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Dictionnaire de théologie catholique/Sévère d’Antioche

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Letouzey et Ané (Tome 14.2 : SCHOLARIOS - SZCZANIECKIp. 243-249).

1. SÉVÈRE D’ANTIOCHE. — Sévère fut patriarche d’Antioche de 512 à 538. En réalité, il fut exilé dès 518 et empêché dès lors de remplir ses fonctions. I. Vie. II. Écrits (col. 1991). III. Doctrine (col.  1995).

I. Vie. — Nous sommes renseignés sur la vie de Sévère d’Antioche par trois anciennes biographies. Un de ses amis de jeunesse, Zacharie le Rhéteur, écrivit entre 512 et 518, avec des intentions apologétiques, le récit de la vie de Sévère jusqu’à 512, c’est-à-dire jusqu’à son élévation sur le siège patriarcal d’Antioche. L’original grec de cette biographie est perdu, mais nous en possédons une traduction syriaque. M.-A. Kugener, Vie de Sévère par Zacharie le Scholastique ; texte syriaque publié, traduit et annoté dans Patrologia orientalis [P. O.], t. ii, fasc. 1. Paris. 1903.

Peu de temps après la mort de Sévère, Jean, abbé du monastère de Beith-Aphthonia, sur la rive gauche de l’Euphrate, écrivit à son tour une vie de Sévère, qui comporte le récit de toute son existence agitée. Il est vraisemblable que l’original était rédigé en grec ; en tout cas, nous ne possédons qu’un texte syriaque. M.-A. Kugener, Vie de Sévère par Jean, supérieur du monastère de Beith-Aphthonia, texte syriaque publié, traduit et annoté, suivi d’un recueil de fragments historiques syriaques, grecs, latins et arabes relatifs à Sévère. P. O., ii, fasc. 3, Paris, 1905.

Enfin, une biographie éthiopienne, moins importante, a été éditée et traduite en anglais par E.-J. Goodspeed et W.-E. Crum, dans P. O., iv, fasc. 6, Paris, 1908.

Sévère était né à Sozopolis en Pisidie. Il passa par les écoles littéraires d’Alexandrie et apprit le droit à Béryte (Beyrouth). Il n’était pas encore baptisé et, s’il faut en croire Zacharie le Rhéteur qui avait été son compagnon d’études, il n’aurait pas manifesté pour le christianisme une sympathie bien ardente pendant les années qu’il passa à Alexandrie. Ce fut à Béryte qu’il se convertit : Zacharie parvint à l’intéresser aux choses religieuses, lui fit lire de bons livres, le mena à l’église ; bref, Sévère fut baptisé en 488 à Saint-Léonce de Tripoli. Les hommes de sa trempe ne font rien à moitié. Devenu chrétien, Sévère voulut l’être tout entier ; il se fit moine et prit l’habit dans un couvent situé près de Maïouma de Gaza. D’ailleurs, il ne resta pas dans son monastère ; il commença par vivre dans la solitude et y fit de telles prouesses d’ascétisme que sa santé en fut bientôt compromise. Il dut reprendre la vie commune et fonda près de Maïouma un nouveau couvent qui ne tarda pas à prospérer. Ce fut alors qu’il reçut la prêtrise des mains d’Épiphane, évêque de Magydos en Pamphylie, qui venait d’être privé de son siège.

Le couvent où Sévère avait reçu l’habit monastique, conservait précieusement les traditions de Pierre l’Ibérien. Épiphane de Magydos avait été déposé à cause de ses convictions monophysites et de sa résistance à l’Hénotique. C’est dire que, tout de suite, Sévère fut conquis par le monophysisme dont il devait se montrer jusqu’à la fin le champion le plus ardent.

Dès 509, il eut l’occasion de faire la preuve de son zèle. Les moines de Maïouma ayant été molestés par un certain Néphalios, qui était l’agent d’exécution du patriarche Élie de Jérusalem. Sévère et deux de ses disciples entreprirent d’aller jusqu’à Constantinople pour demander justice à l’empereur. Leur affaire fut bientôt réglée : ils trouvèrent à la capitale des amis influents, grâce à qui ils obtinrent gain de cause. Cela ne les empêcha pas de prolonger leur séjour à Constantinople, pour le plus grand profit de la cause monophysite. Ils y restèrent trois ans et se montrèrent des plus entreprenants. Tandis que Sévère multipliait les ouvrages de controverse, écrivait contre les eutychiens et contre les messaliens, revendiquait pour son parti l’autorité de saint Cyrille dans un livre intitulé Cyrille ou Le Philalèthe, ses moines employaient des arguments d’un autre genre et suscitaient des émeutes, à la grande contrariété du patriarche Macédonius.

Ils firent tant et si bien que Macédonius fut en effet déposé (511) : les monophysites auraient bien voulu lui donner Sévère pour successeur. Ils n’osèrent pas cependant et leur choix s’arrêta sur un certain Timothée, qui appartenait au clergé de la capitale. À défaut du siège de Constantinople, ils s’arrangèrent d’ailleurs pour faire attribuer à Sévère celui d’Antioche. Le patriarche de cette ville, Flavien, eut à lutter contre toutes sortes d’intrigues nouées habilement contre lui ; les concessions qu’il fit aux monophysites ne servirent qu’a montrer sa faiblesse et à accroître les exigences de ses adversaires : on finit par obtenir de lui qu’il quitterait Antioche pour le bien de la paix ; et, lorsqu’il en fut sorti, un concile réuni à Laodicée le déposa et l’exila à Pétra. Sévère fut élu : le 6 novembre 512, il fut consacré par les métropolitains de Tarse et de Mabbough, assistés d’une dizaine d’évêques. Il déclara alors accepter l’Hénotique et condamna en même temps le Tome de saint Léon et le concile de Chalcédoine.

Dès le début de son épiscopat, Sévère rencontra d’ailleurs de fortes oppositions. Tandis que les monophysites d’extrême-gauche le trouvaient trop modéré, les chalcédoniens et même les hénoticiens modérés, comme Élie de Jérusalem, lui reprochaient son attitude hostile à l’égard du concile et du Tome. Il fallut lutter. Il y eut des émeutes jusqu’aux abords du fameux sanctuaire de saint Siméon le Stylite, où les hommes de Sévère assommèrent trois cent cinquante moines venus de la Syrie seconde pour manifester contre le patriarche : les survivants adressèrent une plainte au pape Hormisdas.

Sur ces entrefaites, le vieil empereur Anastase vint à mourir, 9 juillet 518. Pendant les dernières années de sa vie, il avait à plusieurs reprises amorcé des négociations avec Rome pour le rétablissement de la paix religieuse : preuve manifeste de l’échec de sa politique. Voir l’art.  Hormisdas, t. vii, col. 162 sq. Rien n’avait pu être conclu ; mais son successeur, Justin, qui n’avait pas les mêmes raisons que lui de prendre la défense de l’Hénotique, se montra tout de suite partisan du concile de Chalcédoine. In de ses premiers soins fut de chercher à s’emparer de Sévère d’Antioche, dont les excitations avaient causé tant de troubles à Constantinople et en Syrie. Il ne put d’ailleurs réaliser ce dessein : Sévère s’enfuit d’Antioche et passa en Égypte, où il arriva le 29 septembre 518.

Là, les abris ne lui manquèrent pas. Il s’établit, semble-t-il, au monastère d’Ennaton, et dès lors il dirigea avec une énergie inlassable la résistance au nouveau régime. Sans doute la police le traquait ; il était souvent obligé de changer de résidence ; mais il se maintenait en communication avec les évêques exilés, avec ses fidèles d’Antioche et ses moines dispersés dans tout l’Orient. Il écrivait sans cesse des écrits de controverse, des lettres ; il constituait des dossiers. Il avait à lutter de toutes parts. Il s’opposait en particulier à Julien d’Halicarnasse, dont les doctrines excessives portaient le trouble dans les esprits. Celui-ci répondait d’ailleurs, et les discussions se prolongeaient sans répit entre aphthartodocètes et phthartolâtres. Cf. R. Draguet, Julien d’Halicarnasse et sa controverse avec Sévère d’Antioche, Louvain, 1924, et ici l’art.  Julien, t. viii, col. 1934.

Une fois de plus, cependant, les événements parurent tourner en faveur de Sévère. Lorsque, après la mort de Justin (527), son neveu Justinien fut monté sur le trône, les monophysites, appuyés en secret par l’impératrice Théodora, purent croire venue l’heure de la revanche. Sous l’influence de la basilissa, l’évêque de Trébizonde, Anthime, fut choisi pour occuper le siège de Constantinople que venait de laisser vacant la mort d’Épiphane (535) : officiellement, il faisait profession d’accepter le concile de Chalcédoine, mais on le savait en secret accord avec les monophysites ; il paraissait ainsi offrir toutes garanties aux partisans de Sévère.

Depuis quelque temps déjà, celui-ci était l’objet des sollicitations de l’empereur. On ne se contentait pas de le laisser tranquille dans ses repaires égyptiens. On le pressait d’en sortir et de reparaître publiquement à Constantinople. Vers le temps de l’intronisation d’Anthime, Sévère se laissa persuader et arriva dans la capitale. Naturellement, on lui donna le gîte au palais impérial, ou il ne tarda pas à être l’objet de l’attention générale. Il entra en rapports avec Anthime : le patriarche, qui ne tenait pas autrement au concile de Chalcédoine, fut facile à circonvenir. Des lettres officielles, mais secrètes, furent échangées entre Sévère et lui ; le patriarche d’Alexandrie, Théodore, entra dans la combinaison. Bientôt, ils se trouvèrent tous trois en relations de communion.

Ce fut sur ces entrefaites que le pape Agapit arriva à Constantinople : il y venait officiellement pour s’occuper des affaires d’Italie ; mais il était impossible qu’il ne s’intéressât pas aussi aux controverses orientales. Dès son arrivée, le patriarche Anthime se hâta de disparaître et le pape accueillit lui-même des requêtes qui réclamaient la prompte expulsion de Sévère et de ses partisans. Sa mort inopinée (22 avril 536) n’empêcha pas les événements de suivre leur cours ; un synode fut convoqué, qui confirma la déposition d’Anthime et renouvela contre Sévère toutes les condamnations portées naguère contre lui.

Ce fut dès lors la fin. L’empereur Justinien approuva dans un édit solennel, daté du 6 août 536, les sentences prononcées par le concile ; il interdit rigoureusement à Sévère et à ses partisans le séjour de la capitale, il proscrivit les livres de Sévère comme l’avaient été ceux de Nestorius. Sévère dut obéir à ces ordres : il s’éloigna de Constantinople et regagna ses déserts égyptiens. Il recommença, de là, sa campagne de propagande et communiqua à ses partisans les lettres qu’il avait naguère échangées avec le patriarche Anthime ; du moins ces lettres servaient-elles à prouver qu’il n’avait jamais abandonné le bon combat. Sa dernière heure ne tarda pas à sonner : Sévère mourut le 8 février 538 à Xoïs, où ses disciples l’avaient transporté pour le soigner. On l’enterra au monastère de l’Ennaton.

« Sévère demeura en grand renom, en grande vénération dans son parti. Ascète impitoyable à son corps, homme de grande culture, profondément versé dans la littérature biblique, dans celle des Pères, et dans le droit canonique ; écrivain facile : raisonneur subtil et indéconcertable ; ambitieux sans doute, mais préoccupé plutôt du succès de ses idées que de sa propre fortune ; caractère implacable ; il fut de son vivant et demeura par ses livres la maîtresse colonne du parti monophysite. » L. Duchesne, L’Église au vie siècle, p. 99.

II Écrits. — Sévère d’Antioche a beaucoup écrit au cours de sa longue carrière ; mais la plupart de ses ouvrages ont disparu dans leur texte original, et il est vraisemblable que la condamnation portée contre eux par Justinien en a hâté la disparition. Nous en avons encore des fragments d’importance variable, dans les chaînes exégétiques ou dans les florilèges dogmatiques. Cf. Karo et Lietzmann, Catenarum græcarum catalogus, Goettingue, 1902, p. 171 : R. Devreesse, art. Chaînes, dans Supplément du Dictionnaire de la Bible, t. i, col. 1113, 1137, 1144, 1151, 1154, 1156, 1158, 1173, 1181, 1192, 1200, 1223 ; F. Diekamp, Doctrina Patrum de incarnatione Verbi, Munster, 1907, p. 366. Un certain nombre de ces fragments ont été édités par le cardinal Mai, Scriptorum veterum nova collectio, t. ix, Rome, 1837, p. 725-741 ; Classici auctores, t. x, Rome, 1838, p. 408-473 ; Spicilegium romanum, t. ix. Rome, 1844, p. 202-205. Tout cela demanderait à être revu soigneusement et complété. Une homélie, celle qui porte dans le recueil syriaque le n. 77, a été conservée en grec sous le nom de saint Grégoire de Nysse, P. G., t. xlvi, col. 627-652. Le texte grec avec les traductions syriaque et française est publié par M. A. Kugener et E. Triffaux, dans P. O., t. i, fasc. 5, Paris, 1922,

À défaut du texte grec des œuvres de Sévère, nous possédons encore, pour la plupart d’entre elles, des traductions syriaques qui sont très précieuses et dont plusieurs ont été récemment éditées.

1o Écrits dogmatiques. — Contre Julien d’Halicarnasse, cinq traités ont été écrits par Sévère : Critique du tome de Julien, conservée dans une traduction syriaque par le Vatic. 140 en entier, et presque complètement par le Vatic. 255. Cf. R. Draguet, Julien d’Halicarnasse, p. 25 sq.Réfutation des propositions : en syriaque dans le Vatic. 140 et dans le British Museum, Add. 14 259 ; partiellement dans le Vatic. 225 ; cf. R. Draguet, op. cit., p. 31 sq.Contre les additions au tome. À la suite d’une seconde édition, revue et augmentée du tome, Sévère répondit par cet ouvrage, qui figure dans le Vatic. 140 et dans le British Museum, Add. 12 158 ; R. Draguet, op. cit., p. 45. — Contre l’apologie de Julien, en 33 chapitres ; ouvrage conservé dans Add. 12 158 et partiellement dans Vatic. 140 ; R. Draguet, op. cit., p. 17. — L’apologie du Philalèthe, contenue dans le Vatic. 140 est le dernier des grands traités antijulianistes. R. Draguet, op. cit., p. 50 sq., a le premier mis en évidence le véritable caractère de cet ouvrage, qui appartient à la série des écrits contre l’aphthartodocétisme. Une première série des écrits antijulianistes de Sévère a paru à Beyrouth, 1931, par les soins de A. Sanda ; elle comprend les lettres de Julien et de Sévère, la Réfutation du tome et la Réfutation des propositions.

Le Philalèthe lui-même, qui est transcrit dans le Vatic. 139, est tout autre chose : c’est essentiellement un examen détaillé des 244 chapitres de saint Cyrille que l’on opposait à Sévère et à ses partisans. Le recueil, qui renfermait ces citations et que Sévère a pris soin de recopier, avait été composé par un dyophysite anonyme. Cf. R. Draguet, op. cit. p. 56 sq. Le Philalèthe a été édité, avec une traduction latine par A. Sanda, Beyrouth, 1928.

Trois traités Contre Jean le Grammairien : celui-ci était un chalcédonien. Sévère lui oppose surtout des témoignages patristiques et répond aux objections que les chalcédoniens tiraient de l’autorité des Pères. Le troisième traité a été publié par J. Lebon, dans le Corpus scriptorum orientalium christianorum, Paris, 1929 et 1933 ; les deux premiers traités, qui ont été récemment découverts dans un état incomplet, ont paru à leur tour en 1938.

Contre le grammairien Sergius, quatre lettres, conservées dans le ms. du British Museum, Add. 17 154 ; cf. J. Lebon, Le monophysisme sévérien, p. 163 sq. Sergius était un eutychianiste ; Sévère lui fait reconnaître ses erreurs, sans parvenir d’ailleurs à le convaincre entièrement. Il semble que ces lettres sont de peu postérieures à 515.

Deux traités à Néphalius, écrits aux environs de 508. Cf. Lebon, op. cit., p. 219 sq. La véritable attitude doctrinale de Néphalius est assez difficile à préciser, car ce personnage semble avoir été assez versatile. Cependant, lorsque Sévère le réfuta, il était chalcédonien, en ce sens du moins qu’il expliquait les formules employées par le concile en remarquant qu’il avait fallu avant tout écarter l’eutychianisme.

Il est à remarquer que tous ces traités doctrinaux de Sévère sont dirigés contre des adversaires et présentent un caractère polémique. Le patriarche d’Antioche n’écrit pas simplement pour exposer une doctrine ; il lutte, il combat, il réfute. On dirait qu’il se sent pleinement à l’aise dans la bataille. On peut également souligner que ses adversaires sont de droite autant que de gauche. Sévère lutte de toutes ses forces contre Julien et contre Sergius qui sont des monophysites ; il ne s’oppose pas moins à Jean le Grammairien et à Néphalius qui défendent le concile de Chalcédoine. Ne se trompe-t-il jamais dans l’appréciation qu’il fait de ses ennemis ? Cela est une autre question : récemment, M. Draguet s’est efforcé de prouver que l’aphthartodocétisme de Julien d’Halicarnasse était susceptible de recevoir un sens orthodoxe et que, sous des formules équivoques, Julien exprimait en réalité la doctrine même de saint Cyrille. S’il en est ainsi, Sévère a été imprudent de s’arrêter aux mots sans chercher à comprendre leur véritable sens. En toute hypothèse, il est curieux de noter l’ardeur avec laquelle Sévère s’oppose à tout excès : on a rarement vu un homme du centre lutter avec autant de persévérance et de courage pour défendre les positions moyennes qui sont les siennes.

De très bonne heure, les écrits dogmatiques de Sévère jouirent dans le monde oriental d’une grande popularité. Dès 528, les écrits du patriarche contre Julien et les julianistes furent traduits en syriaque par Paul de Callinique, et nous en possédons des manuscrits qui datent environ du vie siècle : on s’est même demandé si le Vatic. 140 ne serait pas le manuscrit autographe de Paul. Avant la fin du vie siècle, un certain Sergius avait également traduit en arménien les écrits de Julien d’Halicarnasse ; mais cette version a complètement disparu.

2o Homélies. — Un recueil d’Homélies cathédrales, c’est-à-dire de sermons prononcés par Sévère pendant les quelques années où il a réellement occupé le siège d’Antioche (512-518), comprend cent vingt-cinq pièces rangées dans l’ordre chronologique. Ce recueil a été traduit en syriaque aux environs de 530 par Paul de Callinique, et encore une fois aux environs de 700 par l’évêque Jacques d’Édesse. Ces deux traductions sont parvenues jusqu’à nous, au moins en grande partie.

A. Baumstark, Das Kirchenjahr in Antiochien zwischen 512 und 518, dans Römische Quartalschr. für christl. Altertumskunde, t. xi, 1897, p. 31-66 ; t. XIII, 1899, p. 305-323, a étudié ces homélies ; il les répartit d’après leur contenu en quatre groupes : 1. Sermons pour les principales fêtes de l’année liturgique ; 2. Sermons sur les saints ; 3. Homélies exégétiques sur les leçons scripturaires du dimanche : 4. Discours d’occasion. Un grand nombre de ces homélies ont déjà été publiées avec une traduction française dans la Patrologia orientalis, par les soins de MM. Guidi, Brière, R. Duval, Trillaux et Kugener. Ce sont celles qui portent les numéros lii-lvii t. iv, fasc. 1, 1906) ; lviii-lix (t. viii, fasc. 2, 1912) ; lxx-lxxvi (t. xii, fasc. 1, 1914) ; lxxvii (t. xvi, fasc. 5) ; lxxviii-lxxxiii (t. xx, fasc. 2) ; lxxxiv-xc, (t. xxiii, fasc. 2) ; xcix-ciii (t. xxii, fasc. 2, 1929) ; xci-xcviii (t. xxv, fasc. 1). D’autre part, les homélies cxix sur les noces de Cana et cxxiii contre le manichéisme ont été publiées en syriaque et en latin par J.-E. Rahmani, Studia syriaca, t. iv, Mont-Liban, 1909 ; cf. Kugener et Cumont, Extrait de la cxxiiie homélie de Sévère d’Antioche (Recherches sur le manichéisme, t. ii), Bruxelles, 1912. L’homélie lii a été publiée par Bevsley et Barnes, The fourth book of Maccabees, Cambridge, 1895 ; l’homélie i par M. A. Kugener, dans Oriens christianus, t. ii, 1902, p. 265 sq.

3o Lettres. — La correspondance de Sévère a été extrêmement riche. De très bonne heure, les lettres du patriarche ont été recueillies et groupées dans l’ordre chronologique en 23 livres qui comprenaient environ 4 000 numéros. Naturellement, on a dû bien vite donner des extraits de cette vaste correspondance, et mettre à part les lettres écrites par Sévère pendant les années de son patriarcat. On a constitué de la sorte un recueil abrégé qui contenait encore à peu près 700 lettres et qui était aussi divisé en livres. De ce nouveau recueil, le l. VI, comprenant 123 lettres, a été traduit du grec en syriaque aux environs de 669 par le prêtre Athanase de Nisibe. Il a été publié avec une version anglaise par E.-W. Brooks. The sixth book of the selected letters of Severus, patriarch of Antioch, in the syriac version of Athanasius of Nisibis, Londres, 1902-1904. D’autres lettres qui ont été également traduites en syriaque dans les cercles monophysites ont été encore publiées et traduites par Brooks sous ce titre : A collection of letters of Severus of Antioch. dans P. O., t. xii, fasc. 2, 1916 et t. xiv, fasc. 1, 1919. Six lettres de Sévère ont trouvé place dans l’Histoire ecclésiastique de Zacharie le Rhéteur, l. IX, c. XI-XIII, xix, xx, xxii, xxiii : on les y trouvera dans l’édition de Ahrens et Krueger, Leipzig, 1899.

Les lettres de Sévère présentent un intérêt considérable, tant au point de vue historique qu’au point de vue doctrinal. Sévère a été en relations avec un nombre considérable de personnes, appartenant aux milieux les plus différents ; il a été mêlé, au cours d’une carrière passablement aventureuse, à toutes sortes d’événements. Ses lettres font revivre, avec une étrange précision, une période mouvementée ; elles nous révèlent aussi bien des aspects ignorés des controverses dogmatiques. Il est regrettable que la collection n’en ait pas été conservée au complet.

4o Écrits liturgiques. — La tradition a gardé le souvenir d’une certaine activité de Sévère dans le domaine liturgique. C’est ainsi qu’un rituel baptismal, traduit en syriaque par Jacques d’Édesse, dans la seconde moitié du viie siècle, porte le nom de Sévère. Il a été publié en syriaque et en latin dès 1572 par G. Fabricius Boderianus à Anvers. Toutefois, son authenticité n’est pas incontestable, car certains manuscrits en présentent Sévère non comme l’auteur au sens propre, mais comme le rédacteur ou le reviseur, le texte primitif remontant à Clément ou aux apôtres. Cf. A. Baumstark, Gesch. der syrischen Literatur, Bonn, 1922, p. 253. Il faut mentionner aussi un Ordo baptismi et un Ordo brevis baptismi, dans E.-S. Assemani, Codex liturgicus Ecclesiæ universæ, Rome, 1749-1750, t. ii, p. 261 sq., 300 sq. ; et une Liturgia eucharistica, dans E. Renaudot, Liturgiarum orientalium collectio, t. ii, p. 321 sq.

5o Poésies. — Des poésies religieuses qui portent également le nom de Sévère ont été rassemblées avec d’autres poèmes du même genre, écrits par divers auteurs dans un livre de chants liturgiques, qui prit plus tard le nom d’Octoéchos, à cause des huit tons en usage dans ce chant. Cf. A. Baumstark, Festbrevier und Kirchenjahr der syrischen Jakobiten, p. 45-48. Une traduction syriaque du recueil fut faite au commencement du viie siècle par l’évêque Paul d’Édesse : celui-ci se préoccupa surtout de conserver la mesure des vers originaux. Plus tard, Jacques d’Édesse revisa avec soin le travail de son prédécesseur ; il releva toute les additions qui avaient dû être faites en vue de maintenir la métrique originale ; il nota toutes les libertés qui avaient pu être prises à l’égard du texte authentique ; bref, il fit en sorte de rendre la traduction aussi littérale que possible et de permettre à tout instant la découverte des mots grecs sous leur vêtement syriaque. Cf. A. Baumstark, Gesch. der syr. Lit., p. 190 et 253. Nous possédons de cette revision un ms.  daté de 675 qui pourrait être l’autographe de Jacques d’Édesse ; c’est d’après lui qu’a été édité le texte : E.-W. Brooks, James of Edessa, The hymns of Severus of Antioch and others, Syrish and English, dans P. O., t. vi, fasc. 1 ; t. vii, fasc. 5 ; 1910 et 1911. Cf. Jeannin et Puyade, L’Octoéchos syrien, dans Oriens christianus, nouv. série, t. iii, 1913, p. 82-104 ; 277-298.

On voit, par les brèves indications qui précèdent, que l’héritage de Sévère d’Antioche est considérable. Si le texte original de la plupart île ses livres a disparu, les traductions syriaques nous ont conservé un tic, grand nombre de ses écrits ; et il est loin d’être exclu que d’autres encore inconnus puissent être retrouvés un jour ou l’autre.

Il faut ajouter que des fragments des écrits de Sévère ont été également découverts dans des traductions coptes et éthiopiennes. Cf. E. Porcher, Sévère d’Antioche dans la littérature capte, dans Revue de l’Orient chrétien, t. xii, 1907, p. 119-124 ; La première homélie cathédrale de Sévère d’Antioche, texte copte et traduction, ibid., t. xix, 1914, p. 69-78 ; 135-142.

J. Stiglmayr a émis récemment l’hypothèse que Sévère pourrait être l’auteur des écrits du pseudo-Aréopagite, dont il est en effet le plus ancien témoin connu. J. Stiglmayr, Der sogenannte Dionysius Areopagita und Severus von Antiochien, dans Scholastik, t. iii, 1928, p. 1-27, 161-189 ; Umeine Ehrenrettung des Sauras von Antiochen, dans Scholastik, t. vii, 1932, p. 52-67. Cette hypothèse n’a pas trouvé grand crédit dans le monde savant : elle semble avoir été réfutée d’une manière définitive par J. Lebon, Le pseudo-Denys l’Aréopagite et Sévère d’Antioche, dans Rev. d’Hist. eccl., t. xxvi, 1930, p. 880, 915 ; Encore le pseudo-Denys l’Aréopagite et Sévère d’Antioche, ibid., t. xxviii, 1932, p. 296-313.

III. Doctrine. — Il est difficile d’exagérer l’importance du témoignage de Sévère comme représentant de la doctrine monophysite que l’on pourrait qualifier d’officielle, si une telle expression avait un sens précis. Non seulement Sévère est celui des anciens docteurs monophysites qui a le plus écrit : mais, au cours de son existence agitée, il a été regardé comme le porte-drapeau du monophysisme. Avec une égale ardeur, il a lutté contre les partisans du concile de Chalcédoine et contre les eutychiens tels que Sergius aussi bien que contre les aphthartodocètes qui suivaient Julien d’Halicarnasse. Il a fait profession de suivre toujours avec une exacte fidélité les enseignements de saint Cyrille d’Alexandrie et on ne saurait lui dénier une connaissance approfondie des œuvres du grand docteur : nous aurons à nous demander si, en effet, il est resté fidèle à son esprit.

Nous devons ajouter que Sévère d’Antioche fait figure d’un homme extrêmement versé dans la connaissance de l’Écriture et dans celle de la tradition patristique. Il ne cesse pas de puiser à cette double source le principe de toutes ses affirmations. Le Philalèthe est consacré à l’étude de deux cents passages de saint Cyrille que lui opposaient les chalcédoniens. Le troisième livre Contre Jean le Grammairien contient un florilège extrêmement riche, dans lequel figurent bien des textes nouveaux. Une telle érudition, rare en tout temps, est exceptionnelle au début du vie siècle.

Sans doute, on a accusé Sévère d’être un sophiste inconstant, de revêtir mille et mille formes : ces reproches figurent par exemple dans l’Epistola ad Timothæum scolasticum de duabus naturis adversus Severum, d’Eustathe le Moine. P. G., t. lxxxvi a, col. 913, 917, 929. Ce reproche n’est pas fondé. Il est vrai que la pensée du patriarche d’Antioche est parfois subtile, parce qu’elle s’exprime dans un vocabulaire qui a besoin d’être bien compris et qui n’est pas exactement celui de ses adversaires : mais elle reste très cohérente et très suivie.

Sévère confond d’abord dans un même sens les mots φύσις, ὑπόστασις, πρόσωπον. L’identification des deux premiers termes se rencontre chez lui à chaque instant ; mais il leur assimile aussi le troisième : « Quand l’union hypostatique qui est parfaite de deux (natures) est confessée, dit-il, il n’y a qu’un Christ sans mélange, une personne, une hypostase, une nature, celle du Verbe incarné (Epist. ad Sergium, Lebon, op. cit., p. 243). » Que si, au contraire, on divise par l’esprit le Christ en deux natures, on n’a pas seulement deux natures, mais aussi deux hypostases et deux personnes (Eustathe, op. cit., P. G., t. lxxxvi a, col.  908 A). Le sens qu’il donne à ces trois mots, même à celui de φύσις, est le sens d’individu concret, de sujet, de personne : φύσις n’est nullement l’équivalent d’οὐσία ; il s’oppose à οὐσία comme l’individu et le particulier au commun. Jésus-Christ n’a pas une seule nature ; il est une seule nature (Eustathe, op. cit., col. 908 D). Dire, comme les chalcédoniens, qu’il y a deux natures en Jésus-Christ, (est être nestorien, car c’est dire qu’il y a en lui deux personnes ; le nombre en effet suppose la séparation et les deux natures sont nécessairement deux personnes. Et quant à l’expression deux natures unies, c’est un non-sens, car deux natures unies ne sont pas deux, mais une seule nature, une φύσις n’étant telle qu’à la condition d’être καθ’ἑαυτήν. J. Tixeront, Histoire des dogmes, t. iii, p. 119.

Cela étant, dans l’exposé de la doctrine christologique, Sévère prend pour point de départ la φύσις du Verbe. C’est elle qui existe de toute éternité et qui, étant ἄσαρκος, va devenir σεσαρκωμένη. Il ne se produit pas, par le fait de changement dans la nature du Verbe : Jésus reste ce qu’il était auparavant, le même individu, la même personne. Quant à l’humanité assumée par le Verbe, elle est une véritable humanité complète ; faite d’un corps, qui est un véritable corps et non pas une apparence, et d’une âme raisonnable : ainsi Sévère s’oppose-t-il à la fois aux phantasiastes et aux apollinaristes. Sa doctrine est très ferme sur ce point : le Christ est consubstantiel à nous par son humanité, « Dieu le Verbe, dit-il, vertu ineffable du Père, comme le montre l’économie des mystères des écrits évangéliques, a couvert la Vierge de son ombre et d’elle et par la Vertu ineffable du Saint-Esprit, il s’est uni hypostatiquement à une chair animée d’âme raisonnable. » Synodique à Théodose d’Alexandrie, dans J.-B. Chabot, Documenta ad origines monophysitarum illustrandas, Paris, 1908, p. 18. Le Fils de Dieu c’est-à-dire son Verbe qui était avant tous les siècles, s’est incarné à la fin des temps, sans changement ni variation ; il s’est fait homme (par l’opération) du Saint-Esprit et de la mère de Dieu. Il s’est uni hypostatiquement une chair douée d’une âme raisonnable. » Contre Julien d’Halicarnasse, dans Mai, Spicilegium romanum, t. x, p. 172.

L’union du Verbe et de l’humanité est une union physique, une union κατὰ φύσιν ou καθ' ὑπόστασιν, dont le terme est une hypostase unique, une nature unique, celle du Verbe incarné. Sévère repousse avec autant de force la formule chalcédonienne des deux natures que l’union simplement morale des nestoriens, qu’on l’appelle adhésion, union d’affinité, participation à la dignité de Fils, etc. « Pour l’adhésion d’affinité, en effet, l’enfant existait d’abord par lui-même en sa personne et son hypostase ; et de même le Verbe qui a habité en lui apparaît en son hypostase et en sa personne propres. Il se fait une union d’affinité de deux personnes, par le seul lien de l’égalité du nom et de la dignité du Fils. Mais, pour l’union hypostatique et la composition naturelle qui convient à Dieu, parce que c’est dans l’union même que cette chair animée d’âme raisonnable, prise (par l’opération) de l’Esprit-Saint et de Marie, mère de Dieu et toujours vierge, a eu son être, et (parce que) elle n’a pas existé par elle-même avant l’union au Verbe, c’est le Verbe que l’on croit devenir enfant sans changement et sans conversion, tout en restant ce qu’il était. Ce qu’il a pris, il ne l’a ni changé, ni converti. Il s’est prêté à la croissance progressive, à la conception et à la génération parfaite. » Lettre à Sergius, citée par J. Lebon op. cit., p. 273.

Tout autant Sévère rejette le mélange et la confusion des eutychianistes. Il y a bien dans le Christ un élément humain et un élément divin, deux choses distinctes qu’il n’est pas possible de confondre. Les substances ne sont pas confondues, elles ne sont pas davan- tage mélangées : à tout instant Sévère revient là-dessus dans sa corres­pondance avec Sergius le Grammairien et il se plaît à reprendre la comparaison déjà faite par saint Cyrille de l’union du corps et de l’âme dans l’homme, car cette union a bien pour terme une φύσις unique, mais elle exclut aussi tout mélange des éléments qu’elle rapproche : « Est-ce donc que l’âme de l’homme a été convertie pour devenir la chair ou la chair a-t-elle subi une conversion pour devenir l’âme ? Car telle est la propriété du mélange. Ou bien faut-il comprendre, d’après ce qui a lieu pour les corps qui s’agglutinent et se rassemblent, le confluxus de l’âme raisonnable avec son corps ? Nullement. Mais nous dirons en toute confiance que c’est un concours physique. » IIe lettre à Sergius, citée par J. Lebon, op. cit., p. 230-231.

S’il n’y a pas mélange ou confusion dans le Christ, il y a cependant composition ou synthèse. La synthèse est cet état dans lequel les composants restent sans changement, ne sont pas combinés, mais n’ont pourtant pas d’existence à part ; ils ne sont pas ἰδιοσύστατοι. « Le Verbe, qui a son être avant tous les siècles et qui est simple par essence, est devenu composé par l’incarnation, IIe lettre à Sergius, citée par J. Lebon, op. cit., p. 321. Sergius le Grammairien voulait que l’incarnation fût un mélange, pour que la Trinité restât Trinité. Sévère lui répond : La Trinité demeure Trinité, bien que le Verbe se soit fait chair et homme. Il (le Verbe) est un en hypostase, même lorsqu’il s’est incarné. Celui qui d’abord était simple est maintenant, d’une façon glorieuse et ineffable, composé avec la chair animée et raisonnable ; il n’est pas partagé en deux et il demeure sans confusion. C’est le même qui est consubstantiel à Dieu le Père et à nous. Ibid., p. 321-322. » En s’incarnant, la φύσις du Verbe devient σύνθετος, puisqu’elle est σεσαρκωμένης ; mais elle ne devient pas διπλοῦς ou διττή, puisqu’il n’y a qu’un seul Verbe incarné, et Sévère reprend, presque comme un refrain la formule chère à saint Cyrille : μία φύσις τοῦ Θεοῦ Λόγου σεσαρκωμένη.

Une difficulté subsiste cependant, celle que Jean le Grammairien oppose à Sévère : s’il y a dans le Christ, dans le Verbe incarné, deux choses, deux réalités sans confusion, l’élément divin et l’élément humain, comment ces deux choses ne sont-elles pas deux natures ? Cette difficulté est réelle ; elle semble bien embarrasser Sévère. Le patriarche d’Antioche ne peut pas, cela est évident, renoncer à soutenir l’unité du Christ. Il ne peut même pas parler de deux natures, puisque, nous l’avons vu, pour lui le mot φύσις signifie l’individu concret, la personne. S’il accepte momentanément de distinguer deux φύσεις, ce ne peut être que par jeu, par imagination τῇ θεωρίᾳ, τῇ φαντασίᾳ τοῦ νοῦ μόνου, τῷ νῷ, τῇ ἐπινοία. Cf. P. G., t. lxxxvi a, col. 908 A, 921 AB, 936 D. Dès que l’on revient à la réalité de l’union, on ne trouve plus qu’une seule personne, une seule hypostase, une seule nature. Le Christ est bien ἐκ δύο ; il est même ἐκ δύο φύσεων, ἐκ δύο ὑποστάσεων (Cf. Lebon, op. cit., p. 376) ; ce qui ne l’empêche pas d’être une seule φύσις.

La réponse de Sévère n’est évidemment pas suffisante, car il suffit de lire l’Évangile, de regarder vivre et agir le Christ pour se rendre compte que la distinction des natures ou des propriétés n’est pas simplement un jeu de l’esprit ou une hypothèse. S’il faut admettre que la propriété révèle la nature, il est assuré qu’il y a dans le Christ des propriétés humaines et des propriétés divines. Saint Léon avait naguère affirmé que, dans l’incarnation, la propriété de chaque nature est sauvegardée, que chaque nature conserve sa propriété. Sévère n’accepte pas cette façon de parler. « Si l’on entend, dit-il, par propriétés (ἰδιότης) les attributs (ἰδίωματα) qui conviennent soit à l’humanité, comme d’être visible, intelligent, palpable, soit à la divinité, comme d’être éternelle, immense, invisible, il est vrai que ces qualités ou attributs continuent d’exister dans l’union ; seulement, on ne doit pas les considérer comme appartenant séparément à deux natures, comme étant tellement propres à l’un des éléments, que l’on ne puisse, en vertu de la communication des idiomes, les rapporter à l’autre et surtout au Verbe, l’unique sujet dernier des divers attributs… Cependant, si l’on ne peut pas diviser entre deux sujets les simples attributs et qualités, il y a une qualité tellement propre à chacun des éléments qu’elle ne se communique pas à l’autre, sous peine d’avoir un mélange des essences : c’est sa ποιότης φυσική, son essence spécifique. Puisqu’on n’admet pas la confusion de l’humanité et de la divinité, il faut bien admettre que chacune d’elles possède en propre et ne partage pas avec l’autre d’être en soi ce qu’elle est : il y a dans le Christ une dualité de propriétés en qualité naturelle, ἰδιότης ὡς ἐν ποιότητι φυσικῇ. » J. Tixeront, Histoire des dogmes, t. iii, p. 124 ; cf. J. Lebon, op. cit., p. 422 sq.

Nous voici au rouet. Il semble que Sévère n’avait pas aperçu tout d’abord ces conséquences de sa doctrine et la nécessité où il se trouvait d’admettre dans le Christ la subsistence de deux aspects, de deux catégories de propriétés, et que ce soient les exigences de sa controverse avec Jean le Grammairien qui l’aient amené à préciser ses idées. Il serait utile, dans un exposé plus développé, de distinguer dans la mesure du possible, les diverses étapes de la pensée du patriarche. En tout cas, la question est posée pour lui de savoir comment se maintiennent, dans l’unité de nature, les propriétés caractéristiques de l’humanité, si l’on veut éviter le mélange et la confusion.

Certes, Sévère n’a pas tort de critiquer certaines formules incorrectes, telles que celle-ci : « Deux natures avant l’union ». « Personne, écrit-il, parmi ceux qui ont une pensée orthodoxe, n’a jamais dit “deux natures avant l’union”. En effet, avant l’union et l’incarnation, le Verbe de Dieu était simple et non incarné, comme invisible par essence, dépourvu de forme et de corps, et coéternel au Père et à l’Esprit. Mais, lorsqu’il voulut se faire homme pour nous sans changement, tout en restant Dieu, et qu’il couvrit de son ombre, d’une manière ineffable, la Vierge mère de Dieu, il s’unit une chair (prise) de la Vierge, par (l’opération de) l’Esprit, consubstantielle à nous, animée et intelligente, par le groupement qui (se fait) en union physique. Nous appelons aussi l’union “hypostatique”, parce que c’est dans l’union au Verbe qui est avant les siècles, que cette chair a été constituée et amenée à l’existence, et parce qu’elle a acquis du même coup l’existence et l’union. De la sorte, on connaît un seul Emmanuel “de deux”, d’une manière inséparable (de) la divinité et (de) l’humanité, conçu et né dans la chair. L’âme de tout homme naît aussi avec son corps ; par essence sans doute elle diffère de lui ; mais une (seule) nature et hypostase est formée des deux. De la même façon, le Verbe de Dieu, selon qu’il est écrit, communique avec nous au sang et à la chair, il a pris notre forme en tout hormis le péché. Si donc, avant l’union et l’incarnation, le Verbe était simple et incorporel et si, après l’incarnation, il est un de deux, où sont ceux qui disent cette fable de deux natures avant l’union ? » Advers. Joan., iii, 14 ; cité par J. Lebon, op. cit., p. 395-396.

Avant l’incarnation, le Verbe existe seul. Après l’incarnation, il y a un seul être concret, une seule hypostase faite de deux. Il suit de là qu’unique est aussi l’action, l’ἐνέργεια du Verbe Incarné. Sévère n’ignore pas que, parmi les actions accomplies par le Christ, il en est qui conviennent à l’homme, et d’autres qui conviennent à Dieu : c’est l’homme qui a faim et soif. qui est fatigué, qui souffre, qui meurt. C’est Dieu qui opère des miracles, qui guérit les malades, qui ressuscite les morts, qui remet les péchés. Cependant unique est l’agisseur et personne, pas même l’insensé, n’osera établir une classification pour répartir entre Dieu et l’homme ce qui provient de chacun d’eux. Ressusciter un mort de quatre jours est assurément une œuvre divine : se transporter au tombeau quand on a le pouvoir d’opérer le miracle à distance est le côté humain de l’acte ; ira-t-on s’amuser à distinguer ce qu’a fait Dieu et ce qu’a fait l’homme ? Non ; mais tout est humano-divin, théandrique, pour employer la formule du pseudo-Aréopagite. Puisqu’il n’y a qu’un agisseur il n’y a qu’une énergie et une opération.

Tout cela est très cohérent. Il est Incontestable que le langage de Sévère est tout à fait différent de celui qu’avait employé saint Léon et l’on comprend que le patriarche d’Antioche rejette les formules du Tome qui lui paraissent inspirées par le nestorianisme. Saint Léon avait enseigné : Agit enim utruque forma cum alterius communione quod proprium est. Non, répond Sévère : agir suppose que l’on subsiste et attribuer à la nature humaine une action propre, c’est lui attribuer une subsistance propre et indépendante, c’est être nestorien : οὐ γὰρ ἐνεργεῖ φύσις οὐχ ὑφεστῶσα προσωπικῶς. Doctr. Patrum, éd. Diekamp, p. 310.

Mais il faut dépasser les formules et se demander si, en définitive, la christologie de Sévère est réellement monophysite au sens péjoratif que l’on attribue d’ordinaire à ce mot. À ce problème, on doit répondre d’une manière négative. Sans doute. Sévère est monophysite, puisqu’il ne cesse pas d’enseigner l’existence d’une seule nature dans le Christ, mais le mot nature a pour lui un sens concret, celui de personne ou d’hypostase et non pas un sens abstrait. Il ne faut jamais oublier ce point capital lorsqu’on lit l’un ou l’autre de ses traités. Ce vocabulaire ne lui appartient d’ailleurs pas en propre, car c’est celui de saint Cyrille d’Alexandrie lui-même. Le tort de Sévère, et il faut bien dire que ce fut un tort, a été de rester inlassablement fidèle a saint Cyrille et aux anathématismes. Ce faisant, il a suivi l’exemple de Timothée Ælure, de Philoxène de Mabboug et de beaucoup d’autres.

S’il a rejeté la terminologie de saint Léon le Grand et de Chalcédoine, c’est qu’à ses yeux cette terminologie conduisait nécessairement au nestorianisme, sous sa forme la plus rigide. Affirmer la permanence de deux natures après l’union, c’était proclamer qu’il y avait dans le Christ deux êtres, deux personnes réellement distinctes, bien qu’unies l’une à l’autre. Certes, il n’en est pas ainsi, et saint Léon a bien soin d’affirmer l’unité de personne dans le Christ. Mais Sévère ne retient pas cet aspect de la doctrine enseignée par le pape : il ne voit que la dualité, là où saint Léon, d’accord avec l’Écriture et avec la tradition patristique, proclame l’imite.

En combattant a la fois les eutychiens et les chalcédoniens, Sévère s’exposait à n’être compris par personne. De fait, sa doctrine a été maintes fois attaquée, et c’est de nos jours seulement qu’on a reconnu sa parfaite conformité avec celle de saint Cyrille. Seulement, il ne faut pas oublier que Cyrille avait eu peut-être le droit d’employer des formules qui n’étaient plus légitimes chez ses disciples. Le concile de Chalcédoine, en effet, marque une date dans l’histoire des controverses christologiques, il pose des affirmations ; il définit des termes. Il n’est pas permis de tenir ses formules pour vaines et non avenues. L’erreur de Sévère a été de condamner le pape saint Léon et le concile de Chalcédoine en les englobant dans la réprobation qui atteignait les nestoriens. Cela, il n’avait pas le droit de le faire, et il reste coupable de l’avoir fait.

Nous avons indiqué les principales éditions des œuvres de Sévère. Il faut ajouter que des fragments plus ou moins importants des textes originaux figurent dans les Quæstiones adv. monophysitas, P. G., lxxxvi b, col. 1769-1901 ; dans Eustathe le Moine, Epistola ad Timotheum scolasticum de duabus naturis, P. G., lxxxvi a, col. 901-942 ; dans la Doctrina Patrum de incarnatione Verbi, édit. Diekamp, Munster, 1907 ; dans J.-B. Chabot, Documenta ad origines monophysitarum illustrandas, Paris, 1908.

Parmi les ouvrages récents consacrés à Sévère d’Antioche, le plus important est assurément celui de J. Lebon, Le monophysisme sévérien, étude historique, littéraire et théologique sur la résistance monophysite au concile de Chalcédoine, jusqu’à la constitution de l’Église jacobite, Louvain, 1909. Cet ouvrage pourrait être complété en tenant compte des textes récemment découverts ou édités ; certaines corrections de détail pourraient même y être apportées, en particulier sur le véritable caractère de l’Apologie du Philalèthe, que R. Draguet semble avoir mis en relief. Mais, dans l’ensemble, la thèse de J. Lebon demeure solide ; il serait difficile de la contredire.

On peut encore signaler : J. Eustratios, Σευῆρος ὁ μονοφυσίτης πατριάρχης Ἀντιονχείας, Leipzig, 1894 ; G. Krueger, Monophysitische Streitigkeiten im Zusammenhange mit der Reichspolitik, Iéna, 1884 ; J. Mahé, Les anathématismes de saint Cyrille et les évêques orientaux du patriarcat d’Antioche, dans Revue d’histoire ecclésiastique, t. vii, 1906 ; M. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium ab Ecclesia catholica dissidentium, t. v, Paris, 1935, p. 416 sq. ; J. Maspero, Histoire des patriarches d’Alexandrie (518-616), Paris, 1923 ; M. Peisker, Severus von Antiochien. Ein kritischer Quellenbeitrag zur Geschichte des Monophysitismus, Halle. 1903 ; A. Hehrmann, Die Christologie des hl. Cyrillus von Alexandrien systematisch dargestellt, Hildesheim, 1902.

G. Bardy.