertigung allein durch den Glauben muser f ester Grand Romgegenùber, -ùtws Neue-kirohliche Zeitsehrifl, 1904, t. xv, p. 618-648 ; du même, Allein durcli tien Glauben, Leipzig, 1918 ; K. lloll, Was hut die Rechtfirligungslehre dem modernen Menschen zu sagen '.' 1907 ;.lellinghaus, 1j>as volligi iftige Jleil durch (Jiristus,
5e édit., 1903 ; E. Rietschel, Lulherische Iteeht/ertigungslehre oder moderne Meilrgungslehre, 1909 ; G. S. l’abci, The primitive doctrine <>/ justification, 1839 ; J. Puchanan, 'The doctrine tif justification. 1867 ; IL W. Mensell, llie religion of Rédemption, édition populaire, Londres, 1901 ; IL C. Moberly, Atonement and Personaliiy, Londres, 1907 ;.1. Denney, The Christian doctrine of réconciliation, Londres et New-York, 1918 ; P. L. Snowden, The atonement ami ourselves, Londres, 1919 : A. Grétillat, Exposé de théologie systématique, Paris, 1890, t. iv, p. 369-428 ;.1. Hoon, Dogmatique chrétienne, Lausanne, 1896, t. il, p. 228294.
Résumés par A. Matler, ait. Justification, dans Lichteni, Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 3880, I. vii, p. ">(>. r)-576 ; L. Ihmels, art. Reohtfertigung, dans Realencyolop&die, 3 édit., 1905, t. xi, p. 482-515.
2° Chez les catholiques.
Moins dé eloppée que chez
les protestants, cette doctrine tient une place plus ou moins étendue dans t"us les traités de la grâce. Les plus utiles sont J. Koteohthaler, ©e gratta, Ratlsbonne, 1860 ; Mazzella, De gratta Christi, Rome, 1892 ; card. L. liiliot, Dr gratta Christi, 5 édit., Home, 1920 ; !.. Labaucbe, Lepon de théologie dogmatique, t. n : L’homme. - édit., 1921 : rleinrich-Gutberlet, Dogmatische Théologie, Mayence, 1897, t. viii, p. 477-550 ; J. van der Meorsdh,
TractatM de dimno gratin, Bruges, 2 édition, 1924.
Monographies par J. il. Newman, Lectures on the iruir of justification, Londres, 6e édit., 1892 ; L. Nussbanm, Ole i.élire der hathoUschen Kirche ûber Rechtfertigung, M 1 8 "" J. il. Oswald, Die Lehre non der Helligung,
Paderborn, 1885.
J. Hiviëhe.