Dictionnaire de théologie catholique/JUSTIFICATION : Doctrine à l'époque de la Réforme. II. Réaction de la théologie catholique

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 372-377).

II. RÉACTION DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE. —

Ces critiques et ces nouveautés de la Réforme naissante ne restèrent pas sans réponse. Les défenseurs de la cause catholique s'élevèrent en nombre, dont l’effort prépare avec plus ou moins de bonheur et, par conséquent, conditionne dans une large mesure l’oeuvre du concile de Trente. Par suite de ces répercussions ultérieures un certain intérêt s’attache aux solutions, même imparfaites, que le problème central de la justification fit naître, au cours de cette controverse, dans l’esprit des théologiens qui improvisèrMit alors la défense de la foi.

I. DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE.

A côté des

points qui avaient plutôt trait à l’ordre pratique, le thème spéculatif de la justification est entré pour sa part dans les premières controverses. Dôllinger, Die Rejormation, t. iii, p. 277, estimait que l’importance de cet article ne fut pas bien aperçue par les théologiens catholiques jusqu'à la Confession d’Augsbourg. Ce jugement a été rectifié, sur une étude plus complète des sources, par H. Lâmmer, Die vortridentinischkatholische Théologie, Berlin, 1858, p. 176-177. Sans méconnaître les développements et les précisions que cette question devait recevoir dans la suite à l’occasion des colloques où s’affrontèrent les deux confessions, les faits permettent d’affirmer que les positions fondamentales de la théologie catholique furent prises dès le début.

Premières controverses.

 Il y a seulement lieu

d’observer que les premiers adversaires du protestan

tisme ne se trouvaient pas encore en présence d’une doctrine nettement définie. Leur principal guide était la série des 41 propositions condamnées en 1520 par Léon X et la réponse apologétique opposée par Luther à la bulle de celui-ci. Or la justification ne s’y trouve pas directement touchée, encore qu’on l’y aperçoive à l’arrière-plan. En dehors de là, il ne restait, pour orienter leur elïort, que la connaissance personnelle des œuvres si toufïues où s’affirmaient les principes de la Réforme. Ce qui permet de comprendre que la doctrine de la justification ne soit guère chez eux l’objet que d’expositions occasionnelles, au milieu de beaucoup d’autres, mais suffisantes toutefois pour établir que l’essentiel du problème ne leur a point échappé.

Naturellement c’est en Allemagne que la controverse devait surtout se développer. Il y a peu à glaner dans les premiers écrits de Jean Eck, voir t. iv, col. 2056-2057 : mais on trouve déjà un chapitre sur la foi et les œuvres dans VEnchiridion controversiarum qu’il opposait, en 1525, aux Loci communes de Mélanchthon. Plus importante encore est la contribution fournie d’abord par Jacob Hochstraten, voir t. vii, col. 11-17, dans ses Cum divo Augustino colloquia conlra… Lutheri errores, 1522, et dans son petit traité spécial sur les bonnes œuvres publié sous ce titre : Calholicæ aliquol disputationes contra lutheranos, 1526 ; puis par Conrad Wimpina, dans sa volumineuse Anacephalœosis, publiée en 1528, où le livre IX de la deuxième partie traite De fide et operibus d’après la doctrine de saint Augustin.

A ces doctes représentants de l’École il faut ajouter les apologistes qui s’adressaient au peuple dans sa langue, pour le prémunir contre les nouvelles erreurs. Ainsi le dominicain Jean Dietenberger, voir t. iv, col. 756. dans les opuscules intitulés : Der Bauer. Obe die Christen mùgen durch iere gûlen Werk das lu/melreich verdienen, 1523, et encore Der leye. Obe der gelaub allein selig mâche, paru en 1524 avec une préface de Jean Cochlée ; le cistercien Berthold Pirstinger, évêque de Chiemsee, dont la Tewlsche Theologey, 1528, traduite en latin par l’auteur trois ans plus tard, est une véritable somme sur les matières de controverse. Voir Lâmmer, op. cit., p. 27-30.

En dehors de l’Allemagne, il faut signaler la Condemnaiio doctrinæ lulheranæ per Facultatem theologicam Parisiensem, du 15 avril 1521, texte dans Duplessis d’Argentré, Collectio judiciorum, t. n a, p. i-iv, cꝟ. 1. 1 a, p. 365 sq., rédigée par Josse Clichtoue. voir ici t. iii, col. 236-243, et surtout la célèbre Assertionis lutlicranæ conjutatio, 1523, due à l’illustre John Fisher, voir l. v, col. 2555-2561, évêque de Rochester et chancelier de Cambridge, dont on a dit qu’elle est la plus remarquable production polémique de la première moitié du xvie siècle. Lâmmer, p. 19.

Autour de la Confession d’Augsbourg.

Ces

efforts isolés prirent corps au moment de la fameuse diète d’Augsbourg, 1530, quand il s’agit d’opposer à la Confessio présentée au nom des protestants par Mélanchthon un exposé de la foi catholique.

Une commission de vingt théologiens, parmi lesquels figuraient la plupart des controversistes déjà nommés, fut chargée de ce travail. De leur collaboration sortit une Catholica et quasi exlemporanea responsio, qui suivait pas à pas la confession luthérienne et s’accompagnait de neuf appendices documentaires sur les erreurs de la secte. Ce document, parce que trop long et trop agressif, fut diversement remanié à quatre reprises pour aboutir à un texte définitif, qui fut accepté le 3 août et dont Jean Cochlée se bâta de faire un résumé populaire en allemand. Voir Lâmmer, p. 33-46, et Hefele, Hlst. des conciles, trad. Leclercq, t. vin b, p. 1117-112(1

Les novateurs étant restés irréductibles, la con troverse continua après comme avant. Aux champions déjà connus de l’orthodoxie s’ajoutèrent alors Jean Cochlée, voir t. iii, col. 264-265, avec ses quatre Philippiques. parues en juin 1531, dont la troisième répond aux art. 4-6 de V Augustana et porte, par conséquent, sur la justification ; plus tard, Jean Faber, qui devait devenir évêque de Vienne, avec son traité en trois livres De fuie et operibus, 1536.

Colloques postérieurs.

Malgré leur insuccès

immédiat, les conférences d’Augsbourg avaient amené les protestants à laire quelques concessions, dont leurs adversaires catholiques s’empressaient de profiter. C’est dans les années suivantes que l’évolution de Mélanchthon au sujet des œuvres, col. 2152, alla s’accentuant. En même temps, du côté catholique, quelques théologiens, soucieux de réaliser avant tout l’union de l’Église, s’ouvraient à l’idée qu’on pourrait s’accorder avec les luthériens en distinguant une double justice. Enseignée à Cologne par Albert Pighius et pleinement adoptée par son élève Jean Gropper, voir t. vi, col. 1880-1885, cette doctrine semblait offrir une possibilité de compromis.

Un nouveau colloque se tint, en effet, d’abord à Haguenau (27 juin 1540), puis à Ratisbonne (janvierjuillet 1541). Gropper en lut l’âme et, d’accord avec Bucer, élabora l’Intérim dit de Ratisbonne en vingt-trois articles, dont le cinquième est relatif à la justification. L’idée de la double justice en faisait les principaux frais : ce qui permettait de satisfaire les protestants en parlant d’imputation, moyennant quoi ceux-ci consentaient à entendre le fldes sola d’une foi vive et efficace. C’est au cours de ces tractations, auxquelles il assistait comme légat pontifical, que le cardinal Contarini, voir t. iii, col. 1615-1616, composa son Tractalus de justificatione, daté du 25 mai 1541, qui abondait complètement dans le sens de Gropper et obtint, entre autres, la haute approbation du savant cardinal Pôle. Voir sur ce mouvement Dôllinger, Die Rcjormation, t. iii, p. 308-322. Son ami Ant. Paleario poussait encore plus loin les concessions dans son Trattato utilissimo del beneficio di Giesu Christà, Venise, 1543. Lâmmer, op. cit., p. 66.

Cet accord hybride et quelque peu équivoque eut le sort qui attend en général ce genre de compromis : celui de ne contenter personne et d’être suspect à tous. Aussi, cinq ans plus tard, une nouvelle conférence s’ouvrait-elle encore à Ratisbonne (janvier 1546), où les interlocuteurs catholiques se tenaient fermement sur le terrain traditionnel. Dôllinger, op. cit., p. 322333. Il est vrai que, dans l’intervalle, étaient survenues les définitions du concile de Trente.

Au total, soit les controverses privées, soit les colloques officiels avaient eu pour résultat, sinon de ramener les dissidents, du moins d’attester l’existence d’un double courant dans la théologie catholique : l’un qui se contentait d’opposer aux erreurs protestantes la doctrine traditionnelle, l’autre qui cherchait à frayer entre les deux une sorte de via média. Ces deux tendances, si différentes par leur direction et si inégales dans leur valeur, doivent, de toute évidence, être étudiées séparément.

II, THÉOLOGIE TKAD1TIOSXELLE. — H. LàniIIUT,

op. cit., p. 137-176, a résumé en dix-sept thèses la doctrine de la justilication telle qu’elle s’exprime dans l’ensemble des controversistes énumérés ci-dessus. 11 suffit de les parcourir pour se rendre compte qu’elles représentent très exactement les positions du catholicisme en regard des innovations de la Réforme.

Conditions de la justification.

Leur principal

effort semble s’être porté surles causes et conditions de la justification — a) Doctrine. — Celle-ci n’est pas due à nos mérites, mais à la grâce de Dieu. Nusquam scribimus aut docemus Iwminem propler mérita sua jus

tiflcari, cumnon ignoremus sed faleamur aperle homines non per mérita sua sed per graliam Dei justiftcari et consequi remissionem peccatorum. Cochlée, Philipp., iii, 5, édition non paginée, Leipzig, 1534. Cf. ibid., 10 : Non enim ex noslris viribus, sed ex gralia Dei miserentis justificatio nostri est. La Con/utatio pontificia s’associe volontiers à l’art. 4 de la Confession d’Augsbourg pour condamner les pélagiens qui font fi de la grâce. Texte dans C. A. Hase, Libri sijmbolici, Leipzig, 1846, p. lvii. C’est dire que, du côté de l’homme, il ne saurait être question que de conditions préalables.

Parmi ces conditions le premier rang appartient à la foi, que Jean Faber appelle déjà « le commencement du salut ». De fide et op., i, 10. Cf.Wimpina, Anacephal, ii, 9, ꝟ. 87a : Fidem… inilium nostree salutis et auspicium jundameniumque agnoscere’debemus. Mais la foi seule n’est pas suffisante pour justifier le pécheur. Cet aspect de la doctrine luthérienne est celui qui a le plus frappé nos controversistes, qui abondent en développements pour la réfuter.

Quod… justificationem soli ftdei tribuunt ex diametro pugnal cum evangelica veritate opéra non excludente, prononcent les auteurs de la Confutatio, i, 6, p. lviii-Lix. .Un petit dossier de textes scripturaires et patristiques appuie cette affirmation. C’est aussi à l’exégèse fécondée par une dialectique vigoureuse que John Fisher demande de rétablir ici Y evangelica veritas. Sa thèse générale est celle-ci : Prseler fidem exiguntur etiam cetera cuncta sine quibus frustra de juslificatione quis gloriatur. Ces « autres choses » se ramènent à notre apport moral : la foi qui justifie est celle qui est féconde en œuvres ou bien, si parfois elle justifie toute seule, c’est qu’elle est déjà par elle-même un commencement de justice, qui doit d’ailleurs être ensuite consommée par les œuvres effectives : Quoniam poieslate quadam intra se continet opéra quæ nundum in lucem édita sunt iccirco per eam iniliari solum justus dicitur, non autem consummari. Assert, luth, conf., art. 1, édition de 1524, s. 1., p. lxiv-lxv. Cf. art. 11, p. ccxxvi : Aliud est fidem exigi et aliud hanc solam sufficere.

Toute la troisième philippique de J. Cochlée est consacrée à ce point fondamental, qu’il s’applique à éclairer par les Pères et la raison, en même temps qu’il le soutient par de vives polémiques contre le crimen falsi dont se rendent coupables les protestants, ibid., 32, et contre les funestes effets de leur doctrine. Ibid., 59-63.

b) Méthode. — Sans insister sur un thème aussi fécond, il peut être intéressant de noter les principes de méthode posés à ce sujet.

Pour rendre compte de la doctrine de saint Paul, Wimpina distingue entre justice commencée et justice consommée : la foi seule suffit pour celle-là, mais les œuvres sont nécessaires pour celle-ci. La grande erreur des protestants est, à son avis, de méconnaître cette distinction. Anacephal., ii, 9, ꝟ. 87 a-b, 91 6-93 a, dans Làmmer, p. 151-153. J. Fisher s’inspire de vues toutes semblables. Assert., art. 1, p. lxv-lxix.

La synthèse exégétique vient à l’appui de cette analyse théologique. Car Fisher, par exemple, lit dans saint Augustin que certains passages de saint Paul isolés de leur contexte ont donné lieu à nier la nécessité des œuvres, p. lxxvii et lxxx-lxxxi. Aussi s’applique-t-il d’abord à rétablir le sens exact de ces passages, où il est question d’oeuvres légales et non pas d’œuvres tout court, puis à éclairer saint Paul, soit par lui-même, soit par les autres livres de l’Écriture et en particulier par l’Épitre de saint Jacques, p. Lxxmi sq. : Projecto sane intelligendus est et omnino cum divo Jacobo conciliandus. Neque enim hos inter se dissidere, neque horum alterulrum non dixisse verissima cuivis opinandum est, p. lxxxii. Pour Faber égale ment. De fide et operibus, i, 11, saint Paul trouve en saint Jacques son « très fidèle interprète ». L’accord des deux apôtres est un des lieux communs de nos controversistes. Làmmer, p. 154-156.

A ces deux règles s’ajoute une observation tirée de l’ordre psychologique et moral : c’est que « la foi est elle-même une bonne œuvre, » Berthold, Teivlsche Theologey, iii, 7, édition Reithmeier, Munich, 1852, p. 25, et qui en entraîne d’autres. Sans doute la foi peut être morte et nos auteurs s’accordent pour soutenir la possibilité de la fides in/ormis. Làmmer, p. 144. Mais normalement « une bonne foi ne peut pas être sans de bonnes œuvres. » Berthold, ibid. Elle engendre la charité, et c’est par là qu’elle devient propre n^nt justifiante. Fisher, p. xcv ; cf. a. 6, p. clxxxvi ; a. 9, p. ccxxiii-ccxxiv, et a. 12-13, p. ccxxxiii-ccxxxvi. Dès le premier jour, la pensée catholique a refusé de consentir à la dissociation de l’ordre religieux et de l’ordre moral.

Nature de la justification.

Autant nos auteurs

abondent sur la doctrine des œuvres dans ses rapports avec la justification, autant ils sont brefs sur la nature même de celle-ci. Soit parce qu’elle ne leur paraissait pas encore caractérisée, soit pour tout autre motif, la théorie protestante de la justics imputée n’a guère retenu leur attention. Néanmoins on ne manque pas de recueillir chez eux l’écho indirect et dispersé de la foi catholique sur ce point.

C’est ainsi que Berthold expose comment l’âme justifiée passe de l’injustice à la justice, rappelant que le baptême a pour effet de la laver et justifier. Op. cit., iv, 1-2, p. 29-31. J. Fisher s’attache à établir que, si la concupiscence demeure dans l’âme juste, elle n’est pas un péché, art. 2, p. ex et cxxx : toute la coulpe de nos fautes est effacée par le baptême, p. cxxii et cxxxvi-cxxxvii. Sa principale autorité est saint Augustin, au nom duquel il explique combien sont diverses dans saint Paul les acceptions du mot péché. Sur la foi des Écritures, il oppose à Luther qu’il n’y a pas de non-imputation possible sans véritable pardon, ibid., p. cxlii : Deum non imputare cuique peccatum est eidem remiltere et ignoscere penitus. Mais le péché ne peut être remis que gratiæ pnesentia, a. 13, p. ccxxxviii. Nam has duas, hoc est graliam et culpam, simul cuiquam adesse nequaquam est pDSsibile, a. 17, p. cccii. Cf. a. 36, p. dcxii. Aussi la grâce est-elle synonyme d’un principe de rénovation spirituelle : per Christi graliam renovamur et justificamur, a. 2, p. cxv, qui est infusé dans notre âme, a. 17, p. cccix, et devient sa véritable vie, a. 36, p. DLn.

En même temps que la grâce nous sont infusés les vertus et les dons du Saint-Esprit. J. Cochléa, Philipp. , iii, 15 et 48 ; Faber, De fide et operibus, i, 6 ; Berthold, Teivlsche Theol., xci, 1, p. 629, et autres dans Làmmer, p. 137-138. C’est par là que l’âme justifiés peut devenir féconde en œuvres de salut. J. Cochlée s’indigne comme d’un « blasphème contre le Christ » à l’idée que le juste pécherait dans tous ses actes. Philipp., iii, 60-61. J. Fisher consacre à réfuter cette assertion luthérienne tout l’art. 31, p. cccclxxccccxcvi. Au contraire, la grâce qu’il a reçue doit fructifier en bonnes œuvres, que Berthold, op. cit., Lxxvii-Lxxviii, présente comme une véritable « dette », p. 533-548, que J. Fisher et les autres réclament, comme on l’a déjà vii, tout à l’heure pour la « consommation » de notre justice. D’ailleurs « tous les théologiens sont unanimement d’avis, tous proclament d’une seule voix que la vertu méritoire des œuvres a sa source dans la passion du Christ, » Hochstraten, Aliquot disput. cont. Luth., i, 5, 1, Cologne, 1526, ꝟ. 62.

Ainsi la justification est progressive comme notre vie. Quamvis fide viva et fertili quis juslificatus fuerit, tamen adhuc eumdem per opéra magis et magis justi

ficari necesse est. J. Fisher, a. 1, p. lxviii. Car, sans mettre en cause la première grâce, il reste toujours à se défaire des restes du péché. Ibid., a. 13, p. ccxxxix. Et chaque fois que nous sommes absous du péché, c’est pour nous une nouvelle justification. Cochlée, Philipp., iii, 40.

Non seulement cette œuvre est toujours inachevée, mais r.otre fragilité la rend incertaine pour nous. Certissima quidem est Evangelii promissio secundum se, sed incertvm nobis et singulis an ea promissione digni simus. Cochlée, ibid., 46. Et J. Fisher de montrer la contradiction de Luther, qui, d’une part, promet à la foi l’assurance du pardon, tandis que, d’autre part, il afilime que nous ne sommes jamais sûrs de ne pas pécher mortellement par strite de quelque secret orgueil, a. 35, p. dxxxiv. La vérité est dans une modeste confiance qui n’exclut pas le recours à la miséricorde de Dieu.

S’ils n’ont pas épuisé le problème de la justification, ces premiers controversistes ont du moins bien aperçu l’essentiel des erreurs protestantes et commencé à mettre en œuvre les éléments de la théologie traditionnelle pour les réfuter.

/ ; I. ÉCOLE DE COLOGNE ; THÉORIE DE LA DOUBLE JV&T1CE. — Plus original, et d’ailleurs beaucoup moins heureux, fut l’effort de l’école de Cologne, qui crut pouvoir gagner les protestants en s’établissant sur le terrain contestable et assez mal défini d’une double justice.

La première manifestation littéraire en est due à Jean Gropper, dans VEnchiridion christianæ instituiionis qu’il joignit à l’édition des canons du concile provincial de Cologne, Canones concilii provincialis Coloniensis…celebrati anno 1536, Cologne, 1538. Un petit chapitre y développe sa théorie spéciale de la justification, ꝟ. 163-177, système qu’il reprit bientôt dans son Antididagma seu christianæ et catholicæ religionis per rev. et M.. :. Eccl. Coloniensis canonicos propugnalio, Cologne, 1544. Mais il en devait les principes à son maître, Albert Pighius, qui les avait publiés seulement dans l’intervalle, Controversiarum pracipuarum in comiliis Ralisponensibus traclatarum… explicatio, ouvrage dédié à Paul III, édité d’abord en 1541, puis de nouveau en 1542. La justification y occupe la seconde controverse tout entière en 41 grandes pages non foliotées.

Aux mîmes influences obéit le « traité de la justification t composé à Ratisbonne, en 1541, par le cardinal Contarini, publié ensuite dans l’édition complète de ses œuvres, Paris, 1571, p. 588-596, et reproduit dans A. M. Quirini, Epistolarum Reginaldi Poli…, pars III, Brescia, 1748, f° cic-ccxvi. C’est d’après ces trois témoins que nous avons à reconstituer les grandes lignes du système.

Doctrine de Pighius.

Victime du nominalisme

alors régnant, A. Pighius ne concevait le péché originel que tomme la simple imputation qui nous est faite du péché d’Adam. Linsenmann, Alberlus ] J ighius und sein theologischer Slandpunkt, dans Theol. Quurtalschrifl, 1866, p. 623-624. Ce qui le préparait à porter le même extrinsécisme dans sa théorie de la justification.

1. Exposé, — Strictement parlant, la justice ne se trouve qu’en Dieu : en nous, elle ne peut jamais exister que dans une mesure imparfaite et par voie de participation ; mais celle-ci même est réduite par suite de notre incurable misère. Et l’auteur d’emprunter à l’Écriture les passages qui soulignent notre état de péché pour conclure : Verum reperietur de hac ipsa, quanwis imperjetia, justitia quod non justificabitiir in conspeetu Dei omnis vivens. Ne pouvant trouver la justice en nous-mêmes, nous sommes invités a la chercher dans le Christ, qui interpose ses mérites entre le jugement du

Père et nos péchés, nous couvre d’abord de sa propre justice et par là nous met à l’abri de la colère divine, puis nous communique cette justice et la fait nôtre. Ainsi couverts, nous pouvons nous présenter devant Dieu et, non seulement paraître justes, mais l’être en réalité. Car nos péchés sont ensevelis avec le Christ et nous renaissons assimilés au nouvel Adam. Mais de nous-mêmes nous ne sommes jamais rien qu’impureté : c’est le Christ seul qui est notre justice.

Pour nous en obtenir l’application, il ne suffit pas de la foi : il faut, en outre, le repentir, l’espérance et l’amour de Dieu qui en découlent. Non pas qu’il soit nécessaire d’accomplir tous les commandements : pourvu que nous soyons disposés à le faire, Dieu nous tient compte de cette bonne volonté et nous applique la justice du Christ.

On voit que Pighius tient à s’éloigner des protestants. Il leur reproche d’attribuer la justification à la foi seule, sans tenir compte des autres vertus. Mais il ne veut pas non plus que nous soyons justifiés par elles, pas même par la charité : nous n’avons, en somme, d’autre justice que celle du Christ. Illi sola fide, non charilate nos juslificari affirmant : nos contra dicimus nec fide nec charilate nostra nos juslificari ccram Deo, si formaliter et proprie loquamur, sed una Dei in Christo justitia, una Christi nobis communicala justitia, una ignoscente nobis peccata nostra Dei misericordia.

Même après la justification, si nos œuvres sont méritoires, c’est non ex ipsis aut ex nobis sed ex divina gratia, parce qu’elles sont enveloppées dans les mérites du Christ… Dei hominis meritis, quæ nobis ut membris ejusdem communicantur, quibus nostra involvuntur atque induuntur opéra. Ailleurs Pighius, acceptant une formule caractéristique des réformateurs, disait de nos œuvres qu’elles ne nous justifient pas, mais nous sont imputées à justice : …nec nos vere justificare, sed misericorditer et gratiose nobis impulari a Deo ad jusliliam. Ratio componendorum dissidiorum, Cologne, 1572, p. 524. Voir Linsenmann, loc. cit., p. 640-643.

2. Appréciation.

Cette doctrine est surtout importante par ses conséquences.

Au cours de tout son exposé, Pighius fait moins figure de théologien que de moraliste et de mystique, attentif à minimiser l’œuvre de l’homme pour faire mieux ressortir l’œuvre de Dieu. Le savant cardinal Quirini s’est employé à défendre l’orthodoxie de sa doctrine sur ce point. Epist. Reg. Poli, t. ii, Diatriba ad Epislolas, p. cxxx-cxxxix. Et l’on peut y trouver, en effet, un écho assez fidèle de ce mysticisme pessimiste que la tradition de saint Augustin entretint à travers le Moyen Age. Voir col. 2120 sq. Mais les contemporains en furent choqués et y soupçonnèrent des accointances protestantes. Ruard Tapper, Explic. artic. ven. Facullulis Louan., Louvain, 1557, t. ii, p. 32, et Vega.De justificatione, vii, 21, Cologne, 1572, p. 159.

Doctrine de Gropper.

Élève de Pighius, Jean

Gropper n’eut pas seulement l’honneur de porter les doctrines de son maître aux célèbres colloques de Ratisbonne (1541), pour en faire la base d’un accord avec les protestants. Voir V. van Gulik, Johannes Gropper, Fribourg-en-B., 1906, p. 71-85. Il en reprit en même temps l’exposé systématique et semble leur avoir donné une expression tout à la fois plus théologique et plus modérée.

1. Exposé.

A rencontre des protestants, il affirme que la justification doit signifier une réalité intérieure : Jusliliam Dei tmputaiioam a justitia bomv conscicnti : r… non esse discernendam. Mais il tient à distinguer entre la justice de l’homme et celle de Dieu : Secundum omnium veterum sententiam potius discernendam esse dicimus justitiam Dei a justitia humana. Enchir. »

ꝟ. 163 v°. Aucun de nos actes ne peut être vraiment cause de la justification : toute notre confiance doit reposer en Jésus et les plus grands saints ne cessent pas de se dire à bon droit des pécheurs. La foi ellemême ne nous justifie que parce qu’elle nous met en mesure de recevoir la divine miséricorde. Elle nous tourne vers Dieu et nous invite à pratiquer sa loi : ce qui nous manque à cet égard est suppléé par la foi qui nous applique les mérites du Christ.

D’où il suit que la vraie cause efficiente de notre justification, c’est Dieu seul. La cause formelle est sa propre grâce ou son amour qui vient renouveler notre cœur : …graiiam Dei nos innovanlem, quæ proprie causa formalis justificationis est, accipiamus, ꝟ. 167 v°. Quant à la foi au Christ, elle joue le rôle de cause instrumentale. La justification ainsi produite nous infuse au cœur une véritable charité et se traduit en œuvres méritoires : malgré leur imperfection, nous devons être assurés qu’elles sont agréables à Dieu à cause du Christ en qui elles sont faites. Gropper ne cesse de reprocher aux protestants de réduire la justification à une simple imputation et de rejeter, en conséquence, les œuvres de la foi avec celles de la loi. Mais il admet que nous soyons justifiés sans celles-là : Constat… operibus noslris causant justificationis delrahi et recle ac vere dici nos sine operibus juslifîcari, ꝟ. 171 v°.

Cette doctrine est par lui reprise et plus clairement résumée dans son Antididagma, f° Il v°-15 v°. Dieu y est toujours donné comme la seule cause efficiente de notre justification : nos actes sont seulement des causse dispositivse et susceptivæ. Quant à la cause formelle, c’est-à-dire l’essence propre de la justification, elle est double. C’est, d’une part, la justice même du Christ en tant qu’elle nous est imputée : Justificamur a Deo justitia duplici tamquam per causas formates et essentiales. Quorum una et prior est consummala Christi justitia…, quando eadem nobis, dum tamen fide apprehenditur, ad justiliam imputatur. Telle est la cause principale, præcipua et summa justificationis nostrse causa. Mais, en même temps, il y a place aussi pour une justice qui nous devient inhérente. Aliter vero justificamur formaliler per justiliam inhserenlem, quæ… remissione peccalorum simul cum renovalione Spiritus Sancti… nobis donatur, injunditur et fit propria. Justice toujours imparfaite et qui ne saurait être notre principal appui : cui…, quod sit imper jecta, non innilimur principaliler, ꝟ. 13 v°. Cf. Dôllinger, Die Rejormation, t. iii, p. 309-310.

Il y aurait donc lieu de distinguer deux éléments dans l’acte total de la justification : l’un intrinsèque et déficient, le seul qui nous soit propre ; l’autre extrinsèque et imputé, savoir la justice même du Christ qui vient s’ajouter à la nôtre et en suppléer les défauts.

2. Appréciation.

Dès l'époque, cette doctrine fut suspectée de connivences, au moins involontaires, avec le protestantisme et l' Enchiridion finit par être inscrit au catalogue de l’Index. Gulik, op. cit., p. 53-57. h' Antididagma fut censuré par l’Université de Louvain, le 9 juillet 1544, spécialement pour avoir enseigné que nos péchés nous sont remis per imputationem justitia ; Christi, que celle-ci nous est obtenue par la foi tamquam per causam susceplivam, que nous sommes justifiés par la justice du Christ tamquam (per) causam formalem potiorem, alors que la justitia inhærens ne serait qu’une sorte d’indice secondaire, une garantie d’expérience intime que la justice du Christ nous est imputée : tamquam inleriori quodam expérimente ceriificamur nobis… dimissionem peccalorum jactam et Christi consummalam justiliam imputari. Pièces éditées par Fr.Dittrich, Lovaniensium et Coloniensium theologorum de Antididagmate Joannis Gropperi judicia, Braunsberg, 1896, et résumées dans Gulik, op. cit., p. 102-105.

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Gropper se défendit contre ses censeurs. Mais, quand sa doctrine fut portée au concile de Trente par Séripando, elle y fut l’objet d’une réprobation unanime, bien que le respect dû à l’auteur pour ses éminents services lui ait évité toute espèce de condamnation. Et. Ehses, Johannes Groppers Rechlferligungslehre auf dem Konzil von Trient, dans Rômische Quartalschri/l, t. xx, 1906, section d’histoire, p. 175-188. Il n’en sentit pas moins l’obligation d’abandonner ses positions anciennes, ainsi qu’il ressort de la lettre qu’il écrivit en 1552 à l'évêque Pflug de Naumbourg, qui l’avait questionné à ce sujet, Chr. G. Millier, Epistulse… ad Julium Pflugium, Leipzig, 1882, p. 114-116, encore que, dans cette lettre même, il nourrisse la suprême illusion de se croire d’accord avec l’esprit, sinon avec la lettre, du décret conciliaire.

Doctrine de Conlarini.

Légat pontifical à la

conférence de Ratisbonne, Contarini y eut l’occasion d’approcher les théologiens de Cologne et le thème de la justification tint une grande place dans leurs doctes entretiens.

A Pighius il adressait des observations très pénétrantes sur sa théorie, qu’il combattait au nom des principes mêmes par lui reconnus : savoir esse quoddam immanens per modum habitus infusum nobis divinilus quo ut forma quadam quæ menti inhæret vivimus vila christiana, et encore quod id animée inhærens a Deo inditum sit justitia qua possimus dici formaliter justi. Cette double notion, qu’il établit rapidement sur l'Écriture, la philosophie et les Pères, lui paraît atteindre la thèse fondamentale du maître de justitia qua sumus justi apud Deum quam tolam constituis extra nos in Christo. Lettre n. 88, dans Fr. Dittrich, Regesten und Briefe des Card. G. Conlarini, Braunsberg, 1831, p. 349-353.

Cette attitude de critique très avertie à l'égard du système n’a pas empêché Contarini d’en subir l’influence dans son propre traité sur la question.

1. Exposé.

Après avoir donné la définition des divers termes qui interviennent dans le problème, l’auteur aborde la justification proprement dite : ea qua impius adultus-ex impio fit justus, Quirini, f° cch. De ce changement l’Esprit Saint est la cause efficiente par le moyen des dispositions qu’il inspire à l'âme en vue de sa conversion. La principale est la foi, avec la confiance qui s’ensuit quod Deus remiltat peccata et jusliftcet impium per myslerium Christi. Quand cette foi se traduit en charité, Dieu ne nous donne pas seulement l’esprit du Christ, mais le Christ lui-même, et nous impute sa justice : Donat nobis cum Spiritu Christi Christum ipsum et omnem justiliam ejus gratis… nostram jacit, nobis imputât qui induimus Christum, f° ccm. Ainsi la justification n’est pas due aux œuvres, mais à la foi, en ce sens que celle-ci est le moyen par lequel nous recevons celle-là. Non quod mereamur justi ficationem per fidem et quia credimus, sed quia accipimus eam per fidem. f° cciv. Ce qui permet de dire que la foi nous justifie, mais à titre de cause efficiente, non de cause formelle, f° ccv.

Le terme est une double justice : alteram nobis inhserentem qua incipimus esse justi…, alteram vero non inhserenlem, sed nobis donalam cum Christo, justitiam inquam Christi et omne ejus merilum, f° cciv. Bien entendu, la première est toujours imparfaite et ne doit pas être notre principal point d’appui : les saints nous donnent partout l’exemple de la défiance et de l’humilité. C’est la seconde seule qui peut nous donner confiance : Justitia Christi nobis donala est, vera et perfecla justitia… Hac ergo sola, cerla et stabili nobis nilendum est et ob eam solam credere nos justificari coram Deo, id est justes haberi et dici justes, f° ccvi.

Contarini emploie côte à côte les termes de justilia nobis donala et imputala. Mais c’est le second qui com VIII. — 69

mande et explique le premier. L’auteur invoque à l’appui de cette conception la doctrine de saint Paul sur le baptême commentée par saint Thomas : … Mortem Cliristi, passionem ac meritum nobis donari, nobis imputari in baptismale… Non quod nobis inhæreant, qui jam vivimus, sed quia nobis donantur et imputantur, f° ccvn. Et il s’applique ensuite à réduire les textes de l'Écriture qui semblent parler d’une justice qui nous serait personnelle.

Quelques mots lui suffisent pour la seconde espèce de justification, celle qui consiste dans l’accroissement de la grâce reçue. Accroissement nécessaire, et qui se fait par nos bonnes œuvres inspirées par l’esprit de charité. Cette justification, à la différence de la première, lui paraît pouvoir être dite justiftcatio operum, f° ccxi. Néanmoins Contarini n’aimait pas qu’on parlât proprement de mérite à l'égard de la vie éternelle, parce que celle-ci nous est d’abord donnée gratuitement et que nous ne pouvons acquérir de droit sur elle, de mérite secundum quid, qu’en utilisant les dons mîmes de Dieu.

Aussi fut-il d’avis qu’on devait s’abstenir d’imposer aux piotestants une expression qui les choquait et s’en expliqua-t-il, auprès du cardinal Alexandre Farnèse, dans une lettre spéciale, datée de Ratisbonne, le 22 juin 1541, qui, devenue à peu près introuvable, a été reproduite par Th. Brieger, Theol. Studien und Kriliken, 1872, t. xlv, p. 144-150. Simple résumé dans Dittrich, op. cit., p. 201-202.

2. Histoire.

Grâce à la renommée de l’auteur et au retentissement des accords de Ratisbonne qu’il avait conclus, sa doctrine attira de bonne heure l’attention. D'éminents personnages y applaudirent, tels que le cardinal Pôle. Quirini, t. iii, p. 25-28 et 53-54. Mais déjà les protestants se prévalaient de son attitude, et Jean Eck dut prendre sa défense contre Bucer dans son Apologia pro rev. et ill. princ. catholicis, Anvers, 1542, ꝟ. 145 V-157 v°. Chez d’autres, la formule de compromis trouva la plus vive opposition : ce fut, en particulier le cas pour Jérôme Aléandre, auquel Contarini jugea bon de répondre par une lettre apologétique, en date du 22 juillet 1541, dans Beccadelli, Monumenti di varia letteralura, t. i b, Bologne, 1799, p. 186-190.

Plusieurs théologiens importants exprimèrent à tout le moins des réserves dans des traités spéciaux ; par exemple Ambroisc Catharin, De perjecta jusli/icatione a fide et operibus ad G. Contarenum, 1541, p. 229 sq., et Jacques Sadolet, De justificatione, dans Beccadelli, op. cit., p. 162-167, qui écrivait à Catharin en juilletaoût 1541 : Nunquam milii persuaderi poluil /idem solam per se sine operibus bonis ad adipiscendum regnum Dci idoneam censeri debere… Mini eadem rei summa est ut judicem ad veram justificationem fidem cum operibus c&njunctam este oportere. Episl., xiv, 13, dans Opéra viiinia, Vérone, 1738, t. ii, p. 80.

Finalement le traité, qui avait paru intact dans l'édition de Paris, 1571, fut expurgé par les censeurs de l’Inquisition avant de figurer dans l'édition de Venise, 1589. Il a fallu attendre l'édition de Quirini, 1748, pour qu’en fût rétabli le texte primitif.

3. Appréciation.

Aussi le problème est-il depuis longtemps ouvert, devant l’histoire, du jugement à porter sur la tentative doctrinale de Contarini. Le cardinal Quirini ayant pris la défense de son orthodoxie, op. cit., t. iii, p. xi. i-i. iv, fut vivement con tredit par le luthérien J. R. Kiesllng, qui s’appliquait a montrer en lui un témoin de la « foi » selon la Réformei Quirini répliqua sous forme de lettres adressées à divers savants, auxquelles Kiesllng opposa de nouvelles ripostes. Et ce fut ainsi, au coins des années 1749-1753, une sorte de discussion publique, à laquelle mit fin la mort du docte évéque de Brescia.

Les lettres de Riesling sont réunies dans ses Epistolx anti-quirinianec, Altenbourg, 1765, p. 201-430, et les historiens modernes admettent, après Dôllinger, Die Reformation, t. iii, p. 312, qu’il eut gain de cause contre son adversaire. Plus récemment le procès de Contarini a été repris dans une longue étude de Th. Brieger, Theol. Studien und Kriliken, 1872, p. 87-150, qui conclut, p. 141-142, en disant que, par son fond et ses tendances, cette doctrine est « authentiquement protestante ».

Il y a plus de modération et de vérité dans l’appréciation de H. Lâmmer, qui termine une consciencieuse analyse, op. cit., p. 186-197, en faisant ressortir les équivoques de ce traité, dues à l’imprécision de la matière et au désir d’aboutir à une formule de conciliation, mais en notant aussi les points qui le distinguent de la théologie protestante. La justification y demeure une grâce de sanctification, mais beaucoup trop imparfaite, puisque tout ce qui compte, en somme, c’est l’imputation de la justice du Christ que nous obtient la foi.

Par analogie avec d’autres controverses historiques, Hefele applique à cette théorie de la double justice, telle qu’elle fut développée par l'école de Cologne, le terme de « semiluthéranisme », Hisl. des conciles, trad. Leclercq, t. vin b, p. 1247, et la formule a eu quelque succès chez les historiens postérieurs. Elises, toc. cit. p. 183. Bien que cette qualification paraisse excessive, appliquée à des théologiens qui voulaient retenir l’essentiel de la doctrine catholique et que l'Église, en somme, n’a jamais censurés, elle n’en souligne pas moins le fait d’une tendance incontestable à jeter sur le fossé qui déjà se creusait entre catholiques et protestants une sorte de pont.

C'était aussi l'époque où des mystiques encore moins pondérés tels que le Vénitien Ant. Paleario, sous prétexte de faire ressortir aux âmes le « bienfait de Jésus-Christ », parlaient de notre « impuissance » à obéir aux commandements divins, proclamaient que « Dieu nous donne le Christ et sa justice sans aucun mérite de nos œuvres, » que nous sommes justifiés « par la foi seule » et que cette conception s’impose à tous les chrétiens qui n’ont pas « des âmes hébraïques ». Trattato utilissimo del beneflcio di Giesu Christo, Venise, 1543, reproduction fac-similé de l'édition originale, Londres et Cambridge, 1855, c. ii, ꝟ. 5 r° ; c. iv, ꝟ. 29 r° et v°, ꝟ. 36 v° et 37 r° ; c. vi, ꝟ. 70 r° et v°.

Soit sous forme d’infiltrations théologiques inconscientes, soit par l’attrait suspect d’un mysticisme mal défini, le protestantisme menaçait évidemment d’introduire la confusion dans bien des esprits. Il était temps pour l'Église d’intervenir.