Dictionnaire de théologie catholique/JUSTIFICATION : Doctrine chez les Pères II. Avant la controverse pélagienne

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 336-343).

II. Avant la controverse pélagienne. —

Fixés par les développements postérieurs de cette doctrine et par les enseignements du concile de Trente, nous sommes en droit d’interroger les Pères des quatre premiers siècles sur les conditions, la nature et les effets de la justification.

I. CONDITIONS DE LA JUSTIFICATION.

Tout

se ramène ici au rapport de la foi et des œuvres dans l’affaire de notre salut.

1° Nécessité de la foi et des œuvres. — Sans distinctions ni analyses, mais aussi sans la moindre hésitation, les Pères anciens s’accordent à réclamer l’union des deux.

G. Thomasius s’efforce encore de lire chez eux le dogme luthérien de la justification par la foi, Christi Person und Werk, 3e édit., Erlangen, 1888, t. ii, p. 418430. Mais on a vu plus haut les aveux par lesquels les protestants reconnaissent avec dépit que l'Église fut de bonne heure entachée de catholicisme. Persuadé cependant que le « paulinisme » n’a pas pu rester sans écho, A. Harnack a consacré jadis un long mémoire à rechercher les traces du sola fide chez les Pères antérieurs à saint Augustin, Zeilschri/t fur Théologie und Kirche, 1891, t. i, p. 82-179. Sa conclusion est qu'à l’exception de quelques textes de portée purement

exégétique on ne trouve cette doctrine que dans des cercles restreints où l’on s’en faisait une arme au profit du relâchement moral. De sorte qu’avec la pensée incontestable de la grande Église, on touche du doigt, dans cette histoire, la préoccupation qui la guida de maintenir le sérieux de la vie chrétienne et l’importance de. l’effort spirituel.

1. Foi de la primitive Église.

a) Chez les Pères apostoliques, un texte de saint Clément de Rome a été souvent cité par les protestants comme favorable à leur thèse. « Tous (les saints de l’Ancien Testament) obtinrent gloire et grandeur, non par eux-mêmes ou par les actions justes qu’ils accomplirent, mais par la volonté de Dieu. Nous aussi, qui sommes appelés par cette même volonté dans le Christ Jésus, nous ne sommes pas justifiés par nous-mêmes, ni par notre sagesse, notre prudence, notre piété ou autres œuvres faites d’un cœur saint, mais par la foi, au moyen de laquelle le Tout-Puissant a justifié tous les siens depuis le commencement. » / Cor., xxxii, 3-4, dans Funk, Patres Apostolici, Tubingue, 1901, t. i, p. 138-140. Mais il faut se rappeler qu’au préalable l’auteur avait marqué très nettement que la foi des patriarches s’accompagnait d’obéissance et de charité, ix, 3-4 ; x, 1-2, 7 ; xi, 1 ; xii, 1 ; ibid., p. 110-114 ; qu'à leur exemple il invitait les fidèles à se justifier en œuvres et non en paroles, Ipyoïç Sixaioûfievot, xal fir) Xoyoiç. xxx, 30, p. 136. C’est la preuve que, dans le passage cité, Clément ne veut pas exclure nos bonnes œuvres, mais la tentation d’en tirer vanité comme si elles étaient dues à nos seuls mérites. Aussi continue-t-il immédiatement : « Que ferons-nous donc, frères ? Cesserons-nous de faire le bien et abandonnerons-nous la charité ? Puisse le Seigneur ne jamais permettre pareille chose parmi nous ! Hâtons-nous, au contraire, avec ardeur et application d’accomplir toute œuvre bonne. » xxxiii, 1, p. 142. Et plus loin : « Heureux sommes-nous, bien-aimés, si nous accomplissons les préceptes du Seigneur dans l’accord de la charité, afin que par la charité nos péchés nous soient remis. » l, 5, p. 164. On voit qu’il n’est pas question pour lui de salut par la seule foi.

< « Servons Dieu avec un cœur pur, dit pareillement l’auteur inconnu de la seconde aux Corinthiens, et nous serons justes. Si nous faisons la justice devant Dieu, nous entrerons dans son royaume. » // Cor., xi, 1 et 7, ibid., p. 196. « Clément, conclut très justement A. Harnack, loc. cit., p. 101, veut rappeler à la communauté une vérité qui lui est familière, savoir que sans l’accomplissement de la justice il n’y a pas de justification. »

Un autre écrit pseudo-clémentin, mais qui remonte à la plus haute antiquité, fait entendre la même note : Nomen autem (fldelis) solum sine operibus non inlro' ducel in regnum cœlorum ; si guis autem fueril fldelis in veritate, is salvari poterit. Ps. Clem., De virgin., i, 3, Funk, t. ii, p. 2.

De même le pseudo-Barnabe, s’il dit qu’Abraham fut justifié comme [i.6voç TuaTeûaxç, Epist., xiii, 7, dans Funk, 1. 1, p. 80, sait que notre justification n’est acquise qu’au dernier jour, xv, 7, p. 84, et que chacun y recevra suivant ses œuvres, iv, 12, p. 48. Saint Ignace ne veut pas séparer la foi de la charité, celle-là étant le principe, celle-ci le terme de la vie. Eph., xiv, 1, Funk, p. 224 ; cf. Smi/rn., vi, 1, p. 280. Lorsque saint Polycarpe écrit aux Philippiens, d’après saint Paul, Eph., ii, 8-9 : « Vous avez été sauvés par la grâce, non d’après vos œuvres, mais par la volonté de Dieu en Jésus-Christ, » Philipp., i, 3, Funk, p. 296, il pense à o la grâce » de la rédemption. Mais l’application ne nous en est pas faite sans notre part d’activité personnelle : la preuve, c’est que le saint évêque de Smyrne invite

tout aussitôt ses lecteurs « à se ceindre les reins pour servir Dieu dans la crainte et la vérité. » Ibid., ii, 1, p. 298.

On sait assez que tout le but du Pasteur d’Hermas est d’inviter les chrétiens déjà relâchés de son temps à mettre leur vie en harmonie avec leur foi et à réparer leurs fautes par la pénitence. Les branches plus ou moins desséchées du saule, Sim., viii, Funk.p. 554 sq., les pierres plus ou moins raboteuses qui doivent entrer dans la construction de la tour, Sim., ix, p. 576 sq., figurent les dispositions diverses des chrétiens et commandent leur sort en conséquence

b) Parce qu’ils s’adressaient à « ceux du dehors », les Apologistes devaient insister davantage encore sur le < : ôté moral du christianisme. Saint Justin se souvient suffisamment de saint Paul pour opposer à Tryphon qu’Abraham obtint la justice par la foi et non par la circoncision, Dial., 92, P. G., t. vi, col. 696 ; mais il enseigne également qu’il n’y a pas d’autre voie de salut que « de reconnaître le Christ, de recevoir le baptême… et de vivre désormais sans péché, » ibid., 44, col. 572, que le Christ couronne ceux qui font pénitence et observent ses commandements. Ibid., 95 et 134, col. 701 et 789. Et quand on voit que David est donné comme modèle dz cette pénitence, ibid., 141, col. 797-800, il est clair qu’elle doit se traduire en actes effectifs.

Telle est, au demeurant, l'évidence de ces textes que Thomasius lui-même, op. cit., p. 422, est obligé de reconnaître que, chez les anciens Pères, contrairement au postulat du luthéranisme, l’amour et les œuvres qui en découlent restent toujours coordonnés à la foi.

2' Débuts de la théologie catholique. — A travers les rares documents qui nous en restent, on a l’impression que la gnose menaçait de troubler cet équilibre au profit d’un mysticisme inquiétant. D’après saint Irénée, les valentiniens abandonnaient les psychiques à l’humble pédagogie de la foi et des œuvres : ce qui est un hommage indirect rendu à la tradition catholique. Quant à eux, ils s’estimaient sauvés [iq Stà KpâEswç àXXà Stà tÔ « pûasi 7rv£Uji.aTixoùç eïvoa, et ce caractère « pneumatique » était à tel point inhérent à leur nature qu’ils ne pouvaient le perdre, quelles que fussent leurs actions. Cont. hær., I, vi, 2, P. G., t. vii, col. 505-508. Semblable était la conviction des disciples de Simon le Magicien, ibid., I, xxiii, 3, col. 672 : ipsius gralia salvari homines, sed non secundum opéras juslas. Voir Tixeront, Hist. des dogmes, 7e édit., t. i, p. 201-202, et, pour Marcion, A. Harnack, Marcion, Leipzig, 1921, p. 17.'i-175.

a) Cette dangereuse tendance explique la position de saint Irénée. Sans doute l'évêque de Lyon ne méconnaît pas le rôle de la foi : Abraham en reste pour lui le type parfait et « ceux-là qui croient en Dieu comme il y crut commencent à être sauvés… ; car, ajoute-t-il, c’est la foi au Dieu très-haut qui justifie l’homme. » Cont. hær., IV, v, 5, col. 986 ; cf. IV, xxi, 1, col. 10431041. Quand il se rapporte au fait de la rédemption, il affirme que les pécheurs justificantur non a semelipsis sed a Domini advenlu ; mais, tout à côté, il dit de la prédication du Christ aux enfers qu’elle convertit omnes gui sperabant in eum… et dispositionibus ejus servierunt. IV, xxvii, 2, col. 1058. La même loi vaut aussi pour son ministère terrestre : Quolquol limebant Deum et sollicili erant clrca legem ejus, qui accucurrerunt Christo et saluati sunt omnes. IV, ii, 7, col. 979. A plus forte raison celui qui croit est-il tenu à l’observation de la loi divine pour être sauvé : Dominas naturalia legis per qu.se. homo justiftcatur, qua : etiam ante legtsdationem cuslodicbant qui fide justifirabantur et placebant Deo, non dissolvit sed extendit. IV, xiii, 1, col. 1006-1007 ; cf. IV, viii, 3, col. 994-990. Voir d’autres références a l’art, [renée, t. vi, col. 2493-2494, et la note érudite « le Peuardent dans P. G., t. vi, col. 1599-1601. Théolo gien tendancieux mais exégète fidèle. A. Harnack, loc. cit., p. 107, a raison d'écrire, après Werner, Der Paulinismus des Ireneeus, Leipzig, 1889, p. 205 : « Sous des paroles pauliniennes se cachent des pensées qui n’ont rien de paulinien. » Ce qui veut dire que l'évêque de Lyon canalise tout naturellement saint Paul dans le grand courant catholique.

Un disciple de Marcion, Apelles, convenait de son côté que, pour être sauvé, il suffit d’espérer dans le Christ crucifié, mais à condition de rester fidèle aux bonnes œuvres. Rhodon. dans Eusèbe, H. E., V, xiii, P. G., t. xx, col. 461. Preuve que le marcionisme luimême conservait ou retrouvait sur ce point l'équilibre doctrinal qui distingue la grande Église.

b) La pensée des fondateurs de la théologie latine est si peu douteuse qu’on leur impute communément d’avoir introduit dans le christianisme occidental les catégories juridiques de satisfaction et de mérite, qui demeureront caractéristique ;, de sa piété. Voir A. Harnack, Dogmengeschichle, 4e édit., 1910, t. iii, p. 14-15, et H. Schultz, Der sittliche Begrifj des Verdienstes, dans Studien und Kritiken, 1894, p. 24-34, dont les vues dominent toutes les histoires protestantes du dogme. Cf. Tixeront, 1. 1, p. 409-410.

Tertullien a des expressions vigoureuses sur le rôle prépondérant de la foi : A fide etiam ipsa vila nostra censetur. De monog., 11, P. L., t. i, col. 995. Cf.Adc. Marc, t. V, c. iii, t. ii, col. 506 : Ut jam ex fidei libertate justificetur homo, non ex legis servitule, quia justus ex fide vivit. Mais il entend que la foi soit féconde en œuvres. Il ne craint même pas de faire une place aux vertus humaines dans la genèse de celle-ci et suggère sans hésiter cette hypothèse aux adversaires qui s'étonnent de voir de braves gens devenir chrétiens : Nonne… ideo christianus quia prudens et bonus ? Apolog., 3, t. i, col. 329. Voir Revue des sciences religieuses, 1922, t. ii, p. 46-47. Une fois converti au Christ, le fidèle doit évidemment conquérir sa récompense en s’appliquant à la pratique du bien : promereri nolle delinquere est, De exhort. cast., 3, t. ii, col. 966, et le pécheur se soumettre à une rude pénitence pour satisfaire à Dieu qu’il a offensé. Voir De pœnitent., 1. 1, col. 1335-1360. On sait que Tertullien est passé au montanisme pour protester contre ce qui lui paraissait le relâchement des catholiques. Au rigorisme près, on trouve dans saint Cyprien la même attitude à l'égard des conditions morales du salut. Voir Cyprien, t. iii, col. 2466.

En analysant les écrits polémiques de Tertullien et les réponses qu’il oppose aux arguments de ses adversaires, A. Harnack croit découvrir chez ceux-ci les traces d’une conception « évangélique ». Pour autoriser le pardon des fautes de la chair, ils en appelaient à la bonté de Dieu, à la valeur de la mort rédemptrice du Christ : double motif d’assurance propre aux croyants, à la différence des juifs et des infidèles. D’où il suivrait que, sinon Calliste lui-même, du moins ses partisans, auraient professé, pour les besoins de leur thèse indulgente, une sorte de justification par la foi. Zcilschri/l fur Théologie und Kirche, 1891, p. 113-122. Mais n’esl-il pas bien téméraire de vouloir reconstituer la doctrine du pape et de ses défenseurs à travers les déformations que lui inflige l’intransigeance du sectaire qui la combat ? Surtout quand il faut reconnaître, p. 123-126, qu' i elle disparaît aussitôt et que saint Cyprien ne la connaissait déjà plus. » Au demeurant, A. I larnack est bien obligé de convenir, loc. cit.. p. 123. qu’il ne s’agissait, pour les catholiques, que

d’adoucissements à introduire dans la discipline péni lentielle. Ce que Callisle en laisse subsister, ce que l'évêque de Cartilage, d' accord avec, Rome, allait bientôt appliquer à la réconciliation des lapsi est assez dur pour ne pas mériter le reproche « le laxisme « t montre que l’Eglise, si elle ne voulait pas fermer toute

espérance au pécheur repentant, mesurait toujours à ses œuvres de pénitence la valeur de son repentir.

c) Pour être enclins au mysticisme, les initiateurs de la théologie grecque n’ont pas une autre conception de la justification chrétienne. « Nous sommes bien sauvés par grâce, d’après Clément d’Alexandrie, mais non pourtant sans bonnes œuvres ; car, nés pour le bien, nous devons.de quelque manière y consacrer nos soins. » Strom. V, i, P. G., t. ix, col. 16. Et plus loin, après avoir exposé que les degrés de la gloire céleste nous seront répartis en proportion de nos vertus, l’auteur poursuit : « Lors donc que nous entendons cette parole : « Ta foi t’a sauvé, » ne pensons pas qu’elle veuille dire absolument que l’on est sauvé par une foi quelconque, si elle ne s’accompagne d’œuvres en conséquence. » Ibid., VI, xiv, col. 329.

Origène est amené par son étude de l’Épître aux Romains à s’expliquer abondamment sur la justification. Évidemment il demande comme première condition la foi au rédempteur, ut per ejus fidem juslificarentur qui per opéra propria justificari non poteranl, In Rom., iii, 8, P. G., t. xiv, col. 946, et précise formellement que les meilleures œuvres sans la foi sont de valeur nulle : Si guis habeat intégra omnia quæ lex edocet naturalis et in nullo eum peccati conscientia reprehendat, non lamen habeat etiam fidei gratiam, non posse eum justificari. Ibid., iv, 5, col. 977 ; cf. iii, 9, col. 953. Ce qui enlève à tout homme la tentation de se glorifier contre Dieu.

Il arrive même à Origène de suivre l’Apôtre jusqu’à parler de justification par la foi seule : dicit sufficere solius fidei justiftedionem, ita ut credens guis tantummodo justificetur, etiamsi nihil ab eo operis fuerit expletum. Comme exemple il cite le bon larron et la pécheressede l’Évangile, puis celui de Paul lui-même. Et prenant à part les diverses œuvres dont l’homme peut se préval > r, il montre qu’elles sont impossibles ou sans valeur dans l’économie chrétienne du surnaturel. Sola igttur, conclut-il, justa gloriatio est in fide CTucis Christi, quæ excludit omnem illam gloriationem guse descendit ex operibus legis. Ibid., ni, 9, col. 952954. D’autant que ces œuvres, parce qu’extérieures, peuvent toujours offrir quelque défaut caché, tandis qu’il s’agit d’être juste au regard non des nommes mais de Dieu. Ibid., iv, 1, col. 960-961.

Naturellement les protestants se prévalent de ces passages, Thomasius, op. cit., p. 423-424 ; mais à tort. Il est facile, en effet, de remarquer tout d’abord qu’Origène n’hésite pas à dire des vertus morales ce qu’il a dit de la foi : Sicut de fide dictum est guia repulala est ei ad justitiam, ita et de aliis virtutibus dici potest. Car il se souvient d’ « un autre endroit de l’Écriture » où il est dit qu’Abraham fut justifié par les œuvres de la foi. Ibid., iv, 1, col. 961 et 963. Ainsi la justification par la foi n’est qu’un cas particulier, celui d’une volonté généreuse qui n’a pas encore eu le temps de se traduire en actes ; mais normalement la foi comporte les œuvres. Indicium verse fidei est ubi non delinguitur, sicut contra ubi delinguitur infidelitalis indicium est. C’est pourquoi Origène fait observer que la foi d’Abraham fut, en réalité, la synthèse de toute une vie et que la nôtre, à son exemple, doit être une foi intégrale et parfaite : non ei gui ex parte, sed gui ex integro et gui perfecte crédit fidem posse ad justitiam repulari. Ibid., col. 961-964. En effet, entre la foi et les œuvres, il y a le même lien organique qu’entre la racine et les branches de l’arbre. Initium namque justificari a Deo fides est guse crédit in justificanicm. Et hsec fides… tamguam radix imbre suscepto hæret in animée solo, ut, eum per legem Dei excoli cœperit, surgant in ea rami gui fruclus operum ferant. Ibid., col. 465. Cf. iv, 6, col. 981 : Prima salutis initia et ipsa fundamenta fides est ; profectus vero et augmenta sedificii spes

est ; perfectio autem et culmen totius operis charitas. En conséquence, on aurait beau croire : on ne saurait être justifié si, à l’exemple du Christ, on ne ressuscite de la mort à la vie. Negue enim possibile est ut habenti in se aliquid injustitiæ possit justilia repulari, etiamsi credat in eum gui suscitavil Dominum Jesum a mortuis. Injuslitia namgue eum justitia nihil potest habere commune… Justificat ergo eos Christus tantummodo gui novam vilam excmplo resurrectionis ipsius susceperunt. Ibid., iv, 7, col. 985-986. Et s’il en est ainsi pour obtenir la justification, à plus forte raison cela est-il nécessaire pour y persévérer : Post justificationem si injuste guis agat, sine dubio justificationis gratiam sprevit. Ibid., ni, 9, col. 953. Aussi Origène a-t-il dit plus haut, après l’Apôtre, que chacun recevra suivant ses œuvres. Ibid., ii, 4, col. 875-879. De toutes façons, la foi sans les œuvres est une foi morte, comme l’a dit saint Jacques. In Joan., xix, 6, ibid., col. 569. Le pécheur surtout est tenu à des œuvres de pénitence et de charité, qui peuvent seules lui procurer le pardon de ses fautes. In Levit., ii, 4, P. G., t. xii, col. 417-418 ; cf. xii, 3, col. 538-539.

A ces vérités communes de la foi, Origène mêle une de ces vues personnelles où se complaisait son génie. Cherchant à expliquer pourquoi saint Paul a dit, Rom., ii, 30, que Dieu justifie les juifs e.r fide et les gentils per fidem, il établit sur cette différence de langage l’hypothèse suivante : Qui ex fide justificantur, initio ex fide sumpto, per adimpletionem bonorum operum consummantur, et qui per fidem justificantur, a bonis operibus exorsi, per fidem summam perfectionis accipiunt. Où apparaissent deux économies de la justification : l’une qui conduit les juifs de la foi aux œuvres, l’autre qui couronne par la foi les œuvres des païens. Ce qui importe, c’est que ces deux conditions sont complémentaires et, par conséquent, ne doivent pas être séparées : Ita utrumque sibi adhserens alterum ex altero consummatur. In Rom., ni, 10, col. 957.

Un de ses disciples, Hiéracas, devait plus tard attacher tellement d’importance aux œuvres qu’il excluait du ciel les enfants morts aussitôt après leur baptême, parce qu’ils n’avaient pas pu en accomplir. Renseignement fourni par saint Épiphane, Hser., lxvii, 2 ; P. G., t. xlii, col. 176. Parce qu’il s’est gardé de cet excès, Origène est un témoin de la manière dont l’Église harmonisait dans l’unité de sa vie les données de saint Jacques et de saint Paul, cependant que son effort de spéculation frayait la voie aux théologiens qui devaient s’appliquer à montrer la connexion intime de ces deux conditions également indispensables du salut. Le catholicisme des premiers siècles n’a reçu nulle part de meilleure et de plus complète expression.

3. Exégètes et docteurs du n’e siècle. — En vain chercherait-on chez eux un essai de synthèse comparable à celui d’Origène ; mais multiples sont dans leurs écrits les échos de la doctrine traditionnelle.

a) Textes invoqués par les protestants. — Cependant les polémistes protestants ont pu y trouver une moisson assez abondante de textes où la justification est attribuée à la foi seule et qu’il faut d’abord discuter.

A y regarder de près, quelques-uns sont purement exégétiques, tel que celui de saint Hilaire résumant la guérison du paralytique dans l’Évangile : Fides enim sola justificat. In Matlh., viii, 6, P. L., t. ix, col. 961. Ce qui rappelle simplement que, pour déclarer ses péchés remis, Jésus n’a considéré que sa foi et celle de ses porteurs. A plus forte raison l’Épître aux Romains était-elle faite pour inspirer à ses commentateurs un semblable langage. Pour YAmbrosiaster, non seulement on n’est justifié que par la foi : non justificari hominem apud Deum nisi per fidem,

In Rom., iii, 27, P. L., t. xvii (édition de 1866), col. 84 ; mais, à l’exemple d’Abraham, on l’est par la foi seule, ibid., iv, 5, col. 87 : …. cum videant Abraham non per opéra legis scd sola fide justification. Non ergo opus est lex quando impius per solam fidem justificatur apud Deum. Marius Victorinus, spécialement exploité par Harnack, loc. cit., p. 158-160, et Dogmengeschichte, t. iii, p. 35, après Gore, dans Dict. of Christian biographg, t. iv, p. 1137, écrit de même sur Gal., ii, 15 : Scimus non justificari hominem ex operibus legis, sed justificari per fidem… Ipsa enim fides sola juslificationem dut et sanctificationem. P. L., t. viii, col. 1164. Cf. In Phil, iii, 9, col. 1219 et In Eph., ii, 7-11, col. 1255-1256. Où l’on voit que ces exégètes, à la suite de saint Paul, opposent la foi chrétienne aux œuvres de la Loi, celles-ci étant absolument insuffisantes et inutiles sans celles-là. Ce qui est une manière d’affirmer que le salut nous vient, non de nos propres mérites, mais uniquement de notre rédemption par le Christ. Il s’ensuit que croire au mystère de cette économie rédemptrice est la première et la plus indispensable condition pour être sauvé, sans qu’il faille nécessairement conclure que cette disposition est la seule requise de notre part.

Cette même doctrine se retrouve ailleurs, en dehors de toute exégèse, comme une vérité dogmatique. Ainsi saint Basile disait à ses fidèles pour les exhorter à l’humilité : « Il n’y a pour vous de glorification parfaite et complète que dans le Seigneur, lorsque, au lieu de se prévaloir de sa propre justice, on se reconnaît dénué de la justice véritable et justifié par la seule foi au Christ. » Hom., xx, 3, P. G., t. xxxi, col. 529. Saint Jean Chrysostome ajoute, contre les tenants attardés du judéo-christianisme, que cette foi au Christ exclut formellement tout autre moyen de salut : « Les observances judaïques sont doublement des fables, et parce que simulées, et parce que superflues… Si, en effet, tu crois à la foi, pourquoi introduire autre chose, comme si la foi ne suffisait pas à justifier ? » In TH., hom. iii, 2, P. G., t. lxii, col. 679. Cf. In Matth., hom. xxvi, 4, P. G., t. i.vn, col. 338. Chez les latins, saint Ambroise souligne pareillement. l’insuffisance de la loi et de ses œuvres pour faire éclater le bienfait de la rédemption : Venit Dominus Jésus… in cuius morte juslificali sumus. De Jacob et vita beala, I, v, 17, P. L., t. xiv (édit. de 1866), col. 636. D’où il s'élève à ces effusions : Non habco igitur unde gloriari in operibus meis possim, non habeo unde me jactem, et ideo gloriabor in Christo. Non gloriabor quia juslus sum, sed gloriabor quia redemptus sum. Ibid., vi, 21, col. 637. Cf. Epist., lxxiii, 10-11, t. xvi, col. 1307-1308 : Nemo glorietur in operibus, quia nemo factis suis justificatur : sed qui juslus est donalum habet, quia per lavacrum juslificalus est. Fides ergo est qux libéral per sanguinem Clirisli.

A la suite de Mélanchthon, Apolog., iv, 103-105, les protestants s’emparent volontiers de ces déclarations et A. Harnack lui-même y trouve un accent « évangélico-paulinien » très marqué. Loc. cit., p. 156. En réalité, ces textes ne sont pas ad rem. Ils opposent la foi aux œuvres légales du judaïsme ou, d’une manière plus générale, au fruit de nos activités naturelles. C’est dire qu’ils affirment la nécessité de la rédemption et de la grâce, mais sans préciser pour autant la manière dont la rédemption nous est appliquée, Un aspect de l'économie du salut est indiqué là, qui appartient à la plus authentique essence du chris tianisme, mais qui n’en exprime pas la totalité. La preuve en est que les mêmes auteurs, lorsqu’ils en viennent à envisager sous son aspect pratique l’appropriation de cette grâce rédemptrice, font appel avec la même énergie à la coopération de l’homme par les bonnes œuvres.

b) Doctrine spéciale des œuvres. — Elle s’affirme pareillement dans les diverses parties de l'Église. Il est entendu que la tradition de Tertullien domine la théologie latine. Ainsi saint Hilaire veut que la récompense éternelle nous soit accordée ex merito. In Ps. ii, 16, P. L., t. ix, col. 270. En conséquence, il s'élève contre ceux qui voudraient se contenter de la simple foi, In Ps. cxviii, ProL, 4, col. 502, et exige l’effort de notre bonne conduite : Operandum et promerendum est et per solliciludinem operum anleriorum œternilalis est requies præparanda. In Ps. *C/, 10, col. 500. Cf. In Ps. L.iꝟ. 6, col. 416 : Ornandum ergo hoc Dei templum…, ut sequitatis ac fidei operibus mirabile sil. Autres références à l’art. Hilaip.e, t. vi. col. 2450. Saint Ambroise rapproche la foi et les œuvres pour en montrer l'étroite corrélation : Ante omnia fides nos commendare Deo débet. Cum fidem habuerimus, claboremus ut opéra nostra perfecta sint. De Caïn et Abel, II, ii, 8, t. xiv, col. 362. Cf. In Luc, vii, 104, t. xv, col. 1814 : Et fide et operibus (fidelis vir) approbetur ; In Luc, viii, 47, col. 1869 : Pro actibus hominis remunerationis est qualitas, et Epist., ii, 16, t. xvi. col. 921. L’Ambrosiaster ne connaît pas non plus d’autre norme au jugement divin que la valeur de nos actes : Unusquisque operibus suis aut justificabitur eut condemnabitur. In Rom., xiii, 2, P. L., t. xvii, col. 171. Cf. ibid., ii, 5, col. 68. Aussi ne veut-il pas séparer la connaissance de Dieu de la fidélité à ses commandements : Prima ergo hsec justitia est agnoscere creatorem, deinde custodire quæ prxccpit. Ibid., ix, 30, col. 147.)

Les meilleurs témoins du christianisme oriental ne tiennent d’ailleurs pas un autre langage. Dans l'Église syrienne, Aphraate enseigne évidemment que tout l'édifice spirituel a comme fondement la foi au Christ : mais par-dessus doivent se placer le jeûne, la prière, la charité, l’aumône. « La foi, conclut-il, réclame tous ces ornements établis sur la base de la pierre ferme qui est le Christ. » Demonst., i, 4, Palrol. syriaca, t. i, p. 11-14. « Fais donc, ô homme, les œuvres qui réjouissent Dieu et tu n’auras pas besoin de dire (à Dieu) : Pardonne-moi. » Ibid., iv, 14, p. 170. Thomasius, op. cit., p. 427-430, s’est longuement réclamé de saint Éphrem, alors peu connu. Mais, dans les textes mîmes qu’il invoque, on voit que le docteur d'Édesse, s’il prêchait une foi ardente au Christ Rédempteur, entendait que cette foi doit se traduire par la pénitence. Voir en particulier Opéra, édition Assémani, t. i, p. 29 sq., 254 sq. ; t. iii, p. 514 ; t. vi, p. 367 sq. Ce qui comprend pour lui, avec le repentir du cœur, les œuvres qui en sont la manifestation, 1. 1, p. 249-254. i |W>

Identique est la doctrine des Pères grecs. Témoin Eusèbe de Césarée, qui reproche aux ébionites leur attachement aux pratiques juives, « comme, ajoutet-il, s’ils ne seraient pas sauvés par la seule foi au Christ et une vie conduite en conséquence. » II. E., U 1, xxvii, P. G., t. XX, col. 273. Saint Basile réclame lui aussi, pourvoir Dieu, l’union d’une foi saine et d’une vie droite. Epist., viii, 12, P. G., t. xxxii, col. 265. « Celui-là, en effet, qui par ses bonnes œuvres rend ici-bas honneur et gloire au Seigneur s’amasse à luimême un trésor d’honneur et de gloire selon la juste rémunération du juge. » Hom. in Ps. XXVlll, 1, P. G., t. xxix, col. 281. Voir Eug. Scholl, Die I.chrc des hl. Basilius pan der Gnade, Fribourg, 1881, p. 212-222, ( t.1. Bi vieil, Saint Basile, dans la collection des Moralistes chrétiens, Paris, 1925, p. 92-95. Saint Grégoire de Na/ianze associe sans effort les données de saint Jacques el. de saint Paul : « De même que sans la foi l’action n’est pas agréable à Dieu…, ainsi la loi est morte sans les œuvres….Montrez donc votre foi par vos œuvres comme le fruit de votre sol. » Oral., XXVI, 5, P. G., t. xxxv, col. 1233. Cf. Oral., xiv, 37, col. 908 et xxxvi, 10, col. 277.

Ainsi également saint Grégoire de Nysse : « Ni la foi sans les œuvres de la justice ne suffît à nous sauver, ni à son tour la justice de la vie n’est par elle-même une assurance de salut si on l’isole de la foi. » In Ecclesiast., hom. viii, P. G., t. xuv, col. 748. Et à plus forte raison le grand moraliste saint Jean Chrysostome, qui appelle la foi stérile une ombre sans force, ayjnii son [xévov XM/lç Suvdefxea) ; maziç, xoiplc, epywv, In II Tim., hom. vm, 2, P. G., t. lxii, col. 643. et met à plusieurs reprises ses auditeurs en garde contre l’illusion d’être sauvés par la seule foi si la conduite n’y correspond. « Si quelqu’un a une foi droite sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit sans avoir une vie droite, sa foi ne lui sera d’aucun profit pour le salut. » In Joan., hom. xxxi, 1, t. lix, col. 176. Doctrine appuyée sur la parole du Maître : Non omnis qui dicit : Domine, Domine, Matth., vii. 21, dont il donne ailleurs le commentaire in extenso. In Matth., hom. xxiv, 1, t. Lvn, col. 321322. Cf. hom. v, 4, ibid., col. 59-61 ; hom., xxvi, 6, col. 340-341, et hom. lxix, 2, t. i.vm, col. 650. Voir de mêmî saint Cyrille de Jérusalem, Catech., iv, 2, t. xxxiii, col. 456.

c) Doctrine qénérale de la vie chrétienne. — En dehors des textes scripturaires et des exhortations morales occasionnelles, deux sujets, l’un et l’autre familiers à la prédication aussi bien qu’à l’ascèse chrétiennes, amenaient régulièrement les Pères à développer ls thème de la nécessité des œuvres.

C’était, d’une part, l’exposition de la liturgie baptismale, si souvent faite aux fidèles, et qui leur apprenait ou leur rappelait avec énergie les obligations contractées lors de leur enrôlement au service du Christ. Voir, par exemple, saint Pacien, Serm. de bapt., 7, P. L., t. xiii, col. 1004 : Ulud homini proprium… vita perpétua, sed si jam non peccamus amplius ; saint Arabroise, De myst, vii, 41 ; P. L., t. xvi, (édit. de 1866), col. 419 : Fides tua pleno fulgeat sacramento. Opéra quoque tua luceant et imaginem Dei præjerant ; anonyme, De Sacram., I, ii, 4-8, - ibid., col. 437-438, et III, il, 8-10, col. 453 ; saint Cyrille de Jérusalem., Catech., xx, 3, P. G., t. xxxiii, col. 1077, et xxi, 7, col. 1093 ; saint Basile, Hom., xiii, 7, t. xxxi, col. 440 ; saint Grégoire de Nazianze, Orat., xl, 45, t. xxxvi, col. 424. « Élève-le bien sur ce fondement de tes croyances ; car la foi sans les œuvres est morte, comme les œuvres sans la foi ; » saint Grégoire de Nysse, Orat. cal. mag., 35 et 40, P. G., t. xlv, col. 88 et 101-104.

Il y faudrait ajouter les exhortations à la pénitence adressées à ceux qui sont retombés dans le péché après le baptême, v. g. saint Cyprien, De lapsis, 7-33, P. L., t. iv, col. 494-506 ; saint Pacien, Par. ad pœnit., t. xiii, col. 1031-1090 ; saint Ambroise, De pœnit., ii, 6-10, t. xvi, col. 528-542 : saint Basile, Hom., i, 4 et 11-12, P. G., t. xxxi, col. 168 et 181-184, qui toutes ont pour but d’inviter les pécheurs à racheter leurs fautes par un surcroît de bonnes œuvres et de sacrifices. Enfin la prédication des fins dernières et, en particulier, du jugement divin était tout naturellement l’occasion de rappeler ce principe de justice et d’espérance que Dieu y rendra à chacun selon ses œuvres. Références à l’art. Jugement, ci-dessus, col. 1765 sq.

Et l’on voit suffisamment que la nécessité pour l’homme d’être l’ouvrier effectif de son propre salut en faisant fructifier la grâce de la rédemption, loin d’apparaître comme une sorte d’épiphénomène accidentel, s’incorpore chez les Pères des quatre premiers siècles aux principes les plus essentiels du dogme chrétien.

2 U Ncdure de la foi justifiante. — Il n’y a pas lieu d’insister beaucoup sur la manière dont est conçue, dans la même période, la foi requise pour la justification.

Que ce mot, alors aussi bien qu’aujourd’hui, expri mât une somme de réalités diverses et complexes, la chose n’est pas douteuse ; mais nulle part il n’est restreint à ce sentiment mystique de confiance, base de la Réforme, par lequel le pécheur abriterait sa misère derrière les mérites du Rédempteur. D’une manière générale, les anciens Pères, tout comme les théologiens modernes, entendaient par foi l’assentiment aux vérités contenues dans la révélation divine. Voir Foi, t. vi, col. 78-82. C’est à cette lumière qu’il faut lire leurs exposés relatifs au problème de la justification. Il suffît de rappeler que le baptême, rite initiateur de la justification, était préparé par le catéchuménat et que l’élément capital de cette institution était cette explication méthodique du symbole dont la littérature de l’époque nous a conservé de si précieux spécimens. Voir Catéchuménat, t. ii, col. 19791983.

Sous le bénéfice de cette première observation, on peut distinguer, dans l’application de la notion de foi aux conditions du salut, deux aspects complémentaires, qui expliquent la teneur en apparence divergente des textes relevés ci-dessus.

1. Aspect dogmatique de la joi.

Tantôt la foi est prise dans un sens dogmatique et objectif, pour désigner l’économie chrétienne de la rédemption, seule source de la grâce. Dans ce cas, à la suite de saint Paul, elle est mise en rapport, et en contraste, soit avec le judaïsme, soit avec le paganisme. Outre la fidélité aux Écritures dont se nourrissait leur pensée, on conçoit que la considération du milieu mélangé dans lequel écrivaient et vivaient les Pères les ait amenés plus d’une fois à dégager formellement cette base profonde du surnaturel. Voir W. Liese, Der heilsnolwendige Glaube, Fribourg-en-B., 1902, p. 67-140.

A ce point de vue il est élémentaire de dire que la foi au Christ — ou la foi tout court : ce qui est synonyme

— est nécessaire pour être sauvé. Et il est non moins normal d’ajouter, soit, au sens positif, que nous sommes sauvés par la foi, soit, au sens exclusif, que nous ne sommes sauvés que par elle. Ce qui est une façon de répéter, avec les croyants du premier jour, Act., iv, 12, qu’il n’y a pour l’humanité de salut que dans et par le Christ. Dans ce sens, il est évident que la foi s’oppose aux œuvres, soit qu’il s’agisse de l’assiduité aux pratiques de la Loi, soit, d’une manière plus générale, de la valeur inhérente aux produits de notre seule activité morale. Il n’y a pas autre chose, dans la plupart des déclarations citées plus haut, col. 2083 sq., de saint Justin, de saint Irénée et d’Origène, de saint Ambroise et de YAmbrosiaster, de saint Basile et de saint Jean Chrysostome, que ce rappel du mystère de la rédemption. Encore faut-il prendre garde que, dans les plus accusées, l’expression sola fide ou ses équivalents reste assez indéterminée pour autoriser la double traduction « par la seule foi », c’est-à-dire uniquement par la foi, ou « par la foi seule », c’est-à-dire abstraction faite de toute autre vertu.

C’est dire que le problème précis de la justification ne se posait pas encore aux yeux de ces Pères et qu’en tout cas on fausse leur pensée en appliquant à cet acte de notre vie spirituelle ce qu’ils ont dit de ses conditions objectives selon le plan divin.

2. Aspect pratique de la foi.

D’autres fois cependant,

à n’en pas douter, la foi est envisagée par eux dans l’ordre psychologique et subjectif, comme prise de possession personnelle de la grâce obtenue à tous par la rédempteur. Appropriation qui se fait selon ks lois de la nature humaine, c’est-à-dire tout d’abord et essentiellement par un acte de l’intelligence qui prend contact avec la révélation divine et en accepte loyalement le contenu.

a) Son caraclè~e intellectuel. — Cet aspect intellectuel de la foi justifiante ressort du caractère des symboles,

qui énoncent tous dos croyances et les expriment en termes de plus en plus précis, ainsi que du commentaire détaillé qu’en donnaient les catéchèses baptismales. « Précieuse, comme s’exprime saint Cyrille de Jérusalem dès le début de son œuvre, est la connaissance des dogmes. Il est besoin pour cela d’une âme attentive ; car plusieurs font des victimes par la philosophie et ses vains prestiges. » De ces faux docteurs il signale aussitôt trois catégories : les gentils avec leur beau langage, les juifs avec leur attachement servile à la lettre d’une Loi dont ils méconnaissent l’esprit, les hérétiques habiles à dissimuler sous le nom du Christ leurs doctrines impies. « C’est pourquoi, concluait-il, il y a un enseignement et une explication de la foi, » tcÎcttscûç StSocaxaXta xal eîç aù-rijv h^txh ae KEt pour rendre cette tâche plus facile à ses auditeurs, il consacre cette conférence introductoire à un résumé succinct du Credo catholique, dont les suivantes reprendront ensuite point par point le détail. Catech., iv, 2-3, P. G., t. xxxiir, col. 455-457.

On a dans ces lignes de l'évêque de Jérusalem comme une miniature de toute l’action pastorale de l’ancienne Église, également soucieuse depuis saint Clément et saint Ignace, saint Justin et saint Irénée, Origène et Tertullien, d’assurer à ses fidèles le bienfait de la vérité et de la garantir contre les altérations ou les oppositions diverses de l’erreur. Croire signifiait donc admettre et garder les doctrines constitutives du christianisme traditionnel. Voir par exemple S. Justin, Dial., 44, P. G., t. vi, col. 509-572 ; S. Irénée, Demonslr., Prolog., 1-2, dans Patrol. Orient., t. xii, p. 756-757, et autres références à l’art. Irénée, t. vii, col. 2492-2493 ; Origène, De princ, Prsef., P. G., t. xi, col. 115-121 ; S. Basile, De fide, P. G., t. xxxi, col. 676684 ; Pseudo-Basile, De baptismo, , 1-2, ibid., col. 15131517 ; S. Grégoire de Nazianze, Orat, xl, 45, t. xxvi, col. 424.

Parce qu’elle a pour objet une révélation, cette foi a pour note distinctive l’acceptation du témoignage divin. En quoi elle s’oppose aux conceptions et recherches de la raison : au lieu de spéculer sans fin et sans règle, le propre du chrétien est de croire. Celse n’avait pas tort quand il recueillait comme caractéristiques des propos de ce genre : « Ne recherche pas, ne critique pas, mais contente-toi de croire. Ta foi te sauvera. » Origène, Cont. Cels, i, 9, P. G., t. xi, col. (572. Voir de même Tertullien, De presser hier., 9-14, P. L., t. ii, col. 22-28, dont on retrouve encore de lointains échos jusque dans saint Jean Chrysostome, In I Tim., hom., i, 2-3, P. G., t. lxii, col. 506-507. Être sauvé par la foi, et la foi seule, ne signifie pas autre chose, dans ce contexte, que la profession fidèle des dogmes chrétiens et la soumission qu’elle implique à l’autorité de Dieu.

b) Sa valeur monde. — Ainsi comprise, la foi suppose un acte de volonté, fait de confiance à l’origine et stabilisé par la persévérance, c’est-à-dire une vertu de l’ordre moral et qui, de ce chef, a sa valeur méritoire.

On peut voir cet aspect s’avérer déj ; 'i formellement dans saint Irénée. Werner, op. cit.. p. 206-207. Ainsi par exemple, Cont. hær., IV, xxxix, 2, P. G., t. vii, col, 1110 : Si Iriulideris ei quod limm est, id est (idem cl subjectionem, recipies ejus artem et eris perjectum opus Dei. De la sorte la foi devient, par elle-même, une œuvre agréable à Dieu et peut entrer à un nouveau titre parmi les conditions préalables de la justification. Elle sera toujours nécessaire, parce que la grâce divine ne peut être accordée qu’a l'âme qui la sollicite avec une humble déférence ; mais il peut aussi arriver des cas ou elle s’affirme avec une telle plénitude qu’on puisse la dire suffisante.

Car, à vrai dire, elle n’est plus seule alors et le philosophe peut légitimement voir en elle les vertus dont elle est la synthèse ou dont tout au moins elle contient virtuellement la promesse. On a vu plus haut, col. 2085, qu’Origène entendait dans ce sens la justification par la foi seule qu’il lisait dans saint Paul. C’est tout de même en moraliste que saint Jean Chrysostome envisage la foi d’Abraham, plus méritoire, à son sens, que toutes les œuvres parce qu’elle suppose un plus grand abandon à Dieu, In Rom., hom. viii, 1, P. G., t. lx, col. 455, et saint Maxime de Turin la foi du bon larron en croix qu’il oppose à l’infidélité des apôtres au même moment. Hom., lii, P. L., t. Lvn. col. 349. Ici la foi est si peu exclusive des œuvres qu’elle leur est équiparée.

Mais l’expérience oblige à constater que cette fides viva, pour normale et nécessaire qu’elle soit, risque aisément de faire défaut. Comme les pharisiens, et avec la même superficielle sincérité, beaucoup de chrétiens imparfaits n’ont-ils pas tendance à réduire leur foi à une profession tout extérieure et verbale des symboles ecclésiastiques ? Attentifs à ce danger, qui fut de tous les temps, on a vu que les Pères ont éprouvé le besoin de rappeler aux croyants cette vérité primordiale que la foi doit inspirer la conduite, sous peine d'être dénuée de toute valeur pour le salut.

La distinction entre les divers aspects sous lesquels la foi se présente à l’esprit des premiers Pères fournit la clé des divergences constatées dans leur langage et supprime la tentation de transformer en flottement de leur pensée les hésitations d’une terminologie encore imprécise. Tentation particulièrement paradoxale, quand elle aboutit à mettre à peu près chacun des Pères en contradiction avec lui-même. En réalité, la foi correspond chez eux à l'élément surnaturel qu’implique la justification ; mais, loin de s’opposer jamais à l'œuvre morale de l’homme qui doit en retirer le profit, elle en est le principe et le germe. C’est pourquoi ils peuvent revendiquer l’une et l’autre comme une égale nécessité.

3° Nature des œuvres justifiantes. — Chaque fois qu’il est question de bonnes œuvres antérieures et préparatoires à la justification, les protestants affectent de croire à un empiétement sur les droits de Dieu. Aussi l'Église a-t-elle eu grand soin de préciser qu’il s’agit d'œuvr ?s faites avec le concours de la grâce. La position des Pères anciens n’est pas douteuse sur ce point.

1. Nécessité générale de la grâ e. — Déjà le fait de réclamer expressément et avant tout la foi au Rédempteur indique suffisamment que l'économie entière de la justification est suspendue à une première grâce. Mais, en plus de cette action lointaine, on voit s’affirmer son rôle immédiat à l’origine des actes qui relèvent de l’homme.

Il suffira de quelques témoignages. Saint Justin, admet que la grâce de Dieu est nécessaire pour donner l’intelligence des prophéties à l'âme de bonne foi qui cherche la vérité. Dial., 76, 90, 118-119, et tout autant pour en réaliser les exigences. * Nous prions ensemble avec ferveur et pour nous-mêmes et pour le nouveau baptisé…, afin d’obtenir, après la connaissance de la vérité, la grâce d’en bien pratiquer aussi les œuvres. » Apol., i, 65. Cf. Dial., 30. Voir.1. Rivière, Suint Justin cl les apologistes du second siècle, Paris, 1907, p. 1 19153 et 301-302. Non enim ex nobis, précise saint Irénée, neque ex nostra natura vita est, sed secundum gratiam J)ci datur. Cont. luvr., II, xxxiv, 3, P. G., t. vii, col. 836. Voir Werner, op. cit., p. 208-210, et art. [renée, t. vii, col. 2487-2188. Origène, s’il demande la foi comme première œuvre de l’homme, ne manque pas d’ajouter, pour répondre à une objection possible, qu’elle est elle-même un don de Dieu : Inter cetera doua ^

etiam donum fidei asserit (Apostolus) per Spiritum Sanction tribui. In Rom., iv, 5, P. G., t. xiv, col. 974. Voir pour des références postérieures l’art. Grâce, t. vi, col. 1574, et Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 144-148 pour les Pères grecs, p. 280-281 pour les latins. La controverse pélagienne pourra provoquer plus d’insistance et de clarté ; mais elle ne mettra pas en jeu d’autres principes que ceux dont vécurent paisiblement les siècles primitifs.

2. Cas particulier de la première grâce.

- Faut-il étendre cette nécessité de la grâce à la toute première direction de l’âme vers Dieu ? C’est la question délicate de l’initium fidei.

Les meilleurs historiens catholiques du dogme admettent qu’elle était encore mal éclaircie avant le ve siècle et donc imparfaitement résolue. « Saint Hilaire, saint Optât et même saint Jérôme ont émis des propositions que nous qualifierions actuellement de semi-pélagiennes. » Tixeront, op. cit., p. 282. Il en est de même pour saint Grégoire de Nazianze et saint Jean Chrysostome, dont se prévalaient les adversaires de saint Augustin. Ibid., p. 146-147. Cf. Schwane, Hist. des dogmes, traduction Degert, t. iii, p. 85-86, 91-94, 102-101, 113-116, 127-129, qui s’applique à réduire la portée de ces textes, tout en y reconnaissant « des formules très inexactes », p. 127.

Ce problème d’histoire sera traité à l’article Semipélagianisme. Voir déjà Grégoire de Nazianze, t. vi, col. 1843 ; Hilaire, ibid., col. 2450-2451, et, pour saint Basile, Scholl, op. cit., p. 74-97. Il suffît de noter ici que ces imperfections indéniables sont compensées par les déclarations de principe formelles et illimitées que l’on trouve chez les mêmes Pères sur la nécessité générale de la grâce et qu’on ne saurait, en bonne méthode, juger l’Église sur une époque où sa doctrine n’avait pas encore atteint son plein développement. L’essentiel est que soit bien posé le dogme de la grâce comme principe nécessaire de salut — et il n’y eut jamais de doute sur ce point — en attendant que les progrès de l’analyse en fassent mieux ressortir toute l’ampleur.

II. NATURE ET EFFETS DE LA JUSTIFICATION.

Du

moment que le problème do la justification n’était pas encore traité d’une manière distincte, il ne faut pas demander aux Pères des premiers siècles des éclaircissements précis sur l’essence de cet acte divin et ses effets en nous. Cependant les lignes générales de leur sotériologie, dans lesquelles s’encadrent quelques touches concrètes sur la grâce impartie au chrétien, font apparaître avec toute la clarté désirable la direction de leur pensée. Quelques rapides indications suffiront à montrer, non seulement qu’ils n’ont rien su de cette imputation tout extérieure que devait imaginer la Réforme, mais que toute leur théologie postule le concept d’une véritable régénération de l’âme dans et par le Christ.

1° Principe de la justification : Sens et portée de l’économie rédemptrice. — Sans entrer dans des détails qui appartiennent à l’art. Rédemption, on se contente de rappeler ici comme un fait notoire que la théologie patristique aimait envisager ce mystère sous l’aspect d’une restauration spirituelle. L’harmonie providentielle de notre nature ayant été rompue par le péché, le Fils de Dieu est venu la refaire en se l’unissant. Économie de salut qui comporte un aspect négatif, savoir la destruction de la mort qui était devenue la sanction de notre déchéance, et un aspect positif, c’est-à-dire le don de la vie et de l’incorruptibilité qui rétablit en nous l’image divine dans sa primitive splendeur.

Cette conception, dont on trouverait le germe dès saint Paul et saint Jean, est à la base des premières synthèses construites par l.s Pères grecs, depuis saint

Irénée, Cont. hær., III, xvin-xix et V, i-ii, jusqu’à saint Athanase, De Incarn. Verbi, 3-10, et saint Grégoire de Nysse, Orat. catech. magn., 5-16. Moins exclusive, elle n’est pourtant pas négligée par les théologiens postérieurs. Voir, par exemple, saint Basile, Epist., viii, 5, et cclxi, 2 ; saint Grégoire de Nazianze, Orat., xx, 19 ; xl, 45, et xlv, 8-9 ; saint Épiphane, Ancorat., 93 ; saint Jean Chrysostome, In Joan., hom. xi, 1-2. Elle n’est même pas entièrement absente des Pères occidentaux. On la trouve, par exemple, chez saint Hippolyte, De Christo et antichr., 26 ; Contr. hær. Noeli, 17 ; Philosophoumena, x, 33-34 ; saint Hilaire, In Ps. sir, 3-4 et De Trin., ii, 25. Voir J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Essai d’étude historique, Paris, 1905, p. 117-126 et 142-159 ; J. Chaîne, Le Christ Rédempteur dans saint Irénée, Le Puy, 1919, p. 64-84 ; J. Kôrber, S. Irenseus de gratia sanctifteante, Wurzbourg, 1865, p. 7-88 ; J.-B. Aufhauscr, Die Heilslehre des hl. Gregor von Nyssa, Munich, 1910, p 105-120 ; H. Strâter, Die Erlbsungslehre des hl. Athanasius, Fribourg-en-B., 1894, p. 140-162 ; et ici même, Irénée. t. vii, col. 24692472 ; Athanase, 1. 1, col. 2169-2174. ï,

Il est aisé d’apercevoir la portée de cette doctrine par rapport au problème, de la justification. Elle a tout entière comme axe le renouvellement effectif de notre nature et il est bien évident que le but providentiel de l’incarnation ne serait pas atteint si le péché continuait, après comme avant, à régner sur notre nature ou si notre sanctification se ramenait à l’imputation juridique d’une grâce qui nous demeurât étrangère. Cette théorie de la divinisation — et il n’en fut pas de plus classique — suffirait à faire voir combien sont profondes les attaches du dogme défini au concile de Trente avec la pensée des Pères les plus anciens.

2° Application : La régénération baptismale. — Acquise à l’humanité par l’avènement du Rédempteur, la grâce divine se transmet à chacun des hommes par le baptême. Il est inutile d’insister sur l’importance de ce sacrement dans la synthèse théorique du dogme chrétien et dans la vie pratique de l’Église.

Or, déjà par elle-même, la liturgie baptismale contenait tout un enseignement. L’ablution corporelle signifiait à tous les yeux la purification de l’âme ; l’onction visible du saint chrême, le don invisible de l’Esprit : double rite de régénération que l’Église traduisait à l’extérieur par l’habit blanc qu’elle imposait au nouveau baptisé. Est-il besoin de dire que ce symbolisme est largement exploité dans les innombrables traités ou homélies que les Pères ont consacrés au baptême ? Partout s’affirme la croyance ardente à la rémission du péché et à la transformation du vieil homme en un homme nouveau par son incorporation au Christ. Voir pour la preuve les art. Baptême, t. ii, col. 200-204, et Chrême, ibid., col. 2411. On peut y ajouter Clément d’Alexandrie, Strom., ii, 13, P. G., t. viii, col. 993-997 ; Origène, In Joan., vi, 17, P. G., t. xiv, col. 257, et 26-30, col. 276-285 ; cf. In Rom., v, 8, ibid., col. 1037-1043 ; S. Basile. In Ps. xxviii, 7, P. G., t. xxx, col. 81, et Hom., xiii, 3, P. G., t. xxxi, col. 429 ; S. Grégoire de Nazianze, Orat., xl, 8, t. xxxvi, col. 368, et 32, col. 404-405 ; S. Grégoire de Nysse, Orat. cat. magn., 35, t. xlv, col. 85-92, et De bapt., t. xlvi, col. 416-417 ; S. Jean Chrysostome, Ad illum., i, 3, t. xlix, col. 226-227 ; S. Pacien, De bapt., 5-6, P. L.. t. xiii, col. 1092-1093 ; S. Ambroise, De mysL, vii, 34-35, P. L., t. xvi (édit. de 1866), col. 417 ; anonyme De sacram., II, vi, 16-19, ibid., col. 447-448. Cf. III, ii, 12, col. 454 : Qui venit ad baplismum hoc ipso imple.t con/essionem omnium peccalorum guod baplizari petit ut juslificetur, hoc est ut a culpa ad gratiam transeat. Et l’onprécise.aubesoin, quelagrâce baptismale ne comporte pas seulement l’effacement des péchés, mais une véritable régénération. Voir saint Jean Chrysostome, 2095

    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DEPUIS LE PÉLAGIANISME

jii’m ;

In Joan., hom. xiv, 2, P. G., t. ux, col. 94, et In Rom., | hom., x, 4, t. lx, col. 478.

S’il n’est pas de source plus abondante pour avoir la pensée de l’Eglise en matière de justification, est-il besoin d’ajouter qu’il n’en est pas non plus de plus sûre, parce qu’aucune n’tst mieux faite pour refléter la commune foi ?

Agents de la justification.

 Cette foi s’exprime

aussi par ce que les Pères nous disent ou nous laissent entendre sur la manière dont l’homme est justifié. Sans développer encore ce que, l’école appellera plus tard les « causes » de la justification, ils en ont posé çà et là les principes fondamentaux.

Les théologiens modernes ont discuté pour savoir si la grâce, dans la théologie patristique, est rapportée simplement à une opération de Dieu ad extra ou si elle doit être formellement identifiée avec la présence du Saint-Esprit, et l’on a cru remarquer une nuance entre les Pères latins qui se tiendraient à la première conception et les Pères grecs qui professeraient la seconde. Voir Adoption, 1. 1, col. 426 et 434-135. On peut estimer que ces subtiles précisions sont encore étrangères au génie d’une époque où le souci de la technique s’efface devant l’affirmation des réalités. Ce qui expliquerait que les diverses écoles aient cru trouver chez les Pères des témoignages favorables à leur thèse. Il n’est pas nécessaire, en tout cas, de trancher cette controverse pour recueillir de cette doctrine mystique les données substantielles qui seules intéressent le présent sujet.

Il est certain, en effet, que, d’une manière générale, la grâce est regardée comme une participation de l’âme à la vie même de Dieu. C’est ce que réclame la théorie de la divinisation rappelée plus haut et c’est pourquoi saint Ignace d’Antioche appelle déjà le chrétien 6eoçopoç. En ce sens la justification aboutit à une présence spéciale de Dieu en nous. Voir pour les références l’art. Grâce, t. vi, col. 1614. Quand on veut préciser la caractéristique de cette grâce, les souvenirs de l’Ecriture ouvrent des voies différentes devant le mysticisme des Pères. Tantôt, avec saint Paul on aime y voir la justice même du Christ transmise à sa postérité spirituelle, par exemple saint Pacien, De bapt., 5-6, P. L., t. xiii, col. 1092-1093 : tantôt et plus souvent encore, à la suite de saint. Jean, on y montre l’œuvre du Saint-Esprit. Cette doctrine, qui s’énonce comme un fait chez les Pères des trois premiers siècles, voir Esprit Saint, t. v, col. 693-691, 703 et 708, devait plus tard, quand surgirent les controverses, servir de plateforme pour établir la nature divine de la troisième personne de la Trinité. Comment ne serait-il pas Dieu celui qui nous fait enfants de Dieu ? Tel est l’argument capital que les Pères du iv° siècle opposent aux ariens. Ibid., col. 720, 724, 726, 733-734, 737 et 712 pour les Pères grecs : col. 748-749 pour saint Ambroise, leur principal disciple en Occident. Voir Scholl, op. cit., p. 125-212, et Aufhauser, op. cit., p. 178-200.

Quelle que soit la forme prise par cette doctrine, elle signifie toujours une effusion dans l’âme de la vie divine. N’est-ce pas dire qu’elle implique nécessairement que la grâce soit un don effectif de sainteté ? Plus tard quelques spéculatifs ont entrepris d isoler la justifie ition, au moins comme premier moment théorique, de la sanctification qui en serait seulement une conséquence. La tradition patristique n’a pas connu ers raffinements. Seul l’Ambrosiaster distingue deux périodes dans l’économie surnaturelle : avant la passion, le baptême n’aurait procuré que la rémission des péchés ; la Justification aurait été accordée seulement après la résurrection, grâce à la profession de foi trinitaire et à la communication du Saint-Esprit que le Clirist avait réservées jusque-là. In Hom., iv, 25, P. /-., t. xvii, (édit. de 1866), col, 92. Cette exégèse compliquée, imaginée pour éclaircir un passage difficile de

saint Paul, outre qu’elle n’a rien de commun avec la théologie de la Réforme, ne saurait prévaloir contre l’impression de réalisme salutaire que laisse avec un parfait ensemble la théologie de cette époque, pour laquelle justification fut toujours synonyme de grâce et la grâce comprise comme une régénération de notre âme par le retour à son principe surnaturel.