Dictionnaire de théologie catholique/SACREMENTS II. La notion 4. Après saint Augustin
IV. APRÈS SAINT AUGUSTIN. —
De saint Augustin au xiie siècle, la notion du sacrement fait peu de progrès. Il serait même plus exact de dire qu’elle est en régression.
Il faut en rendre responsable saint Isidore de Séville. Sans doute, cet auteur reprend la définition augustinienne de la lettre lv, n. 2, à Janvier, Sacramentum est in aliqua celebralione, cum res gesta ita fit ut aliquid signifteare intclligatur, quod sanete accipiendum est. P. L., t. xxxiii, col. 205. Cf. Isidore, Etymol., t. VI, c. xix, 39, P. L., t. lxxxii, col. 255 C. Mais il chercha, conformément à la méthode suivie dans les Étymologies, à faire dériver le mot sacramentum de secretum, ce qui l’amena à considérer le sacrement surtout sous l’aspect de mystère. Et ainsi la notion de signe fut laissée dans l’obscurité : Ob id sacramenta dicuntur, quia sub legumento corporalium rerum virtus divina secretius salutem eorumdem sacramentorum operatur, nnde et a seerctis virtutibus et a sacris sacramenta dicuntur… unde et græce mysterium dicitur, quod secretum et reconditam habeat dispositionem. Etymol., t. VI, c. xix, n. 40, 42, col. 255 C D. Ainsi, la caractéristique du sacrement, c’est de cacher, sous les apparences d’un objet matériel, l’action de l’Esprit-Saint, qui accomplit dans le secret le salut de l’âme. On remarque toutefois qu’Isidore distingue nettement le rite extérieur ou sacrement du salut qui y est opéré et qui est la giâce produite par le sacrement. Cet effet du sacrement est réalisé grâce à l’Esprit-Saint dont la puissance agit dans le sacrement : Quse (sacramenta) ideo fructuose pênes Ecclesiam fiunt quia Sanctus in ea manens Spiritus eumden sacramentorum lalenler operatur efjectum. Ibid., n. 41. On le voit c’est une transposition de la thèse augustinienne.
La cause de la vertu du sacrement, c’est toujours, comme chez Augustin, la parole, le verbum qui s’ajoute à l’élément matériel. D’où la persistance de la conception quelque peu matérielle du sacrement, telle que l’avaient formulée Tertullien, Ambroise et Augustin, et qui attribue à l’élément matériel du sacrement une vertu sanctificatrice grâce à la bénédiction préalablement reçue. Cette bénédiction fait descendre dans les eaux baptismales l’Esprit-Saint, qui leur communique une puissance régénératrice ou même qui opère en elles et par elles la régénération. Ainsi saint Léon : Omni homini renascenti aqua baptismatis instar est uteri virginalis. eodem Spiritu Sancto replente fontem qui replevit et virginem, ut peccatum quod ibi vacuavit sacra conceptio, hic mustica tollat ablutio. Serm., xxiv, c. iii, P. L., t. i.iv, col. 206 A. On trouve une théorie semblable chez Maxime de Turin, Serm., xiii, P. L., t. lvii, col. 558. Saint Isidore la formule plus nettement : Invocalo enim Deo, descendit Spiritus Sanctus de cxlis, et medicatis aquis, sanctificat eas de semetipso ; et accipiunt vim purgationis, ut in eis et caro et anima delictis inquinata mundetur. Etymol., t. VI, c. xviii, n. 19, P. L., t. lxxxii, col. 256 B. Et cette invocation de Dieu n’est pas la formule trinitaire, mais la formule de la bénédiction de l’eau, bénédiction toujours considérée comme très importante pour l’efficacité du sacrement. Nisi nomine et cruce ligni Christi fontis aquæ tangantur, nullum salvationis remedium obtineatur. S. Ildefonse, De cognitione baptismi, c. cix, P. L., t. xevi, col. 170. Cf. Sermo ad calechumenos, n. 3, P. L., t. xl, col. 694.
Il ne faut pas s’étonner de cette persistance d’une doctrine dont la signification analogique s’imposa toujours comme elle s’impose aujourd’hui encore dans les textes de la liturgie romaine qui la reproduisent. Qu’on relise la liturgie de la bénédiction des fonts baptismaux au samedi saint, et l’on trouvera exactement les mêmes formules. D’abord l’oraison qui sert de préambule : Omnipotens sempilerne Deux, adesto magnæ pietatis tuæ mysteriis, adesto sacramentis : et ad recreandos novos populos, quos tibi fons baptismatis parturit, Spiritum adoplionis emittv : ut quod nostrw luimilitalis gerendum est ministerio, virtutis tua’impleatur effeetu. Puis, dans la préface : Qui invisibili potentia, sacramentorum tuorum mirabililer operaris efjectum : …Qui hanc aquam vegenerandis huminibus prœparatam, arcana sui numinis admixtione feccundet : ut sanctifteatione concepta, ab immaculato divini fontis utero, in novam renata creaturam, progenies coelestis emergat… Plus loin, c’est la prière au moment de l’insufflation en forme de croix : Tu has simplicex aquas tuo are benedicito : ut præter naturalem emundctionem, quam lavandis possunt adhibere corporibus, sint etiam purifteandis mentibus efficaces. Enfin, l’adjuration à l’Esprit-Saint : Descendat in hanc plenitudincm fontis virtus Spiritus Sancti, totamque hujus aquiv substantiam regenerandi fecundet effectu. Ces formules étaient déjà fixées au viie siècle, voir Bénédictions de l’eau, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. ii, col. 690. La liturgie de la bénédiction de l’eau baptismale remonte à la fin du ne siècle et peut-être, par une tradition non écrite, plus haut encore. Ce changement de vertu, grâce à l’invocation faite à Dieu pour qu’il daigne envoyer son Esprit, « signifiait pour les Pères que, par la bénédiction, l’eau a reçu une efficacité spéciale qui n’est autre que la puissance divine agissant par cet élément sanctifié. Cette efficacité, empruntée tout entière à la vertu divine, n’a rien des pouvoirs magiques auxquels on a voulu l’assimiler… L’eau bénite au baptême est dépositaire de la puissance divine en vertu du choix que Dieu fit de cet élément pour produire la grâce baptismale… » Art. Bénédictions de l’eau, op. cit., col. 688-689. Cette remarque de dom P. de Puniet est à retenir, cai elle nous permettra d’interpréter le verbum accedens ad elementum dans un sens pleinement conforme, d’une part à la tradition patrist ique, d’autre part à la systématisation seolastique.
Les textes cités de saint Léon et fie saint Isidore sont intéressants à un autre point de vue : celui de l’action sacramentelle. Ces auteurs suivent saint Augustin et affirment que l’action sacramentelle n’a son principe ni dans la foi ou la sainteté du ministre, ni dans les dispositions du sujet, mais dans le rite lui-même qui recouvre la vertu de Jésus-Christ ou du Saint-Esprit. Sub tegumento corporalium rerum, dit saint Isidore, virtus divina secretius salutem rorumdem sacramentorum operatur… Quse (sacramenta) ideo frucluose pênes Ecclesiam ftunt quia Sanclus in ea manens Spiritus eumdem sacramentorum lalenter operatur effectum. Même doctrine, avons-nous dit, chez saint Maxime de Turin. Toutefois, dans cette insistance à marquer que les sacrements sont reçus fructueusement dans l’Église, en raison de la présence en elle du Saint-Esprit, on trouve un écho des hésitations de saint Augustin, qui ne croyait pas que le baptême pût être reçu salubrilcr en dehors de la vraie Église, même dans le cas de bonne foi. Voir ci-dessus, col. 523-524.
C’est probablement parce que cette opinion diminuait quelque peu la valeur du rite que Bède le Vénérable, rompant sur ce point avec la tradition augustinienne, enseigna formellement, au contraire, que. dans le cas de bonne foi, on reçoit hors de l’Église fructueusement le baptême, sous l’obligation cependant de revenir à la vraie Église dès qu’on la connaîtra. Hexæmeron, t. II, P. L., t. xci, col. 101. On doit ainsi marquer à l’actif de ce docteur un léger progrès dans la conception de Y ex opère operato.