Dictionnaire de théologie catholique/ORDRE. ORDINATION IV. Les premiers essais de spéculation théologique, depuis les Pères du IVè siècle jusqu'au concile de Florence

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.2 : ORDÉRIC VITAL - PAUL (Saint)p. 71-91).

IV. Les premiers essais de spéculation théologique. —

A vrai dire, la théologie du sacrement de l’ordre ne s’est constituée que peu à peu, au fur et à mesure des nécessités de la controverse.

Chez les Pères, soit orientaux, soit occidentaux, elle n’existe encore qu'à l'état embryonnaire. C’est la question de l’ordination conférée par les hérétiques qui sera l’occasion, pour la théologie de l’ordre, d’un développement dont l'évolution fut pénible, mais à coup sûr finalement profitable à l’enseignement catholique. Comme la question des réordinations doit être étudiée en un article spécial, nous ne pourrons ici que jalonner la route parcourue par la théologie catholique de l’ordre, du ive au xve siècle. Nous étudierons successivement l’enseignement des Pères et écrivains ecclésiastiques, l’enseignement des théologiens, depuis le xii° siècle jusqu’au concile de Florence, enfin le décret d’Eugène IV pour les Arméniens auquel nous rattacherons la question de l’essence du sacrement de l’ordre.

I. ENSEIGNEMENT DES PÈRES ET DES ÉCRIVAINS ECCLÉSIASTIQUES JUSQU’AU XIIe SIÈCLE. — 1° La

doctrine sacramentelle des Pères au IVe siècle. — 1. Lignes générales dogmatiques.

Ce que nous* avons à en dire ici n’est guère que la conclusion des exposés déjà faits touchant le développement de la hiérarchie et l’imposition des mains, considérée comme rite de l’ordination, communiquant à la fois le pouvoir de l’ordre et la grâce du Saint-Esprit.

a) Cet exposé a démontré la croyance de l'Église universelle à Vexistence d’un sacerdoce institué parle Christ et grâce auquel ceux qui en sont revêtus sont distingués des simples laïques, devenant par là aptes à remplir les fonctions sacrées de gouvernement et de sanctification des âmes dans l'Église. Cette notion dogmatique est développée déjà, indépendamment de toute préoccupation du rite sacramentel, par S. Grégoire de Nysse, Orat. in bapt. Christi, P. G., t. xlvi, col. 582 ; S. Jean Chrysostome, De sacerdotio, t. III, n. 5-6 ; In II Tim., homil. i, P. G., t. xlviit, col. 643614 ; i.xii, col. 603 ; S. Cyrille d’Alexandrie, In Joa., xx, 22 et 23, P. G., t. lxxiv, col. 711 ; S. Augustin, Contra epist. Parmen., t. II, c. xiii, n. 18, 30, P. L., t. xliii, col. 70, 72 ; S. Innocent I er, Epist. ad Alexand. Antioch., n. 4, P. L, , t. xx, col. 549 ; S. Jérôme, Contra Lucif., n. 11, P. L.. t. xxiii, col. 165 ; S. Grégoire le Grand, In I Reg., t. IV, v, 83, P.L., t. lxxix, coI. 293 ; Théodoret, In epist. II ad Tim., i. 6, P. G., t. lxxxii, col. 834 ; Aphraate, Demonst., xiv, n. 25, Pair, syriaque, t. i, Paris, 1907, p. 634.

b) On admet universellement, dans l'Église orientale, une hiérarchie à cinq ordres ; dans l'Église occidentale, une hiérarchie à huit ordres.

Pour mieux distinguer le sacerdoce des simples prêtres du sacerdoce des évêques, les Pères commencent à employer les expressions : sacerdos secundi

ordinis, S. Léon le Grand, Serm., xlviii, n. 1, P. L., t. liv, col. 298 ; sacerdos minoris ordinis, S. Grégoire le Grand, In Ezech., t. II, homil. i, n. 13, P L., t. lxxiii, col. 1065 ; presbgteri in secundo sacerdotio constituti, Optât de Milève, Contra schism. donat., t. I, c. xiii, P. L., t. xi, col. 910 ; secundi sacerdoles, Innocent I er, Epist., i, ad Decentium, c. ni, P. L., t. xx, col. 554.

c) La question du ministre n’est pas discutée. C’est l'évêque et l'évêque seul. L’hérésie d’Aérius (voir t. i, col. 515) a servi à mettre en relief cette vérité. Voir S. Épiphane, Huer., lxxv, n. 4, P. G., t. xlii, col. 507, réprouvant vérius. Sur le même sujet : S. Athanase, Contra arianos, n. 12, P. G., t. xxv, col. 270 ; S. Jean Chrysostome, In I Tim., homil. xi, P. G., t. lxii, col. 553 ; Théodoret, In I Tim., iv, 14, P. G., t. lxxxii, col. 815. Saint Jérôme, dont la pensée a été cependant si discutée et divers ment interprétée (voir Évêques, t. v, col. 1670, 1684 et Jérôme (Saint), t. viii, col. 965) résume la pensée de tous en une phrase célèbre : Quid facit, excepta ordinalione, episcopus quod presbyter non faciat ? Epist., cxlvi, ad Evang., n. 1, P. L., t. xxii, col. 1193. Les anciens conciles proclament la même do trine : I er concile de Nicée, canon 4, voir t. xi, col. 410 ; concile d’Antioche (341), can. 13, édit. Lauchert, p. 46.

En ce qui concerne la consécration des évêques, la discipline commune de l'Église entière a réglé de bonne heure que trois évêques au moins devaient y concourir. « Tous les évêques de la province », dit la Constitution égyptienne, Funk, Didascalia et Constitutiones apost., t. ii, p. 98. Au moins trois, déclare le concile de Nicée de 325, can. 4, voir ici, t. xi, col. 410. Les Constitutions apostoliques réclament des absents le témoignage de leur assentiment s’ils ne peuvent venir, VIII, xxvii, édit. Funk, t. i, p. 530. En fait, d’après les Canons d’Hippolyle et la Constitution égyptienne, un seul des prélats consacre au nom de tous. Chez les Grecs, le patriarche est toujours l’acteur principal ; mais il fait lire un acte attestant qu’il agit avec l’assentiment de tous les évêques, Const. apostoliques, loc. cit. Le nombre de trois, fixé par le cân. 4 du concile de Nicée, ne fut pas d’abord une règle générale. Les Constitutions apostoliques se contentaient de deux à la rigueur ou même d’un seul en cas de nécessité extrême, loc. cit. Le pape Corneille parle, on l’a vii, de trois évêques à la consécration de Novatien ; cf. Dict. d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. iii, col. 2586-2587.

rf) La doctrine catholique de la matière et de la forme du sacrement se dégage déjà de ces éléments encore rudimentaires. Sans doute, la théorie hylémorphique des sacrements ne se présente pas sous la forme qu’elle revêtira au xme siècle. Néanmoins, on la retrouve dans ses lignes essentielles. N’est-elle pas d’ailleurs une doctrine traditionnelle dans l'Église (voir Matière et forme, t. x, col. 336. 343-344)'? En effet, le signe extérieur du sacrement est constitué par l’imposition des mains et par la prière qui l’accompagne. L’imposition joue le rôle de matière, puisque, par elle-même, elle n’est encore qu’un rite assez indéterminé. La forme, c’est la prière jointe à l’imposition : le mode déprécatif sur lequel est rédigée cette prière ne lui enlève rien de son efficacité sacramentelle.

e) La doctrine de Vefficacité sacramentelle ex opère operalo est aussi contenue en embryon dans l’enseignement que nous avons résumé. Pour les Pères, la collation du pouvoir hiératique est considérée unanimement comme dépendante de l’imposition sacramentelle des mains ; jamais personne ne fut admis dans l'Église comme diacre, prêtre ou évêque, qu’il n’eût reçu valideraient le sacrement extérieur de la consécration.

La doctrine du caractère sacramentel se trouve déjà esquissée et même parfois poussée assez à fond dans la controverse des ordinations réputées invalides. Nous ne faisons qu’indiquer ici ce point, puisque toute la question doit être reprise à Réordinations. Il suffit ici de rappeler que l’ordre était considéré partout, au IVe siècle, comme un sacrement qui ne se renouvelait plus, pas plus pour le diaconat que pour la prêtrise et l'épiscopat ; cf. Canons apostoliques, lxviii. Si les Pères ne s’expriment pas en particulier sur le caractère sacramentel des trois impositions de mains (épiscopat, prêtrise, diaconat), ils s’accordent cependant pour le mieux avec la doctrine universellement admise sur l’institution divine des trois ordres, le caractère ineffaçable qui est l’effet de l’ordre et sur les pouvoirs inhérents à chacune de ces trois ordinations. La confusion établie par quelques Pères, notamment saint Cyprien et saint Basile, entre licéité et validité n’entame pas théoriquement ces principes absolus et universels.

/) Les Pères considèrent aussi unanimement que, de la part du sujet, le baptême est la condition absolument nécessaire à la validité de l’ordre reçu. Le concile de Nicée déclare invalide l’ordre des « paulianistes », précisément parce que leur baptême est invalide, can. 19, voir t. xi, col. 415. En ce qui concerne l’intention de recevoir le sacrement, nous n’avons pas, chez les Pères, au sujet de l’ordre, des explications aussi détaillées que pour les autres sacrements. Ce qu’ils nous disent de la contrainte imposée à plusieurs dans la réception des ordres doit être entendu en ce sens que, contraints par une force extérieure (par exemple, saint Jean Chrysostome et saint Ambroise), ils donnèrent cependant leur libre consentement dans leur consécration. Voir différents cas et leur solution dans Tixeront, L’ordre et les ordinations, p. 235 sq. Mais on se reportera surtout à la dissertation de Hallier, De sacris elect. et ordin., part I, sect. v, c. i, où sont examinés les divers motifs de refus de consentement, notamment l’humilité personnelle et le respect du sacrement, Cursus de Migne, t. xxiv, col. 408 sq. Ce qui amène, sous la plume de l'érudit théologien, une nouvelle dissertation sur l’opinion des Pères relativement au désir et à la fuite de l’ordination sacrée. Id., col. 437 sq. Enfin, les Pères enseignent unanimement que le sujet de l’ordination est un chrétien de sexe masculin. Jamais les femmes n’ont pu recevoir le sacerdoce ; cf. Tertullien, £>e præscript., 41 ; De velandis virginibus, 9, P. L., t. ii, col. 56, 902 ; S. Épiphane, Hær., lxxix, n. 2, P. G., t. xlii, col. 742. L’existence des diaconesses (voir ce mot, t. iv, col. 685) n’infirme en rien ce principe absolu.

2. Considérations morales.

-Des considérations particulières, à une époque où nul ne songeait à une systématisation dogmatique, portent principalement sur l’aspect moral du sacerdoce chrétien. Nous ne saurions nous en désintéresser ici.

Ces considérations s’inspirent des épîtres pastorales de saint Paul. Dès le IIe siècle, saint Ignace reprend ce thème dans l’admirable petit traité de pastorale qu’est la lettre à saint Polycarpe. Il y conlirme les droits de l'évêque, en insistant sur les devoirs qui leur sont corrélatifs. Il y déclare : 1° que la vigilance de l'évêque doit s'étendre au temporel comme au spirituel, i, 2, et qu’il ne doit rien laisser faire sans son autorisation ; 2° qu’il doit tenir ferme devant les hérétiques, « comme l’enclume sous le marteau », iii, 1 ; 3° qu’il doit être doux ; apaiser les violents par des lotions calmantes, ii, 1, mais qu’il ne faut pas cependant appliquer sur toutes les blessures le même emplâtre, ii, 1 ; qu’enfin, 4° il ne doit négliger personne, mais veiller sur tous, veuves, esclaves, époux, iv, v.

Plus tard saint Cyprien développe, sur un plan

différent, un thème analogue. Pour lui, le sacerdoce chrétien, qui est la suite du sacerdoce aaronique, tire sa majesté de l'élection divine qui désigne certains hommes pour le service de l’autel et pour une vie de prière. Comme les enfants de Lévi, et plus qu’eux, les clercs sont tenus à une entière séparation du monde. Epist., i, 1, édit. Hartel, p. 465. L’Apôtre veut qu’ils se tiennent en dehors des affaires séculières (II Tim., il, 4), et qu’ils vivent uniquement pour les sacrifices divins et les choses spirituelles. Dans une lettre célèbre aux chrétiens de Furni, Cyprien, au nom de ses collègues, rappelle ces vérités. Epist., i, 1-2, p. 465467. L’attachement aux biens de la terre engendre de nombreuses apostasies ; Cyprien ne ménage pas les évêques qui délaissent l'œuvre de Dieu pour se lancer dans les spéculations et courir après la fortune. Un demi-siècle plus tard, le concile d’Elvire devait légiférer pour réprimer ces abus. Can. 19-20. Le ministère sacerdotal suppose une vocation, l’ordinatio Dei, De cath. Eccles. unilate, 17, p. 226. L'élection divine se manifeste par les suffrages du peuple chrétien, auxquels l’intervention des pasteurs met le sceau par l’ordinatio clerica, Epist., xxxviii, 1, p. 579-580, ou ecclesiastica, Epist., lv, 8, p. 629-630. Cela est vrai, non seulement de l'évêque, mais, toutes proportions gardées, du prêtre et du diacre. L’ordination a pour effet de conférer le Saint-Esprit, principe des œuvres sacerdotales. Or le Saint-Esprit ne se trouve que dans l'Église catholique, donc aussi le pouvoir d’ordre. Epist., lxix, 11, p. 759. Pour Cyprien, licéité et validité ne font donc qu’un : principe d’une confusion qui sera la source de conflits inextricables ! Cf. A. d’Alès, La théologie de saint Cyprien, p. 308. Cyprien insiste également sur les vertus dont évêques et prêtres doivent donner l’exemple. Notons seulement que Cyprien recommande aux prêtres l’entière continence. Epist., lv, 8, p. 629.

II faut mentionner aussi les enseignements moraux de la Didascalie touchant la personne et les vertus de l'évêque, sur ses fonctions, sur son rôle de conciliateur et de juge, et aussi touchant la personne, les vertus, les fonctions du prêtre et du diacre (voir Didascalie des apôtres, t. iv, col. 742-743).

Parmi les œuvres de saint Éphrem, il faut relever de lui, simple diacre, un petit traité exaltant la dignité de l'état sacerdotal et la sainteté qu’il exige. Simple discours, cet opuscule est parfois édité à la suite du traité de saint Jean Chrysostome sur Je sacerdoce. Édit. Lamy, t. ni. p. 1-6.

Dans le plus important de ses discours d’occasion, le deuxième, Sur sa fuite, composé après son ordination sacerdotale, à son retour auprès de son père, saint Grégoire de Nazianze nous donne un vrai traité (117 chapitres) sur la grandeur du sacerdoce, P. G. t. xxxv, col. 407-514. Ce traité a servi de modèle, saint Jean Chrysostome dans son ouvrage sur le sacerdoce et à saint Grégoire le Grand dans son Pastoral. Le Traité sur le sacerdoce de saint Jean Chrysostome, œuvre d’un simple diacre (car il a été écrit probablement entre 381 et 385) est le premier grand ouvrage de pastorale qui ait été composé. Bien qu’il n’ait pas encore l’expérience du ministère sacerdotal, l’auteur y donne au prêtre, en une langue très pure, des conseils aussi pratiques que sages, en même temps qu’il lui montre la grandeur de sa mission avec une rare élévation de pensées. L’ouvrage est divisé en six livres, et revêt la forme du dialogue. Ce sont surtout les livres II et III qui sont consacrés à exalter la grandeur du prêtre. Pour l’analyse complète du traité, voir F. Cayré, Précis de patrologie, t. i, p. 463.

Le De officiis ministrorum de saint Ambroise renferme des préceptes destinés spécialement aux clercs : Tévêque de Milan recommande spécialement la chas

teté, t. I, c. l, d’une manière plus générale, la pudeur (verecundia) ou la modestie, id., c. xvii-xxiv.

Peu après, saint Innocent I" use de son autorité pontificale pour rehausser les vertus sacerdotales dans l’estime et la pratique des clercs. Il établit plusieurs irrégularités ; presse vivement l’observation des lois sur la continence des clercs ; défend aux clercs ordonnés par les hérétiques d’exercer leur ordre. Epist., xvii, c. iii, P. L., t. xx, col. 530.

Saint Jérôme, à plusieurs reprises, trace les règles de l’idéal sacerdotal. Voir, en particulier, Epist., i.n, à Népotien, P. L., t. xxii, col. 527-540 ; dont on peut rapprocher liv, à Furia, col. 550 sq. ; lxxix, à Salvina, col. 724 sq. ; cvii, à Lseta, col. 867 sq. ; cxxv, à Rusticus, col. 1072 sq. ; cxxvii, à Principia, col. 1087-1095.

2° L’enseignement traditionnel, depuis saint Augustin jusqu'à la fin de l'âge palristique. — 1. L’enseignement de saint Augustin relativement au sacrement de l’ordre rentre dans sa controverse générale avec les donatistes surl’efncacité des sacrements. Voir Augustin (Saint), t. i, col. 2416 sq. Saint Cyprien et les rebaptisants avaient requis dans le ministre du sacrement, pour la validité de ce sacrement, la foi : les donatistes exigeaient de plus la sainteté au moins extérieure. Saint Augustin s’applique à déterminer quelle part revient, dans la production et l’action du sacrement, au ministre qui le donne, et, par voie de conséquence, au sujet qui reçoit et au rite sensible. L’application des principes généraux formulés par Augustin l’amène, dans la controverse donatiste, à construire tout l’essentiel du traité de l’ordre, tel que les théologiens scolastiques le concevront.

Il faut, tout d’abord (ce que n’avait pas fait Cyprien), distinguer entre validité du sacrement et efficacité quant au fruit qu’on en retire : Non dislinguebatur sacramentum ab efjectu, vel usu sacramenti. De baptismo, VI, i, 1, P. L., t. xliii, col. 197. Aliud est non habere, aliud non utiliter habere. Id., IV, xvii, 24, col. 170 ; cf. I, i, 2 ; xii, 18, col. 109, 119. La validité du sacrement ne dépend ni de la foi, ni de la sainteté du ministre. Augustin établit cette proposition d’abord par la coutume de l'Église de ne réitérer ni le baptême, ni l’ordre à ceux qui, ayant reçu ces deux sacrements, ont passé ensuite au schisme ou à l’hérésie, puis sont revenus à l'Église. Bien plus, le prêtre ou l'évêque dissident baptise validement, confère validement les ordres. De baptismo, I, i, 2, col. 109. Une deuxième raison vient de la doctrine du caractère sacerdotal ou baptismal. On ne réitère ni le baptême, ni l’ordination, parce que l’un et l’autre sacrement impriment en qui les reçoit quelque chose d’indélébile qui persiste même dans le péché et dans l’hérésie : Nulla ostenditur causa cur ille qui ipsum baptismum amittere non potest, jus dandi potest amittere. Utrumque enim sacramentum est, et quadam consecratione utrumque homini datur : illud, cum baptizatur ; istud cum ordinatur ; ideoque in catlwlica utrumque non licet iterari. Contra epist. Parmeniani, II, n. 28, col. 70 ; cf. Epist., clxxiii, 3 ; clxxxv, 23, P. L., t. xxxiii, col. 754, 813. Ce texte est aussi explicite que possible et, bien compris, aurait dû prévenir toute controverse ultérieure sur les réordinations. Mais Augustin semblait identifier le pouvoir d’ordre et le pouvoir de baptiser. Ce n’est sans doute qu’une apparence. Mais la façon de s’exprimer de l'évêque d’Hippone a fourni aux théologiens du xie et xii c siècles matière à épiloguer. Du pouvoir de baptiser on se refusa à conclure à celui de consacrer l’eucharistie et d’ordonner. Cf. Saltet, Les réordinations, p. 68. Ce caractère, comparable à l’empreinte mise sur les monnaies impériales, à la nota militaris du soldat, au signe dont on marque les brebis du troupeau, est une consécration qui ne s’efface pas, id., ibid. ; saint Augus tin appelle le caractère sacerdotal ordinis Ecclesiee signaculum, De bono conjugali, 21, t. xl, col. 388 ; et loc. supra citât. ; cf. Tixeront, op. cit., p. 182-184. Le ministre, une fois validement ordonné, baptise et ordonne validement, même séparé de l'Église ; cf. De. bono conjugali, 32, P. L., t. xl, col. 394. Les sacrements que confère le ministre indigne ne sont pas ses sacrements, mais ceux de Dieu, ceux de l'Église, et son état moral ne fait pas que ce qu’il confère ne soit pas le don de Dieu, le don de l'Église : Qui solo sacramento sacerdos est… quamvis ipse non sit verax, quod dat tamen verum est si non det suum sed Dei. Contra lilteras Petiliani, II, 69, t. xliii, col. 281 ; Contra Cresconium, II, 12, col. 473.

Au sujet de l’efficacité du sacrement quant au fruit salutaire, saint Augustin a surtout étudié le problème posé par la réception du baptême de la main des hérétiques. Voir Augustin, t. i, col. 2417. Les mêmes principes peuvent être appliqués à l’ordre, ainsi que ce qui concerne l’intention requise dans le ministre. On sait que, sur ce dernier point, la doctrine de saint Augustin est encore assez hésitante. Voir Intention, t. vii, col. 2275, et Tixeront, Histoire des dogmes, t. ii, p. 406-407.

On trouve chez Augustin de nombreux détails sur les degrés de la hiérarchie, le mode de collation des ordres, la discipline en vigueur au ve siècle pour l’ordination des clercs : tout est conforme à ce qui a été exposé ci-dessus.

Relevons simplement que, pour saint Augustin, conformément à Apoc, xx, 6, tous les chrétiens sont en quelque façon prêtres : omnes sacerdotes, quoniam membra sunt unius sacerdotis (Christi). Le nom de prêtres toutefois convient spécialement aux prêtres proprement dits et aux évêques : eux seuls peuvent offrir le sacrifice, De civilate Dei, xx, 10, P. L., t. xl, col. 676.

On a déjà noté, Augustin, t. i, col. 2417, que l’autorité de saint Augustin a été invoquée en des sens divers au sujet de la validité des ordinations conférées par des hérétiques ; cf. C. Mirbt, Die Stellung Augustins in der Publicistik, Leipzig, 1888. ' Au point de vue moral, Augustin a tracé les devoirs des évêques et des prêtres dans un certain nombre de ses lettres, Epist., xxi, xxii, xxix, cxlii, ccviii, ccxxviii, et cclxvi, P. L., t. xxxiiii, col. 88, 90, 114, 583, 950, 1013, 1089. Il faut aussi signaler le De catechi : andis rudibus et le IVe livre du De doctrina christiana.

2. L’influence de la doctrine augustinienne.

Saint

Augustin exprimait la doctrine catholique, en enseignant la validité des sacrements administrés en dehors de l'Église. Mais, à Rome même, Innocent I er, saint Léon, Pelage, tout en professant les principes de saint Augustin, emploieront un langage qui contient une bonne partie des vieilles sévérités contre les sacrements des hérétiques et des schismatiques. Ces exagérations éloquentes fournirent, à bon nombre de théologiens des xie et xiie siècles, l’occasion de se fourvoyer.

a) L’enseignement du pape Innocent I eT, quoi qu’en aient pu penser certains théologiens du Moyen Age, est conforme à la doctrine augustinienne, soit qu’il s’agisse du cas des clercs ordonnés par Bonose, Epist., xvi ; xvii, n. 3, soit qu’il s’agisse des clercs ariens, Epist., xxiv, P. L., t. xx, col. 519, 530, 547. Sur l’un et l’autre cas, voir L. Saltet, op. cit., p. 68-73.

/)) Saint Léon donne au sacerdoce le nom de « sacrement », Epist., ix, 1 ; xii, 3, P. L., t. liv, col. 626, 648, mais sans en préciser le sens. Son enseignement sur l’ordre est plutôt disciplinaire, néanmoins quelques points méritent d'être retenus. La hiérarchie sacerdotale comprend trois grands ordres, l'épiscopat, la

prêtrise, le diaconat, qui doivent être donnés successivement. Epist., xii, 5, col. 652. Le sous-diaconat, qu’il appelle « quatrième ordre » est signalé par l’obligation du célibat qui, à plus forte raison, s’impose aux ordres supérieurs, Epist., xiv, 4, col. 672. L'éminente dignité que Léon reconnaît dans le sacerdoce lui en fait exclure les esclaves, Epist., iv, 1, col. 611 ; il les écarte surtout de l'épiscopat : sacrum ministcrium talis consortii vilitate polluitur. Ce n’est là ni orgueil, ni mépris des humbles ; il n’y faut voir qu’un hommage à la grandeur du ministère sacerdotal, celui-là même que rend saint Léon lorsqu’il veut qu’on dépose les clercs coupables, sans les mettre au rang des pénitents. Epist., clxvii, inquis. 2, col. 1203.

Dans la question dogmatique de la validité des ordinations faites en dehors de l'Église ou contre les canons, saint Léon est fidèle à la doctrine augustinienne. Voir la lettre aux évêques de Mauritanie en 446, Epist., xii, 6, col. 653. Il reste également fidèle à l’idée d’un sacerdoce entendu au sens large pour tous les fidèles. Serm., iv, 1, col. 148 ; cf. Léon 1°, t. ix, col. 290-291.

c) C’est encore la doctrine augustinienne qui inspire le pape Anastase II. En vue de régler le schisme d’Acace, il rappelle les principes traditionnels de la théologie catholique du sacrement de l’ordre : « La vertu du sacrement n’est pas diminuée par l’indignité du ministre… Le sacrement administré par un impie ne nuit qu'à cet impie ; aux autres, il apporte toute la perfection de sa vertu. » En conséquence, le pape reconnaît valides les ordinations faites par Acace et accueille les clercs ordonnés dans le schisme. Thiel, Epist. roman, pontif. genuina-…, p. 620, 622. Cette décision et cette doctrine ne faisaient d’ailleurs que reproduire des décisions antérieures de Félix III, Epist., xiv, et de Gélase, Epist., m Thiel, p. 268, 365.

d) Malgré des formules dures et ambiguës, c’est encore la doctrine augustinienne qu’on retrouve dans les décisions du pape Pelage I er, dans l’affaire des schismatiques d’Aquilée, P. L., t. lxix, col. 411, et dans celle de l'évêque Paulin de Fossombreuse. Dans la lettre aux magistrats Viatcur et Pancrace concernant cette deuxième affaire, le pape reprend une idée très augustinienne : non est enim Christi corpus quod schismaticus conficit, si veritate duce dirigimur, col. 412. Il s’agit, en effet, non pas de nier le pouvoir de consécration des prêtres ordonnés dans le schisme, mais de déclarer que le schismatique ne saurait célébrer l’eucharistie parfaite, c’est-à-dire l’union du Christ et du corps mystique du Christ qui est l'Église ; cf. S. Augustin, Serm., cclxxii, P. L., t. xxxviii, col. 1247. Sur la pensée de Pelage, voir Saltet, op. cit., p. 78-83, et Tixeront, Histoire des dogmes, t. iii, p. 417.

c) L’influence d’Augustin se maintient intégralement chez saint Isidore de Séville. La question de l’invalidité des ordinations schismatiques ou hérétiques ne se pose même pas pour lui. II a particulièrement étudié le sacrement de l’ordre dans ses Étymologies, VII, xii, P. L., t. lxxxii, col. 290, où il énumère les degrés de la hiérarchie, conformément à la doctrine des Statuta EcclesicT antiqua, mais surtout dans son De ecclesiasticis officiis, t. II, c. m-xv, P. L., t. lxxxiii, col. 779-794. Il traite des différents degrés de la hiérarchie, dans l’ordre suivant : évêque, prêtre, diacre, sousdiacre, lecteur, psalmiste, exorciste, acolyte, portier. Il remarque, d’ailleurs, avec les Statuta, que les chantres ou psalmistes n'étaient pas proprement ordonnés, mais pouvaient être délégués à leur office par un simple prêtre.

3. Saint Grégoire et le Pastoral.

L’aspect moral du sacerdoce chrétien domine le « Pastoral » de saint Grégoire le Grand. L’auteur l’a écrit vers l’an 591 et dédié à Jean, archevêque de Ravenne. Jean avait reproché au pape de s'être dérobé par la fuite à la

dignité suprême ; Grégoire se justifie, à l’exemple de saint Grégoire de Nazianze (voir ci-dessus, col. 1280), de saint Jean Chrysostome (voir ibid.), en relevant les grandeurs et les difficultés du ministère pastoral. L’ouvrage comprend en fait trois parties ; le chapitre unique dont se compose la quatrième est plutôt une simple conclusion, invitant le prêtre à rentrer en luimême pour se bien connaître. La première partie expose les qualités que suppose l’entrée dans les ordres et la hiérarchie : ad culmen quisque regiminis qiuditer veniat. La deuxième indique la vie (vertus et œuvres) que doivent mener les prêtres : ad hoc rite perveniens qualiier vivat. La troisième, la plus étendue et la plus importante, trace les règles de la prédication et de la direction à donner aux fidèles : bene vivens qualiier doceat. « La question de l'éloquence chrétienne avait été déjà trop bien traitée par saint Augustin pour que Grégoire pût renouveler un tel sujet. D’ailleurs, il s’y essaie à peine et s’attache à décrire les caractères divers des fidèles pour apprendre au prêtre à s’y adapter avec soin… Les deux premières parties ont efficacement contribué à élever le clergé à la hauteur de l’idéal très haut, mais bien réalisable, qui lui était ici présenté avec tant de force et d’autorité ». F. Cayré, Précis de patrologie, t. ii, p. 237.

Le Pastoral de saint Grégoire eut un succès extraordinaire. Le patriarche d’Antioche, Anastase II, le traduisit en grec ; mais cette version n’est pas parvenue jusqu'à nous. Pitra, Juris ceci. Gnvcorum liist. et monum., t. ii, Rome, 1868, p. 241. Une traduction française du Pastoral de saint Grégoire, par l’abbé J. Boutet, a été éditée à Paris, 1929 (coll. Pax).

Saint Grégoire eut aussi l’occasion d’affirmer la doctrine augustinienne de la non-itération de l’ordination. L'évêque de Ravenne voulait réordonner un diacre ou un prêtre qui, avant son ordination, avait commis quelque faute tardivement dévoilée. Saint Grégoire maintient la doctrine traditionnelle : Sicut baptizedus semel baptizari iterum non débet, ita qui consecratus est semel in eodem ordine iterum non valet consecrari. Epist., xlvi, P. L., t. lxxvii, col. 585.

4. La doctrine augustinienne au milieu des premières controverses relatives aux réordinations. — A partir du viiie siècle, toute la théologie de l’ordre est pour ainsi dire concentrée sur la question brûlante de l’efficacité du rite conféré par un hérétique ou un simoniaque. Il ne saurait être ici question d'étudier le fait des réordinations et des doctrines qui s’y rattachent : ce sera l’objet d’un article spécial. Néanmoins il est nécessaire de dégager les points que les controverses ont servi à mettre en relief et d’où, plus tard, jailliront les thèses scolastiques relatives au caractère indélébile de l’ordre, aux conditions de validité et de licéité dans l’administration du sacrement, à la distinction du pouvoir d’ordre et du pouvoir de juridiction.

Un principe fondamental demeure hors de contestation et domine toutes les controverses. Ceux qui ont réitéré le sacrement de l’ordre n’ont pu nier qu’ils faisaient une réordination matérielle ; mais ils ont toujours déclaré que cette réitération n'était qu’apparente, la première ordination étant nulle. On savait parfaitement qu’une ordination valide ne pouvait être réitérée, et qu’elle conférait à qui l’avait reçue un caractère indélébile. Ce principe général, admis de tous, se retrouve, comme aux temps de Cyprien et d’Augustin, à la base des solutions de fait les plus opposées.

Les divergences doctrinales porteront donc sur les conditions requises pour l’administration valide du sacrement, surtout en ce qui touche à la personne du ministre et à sa communion avec l'Église. A partir du vie siècle, mais plus encore aux ixe et xe, les pré DICT. DE THEOL. CATHOL.

T. — XI — 41

jugés, l’ignorance théologique, les passions politiques ou religieuses obscurciront manifestement la doctrine que le génie d’Augustin avait éclaircie. Voici, en bref, comment éclata le conflit qui devait se prolonger si douloureusement au sein de l'Église. « Les Grecs inclinaient à rejeter les ordinations des hérétiques. Dans le conflit qui divisa, au VIe et au vir 3 siècle, les Églises anglo-saxonnes et bretonnes, le moine cilicien Théodore, devenu archevêque de Cantorbéry. n’hésita pas à appliquer les principes dont il avait été imbu dans sa jeunesse et s’en fit une arme contre ceux qu’on appelait hérétiques quartodécimans, c’est-à-dire contre le clergé breton. Ceaida, northumbrien de naissance, avait été ordonné évêque d’York par l'évêque de Winchester assisté de deux évêques bretons ; Théodore le fit déposer et, regardant comme nulles les ordinations qu’il avait reçues, les lui fit toutes renouveler avant d’en faire un évêque de Lichfield. En même temps, il insérait dans son pénitentiel la prescription 26 : Si quis ab ereticis ordinalus sit, ilerum débet ordinari. » Tixeront, op. cit., p. 417-418 ; cf. Saltet, op. cit., p. 89. « Une brèche plus grave encore fut faite dans les principes augustiniens par le concile romain de 769, qui déclara nulles toutes les ordinations faites par le pape Constantin, usurpateur il est vrai, mais véritablement évêque, et obligea ceux qu’il avait ordonnés à recevoir de nouveau l’ordination, dans le cas où ils seraient choisis pour les fonctions auxquelles Constantin les avait élevés. "Voir les textes dans Saltet, op. cit., p. 101 sq. Ces faits et les formules exagérées de Pelage jetèrent dans la pensée théologique, sur la question de la validité des ordinations conférées par les hérétiques et les schismatiques, un trouble qui ne fit que s’accroître dans les siècles suivants. » Tixeront, ibid. Et pourtant, au début du ixe siècle, saint Agobard, évêque de Lyon, dans son petit traité De privilegio et jure sacerdotii, P. L., t. civ, col. 127-148, tient expressément que les fautes ou crimes personnels du prêtre ne lui enlèvent pas le pouvoir de faire et même, en certains cas, de conférer les sacrements. Ce petit traité est à lire, car il jette une lumière précieuse sur les difficultés d’avoir un bon clergé à cette époque : habemus sacerdotes quules possumus, écrit mélancoliquement Agobard, col. 140.

a) Chez Nicolas F 1 et Hincmur. — L’affaire d'Ébo, archevêque de Reims, déposé en 835, puis rétabli pendant un an (840-841), et enfin nommé par Louis le Germanique évêque d’Hildesheim, mort en 851. amena le concile de Soissons (853) à se prononcer sur les ordinations faites par l’archevêque déposé. Le rôle d’Hincmar, en l’occurrence, paraît entaché de duplicité. En effet, faisant proclamer les ordinations nulles, il voulut obtenir du pape Nicolas 1 er approbation de cette décision, tout en sollicitant la clémence du souverain pontife en faveur des clercs ainsi condamnés. Cette attitude lui valut des lettres très dures du pape, dans lesquelles il était accusé d’intrigue et même de faux. Nicolas I er posait nettement la question ; au sujet des clercs d'Ébo, il ne voulait pas entendre parler de grâce, mais de justice. Quelle qu’ait pu être l’indignité d'Ébo, les clercs qui, de bonne foi, se sont fait ordonner par lui n’en ont reçu aucun préjudice, en vertu de l’adage bien connu quod mali bona ministrando sibi tantummodo noceanl, nec Ecclesise sacramentel commandent. Epist., cvii, P. L, t. exix, col. 1100 ; cf. Saltet, op. cit., p. 133. Nicolas invoquait l’autorité de Léon Ie » et d’Anastase II (voir ci-dessus, col. 1280-1281). Hincmar dut accepter la thèse du pape et reconnaître la validité des ordinations d'Ébo.

Mais Hincmar avait une doctrine théologique personnelle sur l’objet, cause du litige, et il importe de

la signaler, pour montrer comment la pure tradition augustinienne restait vivante au milieu des controverses. Elle est formulée principalement dans un ouvrage que Bernold de Constance s’est attribué, mais dont l’essentiel doit être restitué à Hincmar. lie excommunicalis vilandis, de reconciliatione lapsorum et de fontibus juris ecclesiastici, P. L., t. cxlviii, col. 1181, publié également dans Mon. Germ. hist., Libelli de lite imperatorum et pontifteum, Hanovre, t. ii, 1892, p. 112 sq. Dans l’ensemble de son ouvrage, Hincmar veut montrer que les canons publiés aux diverses époques par les conciles et par les papes, loin de présenter des contradictions, comme on le pourrait croire, attestent au contraire une profonde unité. Dans le problème de l’admission dans l'Église des clercs ordonnés hors de l'Église, il faut distinguer le droit strict et le pouvoir de dispense, ce qui permet à l'Église de réaliser le bien tantôt par la rigueur, tantôt par l’indulgence. Quelle est la nature de l’imposition des mains par laquelle doivent être réconciliés les clercs ordonnés hors de l'Église, dans le schisme ou l’hérésie, mais qui, par dispense, sont admis à exercer leur ordre dans l'Église après leur conversion ? La solution, proposée par Hincmar, est traditionnelle et pleinement conforme aux principes augustiniens : « Il discute le cas, à propos de l’imposition des mains prescrite par le concile de Nicée pour la réconciliation des clercs novatiens, et il admet que c'était l’imposition des mains de la pénitence. Au point de vue historique, cette explication est fausse… Mais, au point de vue dogmatique, la solution d’Hincmar avait le grand avantage de ne porter aucune atteinte à la théologie de l’ordre. Elle proclamait qu’aucune partie de la litursie de l’ordre ne pouvait être réitérée. Cette affirnation avait une valeur inestimable. Hincmar énumère les diverses cérémonies auxquelles convient le nom d’imposition des mains ; il permet de les réitérer toutes, sauf celles de la confirmation et de l’ordre : cum vero pro conftrmatione uel ordinatione impenditur, non jam pro sola oralione, sed etiam pro sacramento habenda est, quod sancti Patres iterari prohibuerunt. Nam non minus peccatur, si cui manus pro conftrmatione vel ordinatione iterum imponitur. Mon. Germ. hist., Libelli, t. ii, p. 119 ; Saltet, op. cit., p. 136. Hincmar était ici plus théologien qu’au concile de Soissons !

b) Des actes de Nicolas /", Adrien II et Jean VIII, dans l’affaire de Photius et des clercs ordonnés par lui, on ne saurait tirer aucun argument contre la doctrine traditionnelle : ici non plus — la démonstration qu’en a faite L. Saltet est décisive — il ne fut pas question de déclarer les ordinations nulles, mais simplement sans effet au point de vue de la licéité et du pouvoir que nous appellerions aujourd’hui de juridiction. La réordination de l'évêque de Verceil, Joseph, par Jean VIII, se présente sous un jour différent : Jean VIII déclare la première ordination nulle par ce que conférée par un excommunié. Il ne met pas en doute le principe général de l’indélébililé du caractère conféré par l’ordre ; mais il se trompe en affirmant que l’excommunication empêche un évêque de transmettre le pouvoir d’ordre. Ce point sera tranché par la théologie postérieure ; cf. Saltet, p. 138152.

c) Les a/firmations théoloyiques traditionnelles dans l’affaire des ordinations du pape Formose : Auxilius et Vulgarius. — Voir Formose, t. vi, col. 597. La question de la validité des ordinations de Formose fut pour Auxilius (voir t. i, col. 2622) l’occasion d'écrire quelques ouvrages de défense. En 908, Auxilius écrit le traité In de/ensionem sacrée ordinationis pap.n Formosi ; puis, vers 911, un dossier patristique intitulé De ordinationibus pap.v Formosi ; enfin, à peu

près à la même époque, le dialogue Infensor et defensor. Auxilius oppose aux prétentions du pape Serge III une doctrine théologiquement exacte. Il établit une analogie complète entre le baptême et l’ordination : c’est bien là une idée augustinienne. Aucun de ces deux sacrements ne peut être réitéré. Il prouve cette doctrine par la lettre de saint Grégoire le Grand à l’archevêque de Ravenne : cf. col. 1 "281. La réitération de ces sacrements serait un acte hérétique. Les ordinations conférées en dehors de l'Église sont valides, comme le prouvent l’histoire de Libère qu’Auxilius qualifie, avec la notice légendaire du Liber pontipcalis, d' « hérétique », et les textes de saint Léon I er et d’Anastase II (voir ci-dessus, col. 1280 sq.) ; et les ordinations des évêques indignes ou intrus sont valides, tout comme celles de Vigile, le proscripteur et le remplaçant du pape Silvère. De ordinationibus, xxv, xxvii, xvi, xix, xx, P. L., t. cxxix, col. 1068, 1066, 1069 ; In/ensor, c. v-vi, col. 1082.

Les livres d’Auxilius nous permettent également de situer l’introduction des onctions dans le rite de l’ordination sacerdotale. On peut la fixer à la seconde moitié du ixe siècle. Mais un point doctrinal plus important retint son attention. « Par une argumentation ad hominem, ceux qui niaient la valeur des ordinations faites par Formose, reprochaient à ce pape de s'être fait réordonner évêque à l'époque de son intronisation à Rome ; il aurait reçu alors une seconde imposition des mains. Auxilius répond en niant le fait. Mais, ajoute-t-il, la réitération de l’imposition des mains de l'épiscopat aurait-elle eu lieu, ce serait un fait sans conséquence ; d’après saint Jérôme (Epist., cxlvi, P. L., t. xxii, col. 1192), il y a identité entre l'épiscopat et le presbytérat. Dès lors, la consécration épiscopale n’a pas la signification qu’on pourrait croire ; elle complète seulement le presbytérat. D’une manière analogue, la consécration pontificale de Formose a complété sa consécration épiscopale… Cette question, relative à la différence de l'épiscopat et de la prêtrise, devait occuper longtemps, dans la suite, les théologiens. » Saltet, op. cit., p. 159-160 ; cf. Defensor, col. 1096. Auxilius admet d’autre part qu’une ordination imposée par violence est valide. Id., col. 1075-1076.

Les mêmes principes théologiques de la validité des ordinations faites en dehors de l'Église sont repris, à l’occasion de l’affaire Formose, par un professeur de grammaire de l’Italie méridionale, EugeniusVulgarius, De causa et negotio formosi papæ, P. L., t. cxxix. Ici encore, la condition du baptême et celle de l’ordination sont identifiées, quant à la validité et à la permanence dans l'âme. La réalité qui est l’effet de ces sacrements y est très nettement décrite. A ceux qui prétendent que, par la déposition et par l’excommunication, Formose a perdu le pouvoir d’ordre, Vulgarius répond que l’ordination, pas plus que le baptême, ne peut être enlevée de l'âme : elle en est inséparable. Necesse est ut concludas, sacerdotium ab accepta inseparabile sicut baptismum ; auf si non, aliud esse donum baptismi, aliudque sacerdotii, quod dictu impium est. Col. 1108.

Obscurcissement de l’enseignement traditionnel.


Les luttes politico-religieuses du ixe et du xe siècle, jointes à l’affaiblissement de la théologie, créent dans l’enseignement catholique une véritable méconnaissance de la théologie du sacrement de l’ordre. Il faudra trois siècles de luttes et de controverses pour revenir à la doctrine que nous venons de trouver sous la plume de Vulgarius, que l’ordre, comme le baptême, reste inséparable de l'âme qui l’a reçu et pour affirmer que le pouvoir d’ordre ne saurait jamais être lié par l'Église au point de devenir inefficace et inerte. « Dans l’intervalle se place non un développe ment doctrinal, mais une régression théologique de longue durée et de grande portée… De cette régression, relative à la doctrine sur les conditions de validité du pouvoir d’ordre, on chercherait en vain un équivalent dans quelque autre domaine de la théologie catholique. » Saltet, op. cit., p. 162.

Ce n’est pas à dire cependant qu’il n’y ait plus aucun défenseur de la bonne doctrine. On peut citer Luitprand dans son Antapodosis, i, 30, qui affirme nettement la validité des ordinations conférées hors de l'Église : Benedictio siquidem qu ; v ministris Christi impenditur, non per eum qui videtur sed qui non videtur, sacerdolem infunditur. Neque enim qui rigat est aliquid sed qui incrementum dat, Deus. P. L., t. cxxxvi, col. 804. Mais ces affirmations deviendront de plus en plus rares au fur et à mesure que la papauté ellemême souscrira à la thèse de la nullité des ordinations simoniaques et schismatiques. Ce que l’on pourra recueillir, dans l'étrange théologie qui prétend appuyer cette tradition nouvelle, ce sont des points de vue particuliers, des arguments nouveaux, dont la théologie traditionnelle tirera, le moment venu, quelque précision heureuse ou quelque occasion de progrès.

1. Problème de la consécration épiscopale du diacre : Rathier de Vérone. — Il s’agissait de la validité des ordinations sacerdotales conférées par l’intrus Milon. Conformément aux décisions du synode romain de 769 touchant les ordinations de l’intrus Constantin, Rathier tenait pour nulles les ordinations faites par Milon. On lui objectait : des prêtres ordonnés par Milon ont été ensuite, par d’autres, consacrés évêques ; c’est donc que le sacerdoce reçu des mains de Milon est réel et valide. A quoi Rathier répond : cet argument ne vaut rien, car la consécration épiscopale conférée à un simple diacre lui donne, par le fait même, le sacerdoce, P. L., t. cxxxvi, col. 477. C’est, sous une forme nouvelle, la question de l’identité substantielle de l'épiscopat et du presbytérat. Les théologiens s’empareront de cette donnée pour y apporter une solution.

2. La théologie de saint Pierre Damien.

Sous saint Léon IX, la thèse de la nullité des ordinations simoniaques a fait de grands progrès. En général, les partisans de la réforme, soutiens de la papauté et chrétiens exemplaires, estiment que ces ordinations sont invalides : dans ce jugement, en soi erroné, ils sont poussés beaucoup plus par le dégoût que leur inspirent les clercs simoniaques que par le souci de la vérité théologique. Les adversaires de la réforme et les simoniaques eux-mêmes tiennent pour la validité et, sans grand souci de la vérité sans doute, en sont les défenseurs. Le pape Léon IX n’a pas de doctrine bien nette. En général, il considère comme valides les ordinations gratuitement reçues de prélats simoniaques et comme nulles celles reçues à prix d’argent. Voir t. ix, col. 325.

C’est dans ces conditions que saint Pierre Damien essaie de construire une théologie sur le pouvoir d’ordre, théologie traditionnelle dans ses lignes principales, et pourtant mélangée d’idées moins acceptables. Cette théologie est exposée dans le Liber gratissimus, dans Mon. Germ. hist., Libelli…, t. i (et P. L., t. cxi.v, col. 90). Damien établit certains principes, dont il fait ensuite l’application aux simoniaques. Le pouvoir d’ordre, dit-il, est un pouvoir ministériel. Dieu a fait les clercs non auctores baptismi, sed ministros. Ainsi en est-il des autres sacrements. Or, le ministre est un canal qui transmet la grâce. Les mauvais ministres ne sont donc pas un obstacle à cette transmission : Fons ille vivus non restringitur quominus, usque in fmem secculi, per nemus Ecclesise projluat, ut non solus ille sacerdotalis ordo, sed et omnes in Christo renali salutis suæ poculum hauriant. Op. cit..

p. 20 et 33. Il ajoute toutefois une restriction regrettable : pour être valide, l’ordination doit être conférée dans la foi orthodoxe à la Trinité, si recta fides adsit, videlicet ut in Patrem et Filium et Spiritum sanctum recte credatur, indigni etiam cujuslibet sacerdolis consecratio indifjerenter impletur. Id., p. 51.

Pierre Damien ne considérant pas les simoniaques comme hérétiques, il devait naturellement conclure que leurs ordinations, quoique irrégulières, étaient valides. C’est en ce sens qu’il orienta sa décision lors de sa légation à Milan. On a dit comment cette décision ne fut pas ratifiée par Nicolas II et comment Damien dut introduire dans sa doctrine une rectification, déclarant que les clercs simoniaques, après les décisions de Nicolas II, doivent être tenus comme s’ils n’avaient pas reçu l’ordination. Le « comme si » semble bien maintenir le principe de la validité. Voir Damien, t. iv, col. 53.

3. La théologie du cardinal Humbert.

Humbert (voir t. vii, col. 310) représente la tendance opposée à Pierre Damien, dont il n’a ni le calme, ni la sérénité, ni surtout les principes traditionnels, touchant l’indélébilité du pouvoir d’ordre et l’efficacité du rite d’ordination. Dans son ouvrage Adversus sirnoniacos, dans Mon. Germ. hist., Libelli…, t. i (et P. L., t. cxliii, col. 1005), et où il semble bien réfuter le Liber gratissimus de Damien, Humbert fait sienne la doctrine de saint Cyprien et des canons des Apôtres, p. 114. Les sacrements administrés par les hérétiques sont nuls : il faut les réitérer. Défigurant la pensée de saint Léon dans sa lettre clix, Humbert déclare qu’administrant le baptême, les hérétiques possèdent formam lantum baptismi sine sanctificationis virtute, p. 105. Cette forma baptismi n’est qu’une apparence, c’est la simple ablution du corps ; elle ne produit aucune espèce d’effet intérieur. Aussi pouvait-on précédemment la réitérer. Aujourd’hui l'Église se contente, en ce qui concerne le baptême reçu d’un ministre hérétique, de lui conférer après coup l’efficacité par le rite de l’imposition des mains. Aucune dispense pareille ne pourrait être accordée pour valider une ordination faite par les hérétiques : celle-ci est radicalement nulle. Pourquoi cette différence ? C’est que le simoniaque (qu’Humbert identifie avec l’hérétique, p. 105 et 109) voit son pouvoir d’ordre immédiatement lié : il devient inerte ou statunculus, p. 125, 126. Toutes les autorités patristiques qu’on peut apporter en faveur de la doctrine opposée n’ont aucune valeur ; il faut, en effet, les entendre en un sens impropre et vulgaire, p. 124.

Par elle-même, cette théologie ne comporte rien qui puisse directement marquer un progrès dans la conception catholique du sacrement de l’ordre. On remarquera cependant qu’elle transpose, en faveur d’une thèse que l’avenir condamnera, bien des éléments que les grands théologiens du Moyen Age recueilleront précieusement pour en faire le thème de leurs enseignements : distinction entre le sacramentum lantum et le res et sacramentum ; reviviscence des sacrements ; sans compter la thèse traditionnelle de l’efficacité ex opère operato.

Le concile romain de 1059, sous Nicolas II (voir Denz.-Bannw., n. 354), tout en se montrant d’une sévérité peu commune à l'égard des clercs simoniaques, n’avait pas encore déclaré nulles leurs ordinations ; il ne constituait pas encore un triomphe pour les idées du cardinal Humberl. Le concile de Girone apporta ce triomphe. On y déclarera officiellement la nullité des ordinations simoniaques, soit reçues pour de l’argent, soit même reçues gratuitement d’un prélat simoniaque. Mais nous sommes ici sous le pontificat d’Hildebrand, où, malgré l'âpreté de la lutte, ou peut-être même à cause d’elle, la théologie tradition nelle va pouvoir recommencer à émettre quelques vérités trop longtemps obscurcies.

4. La théologie du sacrement de l’ordre sous le pontificat de Grégoire VII (1073-1085). — a) Les représentants de la doctrine de Pierre Damien au SacréCollège. — La théologie de Pierre Damien est continuée par Atto de Milan, cardinal-prêtie de SaintMarc, dans un recueil de morceaux patristiques et scripturaires, transcrits sans titre et sans commentaire, publié par A. Mai, Scriptorum veterum nova collectio, t. vi, p. 60 sq., Rome, 1832. On y trouve des textes très explicites sur la valeur des sacrements administrés en dehors de l'Église : la lettre du pape Anastase II (voir ci-dessus, col. 1281) ; la lettre de saint Léon à Anatolius de Constantinople, P. L, t. liv, col. 1101. Ces textes devaient servir à expliquer les deux décisions d’Innocent I er, supra, col. 1280.

Anselme de Lucques qunior) a publié une Collection canonique encore inédite. Voir Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. iii, col. 492. La doctrine suggérée par cette collection est celle de la validité des sacrements administrés en dehors de l'Église. D’ailleurs, répondant à l’antipape Clément III (Guibert) qui reprochait aux grégoriens de considérer comme nuls les sacrements administrés en dehors de l'Église, Anselme répond : Detestamur, non sacramenta Ecclesiw, sed scismasticos et sacrilegos, quorum parricidalibus manibus sese sacramenta divina subtraxerunt… Sanctum quippe suum, quod foris habetis, quod malo vestro accepistis, quia bono odore peristis, veneratur Ecclesia, sed vos persequitur, ut Sara ancillam, qu ; v tamen de semine Abrahx concepil et peperit. Liber contra Wibertum, dans Mon. Germ., Libelli, t. i, p. 522.

b) Les continuateurs d' Humbert. — Sous Grégoire VII, le cardinal Deusdedit (voir t. iv, col. 647) composait la collection canonique qui devait former la charpente de son Libellus contra invasores et sijmoniacos. Bien que cet ouvrage ait paru postérieurement au pontificat de Grégoire VII, il représente des idées dont s’inspira plus d’une fois la curie romaine sous ce pontife. Il accumule les textes les plus défaforables à la validité des sacrements administrés en dehors de l'Église. Sans doute, le baptême donné dans ces conditions ne se renouvelle pas, mais d’après Deusdedit, il ne confère pas le Saint-Esprit, qui ne peut être donné que par l’imposition des mains lors de la réconciliation de ces baptisés. Notre cardinal estime que l’eucharistie des schismatiques et des simoniaques est nulle et ne contient pas le corps de Jésus-Christ. Pour l’administration du sacrement de l’ordre, une ordination simoniaque est nulle : il dépend de l'Église d’accepter ou de rejeter telle ou telle ordination. Si la réordination est interdite à l'égard de ces clercs, c’est pour une raison, non dogmatique, mais canonique ; cf. Saltet, op. cit., p. 246.

La théologie de Deusdedit fut mise en pratique par le légat Amat d’Oloron, principalement dans les décisions du concile de Girone. Prescrivant la réordination des clercs simoniaques, le légat aura voulu sans doute faire face à une situation exceptionnelle, ne pouvant déposer la plus grande partie du clergé.

c) L’intéressante évolution de Bernold de Constance. — Bernold de Constance, voir t. ii, col. 791, était un jeune clerc de Constance qu’intéressait vivement la question de la nullité ou de la validité des ordinations simoniaques. De concert avec son maître Adalbert, il adressa une consultation à Bernhard. un de ses maîtres, à ce sujet. La question posée laisse visiblement voir que Bernold penche pour la nullité des ordinations. La réponse de Bernhard (dans Libelli, t. ii, p. 29. et P. L., t. cxlviii, col. 1143) admet que les simoniaques et les excommuniés dont le crime

et la condamnation ne sont pas connus peuvent administrer validement les sacrements. Dans le cas où leur situation vient à être connue, ils ne peuvent plus administrer validement les sacrements. La thèse est appuyée de plusieurs documents. Mais Bernhard a fort bien vu la difficulté de sa thèse : un même ministre administrerait les sacrements ou non, suivant que sa situation serait connue ou non ! Pareille assertion ne laisse rien subsister de la valeur objective des sacrements et de l’efficacité ex opère operato. C’est, répond Bernhard, le mystère de la foi, loc. cit., p. 40.

Bernold ne se tint pas pour satisfait. Dans une lettre (Libelli, t. ii, p. 47, et P. L., t. cxlviii, col. 1166), il montre combien il répugne que les mêmes espèces eucharistiques soient consacrées ou non, suivant qu’elles sont données à un chrétien averti de la situation irrégulière du ministre ou à un autre qui ne le serait pas. Quant aux ordinations, il y a des divergences entre les témoins de la tradition : les uns les déclarent valides, les autres invalides. Comment accorder les décisions contraires ?

Ici, Bernold s’inspirera de la thèse esquissée par le cardinal Humbert à propos du baptême et la transportera à l’ordre. Il évoque ainsi la théorie de la forma sacramenti : Harum igitur sententiarum repugnantiam eoncordare nescimus, nisi hoc auctoritati Sedis apostoliav, cum consensu sanctæ matris Ecclesiæ, licitum fore dicamus, ut, pro aliqua lemporis necessitate, ordinatos ab hærelicis, per invocationem sanctæ Trinitatis in ordine suo non reconsccrandos suscipiat ; quos tamen a’Jquando, ad evidentiorem hæreticæ ordinationis proscriplionem, reconsecrari pracipiat… Hinc igitur conjicitur ordinatos ab hæretico non consecra TIONEM ALIQUAM ACCEPISSE, SED SOLAM FORMAM

consecrationis, absque virtute sanctiftcationis — quæ utique forma, sive accepta virtute sanctificationis, ex consensu sanctæ Ecclesia', a conversis retineatur sive per iteralionem penitus proscribatur, ad præsens non occurrit quid rationabiliter objici possit. Op. cit., p. 56. Bernold ne connaissait pas l’ouvrage d’Humbert. Il est remarquable qu’il interprète, comme le cardinal, la forma sacramenti dont ont parlé saint Augustin et saint Léon. Cette forma n’est qu’une apparence, un rite extérieur. Cette interprétation n’est qu’un soupçon très lointain de la doctrine du caractère. Mais elle laisse admettre la possibilité des réordinations. Ainsi, Bernold transformait une question de dogme en une affaire de discipline. Selon lui, il dépendait de l'Église d’admettre ou non une ordination faite en dehors d’elle. Il ajoutait que, de fait, les simoniaques et les excommuniés dont la condamnation n’est pas connue, peuvent validement administrer les sacrements per consensum Ecclesite. Ainsi expliquait-il les décisions d’Anastase II. Enfin, Bernold émet une dernière opinion. Se préoccupant des ministres qui, sans devenir hérétiques, sont pourtant, en raison de quelque -faute, remoti ab officio, c’est-à-dire, comme nous dirions aujourd’hui, suspens ou déposés, il lui semble que la permanence du pouvoir d’ordre est garantie en eux par saint Augustin. Il désigne ces clercs comme quondam catholice ordinati ou ordonnés dans l'Église, par opposition à ceux qui sont ordonnés par des hérétiques. « C’est là, ajoute M. Saltet, op. cit., p. 211, une distinction qui, bien des années plus tard, allait avoir la plus grande fortune, au point de commander toute la théologie des sacrements. Entre les deux théories opposées, dont l’une déclarait nulles et l’autre, valides. les ordinations conférées en dehors de l'Église, une opinion intermédiaire trouva d’illustres patrons. Ils déclarèrent valides les ordinations faites, en dehors de l'Église, par les seuls évêques quondam catholice ordinati. »

Sans nous arrêter longuement aux Apologeticæ rationes (Libelli, t. ii, p. 99 ; P.L., t. cxlviii, col. 1067) où Bernold, s’appuyant sur les autorités de saint Grégoire, de Pelage, d’Innocent I er, de saint Léon que nous connaissons déjà, et sur Prosper d’Aquitaine, Sent, ex Augustino, xv, P. L., t. li, col. 430, entend démontrer que les sacrements administrés par les excommuniés sont nuls, il est plus intéressant de constater que, peu de temps après, Bernold en arrive à une théologie tout à fait exacte. Celle-ci 'est contenue dans le traité De sacramentis cxcommunicatorum. Libelli, t. ii, p. 89, et P. L., t. cxlviii, col. 1061. Bernold a découvert ici la véritable doctrine de saint Augustin. Il mentionne d’abord les autorités qui semblent déclarer nuls les sacrements administrés en dehors de l'Église : ce sont les quatre textes déjà rappelés. Puis, il indique les autorités qui se prononcent pour la validité des sacrements administrés dans les mêmes conditions : la lettre d’Anastase II et un texte de saint Augustin, Epist., xciii, n. 46, P. L., t. xxxiii, col. 343. Ce qui a ouvert les yeux de Bernold, c’est le texte tiré du 1. VI du De baptismo d’Augustin contre les donatistes, où le Docteur d’Hippone distingue entre le sacramentum et Veffectus sacramenti (voir col. 1279). D’après saint Augustin, c’est parce que saint Cyprien n’a pas vu cette distinction qu’il a eu une doctrine erronée. Bernold a fort bien compris l'évêque d’Hippone et montre comment les textes qui paraissent divergents conduisent à la même théologie. Superiores sententiæ ad effectum sacramenti referantur, qui nusquam extra Ecclesiam esse posse veraciter asseritur, et inferiores ad veritatem sacramentorum referantur, quæ eadem integritate et bonis et malis adesse creduntur ac si uno ore ipsi sancii Patres nobis communiter dicerent : Extra Ecclesiam nec sunt, nec fiunt sacramenta effective, id est cum salute animæ, ubi tamen eadem inutiliter, imperniciose et esse et fieri non denegamus. Bernold est d’autant plus assuré de tenir la bonne voie qu’il constate que plusieurs papes, saint Léon, Innocent I er, saint Grégoire, ont finalement accepté les sacrements de ministres sur le compte desquels il s'étaient exprimés de la manière la plus négative. Il cite de plus une série de textes de saint Augustin fort bien choisis ; il démasque la supercherie qui attribue à Pascal I er une lettre de Guy d’Arezzo ; cf. Saltet, op. cit., p. 1791sq. ; enfin, il écarte de propos très délibéré la prétendue autorité des synodes romains de 769 et 964 dans lesquels les ordinations des papes Constantin et Léon VIII étaient déclarées nulles : précédents peu anciens, écrit Bernold, in quibus temporibus mulla contra fas et jus usurpata reperiuntur. Il ne faut pas transformer les abus en règles.

Il ne faut pas d’ailleurs exagérer le mérite théologique de Bernold ; c’est grâce à la doctrine du Liber graiissimus de Pierre Damien et à la collection canonique d’Anselme de Lucques junior qu’il doit son évolution dans le sens de la vérité traditionnelle. « Bernold, écrit M. Saltet, doit passer uniquement pour un compilateur intelligent et sans parti pris. » Op. cit., p. 217.

5. Les innovations théologiques sous Urbain II. — La théologie qui a inspiré les décisions d’Urbain II n’a pas encore été complètement mise à jour. Au xiie siècle, toute une école de canonistes de Bologne a attribué à Urbain II la doctrine suivante : En fait de sacrements administrés en dehors de l'Église, c’està-dire dans le schisme ou dans l’hérésie, sont seuls réels ou valides ceux qui ont été conférés par un ministre précédemment ordonné dans l'Église, c’est-à-dire par les catholiques ; sont nuls les sacrements des ministres ordonnés par des évêques qui ont reçu leur consécration en dehors de l'Église. C’est, en somme, la thèse

fondamentale inaugurée par Bernold. Il y a, en réalité plus de nuances à observer dans la pensée d’Urbain II.

Tout au début de son pontificat (1088-1099), Urbain II, en effet, fait une condition privilégiée aux sacrements conférés par des ministres précédemment catholiques et non simoniaqucs. Il admet que les sacrements donnés par de tels ministres intra ou extra Ecclesiam sont de même nature, tous valides et complets. Quant aux sacrements administrés en dehors de l'Église, par des ministres ordonnés extra Ecclesiam, il les considère (l’eucharistie exceptée) comme valides, mais incomplets C’est la théorie que M. Saltet appelle de Vordinatio catholica. Cette doctrine que nous connaissons surtout par Bruno de Segni, Comment. in Johannem, P. L., t. clxv, col. 533, est à la base d’une courte réponse faite par Urbain II à l'évêque Anselme de Milan : eorum qui in Ecclesia ordinati sunt, sed ab Ecclesia per scismata discesserunt, non exsufllamus. Sur le sens de ce dernier mot, voir Saltet, op. cit., p. 225-227.

Postérieurement, Urbain II a été amené à identifier la condition des sacrements administrés en dehors de l'Église, que le ministre ait été ou non précédemment ordonné dans l'Église. Ainsi, désormais, pour lui, tous les sacrements administrés en dehors de l'Église sont valides, mais incomplets. L’idée de l’ordinatio catholica semble abandonnée, au moins partiellement. Urbain lui substitue la doctrine, qu’il croit trouver chez les Pères, de la forma et de la virtus sacramenti II lui semble que ce fondement patristique est très bien exprimé dans la phrase suivante de Léon le Grand : Hi qui baptismum ab hæreticis acceperunt, cum baptizati antea non fuissent, sola Sancti Spiritus invocatione, per impositionem manuum, conflrmandi sunt, quia formam tantum baptismï sine sanctificationis virtute sumpserunl. Epist., CLIX, 7, P. L., t. liv, col. 1139.

Si forma signifie le caractère sacramental, la formule est parfaite. Mais au xie siècle, elle n’a pas été comprise en ce sens : on n’a vu dans la forma que le rite matériel, extérieur. D’après le cardinal Humbert, voir col. 1287, il dépendrait de l'Église d’admettre la forma du baptême donné par un hérétique ou de la rejeter ; ainsi, la notion de forma fut étendue bientôt à l’ordination conférée par les hérétiques. Nous avons vu que Bernold avait d’abord pensé qu’il dépendait de l'Église d’accepter ou de réitérer cette forma, laquelle, en somme, est une réalité extérieure qui n’engage pas Dieu ni l'Église à grand’chose. LIrbain 1 1 s’inspire de ces principes pour proclamer que les ordinations et autres sacrements conférés par des ministres criminels, mais appartenant à l'Église, doivent être tenus pour valables ; que les ordinations et autres sacrements conférés par des hérétiques ou des schismatiques possèdent la forme des sacrements, sans en avoir l’efficacité, et que cette efficacité ne pourra s’exercer que par le retour à l'Église dans l’imposition des mains, Epist. ad Lucium, P. L.. t. en, col. 531, et Urbain prétend s’appuyer ici sur l’autorité de Pelage, Grégoire le Grand, Cyprien. Augustin, Jérôme.

Cette doctrine de la forma sacramenti comporte de gTaves défauts. On peut se demander en quoi elle consiste ? que valent les sacrements réduits à cette seule forme ? quelle sera la manière de la compléter pour rendre aux sacrements leur virtusl En ce qui concerne l’eucharistie, il semble bien que, réduite à la forma sacramenti, l’eucharistie ne comporte plus la présence réelle ; cf. Gerhoh, De scismalicis, dans Mon. Germ. hist., Libelli, t. iii, p. 127, 261. On comprend donc les hésitations d’Urbain II. « Il a admis, en théorie, que tout sacrement administré en dehors de l'Église manque de la virtus sacramenti, conformément à la

lettre à Lucius de Pavie ; en pratique, il a considéré comme très différents les sacrements administrés en dehors de l'Église, suivant l’origine de la consécration du ministre. Comment expliquer cette inconséquence ? Il semble bien que ce soit à cause de l’idée très défavorable que les théologiens d’alors se faisaient de la forma sacramenti : c'était une réalité purement extérieure que, suivant Bernold, première manière, et le cardinal Deusdedit, l'Église peut accepter ou réitérer : c'était donc un prope nihil comme certaine entité scolastique. Pour LIrbain II, c'était davantage : une réalité qui empêchait la réitération du sacrement. Pareille réalité, même ainsi affermie, était cependant trop réduite pour qu’Urbain II se résignât à ne voir qu’elle dans les sacrements administrés hors de l'Église par des ministres précédemment catholiques. Le seul fait de sortir de l'Église ne lui paraissait pas avoir une telle influence sur les sacrements conférés par un seul et même ministre. » Saltet, op. cit., p. 230.

La doctrine de la forma sacramenti amène Urbain II à réconcilier les prêtres et évêques ordonnés par des excommuniés par la réitération de tous les rites de l’ordination, sauf l’onction. Voir les références dans Saltet, op. cit., p. 233. C’est équivalemment déclarer que l’onction est le rite essentiel de l’ordination des évêques et des prêtres. Cette doctrine du rite essentiel de la consécration, qui contraste si fort avec les enseignements de l’antiquité, se retrouve plus tard dans un texte de Gratien et chez Maître Bandinus, P. L., t. cxcii, col. 1104. Cette théorie fut conçue par analogie avec le rite de la réconciliation des laïcs, lequel dans l'Église latine, ne comportait aucune onction, mais la seule imposition des mains. Par contre, les ordinations des diacres, où n’intervenait aucune onction, étaient purement et simplement réitérées. Voir le cas classique du diacre Daibert, dans Yves de Chartres, Panormia, III, lxxvi, P. L., t. clxi, col. 1147 sq. Yves de Chartres acceptait lui-même la réordination. Toutefois Yves insiste à plusieurs reprises sur un texte d’Augustin qui place la valeur du sacrement en dehors de la dignité du ministre. Op. cit., III, lxxix ; Decretum, II, c. c ; Epist., lxiii, P. L., t. clxi, col. 1148, 187 et 80.

Telle était la doctrine de la forma sacramenti, dans laquelle il ne semble pas qu’on doive chercher, avec le P. Hurter, Theologiiv dogmaticæ compendium, t. iii, p. 224, Innsbruck, 1900, l'équivalent de notre doctrine actuelle de la reviviscence de la grâce. L’interprétation que nous avons donnée, après M. Saltet, semble tellement s’imposer, qu’elle est la seule qui puisse se concilier avec les décisions du concile de Plaisance (1094) relatives aux ordinations faites par des excommuniés.

6. La théologie de Bruno de Segni.

Aux décisions

d’Urbain II se rattache la théologie de son confident, l'évêque de Segni. Théologie sacramentaire assez curieuse, et surtout confuse. Bruno admet que toute ordination simoniaque donne la forma sacramenti ; mais quand il s’agit d’expliquer comment un simoniaque peut conférer la grâce à un ordinand de bonne foi, il laisse de côté le pouvoir d’ordre du consécrateur et rattache l’effet de l’ordination à la foi de l’ordinand et à celle de l'Église.

Une première interprétation de cette idée serait que Bruno reconnaît comme seules valides, les ordinations faites aux ordinands de bonne foi ; cf. Gigalski, Bruno, Bischof von Segni, Munster, 1898, p. 184. Cette interprétation est inadmissible ; elle supposerait que Bruno n’admet pas chez les évêques simoniaques la forma sacramenti. Il vaut mieux dire que l’efficacité ex fide suscipientis concerne, non la forma sacramenti, qui est toujours donnée, mais la grâce. Cf. Saltet, p. 253.  !)'.

7. Les théologiens du début du XIIe siècle. — Les décisions du concile de Guastalla (1106) ; cf. Denz.Eannw., n. 358, avaient marqué un retour très net en faveur des doctrines augustïnierines : elles proclamaient équivalemment la validité des ordinations schismatiques et même simoniaques. Mais il s’en faut que la pensée théologique soit éclaircie

A cette époque, en efîet, Alger de Liège, dont la dépendance doctrinale à l'égard d’Yves de Chartres est assez nettement accusée, est encore fort hésitant. Dans son Liber de misericordia et justifia, il est d’accord substantiellement avec Pierre Damien, bien qu’il range les simoniaques parmi les hérétiques. Sans doute, leurs sacrements et leurs ordinations sont valides, mais elles ont tout juste le minimum de valeur que la théologie ne permet pas de refuser aux sacrements des ariens, P. L., t. clxxx, col. 936, 946. Alger, contrairement à Pierre Damien, reconnaît les sacrements des ariens comme valides. II ne rejette que les sacrements administrés par des sectes antitrinitaires.

Hugues d’Amiens, abbé de Reading, dans une première réponse à son parent Mathieu, prieur de SaintMartin-des-Champs à Paris, puis cardinal-évêque d’Albano, avait déclaré que, sauf dispense de l'Église, les peines ecclésiastiques dont peuvent être frappés les prêtres ou les évêques, laissent subsister le sacrement de l’ordre chez le coupable, mais suppriment en lui tout pouvoir sacramentel actif, sauf celui de baptiser. Il distingue entre sacramentum et officium, possession du sacrement et pouvoir de le transmettre. Textes dans Martène et Durand, Thésaurus novus anecdotorum, t. v, Paris, 1717, col. 958, 981. Plus tard, obligé de défendre sa doctrine qu’il présente comme l’enseignement de l'Église, il n’admet même plus la réserve de la dispense de l'Église : pour lui, un prêtre ou un évêque, déposé ou excommunié, voit son pouvoir d’ordre supprimé par le fait même.

Sous Innocent II, qui déploya tant de sévérité à l'égard des schismatiques partisans d’Anaclet II, Gerhoh, prêtre du diocèse d’Augsbourg, en vint à affirmer que les prêtres excommuniés par le SaintSiège ne pouvaient consacrer validement. Cette doctrine est, pour lui, la conséquence d’une théorie générale. Il distingue les sacrements dont le sujet est une personne humaine, comme c’est le cas du baptême et de l’ordination, et ceux dont le sujet est un objet inanimé, comme le pain eucharistique et l’huile du chrême. Epist. ad Innocentium papam, dans Mon. Germ., Libelli…, t. iii, p. 221-227 ; cf. Liber de simoniacis, ibid., p. 267. Les sacrements de la première catégorie sont toujours réels, bien qu’il soit nécessaire de les compléter par le rite catholique de l’imposition des mains ; ceux de la seconde catégorie sont nuls. Ce système se justifie par la théorie de l’intention. Dans certains cas, dit-il, le baptême et l’ordination peuvent être reçus en dehors de l'Église, mais mente catholica, sans aucune faute d’hérésie ou de schisme, par exemple par suite d’ignorance ou de nécessité. Or, cette intentio ne peut jamais se trouver dans les sacrements dont le sujet est la matière inanimée. Argumentation bien défectueuse et qui revient finalement à distinguer sacrement et sacrement. Au fond, la validité des ordinations reçues en dehors de l'Église ne fait pas de doute pour Gerhoh. Il y a donc progrès sur la théologie de l'époque précédente. Mais ce n’est pas encore la vérité parfaite.

Lent retour à la vérité catholique.

Cette vérité

ne se ferait jour qu’après un long siècle de discussions, dont le Décret de Gratien allait être le point de départ.

1. Le Décret de Gratien, donne en effet le signal d’un renouveau de la théologie sacramentaire ; cf. Gratien, t. vi, col. 1747 sq. La valeur des ordinations conférées en dehors de l'Église est discutée dans la causa I a et

les effets de l’excommunication dans la causa IX a. Tout en acceptant la base patristique de discussion d’Alger, Gratien l'élargit considérablement ; il cite non seulement les Pères dont Alger invoque l’autorité, mais il indique encore les décisions récentes, notam ment celles d’Urbain II. Exposé forcément incohérent, souvent contradictoire, et duquel on a cru pouvoir proposer l’interprétation suivante : l’ordination conférée par des évêques excommuniés, mais précédemment ordonnés dans l'Église serait valide ; mais l’ordination faite par des évêques consacrés par des excommuniés serait nulle. Cette exégèse des décrets d’Urbain II (voir ci-dessus, col. 1291), a accrédité pour longtemps une doctrine erronée dans l'École de Bologne.

Gratien nie qu’il y ait parité entre les conditions de transmission du baptême et celles de l’ordre. Un ministre déposé peut conférer le baptême, tandis qu’il ne peut pas consacrer l’eucharistie ou conférer les ordres validement. Nous retrouvons ici une théorie conforme à celle d’Hugues d’Amiens. On distinguera de plus en plus sacramentum et officium, la possession du sacrement de l’ordre et le pouvoir de le transmettre. Ainsi, les évcques actuellement hors de l'Église, mais précédemment consacrés par des catholiques, peuvent conférer l’ordre. Ceux qui ont été consacrés en dehors de l'Église ne le peuvent pas.

Cette solution, toute une école de théologiens et de canonistes de Bologne va la développer et l’appliquer avec suite.

2. L’enseignement de l'école de Bologne. — a) Maître Roland (Alexandre 111). — Dans la Summa Decreti, édit. Thaner, Innsbruck, 1874, p. 15 (dont M. Saltet rétablit le texte intégral et authentique, p. 298-299), Roland Bandinelli, ayant à s’occuper de la valeur d’ordinations conférées par des évêques hérétiques, distingue trois éléments de la question : la qualité du consécrateur hérétique, qui a pu être consacré, avant de tomber dans l’hérésie, par un évêque catholique, ou bien qui a été consacré par un évêque hérétique, c’està-dire n’ayant pas le même pouvoir d’ordonner ; le mode d’ordination, qui peut être selon la forme prescrite par l'Église ou en dehors d’elle ; les dispositions de l’ordinand, qui peut recevoir de l'évêque hérétique l’ordination, soit de plein gré, soit contraint. Roland apporte trois solutions : 1° L’ordination est valide quand l'évêque consécrateur a été ordonné par des catholiques et que la cérémonie s’est effectuée dans la forme prescrite ; 2° elle est invalide, si le prélat consécrateur a été ordonné par des hérétiques ou si la forme prescrite n’a pas été observée ; 3° si l’ordinand se soumet librement à l’ordination d’un évêque hérétique, mais ordonné par des catholiques, il pèche très gravement, mais, par miséricorde, on peut lui permettre d’exercer l’ordre reçu. L'évêque ordonné par des hérétiques est appelé ici non ordinalus, c’est-à-dire vraisemblablement non ordinalus a catholicis.

La doctrine de Roland est en partie exacte, en partie fausse. Il est exact que la forme prescrite par l’Eglise est nécessaire à la validité de l’ordination. Mais il est faux qu’une ordination soit nulle, si elle a été faite, suivant la forme prescrite, par un évêque hérétique, quel que soit l'évêque qui l’a consacré ; les ordinations faites par des évêques hérétiques, suivant la forme prescrite, sont indéfiniment valides. La doctrine de Roland est exposée à plusieurs reprises ; à propos de la validité de la consécration eucharistique, dans les Sentences ; cf. M. Gietl, Die Sentenzen Rolands, p. 217 ; à propos du pouvoir d’absoudre, dans la Summa Decreti, édit. cit., p. 100. Le principe de cette doctrine est celui d’Hugues d’Amiens, la distinction entre sacramentum et officium : « Notandum

est enim quod ad sacerdotalis dignitatis amministraionem, duo sunt necessaria : ordo et licentia ordinis exequendi. Licentia enim absque ordine nichil confcrt ; … Item, ordinatio quoque prsestita absque licentia exsequendi nichil quod ad hoc spectat, conferre videtur… Die Summa…, p. 38.

Ainsi s’explique qu’un prêtre dégradé, ou déposé in perpetuum, ne puisse pas consacrer validement l’eucharistie, bien qu’il emploie la forme prescrite. La dégradation et la déposition enlèvent au ministre la licentia exsequendi. Le même motif explique les conditions de transmission de l’ordre. Cette doctrine, loin de constituer un progrès, marque plutôt une régression. Devenu pape, Maître Roland lui donnera un crédit imprévu, qui retardera l’avènement de la vraie doctrine.

b) Omnebene ou Ognibene, dans un ouvrage anonyme, mais qui doit lui être rapporté, Y Abbreviaiio Decreti (ms. 68 de la bibliothèque de Francfort-surle-Main) et dans les Sentences qui portent son nom (ms. latin. 19 134 de la bibliothèque de Munich), enseigne, contre Roland, la doctrine traditionnelle de saint Augustin, laquelle est redevenue la doctrine officielle de l'Église. Voici un passage expressif du manuscrit de Francfort : De hæreticis et scismaticis quaritur si possunt baptizare et ordines dare et corpus Domini conficere, p. 63. Sed tenendum est quod hæretici et scismatici baptizant et non est baptisma eorum reiterandum, quia sacramento non est facienda injuria et ordinant et consecrant corpus Domini, sed ad perniciem suam, p. 65. Et l’auteur réfute les assertions d’autres théologiens ; on reconnaît facilement ses allusions à Maître Roland. Dans les Sentences, même doctrine ; cf. Gietl., op. cit., p. 217, n. 1. « Au milieu du xiie siècle, dit M. Saltet, p. 310, ces deux doctrines sollicitaient les esprits à Bologne ; laquelle l’emportera ? Sans doute, Omnebene a la tradition pour lui. Mais il est un bien petit personnage à côté de Maître Roland devenu cardinal et pape. »

c) La Summa Decreti de Maître Rufin. — Le nom de Rufin n’est peut-être pas le véritable nom de l’auteur. Quoi qu’il en soit, les idées de Roland trouvent ici un développement cohérent. Sa thèse est reprise, exposée avec une clarté parfaite.

Pour Rufin, une ordination peut être dite irrita de deux manières : quoad sacramenti veritatem, quantum ad officii executionem… Et quidem irrita quantum ad veritatem sacramenti illa est quie fit praier formam Ecclesiæ vel a non habentibus potestatem ; irrita quantum ad officii executionem : ut illa, quæ non fit a suo episcopo. H. Singer, Die Summa des Maaisters Rufinus, dist. LXX, p. 161. Quels sont les évêques non hubentes potestatem ? Ce sont d’abord les évêques hérétiques qui ont été ordonnés, non par des évêques catholiques, mais par des évêques hérétiques. A ceux qu’ils ont ordonnés, ils n’ont pu communiquer non solum executionem ordinum vel virtutem sacramenti, sed nec ipsum sacramentum. Une seconde catégorie est constituée par certains évêques excommuniés. S’ils ont été consacrés dans l’excommunication, ils ne peuvent conférer les ordres, ni quoad veritatem sacramenti, ni quoad executionem ordinis. Quant à ceux qui, après avoir été évêques catholiques, ont été ensuite frappés de l’excommunication, ils ne peuvent, dans l’excommunication, conférer les ordres que quoad sacramenti veritatem, mais non quoad officii executionem. Id., c. ix, q. i, p. 298. Par ailleurs, Rufin nie que les hérétiques puissent consacrer validement. Id., p. 211. Pour l’administration du sacrement de l’ordre, il admet donc pleinement que le pouvoir d’ordre soit lié ipso facto dans le cas d’hérésie ou d’excommunication. Il ne reste à l'évêque hérétique

ou excommunié qu’une potestas aplitudinis, pouvoir lié ou pratiquement nul.

L’enseignement de Rufin est repris par Jean de Fænza, Summa super Decretum (ms. P. II. 27 de la bibliothèque royale de Bamberg).

d) Retour vers la vraie doctrine. — Les ouvrages de Gandulph sont inédits ; ce qu’on en sait est dû aux travaux de M. Schulte, Die Geschichte der Quellen und Literatur des canonischen Rechts, von Gratian bis die Gegenivart, Stuttgart, 1875, t. i, p. 132, et du P. Denifle, Archiv fur Literatur und Kirchengeschichte des Miltclallers, t. i, 1885, p. 621 sq. Les quatre manuscrits des Sentences de Gandulph ont disparu dans l’incendie de la bibliothèque nationale de Turin de 1904. Les Sententiæ de Gandulph ne sont plus connues que par un extrait, Flores sententiarum magistri Gandulphi, signalé par Denifle dans un ms. de Bamberg. B. IV. 29 de la bibliothèque royale, fol. 126 b142 b. M. Saltet fixe l’enseignement de Gandulph à Bologne, vers 1170 ; cf. op. cit., p. 318-319.

A rencontre de l’opinion que nous connaissons bien et qui veut que la transmission du pouvoir d’ordre, qui peut se faire par un hérétique ordonné dans l'Église, ne puisse plus se faire par un hérétique ordonné hors de l'Église, Gandulph adopte une idée et crée une expression très heureuses : ordo est ambulatorius. C’est en raison de l’ordre qu’il a reçu que le premier communique son pouvoir au second, le second au troisième, et ainsi de suite jusqu'à l’infini. Pour ce qui est du pouvoir d’ordonner, il n’y a aucune différence entre l’hérétique du premier degré et celui du second, entre l'évêque déposé et celui qui ne l’est pas. L’ordre conféré suivant la forme prescrite est ambulatorius à l’infini. Cod. Bamberg, P. ri. 4, fol. 29 a. Gandulph invoquait, en faveur de sa thèse, des autorités du Décret. La lettre d’Urbain II à Lucius de Pavie, dit-il, ne fait aucune distinction entre hérétiques ; le pape reconnaît que les sacrements administrés par eux suivant la forme prescrite ont la forma sacramenti. On doit donc rejeter la distinction qui se trouve à la base du système de Roland, de Rufin, de Jean de Fænza, et ce que ces auteurs disent des effets de la dégradation. Entre la déposition et la suspense, il n’y a qu’une différence de degré. Aussi, tous les sacrements conférés par un ministre déposé ou dégradé sont valides. « Si la théologie de Gandulph n’a pas eu un succès immédiat, la raison en est d’abord que les habitudes de l'école étaient trop fortes pour être changées d’un seul coup et, aussi, qu’il y avait quelques points faibles dans l’enseignement du professeur de Bologne. C’est ainsi que, par réaction, Gandulph a exagéré, jusqu'à la fausser, l’idée vraie qu’il venait de conquérir. Il avait affirmé l’efficacité objective des sacrements, et, pour le baptême et l’ordre, il avait montré que ces sacrements produisent dans l'âme, indépendamment des dispositions du sujet, un elïet qui, persistant dans l'âme, empêche la réitération des rites. Mais, en poussant cette vérité à bout, Gandulph n’a pas fait les réserves nécessaires. Par exemple, il y a au moins une disposition qui est requise chez le ministre du baptême, c’est l’intention d’administrer le sacrement. Or, Gandulph, exagérant l’efficacité objective des sacrements, déclare que cette intention n’est pas nécessaire et que l’action matérielle du baptême suffit ; cf. Fr. Schulte, Die Glosse zum Dekret Graiians, etc., dans Denkschrijten der kaiserlichen Akademie der Wissenscha/ten, Philosophisch-historische Classe, t. xxi b, "Vienne, 1872, p. 53, n. 17. Bien plus, il applique sa théorie au sujet qui reçoit le sacrement : chez ce sujet, aucune intention de recevoir le sacrement ne serait requise ; car ce sujet peut très bien recevoir le baptême malgré lui, ou dans un état complet d’inconscience, comme le 129 :

ORDRE. LES PREMIERS SCOLASTIQUES

1298

sommeil, et être pourtant réellement baptisé. Id., p. 54. Comme la première, cette seconde affirmation est contraire aux conclusions les plus assurées de la théologie. » Saltet, p. 322.

Néanmoins, la doctrine de Gandulph constitue un progrès considérable.

Dans la curie romaine, un cardinal au moins défendait, mais avec moins d'érudition et de fermeté, les thèses de Gandulph, le cardinal Laborans (f vers 1190). Laborans s'étonne qu’on accorde que la prêtrise et l'épiscopat puissent être conférés en dehors de l'Église, mais pas les ordres inférieurs. Son argumentation part de ce point de vue, d’ailleurs exact. Mais combien hésitante est sa conclusion I Ast in omnibus id videndum quod sacrosanctæ videtur Ecclesin

Enfin, Roland lui-même, devenu le pape Alexandre III. fut infidèle à son enseignement de Bologne. Dans la paix d’Anagni (novembre 1176), conclue entre Frédéric I er et Alexandre III, on lit, à l’article 10 : Universi etiam ordinati a quondani catholicis vel ab ordinatis eorum in teutonico regno restiluentur in ordinibus suis taliter suscepiis ; cf. P. Kehr, Der Vertrag von Anagni, im Jahre 1176, dans le Neues Archiv, t. xiii, 1888, p. 112. Cet article est reproduit avec l’addition insignifiante : nec occasione hujus scismatis gravabuntur, dans la paix de Venise. Ibid., p. 117. L’expression importante et qui corrige toute la thèse de Maître Roland est l’incise que nous avons soulignée : vel ab ordinatis eorum. Ainsi donc, n'étaient plus considérées comme valides simplement les ordinations faites extra Ecclesiam par un évêque ordonné catholique, mais encore celles qui auraient été faites par un évêque consacré extra Ecclesiam, mais par un évêque catholique. Malgré quelques cas isolés de réordinations célébrées par Lucius III et Urbain III. la vraie doctrine commençait à triompher.

3. Triomphe définitif de la vraie doctrine.

La thèse bolonaise de Maître Roland et de Rufln trouve encore des échos dans quelques ouvrages de la fin du xiie siècle : la Summa Coloniensis (ms. D. il. 17 de la bibliothèque royale de Bamberg) ; la Summa Lipsiensis : cf. Schulte, Die Summa Decreti Lipsiensis, dans les Sitzungsberichte de l’Académie de Vienne, 1871, t. lxviii, p. 37-54, la Compilatio prima de Bernard de Pavie ; cf. E. Friedberg, Quinque compilations antiquæ, Compilatio I, Leipzig, 1882. Bien plus, au milieu du xme siècle, Innocent IV, dans son Apparatus, accentue les théories de Roland et de Rufln. Le droit y est reconnu au pape de déterminer des empêchements dirimants pour tous les sacrements, y compris le baptême, comme pour le mariage.

Néanmoins, deux théologiens devaient donner le coup de mort à la théorie si longtemps en faveur à Bologne et à la cour pontificale, Huguccio de Pise et saint Raymond de Pennafort.

Huguccio, dans sa Summa Decreti, encore manuscrite, rejette expressément l’opinion de Rufln et de Jean de Fænza, qu’il déclare une opinion cancellala. Ms. 985 de la bibliothèque de Leipzig, fol. 88, 89. La doctrine d’Huguccio s’implanta à Bologne ; elle y fit bientôt loi ; cf. Saltet, p. 336.

Quant à saint Raymond de Pennafort, c’est dans la célèbre Summa de pienitentia et matrimonio qu’il condamne l’opinion de Jean de Fænza et de Roffredus († 1243). Regulariler teneas, écrit-il, quod episcopi et sacerdotes, sive sint excommunicati, sive hæretici, sive depositi, vera conficiunt sacramenta, dum tamen in forma Ecclesiw. Op. cit., t. I, c. De hæreticis et ordinatis ab eis, § 9, p. 37-38, Paris, 1720.

A l’université de Paris, nous rencontrons encore

à cette époque quelques vestiges de l’enseignement de Bologne chez Etienne de Tournay, dans sa Summa Decreti ; cf. F. Schulte, Die Summa des Steplumus Tornacensis iiber das Decretum Gratiani, Giessen, 1891, p. 122-123 ; chez l’auteur de la Summa Parisiensis, Cod. Bamberg, P. il. 26, fol. 26 v°, à propos du Décret, caus. I, q. i, c. 2, et fol. 29, caus. 1, q. vii, c. 24 ; chez Pierre de Poitiers, Gloses sur les Sentences de Pierre Lombard, Bibl. nat., lat. 14 425, fol. 109 r° ; chez Simon de Tournay, Summa de sacramentis, Bibl. nat., lat. 14 886, fol. 48 r" (voir Saltet, op. cit., p. 344-348 ; 350-353). Mais la doctrine augustinienne et traditionnelle est de plus en plus affirmée. L. Saltet cite la Summa Monacensis, cf. H. Singer, Beitrùge zur Wiïrdigung der Decretistenliteratur, dans V Archiv fur katholisches Kirchenrecht, t. i, 1893, p. 404 ; Prévostin, Summa, ms. Bibl. nat., lat. 13 738, fol. 80 v° ; Robert de Flamesbury, à l’abbaye de Saint-Victor, dans son Pénitentiel, ms. Bibl. nat., lat. 3 529, fol v 20 r° ; Robert de Courçon, dans sa Summa, Bibl. nat., lat. 3 203, fol. 278 v° et 279 r° ; Guillaume d’Auxerre, Summa aurea, Paris, 1505, fol. 284 ; Roland de Crémone, Conclusiones… super IV libros Sententiarum, bibl. Mazarine, ms. 795, fol. 128 r".

Ainsi, la doctrine définitive a prévalu à Paris comme à Bologne. Seule la question de la dégradation perpétuelle occasionnera encore quelques hésitations, qu’on retrouve plus ou moins chez Pierre de Poitiers, Gloses sur les Sentences, t. IV, dist. XXIV, dans Bibl. nat., lat. 14 423, fol. 109 r°, et Guillaume d’Auvergne, De sacramento ordinis, dans Opéra, t. i, p. 539. Mais la grande autorité d’Alexandre de Halès fera finalement l’accord sur tous les points essentiels : Degradatus habet potestatem consecrandi : jus tamen exequendi non habet, sicut supra dictum est de hivretico. Sicut cnim charactere non potest privari, nec sic potestate conftciendi, Sum. theol., part. IV, q. x, mernb. 5, a. 1, § 6. Le triomphe de la doctrine traditionnelle à Paris ne paraît pas dû à l’influence de Pierre Lombard qui, dans ses Sentences, t. IV, dist. XXV, § 3, P. L., t. cxcii, col. 907, témoigne encore d’une singulière hésitation tant pour ce qui concerne les ordinations conférées parles hérétiques, que pour les effets de la déposition.

Le triomphe est dû surtout au progrès de la théologie sacramentaire au début du xme siècle. C’est à cette époque, en effet, que la doctrine du caractère sacramentel, si apte à dissiper tout malentendu, est nettement affirmée dans l'Église. Sans déclarer encore que cette doctrine relève de la foi, Innocent III, en 1201, l’enseigne expressément dans sa lettre à Ymbert, archevêque d’Arles, Denz.-Bannw., n. 411, à propos du baptême. Son deuxième successeur, Grégoire IX, mentionne le caractère du sacrement de l’ordre, dans une réponse à une consultation de l’archevêque de Bari, Décrétai., t. I, tit. xi, c. 16. Enfin, trois théologiens de marque s’appliquent à mettre en relief cet enseignement : Guillaume d’Auxerre, Summa aurea, t. IV, c. ii, De baptismo ; Guillaume de Paris, De sacramento baptismi, c. m ; et surtout Alexandre de Halès, Summa theol., part. IV, q. viii, memb. 8, a. 1. On a vu à l’art. Caractère sacramentel les fondements patristiques de cette doctrine, t. ii, col. 1698.

Outre les sources indiquées au cours de l’article, on consultera : dom C. Chardon, Histoire des sacrements, dans Migne, Cursus theologiæ, t. xx ; Hergenrôther, Die Reordinationem der alten Kirche, dans l'Œsterreichische Viertaljahresschrifl fur katholische Théologie, 1862, p. 207-2.V. !  ; 387-456 ; et surtout L. Saltet, Les réordinations, Paris, 1907.

II. LA THÉOLOGIE DU SACREMENT DE L’ORDRE CHEZ

les grands SCOLASTIQUES. — 1° Les précurseurs. — Il semble que tout l’effort de la théologie sacramentaire de l’ordre ait porté, du viii ? au xm° siècle, sui

la question, si controversée alors, de l’efficacité du rite sacramentel chez les hérétiques et les simoniaques. Nombre d’auteurs qui parlent de l’ordre ne le font qu’en passant, énumérant les différents ordres et leurs fonctions ; cf. dans les œuvres d’Alcuin, la Disputatio puerorurn, c. ix, P. L., t. ci, col. 1097 ; insistant sjir les vertus, spécialement la continence, qu’exigent les ordres sacrés et rappelant les prescriptions canoniques relatives à l’accès aux saints ordres. Mais la théologie spéculative touchant l’institution, l’essence, les effets du sacrement est, pour ainsi dire, inexistante. Les rares auteurs qui paraissent y toucher de loin se contentent la plupart du temps d'énumérer les divers ordres en indiquant quelques-unes de loirs fonctions.

Nous avons cité plus haut, col 1283, de saint Agobard, le petit traité De privilégia et jure sacerdotii, P. L., t. civ, col. 127-148, où l’auteur exalte la dignité et les, vertus sacerdotales et signale quelques empêchements d’ordre physique et surtout d’ordre moral. L’insuffisance doctrinale ou l’indignité de vie d’un prêtre lui enlève le droit de commander aux fidèles. Nous avons dit qu’Agobard admet la validité des sacrements administrés par des indignes.

C’est surtout sur l’obligation de la continence qu’insiste Halitgaire, évêque de Cambrai, dans son De vitiis et virtutibus et de ordine pœnilentium, au livre V, P. L., t. cv, col. 687 sq.

Au point de vue liturgique, il faut ici signaler l’ouvrage capital d’Amalaire de Metz, De ecclesiasticis offlciis, P. L., t. cv, col. 986-1242.

Avec Raban Maur, nous rencontrons un auteur qui traite ex professo de l’ordre dans le De clericorum instilutione. Dans le t. I, il partage l'Église en 'aïques, moines et clercs (c. n). On entre dans le clergé par la tonsure (c. iii). Le c. iv énumère les huit degrés de la cléricaturc le psalmiste étant identifié avec le lecteur. L’auteur traite ensuite de l'épiscopat, avec la triple dignité des patriarches, archevêques ou métropolitains, simples évêques (c. v) ; du presbytérat (c. vi) ; du diaconat (c. vu) ; du sous-diaconat et de l’ordination du sous-diacre par la tradition du calice et de la patène, en opposition avec l’imposition des mains réservée au diacre et au prêtre (c. vin). La question des vêtements et ornements liturgiques est assez longuement traitée (c. xiv-xxiii), P. L., t. cvii, col. 297 sq. ; cf. De universo libri XXII, t. I, c. v, t. xci, col. 91 ; In epist. ad Eph., c. iv, t. cxii, col. 430 sq. Au 1. III du De clericorum institutione, Raban Maur parle de la science requise chez les prêtres (c. i), exalte les vertus nécessaires (c. xxvii) et s'étend longuement sur la prédication et les aptitudes qu’elle requiert (c. xxviii-xxxix), P. L., t. cvii, col. 377, 405 sq.

Dans le Pœnitentiale, Raban Maur insiste sur le traitement à infligei, d’après les décrets des papes et des conciles, aux crimes capitaux commis par les clercs, c. x-xii, P. L., t. ex, col. 474-482 ; il ne veut pas se prononcer sur le cas d'Ébon, c. xxxiv, col. 494. Ce n’est qu’en passant qu’il touche à la question des simoniaques, c. xix, mais sans rien dire de la nullité de leurs ordinations, col. 485.

Le point de vue moral et ascétique est abordé surtout dans le Commentaire In epist. ad Hebr., c. v et x, P. L., t. cxii, col. 742 sq., 779 sq.

On retrouvera les préoccupations morales et disciplinaires, touchant la vie des clercs, dans différents capitulaires et décrets de cette époque. Citons rapidement, de Rudolphe, évêque de Hourges, Capitula, vn-ix, P. L., t. exix, col. 707 sq. ; de Walter, évêque d’Orléans, Capitula, col. 725 sq. ; de Réginon, abbé de Prum, De ecclesiastica disciplina et religione christiana, t. cxxxii, col. 203 sq. ; de S. Odon, arche vêque de Cantorbéry, Constitutiones, t. cxxxiii, col. 947 sq. ; d’Atton de Verceil, Capitularia, t. cxxxiv. col. 27 sq. ; de saint Abbon, abbé de Fleury, collection de canons, t. cxxxix, col. 474 sq. ; de Burchard de Worms, Decretorum, t. II, De sacris ordinibus, t. cxl, col. 625 sq.

Relevons chez saint Pierre Damien le souci de mettre en relief le caractère social du prêtre, représentant la communauté chrétienne tout entière : Pars ecclesiaslici Corporis, lotius Ecclesiie, convenienter utitur verbis : Dominus vobiscum. Cet opuscule xi, sur le « Dominus vobiscum », est à relire, P. L. t. cxlv, col. 238.

Guibert, abbé de Sainte-Marie de Nogent-sousCoucy, tient pour nulles les ordinations faites et les sacrements conférés par les hérétiques et les simoniaques, De pignoribus sanctorum, t. II, c. ni, P. L., t. clvi, col. 636 sq. Peut-être ne s’agit-il, au fond, que de la nécessité de l’intention de faire ce que fait l'Église.

Saint Anselme n’a pas traité ex professo la question sacramentaire de l’ordre. Néanmoins il y a beaucoup à glaner dans ses « Prières » ou ses « Lettres ». Dans ses prières, il laisse percer la haute idée qu’il se fait du sacerdoce et de ses fonctions, notamment à l'égard de la sainte eucharistie, Orationes, xxiv-xxxiv, P. L., t. clviii, col. 908 sq. Les péchés du prêtre sont des crimes ; néanmoins il ne faut pas hésiter à accomplir les devoirs redoutables du sacerdoce, quelle que soit notre crainte d’y trouver l’occasion d’offenser Dieu, col. 912. Dans ses Lettres, Anselme fait plus d’une fois allusion à la discipline pénitentielle relative aux péchés des prêtres ; toutefois il affirme que l’on ne doit pas exclure de l’exercice de son ordre le prêtre pécheur, dont la faute n’est pas publiquement connue et qui se repent sincèrement. Epist., t. I, n. lvi, col. 1126.

Quelques allusions aux vertus sacerdotales chez Bruno de Segni, Rupert de Deutz, dans les sermons de saint Bernard, et dans le Verbum abbreviatum de Pierre le Chantre. Avec plus d’insistance, Hildebert du Mans revient sur ce sujet dans ses sermons synodaux, Sermones synodici, lxxxviii-xcvh, t. clxxi, col. 751 sq. La question des simoniaques est traitée au sermon xevi, mais sans que rien puisse faire supposer que l'évêque du Mans n’admette pas la validité des sacrements par eux conférés.

Honorius d’Autun aborde plus directement le sujet de l’ordre dans son De missæ sacrificio et de ministris Ecclesiiv : 1° les fonctions et significations des ministres au saint sacrifice, c. ix-xv ; xx ; t. clxxii, col. 547-549, 550 ; 2° les différents ordres, depuis les clercs jusqu’au pape, c. clxxiv-cx-ciii, col. 597-602 ; 3° les ornements et vêtements des clercs c. cxcixeexxxv, col. 604-614.

Un simple mot en passant sur ordinatio, scientia, actus des clercs dans Alain de Lille, Theolog. régula ; cxv, P. L., t. ccx, col. 681 ; cf. Distinctiones dictionum theologalium, v 3 Ordo, col. 884.

Enfin nous arrivons au véritable précurseur de la théologie scolastique, au principal inspirateur du Maître des Sentences, Hugues de Saint-Victor, dans son traité De sacramentis, t. I, part. III, P. L., t. clxxvi, col. 421-434. « Hugues glisse sur la constitution du sacrement et sur la grâce qu’il produit, ne parle pas du caractère et parle peu du pouvoir de juridiction. Il établit toutefois la différence entre le pouvoir de juridiction et le pouvoir d’ordre, part. II, c. v ; part. III, c. v col. 419, 423. Non content d’englober les ordres sous la dénomination très générale de sacrements, part. V, c. i, col. 439, il les présente comme un sacrement véritable, puisqu’il en fait des rites sensibles, accompagnés de paroles, qui confèrent,

non pas simplement un office, mais un pouvoir spirituel et, avec lui, la grâce du Christ, part. II, c. v, col. 423… Seuls le diaconat et la prêtrise sont des ordres sacrés, c. xiii, col. 430. La tonsure n’est pas un ordre, mais une préparation aux ordres, c. v, col. 423. Le sacerdoce et l'épiscopat ne sont pas des ordres distincts : l'épiscopat est le sacerdoce dans sa plénitude, le presbytérat est le sacerdoce dépourvu de certaines fonctions, c.xii, xiii. col. 428, 430. Dans tous ces rites, il y a un élément sensible analogue à la matière des sacrements ; c’est la porrection des instruments, accompagnée de paroles, qui signifient le pouvoir reçu ; le diaconat et le sacerdoce comportent, en outre, l’imposition des mains, c. xi, xii, col. 427, 429. Hugues trace les règles disciplinaires relatives aux ordinations, c. xx-xxiv, col. 431437. et combat énergiquement la simonie, part. X, col. 477-480. Il développe le symbolisme des vêtements sacerdotaux, part. IV, col. 433-438, ainsi que celui des sacramentaux divers que l'évêque et le prêtre font dans l'église, part. IX, col. 471-478, et de la dédicace des églises, part. V, col. 439-442. » Ici t. vi, col. 282. On retrouve, dans le Spéculum de mi/steriis Ecclesise, P. L., t. clxxvii, bien des idées d’Hugues sur les ordres (c. v), les vêtements sacrés (c. vi), etc., col. 349-356 ; cf. De ojficiis ecclesiasticis, c. xxxii-lvii, col. 399-406.

L’exposé du Maître des Sentences.

On doit

s’arrêter spécialement sur Pierre le Lombard, car son exposé doctrinal, emprunté en grande partie au Décret de Gratien et à Hugues de Saint-Victor, devient, du xiir au xve siècle, le thème des développements théologiques sur le sacrement de l’ordre. Ce thème est renfermé dans les dist. XXIVe et XXVe du livre IVe des Sentences. Sur la dépendance possible du Lombard dans la question de l’ordre, à l'égard des Sentences de Gandulphe, voir J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du XIIe siècle, p. 200-213.

1. Dist. XXI V. — Elle débute par un court préambule, où l’auteur, d’après l’enseignement traditionnel, rappelle l’existence des sept ordres, dont JésusChrist lui-même a rempli les offices. Le nombre sept est en raison de la grâce septiforme que doivent posséder les ministres qui sont revêtus des ordres.

L’ordre ne peut être conféré qu'à celui qui est digne d’en remplir les fonctions. Mieux vaut peu de ministres qu’un nombre considérable d’inutiles.

La tonsure cléricale fait entrer dans la cléricature. Elle n’est pas un ordre ; elle est une couronne, un emblème royal, l’emblème de la royauté dont parle saint Pierre, I Pet., ii, 9.

L’auteur énumère ensuite les sept ordres, en rappelant pour chacun d’eux l’objet de leur fonction et les cérémonies de l’ordination.

Les portiers président à l’entrée des temples. Jésus a rempli cet office en chassant les vendeurs du temple. A ce titre, on peut lui appliquer Joa., x, 9 : Ego sum ostium.

Les lecteurs ont pour fonction de chanter leçons et psaumes. Le Christ lisant et commentant les Livres Saints au milieu des anciens a rempli cet office.

Les exorcistes sont ainsi appelés à cause des objurgations qu’ils adressent aux mauvais esprits pour les expulser. Le Sauveur a rempli cet office quand il chassa le démon du corps du sourd-muet, dont il toucha avec de la salive la langue et les yeux, Marc, vu, 34 ; quand il guérit toutes sortes de démoniaques. Après Hugues de Saint-Victor, Pierre le Lombard insinue que cet office remonte à Salomon ; cette insinuation s’appuie sur Josèphe, Ant. jud., VIII, ii, 5 (voir Exorciste, t. v, col. 1780).

Les acolytes (céroféraires en latin) allument et portent les luminaires dans les offices, symboles de

la joie que donna au monde celui qui est la vraie lumière, Joa., i, 9. Le Christ s’est appliqué à lui-même cette fonction, Joa., viii, 12, dont on trouve le type jusque dans l’Ancien Testament, Ex., xxvii, 21-22 ; Lev., vi, 12.

Le cinquième ordre est celui des sous-diacres, c’est-à-dire de ceux qui servent les diacres. Après avoir décrit leurs fonctions, Pierre le Lombard rap pelle la pureté qu’exigent ces fonctions et qui se traduit pour les sous-diacres par la loi de la continence. Le Seigneur a rempli cette fonction en lavant les pieds de ses apôtres.

L’ordre des diacres vient en sixième lieu. On appelle également les diacres lévites, du nom de la tribu de Lévi, qui était consacrée au service du culte divin. En grec, diacre signifie ministre : leur ministère est d’assister le prêtre dans toute la liturgie sacrée. Cet ordre fut institué par les apôtres, Act., vi, 3, 6. Avant leur ordination, ils doivent être éprouvés, afin d’accomplir leur ministère sans être souillés d’aucun crime ; cf. I Tim., ni, 13. Le Seigneur a rempli cet office, lorsque, après la Cène, il distribua à ses apôtres son corps et son sang et quand, au jardin de l’agonie, il les excita et les engagea à la prière : vigilale et orate, ut non intretis in tentationem, Luc, xxii, 28.

Le septième ordre est celui des prêtres, en grec, vieillards, en latin, anciens, non à cause de leur âge avancé, mais à cause de l’honneur et de la dignité qui leur reviennent, et des qualités de prudence et de maturité dont ils doivent faire preuve. Ils ne tiennent pas, comme les évêques, le sommet du 'sacerdoce ; ils ne marquent pas les fronts avec le saint-chrême et ne donnent pas le Saint-Esprit, fonctions réservées aux évêques, Act., viii, 15 ; xix, 6. Primitivement évêques et prêtres étaient les mêmes personnages. L’auteur fait ensuite l'étymologie de sacerdos = sacra dans ; d’antisles = anle stat : le prêtre, dans l'église, se tient le premier. Après avoir rappelé les cérémonies de l’ordination et commenté leur symbolisme, le Maître des Sentences expose que le sacerdoce a son origine lointaine dans le sacerdoce aaronique : Aaron était le souverain prêtre, ses fils, les prêtres inférieurs. Le Christ s’est choisi douze disciples, qu’il a appelés apôtres, Matth., x, 2 ; les évêques tiennent leur place dans l'Église. En outre, le Christ désigna soixante-douze disciples, dont les simples prêtres sont les successeurs. Parmi les apôtres, l’un fut le chef, Pierre, dont le souverain pontife est le remplaçant : on le nomme apostolique ou pa*pe, c’est-à-dire père des pères. De quelles qualités doit être revêtu celui qu’on choisit pour prêtre, l’apôtre le déclare dans sa lettre à Timothée, I Tim., iii, 2 sq., car là, évêque est synonyme de prêtre. Jésus-Christ a rempli l’office sacerdotal, lorsqu’il s’est offert lui-même sur l’autel de la croix, prêtre et hostie, et quand à la dernière Cène, il a changé le pain et le vin en son corps et en son sang… Dans la primitive Église, nous ne trouvons que deux ordres sacrés, le presbytérat et le diaconat ; sur ceux-là seuls nous possédons les prescriptions de l’Apôtre, I Tim., ni, 2 sq. Mais ensuite, les apôtres ordonnèrent dans chaque église des évêques et des prêtres ; nous savons également qu’ils ordonnèrent des diacres, Act., vi, 6. Ce n’est que plus tard que l'Église s’est constitué à ellemême des sous-diacres et des acolytes.

Pierre le Lombard donne ensuite la définition de l’ordre : sane dici potest, signaculum esse, id est, sacrum quoddam, quo spiritualis potestas traditur orditiatio et officium. Ce signaculum est d’abord le rite consécratoire prescrit par l'Église, qui signifie et produit le pouvoir spirituel et la grâce de sanctification. Mais ce peut être aussi le caractère. Voir plus

loin, col. 1304 sq. L’auteur laisse entendre, sans en donner d’ailleurs d’explication, que chaque ordre imprime un caractère sacramentel. Sacrement, l’ordre l’est à coup sûr, puisque sa réception est accompagnée de l’infusion de la grâce, symbolisée par le signe sensible extérieur, quam figurant ea qu ; v gerun(ur.

Enfin, à propos de l'épiscopat, l’auteur distingue quatre dignités, les patriarches, les archevêques, les métropolitains, les évêques. Ces dignités, introduites dans l'Église sans doute à l’instar de certaines dignités païennes, ne doivent pas faire oublier à ceux qui en sont revêtus leurs devoirs et la perfection que commande leur haute situation dans l'Église. Leur vie doit être un sujet d'édification pour ceux qui reçoivent de leur main les sacrements et entendent leur messe.

2. Dist. XXV. — Cette distinction fait écho aux préoccupations du haut Moyen Age sur les ordinations schismatiques et simoniaques.

Pierre le Lombard se fait le simple rapporteur des opinions ayant cours au xiie siècle (voir plus haut).

Selon une première opinion, ces ordinations sont invalides ; on s’appuie sur les textes connus d’Innocent I er, de saint Grégoire, de saint Cyprien, de saint Léon, textes qu’on n’entend pas toujours dans leur sens véritable.

Une deuxième opinion veut que ces ordinations soient valides et ne puissent être réitérées. Elle a pour fondement les textes bien connus de saint Augustin, Contra epist. Parmen., et la lettre de saint Grégoire à Jean de Ravenne. La conclusion de cette opinion est que les prélats schismatiques et simoniaques, possunt clare, sed perniciose, et quibus dederint non sunt iterum ordinandi.

Une troisième opinion déclare que tes hérétiques qui ne se séparent de l'Église qu’après avoir reçu l’onction sacerdotale ou épiscopale conservent le droit de conférer le baptême, mais sont totalement impuissants à consacrer ou à ordonner, après leur séparation d’avec l'Église. En ce cas, il faudrait interpréter saint Augustin, comme s’il avait parlé des évêques et des prêtres devenus secrètement hérétiques, mais n’ayant encouru aucune sentence de l'Église.

Une quatrième opinion admet que les sacrements conférés par les hérétiques sont valables, s’ils sont conférés dans la forme de l'Église ; sans cette forme, ils sont invalides. D’autres veulent que les sacrements administrés par les* hérétiques soient vains et sans effet, là où ils sont donnés et reçus dans des conditions morales défectueuses. Ici, on invoque encore l’autorité de saint Grégoire, de saint Innocent I er, de saint Jérôme. Toutefois, les prélats ordonnés avant leur séparation de l'Église selon la forme prescrite, garderaient le pouvoir de conférer validement les ordres, bien que cette collation apporte une blessure plutôt que la grâce.

Pierre le Lombard prononce sans hésiter que les simoniaques sont des hérétiques. Mais il établit une distinction entre ceux qui sciemment se font ordonner par des simoniaques, et ceux qui le font par ignorance. De ces derniers, l’ordination misericordiler sustinetur.

Suivent plusieurs distinctions reçues au xii c siècle sur les simoniaques : ceux qui ont été ordonnés d’une façon simoniaque par des simoniaques ; ceux qui ont été ordonnés d’une façon simoniaque par des non simoniaques ; ceux qui ont été ordonnés par des simoniaques d’une façon non simoniaque. Ces derniers eeuls peuvent être maintenus dans leur ordre, en supposant qu’ils se soient fait ordonner sans connaître le crime de leur consécrateur.

Pierre le Lombard interprète ensuite une lettre de saint Innocent au sujet des simoniaques ; ceux qu’on a contraints à recevoir les ordres d’un simoniaque peuvent à la rigueur être excusés.

Enfin, une décrétale de Nicolas I er fixe l'âge des ordinands : les sous-diacres doivent avoir au moins quatorze ans, les diacres, vingt-cinq, les prêtres, trente ; l'épiscopat vient seulement ensuite.

L’auteur ne se prononce ni sur la distinction d’ordre entre la prêtrise et l'épiscopat, ni sur la validité des ordinations simoniaques. Mais le seul fait — inouï au xiie siècle à Paris, — qu’il ait donné asile dans sa nomenclature à l’opinion orthodoxe, déjà enseignée à Bologne, a suffi pour introduire cette opinion dans l’enseignement officiel.

Les commentateurs du Maître des Sentences.


Sur le thème esquissé par Pierre le Lombard, la plupart des théologiens ont, jusqu’au milieu du xve siècle, construit l'édifice de leur théologie du sacrement de l’ordre. Sauf sur certains points que nous relèverons, la plupart de ces commentaires sont entre eux d’une concordance parfaite. Il serait donc fastidieux de rappeler la doctrine exposée par chacun d’eux individuellement. Pour plus de commodité, nous grouperons leur enseignement d’une façon collective, sous un certain nombre de points de doctrine et nous nous en tiendrons aux principaux représentants de l'École. Nous laisserons de côté les canonistes proprement dits. Bien que l’ordre des matières ne soit pas rigoureusement le même chez tous, les différences sont si minimes qu’en fait on peut s’en tenir à l’ordre observé par saint Thomas.

1. De l’ordre en général. — Tous les auteurs distinguent deux aspects dans l’ordre : l’organisation de la société religieuse en degrés hiérarchiques, et le pouvoir relativement au ministère sacré. Sous le premier aspect l’ordre est nécessaire à l'Église pour y faire resplendir la beauté divine, jusque, précise saint Thomas, dans son activité, communicative de perfections. Et ici, le saint docteur touche à l’autre aspect de l’ordre, à savoir, en tant qu’il permet, comme pouvoir sacré, de communiquer aux autres les sources de la grâce, les sacrements, S. Thomas, In IVum Sent., dist. XXIV, a. 2, q. i ; S. Bonaven-* ture, id., a. 2, q. i ; Richard de Médiavilla, id., a. 3, q. i ; Thomas de Strasbourg, id., q. i, a. 1 ; Etienne Brulefer, dans ses Reportata sur le commentaire de saint Bonaventure, loc. cit. Sous cet aspect général de l’ordre, Scot, avec plus de personnalité, définit l’ordre : gradus eminens in hicrarchia ecclesiastica, disponens ad congrue exequendum aliquem actum excellenlem in Ecclesia. Reportata, t. IV, dist. XXIV, n. 6. Mais il convient que l’ordre ait été institué sous forme de sacrement. Saint Thomas en donne une première raison, en ce qu’il est conforme à la divine libéralité de ne pas accorder un pouvoir, et surtout un pouvoir d’ordre spirituel, comme celui d’administrer les sacrements, sans y joindre la grâce nécessaire au bon exercice de ce pouvoir ; ce qui est le propre du sacrement. Cont. Gentes., t. IV, c. lxxiv. Saint Bonaventure ajoute cette considération que le pouvoir de conférer les autres sacrements doit lui-même, propter sacramentorum dignitatem, être un sacrement. In IVum Sent., dist. XXIV, part. I, a. 2, q. n.

2. L’ordre, comme sacrement. — On se rappelle la définition du Maître des Sentences : Sane dici potest, signaculum esse, id est sacramentum quoddam, quo spiritualis potestas traditur ordinatis, et officium. Saint Thomas justifie cette définition en la rapportant à l’ordre considéré sous son second aspect ; mais, pour lui, le signaculum quoddam n’est pas le caractère conféré, mais seulement le rite extérieur conférant ce

caractère, a. 2, q. i, sol. 2. Saint Bonaventure rapporte le signaculum au caractère. Dist. XXIV, part. II, expositio textus, dub. vi. Et saint Thomas lui-même ne s’oppose pas à cette interprétation, Suppl., q. xxxiv, a. 2. ad lum.

L’ordre est un sacrement, en tant que, dans l'Église, il confère, par un rite sensible extérieur, un pouvoir spirituel avec la grâce nécessaire pour en exercer dignement les fonctions ; mais ici, le pouvoir communiqué est principalement envisagé. Saint Thomas, id., sol. 3 ; cf. Suppl., q. xxxiv, a. 2, ad 2um ; a. 4, ad 4 am ; S. Bonaventure, loc. cit., q. h ; Thomas de Strasbourg, dist. XXIV, q. viii, a. 1 ; Pierre de Tarentaise, q. ix. Si le pouvoir est principalement envisagé, c’est qu’il est un pouvoir ministériel ou instrumental destiné à transmettre aux fidèles l’influence sanctificatrice de leur chef, Jésus-Christ. Il présente donc, avant tout, un caractère social. Voir S. Thomas, Suppl., q. xxxvi, a. 8, ad 2um ; S. Bonaventure, dist. XXV, a. 2, q. iv. C’est l’explication que reprendront unanimement les théologiens postérieurs ; cf. Estius, In IV am Sent., dist. I, § 17 ; Esparza, Cursus theologicus, t. X, q. en, 1. 7 ;

Scot envisage lui aussi le double effet du sacrement, pouvoir et grâce, lorsqu’il définit l’ordre : collalio determinati ministerii, per aliquod signum sensibile…, signans efficaciter ex institutione divina effectuai gratix invisibilis, quo ordinatus digne aliquod ministerium exsequatur. Report., t. IV, loc. cit., n. 10. Dom. Soto accuse Duns Scot d’avoir, dans le Commentaire sur les Sentences, omis l'élément sensible, constitutif du sacrement, en définissant l’ordre : Potestas spiritmlis ad aliquem actum exsequendum in hierarchia ecclesiastica. Mais il est bien évident que Scot n’exclut pas cet élément sensible ; cf. Vasquez, disp. CCXXXV, c. ni, n. 28.

Certains auteurs, en un article spécial, précisent que l’ordre est un sacrement de la Nouvelle Loi, se distinguant par conséquent d’une manière spécifique du sacerdoce de Melchisédech et d’Aaron. Saint Bonaventure, loc. cit., q. m ; Pierre de Tarentaise, id, , q. x ; Fr. Mayronis, id., q i, Cette précision semble appelée par le texte même du Maître des Sentences.

Puisque, dans l’ordre, le pouvoir conféré est principalement envisagé, c’est lui que devra signifier la matière et la forme du rite sensible. Saint Thomas, loc. cit., sol. 4 et 5. D’une manière générale, la forme de l’ordre exprime d’une manière impérative et la communication du pouvoir et l’usage qui doit être fait de ce pouvoir. Quant à la matière, diverse pour chaque ordre, elle marque la transmission du pouvoir qui dérive de Dieu, mais par l’intermédiaire de l'évêque conférant le sacrement.

Avec le pouvoir conféré, le sacrement donne à celui qui le reçoit, s’il n’y met pas obstacle, la grâce sanctifiante aussi nécessaire d’ailleurs pour la dispensation que pour la réception des sacrements. Et, conformément aux principes posés dans le Traité des sacrements en général, il donne également la grâce sacramentelle, laquelle apporte au ministre sacré les secours spéciaux nécessaires à l’exercice fructueux de ses fonctions. Saint Thomas, loc. cit., a. 2, sol. 1 ; Suppl., q. xxxv, a. 1 et ad 3um.

3. Fin et objet du sacrement de l’ordre. — L’ordre, ayant dans l'Église un caractère avant tout social, possède, à l'égard du corps mystique de Jésus-Christ, une fin et un obiet bien déterminés. Sa fin, c’est la sanctification des âmes par l’exercice des pouvoirs sacrés, qui placent le prêtre à la tête des simples fidèles. Sacer ordo, disait Alain de Lille, est sacramentum quo insignitur homo, ut sic aliis per honorem prxsit, ut eis per onus prælationis prosit. Theol. reg., xcv,

P. L., t. ccx, col. 681. Mais cette sanctification doit suivre, dans la Loi Nouvelle instituée par JésusChrist une marche déterminée. Le sacerdoce a pour objet principal d’offrir le sacrifice, acte du culte social qui est dû à la souveraineté de Dieu. Or, comme dans la Nouvelle Loi, le sacrifice est l’oblation du corps et du sang du Christ à la messe, le sacerdoce aura pour objet principal d’offrir ce sacrifice, c’est-à-dire de consacrer le corps et le sang du Sauveur. Mais le sacrifice du Christ à l’autel n’est pas complet sans la participation des fidèles. Or, pour rendre les fidèles aptes à cette participation d’une façon digne et fructueuse, il faut que le prêtre intervienne et les dispose par l’administration des sacrements. Ainsi donc, le sacerdoce aura pour objet l’offrande du sacrifice eucharistique et l’administration des sacrements, principalement des sacrements de baptême et de pénitence, par lesquels l’homme obtient la rémission de ses péchés ; cf. S. Thomas, Cont. Gentes, t. IV, c. lxxxiv. Telle est l’idée fondamentale qui revient sans cesse sous les affirmations des théologiens du Moyen Age : Ordo est ad sacrificium administrandum, S. Bonaventure, In IVum Sent., dist. XXIV, part. I, a. 2, q. m. Hoc sacramentum est ordinatum ad dispensandum omnia alia sacramenta. Id., dub. i. Per sacramentum ordinis aliquis accipit poiestatem agendi actiones sacramentales. S. Thomas, Sum. theol., III a, q. lxv, a. 2 ; constituitur aliquis dispensator aliorum sacramentorum. Suppl.. q. xxxvii, a. 2. Albert le Grand, In IVum Sent., dist. XXIV, a. 4. C’est pourquoi, dans la définition de l’ordre, la tradition du pouvoir doit être mise avant la collation de la grâce (voir ci-dessus).

4. Le caractère du sacrement de l’ordre.

Sur le

caractère en général et son point d’attache dans l'âme, voir t. ii, col. 1698.

Notons simplement ici comment saint Thomas rattache le caractère à une participation du sacerdoce de Jésus-Christ. Il remarque, en effet, que les trois caractères du baptême, de la confirmation et de l’ordre ont pour effet de rendre le chrétien capable de recevoir les sacrements ou d’exercer les fonctions liturgiques. Or, tout ce qu’il y a de rites sacrés et efficaces dans l'Église dérive et relève en dernière analyse du sacerdoce de Jésus-Christ, principe de tout ministère et de toute sanctification. Le caractère est donc, en définitive, une participation effective au sacerdoce de Jésus-Christ. Sum. theol., IIP, q. lxiii, a. 3 et ad 2um. Si cela est vrai du caractère imprimé par le baptême et par la confirmation, combien cela est-il plus vrai encore du caractère imprimé par l’ordre, qui communique précisément à l’ordinand, plus ou moins complètement, le pouvoir sacerdotal de Jésus-Christ, pouvoir qui fait de lui un autre Jésus-Christ prêtre ; cf. S. Bonaventure, In IV am Sent., dist. XXIV, part. II, a. 1, q. i.

La question posée par les commentateurs des Sentences, au sujet du caractère du sacrement de l’ordre, est celle-ci : tous les ordres, y cohupris le sousdiaconat et les ordres mineurs, sont-ils des sacrements ? Autrement dit, impriment-ils, tous et chacun, dans l'âme de qui les reçoit, un caractère inef façable ? Au Moyen Age, les auteurs sont unanimement pour l’affirmative. Sur ce sujet, disent-ils, il existe une triple opinion. Les uns admettent que le caractère est imprimé seulement dans l’ordre de la prêtrise. Mais, ajoutent-ils, cela n’est pas vrai, car le ministère du diacre est un ministère essentiellement spirituel, qui présuppose le caractère sacramentel. D’autres enseignent que l’ordre n’est sacrement que dans les ordres sacrés, et non dans les ordres mineurs ; mais cela semble faux, car tout ordre, même mineur, communique à qui le reçoit,

un pouvoir spirituel sur le peuple chrétien. Enfin, une troisième opinion, commune, dit saint Thomas, plus probable, dit saint Bonaventure, enseigne que chique ordre, même parmi les ordres inférieurs, imprime dans l'âme un caractère sacramentel. Albert le Grand, In /Vum Sent., dht XXIV, a. 17, 25, 26 ; S. Thomas. loc. cit., sol. 2 ; Supp 1., q. xxxv, a. 2, q. xxxvii, a. 3, quoique l’on saisisse quelque hésitation, Opusc. xix, c. iv, édit. de Parme, t. xv, p. 20 ; et In 1 Tim.. c. m. lect. 2 ; cf. Benoît XIV, De sunodo, t. VIII, c. ix, n. 11 ; S. Bonaventure, dist. XXIV, part. II, a. 1, q. i ; Bichard de Médiavilla, a. 2, q. n ; Pierre de Tarentaise, a. 1 ; Pierre de la Palu, etc. Voir l'énumération dans Tanner, De ordine, disp. VII, dub. 2, n. 42. Duns Scot reste attaché à cet enseignement commun aux anciens docteurs : chaque sacrement, dans l’ordre, produit son double effet, la grâce et le pouvoir, c’est-à-dire le caractère : donc, autant de caractères que d’ordres spécifiquement différents. //i 7V" m Sent., dist. XXIV, n. ff ; Report., 1. iV, n. 10. Scot ne craint pas d’affirmer que tous les ordres ont été immédiatement institués par Jésus-Christ, mais qu’ils étaient, dans la primitive Église, donnés simultanément avec le sacerdoce et le diaconat ; l’autorité ecclésiastique n’a fait ensuite que diviser leur collation. Report., t. IV, n. 10. Saint Thomas et saint Bonaventure ne vont pas si loin ; tout en admettant, avec Pierre Lombard, que la prêtrise et le diaconat étaient les seuls ordres de l'Église apostolique, ils disent que les autres ordres étaient contenus implicitement dans le diaconat. S. Thomas, Suppl, q. xxxvii, a. 2, ad 2um ; S. Bonaventure, dist. XXIV, part. II, q. i, ad 3um.

C’est au xive siècle seulement, que Durand de Saint-Pourçain réserva la propriété du sacrement au sacerdoce, abaissant au rang des sacramentaux les ordres inférieurs, même le diaconat, q. ii, n. 6-0. Toutefois, dès le xiie siècle, il semble qu’on trouve déjà cette opinion chez Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, I. II, part. III, c.xii, P. L., t. clxxvi, col. 428. Mais, pour arriver à cette conclusion, Durand ne se place pas sur le terrain historique ; il raisonne a priori.

5. Les présupposés sacramentels au caractère de l’ordre. — Cette question, en ce qui concerne, le baptême et la confirmation, semble avoir été traitée plus spécialement par saint Thomas, loc. cit., sol. 3 et 4. Le caractère de l’ordre présuppose en celui qui le reçoit le caractère baptismal. Quiconque recevrait la prêtrise ou l'épiscopat sans être baptisé ne serait pas prêtre ou évcque, ne célébrerait pas validement, ne consacrerait pas, ne conférerait pas les ordres. Le caractère baptismal est donc présupposé de neccssitate sacramenti. Il n’en est pas de même du caractère de la confirmation ; il n’y a plus ici qu’une question de haute convenance, afin que le sujet soit parfaitement disposé.

Les autres auteurs abordent incidemment cette question à propos du baptême et de la confirmation ; cf. Saint Bonaventure, In IVum Sent., dist. VII, a. 3, q. m ; Alexandre de Halès, Summa, part. IV, q. ix, memb. 4, a. 1 ; Guillaume d’Auxerre, Sent., tract. IV, c. ni, q. ni.

Mais tous les auteurs traitent ex professo la question de savoir s’il est nécessaire d’avoir reçu le caractère de l’ordre inférieur pour recevoir l’ordre supérieur. C’est, au point de vue théologique, le problème canonique de l’ordinatio per saltum.

Tous sont d’accord pour déclarer que de necessitate sacramenti le caractère de l’ordre inférieur n’est pas nécessaire pour recevoir l’ordre supérieur, exception faite pour l'épiscopat qui, n'étant pas, selon ces auteurs, un ordre distinct du simple sacerdoce,

requiert, pour la validité, le caractère sacerdotal (voir plus loin). C’est pourquoi, dans la primitive Église, des prêtres étaient ordonnés, qui n’avaient pas reçu, au préalable, les ordres inférieurs. Ce n’est que plus tard que l'Église, par une loi positive, a déterminé l’obligation de recevoir les ordres inférieurs avant de parvenir aux ordres supérieurs. Toutefois, maintenant encore, l’ordinatio per saltum n’est pas considérée comme invalide ; on supplée simplement ce qui manque au sujet. Saint Thomas, loc. cit., sol. 5. La raison théologique donnée de la validité de telles ordinations est « que les pouvoirs des divers ordres sont distincts, et l’un ne requiert pas essentiellement l’autre dans le même sujet ». Suppl., q. xxxv, a. 5. Cette question est traitée par Pierre de Tarentaise, dist. XXIV, q. xix, et surtout saint Bonaventure qui en complète la solution : diversi characteres ordinum non sunt essentialiter ordinati ; sed bene habent congruitatem ordinis inter se, non nécessitaient, a. 1, q. ni, conclusio.

6. Les dispositions morales au sacrement de l’ordre.

C’est le sujet abordé par saint Thomas dans l’art, suivant. Ceux qui reçoivent les ordres doivent s’y être préparés par la perfection morale : la sainteté de la vie, c’est-à-dire la grâce sanctifiante, est requise pour recevoir le sacrement : néanmoins l’ordre conféré à un pécheur l’est validement, quoique reçu avec indignité. Art. 3, sol. 1 ; cf. IIa-IIæ, q. clxxxix, a. 1, ad. 3um.

Quelle science est requise ? Oportet quod habeat tantum de scientia, quæ sufficiat ad hoc ut dirigatur in actu illius ordinis…, plus et minus secundum quod ad plura vel pauciora se ejus officium extendit. Sol. 2. Cette remarque s’applique surtout à la prêtrise et plus encore à l'épiscopat, en raison du pouvoir qu’exercent prêtres et évêques non seulement sur le corps réel, mais encore sur le corps mystique de Jésus-Christ. Id., ad lum.

Le degré de l’ordre n’est pas proportionné au mérite personnel, mais est relatif au sacrement reçu. Sol. 3.

Enfin, celui qui exerce son ordre dans un état d’indignité commet une faute mortelle, sol. 4, et ce péché se renouvelle à chaque exercice du pouvoir, à moins qu’une nécessité urgente n’oblige le prêtre à faire acte de son ordre, ad 4um. Cf. Sum. theol., Suppl., q. xxxvi, per totam.

7. Distinction des sept ordres.

Les auteurs procèdent ici par gradation.

Ils examinent tout d’abord la nécessité de plusieurs ordres. La multiplicité des ordres dans l'Église répond à une triple raison : elle manifeste mieux la sagesse divine ; elle répond à la multiplicité des offices spirituels ; elle multiplie pour les hommes les possibilités de coopération à l'œuvre divine. S. Thomas, q. ii, a. 1, sol. 1 ; S. Bonaventure, part. II, a. 2, q. i ; Pierre de Tarentaise, q. ix.

Ensuite, ils établissent la distinction des sept ordres. Trois opinions ont été proposées sur ce sujet. Les uns ont justifié la division en sept ordres par corrélation aux sept ordres de grâces gratis data", énumérés dans I Cor., xii. Cette opinion est unanimement rejetée au xme siècle. D’autres rapprochent la division en sept ordres de la hiérarchie céleste, dans laquelle on distingue les ordres selon qu’ils purifient, éclairent et perfectionnent. Les ordres de portier, d’acolyte et d’exorciste visent à la purification dans l'Église : les ordres de lecteur, de sousdiacre et de diacre à l’illumination, par la lecture des prophéties, des épîtres, des évangiles. Enfin, les prêtres et les évêques sont institués en vue de la purification des âmes. Le Moyen Age lui-même a saisi ce qu’il y a de conventionnel et de superficiel

en ces rapprochements. Enfin une troisième opinion approprie les sept ordres aux sept dons du Saint-Esprit. Appropriation qui ne vaut rien, dit saint Thomas. « puisqu’on reçoit dans chaque ordre les sept dons du Saint-Esprit ». Suppl., q. xxxvii, c. 2. Alhert le Grand s’efforce cependant de montrer ce qu’il y a d’acceptable en cette adaptation, dist. XXIV, a. 6.

La vraie doctrine est que la dictinction des ordres doit se considérer d’après leur rapport à l’eucharistie à laquelle ce sacrement est ordonné. Le pouvoir d’ordre existe pour la consécration de l’eucharistie ou pour un ministère s’y rapportant. On explique ainsi l’ordre de la prêtrise qui a pour objet l’eucharistie, et les six autres qui s’exercent en six ministères différents relatifs à l’eucharistie : S. Thomas, dist. XXIV, q. ii, a. 1, sol. 2 ; S. Bonaventure, part. II, a. 2, q. iv ; Richard de Médiavilla, a. 3, q. m : Durand de Saint-Pourçain, q. ni ; François de Mayronis, q. n ; Pierre de Tarentaise, q. xii. Scot part du même principe pour expliquer la division de l’ordre en ses divers degrés, puisque pour lui l’ordre n’est autre que la hiérarchie ayant l’eucharistie comme centre d’action, Report., t. IV, dist. XXIV, n. 8 ; mais les degrés sont au nombre de huit. Si Scot hésite encore dans le commentaire sur les Sentences, il admet dans les Reportata que l'épiscopat constitue un ordre distinct, voir plus loin. Saint Bonaventure, dist. XXIV, part. II, a. 2, q. ii, et Pierre de Tarentaise, q. iv, se posent la question spéciale si le « psalmistat » (l’office de chantre) est un ordre. Leur réponse est négative. L’office de chantre est annexé à l’ordre de lecteur ; cf. Saint Thomas, Suppl., q. xxxvii, a. 2, ad 5um ; Albert le Grand, dist. XXIV, a. 20.

Vient ensuite la distinction des ordres sacrés et non sacrés. En soit tout ordre est sacré ; mais c’est par rapport à la matière sur laquelle ils s’exercent que certains ordres (sacerdoce, diaconat, s’exerçant sur le corps et le sang du Christ ; sous-diaconat, sur les vases sacrés) sont sacrés, et d’autres non. Saint Thomas, dist. XXIV, q. ii, a. 1, sol. 3. Saint Bonaventure, loc. cit. ; Pierre de Tarentaise, q. ix, Albert le Grand, a. 28.

La multiplicité des ordres n’empêche pas l’unité du sacrement d’ordre, car les divers ordres sont les parties du même tout potentiel, en tant que les ordres inférieurs possèdent une certaine participation de l’ordre suprême, le sacerdoce. L’essence de l’ordre se trouve en chacun des ordres inférieurs, mais elle n’existe avec toute sa vertu que dans le sacerdoce. Saint Thomas, dist. XXIV, q. ii, a. 1, sol. 1, ad2um ; Suppl., q. xxxvii, a. 1, ad 2um. L’expression partes totius potestatiin se retroue expliquée chez saint Bonaventure, dist. XXIV, part. 1, a. 2, q. iv : les différents ordres ne sont qu’un sacrement parce qu’ils convergent tous vers le sacerdoce ; cf. Albert le Grand, a. 3 et 4 ; Richard de Médiavilla, a. 3, q. n ; Pierre de Tarentaise, q. xi. Duns Scot a accentué la différence que les ordres présentent entre eux. II les considère comme spécifiquement distincts, dist. XXIV, n. 10. Aussi l’unité du sacrement de l’ordre n’est-elle qu’une unité générique, provenant de l’unicité de la fin. Sacramentum ordinis est unum génère, habens sub se plures species… quæ sunt diversse rationis et alterius speciei, non tantum ejusdem rationis et speciei, et diversæ numéro, n. 13.

Enfin, les actes des divers ordres ont été convenablement assignés, parce qu’ils mettent d’une façon convenable l’ordinand en rapport avec le sacrement de l’eucharistie. Saint Thomas, dist. XXIV, q. ii, a. 2 ; saint Bonaventure, part. II, expositio textus.

8. Rite essentiel de l’ordination.

On a vu plus haut que l’ordre, comme tout sacrement, doit, en

tant que sacrement, être constitué de matière et de forme. A propos du caractère sacerdotal, les Sententiaires se demandent si le caractère est imprimé dans la bénédiction, l’onction, l’imposition des mains, ou la tradition du calice. Cette question sera traitée plus amplement au paragraphe suivant, col. 1322. Notons simplement ici quelques traits propres aux grands théologiens du Moyen Age.

La réponse de saint Thomas est sans ambiguïté : bénédiction, imposition des mains, onction appartiennent à la préparation du sacrement. La bénédiction se donne à tous les ordinands, car tous sont destinés au service divin. L’imposition des mains donne la plénitude de la grâce qui rend capable de grands emplois ; aussi se fait-elle pour les diacres et les prêtres. Mais l’onction consacre pour qu’on touche le sacrement. Aussi ne se fait-elle qu’aux prêtres qui touchent le corps du Christ de leurs mains, comme aussi on joint le calice qui contient le sang et la patène qui supporte le corps. Mais le pouvoir de consacrer n’est communiqué au prêtre que dans la tradition du calice et de la patène, avec le vin et le pain, parce que cette matière, avec la forme qui la précise, désigne l’acte principal du sacerdoce, qui est de consacrer le corps du Sauveur. Cette doctrine qui est la doctrine reçue chez presque tous les auteurs du xme et du xive siècle, a été spécialement développée par saint Thomas dans l’opuscule De fidei articulis et septem sacramentis, qui a servi de texte au décret d’Eugène IV au concile de Florence (voir plus loin). Pour les auteurs qui suivent l’opinion de saint Thomas, voir col. 1322.

Nous noterons cependant ici que saint Bonaventure et Pierre de Tarentaise, tout en excluant positivement l’onction et la bénédiction, sont moins affirmatifs que saint Thomas pour faire de l’imposition des mains un hors-d'œuvre préparatoire au rite essentiel. In ordinibus, écrit saint Bonaventure, quoniam datur ibi nobilis potestas et excellens, fit manus impositio, non tantum instrumenti traditio ; quoniam manus est organum organorum, in quo scilicet residet potestas operandi ; unde sic ordinabant in Ecclesia primitiva, ubi non nisi isti duo ordines expliciti erant. Part. II, a. 1, q. iv. Nous relevons ici un trait historique, qui fait défaut chez saint Thomas, mais que nous retrouverons dans le commentaire de son fidèle interprète, Capréolus. Et celui-ci, pour se libérer de la difficulté tirée du rite d’ordination des Églises orientales, dira simplement que ces Églises jouissent d’un « privilège » ou d’une « dispense » de Dieu. Dist. XXIV, q. i, a. 3.

Le sous-diacre reçoit le caractère de son ordre en touchant le calice et la patène vides ; mais pour le diacre, dont l’ordre est intermédiaire entre le sacerdoce et le sous-diaconat, faute de signification possible à l'égard de l’acte principal de son ministère, c’est la tradition de l'évangéliaire, signifiant son ministère secondaire, qui lui confère le caractère. Saint Thomas, loc. cit.

Notons ici qu’un théologien d’aujourd’hui a cru trouver dans le texte du Commentaire, In IV am Sent., dist. XXIV, q. ii, a. 3, que, selon saint Thomas, l’imposition des mains confère la grâce, la tradition des instruments, le caractère, au prêtre et au diacre. A. Teixidor, De causalitate : acramentorum, dans Gregorianum, 1927, p. 76-100.

Les auteurs en général ne parlent pas du rite des ordres mineurs, sinon, comme saint Bonaventure tout spécialement, dans l’exposition du texte du Maître des Sentences, qui explique sur ce point le pontifical.

On verra plus loin, col. 1324, que Duns Scot fut l’initiateur d’un système différent de celui de saint Thomas, faisant entrer dans le rite essentiel de l’ordi

nation sacerdotale l’imposition des mains. Il est suivi par Pierre de la Palu et Thomas de Strasbourg.

9. La tonsure cléricale.

Rompant avec l’ordre de Pierre Lombard que suivent cependant la plupart des Sententiaires, saint Thomas traite ici, dist. XXIV, q. iii, a. 1 ; cf. Suppl., q. xl, a. 1-3, la question de la tonsure ; il justifie ce procédé, parce qu’après avoir parlé du sacrement de l’ordre, il aborde quædam quiv sunt ordinibus annexa. La tonsure est en forme de couronne, pour marquer la royauté de ceux qui appartiennent à la cléricature ; saint Bonaventure leur applique I Pet., ii, 9, dist. XXIV, part. I, a. 1, q. 1 ; cf. Richard de Médiavilla, q. i, a. 1 ; Pierre de Tarentaise, q. i. Saint Thomas accepte la même idée, sans y ajouter le texte de saint Pierre. Tous les auteurs marquent aussi dans la tonsure le symbole du renoncement au monde. Les trois auteurs qu’on a cités expliquent longuement en quoi consiste cette renonciation aux choses terrestres. Voir également Albert le Grand, a. 15. Ce symbolisme est loin d'être exclu par les origines historiques de la tonsure ; cf. Ph. Gobillot, Sur la tonsure chrétienne et ses prétendues origines païennes, dans Revue d’hist. eccl., 1925, p. 399-454. Il s’agit d’une renonciation affective plutôt qu’effective, non quantum ad possessionem, sed quantum ad affectionem. Saint Bonaventure, q. ni ; Richard, a. 1, q. ni ; Pierre de Tarentaise, q. m. Bien plus, saint Bonaventure, q. iv, et Pierre de Tarentaise, q. vi, exposent que l'évêque doit la subsistance aux clercs indigents.

10. L'épiscopat et la simple prêtrise. — Vient ensuite, chez saint Thomas, la question si importante et qui, dans la suite, ' sera si discutée, de la différence entre le simple sacerdoce et l'épiscopat. L’art. 2 est ainsi présenté : Utrum supra sacerdotalem ordinem debeat esse aliqua potestas episcopalis. Et très logiquement, l’article se divise en trois paragraphes : Audessus de l’ordre sacerdotal, doit-il exister une puissance épiscopale ? L'épiscopat est-il un ordre ? Au-dessus des évêques, peut-il y avoir une puissance supérieure dans l'Église ? La même subdivision se retrouve dans le Supplément, q. xl, a. 4, 5, G.

a) En ce qui concerne le pouvoir sacerdotal sur le corps réel de Jésus-Christ, saint Thomas pose en principe que le simple prêtre n’a pas d’autre supérieur que Dieu. C’est en ce qui concerne le pouvoir sacerdotal sur le corps mystique du Christ, c’est-àdire sur les fidèles, qu’il est chargé de disposer à à recevoir l’eucharistie, que le simple prêtre doit avoir un supérieur humain : « car toute puissance qui ne peut s’exercer sans certaines dispositions préalables, dépend de la puissance qui établit ces dispositions. Or, le prêtre ne peut lier et délier qu’autant qu’il a préalablement la juridiction d’autorité par laquelle lui sont soumis ceux qu’il absout, tandis qu’il peut consacrer toute matière déterminée par le Christ. » Sol. 1. Toutefois, même en dehors de la juridiction, l'évêque est supérieur au prêtre par la puissance de l’ordre par rapport à quelques sacrements. Sol. 2, et ad 2um.

b) Les Sententiaires, jusqu'à Scot et surtout Durand de Saint-Pourçain, tiennent que l'épiscopat n’est pas, à proprement parler, un ordre. Ils s’appuient sur l’autorité d’Hugues de Saint-Victor, qui ne compte que sept ordres, l'épiscopat étant une dignité dans l’ordre du sacerdoce. De sacramentis, t. II, part. 111, c. vi. Quant à la raison théologique de cette doctrine, elle est exposée par saint Thomas en ces termes : « Un bon ordre ne dépend pas d’un autre ordre précédent quant à la nécessité du sacrement ; or, la puissance épiscopale dépend de la puissance sacerdotale, puisqu’il faut d’abord être prêtre pour recevoir validement l'épiscopat. » Et maintenant l’expli cation : « L’ordre, en tant qu’il se réfère au sacrement de l’eucharistie est un sacrement, imprimant un caractère. Mais, précisément, l'épiscopat, en tant qu’il est supérieur à la simple prêtrise, ne se rapporte pas à l’eucharistie ; il n’est qu’une puissance spirituelle à l'égard d’autres sacrements. » S. Thomas, sol. 2 et ad 2um ; Suppl., q. xl, a. 5 ; S. Bonaventure, dist. XXIV, part. II, a. 2, q. m ; Richard, a. 5, q. n ; Albert le Grand, a. 39.

Le raisonnement est faible ; les prémisses sont contestables. Rien d'étonnant que l’opinion ait été de plus en plus contredite. Scot, dans les Reportala, t. IV, n. 9, déclare nettement que l'épiscopat est un ordre hiérarchique distinct, précisément en raison des pouvoirs spéciaux qu’il confère : episcopatus est specialis gradus et ordo in Ecclesia, cujus est ordines omnes conferre et per consequens omnes in istis eminentibus conslituere. Durand de Saint-Pourçain, appuyé sur l’autorité de l’Aréopagite, enseigne que l'épiscopat doit être considéré comme un ordre et comme un sacrement complétant le presbytérat. In IVum Sent., dist. XXIV, q. vi, n. 4. On doit également citer les noms de Pierre de La Palu, q. vi, a. 3 ; de Gabriel Biel, de Jean Major et, précédemment, de Guillaume d’Auxerre, Summa, t. IV, tr. viii, et de Guillaume de Paris, De sacramento ordinis, c. xiii, etc. On ne peut nier toutefois, qu'à l'époque que nous étudions (xme -xve), l’immense majorité des auteurs tenait pour la non-distinction de l'épiscopat et du simple sacerdoce quant à l’ordre et au caractère sacramentel ; cf. R. Capisucchi, O. P., Controv. theol. sélect., Rome, 1670, controv. xxviii, de episcopatu, § 2. L’opinion de Scot et de Durand a pris de plus en plus de force à partir de Bellarmin (voir plus loin). Toutefois la supériorité de l'épiscopat sur la simple prêtrise est fondée sur le droit divin. Cette doctrine affirmée sans ambages chez saint Thomas, saint Bonaventure et la plupart des auteurs, est aussi celle de Duns Scot, dist., XXIV, q. i, schol. 2, et de Durand de Saint-Pourçain, id., q. v, a. 9, nonobstant quelques expressions équivoques.

c) La dernière question est relative au pape, dont les auteurs justifient la puissance, supérieure même à la puissance épiscopale : « Au-dessus du pouvoir directif qui se propose un bien particulier, il faut qu’il y ait un pouvoir universel qui se rapporte au bien général. Puisque l'Église entière ne fait qu’un corps, il faut, pour conserver cette unité, qu’il y ait, par rapport à l'Église entière, une puissance directive placée au-dessus de la puissance épiscopale qui doit régir chaque Église particulière. Telle est la puissance du pape. » Sol. 3. Mais, quant au pouvoir d’ordre, l'évêque est égal au pape. Cette dernière question est spécialement traitée par saint Thomas, loc. cit.

Pareillement, dans l’a. 3, le même théologien expose les raisons de convenance des vêtements et ornements propres à chaque ordre.

11. Le ministre de l’ordination. — C’est la question posée dès le début de la distinction XXV. Tous les commentateurs affirment unanimement, avec la tradition catholique, que l'évêque est le seul ministre de l’ordination. Les prêtres qui imposent avec lui les mains sur les ordinands, l’archidiacre qui, au cours de la cérémonie, présente divers objets, ne confèrent aucun ordre. Ce sont des rites symboliques, mais de soi inefficaces quant à la transmission des pouvoirs. S. Thomas, dist. XXV, q. i, a. 1 ; cf. Suppl., q. xxxviii, a. 1 ; S. Bonaventure, dist. XXV, a. 1, q. i ; Richard, n. 1, q. i ; Thomas de Strasbourg, q. i, a. 1 ; Fr. de Mayronis, q. m ; Pierre de Tarentaise, q. i. Tous ces théologiens reconnaissent d’ailleurs que le pape peut déléguer à un simple prêtre

le pouvoir de conférer les ordres mineurs, comme la confirmation. S. Thomas, loc. cit., ad 3 l, m.

Sur la validité des ordinations conférées par des évêques hérétiques, schismatiques, la doctrine est désormais fixée : s’ils ont vraiment reçu l’onction épiscopale, vere sacramenta conferunt, sed cum eis gratiam non dant, non propter ine/Jicaciam sacramentorum, sed propter peccata recipienlium ab eis sacramenta contra prohibitionem Ecclesiæ. Le pouvoir d’ordre demeure indélébile chez les évêques qui l’ont reçu. S. Thomas, dist. XXV, q. i, a. 2 ; Suppl., q. xxxviii, a. 2 ; Richard, dist. XXV, q. n ; Pierre de Tarentaise, q. ni. Duns Scot ne se dissimule pas les raisons qu’on peut invoquer pour l’invalidité des ordinations dans une société hérétique, celle-ci notamment, que l'Église qui a donné aux évêques le pouvoir de l’ordre peut le reprendre. Cette conclusion serait fondée si le pouvoir de juridiction était seul conféré dans l’ordination. Mais la consécration épiscopale confère également une haute potestas ordinis, que l'Église ne donne pas en son nom personnel, mais au nom du Christ. Les évêques hérétiques, en vertu de leur pouvoir d’ordre, peuvent donc consacrer validement, bien qu’ils ne le puissent faire licitement, car, en tant qu’apostats, ils perdent l’usage de leur autorité. Reporlata, t. IV, dist. XXV, q. i, n. 16. C’est, en somme, sur cet argument théologique que Scot établit une distinction d’ordre et de sacrement entre la prêrise et l'épiscopat, voir ci-dessus, col. 1312. Même doctrine chez Durand de Saint-Pourçain, dist. XXV, q. i, ad 2um. Ainsi se trouve fixée définitivement dans l'Église la distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction ; le pouvoir d’ordre demeurant attaché au caractère indélébile.

La question spéciale des ordinations simoniaques est examinée à part, en raison des controverses qui ont agité le haut Moyen Age sur ce sujet. S. Thomas la traite, dist. XXV, q. iii, a. 1-3 ; S. Bonaventure, a. 1, q. m ; Richard, a. 2, q. i et n ; Pierre de Tarentaise, q. iv-vi. Tout d’abord, définition de la simonie : studiosa voluntas emendi vel vendendi aliquid spirituale vel spiriluali annexum ; les simoniaques ne sont pas, à proprement parler, des hérétiques, cum non habeant aliquam falsam opinionem ; ils ne sont hérétiques que par analogie, en tant qu’ils estiment faussement que le don de l’Esprit-Saint peut être acheté. Enfin, les cas d’ordinations simoniaques doivent être ainsi résolus. L’ordre est validement reçu ; mais en exercer le pouvoir est interdit ; le simoniaque, de quelque façon qu’il le soit, est suspens ipso facto. Toutefois il peut y avoir des simoniaques occultes. La raison pour laquelle, contrairement aux théories admises aux xi c et xiie siècles, l’ordination simoniaque est valide, c’est que le simoniaque non intendit emere illud quod est per se spirituale ut characlerem, sed operationem minislri, quæ est corporalis et causa sacramenti rei spiritualis. Il ne faut d’ailleurs pas confondre avec la simonie les honoraires, les prébendes, les rétributions et fondations, la vente des vases sacrés, la cession des droits de patronage, le droit de percevoir la dîme, etc. S. Thomas, q. iii, a. 2. Dans l’art. 3, le Docteur angélique examine les trois façons dont, selon Urbain II, peut se produire la simonie, munere linguæ, indebiti obsequii, pecuniiv.

12. Le sujet de l’ordination. — Une condition est requise de neccssilate sacramenti, c’est que le chrétien qui doit être ordonné, soit de sexe masculin. L’existence des diaconesses et des veuves dans la primitive Église n’infirme en rien ce principe, car ces femmes ne possédaient aucun pouvoir sacré. S. Thomas, dist. XXV, q. i, a. 1, sol. 1 ; Suppl., q. xxxix, a. 1 ; S. Bonaventure, dist. XXV, a. 2, q. i ; Scot,

    1. DICT DE THÉOL##


DICT DE THÉOL. CATHOL.

q. n ; Richard, q. i ; Thomas de Strasbourg, q. i, a. 2 ; Fr. de Mayronis, q. iv ; Pierre de Tarentaise, q. vu.

L’usage de la raison n’est pas absolument requis pour la validité. L’ordre n’est pas du nombre des sacrements qui requièrent pour leur validité, un acte positif d’acceptation. Ainsi, pour certaines raisons légitimes, on peut conférer licitement les ordres mineurs à des enfants encore privés de l’usage de la raison. Pour les ordres majeurs, l’honnêteté et le précepte de l'Église exigent l’usage de la raison. Saint Bonaventure précise qu’il est impossible d’imposer l’obligation de la continence à qui ne sait pas à quoi il est engagé. Quant à l'épiscopat, les motifs qui exigent l’usage de la raison sont pius impérieux encore. Voir les mêmes auteurs, S. Thomas, dist. XXV, q. i, a. 1, sol. 2 ; cf. Suppl., a. 2 ; S. Bonaventure, q. n ; Richard, a. 4, q. n ; Pierre de Tarentaise, q. vin ; Pierre de la Palu, q. iii, a. 1, concl. 3.

Les autres empêchements sont aussi examinés : esclavage, homicide, naissance illégitime, mutilation, bigamie, mais toutes ces questions relevant d’autres articles, nous ne faisons que les indiquer.

13. L’origine de la juridiction épiscopale avant le concile de Trente. — Bien que ce sujet relève de la question de la primauté du pape, il est nécessaire de dire ici brièvement comment il fut envisagé par quelques théologiens antérieurs au concile de Trente. Nous en choisirons deux, représentatifs des deux courants, qui se heurteront dans la xxme session.

Le premier en date, Torqucmada, part de ce principe que le Christ a donné à son Église la constitution monarchique la plus parfaite, et de là il tire des conséquences qui font découler du pape tout pouvoir ecclésiastique. D’après lui, les apôtres auraient reçu immédiatement du Christ le pouvoir d’ordre complet lors de l’institution de l’eucharistie. Mais le pouvoir de juridiction au for interne et au for externe n’aurait été donné immédiatement par le Christ qu'à Pierre seul. Joa., xxi, 15 sq. Tous les autres passages de l'Écriture sur l’apostolat des Douze sont interprétés en ce sens que le Christ aurait donné aux apôtres seulement le pouvoir d’enseigner dans le monde entier ; mais ils auraient reçu de saint Pierre immédiatement leur juridiction épiscopale lors de leur dispersion, quoique cependant de cette manière ils l’aient reçue indirectement du Christ. Summa de Ecclesia, c. lxii. Et ainsi, les successeurs des apôtres, les évêques, recevraient encore aujourd’hui leur juridiction du pape immédiatement.

A rencontre de cette théorie, nous trouvons, au début du xve siècle un théologien de marque, Alphonse de Castro, qui enseigne l’origine immédiatement divine de la juridiction des apôtres et, par voie de conséquence, des évêques leurs successeurs. Omnes sacri doctores dicunt episcopos successisse aposlolis. Apostoli autem a Deo et non ab homine ullo fuerunt crdinati apostoli et episcopi. Si Christus apostclis dédit potestatem prædicandi evangelium et pvtestatem ligandi et solvendi, et episcopi successerunt in locum apostolorum, consequens est, ut episcopi etiam habeant a Deo et non ab homine has omnes potestates. De justa lui reticorum punitione, Lyon, 1556, t. II, c. xxiv, p. 489.

Est-il besoin de rappeler que Cajétan voulut prendre une position moyenne ? Les apôtres ont reçu tous leurs pouvoirs immédiatement du Christ. Mais ce fut là un mode exceptionnel. Après eux, le pouvoir épiscopal dut dériver des papes, successeurs de Pierre. De potestate papæ, c. n et m.

Aucun travail d’ensemble, à notre connaissance, n’existe sur la théologie du sacrement de l’ordre au Moyen Age. Nous signalerons ici simplement une intéressante esquisse thèse de synthomiste : La doctrine de S. Thomas sur le

T.

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sacrement de l’ordre, par le P. J. Périnelle, O. P., dans Revue des sciences phil. et théol., 1930, p. 236.