Dictionnaire de théologie catholique/THÉOLOGIE I. LE MOT

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 15.1 : TABARAUD - TRINCARELLAp. 178-258).

THÉOLOGIE. Discours sur Dieu. Il sera question ici de la théologie chrétienne, catholique. On peut la définir provisoirement : une discipline où, à partir de la Révélation et sous sa lumière, les vérités de la religion chrétienne se trouvent interprétées, élaborées et ordonnées en un corps de connaissances. Après une section consacrée au nom, cet article comportera un exposé historique, col. 316, et une étude spéculative, col. 417.

I. INTRODUCTION : LE MOT.

Comme beaucoup de mots de la langue ecclésiastique, le mot théologie est passé tel quel, par simple transposition, du grec et du latin dans les langues modernes. Avant de s’y fixer dans son sens actuel, le mot θεολογία, tout comme les mots θεολόγος et θεολογεῖν, a connu des usages assez divers, qu’il n’est pas commode de ramener à quelques lignes simples. On se référera au Thesaurus de Suicer et aux excellentes études de Petau, Dogmata theologica, t. 1, Proleg., c. 1 ; de Mattes, art. Théologie, dans le Dict. encyclopéd. de la théol. cath. de Wetzer et Welte, trad. Goschler, t. xxii, p. 310 sq. ; de F. Kattenbusch, art. Theologie, dans la Realencyklopädie de Hauck, t. xx1, p. 901 sq. ; de J. Stiglmayr, Mannigfache Bedeutung von « Theologie » und « Theologen » , dans Theologie und Glaube, t. xi, 1919, p. 296-309 ; de P. Batiffol, Theologia, theologi, dans Ephem. theol. lovan., t. v. 1928, p. 205-220 ; de F. Kattenbusch, Die Entstehung einer christlichen Theologie. Zur Geschichte der Ausdrücke θεολογία. θεολογεῖν, θεολόγος, dans Zeitsch. f. Theol. u. Kirche, nouv. série, t. xi, 1930, p. 161-205.

I. Dans le paganisme.

Le mot θεολογία n’a que rarement, dans l’antiquité païenne, le sens qu’il prendra dans le christianisme de doctrine sur Dieu. Les païens n’envisagent la divinité que du point de vue d’une explication des choses de ce monde ; ils appellent théologiens les poètes du passé qui, comme Orphée, Homère et Hésiode, ont composé des théogonies, ou encore les prosateurs qui ont formulé des spéculations sur l’origine du monde. Aristote oppose à ces « théologiens », qui donnaient du monde une explication mythologique, les « philosophes » comme Thalès ou Anaximandre et les « physiologues », qui cherchaient l’explication des choses dans les choses elles-mêmes et dans les éléments physiques. Platon, qui emploie lui-même une fois le mot θεολογία pour désigner la mythologie en sa valeur éducative profonde, Rép., 379 a, sera classé par les néoplatoniciens, et même par certains Pères de l’Église, parmi les « théologiens ». Stiglmayr, art. cité, p. 296-297 ; Kattenbusch, art. cité, p. 163.

Aristote, en un passage fameux, Met., VI, i, 1025 a, 19, distingue trois parties dans la philosophie « théorique » : la mathématique, la physique et la théologie ; celle-ci, qui est évidemment la plus digne des trois, est identique à la « philosophie première », c’est-à-dire à la métaphysique. De fait, Aristote nous a livré, dans le livre XII de la Métaphysique, une doctrine philosophique sur Dieu qui a une réelle valeur de science. Un énoncé semblable concernant les trois sciences théoriques se trouve à Met., XI. viii, 1064 b, 2 ; le passage est peut-être inauthentique. Il est certain que, dans le reste de son œuvre, Aristote emploie θεολογία et les mots apparentés pour designer la mythologie, et non plus la métaphysique. Kattenbusch, art. cité, p. 167..

L’emploi du mot au sens de doctrine concernant Dieu est donc, sinon douteux, du moins exceptionnel, avant les stoïciens. Zénon divisait la philosophie en logique, éthique et physique, et Cléanthe, son successeur, subdivisant chacune de ces espèces en deux, distinguait dans la derniére la physique et la théologie. Vers la fin du IIe siècle avant Jésus-Christ, Panétius de Rhodes distinguera trois sortes de théologie : du moins semble-t-il être l’auteur de cette distinction qu’on retrouvera chez son disciple indirect, Varron, dans un texte auquel fait allusion Fertullien, Adv. nat., II, 1 et 2, et que nous a conservé saint Augustin : Tria genera theologis dicit esse, id est rationis quie deb diis explicatur, eorumque unum mythicon appellari, alterum physicum, tertium civile…, De civ. Dei, I. VI, C. v, P. L., t. XLI, col. 180 ; cf. I. IV, c. xxvii, et I. VI, c. XII. Ainsi les stoïciens ont-ils connu un emploi du mot theologia comme désignant, d’après l’équivalent que donne saint Augustin, la ratio quæ de diis explicatur, l’explication qu’on donne des dieux, laquelle peut être prise de trois points de vue : du point de vue poétique, qui correspond à la mythologie, du point de vue rituel, c’est-à-dire quant au culte essentiellement politique des cités païennes, enfin du point de vue des théories que les philosophes ont élaborées, qui reviennent à donner une valeur et une formulation rationnelles à la religion poético-mythologique et au culte public des cités et que Varron appelle theologia naturalis, parce que cette théologie consiste à faire des dieux des personnifications des forces de la nature. On saisit là ce qui caractérise toute « théologie » païenne, où la divinité est toujours considérée comme une transposition ou une explication des choses de ce monde et non dans son mystère personnel ou sa nature intime : on n’obtient ainsi, remarque saint Augustin, qu’une physiologia, et non une theologia. De civ. Dei, t. VI, c. viii, col. 186 ; comparer Contra Faustum, t. XII, c. xl, t. xlii, col. 275.

Parmi d’autres acceptions plus particulières des mots θεολόγος, θεολογία, θεολογεῖν, celle qui se rapporte au culte public devait, sous l’Empire, connaître un emploi considérable et qui se rapproche de certains emplois chrétiens. Ces mots se réfèrent alors au culte impérial et signifient : attribuer la qualité de dieu (à César), reconnaître pour dieu, louer et honorer comme dieu. Stiglmayr, art. cité, p. 299 ; Kattenbusch, art. cité, p. 201.

II. Dans le christianisme.

Les chrétiens ont une révélation portant sur le mystère de Dieu : celle du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; aussi eussent-ils été portés, normalement, à entendre par théologie le fait de parler de Dieu en lui-même, s’ils n’avaient été plus ou moins longtemps gênés par les emplois païens du mot. Ceci est très sensible chez un Clément d’Alexandrie ou un saint Augustin, où le mot est tout proche de prendre son sens ecclésiastique définitif, mais se trouve encore déterminé par les emplois païens d’hier. Il est notable d’ailleurs que les Pères grecs se sont dégagés plus vite que les latins de cette espèce de prescription païenne.

Les Pères grecs.

Clément d’Alexandrie parle des « vieux théologiens » : ce sont Orphée, Linus, Musée, Homère, Hésiode et autres « sages ». Ils ont pris leur sagesse aux prophètes, en l’enveloppant d’allégorie, et ont ainsi appris auprès de ces prophètes τὴν θεολογίαν, Strom., v, 4, éd. Stählin, p. 340. Ici, θεολογία est pris absolument, pour signifier la connaissance des choses divines. Clément croit que les philosophes ont voulu réaliser une science de Dieu qui serait « la vraie théologie ». Strom., v, 9, p. 304. « La philosophie, soit barbare, soit hellénique, a fait de la vérité éternelle une parcelle, non de la mythologie de Dionysos, mais de la théologie du Verbe éternellement existant. » Strom., i, 13, p. 36. « On voit comment, pour Clément, de l’acception païenne du mot théologie se dégage une acception abstraite qui pourrait s’appliquer à la connaissance chrétienne de Dieu. Mais l’acception païenne est encore la seule reçue, et c’est ainsi que le théologien par excellence est pour les pythagoriciens Orphée, Strom., v, 8, p. 360. » P. Batiffol, art. cité, p. 213. Origène, lui, parle bien des « vieux théologiens des Grecs », comme aussi de « la théologie des Perses », etc. ; les théologiens sont pour lui les auteurs païens qui ont traité de religion et dont la doctrine s’appelle théologie. Mais, si Origène n’emploie pas θεολόγος dans un sens chrétien, il commence à purifier l’acception des mots θεολογία, θεολογεῖν, et il en connaît un emploi chrétien : dans le Contra Celsum, vi, 18, éd. Kœtschau, p. 89, et le Comm. in Joan., ii, 34, éd. Preuschen, p. 92, la théologie est une doctrine véritable sur Dieu ; puis, plus spécialement, une doctrine sur le Christ Sauveur, où celui-ci est vraiment considéré comme Dieu. Comm. in Joan., i, 24, p. 30. Quant au verbe θεολογεῖν, il est très fermement employé, en parlant de Dieu ou du Christ, pour signifier : reconnaître, proclamer et confesser comme Dieu, un peu dans le sens où les païens parlaient de la divinisation de César. Batiffol, art. cité, p. 213-217. Chez Eusèbe de Césarée, la décantation des mots et leur acception chrétienne sont chose acquise : il appelle saint Jean « le théologue » parce que son évangile est éminemment une doctrine sur Dieu, De ecclesiastica theologia, I, xx ; II, xii ; il connaît l’usage païen du mot théologie, mais il donne aussi délibérément à ce mot un sens proprement chrétien : « Je vais commencer par une manière plus sublime et plus excellente que tout ce qui est selon l’homme, c’est à savoir l’économie et la théologie selon le Christ. » H. E., i, i, 7 ; cf. II, prol. Cela signifie : traiter du Christ comme Dieu. « La théologie est pour Eusèbe si exclusivement la science du vrai Dieu et du Christ, que l’on ne saurait plus appliquer le mot aux faux dieux sans lui donner une épithète qui exprime que pareille théologie est une fausse théologie… Cet emploi constant par Eusèbe de θεολογία et θεολογεῖν, au sens de science du vrai Dieu et du Christ, prépare une innovation qui va être d’Eusèbe lui-même, dans un de ses tout derniers écrits (337 ou 338) qu’il intitulera Περὶ τῆς ἐκκλησιαστικῆς θεολογίας. Eusèbe a consacré là le terme que le pseudo-Aréopagite reprendra à son compte dans son Περὶ μυστικῆς θεολογίας. » P. Batiffol, art. cité, p. 218-219.

Quant à Denys, s’il reste dans la ligne d’un emploi des mots θεολογία, θεολόγος, fréquent chez les Pères grecs, pour désigner l’Écriture sainte et les auteurs inspirés de l’Écriture, il crée cette expression célèbre de « théologie mystique » et formule la distinction classique entre « une théologie cachée, mystique, symbolique et qui unit à Dieu, l’autre manifeste, plus connue, philosophique et démonstrative ». Epist., ix. Il ne s’agit pas là de différentes parties de ce que nous appelons la théologie, mais de diverses manières de considérer et d’aborder son mystère. Denys est encore célèbre en méthodologie théologique par sa notion de « théologie négative ». Mais, plus encore qu’une position de méthode, cette notion représente une position doctrinale liée à toute la synthèse de l’Aréopagite.

Dès lors, l’acception chrétienne de « doctrine véritable sur le vrai Dieu » est acquise pour les Pères grecs. Une certaine spécialisation du mot va s’opérer cependant, chez quelques-uns d’entre eux (Athanase, Grégoire de Nazianze), du fait des luttes trinitaires. Athanase emploie cinq fois le mot θεολογία, et toujours au sens de sacra doctrina de Trinitate. Aussi trouvons-nous le mot, chez saint Basile, De spir. sancto, 1845 pour désigner la divinité commune aux trois personnes. Stiglmayr, art. cité, p. 303. Grégoire de Nazianze, survivant aux grands champions de l’orthodoxie trinitaire, leur donnera le nom de « théologiens ». Ibid., p. 304. C’est chez ces Pères de la fin du ive siècle que se fixe la distinction, demeurée classique dans la théologie byzantine, entre la « théologie », ou doctrine portant sur la divinité des trois personnes au sein de la Trinité, et l’« économie », ou doctrine portant sur le Verbe dans le mystère de son incarnation.

Le mot θεολογία prendra un sens spécial chez les moines et les écrivains mystiques ; il désignera une connaissance de Dieu, la forme la plus haute de la « gnose » ou de cette illumination de l’âme par le Saint-Esprit qui est, plus que l’effet, la substance même de sa divinisation ou transformation déiforme. Chez Évagre le Pontique, suivi par Maxime le Confesseur et d’autres, la θεολογία est le troisième et le plus élevé des degrés de la vie, c’est-à-dire cette connaissance parfaite de Dieu qui s’identifie avec le sommet de la prière ; cf. M. Viller, Aux sources de la spiritualité de saint Maxime, dans Revue d’ascétique et de mystique, 1930, p. 164-165, 247 sq., 254. Chez Diadoque de Photicée, milieu du ve siècle, la θεολογία implique, avec une semblable connaissance supérieure de Dieu, une certaine impulsion et une certaine grâce qui font exprimer en louange la douceur et la gloire du Dieu contemplé. Kattenbusch, art. cité, p. 203-204 ; D. M. Rothenhæusler, La doctrine de la « Theologia » chez Diadoque de Photikè, dans Irénikon, 1937, p. 536-553.

Les Latins.

Jusqu’à saint Augustin inclusivement, le mot theologia n’a pas, chez les Latins, son sens ecclésiastique propre. Plusieurs Pères ne le connaîtront même pas : ainsi Minucius Félix, saint Cyprien, saint Ambroise, Arnobe, Boèce et saint Grégoire. On l’utilise, dans la polémique avec les païens, au sens où ceux-ci l’entendaient. Augustin, cependant, emprunte le mot aux païens, s’appuie sur son sens étymologique pour argumenter contre eux et, au nom des exigences d’une vera theologia, les orienter vers le christianisme. De civ. Dei, l. VI, c. viii, P. L., t. xli. col. 186. Batiffol, art. cité, p. 209-210. Mais cette vera theologia n’est pour lui qu’une philosophie digne de ce nom, dont il trouve un exemple authentique chez les platoniciens. Au delà de la theologia fabulosa des poètes, au delà même de la theologia naturalis de Varron et des stoïciens, qui n’est qu’une interprétation du monde et une physique, Augustin revendique une théologie plus fidèle à son objet, Dieu, et qui est pour lui la philosophie platonicienne. De civ. Dei, t. VIII, c. i et v, col. 223 sq., et 229

Il semble bien qu’il faille attendre jusqu’Abélard pour trouver le mot theologia avec le sens qu’il a pour nous. J. Rivière, theologia, dans Revue des sciences rel., t. xvi, 1936, p. 47-57, qui a fait une étude critique détaillée de ce point, écarte les auteurs qu’on aurait pu faire prétendre à une priorité, comme Raoul Ardent et Honorius d’Autun avec son Elucidarium sive dialogus, P. L., t. clxxii, dont le sous-titre, De summa totius christianæ theologiæ, est d’une authenticité douteuse ; il montre que, si les titres d’Introductio ad theologiam et d’Epitome theologiæ christianæ sont dus non pas à l’auteur, mais aux éditeurs, si ce dernier ouvrage, désigné par Abélard comme un Theologiæ tractatus, est une monographie sur le dogme trinitaire où theologia n’aurait que le sens admis par plusieurs Pères grecs, par contre Abélard avait conçu une Somme de la doctrine chrétienne, dont il ne put rédiger que les premières parties et qu’il désignait lui-même et laissait désigner par les autres du nom de theologia. Encore le mot sert-il ici à désigner le contenu concret d’un ouvrage portant sur l’ensemble des dogmes chrétiens et non abstraitement, une discipline comme la géométrie ou la philosophie. Ibid., p. 54. Au reste, dans l’école d’Abélard, la tradition se maintiendra, selon laquelle theologia ne désigne que la doctrine portant sur le Dieu invisible, un et trine ; ce qui concerne la christologie et les sacrements sera désigné par le mot beneficia : ainsi en est il dans les Sententiæ Parianenses, éd. Ostlender, Bonn, p. 12 ; dans les Sententiæ Parisienes, éd. Landgraf, dans Écrits théologiques de l’école d’Abélard, Louvain, 1934, p. 29 ; dans les Sententiæ Rolandi, éd. Gletl, p. 151-155, moins le mot beneficia ; enfin, cf. Abélard lui même, Introd. in theol., l. I, c. iv. P. L. t. clxxviii, col. 986 D et Epitome, c. iii et xxiii, col. 1697 et 1730 ; mais l’Epitome est, d’après Ostlender, l’œuvre du disciple d’Abélard, Hermann.

Il faudra quelque temps encore pour que theologia prenne son sens épistémologique. Il semble bien que celui-ci ne sera définitivement acquis que dans le courant du xiiie siècle. Et même trouverons-nous long temps encore la théologie désignée par l’une ou l’autre des expressions qui avaient servi jusque là à la nommer : doctrina christiana (saint Augustin), sacra scriptura, sacra eruditio, sacra ou divina pagina, voir ci-dessous, col. 354, enfin, sacra doctrina, qui est le terme dont saint Thomas se sert dans la première question de la Somme théologique.

Les éditeurs ont, dans la suite, introduit le mot theologia dans le titre de plusieurs articles de cette question ; mais, dans le texte authentique, ce mot ne se rencontre que trois fois, I{e|a}}, q. i, a. 1, obj. 2 et ad 2um ; a. 3, sed contra, tandis que l’expression sacra doctrina ou hæc doctrina se rencontre près de quatre-vingts fois : et encore theologia n’y est-il pas pris au sens actuel du mot théologie, mais au sens étymologique de considération ou discours sur Dieu. Dans d’autres œuvres de saint Thomas, on rencontre theologia, soit au sens moderne, pour désigner une certaine discipline bien définie, l’explication rationnelle du révélé, ainsi In Boet. de Trin., q. ii, a. 3, ad 7um ; Contra Gent., IV, c. xxv, soit dans le sens objectif concret d’une considération faite du point de vue de Dieu ou de la cause première, et non du point de vue de la nature propre des choses créées prises en elles-mêmes, ainsi Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxi, a. 6, ad 5um, soit encore dans un sens qui comprend les deux précédents, Resp. super xlii art. ad Mag. Ord., art. 42 ; enfin, il arrive à saint Thomas d’évoquer la distinction des trois théologies de Varron, Sum. theol., IIa-IIæ, q. xciv, a. 1 ; Com. in Rom., c. i, lect. 7 fin, et aussi d’éviter l’emploi des mots theologia, theologus, comme à Contra Gent., t. II, c. iv, où l’opposition entre la connaissance naturelle et la connaissance surnaturelle n’est pas exprimée par l’opposition entre theologia et philosophia, mais par l’opposition entre doctrina philosophiæ et doctrina fidei d’une part, philosophus et fidelis d’autre part. Mais, évidemment, seule une enquête exhaustive permettrait des conclusions fermes. Ce que nous venons de dire suffit à inciter à la circonspection dans l’interprétation du vocabulaire de saint Thomas sur ce point.


II. LA THÉOLOGIE. ÉTUDE HISTORIQUE.

Lorsqu’on aborde l’histoire de la notion de théologie proprement dite, on est tenté de prendre son point de départ à la fin de la période patristique : saint Jean Damascène († 719), pour l’Orient, le siècle qui s’étend entre la mort de saint Isidore († 636), et celle de saint Bède († 735), pour l’Occident. C’est ce que fait, par exemple, M. Grabmann dans sa Geschichte der katholischen Theologie, Fribourg-en-Br., 1933. Peut-être une telle manière de procéder est-elle Inspirée par une conception un peu rigide de la théologie, entendue d’emblée comme une synthèse systématique des doctrines chrétiennes. Par quoi plusieurs auteurs sont amenés à noter que les Pères n’ont guère fait de la « théologie », puisque nous ne trouvons guère chez eux une synthèse systématique de l’ensemble du dogme, mais plutôt des traités spéciaux visant à illustrer, pour l’édification des âmes, ou à défendre contre l’erreur, ici dogme particulier ; ainsi Dublanchv. à l’art. Dogmatique, ici, t. iv. col. 1540 sq., et 1517 : Grabmann, op. cit.. p. 16. En conséquence, ces auteurs, lorsqu’ils énumèrent les œuvres théologiques des Pères, s’en tiennent-ils à recueillir les synthèses systématiques ou ce qui s’en rapproche le plus. L’exposé suivant justifiera, pensons nous, un traitement plus large, et commencera avec les origines mêmes du christianisme.


I.Avant saint Augustin.
II. Saint Augustin (col. 350).
III. L’héritage du VIe siècle (col. 353).
IV. D’Alcuin au XIIe siècle (col. 360).
V. La Renaissance du XIIe siècle : la théologie sous le régime de la dialectique (col. 361).
VI. L’Age d’or de la scolastique : la théologie sous le régime de la métaphysique (col. 374).
VII. Problèmes nouveaux et lignes nouvelles de la théologie moderne (col. 411)
VIII. Coup d'œil sur la théologie du XVIIe siècle à de nos jours (col. 431). I. Avant saint Augustin.

Le christianisme se proposait, dans les origines, comme un fait, et un fait nouveau : le fait d’une vie nouvelle donnée par Dieu dans le Christ et au nom du Christ. Le Christ était toutes choses et l’on trouvait en lui tout ce qu’on pouvait désirer de beau, de vrai et de pur. « Aussi le premier sentiment chrétien était, trouvant tout dans le Christ, de ne rien chercher en dehors de lui, c’est-à-dire en dehors du Christ crucifié. »

Cette idée de la suffisance du Christ se répercutait en celle de la suffisance de l'Écriture : idée qui sera commune aux Pères et aux scolastiques. Aux origines, cette idée était poussée jusqu'à la volonté non seulement de ne rien dire d’autre, c’est-à-dire de différent, que ce qu’on trouve dans l'Écriture, mais même de ne rien dire de plus. L’idée traversera le Moyen Age et on la retrouvera encore chez les augustiniens du xiiie siècle : Richard Fishacre, Roger Racon, saint Ronaventure. Mais il faut bien ajouter que la manière de traiter l'Écriture donnait à cette restriction des limites relativement larges et surtout que ce principe de la suffisance de l'Écriture sera partagé par des chrétiens qui feront une place aux sciences humaines et qu’il n’implique pas par lui-même la position radicale que nous venons d'évoquer.

Pour les partisans de cette position, la philosophie et les philosophes étaient les grands ennemis, ou du moins des maîtres insuffisants et généralement trompeurs. Petau a rassemblé, loc. cit., Proleg., c. iii, p. 1521, un grand nombre de textes des Pères contre la philosophie : cf. Thomassin, Dogmata theologica, t. v, De proleg. theol., c. xxxv, éd. Vives, 1868, p. 211 sq., et c. xliv, n. 9. p. 275 sq. Il faut ajouter d’ailleurs que cette attitude à l'égard des philosophes et même de la philosophie ne repose pas, chez les Pères, sur une théorie de la corruption radicale de celle-ci, mais plutôt sur le sentiment que les choses du salut appartiennent à un ordre supérieur à celui de la sagesse païenne, qu’elles ne sont pas un objet de pure spéculation ou de pure curiosité intellectuelle. On sait d’autre part que, suivant une voie ouverte par l’apologétique juive, l’apologétique chrétienne déclarera empruntées aux Livres saints les vérités élevées qu’elle trouvait exprimées par les philosophes grecs, idée que le Moyen Age héritera de saint Augustin, soit directement, soit par l’intermédiaire de Cassiodore, Inst., . I, c. xvii, et qu’on retrouvera encore chez saint Thomas.

Il y avait donc, dans le christianisme primitif, tout un courant défavorable à une démarche proprement spéculative en matière de foi et donc à la constitution d’une théologie. Et cependant c’est un fait que, dans le christianisme, une science a procédé de la foi et qu’on s’y est formé très tôt une conception systématisée au sujet de Dieu et du monde. Ad. Harnack, Dogmengesch., t. i, 3e éd., p. 123 sq. ; Die Entstehung der christl. Theologie und des kirchl. Dogmas, Gotha, 1927, p. 3 sq., et cf. aussi p. 78 sq., 84-87 ; F. Kattenbusch, art. Theologie, dans la Prot. Realencyklopädie, t. xxi, p. 903 sq., et Zut Entstehung einer christlichen Theologie, dans Zeitsch. f. Theologie und Kirche, 1930, p. 174 sq. À la source de cette nécessité, pour la foi chrétienne, de se produire en une théologie, ces deux auteurs reconnaissent l’existence d’un fait : le fait du Christ, et l’obligation où les chrétiens étaient, pour croire, de concevoir le fait du Christ et, bientôt, de construire intellectuellement le mystère du Christ-Jésus.

Au vrai, plusieurs raisons rendaient nécessaire un effort pour exprimer et élaborer l’intelligibilité humaine du mystère du Christ et du christianisme lui-même, c’est-à-dire rendaient nécessaire une activité proprement théologique. Et nous voyons ces raisons jouer effectivement dans l’antiquité chrétienne.

Et d’abord, la philosophie païenne était un fait, la culture païenne existait. Fatalement, une confrontation du christianisme avec elle devait s’imposer tôt ou tard. Voir dans cette philosophie et cette culture un emprunt à l'Écriture ou une appartenance du christianisme engageait plutôt à ne pas les rejeter et à composer avec elles. De fait, la théorie de l’emprunt ou de l’appartenance fut d’abord celle des apologètes. Aussi le christianisme que nous présentent les écrits des Pères apologistes du iie siècle, s’il est en son fond reçu de la tradition apostolique et vécu dans l'Église, est aussi intellectuellement reconstruit selon des catégories homogènes à celles de la culture païenne. Cela est particulièrement sensible chez Justin, cf. ici, t. viii, col. 2228, mais aussi chez Tatien, Athénagore, Minucius Félix. Les apologistes ont ainsi donné, dans l'Église, la première construction théologique de la foi chrétienne.

Tout n'était pas dû, dans cette construction, au besoin de la défense et au désir de lancer un pont entre la foi et le paganisme. Un second motif était dès lors à l'œuvre : le besoin spontané qu’a le croyant de penser sa foi, même pour son propre compte, d’une manière qui en mette les données en liaison avec ses connaissances humaines et au niveau de sa culture. Le cas typique, ici, est celui de Clément et de l'École d’Alexandrie. Clément, en effet, a conçu sinon avec une totale clarté, du moins avec résolution, un rapport positif entre le christianisme et l’activité de la raison. De ce rapport, il a donné une formule concise en disant : « La philosophie grecque, pour ainsi dire, purifie l'âme et la prépare d’avance à recevoir la foi, sur laquelle la vérité édifie la gnose. » Strom., vii, 20, éd. Stählin, t. iii, p. 14. La philosophie et les sciences humaines ont pour lui une valeur de propédeutique à l'égard de cette contemplation ou gnose, laquelle est l'état le plus élevé de la foi et de la vie chrétienne. Ainsi la philosophie coopère-t-elle à l’appréhension de la vérité, laquelle s’obtient sur la base de la foi commune, mais au delà d’elle, dans cette foi développée et parfaite qu’est la gnose. Clément définit les rapports de la foi et de la gnose d’une manière qui montre que sa notion de gnose et notre notion de théologie sont de proches parentes : « La foi est pour ainsi dire une connaissance, gnosis, élémentaire et abrégée des choses nécessaires. La gnose est une démonstration ferme et stable de ce qu’on a reçu par la foi ; elle s'édifie sur la foi, par l’enseignement du Seigneur et passe à un état de fermeté et de saisie intellectuelle. » Strom., vii, 57, p. 42 ; cf. aussi vii, 55, p. 40. Nous sommes loin de l’attitude intransigeante et raide de Tertullien.

Ce n’est pas que Clément n’admette, lui aussi, la suffisance du christianisme. Le christianisme est pour lui « la vraie philosophie » ; selon lui aussi, le Christ est notre seul maître : « Puisque le Verbe lui-même est venu du ciel vers nous, nous ne devons plus aller vers un maître humain, ni nous occuper indiscrètement d’Athènes et du reste de la Grèce, ni non plus de l’Ionie… Maintenant le Maître enseigne et désormais tout est devenu pour nous Athènes et la Grèce, grâce au Verbe. » Protrep., 112, éd. Stählin, p. 79. Mais, à l’intérieur de la foi, une forme de contemplation intellectuelle se constitue, qui en développe supérieurement l’intelligibilité, les virtualités. Le portrait du gnostique ou chrétien parfait est aussi celui d’un contemplatif de la foi et serait assez bien le portrait idéal du théologien.

E., de Faye, Clément d’Alexandrie. Étude sur les rapports du christianisme et de la philosophie grecque au IIe siècle, Paris, 1906 ; H. Meyer, Jüdisch-alexandrinische Religions-philosophie und christliche Väterspekulation, dans Festgabe G. von Hertling, Fribourg, 1913, p. 211-235 ; P. Camelot, Les idées de Clément d’Alexandrie sur l’utilisation des sciences et de la littérature profane, dans Rech. de science relig., t. xxi, 1931, p. 38-66 ; le même, Clément d’Alexandrie et l’utilisation de la philosophie grecque, ibid., p. 541-569.

Il faut dire d’ailleurs que, si Clément a esquissé déjà une théorie de la spéculation théologique, il n’a pas lui-même composé cet exposé synthétique et systématique de la vérité chrétienne que son programme appelait. Les Stromates, comme leur nom l’indique, forment plutôt « une esquisse bigarrée ». Mais le mouvement était créé, la valeur propédeutique de la philosophie et des sciences humaines par rapport à une activité contemplative du croyant, nettement définie. Tout un mouvement de spéculation va se développer. Vers la fin du iie siècle, nous trouverons en Orient des écoles de théologie : en Cappadoce, à Édesse, Jérusalem, Césarée, Antioche, mais surtout à Alexandrie, où le » didascalée de la science sacrée » remonte au delà de Pantène. On avait déjà pu voir, à Rome, avec Justin, Tatien, Rhodon, une sorte d’école catéchétique et apologétique ; on a maintenant en Orient de véritables écoles de spéculation religieuse ayant chacune sa tradition et son esprit.

Origène est le créateur de la première grande synthèse de théologie scientifique.

Du point de vue méthodologique, il occupe, dans le développement de la notion de théologie, une place autrement importante qu’Irénée. Et ceci à trois titres : il a fondé l’exégèse scientifique de l’Écriture ; il a formulé une théorie de la connaissance religieuse ; il a composé le premier écrit de théologie proprement systématique.

1° Origène est demeuré, jusqu’en ses spéculations les plus hasardées, un bibliste ; son œuvre systématique, le Περὶ ἀρχῶν, est un commentaire de textes bibliques qui a engagé la théologie, telle que la pratiqueront Athanase et les Cappadociens, dans un sens profondément ecclésiastique et biblique.

2° Origène a proposé et mis en pratique une théorie de la connaissance religieuse qui accentuait la distinction faite par Clément entre la foi et la gnose. Beaucoup moins philosophe que Clément, beaucoup plus homme d’Église aussi, il a pourtant séparé davantage la connaissance supérieure de la gnose et la foi commune, mettant ces deux connaissances en relation avec les deux sens de l’Écriture, le sens matériel et le sens allégorique ou spirituel. La gnose représente ainsi, chez Origène, un mode de connaissance et un motif d’adhésion autres que le mode et le motif de la simple foi. Comme la foi pure, elle concerne certes les mystères, mais elle les aborde et s’en nourrit non par la voie des faits historiques et de leurs énoncés, mais par la voie d’une spéculation et de raisons d’ordre idéologique, que seule la sagesse discerne.

3° Origène a composé le premier grand ouvrage de théologie systématique, le Περὶ ἀρχῶν, en quatre livres, où il est traité successivement de Dieu et des êtres célestes, du monde matériel et de l’homme, du libre arbitre et de ses conséquences, enfin de l’Écriture sainte. Après avoir, dois le prologue, distingué les objets que la prédication ecclésiastique impose a la croyance et le domaine des élaboration ! ou des explications laissé à l’initiative du chercheur, Origène profite largement de la liberté de recherche ainsi définie. Mais on a noté supra, art. Origène, t. xi, col. 1527 sq., et R. Cadiou, Le développement d’une théologie. Pression et aspiration dans Rech. de science rel., t. xxiii, 1933, p. 411-429, qu’Origène a su se corriger lui même et qu’en lui le croyant et l’homme d’Église ont rectifié plusieurs fois le philosophe ou le spéculatif hardi. Il a eu le souci très vif, dans son œuvre, d’assumer tout ce qu’il était possible d’assumer. Un maître de pensée exigeante et exacte, un homme soucieux d’assimiler synthétiquement dans la pensée religieuse tout élément de vérité et de profiter de tout pour grandir spirituellement, tel nous paraît Origène dans le souvenir fidèle de Grégoire le Thaumaturge, évêque de Néocésarée. Orat. paneg., cf. surtout n. 8, 11, 13, 14 fin, P. G., t. x, col. 1077, 1081, 1087, 1093.

Malgré leur grande importance au point de vue dogmatique, nous ne nous arrêterons pas sur les Cappadociens qui, ayant exercé vraiment une activité spéculative, n’en ont pas fait la théorie méthodologique. Mais Basile affirme très vigoureusement la nécessité de croire d’abord, Hom. in ps. cxv, n. 1, P. G., t. xxx, col. 104 sq. ; Epist., xxxviii, n. 5, P. G., t. xxxii, col. 336 ; mais quand on voit, par exemple dans cette Epist., xxxviii, col. 325, 340, la fermeté et l’acribie avec lesquelles il distingue les notions d’essence et d’hypostase, on doit conclure que la pensée chrétienne est armée pour élaborer, construire et systématiser le révélé, sur la base de la foi. Rien au delà d’une simple répétition des affirmations scripturaires, bien au delà d’un concordisme apologétique avec la philosophie païenne, nous avons ici, au service d’une perception et d’une expression plus précises du donné chrétien, un usage de la raison et de ses ressources, qui est d’authentique théologie. D’ailleurs, Grégoire de Nazianze dira expressément qu’il ne faut pas craindre d’innover en matière d’expressions, pour les besoins de la clarté. Oral., xxxix, n. 12, P. G., t. xxxvi, col. 348 B.

De saint Jérôme nous ne ferons mention que pour sa lettre fameuse à Magnus, qualifié d'Orator urbis Romæ, P. L., t. xxii, col. 664-068. Cette lettre, en effet, où Jérôme justifie l’usage des lettres profanes, fut pour l’Église occidentale et singulièrement pour le Moyen Age latin, le « lieu » propre où l’on alla chercher la tradition sur le point de l’utilisation des sciences humaines, des lettres et, d’une manière générale, des éléments rationnels dans les sciences sacrées.

II. Saint Augustin.

Saint Augustin a conçu une théorie très forte de la contemplation théologique ; l’ayant lui-même appliquée, il a eu, sur le développement de la théologie dans l’Église d’Occident, une influence absolument prépondérante.

Les textes concernant cette conception de la théologie sont épars, mais on peut se référer à quelques exposés plus explicites et plus formels, qu’on trouvera par exemple dans : Serm., xi. iii, P. L., t. xxxviii, col. 254 sq. (commentaire du Nisi credideritis, non intelligetis) ; Serm., cxvii, n. 5 et 6. col. 665 sq. (sur l’usage des similitudes) ; Epist., cxx, ad Consentium, t. xxxiii, col. 452-462 (sur les rapports de la ratio et de la fides ; 410) ; Enarr. in ps. cxviii, serm. xviii, surtout n. 3, t. xxxvii, col. 1552 (sur les rapports du credere et de lintellectus ; 415) ; De Trinitate (entre 398 et 416), surtout le l. XV, t. xlii, col. 1057-1098 ; De doctrina christiana, l. II, t. xxxiv, col. 35-66 (397 ; seconde rédaction en 427).

Sur la contemplation théologique chez saint Augustin: M. Schmaus, Die psychologische Trinitätslehre des hl. Augustinus, Munster, 1927, surtout p. 169-190 (sa position théologique) et 285-291 (scientia et sapientia) ; F. Cayré, La contemplation augustinienne. Principes de la spiritualité de saint Augustin, Paris, 1927, surtout les c. vii-ix ; Ét. Gilson, La philosophie de saint Augustin, Paris, 1929, chap. sur la foi, sur la sagesse, et conclusion sur l’augustinisme (sur le point de vue de Gilson, cf. les remarques de B. Romeyer, dans Archives de philos., t. vii, 1930, p. 201-213) ; Ch. Boyer, Philosophie et théologie chez saint Augustin, dans Revue de philos., 1930, p. 503-518 ; H.-I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique, Paris, 1938, surtout la IIe et la IIIe partie; R. Gagnebet, La nature de la théologie spéculative, dans Revue thomiste, 1938, p. 3-17.

M. H.-I. Marrou, op. cit., a établi que saint Augustin était d’abord converti, en 386, à la recherche exclusive de la sagesse, comportant la seule connaissance de soi-même et de Dieu, et se subordonnant, pour cette connaissance, l’usage des arts libéraux, puis que, en 391, ordonné prêtre et évêque, il s’était ouvert au souci de l’action et à ce que celle-ci exigeait de connaissance de l’ordre temporel, c’est-à-dire de scientia : le De doctrina christiana et la seconde partie du De Trinitate sont l’expression de cette introduction de la scientia au service d’une recherche, d’abord exclusive, de la sapientia, avec prédominance de celle-ci. En sorte que, finalement, ce changement dans la position d’Augustin, capital au point de vue de ses idées sur la culture, n’affecte pas la structure de sa pensée sur l’intellectus fidei, sur la contemplation théologique et sur le rapport des connaissances humaines à cette contemplation, qu’elles aillent ou non jusqu'à englober les sciences profanes. Nous pouvons donc prendre la pensée de saint Augustin en son état le plus développé, celui du De doctrina christiana et du De Trinitate, l. VIII sq., qui seront d’ailleurs les sources principales du Moyen Age, pour définir sa position sans tenir autrement compte du changement introduit dans ses vues vers 391.

Saint Augustin est un homme qui a trouvé la lumière, la vie et la joie de son intelligence dans la foi. Il a lui-même fait l’expérience que la foi ouvre les yeux intérieurs de l'âme. Il y a une accession à la foi, dans laquelle la raison et les raisons jouent un rôle et il y a, par la foi et dans la foi, une guérison, un approfondissement, un élargissement de l’esprit par un effort d’intelligence et une activité de contemplation, en quoi consiste ce que nous appelons théologie. Ces deux temps ont été très nettement marqués dans la double formule bien connue : intellige ut credas, crede ut intelligas. Serm., xliii, c. vii, n. 9, t. xxxviii, col. 258. La seconde partie de cette formule a été elle-même reprise un très grand nombre de fois par Augustin, sous la forme d’un texte d’Isaïe cité d’après les Septante, Nisi credideritis, non intelligetis (l’hébreu eût voulu : non subsistetis), Is., vii, 9. Augustin cite ou commente ce texte, par exemple : Serm., xliii, t. xxxviii, col. 254-258 ; Serm., cxxvi, n. 1, col. 698 ; De lib. arb., t. I, c. ii, n. 4, et t. II, c. ii, n. 6, t. xxxii, col. 1224 et 1243 ; De doctr. christ., t. II, c. xii, n. 17, t. xxxiv, col. 43 ; Epist., cxx, n. 3, t. xxxiii, col. 453 ; En. in. ps. cxviii, serm. xviii, n. 3, t. xxxvii, col. 1 552 ; Tract, xxix in Joan., n. 6, t. xxxv, çol. 1630 ; De magistro, c. xi, n. 37, t. xxxii, col. 1216. Cette formule augustinienne est reprise très souvent au Moyen Age. Par exemple chez saint Anselme, Proslogion, c. i, P. L., t. clviii, col. 227 ; De fide Trinitatis, c. ii, col. 263 ; Hugues de Saint -Victor, Miscell., v, tit. 104, P. L., t. clxxvii, col. 804 ; Richard de Saint-Victor, De Trin., i, 4, P. L., t. cxcvi, col. 892 ; Guillaume d’Auxerre, Summa aurea, præf. ; Alexandre de Halès, Sum. theol., l. I, tract, intr., c. i, ad 3um et c. ii, contra, b, éd. Quaracchi. t. i, p. 3 ; Kilwardby, De natura theol. éd. Stegmüller, p. 36 ; Saint Thomas, In Ium Sent., prol., a. iii, sol. 3 ; Sum. theol., IIa-IIæ, q. iv, a. 8, obj. 3 et q. viii, a. 5, obj. 3 ; Saint Bonaventure, Sermo « Christus unus omnium magister », n. 15, éd. Quaracchi, t. v, p. 571 ; Hervé Nédellec, Defensa doctr. S. Thomæ, Ia pars, De causis theol., a. v, éd. Krebs, 1912, p. 13*, etc.En cours

Nous ne nous étendrons pas sur la première activité de l’esprit, prenant place dans l’accession à la foi. Saint Augustin lui donne une grande importance et cela suffit à montrer le simplisme de tout jugement attribuant à Augustin une méconnaissance de la nature ; cf. Epist.. cxx, n. 3, P. L., t. xxxiii, col. 453, etc. ; Schmaus, op. cit., p. 172 ; Gilson, op. cit., p. 34 ; Homeyer, art. cité ; enfin ici, art. Augustin, t. i, coi. 2338.

La foi ayant été reçue dans l'âme n’y est pas sans vie ni mouvement. Elle est, au contraire, une entrée dans le monde de la vie éternelle et son mouvement interne va à une certaine pénétration, une appréhension, bref une intelligence de son objet. De lib. arb., t. II, c. ii, n. 6, t. xxxii, col. 1243. Augustin appelle intellectus ce fruit de la foi.

Augustin note d’ailleurs constamment que cet intellectus n’est pas le fruit d’une foi quelconque, une

pure connaissance ou un pur renseignement. Il est le fruit d’une foi « pieuse », c’est-à-dire pour laquelle Lieu n’est pas un pur objet connu, mais aussi une fin aimée vers laquelle s’oriente toute la vie. C’est cette pia fides, qui nous revêt de piété, qui a pour effet de purifier l'âme, de la guérir, de la mener enfin à cette vision ou à cette intelligence qui est le commencement de la vie céleste ; cf. Schmaus, op. cit., p. 174 ; Cayré, op. cit., p. 219 sq. ; Gilson, op. cit., p. 36-39.

Tel est Y intellectus augustinien : une contemplation de l’esprit croyant, aimant, qu’une vie conforme à sa foi et à son amour purifie et dilate. La foi, ici, joue son plein rôle de forme totale de la vie humaine. L’homme se perfectionne, même en son intelligence d’homme, en croyant et en obéissant au mouvement de la foi. On tient là une attitude spécifiquement augustinienne : le refus de séparer la connaissance, qu’elle soit « science » ou « sagesse », de son usage et de sa valeur morale, le refus d’en faire une pure réalité épistémologique, n’ayant pas, dans sa substance même, une référence à la fin dernière, à la béatitude ; ultérieurement, le refus d’une philosophie autonome et séparée ; cf. Gilson, op. cit., p. 148 sq., et L’idée de philosophie chez saint Augustin et chez saint Thomas d’Aquin, dans Acta hebd. augustinianœ-thomisticæ (Romse, 1930), Turin-Rome, 1931, p. 75-87.

Cependant, pour englober toute la réalité de la vie morale, la contemplation théologique augustinienne n’en implique pas moins l’usage de toutes les ressources des sens et de l’esprit. Augustin a conçu ici toute une dialectique de l’ascension de l’esprit vers Dieu, dont la vision d’Ostie constitue un immortel exemple, et le De Trinitate une mise en œuvre systématique. Pour monter vers Dieu dans ce mouvement de recherche en quoi consiste l’exercice de la sagesse, l'âme utilise d’abord les objets corporels, puis les ressources de la mémoire, c’est-à-dire les acquisitions de l’esprit, enfin elle trouve Dieu en soi, dans la partie supérieure de la mémoire. Cf. Cayré, op. cit., p. 201 sq. Ce qui nous intéresse ici, c’est l’utilisation, par l'âme en quête d’intelligence des mystères, de similitudes sensibles d’abord, de toutes les ressources des sciences et des arts ensuite. C’est cet aspect de la théologie qu’Augustin qualifie de science, parce qu’il concerne directement l’usage des choses créées, en vue de la compréhension des divines, et dont il dit que la foi, la foi salutaire, qui mène à la béatitude, en est engendrée, nourrie, défendue et renforcée. De Trin., t. XIV, c. i, n. 2, t. xlii, col. 1037. Augustin a fait de cet usage des connaissances créées, pour la nourriture de la contemplation théologique, une application au mystère de la Trinité. Le plan du De Trinitate est à cet égard significatif. Les sept premiers livres représentent assez bien le stade du credere ; Augustin y établit l’existence des trois personnes, étudie leurs attributs et répond aux objections qu’on peut faire au dogme, tout cela en mettant en œuvre les sources de la théologie, l'Écriture d’abord, les Pères ensuite ; cf. Schmaus, op. cit., p. 179 sq. Les 1. VIII à XV forment une seconde partie, dont Augustin dit lui-même qu’il y procédera modo interiore et qui répond assez bien à la recherche de Y intellectus. Or, l’intelligence du mystère sera cherchée par l’examen et l'élaboration extrêmement poussée des images ou analogies du mystère que nous pouvons connaître. Ainsi tendra-t-on à Yintellectus de la foi, c’est-à-dire à ce que videatur mente quod tenetur fide, t. XV, c. xxvii, n. 49, col. 1096, grâce à des analogies multiples et de plus en plus élevées allant, suivant un ordre qui n’exclut pas les digressions, des images tirées des activités naturelles de l’homme, 1. IX-XI, en passant par les images tirées de l’activité morale du chrétien, 1. XII-XIII, jusqu'à l’image la plus parfaite, qui est celle de la sagesse, 1. XIV. Bien 4

entendu, ces analogies ne sont pas des preuves, mais des moyens de tendre à l’intelligence, qui ne valent que pour le croyant ; de ce chef, elles ne "sont entendues que des aures populi christiani et l’évêque d’Hippone les présente jidelibus. non infidelibus loquens, L. XV, c. xxvii, n. 48, col. 1095 et 1096. Au reste, on ne soulignera jamais trop que tout cela suppose la foi, que l’intellectus repose essentiellement sur le credere dont il est le fruit, et que ce credere lui-même est principalement réglé et défini par les Écritures.

C’est dans cette perspective qu’Augustin a revendiqué très vivement la légitimité et l’utilité des études profanes pour l’œuvre même de la sagesse chrétienne. Attitude capitale, qui devait déterminer, avec des nuances diverses, celle de tout le Moyen Age et de toute l’Église d’Occident ; avec des nuances diverses, disons-nous, car l’anUintellectualisme extrême en procédera, ou du moins s’en réclamera, tout autant que l’humanisme chrétien d’un saint Anselme ou des Victorins, ou même l’initiative de saint Thomas. Le texte essentiel est ici celui du De doctrina christiana, 1. II. Augustin veut mettre, au service de l’intelligence des Écritures, toutes les ressources aptes àprocurerce service : la connaissance des langues sacrées, celle de la nature des êtres, celle de la dialectique, qui permet de déceler et de réfuter les sophismes et enseigne l’art de la définition et de la division des matières, sans lequel aucune exposition de la vérité n’est possible ; la connaissance de l’éloquence, la science des nombres, l’histoire et le droit. Cf. Gilson, op. cit., p. 151 sq. Programme immense, dont Augustin lui-même, puis le Moyen Age, ne réaliseront en somme qu’une partie, le Moyen Age t héologique se limitant, dans son ensemble, à la culture de la grammaire et de la dialectique ; cf. Marrou, op. cit.. p. 2.Î7-275. Ainsi Augustin a-t-il su, sans rejeter le principe primitif de la suffisance du christianisme et des Écritures, assumer dans l’étude de celles-ci et dans la pratique de celui-là, toutes les ressources viables du monde antique. Le programme et l’esprit encyclopédiques du Moyen Age procéderont tout entiers de cette attitude.

III. L’héritaoi DD vie siècle. — La chrétienté latine, au point de vue de la manière dont elle concevra et pratiquera la théologie pendant près de dix siècles, est déterminée, au VIe siècle, par deux grands facteurs : d’une part, l’héritage des Pères, au sein duquel s’affirme incontestablement l’hégémonie religieuse de saint Augustin, d’autre part l’héritage philosophique reçu de l’antiquité et en particulier de cer tains écrits d’Aristote traduits et transmis par Boèce (+ vers 525).

t L’héritage pairistique. Avant d’aborder l’histoire de la notion de théologie dans la préseolastique, puis dans la scolastique médiévales, il est bon de fixer quelques-uns « les traits de l’époque qui commence, principalement en son attitude à l’égard du donné théologique, telle que cette attitude s’est trouvée déterminée par l’héritage reçu des Pères, el singulièrement de saint Augustin. L’influence de celui ci a été

immense, (.rabmann, Gesch. dtT BChol. Méthode, t. i,

p. 125 sq., caractérise par ces quatre points les principaux aspects de cette influence : l. L’idée de la valeur propédeutique de la dialectique ; 2. I ne idéologie de l’autorité s’appliquanl aux rapports de la raison et de la foi et fondant une manière positive d’envisager ipports ; 3. I.’exemple et l’influence d’une synl hèse

fortement s si c mat ise’-c. formulée dans clés iruvres qui

s’imposeront romme des modèles ; l. L’élaboration de plusieurs grandes questions, la création de la procé dure i luivrc dans les controverses, de manières d’argumenter, de toute une théorie de la connaissance-n li ifln d’une langue dogmatique. Cf. aussi M ii rabmann. AugustitlS l.ehrr von (.luuheii imd i

DICT. m rHBOL.’i UOL.

sen und ihr Einfluss auf das mittelallerliche Denken, dans M ittelallerliches Geistesteben, t. il. Munich, 1936, p. 35-62 ; W. Schulz, Der Einfluss der Gedanken Augustins iïber das Verhàltnis von ratio und fides in der Théologie des 8. und 9. Jahrhunderis, dans Zeitsch. I. Kirchengesch. , t. xxxiv, 1913, p. 323-359 ; …im 11. Jahrhundert. ibid., t. xxxv, 1914, p. 9-39.

Du point de vue qui est le nôtre ici, l’héritage patristique semble comporter particulièrement les points suivants :

1. Utilisation de l’Écriture.

L’activité théologique est un effort pour pénétrer le sens et le contenu de l’Écriture, qui est la parole de Dieu. Le principe de la suffisance de la Bible est le premier legs des Pères. Ce principe sera maintenu et vécu par le Moyen Age sans atténuation : saint Anselme n’introduira des activités de spéculation qu’en disant que l’Écriture les contient, De conc. præsc. Dei cum lib. arb., q. iii, c. vi, P. L., t. clviii, col. 528 C ; Abélard présentera la synthèse théologique qu’il tente pour la première fois comme une « Introduction à l’Écriture sainte » :

Sit tibi, quirso, frequens Scripturæ lectio sacra". Cætera si qua legasomnia propter eam (P. L., t. c.lxxviii, col. 1760).

Jusqu’à la fin du xiie siècle, la théologie sera essentiellement et, on peut dire, exclusivement biblique ; elle s’appellera sacra pagina ou sacra scriplura (voir plus loin).

Le Moyen Age héritera aussi des Pères, et singulièrement de saint Augustin et de saint Grégoire les méthodes d’aborder et de traiter le texte scripluraire. Ces méthodes lui seront transmises tant par les textes originaux que par les florilèges, les Sententise et ultérieurement par les Closes. Cette exégèse est caractérisée en particulier par :

a) Un usage des transpositions allégoriques, devenu, au delà du sens historique, comme une seconde manière de lire ou d’entendre le texte. Exemple : du fait que les proportions assignées par la Genèse à l’arche de Noë sont celles-là mêmes que la tradition attribue au corps humain. Augustin déduit que l’arche est la figure (h ; l’homme par excellence, le Christ Jésus, auquel nous devons le salut comme Noé au vaisseau de bois. De civ. Dei, 1. W, c. xxi. n. 1, P. /… t. xi. i, col. 172 : cf. Marrou, op. cit., p. 418 sq.

b) Un traitement du texte biblique avec les ressources de la grammaire latine beaucoup plus qu’avec celles de l’histoire, de la connaissance des langues bibliques, hébreu et ^ree. et du milieu géographique, historique et culturel dans lequel les faits bibliques se sont déroulés et les récifs bibliques furent rédigés. D’OÙ un effort et une subtilité d’interprétation dépensés pour eles textes dont la connaissance de l’histoire aurait livré le sens exact, sans mystère. Exemple : l’interprétation, par saint Augustin. Enar. in ps. vin, n. 10, P. /… t. xxxvi, col. 113, de cet hébralsrhe : « Qu’est-ce que l’homme pour que lu le souviennes de lui. le fils de l’homme pour que tu en prennes soin ? »

2. Utilisation des (iris libéraux. Le Moyen Age reçoit des Pères, ci surtout de saint Augustin, l’idée

que les sciences on les arts profanes, les arts libéraux, appart lennent de droit au Christ et qu’il faut les rendre a leur vrai maître-en les faisant servir a une intelli

gence plus approfondie eles Écritures. Les anathèmes

du début contre h’savoir humain ne se sont pas gêné ralises et n’ont pas dure. Très tôt on a su. sans rien

abandonner du principe de la suffisance du christla

ni, me et elne aræ 1ère-absolument original et nouveau des faits ehreliens. leur annexer et leur subordonner les ressources élaborées par la raison païenne. On a fris le’il exploite en ce sens l’allégorie eles I IcbreUX

emportant les vases d’or et d’argent êtes Égyptiens,

T.

W — 12.

355

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. L’HÉRITAGE DU VI » SIÈCLE

356

Lx., xi, 2 ; iii, 22 etxii, 35, ou encore l’allégorie de David tuant Goliath proprio mucrone, ou enfin, à la suite de Philon, l’allégorie de Sara et d’Agar, celle-ci représentant la science humaine dont il fallait qu’Abraham eût un fils avant d’en avoir un de la femme libre. Ces symboles illustrant l’idée de la valeur propédeutique et auxiliaire des sciences profanes, traverseront tout le Moyen Age ; on les retrouve jusqu’en plein xiii c siècle.

Cette conception de la valeur auxiliaire et propédeutique des diverses branches du savoir humain est commune dans la période que nous abordons. Formulée par saint Augustin, De ordine, t. II, c. xvi, P. L., t. xxxii, col. 1015, et par Cassiodore, Institutiones, P. L., t. lxx, col. 1105 sq., par saint Grégoire, In I Reg. expos., v, 30, P. L., t. lxxix, col. 355 D et Epist., ]. XI, ep. liv, P. L.. t. lxxvii, col. 1171, et par saint Isidore, etc., cette conception s’exprimera à l’état d’institution dans le régime scolaire établi par Alcuin. D’une manière plus générale, cette notion existera, au Moyen Age, dans la structure même de la culture, laquelle est caractérisée comme un ordre déterminé par la subordination à la science sacrée et la mise à son servicedetous les éléments de culture, alors qu’elle-même est essentiellement conçue comme l’explication, la pénétration et l’illustration d’un texte, la Bible. Ceci est caractéristique du Moyen Age et de sa civilisation essentiellement théologique. Sans nier que cette civilisation n’ait englobé bien des tendances laïques, sans affirmer que la culture profane ou scientifique n’y ait jamais été conçue ou pratiquée que comme une chose subordonnée à la théologie, la culture médiévale sera en effet, dans son ensemble, caractérisée par sa référence à la Révélation et au salut. Aussi bien est-elle essentiellement une chose d’Église, un bien de chrétienté, puisque le monde cultivé s’identifie à celui des clercs et que l’enseignement est exclusivement aux mains de l’Église. Les écoles et les universités obéiront, bien ou mal, à la loi de cette culture théologique et à l’idéal de la théologie-reine, servie et précédée par les arts et les sciences, ses servantes ; cf. H. Denifle, Die Enlstehung der Universitàten des Mittelalters bis 1400, t. i, Berlin, 1895, p. 98 sq. Nous retrouverons au xm° siècle, dans cette pure ligne augustinienne, la lettre de Grégoire IX à l’université de Paris et l’opuscule de saint Bonaventure, au titre étonnamment suggestif, même s’il n’est pas æ Bonaventure lui-même, Reductio artium ad theologiam.

On connaît la formule célèbre dans laquelle la tradition a fixé le rapport à la théologie des autres éléments de culture : Philosop Ma ancilla theologise, scientia ancilla theologise. Cette formule n’est pas une création du Moyen Age. On la trouve chez Philon pour exprimer l’effort d’un premier humanisme théologique au bénéfice de la sacra pagina de l’Ancien Testament juif, E. Bréhier, Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexandrie, 2° éd., Paris, 1925, p. 287-293 ; on la trouve équivalemment chez les Pères grecs, utilisée dans le même sens : chez Clément d’Alexandrie, Grégoire de Nazianze, Jean Damascène ; cf. Grabmann, Gesch. der schol. Meth., 1. 1, p. 109 ; on la trouve chez les auteurs médiévaux avec une telle abondance qu’on doit renoncer ici à faire un relevé des textes.

3. Importance du « texte » et du commentaire. — On en revient complètement de l’idée d’un Moyen Age qui ne serait, entre deux grandes époques créatrices, l’Antiquité et les Temps modernes, qu’une longue léthargie de l’esprit. Il est cependant indéniable, au point de vue de la pensée religieuse et plus spécialement de la théologie, que le Moyen Age s’est considéré urtout comme ayant reçu un héritage et devant le garder et l’assimiler. On a noté, comme l’un des traits du Haut Moyen Age, une certaine passivité dans l’uti lisation des sources, la rareté des traductions nouvelles d’eeuvres anciennes, un certain caractère de monde fermé. A. Van de Vyver, Les étapes du développement philosophique du haut Moyen Age, dans Revue belge de philologie et d’histoire, t. viii, 1929, p. 425 sq. Plus tard encore, même lorsqu’ils feront effectivement preuve de la plus grande initiative, les penseurs du Moyen Age couvriront leur production personnelle d’une étiquette homologuée. Il y a là un fait notable et qui intéresse au premier chef le développement delà méthodologie théologique. Pour le Moyen Age il y a un donné qui doit être reçu tel quel et qu’on doit seulement chercher à commenter. L’œuvre intellectuelle se présente comme l’assimilation d’un texte, le commentaire d’un auteur reçu. L’enseignement, dans les écoles, revêt essentiellement la forme d’une explication de texte. L’acte essentiel et le régime normal de la pédagogie médiévale sera la lecture, lectio ; le maître, le docteur, s’appellera un lector. Paré-Brunet -Tremblay, op. cit., p.. 110 sq.

Qu’on relise le prologue des Sentences de Pierre Lombard ; on verra que ce livre, qui servira lui-même de « texte » jusqu’en plein xviie siècle, se présente comme une pure compilation de ce que les Pères ont dit : In quo majorum exempta doctrinamque reperies… brevi Volumine complicans Patrum sententias, éd. Quaracchi, t. i, p. 3. Ailleurs, se demandant quid sil originale peccatum, le Lombard fait cette réflexion qui en dit long sur les catégories habituelles et l’attitude spontanée de son esprit : De hoc sancti doctores subobscure locuti sunt, atque scholaslici lectores varie senserunt, t. II, dist. XXX, c. vi, p. 462. Ainsi, pour un homme du Moyen Age, l’ensemble des penseurs chrétiens se divise en deux catégories : il y a d’une part les sancti doctores, ou tout simplement les sancti, qui font désormais autorité, et, d’autre part, les scholaslici lectores, ceux qui, dans le régime scolaire en vigueur dans l’Église, « lisent », c’est-à-dire commentent les précédents. Abélard lui-même, dans le prologue du Sic et non, laisse percer la conviction générale du Moyen Age, selon laquelle il faut interpréter les Pères, dont on n’a plus l’inspiration et la grâce créatrice. Il est important à cet égard de noter que les œuvres des Pères furent souvent rangées dans la Scriptura sacra, avec les conciles et les canons faisant, avec la Bible elle-même, l’objet de la lectio ou du commentaire : assimilation relative, dont personne ne sera dupe et qu’un saint Thomas mettra plus tard au point. Sum. theol., I », q. i, a. 8, ad 2um.

Les auctores, ou adores, ou autores, sont les écrivains qui, en chaque matière, font « autorité », auctoritates, et servent de modèle. Déjà, dans la langue classique, auctor désignait non seulement celui qui avait fait une œuvre quelconque, mais celui qui avait qualité juridique ou dignité pour la faire. Le Code de Justinien opposait aux exempta les authentica et originalia rescripta et, dans le droit ecclésiastique, le pape Grégoire emploiera ce même vocabulaire. Par métonymie, le mot auctoritas signifiera non plus la dignité dont est revêtu un auteur ou son œuvre, mais le texte même qu’on invoque. C’est avec cette ultime signification que le mot circule, appliqué aux textes patristiques, dans tout le haut Moyen Age chez les compilateurs île sentences, (Yauctoritales. Le mot implique, avec celle d’origine, l’idée d’autorité. Le fameux Dccretum de libris recipiendis et non recipiendis attribué au pape Gélase, qui pénètre au ixe siècle dans les collections canoniques, apportait officiellement un premier discernement entre les livres rejetés et ce qu’on appellera la dfseriptio authenticarum scripturariim (Hincmar de Reims), les libri aulhenlici quos recepit Ecclesia (Yves de Chartres). Abélard s’y référera pour composer son Sic et non, P. L., t. clviii, col. 1549. L’usage attribua 357 THÉOLOGIE. L’HÉRITAGE DU Vie SIÈCLE 358

d’une manière assez constante la qualité d’auctorilales aux textes des Pères et de certains auteurs ecclésiastiques. Et ces auctoritates furent considérées comme un donné indiscuté, qu’on pouvait bien interpréter, mais non récuser ou nier. Cf. M.-D. Chenu, « Authentica » et « Magislrali a ». Deux lieux théologiques aux XIIe xiii e siècles, dans Divus Thomas, Plaisance, 1925, p. 257-285.

Le Moyen Age reprendra un procédé déjà employé avant lui : il constituera, de ces textes qui étaient pour lui un donné de base, des recueils accessibles et pratiques. On recourra d’abord au procédé de la defloratio, constitution de flores des Pères, de « chaînes » et de « florilèges », puis aux recueils de Sententiæ, assumant un certain travail d’harmonisation. Beaucoup de citations, d’» autorités » reproduites dans les œuvres théologiques du Moyen Age viendront non d’une lecture directe des textes intégraux, mais d’une utilisation de florilèges et de recueils. Cf. Grabmann, Gesch. der schol. Méthode, t. i, p. 92, 114-116 et t, ii, p. 82, pour les Grecs ; t. 1, p. 182-188 et t. ii, p. 81 sq. pour les Latins.

Dès qu’on travaille sur un donné considéré comme l’imposant sans discussion, on doit en affirmer l’homogénéité et l’on est ainsi conduit à s’engager dans la voie d’une exégèse plus ou moins laborieuse, qui réduise les discordances et résolve les conflits. Dès le début, les Pères avaient tait ce travail pour le texte biblique, en particulier en vue d’établir la concordance de l’Ancien et du Nouveau Testament ; quand les Pères furent eux-mêmes traités comme un « texte », un travail analogue fut poursuivi à leur sujet. Le Moyen Age, en effet, ignorait le point de vue historique qui permet, en situant un texte dans les circonstances de ses origines, d’établir son sens et sa portée et ainsi de réduire son apparente opposition avec un autre texte de sens et de portée différents. D’où, à côté d’interprétations d’un sens historique et critique tout à fait notable, loute une jurisprudence Idéologique d’inlerprél al ion des lextes. La fortune d’un au leur de second ordre, comme Pierre Lombard, viendra en partie (le son succès a établir une espèce de via média I héologique et a concilier, dans un respect total, les autorités. On consultera sur tout cela : J. de (ihellinck, op. cit., p. 22-28, 45 sq., 73 sq., 102 sq. (.S/Y et non d’Abélard), 137 sq. (Pierre Lombard), 317-338 (les canonistes), 351-355 (sur le principe Non sunt adversi, sed diversi, qu’Abélard évoque au début du Sic et non, en suggérant son insuffisance ci son inefficacité) ; Chenu, art. cité, en particulier p. 276 sq. (sur Vexpositio reverens) ; M. Piquet, Saint Thomas et les « Auctoritates » en philosophie, dans Areh. de philOS., t. iii, 1925, p. 117 155 ; J. Cottiaux, dans Revue d’histoire ecclés., 1932, p. 796.

L’héritage philosophique.

Il ne s’agit pas pour nous ici de relever le contenu matériel de l’apport philosophique a la pensée des l’ères mi même du Moyen Age : voir les articles Aristotélisme de la scolastique el Platonisme des Pères ; mais bien de noter brièvement l’héritage que le Moyen Age reçoit de l’Antiquité quant a la structure méthodologique du til théologique. De ce point de vue, il s’agit surtout d’Aristote.

1. Aristote chez les Pères.

Aristote intervient relalivement peu chez les Pères ; ceux-ci le soupçonne raient plutôt d’inspirer des hérésies. Si l’on se plaie au poinl de vue de la méthode, son influence se montra plu, considérable, mais elle fut plutôt tardive. La méthode aristotélicienne du problema et de Vaporie’Imposa ei eui une uiiliieiiee dans le néoplatonisme .premiers, iècles chrétiens avanl d’en avoir une la patriotique proprement dite des w et vil* sic lors. Aristote joue un mie. en technique théologiqui. dans la pensa di - Pi r< orientaux i i liez Léonce de Byzance, chez qui l’on trouve non seulement la technique de la « question » aristotélicienne, mais une utilisation, d’ailleurs nullement servile, des catégories philosophiques du Stagirite dans l’approfondissement de la christologie. Cf. M. Bichard, Léonce et Pamphile, dans Revue des sciences philos, et lhéol., t. xxvii, 1931, p. 27-52.

Mais c’est surtout chez saint Jean Damascène que cette double influence d’Aristote, méthodologique et idéologique, est remarquable. On a pu faire, entre Jean Damascène et les scolastiques, des rapprochements qui ne sont pas tout extérieurs. De fait, la Source de la connaissance représente un exposé synthétique de la doctrine chrétienne. Mais il est encore plus notable que Jean Damascène commence par des XEspâXaia cpt, XoaoqHxâ, des chapitres philosophiques, qui groupent, à titre d’introduction à l’exposé des dogmes, des définitions philosophiques empruntées aux philosophes, surtout à Aristote et à Porphyre, ainsi qu’aux Pères de l’Église. Par ce souci de précision technique, par l’usage fait de la philosophie d’Aristote en plusieurs questions théologiques, par exemple en morale, par une certaine élaboration du traité méthodologique De nominibus Dei, Jean Damascène a exercé une réelle influence sur le développement de la théologis. Influence d’ailleurs assez tardive pour ce qui est de l’Occident, puisque notre docteur n’y fut connu que vers le milieu du xiie siècle.

Sur Aristote chez les Pères : P. d’Hérouville, Quelques traces d’aristotélisme clœz saint Gréijoire de Nazianze, dans Recft. de science rclig., 1918, p. 395-398 ; G. Hardy, Paul de Satnosate, Paris, 1923, p. 292 sq. ; P. Hendrix, De Alexandrijnsche Hsresiarch Basilides…, Dordrecht, 1926, p. 114117 ; V. Valdenberg, La philosophie byzantine aux IV et V siècles, dans Byzantion, t. iv, 1929, p. 237-208 ;.1. de (jhellinck, Quelques appréciations île la dialectique d’Aristote durant les conflits trinitaires du I Ie siècle, dans Revue d’Iiist. ecclés., 1930, p. 5-42 ; G. Hardy, Uri<jène et lUwistotélisme, dans Mélanges Glotz, Paris, 1932, t. r, p. 75-83 ; A. -M. Festugière, L’idéal religieux des Grecs et l’Evangile, Paris, 1932, p. 221-263 ; H. Arnou, Unité numérique et unité de nature chez les Pères après le concile île Sieée, dans

Gregorianum, 193 1, p. 212-254.

2. Introduction d’Aristote en Occident par Boèce.

On ne sait exactement si Boèce (t vers 525) traduisit Pieuvre entière d’Aristote, mais il est bien certain que seules furent connues du Moyen Age les œuvres logiques du Philosophe dans la traduction de Boèce : à sa oir les Catégories et le Pcriherménéias, à quoi il faut ajouter une traduction revue par Boèce sur celle de Marius Yietnrinus de l’Isagoge de Porphyre : le tout formant la Logica velus en attendant qu’une traduction des Analytica priori et poslerioru, des Topiques, des Sophistici elenchi donne, entre 1120 et 1160, la Logica noua. C’est donc comme un maître de penser qu’Aristote est reçu par le haut Moyen Age ; plus précisément d’abord comme un maître de grammaire, ensuite comme un maître de raisonnement, en attendant qu’il le soit, au xiii r siècle, comme un maître dans la connaissance de l’homme et du monde.

Boèce apportait encore au Moyen Age, outre.un exemple d’application des catégories rationnelle dogmes chrétiens, qui aura une grande influence, une elassitieal ion des sciences inspirée d’Aristide, qui distinguai ! , dans la philosophie, 1res speculativst parles. naturalis, mathematica et theologica, cf. De Triaitale, c. h. P. /… t. lxiv, col. 1250 ; comp. In Porphyr., t. i.xiii. col. Il B. Cette division sera adoptée d’une façon courante au xir siècle : on la retrouve chez Gerbert, Hugues de Saint-Victor, Raoul Ardent. Clarembald d’Arras. etc. Mais il n’y a là qu’une division de la philosophie, et la - théologie > n’y est nullement considérée comme une élaboration systématique du révèle, mais comme une partie de la philosophie

jouissant d’un degré défini d’abstraction et de spiritualité. Clarembald d’Arras, éd. Jansen, p. 2’. » * sq., identifie formellement theologizare et philosophari de Deo, sans d’ailleurs qu’on doive introduire dans un tel texte notre actuelle distinction entre philosophie et théologie.

i*

J. Mariétan, Problème de In classification des sciences d’Aristote à saint Thomas, Saint-Maurice, 1901, p. (13 sq. (Uoèce), 133 sq. (Hugues de Saint-Victor) ; L. Baur, Dominicus Gundissalinus, De divisione philosophiee, Munster, 1903, p. 201, 351, etc. ; Grabmann, Gesch. derschol. Méthode, t. i, p. 252 sq. (Raoul Ardent, qu’à tort Grabmann croyait alors antérieur à Hugues), t. ii, p. 30 sq., 12 sq., etc. ; Dec Kommentare des Clarenbaldus von Arras : « Boethius De Trinitate, hrsg. von W..Jansen, Brestau, 1926, p. 8* et 9*, 27*30*. 36*, p. 36-37 et 42.

3. Les trois « entrées » d’Aristote. — S’il est vrai qu’une théologie se caractérise, du moins pour sa partie spéculative, par l’usage qu’elle fait de la raison dans la construction du donné chrétien, il faut bien avouer que le travail théologique devait se trouver modifié dans son statut même par l’application qui lui serait faite tour à tour de ferments philosophiques différents. Dans la mesure où Aristote fut par excellence le ferment philosophique de la théologie médiévale, on peut dire que les différents aspects que l’on connut successivement de lui déterminèrent pour cette théologie différents régimes méthodologiques. Or, l’œuvre d’Aristote fut transmise en trois étapes à la pensée théologique de l’Occident. C’est ce qu’on peut appeler les trois « entrées » d’Aristote.

La première entrée est celle de la Logica vêtus qui apporte, dans les Catégories, une analyse et une clas- ; sification des notions et, dans le Périherménéias, une analyse des propositions. C’étaient donc surtout des j instruments rationnels d’analyse textuelle des énon-i ces, dont le Haut Moyen Age disposait ainsi. Aussi conçoit-on que, orienté par ailleurs vers la Bible et les écrits des Pères, il ait conçu la théologie, surtout I comme une connaissance de la Bible fondée sur la grammaire. L’exemple de saint Augustin l’engageait en ce sens et, si ce docteur avait fait place à une con-j naissance « scientifique » de la nature des choses, cette partie de son programme, mal observée par lui-même, j ne devait être remplie qu’après la troisième entrée d’Aristote, dans l’effort d’Albert le Grand et de saint ; Thomas. L’étude théologique, jusqu’à saint Anselme, reste en gros sous le régime de la grammaire.

La deuxième « entrée » d’Aristote apporte, au xiie siècle, les trois autres livres de VOrganon : les I eTB et II ee Analytigues, c’est-à-dire une étude scientifique du syllogisme et des différentes espèces de démonstration, les Topigues et les Problèmes sophistiques, c’est-à-dire une étude scientifique du raisonnement probable et de ses différents « lieux ». Au total, une théorie du savoir et de la démonstration. À quoi répondra, avec la naissance des écoles urbaines, une théologie qui se formulera en « problèmes », en « questions », par une application de la raison qui discourt, d’abord au texte, puis aux problèmes spéculatifs eux-mêmes, indépendamment du texte. C’est ce qu’on pourrait appeler une théologie sous le régime de la dialectique, en entendant ce mot au sens général de traitement par le raisonnement logique. Ceci dit sans méconnaître le caractère encore profondément traditionnel de la théologie au xiie siècle et sa continuité avec les procédés hérités de l’époque patristique et des écoles du haut Moyen Age.

La troisième « entrée » d’Aristote, au début du xme siècle, apporte à la science sacrée un ferment philosophique qui n’est plus purement formel, mais qui concerne l’ordre même des objets et le contenu de la pensée : Aristote s’introduit dans la pensée chré tienne non plus comme un maître de raisonnement, mais comme un maître en la connaissance de l’homme et du monde ; il apporte une métaphysique, une psychologie, une éthique. La théologie se constitue alors, du moins avec Albert le Grand et saint Thomas, sous le régime de la philosophie. Nous verrons quels problèmes un semblable apport ne pouvait manquer de poser. Du jour où Aristote apportait une philosophie de l’homme, des natures et de la réalité, ne mettait-il pas en péril la souveraineté exclusive du révélé dans la teneur même de la pensée théologique’? La crainte qu’il en fût ainsi inspira, comme nous le verrons, un mouvement de réaction qui était en même temps un mouvement de fidélité à saint Augustin et aux Pères.

IV. D’Alcuin au xiie siècle. — 1° Alcuin. La théologie sous le régime de la grammaire. — Le travail théologique dans le haut Moyen Age est principalement dépendant de la résurrection des écoles sous l’inspiration de Charlemagne et la direction d’Alcuin. Cette réforme, qui stabilise dans la Chrétienté occidentale l’institution d’un enseignement des sept arts répartis en trivium et quadrivium en vue de l’étude de la sacra pagina, s’inspire explicitement de saint Augustin, de Cassiodore, et subsidiairement d’Isidore : Augustin, De ordine, t. II, c. xvi, P. L.. t. xxxii, col. 1015 ; Cassiodore, Institutiones, P. L., t. lxx, col. 1105-1250 et De arlibus ac disciplinis, t. lxix, col. 1149-1220 ; Isidore, Etymoiogiæ, 1. Mil, P. L., t. lxxxii, col. 73-184. Par ces hommes d’Église, c’est l’héritage de la culture gréco-romaine qui est transmis aux chrétientés nées parmi les peuples barbares. Les arts libéraux comportent un premier groupement plutôt littéraire, grammaire, dialectique et rhétorique, le trivium, et un second groupement plutôt « scientifique », arithmétique, géométrie, musique et astronomie, le quadrivium. Ces arts sont étudiés pour eux-mêmes dans les écoles carolingiennes et il n’est nullement prescrit qu’ils se terminent par l’étude de la théologie ; mais on tient que, pour cette étude, ils ont une valeur propédeutique. Car l’Écriture contient toute sagesse et toute vérité, mais elle constitue aussi un livre obscur, pour l’intelligence duquel il y a lieu d’utiliser le service des sciences humaines. C’est la tradition héritée de saint Augustin. Cf. Alcuin, De grammatica, P. L., t. ci, col. 853 sq. ; cf. col. 952, 959. Même enseignement sur la suffisance ou la perfection de l’Écriture chez Raban Maur, De cleric. inst., t. III, c. ii, P. L.. t. cvii, col. 379 ; sur la valeur pédagogique et auxiliaire des arts libéraux chez Bède, De schem. et tropis, P. L., t. xc, col. 175 ; chez Raban Maur, op. cit., t. III, c. xviii sq., col. 395 sq. ; chez Scot Érigène, s’inspirant de Denys, Expos, super Hier, csel., t. cxxii, P. L., col. 139.

Alcuin parle en général des sept arts libéraux ; il a, dans son De fide S. Trinilalis, revendiqué, P. L., t. ci, col. 12, et pratiqué l’usage de la dialectique dans le traitement des mystères ; mieux, il a lui-même écrit un De dialectica, P. L., t. ci, col. 951 sq., où il montre un sentiment exact du rôle de cet art. La dialectique, c’est le raisonnement qui conclut avec nécessité. Cependant, la pensée théologique de l’époque carolingienne est indiscutablement caractérisée par une application au donné chrétien non tant de la dialectique que de la grammaire, non tant du raisonnement, qui prouve, que de la science des mots et des énoncés, qui explique. L’emploi de la dialectique, entre l’époque d’Alcuin et celle d’Abélard, restera en somme sporadique et occasionnel. Saint Augustin avait déjà noté l’utilité, pour une intelligence plus précise de l’Écriture, de la connaissance des schemata et des tropi : De doctr. christ., I. III. c. xxix, n. 40, P. L.. t. xxxiv, col. 80 ; De Trin.. t. XV, c. ix. t. xlii, col. 1008. La réforme carolingienne faisait, de cette cou

viction, une institution : Cum autan in sacris paginis schemata, Iropi et cætera his similia inserla inveniantur, nulli dubium est quod ea unusquisqiie legens tanto citius spiritualiter intelligit, quanta prias in litterarum magisterio plenius instructus fuerit. Capitulaire « De litteris colendis, dans Mon. Gcrm. hist., Leges, Capilularia, t. i, p. 79. Comparer Bède, De schematis et tropis Sacra-Scripturse liber, P. L.A. xc, col. 175 ; Comm. in Pentateuchum, Px., viii, P. L., t. xci, col. 302 ; //i Samuelem prophetam allegorica expos., i, 4 et iv, 9 : col. 510 et 700 ; Raban Maur, De cler. instit., 1. III. v. xvii, P. L., t. < : vii. col. 395-396, qui a aussi un c. xx, de dialectlca, col. 397-398, où la dialectique est abondamment vantée, mais d’un point de vue plutôt défensif et apologétique.

Comme l’ont vigoureusement souligné les PP, Paré, Brunet et Tremblay dans leur Renaissance du XIIe siècle, toute œuvre de la pensée est liée à un « milieu » : milieu économique, politique, institutionnel, culturel, lequel n’est pas seulement un « cadre », mais vraiment une condition de naissance et de développement. Or, d’une part, le lieu de l’enseignement théologique ce sont alors les écoles attachées aux abbayes et aux évêchés : milieu de tradition plus que de progrès et d’initiative. Tant que l’enseignement théologique reste dispersé et sous le contrôle immédiat des évêques ou des abbés, le développement d’une science théologique proprement dite était pratiquement impossible. De plus, le personnel enseignant était composé d’hommes d’Église agissant comme tels, plutôt que de savants, fussent-ils clercs, agissant comme savants. La science théologique, pour se développer, supposera un certain processus de détachement des écoles vis-à vis de la hiérarchie, de centralisation urbaine et de constitution d’un personnel de savants. Au total, la théologie de l’époque carolingienne est d’allure traditionaliste ; les ouvres y ont un caractère de reproduction et <le compilation : c’est l’époque des < : uten ; v, des Sententise, des Flores, des Excerpta, etc. La théologie consiste en une étude de l’Écriture à tendance morale et allégorisante, pour laquelle on emploie, d’une part, des extraits des Pères, d’autre part, les ressources des arts libéraux, mais particulièrement de la grammaire.

On s’accorde à dire que le seul penseur vraiment original par le contenu de sa doctrine y fut Jean Scot ène (t vers 870) ; mais, au point de vue méthodologique, il n’apporte rien de bien particulier. Il assigne comme tâche a la philosophie, confondue avec la religion, d’interpréter les symboles sous lesquels, dans l’Écriture principalement, dans la nature ensuite, nous est li rée une révélation sur Dieu : concept ion où se conjuguent une tradition augustinienne et l’influence de Denys et de Maxime le Confesseur, en une vue de I heu et du monde uni liée par la notion d’exernplarisme ou de symbolisme. Voir ici, t. v, col. 422 sq., ’M, Gilson, Études de philos, médiévale, Strasbourg, 1921, p. lit : M. Cappuyns, Jean Scot Érigène. Sa ne. son œuvre, ses écrits, Louvain, 1933.

2° Dialecticiens et antidialecticiens. La il

tique, revendiquée mais peu mise en œuvre a la renais lance carolingienne, gagne lentement du terrain. Le r sic. |, . ; hi poinl de vue de sa nolion de la théoli est sous le signe de la lutte entre dialecticiens et -mil dialci lii h lis. Il s.- produit alors une poussée « lu besoin de raisonner. Les partisans de la dialectique Veulent appliquer telle quelle aux choses chréliennes une nia nicre abstraite ci raide île raisonner ; ils arrivent a des i ne application intempérante de la

méthode dialectique au dogme cm haristlque aboutit, de i om, . a une pensée que l’on a pu croire hén itrice de la transsubstantiation,

met l’évidence par dessus tout, par dessus

l’autorité, même en matière de théologie : Ratione agere in perceptione veritalis incomparabiliter superius esse, quia in evidenti res est. …nullus negaverit ; aussi veut-il per omnia ad dialecticam confugere, quia confugere ad eam ad rationem est confugere. De sacra cœna, p. 100 et 101. Dès lors, le débat qui s’élève est celui que rencontre fatalement toute théologie qui veut vraiment être une théologie, et non une pure transcription de la foi. débat que nous verrons désormais se développer : les choses chrétiennes peuvent-elles être comprises par une application des catégories de la raison ? Si non, quel statut donnera-t-on à cette raison, qui est une création de Dieu et qui est l’honneur de l’homme, puisque, comme le dit encore Bérenger, secundum rationem sic factus ad imaginem Dci, ibid., p. 101 ; si oui, n’est-ce pas faire des réalités chrétiennes un cas île lois plus générales que la raison peut atteindre, et alors, où est le mystère, où est le caractère suprême, unique et souverain des réalités chrétiennes ?

Tel est bien, alors, l’enjeu de la bataille entre dialecticiens et antidialecticiens. Parmi ces derniers, les uns prennent une. attitude extrême. Ils soulignent très fortement, avec saint Pierre. Damien, De divina omnipotentia, c. v, P. L., t. cxlv, col. 603, que la raison n’a pas de jus magisterii en christianisme et qu’elle doit s’y comporter, selon sa condition, en pure servante. Ils considèrent comme sacrilège tout empiétement de la dialectique sur le texte sacré. Ils affirment très haut la transcendance, le caractère de vérité unique de la foi chrétienne, qui nous a été donnée non pour que nous en fassions une science, mais pour que nous en vivions, dans la pénitence et l’oubli du monde. (.’est la solution ascético-monastique que nous retrouverons bientôt chez un saint Bernard et plus tard chez Pascal. C’est une altitude imprescriptiblemenl chrétienne. Mais une autre attitude est encore possible : c’est celle, que l’Église favorisera plus tard si fort, d’un juste milieu, qui lient toutes les données, hiérarchisées. C’est celle que prit un homme connue Lan franc, l’adversaire de Bérenger et le fondateur de cette abbaye du Bec où fleurira bientôt la haute pensée de saiul Anselme. I.anl’rauc est un « Converti », en ce sens qu’ayant été naguère adonné à la dialectique, il est maintenant tout livré à l’étude des Écritures. Mais c’est un homme modéré, il veut y regarder de près et, comme saint Paul, (oui en rejetant l’abus de la dialectique, en conserver l’usage légitime. In I Cor., 1. P. 7… t. CL, col. 157 ; In Col.. 2. P. L., col. 323. L’usage de la dialectique serait pervers s’il aboutissait à énerver ou à dominer le donné chrétien, à vider le mystère de la foi. Cf. De corp. et sang, Domini, c. vii, P. I… col. 117 ; c. xvii, col. 427.

3° Saint Anselme. C’est une position semblable que prend, dansce débat, saint Anselme de Cantorbéry. Avec Anselme, nous entrons dans une conception de la théologie d’une lies haute qualité. Anselme réuni) le COUranl monastique auguslinicu, favorable à la suffisance de la foi. et le courant de pensée spéculalix e, avili chez les dialecticiens extrêmes. Nullus christianus débet dispulare quomodo quod catholica Ecclesia corde crédit et ore con/iletur verum sil. sed simpliciler eamdem (idem indubitanter tenendo, amando et secundum illam vivendo humiliter quantum potest quærere rationem quomodo sit. si potest intelligere, Dru gratias agat ; si non potest, non imitai cornua ail venlilandum. sed submiltat caput ad venerandum. De jute Trinit. et de tncarn. Verbt, c ii, P. L.. I. ci iii, col. 263..Von lento. Domine, penetrare altitudinem tuam… Sed desidero aliquatenus intelligere reniaient tuam, quam crédit et amat car meiim. Neque entm quæro intelligere, ut credam ; sed credo, ni intelligam… Ergo Domine qui dus fldei miel lectum, ’in mihi ni. quantum SCil crin dire, intelligam quia es sicui credimus, et hoc et quod credimus ; ainsi

débute le Proslogion, c. i et ii, col. 227. Il y a, en effet, un intellectus fidei, une ratio fidci, disons une intelligibilité de la foi, dont celui qui croit et qui aime désire se délecter. Anselme s’explique sur cet intellectus, ce savoir ou cette connaissance que désire la foi qui aime : il est intermédiaire inter fidem et speciem, entre la foi et la vue. Ibid., col. 261. Il suppose la foi, plus précisément la foi aimante, et procède d’elle ; il est le fruit d’un effort de pénétration où l’esprit utilise toutes les ressources dont il dispose : analogies du monde créé, principes métaphysiques et dialectique ; il a pour terme une perception joyeuse qui est, à l’état inchoatif et plus ou moins précaire, du genre de la joie béatifique ; cf. les c. xxiv à xxv’i du Proslogion, P. L., t. clviii, col. 239-242. Dans ses œuvres théologiques, Anselme se montre vraiment théologien ou, si l’on veut, métaphysicien du dogme. Mais c’est un métaphysicien qui n’a pas lu la Métaphysique d’Aristote et, s’il est tel, ce n’est pas par l’application d’une philosophie au donné chrétien ; c’est plutôt sous la pression de ce que la foi elle-même, directement et sans médiation proprement rationnelle, contient d’intelligibilité.

Considérée ainsi, cette méthode théologique ne pose pas de difficulté et on a pu la considérer comme donnant sa charte à la spéculation scolastique (J.-B. Becker), tout comme on a appelé Anselme lui-même « le père de la scolastique ». Mais Anselme va plus loin. Il fait de V intelligere basé sur le credere certains usages plus précis : nous voulons parler du fameux argument du Proslogion en faveur de l’existence de Dieu et des rationes necessariæ par lesquelles Anselme pense prouver la vérité des mystères de l’incarnation et de la Trinité. Les interprètes ont généralement commenté et glosé l’usage qu’Anselme en a fait de manière à fournir un apaisement à toute accusation de rationalisme ; le problème que pose la méthode d’Anselme a été abordé plus franchement par le biais de la preuve du Proslogion, c. n et m. K. Barth y voit une démarche purement théologique, c’est-à-dire ne s’appliquant pas à prouver que Dieu existe, mais, tenant par la foi le fait de cette existence, à comprendre et à montrer pourquoi et comment il en est ainsi : non une preuve, mais une reconnaissance de l’existence de Dieu.

Nous serions inclinés à penser, avec M. Gilson, qu’on ne rend pas assez compte ainsi des caractères spécifiques des démonstrations en question, et d’abord du fait qu’Anselme les présente expressément comme des démonstrations : Ad astruendum quia Deus vert est. Le fait que ces démonstrations partent de la foi n’empêche pas Anselme de les considérer comme des démonstrations dont la valeur ne repose pas sur la foi, mais sur la ratio, qui resteraient même si leur point de départ était soustrait et qui s’imposent à l’insipiens, c’est-à-dire à l’incroyant, autant qu’au fidèle. En réalité nous avons là une forme spéciale de preuve des objets de la foi. Une preuve qui est l’œuvre de la « raison » et qui, si elle ne se construit qu’au sujet d’un mystère dont un énoncé véritable a été fourni par la foi, vaut cependant par le jeu même et comme par la force de l’adéquation de l’esprit à un objet vrai. Il reste que saint Anselme se croit fondé à affirmer certains mystères au nom de « raisons nécessaires » dont la nécessité tient à ce que l’affirmation en question n’est finalement qu’une imitation et comme un reflet, dans la connaissance, de la vérité réelle et réellement existante du mystère considéré.

Sur le débat pour ou contre la dialectique. — M. von Bock, Die sieben freien Kiinste irn eljten Jalirhundert, Donauwôrth, 1847 ; Prantl, Geschichte der Logik, t. II, p. 73 sq. ; J.-A. Endres, Die Dialcktiker und ihre Gegner im 11. Jalirhundert, dans Philos. Jahrbuch, t. xix, 1906, p. 20-33 ; Th. Heitz, Essai histor. sur les rapports de la philosophie et de la foi de

Bérenger de’Jours à saint Thomas d’Aquin, Paris, 1909, p. 3 sq. ; J.de GheMinck, Dialectique et dogme aux X’-.XI ! siècles, dans Festgabe CI. Bæumker, dans Beitrage, Suppl. Bd., i. Munster, 1913, p. 79-99 ; V. Sclinlz, Der Einfluss der Gedanken Augustins uber dus Verhâltnis von ratio und fides im 11. Jalirhundert, dans Zeilsch. I. Kirchengesch., t. xxxv, 1914, p. 9-39 ;.J.-A. Endres, Forschungen zur Geschichte der frtihmittelalterlichen Philosophie, dans Beitrage, t. xvii, fasc. 2-3, Munster, 1915, c. m-, p. 20-129.

Sur les antidialecticiens, — J.-A. Endres, Leuijrmik’s Verhâltnis zur Dialektik, dans Der Katholik, 3e série, t. xxv, 1902, p. 215-231 ; I’etrus Damiani unit die tueltliche Wissenscha /t, dans Beitrage, t. viii, fasc. 3, Munster, 1910 ; 6. Gilson, La servante de la théologie, dans Études de philosophie médiévale, Strasbourg, 1921, p. 30-50.

Sur saint Anselme. — Ici, art. Anselme, t. i, col. 13431344 et art. Dogmatique, t. iv, col. 1556 ; J.-B. Becker, Der Satz des hl. Anselm : Credo ut intelliijam, dans Philos. Jahrbuch, t. xix, 1906, p. 115-127, 312-326 ; M. Grabmann, Gcsch.der scholast. Méthode, l. i, p. 258-334 (riche bibliographie ) ; E. Beurlier, Les rapports de la raison et de la foi dans la philosophie de saint Anselme, et J. Bainvel, La théologie de saint Anselme, esprit, méthode et procédés, points de doctrine, dans le n" de la Revue de philosophie consacré en 1909 à saint Anselme, respectivement p. 692-723 et 724-746 ; É. Gilson, Études de philosophie médiévale, Strasbourg, 1921, p. 15 sq. ; B. Guardini, Anselm von Cantorbery und das Wesen der Théologie, dans Au) dem W’ege, Mayence, 1923 ; W. Betzendôrfer, Glauben und Wissen bei Anselm von Canterbury, dans Zeitsch. I. Kirchengesch., t. xlviii, 1929, p. 354-370 ; K. Barth, Filles quærens intellectum. Anselms Beiveis der Existenz Gottes im Zusammenhang seines theologischen Programms, Munich, 1931 ; A. -M. Jacquin, Les « rationes necessarize » de saint Anselme, dans Mélanges Maiidonnet, t. ii, Bibl. thomiste, t. XIV, Paris, 1930, p. 6778 ; A. Stolz, Zur Théologie Anselms im Proslogion, dans Catholica, t. ii, 1933, p. 1-24 ; « Yere esse » im Proslogion des hl. Anselm, dans Scholastik, t. ix, 1934, p. 400-409 ; É. Gilson, Sens et nature de l’argument de saint Anselme, dans Archives d’hist. doctr. et litlér. du Moyen Age, t. ix, 1934, p. 5-51 ; A. Stolz, Einleitung, dans Anselm von Canterburg, Munich, 1938, p. 30-42. — Après la rédaction d* cette partie du présent article, sont parus : G. Sôhngen, Die Einheit der Théologie in Anselms Proslogion, Braunsberg, 1938 ; A. Kolping, Anselms Proslogion-Beweis der Existenx Gottes. Im Zusammenhang seines spekulativen Programms Fides quxrens intellectum, Bonn, 1939.

V. La Benaissance du xiie siècle. La théologik

    1. SOUS LE RÉGIME DE LA DIALECTIQUE##


SOUS LE RÉGIME DE LA DIALECTIQUE. 1° L’École de

Laon et Abélard. — Les recherches récentes ont mieux mis en lumière le rôle de l’École de Laon dans le mouvement théologique. Il est bien certain que beaucoup des maîtres qui vont marquer le plus au xiie siècle étaient passés à l’école d’Anselme de Laon, lui-même élève de saint Anselme à l’abbaye du Bec. Au point de vue de la notion et de la constitution de la théologie, Anselme de Laon a une double importance. D’abord parce que, dans les Sententiæ éditées partiellement en 1919 par Fr. Bliemetzrieder, dans Beitrage, t. xviii, fasc. 2-3, un effort est fait dans le sens de la systématisation, le vocable de Se : Uentia> recouvrant dès lors moins une sorte de florilège, qu’une œuvre construite, dans le sens que reprendront, au delà des Sentences du Lombard, les Sommes. La théologie prend ainsi plus complètement possession de son objet. Par ailleurs si, dans cette œuvre systématique, Anselme ne semble pas être un véritable initiateur au point de vue méthodologique, se contentant de donner un enseignement qui est surtout une explication des textes au moyen de gloses et de commentaires, on rencontre aussi chez lui un début d’application du procédé de la quæslio, c’est-à-dire du débat dialectique. Essai timide encore, et qui ne satisfera pas Abélard. Celui-ci, venu à l’école de Laon, trouvera devant lui un homme « très fort pour ceux qui ne venaient que l’écouter », mais inexistant devant qui lui posait vraiment des questions. On connaît la scène qui décida du départ d’Abélard : celui-ci, interrogé par le maître

sur ce qu’il pensait de diinnorum leclione librorum, lui qui n’avait étudié que in physicis (ou in philosophicis), et répondant qu’une telle étude pouvait bien être des plus salutaires, mais qu’il ne voyait pas comment il y avait besoin d’un commentaire et d’un enseignement pour comprendre les écrits ou les gloses des Pères. Et Abélard, mis en demeure d’expliquer les textes sacrés sans le secours des commentaires et des maîtres, commençant à I.aon, par les moyens de son propre ingenium, une explication qu’il devait continuer à Paris. Abélard, Historia calamilatum ou Epist., i, 3, P. L., t. clxxviii, col. 123-125. Telle fut la manière dont Abélard aborda la théologie. Bien qu’il n’eût fait, dès lors, que gloser l’Écriture, il l’entreprenait avec les ressources de son propre esprit. Quelque six ans plus tard, à Saint -Denys, il pousse plus loin l’innovation et l’emploi de la raison naturelle. « Il arriva alors, raconte-t-il, que je m’appliquai à disserter sur les fondements de notre foi à l’aide de comparaisons fournies par la raison humaine et que je composai, sur l’unité et la trinité divines un traité de théologie à l’usage de mes disciples. Ceux-ci, en effet, réclamaient des raisons humaines et philosophiques et il leur fallait des explications intelligibles plus que des affirmations. Ils disaient qu’il est inutile de parler si l’on ne donne pas l’intelligence de ses propos, qu’on ne peut croire ce que l’on n’a pas d’abord compris et qu’il est dérisoire d’enseigner aux autres ce dont ni soi ni ceux qu’on enseigne n’ont l’intelligence. » Hist. calant., 9, col. 140-1 13.

1. La théologie chez Abélard. Ce n’est pas d’hier qu’on a commencé à mieux apprécier le - rationalisme » d’Abélard, mais on s’est fait une idée beaucoup plus exaite de sa position depuis qu’on a dans les mains, pour l’interpréter, les textes logiques récemment édités par B. Geyer, Peter Abælards philosophische Schriften, dans lUilrâge, t. xxi, Munster, 1919-1933. Abélard est plus dialecticien et logicien que philosophe. Aussi est-ce dans sa position de logicien que nous comprendrons sa position de théologien, et dans son < nominalisme » la vraie nature de son « rationalisme ».

Nous avons VU Abélard requis par ses étudiants de ne pas énoncer des paroles que n’accompagnerait pas une intelligenlia : l’œuvre théologique est précisément d’aboutir à cette intelligence. Mais de quoi s’agit-il ? De pénétrer et de démontrer les mystères par la seule raison, une raison antérieure à la foi et indépendante d’elle.’NuUement. À quelque état de son expression que l’on considère la pensée d’Abélard, on ne rencontre pas chez lui l’affirmation que le travail théologique se poursuivrait par les seules tories de la raison et sans prendre appui sur la Révélation. Voir tout le prologue de VIntroductto et Cottiaux, art. rites infra, p. 272 sq. Ce n’est pas pour se donner les objets de la foi que la raison Intervient dans le travail théologique, c’est pour constituer une explication critique de leurs énoncés. Abélard est moins un philosophe s’interessant au fond des choses et. par exemple, ; i la réalité’ou à

l’irréalité des universaux, qu’un grammairien logicien

s’interessant a une étude critique des propositions et de leurs rapports. Il dit lui même que la VOCUm pro prietat et recta imposilio est a considérer magii quam rrrum essentia. Dialectica, pars III. éd. Cousin, p. 349. Il faut Interprète ! sa théologie en fonction de sa logique. Dès lors, quand Abélard donne comme fonction a la théologie d’assigner les causes des noms di ins.. / rwi. di’unitale <-t de Irinitate divlna, éd. Stttlzle, 1891, p. I. Theologia, I. I, c. ii, P. /… t. clxxviii,

COl. 1126, il faut bien VOU qu’il ne l’agil nullement d’apporter la raison objective des mystères, mais seii

lement de fournir une Justification logique des énom es

de la foi, de montrer que les propositions dogmatiques

sont conformes aux lois de la prédicabillté.

Abélard, à vrai dire, ne se contente pas de poursuivre un commentaire critico-logique des énoncés doctrinaux ; il apporte aussi des raisons en faveur des objets mêmes de la foi, du mystère trinitaire en particulier. Quelle était, à ses yeux, la valeur de ces raisons ? Celle d’une vraisemblance, aliquid verisimile alque humanæ rationi vicinum, nec sacrée fidei contrarium : soit qu’il vise un usage apologétique de la raison, adnersus eos qui humanis rationibus fidem se impuynare yloriantur ; soit qu’il applique la raison à une théologie construclive en s’efforçant de définir, par des raisons de vraisemblance et de convenance, ce qui peut faire question à l’esprit. Quelle qu’ait été la prétention d’Abélard à une démonstration de la Trinité, voilà où il arrête consciemment sa pensée sur le travail théologique.

2. Le SIC ET NON.

Dès l’époque carolingienne on avait éprouvé le besoin d’accorder des textes faisant autorité et qui, sur une même question, se présentaient comme discordants. L’élaboration des règles pour ce travail d’interprétation et d’accord a été, au cours du xie siècle, l’œuvre des canonistes. On n’a plus le traité où Hincmar de Reims a fixé ses critères d’interprétation, mais la substance semble bien en être passée chez Rernold de Constance († 1110), qui, dans ses écrits théologico-canoniques, P. L., t. cxlviii, donne des règles précises. Chez lui et chez les canonistes qui le suivent, Yves de Chartres en particulier, c’est toute une jurisprudence d’interprétation des « autorités. qui se formule. Abélard, dans son Sic et non. introduit le problème de l’accord des autorités au cœur de la méthode théologique et lui donne une forme technique d’une rigueur nouvelle. Le point de vue d’un développement historique reste, en somme, étranger aux règles d’interprétation qu’il propose, mais il a le sentiment du sens authentique d’un texte et ses critères, dans l’ensemble, restent orientés vers la détermination du sens génuine. Par quoi il prépare la méthode d’interprétation et de réduction des oppositions textuelles qui sera employée dans la scolastique.

Chez Abélard, non seulement le problème de l’accord des autorités opposées devient un problème proprement théologique, mais il devient une pièce t (clinique de la méthode ; le SIC et non est érigé en système, s’intégrant au procédé dialectique que nous allons voir dès lors prendre corps dans la quæstio et devenir l’armature du travail théologique de la scolastique.

Abélard occupe une place considérable dans le développement de la théologie et de sa méthode. II a. dans les trois livres de Y Inlroduclio. dans la Theologia iliristiana et dans [’Epi tome, donné l’exemple d’une élaboration théologique qui n’est plus le commentaire d’un texte, mais une construction systématiquement distribuée. Avec lui, on est passé de la Sacra pagina à la Theologia. La théologie s’achemine vers sa constl tution véritablement scientifique. De fait, un écrit comme le I. III de l’Inlroduclio. malheureusement peu développé, s’approche de la manière qui sera plus tard celle de saint Thomas : la méthode de [aquæstio, fondée dans les Analytiques d’Aristote. Celui-ci y est appelé dialeclicorum princeps, P. /… t. clxxviii, col. 1112 H. De fait, Abélard commence à Introduire dans ses commentaires textuels eux-mêmes, des quesstiones : c’est une initiative tout a fait notable, et qui fera souche. Avec son SU et non. Abélard est pies île faire de la difficulté suscitée par le heurt de raisons oppn secs un procédé systématique de recherche et de pm grès.

Il faut bien voir 1 c que fut alors l’iiilluenie d’Aristote et les limites dans lesquelles elle se tint, le propos abélardicn d’une théologie qui fournil liumunas et philoëOphlca » rallone » se produisait dans le temps même

où se diffusait en Occident la seconde partie de l’Or

ganon d’Aristote : les I et II Analytiques, les Topiques et les Problèmes sophistiques. Cette difïusion s’opère entre 1120 et 1160. Les premiers écrits d’Abélard sont peu marqués par Aristote : le philosophe par excellence y est plutôt Platon. Mais, tandis que la Dialeclica d’Abélard (vers 1120 sq.) ignore encore pratiquement la seconde partie de YOrganon, Adam du Petit-Pont utilise les I Analytiques en 1132, Robert de Melun commente les Topiques vers 1140 et, dès lors, tout un courant se forme d’application de la nouvelle logique aux sciences sacrées. Or cette logica nova n’apporte plus seulement une table des prédicamentset une technique d’analyse des propositions, mais une théorie du syllogisme et de la démonstration scientifique et probable. Aristote est en voie d’entrer dans la théologie elle-même qui, précisément, devient vraiment « théologie », savoir systématisé et non plus simple commentaire ; mais il n’y entre encore que comme maître de pensée logique : il n’y entre pas encore comme maître de pensée tout court, docteur es vérités anthropologiques, psychologiques, morales et métaphysiques. Ce sera l’œuvre des premières années du xiiie siècle et, pour ce qui est de la notion de théologie, l’objet d’une nouvelle étape, comme aussi l’occasion d’une crise.

Saint Bernard.

La réaction ne manqua pas de

se produire. On sait ce que fut la lutte passionnée de saint Bernard contre Abélard. En saint Bernard, c’est la vieille conception ascético-monastique qui s’exprime : celle selon laquelle le moine n’a qu’à garder la tradition commune et la méditer, pour en vivre, en faisant pénitence. « Les sept arts du moine, c’est son psautier… », dit le Bx Guillaume d’Hirschau, Prsef. in Astronomica, éd. Pcz, Thés, anecd., t. vi, p. 261. Saint Bernard lui aussi n’admet pas qu’on use des arts et de la philosophie sinon comme d’un moyen pour l’édification de soi-même et des autres, In Cant. Cant., serm. xxxvi, n. 2, P. L., t. clxxxiii, col. 967 : il ne veut de science que celle des saints, et d’attitude devant Dieu que celle de l’admiration, non celle de la recherche curieuse, quasi admirons, non quasi scrutons, ibid., serm. lxii, n. 4 et 5, col. 1077, et comp. De conversione ad clericos sermo, t. clxxxii, col. 834-856 ; Epist., clxxxviii, ibid., col. 353.

Cette réaction se prolongera et, tout au cours du xiie siècle, nous entendrons une protestation formelle contre l’introduction de la dialectique et de la logique, non sans doute dans la pédagogie des clercs, mais dans la trame du travail théologique. Cf., entre autres, Gauthier de Saint-Victor, Contra quatuor labyrinthos Francise, P. L., t. cxcix, col. 1129-1172 ; Manegold de Lautenbach, Opusc. contra Wolfelmum, P. L., t. clv, col. 149-176 ; Etienne de Tournai, abbé de Sainte-Geneviève, Epist. ad Alexandrum III, P. L., t. ccxi, col. 517, etc.

Avant de quitter saint Bernard, notons ici que ce refus d’un traitement scientifique du donné chrétien va de pair, chez lui, avec une manière d’interpréter le texte sacré qui, pour être spirituelle et mystique, n’en est pas moins discutable. Puisqu’il s’agit avant tout d’édification, on pourra donner le pas, dans l’interprétation et l’usage de l’Écriture, au sens spirituel ou accommodé à la vie spirituelle de l’âme. Ainsi voyons-nous saint Bernard non seulement mettre en pratique cette préférence, de laquelle procèdent tant de ses considérations sur la vierge Marie, mais en faire la théorie. Cf. In vigilia Nalivitatis, P. L., t. clxxxiii, col. 94. On sait quelle exégèse il a donnée du trop fameux passage Sunt duo gladii hic : cf. De consideratione, t. IV, c. iii, n. 7, P. L., t. clxxxii, col. 776. Avec une pareille exégèse, on pourrait trouver dans la Bible n’importe quoi. Notons dès maintenant qu’Albert le Grand et saint Thomas affirmeront nettement la non valeur scientifique, en théologie, de l’interprétation purement mystique de l’Écriture.

Les Victorins et Pierre Lombard.

L’accord

n’était-il pas possible entre le courant mystique traditionnel et le courant logique ou philosophique nouveau ? Si, et il aboutira finalement à saint Thomas qui déclarera : Oporlei rationibus inniti investigantibus veritatis radicem et jacientibus scire quomodo sit verum quod dicitur. Alioquin. si nudis auctoritatibus magisler quæstionem détermine !, certificabitur quidem auditor quod ita est, sed nihil scientise vel intelleclus acquiret, et vacuus abscedet. Quodl. iv, a. 18. Seulement, saint Thomas ne procède pas d’Abélard sans intermédiaire ni addition. Entre les deux, il fallut justement que, reprenant l’effort d’Anselme, la raison philosophique fût assumée dans la tradition spirituelle qui procède de saint Augustin : ce sera l’œuvre des Victorins et de Pierre Lombard. Comparer ce qui est dit ici, t. i, col. 51 sq., sur les relations entre l’école d’Abélard et celle de Saint-Victor.

On a dit de Pierre Lombard qu’il était « Abélard parvenu et devenu évêque ». De fait, il ne sera pas indifférent que l’effort d’Abélard qui présentait le danger de toute œuvre trop personnelle, soit assumé dans un cadre de vie monastique et mystique ferventes et dans la pensée d’un homme d’Église, d’un homme de gouvernement même, tout livré au souci d’une via média. Les grandes initiatives ne sont pleinement viables que lorsqu’elles sont reprises dans l’institution et la tradition ecclésiastiques.

Hugues de Saint-Victor comprendra combien le procédé trop uniquement dialectique d’Abélard est inadéquat à l’œuvre de la théologie. Certes, il y a lieu de connaître la grammaire, la logique et la dialectique et d’en faire usage en science sacrée ; mais il y a autre chose à pénétrer dans l’Écriture et il ne suffit pas, pour cela, de n’être que philosophe. Philosophus in aliis scripturis solam vocum novit significationem ; sed in sacra pagina excellentior valde est rerum signifteatio quam vocum. De Scripturis, c. xiv, P. L., t. clxxv, col. 20. Il ne suffit pas, pour faire œuvre de théologie, de traiter l’Écriture sainte absolument comme un autre texte et de s’y appliquer avec les seules ressources de la philosophie, comme Abélard s’est vanté de pouvoir le faire. Par ailleurs, si Hugues rend le travail théologique à son véritable milieu religieux, il sait combien lui sont nécessaires les diverses ressources du savoir humain. Il reprend avec une magnifique plénitude la tradition augustinienne sur la formation du théologien par les arts libéraux, De sacram., prol., c. v et vi, P. L., t. clxxvi, col. 205 ; De Scripturis, c. xiii-xvi, P. L., t. clxxv, col. 20-24 ; Erud. didasc, 1. III. c. iii, t. clxxvi, col. 768, et cf. ici, t. vii, col. 260-261. Mais cette philosophia des sept arts n’est plus, quant à son contenu, ce qu’elle a été du ve à la fin du xie siècle. Elle s’est enrichie de l’apport méthodologico-scientifique d’Aristote. Au lieu des sept arts, c’est à un classement rationnel de vingt et une disciplines que le Victorin aboutit, définissant ainsi un nouveau programme d’enseignement où se trouve annoncée une ample conception du savoir humain. Cf. Didasc, t. II, c. ii, et t. III, c. i, col. 752 et 765.

L’effort abélardien de constituer un corps des doctrines chrétiennes logiquement systématisé est, lui aussi, repris et il aboutit à ces œuvres classiques que sont la Summa sententiarum, le De sacramentis d’Hugues de Saint-Victor et les Sententiæ de Pierre Lombard. Le mot même de Summa, qu’Abélard avait déjà employé en définissant son Inlroductio comme aliquam sacræ eruditionis summam, reparaît ainsi pour désigner un ensemble ordonné, un corps de doctrine : non plus une lecture de la sacra pagina, mais vraiment

une œuvre de « théologie ». Ce que Hugues a réalisé ainsi dans son De sacramentis, il l’a expliqué et justifié dans son Didascation : à savoir d’ajouter à une simple lecture du texte, domaine de Vhistoria, une explication systématique qui en procède, s’y appuie, mais en soit une élaboration et une mise en ordre : Hanc quasi brevem quamdam summam omnium in unam seriem compegi ut animus aliquid certum haberet cui intentionem affingere et conflrmare valeret, ne per varia scripturarum volumina et lectionum divortia sine ordine et direetione raperetur. De sacram., prol.. P. L., t. clxxvi, col. 183. On croirait presque lire le prologue de la Somme de saint Thomas.

Nous ne nous arrêterons pas à Pierre Lombard ; les traits généraux de sa théologie et la conception qu’il s’en est faite, ont été exposés ici même en détail, art. Pierre Lombard, t.xii, col. 1978 sq. En Pierre Lombard, ce n’est pas seulement le propos abélaraien de systématiser qui passe, mais de notables morceaux du Sic et non, grâce à quoi les Sentences représenteront, pour la théologie ultérieure, une grande synthèse de théologie positive. Ses Sentences deviendront un livre de texte qui, coexistant à la Bible, donnera à l’application de la méthode dialectique sa matière la plus propre. Si cette méthode a donné tous ses fruits dans la théologie du xiiie siècle, c’est que, au delà de qutestiones de sacra pagina, elle a pu s’organiser plus librement sur la base d’un second livre de « texte » pour lequel, comme le dira Fishacre, non difjcrt légère et disputare. Par là, l’importance des Sentences de Pierre Lombard dépassera de beaucoup celle de son apport personnel a l’élaboration de la méthode théologique.

Gilbert de La l’orrée et Alain de Lille.

Le besoin

de méthode et de classement est remarquable dans tout le deuxième et le troisième tiers du xiie siècle. Le souci pédagogique pousse à constituer des ouvrages méthodiques, où soit ordonné ce qu’on trouvait ailleurs à l’état dispersé et occasionnel. C’est l’époque où, par exemple, on tentait de constituer un ensemble théologique organique et systématique avec des textes tirés de saint Anselme : cf. H. Weisweiler, ber crslr systematische Komjiendium aus den Werken Anselms von Canterbury, dans Revue bénédictine, 1938. p. 206221. Hugues de Saint-Victor avait aussi composé un Ouvrage de ce genre, ainsi qu’il nous l’apprend au prologue du De sacramentis, P. L., t. clxxvi, col. 183, et. vers 1173. Pierre le Mangeur rédigeait, à la demande de ses socii, sa fameuse llistoria Scolastica, qui applique au récit historique de l’Écriture le besoin rie grouper el (le classer ce qui se trouve épars : cf. le Prologus, P. L., t. cxcvui, col. 1053-1054. Mais, au de la des ai’commodément s pédagogiques, la théologie, en cet Ie sci onde moitié du XIIe siècle, prend véritablement conscience d’elle même, de sa place parmi les diverses branches du savoir. Depuis quelque temps. déjà, on distingue, sous le nom de facultés. les

diverses disciplines qui font l’objet de l’enseignement. Gilberl de La l’orne dira par exemple : Cum facilitâtes secundum gênera rerum de qui bus in ipsis agitur diverses sint, ni est, naturalis, malhemalica, theologica, avilis, rationalis… Corn, m libr. Boet. < ! < Trin., P. /… t. lxiv, col. 1281 A ; comp. Etienne de Tournai, Epist. ad papam, dans Chartul. unio. Paris., t. t, p. 17 (8.

M’la a tenter de déterminer avec précision la méthode et le régime propres de chacune dl

fai ultés ( disciplines), il n’y aval ! pas loin. Au i voyons-nous le même Gilberl esquisser la première Idéi d’une méthodologie. Ibid., col. 1315. Son idée est qu’en toute discipline il faut recourir a des i

Initiales qui lui sont propres et correspondent a son ol.j.t ; m jdes proprement dites en grammaire, lieux communs en rhétorique, théorème ou axiomei en mathémaUqui généraux en dialectique,

principes indémontrables en philosophie. De même en théologie. Et Gilbert de s’attacher, dans son commentaire, à dégager ces règles, qui sont plutôt de métaphysique ou de théologie au sens aristotélicien du mot.

L’idée de Gilbert ne restera pas sans écho. Jean de Salisbury la reprendra. Cf. Polycraticus, 1. VU, c. vii, éd. Webb, t. ii, p. 115 sq. Mais c’est surtout Alain de Lille († 1202), qui lui donnera sa réalisation la plus achevée. C’est l’objet de ses Regulw de sacra theologia, où il déclare, dans le prologue : Supercœlestis [vero] scienlia, id est theologia, suis non fraudatur (regulis) ; habet enim régulas digniores, sui obscuritate et sublilitate cœteris prééminentes ; et cum cœterarum regularum lola nécessitas nutel, quia in consuetudine sola est consistais pênes consuelum naturse decursum. nécessitas theologicarum maximarum absoluta est et irrejragabilis, quia de his /idem faciunt quæ actu vel natura mutari non possunt. Régula ?, prol., P. L., t. ccx, col. 621 sq. Ce texte marque bien la considérable nouveauté de l’idée : assimiler la théologie à une « science » de même structure que les autres sciences humaines. « Je n’ai fait, avait déjà dit Gilbert de La Porrée, que ce qui se fait dans toutes les autres sciences… » Com. in libr. Quomodo subst., P. L., t. lxiv, col. 1316 C. Le texte d’Alain de Lille marque de plus la différence de certitude et de sources qui distingue la théologie des autres sciences. Mais il faut avouer que, sur ce point, son effort, comme celui de Gilbert, demeure bien imparfait. Les régula-qu’il explique dans son livre sont plutôt philosophiques et le 1’. Chenu a pu remarquer, à propos de Gilbert : « Les caractères spécifiques de la régula en théologie ne se dégagent pas de la commune fonction des axiomes ; et sous cette notion vague se mêlent des observations généralisées, des principes premiers, des thèses particulières, des opinions communes, ries articles de foi, toutes choses fort disparates dans leur origine, dans leur valeur d’évidence, dans leur qualité de certitude, et donc dans leur fonction scientifique. » Revue des sciences philos, et théol., 1935, p. 265.

t’u autre ouvrage d’Alain de Lille mérite d’être signalé ici, ses Dislinetiones dictionum theologicalium, 1’. 1… t. ccx, col. 685 sq., sorte de dictionnaire des termes théologiques. L’ouvrage serait plutôt, en un sens, préabélardien ou préanselmien, se situant dans la ligne d’une explication textuelle ou verbale de la Suera pagina. Mais le goût de définir la virlus nominum et de distinguer les verborum significationes est bien caractéristique de la théologie a la tin du xtr siècle.

Le développement île lu QVJESTIO.

La méthode

des apories, pratiquée par les philosophes de l’Antiquité et surtout par Aristote, se rencontre chez nombre d’auteurs chrétiens : Origène, Eusèbe de Césaréc, l’Ambrosiaster, saint Jérôme, saint Augustin, Ce genre d’écrits n’est pas spécial aux matières scripturaircs et il en cxisle de semblables en matière morale, ascétique ou même grammaticale. En réalité, il s’agit là de répondre à des difficultés scripturaircs, exégétiques, un peu comme Abélard répondra aux Probletnata Helois’P, /… t. i i XXVIII, col. t. 77 sq., et saint Thomas rédigera ses Responsio de …v// articulis, Responsio

de M.ll articulis, etc. Nous ne sommes pas ici en pré sence d’une application sysl émat ique de la méthode

dialectique au travail théologique.

Des l’âge patristique, cependant, le commentaire

si i ipt uraire laisse souvent la plaie a de véritables questions i. Si nous feuilletons, par exemple, les

douze livres du De Genesi ad lilteram de saint Au^iis Mu. nous constatons que le commentaire proprement

dit est sans cesse Interrompu par une proliférai ion

de qUStStionet théologiques qui. a propos du texte

mais en marge de celui ci, discutent pour lui 2

même un point de doctrine. Encore faut-il noter que ces « questions » sont souvent introduites pour des motifs apologétiques ou pour satisfaire une curiosité subtile, et non par une élaboration systématique du savoir.

Ce qui fut le cas d’Augustin reste encore le cas des auteurs du xiie siècle. Chez eux aussi, des « questions » viennent interrompre les commentaires, tendant à y prendre une place de plus en plus grande. Cette histoire peut aujourd’hui se suivre aisément. La dispute méthodique ou l’usage de la quæstio sont nés dans le cadre de l’explication textuelle ou ketio. Forcément, en effet, des difficultés survenaient dans cette explication et un débat s’instituait. Sans doute, de tels débats contradictoires avaient toujours été pratiqués ; on en trouve des exemples caractérisés dans l’école d’Anselme de Laon et de Guillaume de Champeaux, Grabmann, Gesch. der schol. Méthode, t. ii, p. 151-154 ; mais c’est d’Abélard qu’il faut faire partir, semble-t-il, l’emploi méthodique (et méthodologique) de la quæstio. Non seulement, en effet, Abélard a usé du procédé dans son commentaire sur saint Paul, mais il en a fait le thème de son Sic et non ; cf. prolog., P. L., X. clxxviii, col. 1349. Une question naît d’une opposition de propositions, par quoi l’esprit est mis dans l’état de doute et, pour sortir de cet état, doit trouver un motif qui l’emporte en faveur de l’un des termes de l’alternative, se délivrer du poids de la raison contraire, ou reconnaître à chacune des deux positions sa part de vérité, en donnant son adhésion en conséquence. Dans son commentaire sur le De Trinitate de Boèce, Gilbert de La Porrée nous donne, du procédé de la quæstio, une formule plus philosophique et plus précise : Ex affirmatione et ejus contradictoria neyatione quæstio constat. P. L., t. lxiv, col. 1253 ; mais, col. 1258, il ajoute : Non omnis contradictio quæstio est. Cum enim altéra (pars) nulla prorsus habere argumenta veritatis videtur. .. aut cum neutra pars veritatis et falsitatis argumenta potest habere, tune contradictio non est quæstio. Cujus vero ulraque pars argumenta veritatis habere videtur, quæstio est. Comp. la définition du problema dialecticum chez Jean de Salisbury, Melaloyicus, t. II, c. xv, éd. Webb, p. 88 ; Clarembald d’Arras, In librum Boelii de Trinitate, éd. W. Jansen, 1926, p. 69-75, 33*-35*. Il y a quæstio lorsque deux thèses contradictoires ou contraires sont l’une et l’autre appuyées d’arguments et qu’il s’ensuit un problème que l’esprit veut tirer au clair.

Dès lors, dans l’enseignement de la théologie, deux procédés se différencient, en coexistant d’abord, le commentaire et la dispute ou quæstio : In tribus consista exercilium sacræ Scripturæ, dira Pierre le Chantre vers la fin du siècle, cirea lectionem, disputationem et prœdicationem. Verbum abbr., c. i, P. L., t. cev, col. 25, où nous trouvons énumérés les trois exercices propres au maître. Simon de Tournai, qui enseigne vers 1165, sera, semble-t-il, un des premiers à faire de la dispute un exercice spécial, né de la lectio, sans doute, mais distinct d’elle. J. Warichez, Les Dispulationes de Simon de Tournai, p. xliv. L’école de Saint-Victor boudera bien le procédé dialectique et Hugues ne mentionnera pas, ou à peine, voir par exemple t. I, c.xii, P. L., t. clxxvi, col. 749, la disputatio dans son Didascation ; un Guillaume de Saint-Thierry tiendra à supprimer, dans son commentaire sur l’Épître aux Romains, les quæstionum molestiæ, P. L., t. cxxxx, col. 547. Mais, dans l’ensemble, la quæstio gagnera de plus en plus. Non seulement dans l’explication de l’Écriture, mais bientôt dans celle des Sentences de Pierre Lombard. Ici comme là, les quæstiones, d’abord attachées au texte, tendent à se multiplier, puis à prendre leur indépendance, à s’organiser en un système à part, réduisant le commentaire proprement

dit à un rôle infime. On peut suivre ce progrès de la quæstio tant dans l’explication du Lombard que dans celle de la Bible.

Chez un Odon de’Soissons (ou d’Ourscamp), vers 1164, la dispute intervient encore dans le cadre de la leçon et ses Quæstiones sont probablement un recueil des quæstiones primitivement posées à l’occasion de l’explication textuelle ou lectio. Les pères de Quaracchi éditeurs des Sentences de Pierre Lombard ont relevé la liste des « questions » soulevées par le Maître dans ses commentaires scripturaires, t. i, 1916, p. xxvii-xxix. Robert de Melun a rédigé des Quæstiones de divina pagina, éditées par le P. Martin en 1932, et des Quæstiones de epistolis Pauli, éditées par le même en 1938, dont le contenu et jusqu’au titre lui-même montrent que les quæstiones ont été posées à partir d’un texte el à son occasion, au cours d’un commentaire de ce texte. Il est même assez probable que des œuvres plus systématiques n’ont été, dans leur origine, qu’une mise en ordre des questions posées dans l’enseignement de la lectio. Des Sommes comme celles de Simon de Tournai, de Pévostin, du Bamberg. Pair. 136, de Pierre de Poitiers, de Pierre le Chantre, ou même de Godefroid de Poitiers, jusqu’à quel point ne dérivent-elles pas de questions ?

Un processus semblable de détachement et de systématisation s’opérera pour les quæstiones qui interviendront dans le commentaire des Sentences du Lombard devenues, à côté de la Bible, livre de « lecture » en théologie. Chez les disciples les plus rapprochés du Maître, un Pierre de Poitiers, un Odon d’Ourscamp, les questions restent attachées au texte comme des gloses plus élaborées. Nous verrons chez Hugues de Saint-Cher, mort en 1263, le commentaire consister presque uniquement en une Exposilio textus ; chez saint Thomas, au contraire, la part de commentaire proprement dit, qui se réfugie dans la divisio et l’expositio textus, est relativement minime et le traité se compose de quæstiones logiquement distribuées et qui sont une construction scientifique originale. De même chez Kilwardby, saint Bonaventure et les grands scolastiques. Il est d’ailleurs très instructif de comparer les questions soulevées par chaque auteur : cf. infra, bibliographie, P. Philippe et F. Stegmiiller. Chez un disciple et ami de saint Thomas, Annibald de Annibaldis, il n’y a plus de divisio ni d’expositio textus, mais seulement des quæstiones ; chez d’autres, il y a un volume de commentaire par divisio et exposilio textus, et, à part, un volume de quæstiones.

Ainsi, dans le dernier tiers du xiie siècle, une évolution se produit dans l’enseignement de la théologie et dans la conception de celle-ci. Au lieu de vivre surtout de commentaire textuel, la théologie se constitue, à l’instar de tout autre savoir, dans une recherche engagée par une « question ». F.lle est entrée dans la voie qu’Abélard ouvrait et qui consistait à traiter la matière théologique par le même procédé épistémologique que tout autre objet de connaissance vraiment scientifique.

L’opposition ne manqua d’ailleurs pas. À la fin du xiie siècle, Etienne de Tournai, abbé de Sainte-Geneviève, dénonce le péril en des termes véhéments : Disputatur publiée contra sacras constitutiones de incomprehensibili deitate… Individua Trinitas et in triviis secatur et discrepitur… Epist. ad papam, dans Chartul. univ. Paris., t. i, p. 47-48. Tel auteur, qui se rattache à la ligne de Saint-Victor et que cite Landgraf, dans Scholastik, 1928, p. 36, demande qu’on s’en tienne aux auctoritates ou à ce qu’il y a de plus proche d’elles. Plus tard, nous entendrons Robert Grossetête et Roger Bacon protester contre le fait que la Bible, qui est le texte de la faculté de théologie, est supplantée par le commentaire du livre des Sentences, qui 373

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. L’AGE D’OR DE LA SCOLASTIQUE

n’est qu’une Summa magislralis. Robert Grossetête, Epistulæ, éd. Luard, p. 346-347 ; Roger Bacon, Opus minus, éd. Brewer, p. 328 sq., texte amélioré par A. -G. LiUle dans Arch. francise, hist., 1926, p. 808 sq. Mais le mouvement est donné. Le triomphe de la quæstio sera la Somme de saint Thomas ; on sait que celle-ci est essentiellement à base de « questions », chacune des parties que nous appelons « article » et qu’il vaudrait mieux appeler question étant construite sur le type du problema aristotélicien, et l’ensemble étant organisé, divisé et articulé d’une manière systématique et rationnelle. L’enseignement par mode de lectio. que saint Thomas pratiquera d’ailleurs, pour sa part, quotidiennement et qui nous a donné des commentaires scripturaires, est ici abandonné pour des raisons pédagogiques. Nous avons vraiment une œuvre de « théologie », une science humaine de la Parole de Dieu, ainsi que nous le verrons plus loin.

Pour l’ensemble du XII’siècle. — E. Michnud, Débuts de la méthode théologique au XII » siècle, dans le Correspondant, t. xxxiv, 1867, p. 122-152 et les ouvrages généraux de M. Grabmann, J. de Gliellinck, Paré-Brunet-Tremblay, É. Gilson.

Sur Anselme de Laon et son école. — J. de Gliellinck, The Sentences <>/ Anselm oj Laon and their place in the codi/ication o/ theology during the xiith Century, dans The Irish theological quarterly, t. vi, 1911, p. 127-4 il ; Fr. Bliemetzrieder, Autour de l’oeuvre d’Anselme de Laon ; Trente-trois pièces inédites de l’oeuvre d’Anselme île Laon ; Théologie et théologiens’te l’école épiscopule de Paris avant Pierre Lombard, respectivement dans Recherches de théol. ancienne et médiévale, 1. 1, 1929, ». 450-483, t. ii, 1930, p. 54-79, et t. iii, 1931, p. 273-291.

Sur l’entrée de la Logica nova d’Aristide. — B. Gevcr, l lie ulteii lateinischen Uebersetzungen deraristotelischen Analutik, Topik und Elenchik, dans Philos. Jahrbuch, t. xxx, 1917, p. 23-43 ; Ch.-H. Haskins, Versions oj Aristotle’s l’osterinr Amdutics, dans Studies in the Uistory <>/ Médiéval science, 1921, p. 223-211 ; Fr. Bliemetzi iedei, rVocA einmal die alte lateinische Vebersetiung der Analytica posteriora des Aristoteles, dans Philos. Jahrbuch, t. xxxviii, 1925, P. 230-249, et t. xi., 1927, p. 85-90.

Sur Abélard. - K. Kaiser, Abélard critique, 19U1 ; Th. Heitz, La philosophie et la foi dans l’ouvre a" Abélard, dans Revue des sciences philos, et théol., t. i, 1907, p. 703-727 ; G. Robert, Abélard créateur de la méthode et de la théologie scolastiques, ibid., t. iii, 1909, p. 60-83 ;.1. Cottiaux, La conception de la théologie che : Abélard, dans lievue d’hist. ., t. xxviii, 1932, p. 217-29.>, 533-551 et 788-828.

Sur Gilbert de La Porrée et Alain de Lille. - M.-l). Chenu, Un essai de méthode théologique au XII’siècle, dans Revue des , philos, et théol., t. xxiv, 1935, p. 258-267.

Sur Pi Queestio. M. Grabmann, Einfûhrung in die Summa théologies, des ht. Thomas von Aquin, Fribourg, 1919 i La Somme théologique de saint Thomas d’Aquin. Introduction historique et pratique, tr. Ed. Vansteenberghe, Paris,

1925) ; 11. Finie-, NicolaUS I rivet, seine QuodUbet und

llones ordinarlee, dans Festgabe (-1. Bæumker, dans Beilrdge…, 1923, p. 1-63 ; 1’. Glorieux, La littérature quodlibétique de : <.u d 1., 0, Paris, 1925 ; l’. Mandonnet, Introduction aux s. Thomse Aq. quastiones disputâtes, Paris, 1925, i. i. p. 1-12 ; Saint Thomas créateur de la dispute quodllbélique, dans Kevin des sciences philos, et théol., t. x, 1 928, p. 177-506, et t. xvi, 1927, p. 5-88 ; L’enseignement de la

Bible selon l’USagi de Paris, dans Repue thomiste, 1929,

p. 189-519 ; F. Blanche, Le vocabulaire de l’argumentation et

lo tructurt’l’article dans les oiinriujes de saint Thomas,

dans Revue des sciences philos, et théol., i. xiv, 1925, p. 107187 ; ai. Dentpf, Die Hauptformen mlttelallerltcher Weltantchauung, 1925 (sui la naissance des Sommes théologiques) ; i :. Geyer, lier Begrifl der tcholastlschen Théologie, dans Synthèse n in der Philosophie der Gegenwart. Festgabe t. Dyrofl, Bonn, 1926, p. 112-125 ; l. Lacotnbe, The I

llones o cardinal Stephen Langlon, dans the Seul Scholas llcltm, i. iii, 1929, p. 1-18 ; <. Lacombe ci A. Landgraf, même titre, ibid., p. 113-158, 61 t. i, p. 115-164 ; l’. Philippe, L’plan des Sentences de lierre Lombard d’après saint Thomas, dans liall. thomiste. Juillet 1932, Noies et connu.,

p. 131*-154* ; I. Warichez, Les Dlsputaliones de Simon de Tournai, texte medii, Louvain, 1932, Intr., p. sxiii sq. ;

R.-M. Martin, Œuvres de Robert de Melun, t. i, Quaritiones de Divina pagina. Texte inédit, Louvain, 1932, Intr., p. xxxiv sq. ; l’are, op. cit., p. 123 sq. ; Fr. Stegmuller, Les Questions du Commentaire des Sentences de Robert Kilwardby, dans Recherches de théol. une. et med., t. vi, 1934, p. 55-70 et 215228 ; A. Landgraf ; Quelques collections de Quæstioncs » de la seconde moitié du XII’siècle, ibid., t. vi, p. 368-393, et t. vii, 1935, p. 113-128.

VI. L’âge d’or de la scolastique. La théologie sous le régime de la métaphysique. — Cette nouvelle période est extrêmement féconde au point de vue de la théologie, et les positions concernant l’objet et la méthode de celle-ci sont particulièrement discutées. La théologie est-elle une science, est-elle spéculative ou pratique, quel est exactement son « sujet » ? Cependant, au delà de ces discussions techniques, un débat d’une très grande importance se poursuit : c’est, en gros, le débat entre aristotélisme et augustinisme. Nous verrons successivement : 1. Aristote maître de pensée rationnelle ; 2. La ligne augustinienne ; 3. Positions et débats d’école ; 4. Le xive siècle. La critique théologique ; 5. Appréciation sur la scolastique.

I. ARISTOTE MAITRE DE PEA’SÉE RATIONNELLE. —

1° La troisième « entrée » d’Aristote. — - La réalité nouvelle qui s’impose à la théologie au xiiie siècle est la philosophie d’Aristote. Cette philosophie s’est d’abord limitée à VOrganun, c’est-à-dire à un enseignement portant sur les instruments et les voies de la pensée. Il est vrai que, au cours du xiie siècle, des éléments de la philosophie proprement dite d’Aristote commencent à pénétrer dans les ouvrages de théologie : Simon de Tournai met celui-ci au dessus de Platon, il connaît, outre VOrganon, le De anima, peut-être quelques fragments de la Métaphysique et commence à faire un certain usage des catégories aristotéliciennes dans le classement des notions, en morale par exemple. J. Warichez. op. cit.. p. xxiv-xxv et xxix. À la fin du siècle, un Pierre de Poitiers fera de même une place à la Métaphysique d’Aristote, Grabmann, op. cit., t. ii, p. 508 ; Etienne Langton à l’Éthique, ibid., p, 499, tandis que le Stagirite aura déjà reçu, chez.Jean de Salisbury, le titre sous lequel il sera cité dorénavant tant de fois, « le Philosophe ». Ibid., p. 447, n. 1. Mais il ne s’agit, en tout cela, que d’utilisai ions sporadiques. Ce changement, qui commence dans une bonne mesure chez un Guillaume d’Auxerre ou un Philippe le Chancelier, au début du xiir 5 siècle, sera l’œuvre d’Albert le Grand et de saint Thomas. Il supposera d’ailleurs une connaissance beaucoup plus complète des œuvres philosophiques d’Aristote que cille dont on pouvait jouir au XIIe siècle.

Malgré des recherches très actives, l’histoire exacte des traductions latines des œuvres du Stagirite et. comme on dit, de l* entrée d’Aristote en Occident comporte encore

des lacunes et des Incertitudes, On trouvera dans la Ce éd.

de l’Histoire de la philosophie médiévale de M. De Wulf, t, i, 1931, p. 84-80, el t. ii, 1930, p. 25-38, un résumé de ce qui

esi acquis a ce jour, avec la bibliographie afférente.

Il existait, avant 1200, outre dc> traductions anonymes des Llbri naturales d’Aristote (Physique, I>< anima, Dr

sensu et sensato, De memoria et reminiscenlla, De morte rt vitaj, une traduction des 1. II et III de l’Éthique d icomaque, nommée l.thicu vêtus, et deux traductions successives, ou peut-être davantage encore, du début de la Métaphysique Jusqu’au 1. I II. c. i. nommées Metaphysica l’cinsiissimu ei Metaphysica velus. Deux vagues de traductions nouvelles se produisent entre 1200 ci 1210.1 ne première, de traductions généralement anonymes et faites sur le grec, amené entre 1200 et 1210 un texte latin « le la Métaphysique,

excepté le I. XI ; Vers 1215, des traductions du De anima. De soinno et vlgllla, De generationt ci corruptlone ; vei s 1 2201230, [’Hthtca nova, c’est-à-dire le 1. 1 de’Éthique » r (coinaquc, ei des fragments des 1. in et suivants ; enfin, ’les uloses ei des commentaires < Adam de Bocfeld et anonymes) 1 m’seconde vague est formée de traductions t. nie de l’arabe, en partlcullei pal Michel Scot, a Tolède, avant 1220 37Î

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. L’UTILISATION D’AR ISTOTE

376

(De animedibus, De partibus animalium ; De generatione animalium ; puis, Deceelo et aiundo, De anima, Physique e1 Métaphysique avec le commentaire d’Averroès), par Michel l’Allemand (Éthique <i Nicomaque avec commentaire

d’Averroès), etc. C’est aussi celle vague qui apporte une traduction faite sur l’hébreu du Guide des égarés de Maimonide, primitivement rédigé en arabe. Enfin un mou sèment fort actif de traductions, signées celles-là et parfois même datées, prend place entre 1210 et 1270 ; elles son ! l'œuvre de Robert Grossetête qui, aux environs de 1240, traduit, outre Denys et saint Jean Damascène, le texte intégral de l'Éthique <i Nicomaque et du De cselo et mundo jusqu’au 1. fit, c. i ; de Barthélémy de Messine (pli, vers 1258-1260, traduit les Magna Moralia et divers pseudépigraphes aristotéliciens ; de Guillaume de Mcerbeke enfin, qui revise les traductions existantes de la Métaphysique, de la Morale n Nicomaque, des I.ibri naturales, et traduit pour la première fois, outre un grand nombre de commentateurs grecs, la Politique, la Rhétorique, le 1. XI des Métaphysiques, eut-être les Économiques.

Mais celle entrée matérielle d’Aristole sous la forme de traductions n'était que la eondition et le moyen d’une autre « entrée », spirituelle et idéologique cellelà, du philosophe païen dans la Sacra doclrina. C’est cette entrée qu’il faut nous appliquer à bien caractériser.

Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, on avait bien appliqué à la théologie, discours humain sur les choses de Dieu, la logique, la grammaire et la dialectique, mais une telle application n’introduisait dans le domaine sacré aucun contenu propre, aucun objet proprement dit. La nouveauté de 1' « entrée » d’Aristote qui s’opère au tournant du xiie et du xiir 5 siècle, c’est l’application, en théologie, de la physique, de la métaphysique, de la psychologie et de l'éthique d’Aristote, application engageant un certain apport de contenu et d’objet dans la trame même de la science sacrée. Dès lors, Aristote n’apportera pas seulement, de l’extérieur, une certaine organisation des objets révélés, mais encore, dans le domaine même des objets du savoir théologique, un matériel idéologique qui intéressera non plus seulement les voies, mais le terme et le contenu de la pensée.

On saisit les premiers effets caractérisés de cette introduction d’une vue rationnelle du monde dans les écrits de Philippe le Chancelier († 1236) et de Guillaume d’Auxerre († 1231) ; à un degré moindre chez un Simon de Tournai ou un Pierre de Poitiers, voire un Gilbert de La Porrée. Aristote apporte principalement, dans la science sacrée des principes d’interprétation et d'élaboration rationnelles du donné théologique, une possibilité d’organisation systématique vraiment rationnelle, une structure scientifique.

1. Des principes d’interprétation et d'élaboration rationnelles du donné théologique. — La chose se voit au mieux dans les parties de la théologie qui, concernant les rapports de la nature et de la grâce ou l’organisme surnaturel de la grâce et des vertus, engagent une psychologie et une anthropologie. Si l’on se reporte, par exemple, aux études publiées par A. Landgraf et dom O. cottin, on constate que des questions, embrouillées chez les théologiens du xii c siècle, sont, chez un Philippe le Chancelier ou un Guillaume d’Auxerre, résolues par l’application d’une catégorie aristotélicienne qui, d’emblée, organise et construit le donné d’une façon rigoureuse et claire. C’est ainsi que l’on confondait généralement, jusque vers la fin du xiie siècle, la grâce sanctifiante avec la foi et la charité, tandis que l’on méconnaissait d’ordinaire la possibilité de verlus qui ne se manifesteraient pas. De graves dillicultés s’ensuivaient : là où il n’y avait pas exercice des vertus, pouvait-il y avoir encore vertu, et donc grâce ? Si non, quelle serait la situation des enfants baptisés mais encore incapables d’exercer aucun acte vertueux ? Au delà d’un timide essai

d’Alain de Lille, c’est au chancelier Philippe qu’il revint de distinguer non seulement entre les trois états dans Lesquels peut se trouver la vertu, natura, hubitu, actii. mais de distinguer les vertus et la vie surnaturelle de l'âme, qui opère la justification, a la manière dont sont distinguées, en philosophie aristotélicienne, l’essence de l'âme et ses puissances ; cf. A. Landgraf, dans Scholastik, 1928. p. 52, 59 sq. ; 1929, p. 205 sq. Ainsi un principe d’analyse de l’ontologie surnaturelle de l'âme est-il trouvé, qui permettra une construction scientifique de l’anthropologie chrétienne ; et il est trouvé par un recours aux catégories de L’anthropologie naturelle d’Aristote, sous le bénéfice de ce principe qu’entre la nature et la surnature il y a une similitude structurale profonde. Philippe de Grève aboutit immédiatement à saint Thomas, Sam. theol., I » -II", q. ex, a. 3 et 4 ; Q. disp. de virt. in communi, a. 1.

On comprendra d’ailleurs qu’un tel progrès dans la question que nous venons de dire supposait une distinction ferme entre nature et surnature. Là encore, c’est Philippe le Chancelier qui, reprenant la distinction entre vertus naturelles et vertus surnaturelles, lancée par Gilbert de la Porrée et admise par Guillaume d’Auxerre, et faisant appel à la philosophie aristotélicienne de l’amour élicite, put distinguer un amour naturel, consécutif à la connaissance naturelle que nous pouvons avoir de Dieu et un amour surnaturel consécutif à la connaissance ds foi. Un des premiers, sinon le premier, il fondait ainsi dans une philosophie des vertus spécifiées par les objets, l’idée d’une distinction ontologique entre nature et surnature et celle de l’ordination au Dieu révélé comme fondement essentiel de l’ontologie surnaturelle. Cf. Scholatsik, t. iii, 1929, p. 380 sq.. 389, et A. Landgraf, Die Erkenntnis der heiligmachenden Gnade in der Frùhscholaslik, dans Scholastik, t. iii, 1929, p. 28-64 ; Sludien zur Erkenntnis des Uebernatûrlichen in der Frùhscholaslik, ibid., t. iv, 1929, p. 1-37, 189-220, 352-389. Comp. Th. Graf, De subjecto psychico gratiie et virtutum, t. i, Rome, 1934.

2. Une possibilité d’organisation systématique vraiment rationnelle.

Quand on compare l’ordre introduit dans le donné de la théologie par les grandes synthèses médiévales, on est frappé de voir comment, d’une part, un passage s’opère d’une collocation plus ou moins arbitraire des questions à un enchaînement vraiment rationnel et comment, d’autre part, la théologie bénéficie, dans ce travail de mise en ordre, des apports philosophiques. Qu’on pense, par exemple, à l'étude des vertus. Elle intervenait, chez Pierre Lombard, dans la christologie, par le biais de cette question : le Christ a-t-il eu la foi, l’espérance, etc.? Et d’ailleurs, dans le traité de la foi ainsi engagé, t. III, dist. XXIII sq., il n'était point parlé de l’hérésie, dont la considération intervenait à propos de l’eucharistie, t. IV, dist. XIII. De même la considération du péché en général n’intervenait-elle, chez le Lombard, qu'à l’occasion du péché originel, t. II, dist. XXXV sq. C’est chez Prévostin et surtout Guillaume d’Auxerre que les vertus forment un traite distinct. Chez saint Thomas, il devient le système que l’on sait, étonnamment charpenté et fouillé, avec à la fois une simplicité de lignes et une variété dans les subdivisions, où rien, pour ainsi dire, n’est plus arbitraire. Aristote, soit par lui-même, soit par saint Jean Damascène, est passé par là. Le P..Merkelbach a comparé, pour le plan, la perfection de l’analyse et l’ordre rationnel, le traité de la moralité des actions humaines de saint Thomas à celui des principaux théologiens du Moyen Age : le progrès est évident et il est dû principalement, en ce domaine, à l’Ethique d’Aristote.

.1. Simler, Des Sommes de théologie, l’ai is. 1871 (étude des principales œuvres systématiques du Moyen Age, des Pères 78

à Vincent de Beauvais et Raymond Sebond) ; V. Me Nabb,

St. Thomas and moral theologg, dans The Irish theological quarterlg, 1919, p. 326-336 ; B.-H. Merkelbach, Le traité des actions humaines dans la morale thomiste, dans Revue des sciences philos, et théol., t. xv, 1926, p. 185-207 ; O. Lottin, Les premières définitions et classifications des vertus au Moyen Age, ibid., t. xviii, 1929, p. 369-107 ; La psychologie de l’acte humain chez saint Jean Damascène et les théologiens du XI IIe siècle occidental, dans Revue thomiste, 1931, p. 631661 ; H. -M. Martineau, Le plan de la « Summa aurea de Guillaume d’Auxerre, dans le recueil Théologie, I, Ottawa, 1937, p. 79-114.

3. Une structure scientifique.

Le développement de l’influence d’Aristote devait engager un jour la théologie à se donner un statut épistémologique aristotélicien. A vrai dire, cette évolution ne sera pas acquise d’un coup ; elle ne sera vraiment consommée que chez les commentateurs de saint Thomas. Cf. L. Charlicr. Essai sur le problème théologique, Thuillies, 1938.

Jusqu’ici, la théologie est conçue comme constituée par un certain usage de la raison s’appliquant aux choses de la foi, à l’intérieur de la foi. Ce sont les énoncés de foi qui forment son objet. Aussi posait-on en ces termes la question de l’usage de la raison en sacra doclrina : la raison peut-elle fournir des preuves de la foi, peut-elle apporter des arguments qui prouvent les énoncés de foi ? l’ropter quid ad probationem /idei adducantur rationes’.'

Cette position s’( x prime chez Guillaume d’Auxerre, au débul de sa Summa aurea. La théologie y est conçue comme une promotion de la foi, fldes faciens rationem, laquelle est présentée comme un don surnaturel de lumière qui a en soi. de par Dieu, sa justification, et qui ouvre BU Adèle un monde nouveau de connaissances. Summa aurea, proL.éd. Pigouchet. Paris. 1500, fol. 2. Cette notion de la foi engage Guillaume à mettre celle-ci en parallèle avec la lumière naturelle des premiers principes, qui s’imposent par eux-mêmes. c’est i dire sont <cr se nota et ouvrent à l’intelligence tout l’ordre des connaissances naturelles : Habet ergo (theologia) principia, scilicei articulas, qui (amen solis fidelibus su ni principia, qui bus fidelibus su ni per se nota, non aliqua probatione indigentia. L. III, tract, m. c. i. q. I, fol. 131’; cf. aussi Iracl. VIII, cap. de sapienlia. q. i, fol. 189’et l. IV, tract, de baptismo, cap. de hapl. parvul., q. i, fol. 25 1’. Mais, en ces trois passages, pris à des questions qui concernent la foi. Guillaume n’a qu’un souci : rendre compte de l’immédiatelé de la foi. qui ne s’appuie à rien d’autre qui lui serait supérieur. Même au fol. 131° où il déclare : si intheolo qui non rssent principia. non essel ars pel scierilia, et au fol. 254e ou il (lit : Sicut alite scientite habent sua principia et conclusiones suas, iiu etiam theologia, il ne

pense pas a développer le parallèle entre la foi et les principes premiers en ce sens que la I héologic part irait des principes de la foi, comme la science des principes de la raison, pour se livrer a une opération de déduction ci pour tirer, à partir de ces principes, de nouvelles conclusions qui seraient son objet proprr parallèle, ou il est toujours parlé des principia pet se nota, et non proprement des principia scientite, est Invoqué en faveur de la foi et n’est pas développé en faveur de la théologie, dont les rationes semblent bien avoir pour rôle, simplement, de probare (Idem, ostenilen ftdem ; cf. prol., fol. I ».

Dans cel usage des rationes naturales, Guillaume

marque très fortement le primai du donne de foi. Les

ies, dit Guillaume, sont venues d’une application

indue des principes et des naturels aux

i de Dieu. Il > a des considérations qui valent vu philosophie, mais qu’on ne peut appliquer en théologie ; par exemple : /"" régala Artêtotelis, quod per se est Iule, ma g il Ut taie quam tllud quod non est per se Iule,

irnrt m natwaltbus, uhi naturalla naturalibus confe runtur. Sed ubi naturalia conferuntur primas, causa’, non tenet. L. II, tract, v, q. i. fol. 46°. Ainsi Guillaume a-t-il senti le problème de la théologie rationnelle que nous allons rencontrer désormais dans toute sa force. Il lui a donné une solution clairvoyante. Nous verrons, dans tout le xiiie siècle et jusqu’à Luther, se développer l’idée que la philosophie et la théologie représentent deux compétences dont il faut respecter les exigences et la spécificité. Sur Guillaume d’Auxerre, cf. Th. Heitz, Essai histor. sur les rapports de la philosophie et de la foi, Paris, 1909, p. 92 sq. ; J. Stracke, Die scholastische Méthode in der « Summa aurea » des Wilhelm von Au.rcrrc, dans Théologie und Glaube, t. v, 1913, p. 549-557 ; M.-I). Chenu, La théologie comme science au xiw siècle, dans Archives d’hist. doctr. et littér. du Moyen Aqe. t. ii, 1927, p. 31-71, cf. p. 49 sq.

Le parallèle, lancé par Guillaume, entre la foi et les principes per se nota sera repris et développé dans un sens qui cherchera à concevoir la théologie sur le type de la science aristotélicienne. Le P. Cuervo a peut-être un peu exagéré la portée de quelques textes d’Albert le Grand en ce sens. Cependant, si l’ensemble du Corn, in I Sent., dist. I. éd. Horgnet, t. xxv, p. 15-20, n’est guère explicite pour une théorie de la théologiescience, plusieurs passages de la Summa theologia’, de rédaction plus tardive, sont plus formels et plus rigoureux ; cf. [ pars, tract, i, q. iv, sol. ; q. v, memb. 2, ad 2um ; memb. 3, surtout contr. 3, éd. Horgnet, t. xxxi. p. 20, 24-26. Albert ne fait d’ailleurs pas intervenir l’idée de science subalternée. Nous n’insisterons pas autrement sur sa notion de théologie, qui n’est pas, techniquement, d’une très grande originalité. Par contre. Albert commence l’espèce de révolution que saint Thomas fera aboutir, en faveur d’une distinction nette entre philosophie et théologie et surtout en faveur de la consistance des natures créées et de la connaissance rationnelle qui leur fait face.

Le parallélisme suggéré par Guillaume d’Auxerre est plus nettement marqué, peut-être, dans les quæstiones de quelques auteurs franciscains antérieures à la Summa d’Albert et même à celle de saint Thomas. Soit dans les Quæstiones d’Odon Rigaud, vers 12111250, soil dans celles de Guillaume de Meliton, vers 1245-1250, soit dans celles.lu Cod. Vatic. lai. l’idée aristotélicienne de science se trouve appliquée à la théologie et l’objection caractéristique tirée des objets singuliers de celle ci. abondamment développée : Theologia, quantum ad acceptionem illarum dignilatum. quæ menti hominum sunt impressss, quas etiam ah aliis seientiis non mendient, dicitur sapientia quasi cognitio causarum altissimarum ; sed quantum ad

conclusiones ex illis pnnrifiiis illalas est scienlia dit

Odon Rigaud.

Sur Albert le Grand : cf. Cuervo, La teologia a uni, ciencta,

etc., dans Clencia lomlsta, I. KLVI, 1932, p. 173-199 ;.

Belzendôrfer, Glauben und Wlssen bel Albert dem Grossen, dans Zeltsch. I. Theol. u. Kirche, I. vii, 1926. p. 280-300 ; (’.. l’eckes, Glauben und Glaubenswisscnschaft nacii Albert item Grossen, dan-. Zeltsch. I. katlnl. Theol., t. liv, 1930, p. 1-39 ; M. Grabmann, ih queestlont i tram theologia sit tclentta speculativa un practica< a B, Alberto Mm/no et.s. / homa Aquinate pertractata, dans Atti délia Seltunana albertlna, Rome, 1932, p. 107-126 ; A. Etonner, />< natura théologies juxta s. Albertum Magnum, dans Angellcum, t. wi, 19 19, p. 3-23.

Sur les ailleurs Franciscains cites : is. Peigamo, De queestlonibu » inedili » l r. Odonls Higaldl, l r. Gitlielmi de Vfeli loua il Codlcli Val. lut. 788 iiri-n naturam theologtm deque earum relatione ad Summam theologicam l r. Alexandri Halensls, drus Irch. francise, hlst., t. wi, 1936, p. 3-54, 308 364,

2° L’/ théologie Chei suint Thomas <Pqnin. Sans

entrer dans un grand détail, nous nous arrêterons un peu sur la notion de théologie chez saint Thomas, car

elle marque une orientation décisive, quoi qu’il en soit des interprétations assez divergentes que les commentateurs ont données de la pensée du maître.

Saint Thomas a traité trois fois de la méthode théologique : dans le prologue du Commentaire sur les Sentences (1254), dans le commentaire sur le De Trinilate de Boèce, q. il ; enfin dans la Somme théologique, I », q. i (vers 1265). À ces textes majeurs s’en ajoutent d’autres et en particulier Contra Genliles, t. I, c. mix ; t. II, c. ii-iv ; t. IV, c. i (1259) ; Sum. theol., I », q. xxxii, a. 1, ad 2um ; Ila-II 3 ", q. i, a. 5, ad 2um ; QuodL, iv, a. 18 (1270 ou 1271).

Voici, en bref, nos conclusions : 1. Saint Thomas n’a pas changé la manière, reçue de saint Anselme, d’Abélard et de Guillaume d’Auxerre, de concevoir le rapport du travail théologique au révélé : la théologie est pour lui la construction rationnelle de l’enseignement chrétien lui-même. 2. Mais il a transformé le rendement et l’apport de la raison dans ce travail, parce que, grâce à Aristote, la raison, chez lui, est autre chose qu’avant lui. File connaît une nature des choses et a une philosophie. 3. Ce qui, d’ailleurs, ne va pas sans engager des présupposés et sans poser des problèmes dont l’ensemble représente bien, pour la théologie, une nouveauté et une occasion de crise.

1. Saint Thomas n’a pas changé le rapport du travail théologique au révélé. — C’est ce que nous verrons dans la théorie qu’il a proposée de la théologie ; dans l’exercice qu’il en a fait ; à titre de confirmatur, dans ce qu’en ont dit ses disciples immédiats.

a) La théorie de saint Thomas. — La première question de la Somme débute par un article où saint Thomas établit qu’il est nécessaire (d’une nécessité hypothétique, mais absolue) que, élevé à l’ordre surnaturel, l’homme reçoive communication d’autres connaissances que les connaissances naturelles. Cette communication, c’est celle de la Révélation, c’est-à-dire celle de la doctrinu fidei, ou sacra doctrina, ou sacra scriptura. Toutes ces expressions, prises univoquement dans toute la q. i, sont en gros équivalentes et saint Thomas les considère si bien comme telles qu’il les prend l’une pour l’autre au cours d’un même raisonnement : cf. par exemple a. 3. La sacra doctrina est l’enseignement révélé, doctrina secundum revelationem divinam, a. 1, dans toute son ampleur, dont l’objet est ea quæ ad christianam religionem pertinent, prol. ; elle s’oppose aux philosophicse (ou physiciv) disciplinée, a. 1 et Conl. Gent., t. II, c. iv ; elle comprend aussi bien l’Écriture sainte, Scriptura sacra hujus doctrinx, dit le prologue de la q. i, la catéchèse et la prédication chrétienne, que la théologie proprement dite en sa forme scientifique.

Nous soupçonnons dès lors ce que signifie l’a. 2, Utrum sacra doctrina sit scientia ? En posant cette question, saint Thomas prend sacra doctrina au sens de l’a. 1, celui d’enseignement chrétien, et il entend se demander ceci : Est-ce que l’enseignement chrétien est tel qu’il a la forme et vérifie la qualité d’une science ? Il ne s’agit pas d’identifier, sans plus, enseignement chrétien et science, car l’enseignement révélé comporte bien des aspects ou des actes qui n’appartiennent pas à l’ordre de la science ; mais il s’agit de savoir si l’enseignement chrétien, au moins en l’une de ses fonctions, en l’une de ses activités, en l’un de ses actes, peut vérifier la qualité et mériter le nom de science. A cette question, saint Thomas répond affirmativement et, dans la Somme tout au moins, il se contente pour cela de dire que la sacra doctrina vérifie la qualité de science selon cette catégorie, étudiée et définie par Aristote, des sciences « suballernées ».

Dans le commen taire sur le De Trinilate de Boèce, cependant, q. ii, a. 2, il nous indique plus expressément ce qu’il veut dire lorsqu’il revendique pour la sacra doc trina la qualité de science. Il y a science quand certaines vérités moins connues sont rendues manifestes à l’esprit par leur rattachement à d’autres vérités mieux connues. Dieu a, de toutes choses, une science parfaite, car il voit le fondement des effets dans les causes, des propriétés dans les essences et finalement de toutes choses en lui, dont elles sont une participation. La foi est bien, en nous, par grâce, un connaître divin, une certaine communication de la science de Dieu..Mais cette communication est encore bien imparfaite et laisse l’esprit dans le désir d’une saisie plus pleine des objets qu’elle révèle. Cette saisie peut être recherchée soit par une activité surnaturelle, de mode vital et qui tend à s’assimiler au mode de saisie de Dieu lui-même, soit par une activité proprement intellectuelle qui suit notre mode à nous et qui est, en gros, le travail théologique. Nous avons ainsi, à partir de la foi et sous sa direction positive, une activité qui suit notre mode à nous, qui est mode de raisonnement. Est-ce à dire que les vérités de la foi seront en nous comme des principes à partir desquels, sortant du domaine de la foi pour entrer dans celui de la théologie, on déduira des vérités nouvelles ? Sans doute n’y a-t-il pas lieu d’exclure de la perspective de saint Thomas ces conclusions théologiques < proprement dites », aboutissant à des vérités qui ne se trouvent pas énoncées dans l’enseignement révélé. Mais ce n’est pas cela que saint Thomas a dans l’esprit. Tout simplement, la sacra doctrina prend une forme de science et en mérite le nom lorsqu’elle rattache certaines vérités de l’enseignement chrétien, moins connues ou moins intelligibles en soi, à d’autres vérités, également de l’enseignement chrétien, plus connues ou plus intelligibles en soi, comme des conclusions à des principes, mode propre du connaître humain. Peu importe que les vérités-conclusions soient ou non expressément révélées. L’important c’est que ex aliquibus notis alia ignotiora cognoscuntur. Alors que Dieu connaît toutes choses en lui-même, modo suo, id est simplici inluilu, non discurrendo, et qu’il a ainsi une science intuitive, nous connaissons les mêmes choses, selon notre mode à nous, discurrendo de principiis ad conclusiones. C’est ainsi que, dans l’enseignement sacré, certaines vérités joueront le rôle de principes et d’autres, que nous rattacherons aux premières comme des effets à leur cause ou des propriétés à leur essence, le rôle de conclusions.

Ainsi renseignement sacré vérifie la qualité de science lorsqu’il se produit en une activité proprement discursive, dans laquelle le moins connu ou le moins intelligible est rattaché au plus connu ou au plus intelligible. Ainsi nous rejoignons l’a. 8 de la Somme, où saint Thomas définit en quoi l’enseignement sacré démontre ou argumente. Et saint Thomas d’ajouter, comme dans les lieux parallèles, l’exemple de saint Paul qui, dans la I rc épître aux Corinthiens, c. xv, établit notre propre résurrection en argumentant à partir de la résurrection du Christ, mieux connue et surtout cause et fondement de la nôtre. Comp. Sum. theol.. P, q. i, a. 8, corp. ; De veritaie, q. xiv, a. 2, ad 9um ; In I am Sent., prol., a. 5, ad 4um. La qualité scientifique de l’enseignement sacré consiste donc en ceci que, à partir de vérités de foi prises comme principes, on peut, par raisonnement, établir ou fonder d’autres vérités qui apparaîtront certaines de par la certitude des premières. Et, répétons-le, il ne s’agit pas pour saint Thomas de savoir si ces vérités rattachées discursivement comme des conclusions à des véritésprincipes ajoutent matériellement au révélé. Il s’agit de voir que l’enseignement sacré comporte, dans son labeur total, ce travail, qui est le plus spécifiquement humain, de construire la doctrine chrétienne selon un mode de science, en rattachant à ce qui est, en elle,

premier, tout ce qu’on peut y rattacher comme une conclusion.

Par ce travail, la sacra doclrina reproduira, autant qu’elle le pourra, la science de Dieu, c’est-à-dire l’ordre selon lequel Dieu, dans sa sagesse, rattache toutes choses les unes aux autres, selon leur degré d’intelligibilité et d’être, et finalement toutes à lui-même. Nous sommes ici au cœur de la notion thomiste de théologie et ce ne sont plus seulement les a. 2 et 8 de la Somme que nous y trouvons, mais aussi l’a. 7 et les affirmations de saint Thomas sur les arliculi et les per se crcdibilia. II s’agit, pour le théologien, de retrouver et Je reconstruire, dans une science humaine, les lignes, les enchaînements, l’ordre de la science de Dieu. Dans l’enseignement sacré, le sage chrétien s’appliquera à rattacher les choses plus secondaires, qui ont eu soi moins d’être et moins de lumière, aux réalités plus premières qui en ont davantage.

Ce rattachement des vérités-conclusions aux véritésprincipes, saint Thomas l’a conçu selon le schème que voici : les principes sont les arliculi ftdei, qui sont per se et directe objets de Révélation et donc de foi, c’est-à-dire, essentiellement, les articles du Symbole promulgués par l’Église : cf. Sum. theol., II 1 - II*, q. i, a. 8 et 9. Ces articles du Symbole ne sont qu’une première explication (par voie de révélation, et non par voie de science théologique : cf. Sum. theol., II » -II", (]. h. a. (i) de deux credibilia absolument premiers et qui contiennent implicitement toute la substance de la foi chrétienne. Ces deux credibilia premiers sont ceux qui énoncent le mystère de Dieu lui-même, son mystère nécessaire, a savoir celui de son existence comme Être Trine et Un, et son mystère libre, à savoir l’incarnation rédemptrice et déificatrice des hommes. Au delà des arliculi fidei qui sont essentiellement les énoncés du Symbole, c’est à ces deux credibilia que tout le reste sera ramené et suspendu. Ce sont ces deux credibilia qui, étant révélés et faisant l’objet de notre foi directement, on raison de ce qu’ils sont et de leur contenu, sont comme un critère pour toute l’économie de la Révélation ; une chose, en elfet, est révélée et proposée par l’Église à notre foi, en tant qu’elle a rapport a ces deux vérités premières : cf. Sum. theol., IIa-IIæ, q. i, a. 6, ad l um et a. 8, corp. ; q. n. a. 5 ct7 ; Comp. theol., i, c. i ; De artic. ftdei et Kccles. sacram., in pr. Ces deux objets premiers nous apparaissent ainsi connue fournissant un principe de définition des revelabilia : rentrent dans les revelabilia et donc dans la considérai ion de la science sacrée, tout ce qui, ayant rapport aux deux mystères de Dieu et du Christ -Sauveur, tombe sous la Révélation dont ces deux mystères font l’objet essent lel,

Ainsi la doctrine sacrée, en tant qu’elle est science, reproduit lie autant qu’il est possible, mais par un ordre de remontée au principe la vision de la science rie Dieu, finissant par tout rattacher a Dieu lui même, en son mystère nécessaire et libre. I.e sujet de la niera doctrina, c’est Dieu, car c’est en vertu de leur

rapport a Dieu lui même que toutes i hoses la concernent. I.’effort de la théologie, c’est, par les articles de foi, de tout rattacher a Dieu comme celui ci. en sa

science, voit toutes choses en lui-même.

De Ion !. i-l, i il dei ouïe encore que la doctrine sacrée

igesse, qu’elle est la sagesse suprême. Mais, comme saint Thomas le remarque. Sum. theol.. [ », q. I. a. t.. ad’’.’Ile sagesse est une sagesse acquise.

de mode Intellectuel, au titre de science suprême, et

on doit la distinguer de la sagesse infuse, de nature

proprement mystique, qui constitue cette promotion

de la (huile qu’est le don do sagesse. Cf. [I » -II*, rj. xi.v, a. I, ad 2 m et a. 2, et cf. Gagnebet, L</ milurc

dr la théologie spéculative, dans Rn-ur thomiele, l : ».’( « .

(pu a mis en lumière l’originalité do la position de

saint Thomas sur ce point au regard des autres docteurs du xine siècle.

Il convient de compléter cet exposé de la théologiescience en résumant ce que dit saint Thomas des diverses manières dont la raison intervient dans la doctrine sacrée. Voir In I um Sent., prol., a. 3, sol. 2 et a. 5, sol. et ad 4um ; In Boet. de Trin., q. ii, a. 2 et 3 ; Cont. Gent., t. I, c. ix et x ; Sum. theol., I a, q. i, a. 2 et 8 ; q. xxxii, a. 1, ad 2um ; Quodl.. iv, a. 18. D’après ces textes, la raison, outre un rôle préliminaire, a trois fonctions en théologie :

a. Rôle préliminaire : établir, par une démonstration philosophique rigoureuse, les preeumbula ftdei : existence et unité de Dieu, immortalité de l’âme, etc. Cf. Sum. theol., II » -II", q. ii, a. 10, ad 2um ; In Boet. de Trin., q. ii, a. 3.

b. Rôle de défense des articles de foi : non pas en prouvant la vérité de ces articles, ce qui est impossible, mais en montrant qu’ils découlent nécessairement des parties de la Révélation qu’admet l’adversaire, s’il en admet quelqu’une, par exemple l’Ancien Testament pour les Juifs et qu’en tous cas les raisons apportées en difficulté par le contradicteur ne valent pas. Sum. theol., I », q. i, a. 8 ; II » - II", q. ri, a. 10, ad’2um ; q. viii, a. 2, corp. ; Contra Gent., t. I, c. ii, vu et viii ; In Boet. de Trin., q. ii, a. 3 ; Quodl., iv, a. 18.

c. Rôle de déduction, par quoi une vérité encore inconnue ou mal connue est éclairée par son rattachement à une vérité mieux connue qui joue, à son égard, le rôle du principe à l’égard d’une conclusion. C’est cette fonction que saint Thomas exprime en ces termes : Inventio veritatis in quæstionibus ex principiis ftdei. In I um Sent., prol., a. 5, ad 2° m ; et encore : Procéda ex principiis ad aliquid aliud probandum, Sum. theol., I », q. i, a. 8 ; ex articulis ftdei hsec doctrina ad alia argumentatur. Ibiii., ad l" ra. Cette argumentation peut se faire à partir de deux principes de foi et aboutir à une vérité qui no se trouve pas énoncée dans la Révélation. Il semble même qu’on doive dire que, pour saint Thomas, la doctrine sacrée puisse, dans celle fonction discursive, employer dos principes de raison, des prémisses philosophiques : Ista doclrina habet pro primis principiis articulos ftdei, et ex islis principiis, non respuens communia principia, procedit ista scientia. In I’" Sent., prol., a. 3, qu. 2, ad l" m ; cf. In Boet. de Trin., q. ii, a. 3, ad 7°"’; Com. in Galat., c. iii, lect. 6, et Contra impugn., part. III, c.xii, xiv cl xv II no nous paraît donc pas légitime do restreindre, comme certains ont voulu le faire, l’argumentation théologique selon saint Thomas au rattachement d’une vérité révélée secondaire à un article do foi. Par exemple. In ///""’Sent., dist. XXIII, q. ii, a. 1, ad 1 "’, saint’Thomas distingue le cas do la manifestation d’un article de foi par un autre article et le cas d’un rai sonnement par lequel ex articulis quædam alia in theologia syllogizantur.

d. Rôle explicatif et déclaratif s’exerçant a l’égard

même dos principes que sont les arliculi et visant a les

pénétrer, à les rendre, autant que faire se peut, compréhensibles a l’esprit do l’homme, en on fournissant dos analogies, dos raisons do convenance. Saint Thomas s’exprime ici avec une grande netteté : col apport d’éléments rationnels est ordonne ait majorem manifeatattonem eorum qua m hue scientia traduntur. Sum. theol., I », q. i, a..">. ad 2, m ; In Boet. de Trin., q, m. a. 2, ad l" m. Reprenant le moi qu’on a tant reproché a Ahclurd sur les arguments analogiques et moraux, saint’Thomas parle d’une mise en valeur do la vérité pour laquelle sunt rationu aliquee vcrltimilet a<l<tu cendëe. (.oui. Gent., I. I, c. x ; veras similitudines colli gère. Ibid., C. i. Ailleurs, il illustre celle fond ion par

l’exemple de saint Augustin qui, dans son De Trinilate, a cherché a manifester le mystère des Trois par 383

TU Ko LUC I E. SA I NT T 1 1 o M VS

; s’,

de multiples analogies empruntées à l’ordre naturel. In Boet. de Trin., q. n. a. 3. Ajoutons que de tels arguments, s’ils ne constituent pas des preuves, ont cependant une réelle valeur apologétique et apportent une aide à la foi. In I" m Sent., prol.. a. - r > ; In Boet. de Trin., q. ii, a. 1, ad 5um ; Sum. theol., IIa-IIæ, q. i, a. 5, ad 2um. b) La pratique de saint Thomas. — La méthode théologique que saint Thomas a réellement pratiquée répond à ce programme. Nous ne traiterons pas ici la question de la documentation de saint Thomas, ni même celle de sa manière de se référer au donné révélé et de traiter les documents de ce donné et en particulier les Pères ; cf. ici, art. Frères-prêcheurs, t. vi, col. 876 sq. ; l’art. Thomas d’Aquin. Mais nous voulons reprendre rapidement les quatre chefs d’intervention de la raison distingués plus haut et voir comment saint Thomas en a entendu l’usage.

a. Les preeambula fidei. — On sait que, là où il peut prouver des vérités transcendantes, saint Thomas y apporte une rigueur jamais surpassée. Ainsi de l’existence de Dieu, Sum. theol., I », q. ii, a. 1, du pouvoir créateur réservé à Dieu seul, q. xlv, a. 5, de l’immortalité de l’âme, q. lxxv, a. 6, de l’impossibilité pour l’homme de trouver la béatitude dans un bien créé, I a - 11^, q. ii, a. 8, etc. Par ailleurs, il est utile de noter que des expressions telles que oportet, patet. necesse est, ne comportent pas toujours, chez saint Thomas, le sens le plus rigoureux ; cf. P. Rousselot, L’intellectualisme de saint Thomas. 2e éd., p. 149 sq.

b. La fonction de défense. — On sait avec quelle richesse d’argumentation saint Thomas l’a exercée contre les Gentiles. Mais il y a lieu de souligner, dans son travail spéculatif lui-même, l’importance de la fonction de défense. La garde de la pureté de la doctrine, la poursuite et la réfutation des hérésies lui ont toujours paru être au premier plan dans la mission du docteur chrétien. Dans beaucoup d’articles, l’élaboration spéculative est destinée à bien montrer de quelles méconnaissances ont procédé les erreurs sur le sujet et comment il faut construire intellectuellement le mystère pour éviter lesdites erreurs. Cf. Q. disp. de potentia, q. ii, a. 5 ; q. x, a. 2 ; Sum. theol., I a, q.xxvii, a. 1 ; Comp. theol., i, c. 202 sq., et surtout le 1. IV du Contra Gentiles et tout l’opuscule De arlic. fidei et Ecclesiæ sacram.

c. Rôle d’inférenec et de démonstration. — Saint Thomas semble avoir peu exercé cette fonction de la théologie dans le sens de l’obtention de conclusions théologiques objectivement nouvelles par rapport au donné révélé. Sans doute faudrait-il ranger dans cette catégorie certaines thèses concernant la morale ou la christologie, où l’introduction de principes éthiques et anthropologiques a permis une élaboration nouvelle. Ainsi la distinction des vertus et des dons, le système des vertus dans la IIa-IIæ, l’affirmation de l’unité d’être dans le Christ, de l’exercice d’un intellect actif en lui, etc.

Mais, dans la pratique, saint Thomas s’en tient le plus souvent à fonder une vérité qui fait partie de l’enseignement sacré sur une autre vérité mieux connue, qui en fait également partie, de manière à joindre à la connaissance du pur fait la connaissance de sa raison, propter quid sit verum, et à doubler les pures adhésions de la foi d’une connaissance scientifique établie à l’intérieur même de ces adhésions, par une mise en ordre rationnelle des dogmes. Tel est évidemment le cas pour les vérités accessibles à la raison qui rentrent dans les præambula fidei et dont saint Thomas n’établit pas l’an sint sans donner la raison propter quid sint ; mais tel est aussi le cas de pures vérités de foi et d’abord de celle dont il donne lui-même l’exemple, notre résurrection en tant que non seulement aflirmée comme un fait, mais fondée dans

celle du Christ comme dans son principe. Cf. Corn, in I Cor., c. xv. lect. 2 (où saint Thomas institue précisément sur ce sujet une véritable quæstio) ; Sum. theol., III a, q. lvi. (/est vraiment investigare radicem et facere scire quomodo sit verum que de rattacher, dans la construction théologique, notre résurrection à celle du Christ. Chercher la raison des uns dans les autres, telle est cette fonction de la théologie, quand saint Thomas, par exemple, rattache le fait des perfections et des faiblesses du Christ à sa mission de Rédempteur, sur quoi il en assigne la raison et en dégage l’intelligibilité.

Ainsi le travail théologique établit-il une sorte de double scientifique des énoncés de la foi : non certes en prouvant par la raison le fait des vérités révélées, mais en trouvant, à l’intérieur de la foi et sous sa conduite, le fondement des vérités secondaires dans les vérités principales. De cette manière, ce qui était d’abord seulement cru devient à la fois cru et su : en tant que fait révélé, il est toujours cru, et non su ; en tant que rattaché à une autre vérité révélée et expliqué par la raison théologique, il est devenu, dans des conditions certes imparfaites, objet d’une science et d’un habitus scientifique : cf. De veritate, q. xiv, a. 9, ad 3°’" ; Sum. theol., II » -II « >, q. i, a. 5, ad 2um.

d. Rôle explicatif et déclaratif. — C’est une fonction extrêmement riche de la théologie, qui va de la simple explication, grâce à des analogies et des arguments de convenance, jusqu’à l’explication essentielle. Nous y trouvons d’abord des explications des énoncés de la foi ; elles consistent à interpréter en catégories justifiées en science humaine, les énoncés non systématiques de l’enseignement chrétien, soit qu’il s’agisse des notions premières mises en œuvre dans chaque traité, soit qu’il s’agisse de tout un mystère dont la construction intellectuelle se poursuit à travers tout un traité. C’est ainsi que les catégories d’une anthropologie scientifique servent constamment, dans le traité du Christ, à interpréter et à organiser rationnellement le donné révélé, ou, dans le traité des sacrements, les catégories de cause et de signe. Quant au premier cas (interprétation systématique des notions), la Somme en présente de nombreux exemples, en particulier dans la II a, où la plupart des traités commencent par une définition de la vertu dont il s’agit. Cf. la-II*, q. lv, a. 4 ; q. lxxi, a. 6 ; q. xc, a. 1 ; II » -II B, q. iv, a. 1 ; q. xxiii, a. 1 ; q. lviii, a. 1 ; q. lxxxi, a. 1.

Les arguments de convenance, qui s’efforcent de faire admettre et comprendre un mystère chrétien par analogie avec ce que l’on remarque dans l’univers connu, sont fréquents dans l’œuvre de saint Thomas. Ils constituent une des tâches principales de sa théologie et peut-être même sa tâche principale. Saint Thomas excelle à manifester ces harmonies du monde surnaturel avec le monde naturel et à insérer un fait particulier dans une loi universelle débordant l’ordre moral lui-même et régissant tout ce qui est. Exemples : Sum. theol., II’-II*, q. ii, a. 3, pour la question : Utrum credere aliquid supra ralionem naturalem sit necessarium ad satutem ? ; q. civ, a. 1, pour la question : Utrum homo debeat obedire homini ? ; III », q. vii, a. 9, pour la question : Utrum in Christo fueril plenitudo gratis ?? etc.

Certes il sait très bien que la loi générale invoquée n’est pas ce qui rend raison de l’existence du fait chrétien. Quand il invoque ce principe que plus un récepteur est proche d’une cause qui influe sur lui, plus il participe de cette influence, III », q. vii, a. 9, il sait très bien que ce n’est pas pour cela que le Christ a la plénitude de la grâce, mais il pense que cela peut aider quiconque sait déjà, par la foi, que le Christ est plenus gratiæ, à construire intellectuellement et à comprendre en quelque mesure ce mystère. Et, de

même, lorsqu’il se demande, III », q. xlix, a. 6, si le Christ a, par sa passion, mérité d’être exalté : ce n’est pas en vertu du principe de justice selon lequel celui qui a été mis plus bas qu’il ne méritait doit être exalté au delà de son strict dû, qu’il affirme le mystère, mais bien en vertu du texte de Phil., ii, 8, cité au sed contra : le fait chrétien n’est pas un cas de la loi générale invoquée et ce n’est pas à cause de cette loi qu’il est vrai ; mais la loi générale sert à l’interpréter intellectuellement et, en quelque mesure, à en comprendre les raisons. Nous tenons une ratio quæ non sufficienler probat radiant, sed quæ radici jam positæ ostendat congruere conséquentes efjectus. Sum. theol., I », q. xxxii, a. 1.

Il faut remarquer cependant que, dans les cas les plus heureux, l’argument de convenance sera tout près de devenir une explication véritable et se joindra à ces rationibus investi gantibus veritatis radicem et facientibus scire quomodo sit verum quod dicitur. Quodl. iv, a. 18. Dans la mesure où l’analogie invoquée est rigoureuse, elle devient en effet une analyse indirecte de structure et fait connaître vraiment une nature profonde des choses ; la théologie dégage alors des connexions qui, fondées dans la nature des choses, ont la nécessité de cette nature. Ainsi quand saint Thomas, I*-II", q. lxxxi, a. 1, se demande si le péché d’Adam est transmis à sa postérité par voie de génération et qu’il argue de ce fait que l’humanité est comme un seul homme dont nous sommes comme les membres, il fournit une analogie qui est bien proche d’une explication de structure. Il faut d’ailleurs noter que cette explication ne prétend nullement prouver rationnellement le/ait, mais veut seulement, le tenant par la foi, tenter d’en rendre compte le plus profondément possible. L’article même que nous venons de citer illustre bien cette remarque, lui qui est introduit ainsi : Secundum fidem catholicam est tenendum quod… Ad investigandum autem qualiter…

Au total, la théologie telle que saint Thomas l’a entendue et pratiquée nous apparaît comme une considération du donné révélé, de mode rationnel et scientifique, tendant à procurer à l’esprit de l’homme croyant une certaine intelligence de ce donné. Elle est, si l’on veut, un double scientifiquement élaboré de la foi. Ce que la foi livre d’objets dans une simple adhésion, la théologie le développe dans une ligne de connaissance humainement construite, cherchant la raison des faits, bref reconstruisant et élaborant, dans les formes d’une science humaine, les données reçues, par la foi, de la science do Dieu qui crée les choses. Ainsi, par son esprit dirigé par la foi, l’homme prend-il une Intelligence proprement humaine des mystères, utilisant leur liaison ou leur harmonie avec le monde

i connaissance naturelle ; il fait rayonner l’enseignement révélé dans sa psychologie humaine avec toutes ses acquisitions légitimes et authentiques qui, finalement, sont aussi un don de Dieu. Comparer R.’.agnebet, dans Revue thomiste, 1938, p. 229 sq.

c) Les disciples de saint Thomas. — De l’interprétation précédente de la pensée de saint Thomas nous trouvons une confirmation dans les écrits de ses dis ciples Immédiats. Annibald de Annibaldis, disciple et ami de saint rhomas, dans son commentaire du prologue des Sentences, développe une notion de la Iheologia ou stura doclrina toul a fait dans la ligne que nous avons dite. Texte imprimé dans les œuvres de saint éd. de Parme, t. xxii. Rémi de Glrolamo († 13 disciple Immédiat de saint Thomas,

pour autant que l’exposé de s.i pensée que fait l(^r Grabmann permet d’en juger, e » l dans la n

. lue L’t'.rr von Glauben, Wissen und Glaubem

tnscha/t bei r<> Remigio de Girolaml, dans Diras 1 homat, 1929, p. 137 sq i re plus m

Ion d’un autre disciple de saint Th mbo

DICT. DR TIlf.OL. CATIIOL.

lognus de Bologne, qui d’ailleurs reprend ad verbum certains textes des Sentences du Maître ; cf. les textes publiés par Mgr Grabmann dans Angelicum, 1937, p. 44 sq., 55. — Encore qu’il ne soit sans doute pas un disciple immédiat, l’auteur du Correctorium Corruptorii « Quare » est à coup sûr l’un des premiers thomistes ; on relèvera donc ici son témoignage, op. cit., in 7° m part., a. 6, éd. Glorieux, p. 35-36. — Enfin, bien qu’ils relèvent, chacun de son côté, d’autres influences que celle de saint Thomas, on joindra encore ici Ulrich de Strasbourg, Summa de bono, t. I, tract. 2, éd. Daguillon, p. 27 sq., et surtout p. 30, et Godefroid de Fontaines, Quodl. ix, q. xx, concl. 1.

Sur la théologie selon saint Thomas, outre les études citées supra, col. 383, on verra : J. Engert, .Die Théorie der Glaubenswissenschal l bei Tlwmas von Aquin, dans Festgabe Seb. Merkle, 1922, p. 11-117 ; F. Blanche, Le vocabulaire de l’argumentation et la structure de T(vticle dans les ouvrages de saint Thomas, dans Revue des sciences philos, et théol., t. xiv, 1925, p. 167-187 ; R. Garrigou-Lagrange, De methodo S. Thomte, speciatim de structura articulorum Summæ theologicte, dans Angelicum, t. v, 1928, p. 499-524 ; A. d’Alès, art. Thomisme, dans Dict. apolog., t. iv, col. 1694-1713 ; H. Meyer, Die Wissenscha/tslchre des Thomas von Aquin. B. Die Glaubenswissenschaft (sacra doclrina), dans Philos. Jahrbuch, t. xlviii, 1935, p. 12-40.

2. Saint Thomas a transformé le rendement du travail rationnel en théologie. — Aussi bien la raison qu’il y emploie connaît une nature des choses ; elle a une philosophie. On ne peut nier qu’Albert le Grand et Thomas d’Aquin apparaissent comme des novateurs au xiii siècle. Ce qui les met à part, c’est qu’ils ont une philosophie, c’est-à-dire un système rationnel du monde qui. dans son ordre, a sa consistance et se suffit.

Mgr Grabmann a très heureusement souligné, dans Die Gcerresgesellschajt und der Wisscnschaflsbegrifl, Cologne, 1934, p. 8* sq., la formation scientifique aristotélicienne de Thomas et de ses maîtres ; les premiers écrits du jeune dominicain seront un De ente et un De principiis naturæ. Tandis que Bonavenlure, d’après son propre témoignage, débutera par une expérience d’Aristote beaucoup plus négative, à savoir l’expérience d’un maître d’erreurs, Collat.de decem prseceptis, coll. ii, n. 28, éd. Quaracchi, t. v, p. 515, saint Thomas est mis d’emblée à l’étude d’Aristote comme à celle d’un maître en la connaissance rationnelle du monde. Aussi rclcve-t-on bien des Irait s de relations amicales entre Thomas d’Aquin et les professeurs de la Faculté des Arts. Inversement pour les philosophes de la Faculté des Arts, saint Thomas était l’un d’eux. Finalement, il sera englobé avec plusieurs d’entre eux dans les condamnations des années 1270 et 1277, qui visent pour une bonne part des positions philosophiques. Voir art. Tbmpibr, ci-dessus, col. 99 sq.

Au vrai, qu’ont fait Albert et Thomas d’Aquin ? Quel est l’objet du débat qui s’est institué entre eux cl les augustiniens ? Quand Bonaventure, Kilwardby, Peckham et d’autres s’opposent à Albert le Grand et à saint Thomas, que veulent-ils et pourquoi agissent-ils ? Il faut y regarder de près. D’une part, en effet, ces opposants sont loin de rejeter la philosophie et ils sont aussi philosophes que ceux qu’Us Combattent ; d’autre pari, il est clair que ni Thomas ni Albert ne refusent de subordonner la philosophie à la théologie ; la formule ancilla théologies est commune aux deux écoles. Et pourtant, il y a bien deux écoles. Pourquoi ?

A la suite d’Augustin, les augustiniens considèrent toutes chose-, dans leur rapport à la tin dernière. I lie connaissance purement spéculative « les choses n’a pas d’intérêt pour le chrétien. Connaître les choses, c’est onnaltre en référence a Dieu, qui est leur fin : les connaître vraiment, pour non, , c’est les r » f> >< > nous-mêmes, , Dn-u. par la charité. Aussi, dans la

I.

XV. — 13.

387

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. SAINT THOMAS

388

spective augustinienne, considérera-t-on les choses non dans leur pure essence, mais dans leur référence à la fin dernière, dans leur état concret, dans l’usage qu’en fait l’homme du point de vue de son retour à Dieu ; ainsi la nature ne sera-t-elle pas distinguée de son état concret d’impuissance à l’égard du bien et d’incertitude à l’égard du vrai, dont les chrétiens ont l’expérience. De même, si « connaître les choses, c’est déterminer l’intention de leur premier agent, qui est Dieu », on considérera les choses dans leur relation au vouloir de Dieu, qui les fait ce qu’il veut et en use comme il veut. Du point de vue de la connaissance du monde, le miracle est aussi vrai et aussi normal qu’un ordre naturel : en un sens, tout est signe et tout est miracle. Chez les augustiniens nominalistes, nous retrouverons, dans cette ligne, un développement de la considération de la potentia absoluta qui entrera dans leur critique de la théologie de saint Thomas.

Pour celui-ci, au contraire, et pour Albert le Grand son maître, s’il est vrai de dire que toute chose a rapport à la fin dernière, c’est-à-dire à Dieu, c’est sous le rapport de la cause finale, sous celui de la causalité exemplaire, c’est-à-dire d’une cause formelle extrinsèque ; ce n’est pas sous le rapport de la forme même par laquelle l’être, proprement, existe. Les choses ont leur nature propre qui ne consiste pas dans leur référence ou leur ordre à Dieu. Ainsi, s’attachant à ce que les choses sont en elles-mêmes, on considérera en elles la nature, le quid, en distinguant cette forme du mode ou de l’état concret ou encore de l’usage ou de la référence à une fin. Les choses, dans cette perspective, et singulièrement la nature humaine, restent ce qu’elles sont sous les différents états qu’elles revêtent et, par exemple, sous le régime de la chute comme en régime chrétien. À la considération de ce que sont les choses, répond la distinction thomiste entre les principia naturee et le status ; cf. In II" m Sent., dist. XX, q. i, a. 1 ; Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxxv, a. 1 et 2. Ce n’est pas que des augustiniens comme saint Bonaventure méconnaissent la distinction entre la nature et son état, mais ils se refusent à traiter comme une connaissance valide celle de la nature pure, en soi, et à théologiser sur de pures formes, dégagées de leur état concret. Chez saint Thomas, au lieu d’une considération plus ou moins globale des choses du point de vue de la cause première et de la fin ultime, on aura une considération formelle et propre, du point de vue des choses elles-mêmes. C’est à l’égard de cette nature des choses qu’on définira le miracle, l’usage miraculeux des êtres créés par Dieu n’ayant plus à entrer en considération du point de vue d’une connaissance de cette nature des choses. On aura, non plus une dialectique des interventions de Dieu et de la potentia absoluta, mais une contemplation de la hiérarchie des formes sous la sagesse ordonnée de Dieu.

Si l’on se place au point de vue de la connaissance, dans la ligne augustinienne, la connaissance vraie des choses spirituelles est aussi amour et union. De plus, la vérité de la connaissance vraie ne lui vient pas de l’expérience et de la connaissance sensible, qui n’atteint que des reflets, mais d’une réception directe de lumière venant du monde spirituel, c’est-à-dire de Dieu. C’est la théorie de l’illumination. Or, cela est très important pour la notion de théologie, pour la distinction entre philosophie et théologie et pour l’usage du savoir « naturel », en science sacrée. Dans cette perspective, entre l’illumination de la connaissance naturelle et celle de la foi il y a approfondissement dans le don de Dieu et secours nécessaire, mais aussi quelque continuité. Une théorie de l’illumination invite à supprimer pratiquement toute barrière entre la philosophie et la théologie et à ne concevoir la première que comme une préparation relative à la se conde. Cette liaison entre ces diverses positions s’observe tout au cours de l’histoire des rapports entre la raison et la foi ; cf. Th. Heitz, Essai historique sur les rapports de la philosophie et de la foi de liérenijer de Tours à saint Thomas d’Aquin, Paris, 1909, p. xi, 22, 23, 38, 44, 62, 82, 83, 87, 108 sq., 120 sq.

Saint Thomas travaille sous le régime, spécifiquement aristotélicien, de la distinction entre l’ordre de l’exercice et celui de la spécification. Pour lui, les choses sont l’objet ligitime d’un connaître purement spéculatif. Le connaître vise les choses en elles-mêmes, chacune pour ce qu’elle est ; et c’est des sens qu’il reçoit son contenu, étant capable de capter ce que, par eux, les choses présentent d’intelligible, grâce à une lumière qui, donnée par Dieu, ne laisse pas d’être vraiment nôtre et de se trouver en nous comme une puissance permanente. Cf. S. Thomas, Quæst. disp. de spirilualibus creatnris, a. 10, ad 8um. Ce texte est célèbre ; mais on n’a pas encore remarqué que le traité de méthodologie de Vin Boct. de Trinitate commence, q. i, a. 1, par un article où saint Thomas met au point la question de l’illumination, en précisant les conditions différentes de la lumière infuse de la foi et de la lumière naturelle, et la manière dont l’une et l’autre doit être référée à Dieu. Ainsi, dans la perspective albertino-thomiste, la lumière naturelle et la lumière surnaturelle n’étant pas considérées seulement par rapport à une source unique, mais par rapport à une nature définie, leur distinction est beaucoup plus ferme et beaucoup plus effective. Cf. C. Feckes, Wissen, Glauben und Glaubenswissenschalt nach Albert dem Grossen, dans Zeilsch. f. kalhol. Theol., t. liv, 1930, p. 1-39.

Enfin, si nous considérons l’utilisation en théologie des sciences et de la philosophie, nous voyons qu’en régime augustinien leur statut suit le statut des choses elles-mêmes. Comme celles-ci ne valent que dans leur rapport à Dieu, les sciences n’apporteront pas à la sagesse chrétienne une connaissance de la nature des choses en elle-même, mais des exemples et des illustrations ; elles ont une valeur symbolique pour aider à l’intelligence de la vraie révélation, laquelle vient d’en haut et est spirituelle. Ceci nous fait comprendre encore en quel sens les augustiniens parleront de la philosophie ancilla theoloyiæ : les sciences n’existent que pour servir et on ne leur demande que de servir, non d’apporter quelque vérité en leur nom propre. Tel est bien le sens de l’expression, par exemple, dans les lettres de Grégoire IX et d’Alexandre IV à l’université de Paris. Chartular. univ. Paris., t. i, p. 114-116, 143-144, 343.

Pour Albert le Grand et saint Thomas, les sciences représentent une véritable connaissance du monde et de la nature des choses, qui ont leur consistance et leur intelligibilité propres, et cette connaissance est valable même dans l’économie chrétienne. Aussi les sciences ont-elles, dans leur ordre, une véritable autonomie d’objet et de méthode, comme elles comportent, dans leur ordre, leur vérité. Dans cette perspective, l’expression d’ancilla theologiæ, que saint Thomas emploie lui aussi, Sum. theol., I 1, q. i, a. 5, ad 2° iii, a un sens assez différent de son sens primitif augustinien, car « pour mieux s’assurer les services de son esclave, la théologie vient de commencer par l’affranchir ». Gilson, Et. de philos, med., p. 114.

Pour l’ensemble de ce paragraphe : É. Gilson, Pourquoi S. Thomas a critiqué S. Augustin dans Arch. d’Ilisl. Uoctr. et litlér. du Moyen Age, t. i, 1926, p. 5-127 ; A. Gardait, S. Thomas et l’illuminisme augustinien, dans Hcuue de philos., 1027, p. 108-180 ; J.-M. Bissen, L’excmplarisme dioin selon S. Bonauenlure, Paris, 1929 ; É. Gilson, Éludrs de philosophie médiévale, Strasbourg, 1921, p. 1-29 ; 3U-3U ; 76-124 ; A. Forest, La structure métaphysique du concret

selon S. Thomas d’Aquin, Paris, 1931, p. 6-10 ; M.-J. Congar, La déification dans la tradition spirituelle de l’Orient, dans Vie spirituelle, mai 1935, suppl., p. 91-108 ; É. Gilson, Réflexions sur la controverse S. Thomas-S. Augustin, dans Mélanges Mandonnet, t. i, Paris, 1930, p. 371-383 ; M. De Corte, L’anthropologie platonicienne et l’anthropologie aristotélicienne, dans Éludes carmélilaines, t. xxv, 1938, p. 54-98 ; M.-D. Chenu, The revulutionary intellcctualism of St. Albert the Great, dans Iilacklriars, 1938, p. 5-15.

Nous comprenons mieux, maintenant, le sens de cette démarche par laquelle Albert et saint Thomas se mettent à l’école d’Aristote, cherchant en lui non pas seulement un maître de raisonnement, mais un maître dans la connaissance de la nature des choses, du monde et de l’homme lui-même. Certes, saint Thomas n’ignore pas plus que saint Bonaventure que toutes choses doivent être rapportées à Dieu. Mais, à côté de cette référence à Dieu dans l’ordre de l’usage, il reconnaît une bonté inconditionnée à la connaissance spéculative de ce que sont les choses, œuvre de la sagesse de Dieu. Il s’agit de reconstruire spéculati veinent l’ordre des formes, des rationcs, mis dans les choses et dans les mystères du salut eux-mêmes, par la sagesse de Dieu. Un tel programme ne peut se réaliser que par une connaissance des formes et des natures en elles-mêmes, et c’est pourquoi l’aristotéiisme de saint Thomas n’est pas extérieur à sa sagesse théologique et à la conception même qu’il s’est faite de celle-ci.

Et voici comment le rendement de la raison en théologie va en être transformé. Les éléments du travail théologique sont fournis par la philosophie d’Aristote, non sans correction et purification d’ailleurs. Toutes les notions de cause, d’essence, de substance, de puissance, de mouvement, d’habitus, viennent d’Aristote. Et non seulement dans l’ordre des sciences de la nature, mais dans celui de l’anthropologie et de l’éthique : notions d’intellect agent, de volonté libre, de fin, de vertu, de justice, etc. Certes, d’autres que saint Thomas, et les « augustiniens » eux-mêmes, utilisent et citent Aristote. Dans la seconde moitié du xme siècle, à quelques exceptions près peut-être, tous pensent en termes aristote. iciens. Mais il faut bien prendre garde et ne pas croire que, sous cette terminologie, ce soient vraiment la pensée d’Aristote et sa conception des choses qui se trouvent réellement. Sous une unité littéraire et peut-être psychologique, les gardent une profonde diversité de pensée philosophique et de système du monde, et cela à l’intérieur d’un même ordre religieux, par exemple, dont on fêtait volontiers une école unique. Les catégories de matière et de forme et de composition hyléinorphique, par exemple, recouvrent chez les divers auteurs des notions f.irt diver es, et l’on pourrait multiplier les exemples. À saint Thomas, par contre, au delà d’un cadre pun ment formel de pensée, Aristote a apporté une vue rationnelle du monde qui devint, dans la pensée du docteur rlin tien, l’instrument d’élaboration de ce double humain de la science de Dieu, que nous avons vu être l’idéal de sa théologie. Aristote a apport

  • .m mu’., :. et spécialement à iain1 Thomas

une nature, la science d’un ordre de natures. El c’est cela qui, sans modifier dans sa structure formelle la conception du rapport de la raison à la foi, a modifié le rendement de la raison et a transformé la théologie. Avec s. fin ! Thomas, nous avons vraiment Un System, théologique. Cf. ici, t. i, col. 778-779 ; llilarin (Feldcr), Histoire des études dans l’ordre de s. Fran ttad. p ; ir Eu&èbe de Bar-le-Duc, Paris, 1008,

p. 162 !. 1. / Indes de philos, imd., p. 29.

3. Pquestions engagés pur relie position,

a) La qui en) ralt dan cette t oie étail

in 1 1 (1er i fie par une théorie de

I ogie et des noms divins ». I listoriqucnn

I mesure que progresse l’application de la technique rationnelle et philosophique dans le domaine théolo-I gique, le besoin s’affirme de tirer au clair la question j de la légitimité d’une attribution à Dieu de nos concepts et de nos vocables créés. Le souci en est manifeste chez les théologiens de la fin du xiie siècle et du commencement du xiiie, comme le montre E. Schlenker, Die Lehre von den gôltlichen Namen in der Summa Alexanders von Haies, l-’ribourg-en-B., 1938. Cf. Pierre de Poitiers, Sent., t. I, c. iii-vii, xii, xviii, etc., P. L., t. ccxi, col. 794-812, 834-840, S66 ; Pieire de Capoue, Summa (Val. lat. 4296), c. v, vi, viii, ix, xxvii, xxviii, voir Grabmann, Gesch. d. schol. Melh., t. ii, p. 533, n. 1 ; Prévostin, qui a de multiples questions sur ce sujet, Summa, t. I, voir G. Lacombe, La vie et les œuvres de Prévostin, t. i, Paris, 1927, p. 168-169 ; Guillaume d’Auxerre, Summa aurea, t. I, De nominibus Dei ; de iliis quæ dicuntur de Deo sine comparalione ad creaturas. Chez saint Thomas, cette justification du discours rationnel en théologie est proposée avec une conscience parfaitement lucide. Elle repose sur une conception de la nature et de la grâce qu’on peut, considérer comme classique dans le catholicisme. Voir In Boetium de Trin., q. ri, ad 3um :

Dona gratiarum hoc modo naturæ adduntur quod eam non tollunt, sed magis perflciunt… quamvis autem lumen mentis humanæ sit insufllciens ad mauifestationem eorum quæ per fidem manifestantur, tamen impossibile est quod ea quæ per fidem nobis traduntur divinitus, sint contraria his quæ per naturam nobis sunt indita : oportet enim altelura esse falsum, et cum utrumque sit nobis a Deo, Deus esset nobis auctor falsitatis, quod est impossibile ; sed magis cum imperfeclis inveniatur aliqua simililudo perfcctoi uni, quamvis imperfecta, in his quæ per rationem naturalem cognoscuntur, sunt quædam similitudines eorum quæ per fidem tradita sunt.

La justification de la théologie comme expression du mystère de Dieu repose tout aussi bien sur une théorie de l’analogie et une étude critique des « noms divins ». Saint Thomas est revenu maintes fois, mais plus particulièrement, par ordre chronologique : In I um Sent., disl. XXII ; Cont. Cent., 1. 1, c. xxix sq. ; In I am Sent., dist. II, a. 3, qui représenterait une question disputée à Rome et ultérieurement insérée à cet endroit ; Q. disp. de poientia, q. vu ; Sum. theol., I », q. xiii.

b) Si le problème de la théologie chez saint 1 homas engageait des présupposés qui sont, en somme, ceux de toute théologie, cette position n’allait pas, cependant, sans poser de très sérieuses questions, qui sont de nature à nous faire pressentir, dans la théologie du xme siècle, des possibilités de crise.

Le procédé consistant à abstraire quelque chose de i formel » en le dégageant de ses modes, puis d’appliquer ce formel aux mystères de la foi sous le bénéfice de l’analogie, repose tout entier sur la distinction entre une rnliovt son mode et sur la conviction qu’une ratio ne change pas en ses lois essentielles lorsqu’elle est réalisée sous des modes différents. Hi’ef, une théologie rationnelle repose tout entière sur la conviction que, dans la transposition d’une notion a un plan de

réalités transcendantes, dont le mode positif non.

échappe, Vcinuirnlcr ne détruit pas le formaliter. Par exemple, on sait très bien que la manière dont le Christ in Hue et agit sur les hommes est quelque chose d’éminent et d’unique : ou encore que la procession du Verbe en Dieu se réalise d’une manière éminente. unique et Inaccessible à l’esprit. Mais l’on sait aussi que.

à condition de purifier ces notions et d’atteindre à la

conception de pures rationcs formelles, il est possible et légitime d’appliquer a l’action du Christ la mêla

physique de la causalité el a la procession du Verbe

la philosophie de la génération et de l’intellect ion.

Or, un tel proi édé poe uni i question Ne

risque-t-on pas d’être amené à considérer les choses chrétiennes par ie côté qui leur est commun avec les choses naturelles et d’en faire un simple cas de lois plus générales qui les engloberaient comme les variétés d’une espèce ? Et, dès lors, ne risque-t-on pas d’oublier le caractère de « tout » unique et original qui revient à l’ordre de la foi, pour transférer ce caractère à la métaphysique et à une explication rationnelle des choses dont l’ordre chrétien ne serait plus qu’un cas ? Si, par exemple, je construis la partie de la théologie qui me parle de l’homme selon les catégories anthropologiques de la philosophie, en termes de matière et de forme, essence et facultés, etc., ne risquè-je pas rie trahir l’anthropologie révélée que me iivre la Bible, saint Paul par exemple : anthropologie si caractérisée, avec les catégories de l’homme intérieur et extérieur, de la chair et de l’esprit, etc. Et, si les catégories anthropologiques que j’utilise ne sont pas même celles de Platon, mais celles d’Aristote…

Or, il suffît de voir comment procède saint Thomas pour apercevoir le danger. Il fait tellement confiance aux catégories des sciences philosophiques et aux enchaînements rationnels, que non seulement il les introduit dans l’élaboration de l’objet de la foi, mais qu’il leur fait diriger en quelque façon cette élaboration. Deux exemples de cette méthode : 1. Sum. theol., I » -II æ, q. lxxiii, a. 1, saint Thomas se demande si les péchés et les vices sont connexes. Or, l’Écriture présente un texte qui se réfère, semble-t-il, à ce sujet : Quicumque totam legem servaverit, offendal autem in uno, factus est omnium reus. Jac, ii, 10. Il semble que le théologien n’ait, en cette question, qu’à commenter ce texte et à en tirer les conséquences. Saint Thomas, lui, ne procède pas ainsi ; il construit sa réponse sur une analyse psychologique de la condition du vertueux et de celle du pécheur, c’est-à-dire sur l’anthropologie, et il ramène le texte de saint Jacques dans la première objection, se réservant de le gloser d’une manière critique, en fonction de sa théologie générale du péché. — 2. Se demandant, III*, q. xiii, a. 2, si le Christ a eu la toute-puissance par rapport aux changements qui peuvent affecter les créatures, saint Thomas se trouve devant le texte de Matth., xxviii, 18 : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. » Là encore, on s’attendrait à ce que saint Thomas fît de ce texte le pivot de son article. Or, il le cite seulement, en première objection, et construit la théologie du cas en appliquant, en trois conclusions, deux distinctions fondamentales dont les catégories sont empruntées à sa philosophie générale.

La rançon d’une telle confiance en la raison ne serat-elle pas un danger de perdre le sens du caractère unique, original et transcendant des réalités chrétiennes ? La question qui se pose, c’est de savoir si, dans la ligne de la distinction introduite par saint Thomas, par exemple, entre l’acte charnel considéré en soi, qui est bon, et sa modalité pécheresse en état de nature déchue, nous ne trouverons pas l’affirmation de la bonté de l’acte charnel en lui-même tel qu’il est concrètement. Pour avoir donné consistance aux natures, à l’ordre des causes secondes, bref à une nature constituée par l’ensemble organisé des natures, n’aboutirons-nous pas à perdre le sens de la nouveauté du christianisme, de son originalité et de sa souveraineté sur la nature elle-même ? Telle sera toujours, contre le naturalisme des aristotéliciens, la crainte et la protestation des augustiniens : saint Bernard, saint Bonaventuie, Pascal, Luther lui-même.

Nous pensons que saint Thomas a réellement surmonté le danger que nous signalons. En effet, chez lui : a) ce n’est pas Aristote qui commande, mais bien le donné de foi. Saint Thomas a noté lui-même qu’on pourrait user indûment de la philosophie en doctrine

sacrée, d’une double façon : soit en appliquant une philosophie erronée, soit en ramenant la foi aux mesures de la philosophie, alors que c’est la philosophie qui doit être soumise avix mesures de la foi. Aristote n’intervient que pour fournir à la foi un moyen de se construire rationnellement en liaison avec le savoir naturel de l’homme. Qu’on applique au Christ la philosophie de l’homme, au vice et au péché l’analyse philosophique de l’acte humain et des éléments rie la moralité, il est clair que c’est le donné chrétien qui commande et qui « mène », l’apport philosophique jouant un rôle de moyen. Chaque fois qu’on y regarde de près on voit que, dans cette utilisation, Aristote est dépassé ou corrigé. Ce qui eût été grave, c’eût été de laisser Aristote, à supposer qu’il représentât la philosophie, en dehors de l’élaboration de la foi, car c’eût été introduire entre le christianisme d’une part, la raison et la culture, d’autre part, une scission des plus dangereuses ; cf. Charlier, Essai sur le problème théoloç/ique, p. 86. — $) La pensée théologique de saint Thomas, comme du Moyen Age, au moins jusqu’à son temps, est essentiellement à base biblique et traditionnelle. On n’insistera jamais assez sur le fait que le statut de l’enseignement théologique était alors profondément biblique. La leçon ordinaire du maître était consacrée au commentaire de l’Écrituie : c’est ainsi que les commentaires scripturaires de saint Thomas représentent son enseignement public ordinaire comme maître.

II. LA LIGNE AUGUSTINIENNE.

1° La tradition augustinienne des hommes d’Église. — Il n’est guère de période dans la vie de l’Église où l’on saisisse mieux la différence d’attitude entre les hommes de science, qui représentent les initiatives de la pensée, et les hommes d’Église, qui représentent la tradition et tiennent des positions ordonnées à l’édification des âmes. Au xme siècle, tradition et positions des hommes d’Église sont d’inspiration nettement augustinienne. Elles peuvent se résumer ainsi : La raison est compétente pour les choses terrestres, dont la possession n’intéresse pas le chrétien, mais non pour les choses spirituelles et éternelles. D’où une constante distinction entre deux plans, deux orientations et deux puissances de l’esprit, deux manières de penser.

Aussi, quand s’opère 1’ « entrée » d’Aristote dans la pensée chrétienne, ces hommes d’Église augustiniens réagissent. Ils ne peuvent permettre ni que des gens de la Faculté des arts traitent des sujets qui ne sont pas de leur compétence, c’est-à-dire qui dépassent non pas tant l’objet de la raison que ses forces ; ni que ceux de la Faculté de théologie empruntent aux sciences des choses créées un vocabulaire et des catégories de pensée pour concevoir et exprimer les choses de Dieu. Tels sont très expressément les deux thèmes de la réaction augustinienne contre la crue de l’aristotélisme.

Cette réaction s’en prit d’abord aux théologiens qui introduisaient dans la doctrine sacrée les catégories de pensée et le vocabulaire des philosophes. C’est l’objet des récriminations, par exemple, du dominicain Jean de Saint-Gilles (1231), cf. M. M. Davy, Les sermons universitaires parisiens de 1230-1231, Paris, 1931, ou d’Odon de Châteauroux, en diverses occasions, cf. Hauréau, Notices et extraits de quelques manuscrits latins de la Bibl. nat., t. vi, Paris, 1893, p. 215 ; Chartul. univ. Paris., t. i, n. 176, p. 207 (21 décembre 1247). C’est l’objet, surtout, des avertissements les plus véhéments des papes s’adressant aux maîtres de la Faculté de théologie à l’Université de Paris. Grégoire IX écrit, le 13 avril 1 231 : A’ec philosophos se ostentent. .. sed de illis lantum in scolis quæstionibus disputent, quæ per libros theologicos et sanctorum patrum tractatus valeant terminari. Chartul. univ. Paris., t. i,

n. 79, p. 138. Cependant, la crue aristotélicienne se poursuivant, les protestations et les avertissements continuent ; cf. Mandonnet, Siger de Brabant, 2e éd., t. i, p. 33-36, 95-98, 243, 298-300, texte et notes ; A. Callebaut, Jean Pecham, O. F. M., et l’augustinisme, dans Archiv. francise, hist., t. xviii, 1925, p. 441-472.

Dans la seconde moitié du xiiie siècle, les maîtres de la Faculté des arts, trouvant dans Aristote toute une interprétation purement rationnelle du monde et de l’homme lui-même, prétendront proposer sur ces choses une doctrine indépendante et qui se suffise, soit qu’ils aient tenté de traiter par une pure application de la philosophie, les questions de théologie, cf. Chartul., t. i, n. 441, p. 499, soit que, faisant de la philosophie une science non seulement indépendante, mais souveraine, ils en aient théoriquement ou pratiquement déclaré la suffisance, dogmatisant en son nom sur la destinée de l’homme, la règle de sa vie, etc. Cette tendance, nette déjà chez Jean de Meung, André le Chapelain, se trouve à son paroxysme dans le De vi(a philosophi de Boèce de Dacie édité par M. Grabmann, Arch. d’hist. doctr. et littér. du Moyen Age, t. vi, 1931, p. 297-307. C’est ce dangereux courant, allié à l’averroîsme latin, que vise la condamnation portée en 1277 par Etienne Tempier, laquelle, dès ses premières lignes, déclare : Nonnulli Parisius studentes in artibus, proprie facultalis limites excedentes… Chartul., t. i, n. 473, p. 543.

Voir Jules d’Albi, Saint Bonaventure et les luttes doctrinales de 1267-1277, Tamines et Paris, 1923 ; M.Grabmann, Eine fur Examinarzwecke abgejasste Quæstionensammlung der Pariser Arlistenjakullàt aus der ersten Hàlfle des 13. Jahrhunderts, dans Bévue néoscol. de philos., t. xxxvi, 1934, p. 211-229, surtout p. 225.

Quand on pense que cette réaction atteignait l’effort d’Albert le Grand et de saint Thomas, tel que nous avons cru le comprendre, on sera tout disposé à interpréter, avec le P. Mandonnet, la canonisation de saint Thomas, survenue eu 1323, comme la consécration de son hégémonie doctrinale et. tout d’abord, de sa position en méthodologie théologique ; cf. I’. Mandonnet, La canonisation de saint Thomas, dans Mélanges thomistes, Paris, 1923, p. 1-48. De fait, cette position iint Thomas inspire maintenant renseignement de la théologie dans l’Église catholique et la division de <e » enseignement en philosophie et théologie en quelque sorte, en institution cette méthodologie thomiste.

2° Position générale des maîtres augustiniens. - - Les principaux maîtres augustiniens, outre saint Bonaventure, sont Alexandre de Halès, Fishacre, Kil-Wardby, d’une part, Robert Grossetôte et Roger

, d’antre part : cinq anglais.

Alexandre de Halès († 1215), Fishacre, qui rédige vers 1236-1248, et Kilwardby, vers 1248-1261, s’accorpour l<- fond. La théologiee l pour eux une connaissance inspirée par le Saint-Esprit, d’ordre affectif et moral. Elle concerne le rai sous l’aspect de bien : Alexandre, Su m. I licol., I. I, tract, introd., q. i, ci, sol. et a. 2, sol. et ad 2 om ; Kilwardby, éd. Stegmuller, Mon p. 27 sq. On fient bien l’appeler science,

en un sens qui n’est pas celui d’Aristote ; i d’abord uni cience qui n’arrive à l’intelligence qu’a ir de la foi, Alexandre, il<i<l., e. i, ad 3*", et même ilir de la foi vive, opérant par la charité, ibid.,

de mode non pas

mol et démonstratif, mais affectif, moral, expérimental -.. Alexandre, ibid., c. ii, obj. f et . soi., i ad 2, , m ; Kilwardby, enfin une science dont li

titude m iw ni pa.i une Inférencc rationnelle à partir idents, m. ii.., la lumière du Saint t dont l’homme spirituel a IV mie

rieure. Alexandre, ibid., c. iv, a. 2 ; Kilwardby, p. 31.

Kilwardby reprend, éd. citée, p. 26, l’idée augustinienne que toute science est dans l’Écriture. Bacon et Grossetête apparaissent comme les protagonistes d’une théologie strictement seripturaire. La théologie, dit Bacon, a, comme toute faculté, son texte et son activité doit consister, comme celle de toute faculté, à commenter ce texte : la Bible. On peut, en effet, trouver dans le texte sacré l’occasion de poser les questions de tous les traités de la théologie. Celle-ci doit donc être ramenée au texte, duquel ou ne doit pas, comme on le fait depuis cinquante ans, isoler les « questions » ; cf. Opus minus, éd. J.-S. Brewer, Londres, 1859, p. 329-330. Pour cette théologie du texte, Bacon préconisait la connaissance des langues anciennes, grec et hébreu, et celle des sciences ou de la philosophie. Opus tertium, c. xxiv, éd. Brewer, p. 82. L’Écriture, en effet, qui est le trésor de la Révélation et donc le lieu suprême de l’illumination, renferme toute vérité. En elle sont contenues et la théologie et la philosophie, celle-ci n’étant que le contenu ou l’aspect physique de la Révélation, comme celle-là est la vérité ou la dimension mystique des connaissances scientifiques que rassemble la philosophie. D’où il suit que les deux connaissances ne sont pas extérieures l’une à l’autre. La philosophie n’a toute sa vérité que in usu Scripturse, de même que l’Écriture n’a toute son explication que dans la connaissance des sciences dont l’ensemble constitue la philosophie ; d’où le programme réformiste de Bacon. Unité de la sagesse chrétienne (Bacon n’emploie pas ce mot) dont le fondement, comme l’ont souligné R. Carton et Walz, est la théorie de l’illumination.

C’était de bonne tradition augustinienne, selon laquelle les sciences et la philosophie n’ont à entrer dans l’élaboration théologique qu’au titre de propédeutique, pour aiguiser ou former l’esprit, et aussi d’illustration, pour expliquer les symboles bibliques empruntés au monde créé : cf. en ce sens les textes de Jean de la Rochelle, O. F. M., Jean de Saint-Gilles, O. P., dans Hilarin (Felder), Hist. des études, p. 475, n. 4 et 5, et p. 476.

Saint Bonaventure.

L’art. Bonaventure ne

parlant pas de la notion bona ciituricnne de la théologie, il faut nous y arrêter quelque peu. Les principaux textes où Bonaventure nous livre cette notion sont : In l" m Sent., proum., éd. Quaracchi, t. i, p. 1-15 (1248) ; Breviloquium, prol., t. v, p. 201-208 (avant 1257) ; llincrarium mentis in Dcum. t. v, p. 295-313 (octobre 1259) ; De reductione artinm ad llicolofiiam. t. v. p. 319-325 (d’après Glorieux. 1268) ; Collât, de donis Spiritus Sancti, surtout coll. iv et viii, t. v, p. 17Il sq. et 493 sq. (1268) ; les Collai, in Hexæmemti, coll. i-m et xix, t. v, p. 329-318 et 120 sq. (1273) ; Scrmo Christus unus omnium magislcr, t. v, p. 567-574. De même que clic/ saint Thomas, on ne remarque pas d’évolution véritable chez saint Bonaventure. Il semble bien, cependant, quc Bonaventure, avec le temps, prit mieux conscience de l’inspiration vraiment propre de sa doctrine.

Pour saint Bonaventure, la théologie est une promotion de la grâce ; elle est a considérer dans la suite

des communications que Dieu nous fait de lui-même. Bien que la théologie se situe, pour saint Bonaventure comme pour saint Anselme, tnter /idem ci speciem,

peut être la formule bunav cul urienne de la théologie serait-elle moins iule :, quxrens mlellcctum, qui convient encore à saint Thomas, qu’un texte du genre de

In imaginem tranaformamur a claritate m claritatem, tanquam a Domtni Spiritu, Il Cor., iii, 18 : Bonaven I lire ne fait pal de ce texte la des Ise de la

qu’il distingue de la foi. mais il te cite fréquemment ; cf. Opéra, éd. Quaracchi, t. x, p 3

La première lumière reçue de Dieu est celle de la raison. Seulement, lorsqu’il envisage non plus la distinction de droit, mais les possibilités concrètes de la raison, il en marque sévèrement les limites : car, en son état actuel, l’homme ne peut, par la seule raison, connaître les vérités supérieure 1 ;. Aussi Bonaventure a-t-il, de la façon la plus explicite, marqué son refus d’une philosophie séparée, d’une efficacité de la raison au regard des vérités spirituelles : ce fut là son motif d’opposition au « naturalisme d’Albert » et de Thomas d’Aquin. Cela n’empêche pas que la philosophie ne soit le premier pas vers la sagesse. Le désir de la sagesse qui la suscite ne pourra être satisfait que par la grâce et la foi, mais l’homme ne doit pas pour cela manquer d’y répondre et d’aller, dans sa recherche, aussi loin qu’il lui sera possible.

Dans l’ordre de la grâce et de la sagesse chrétienne, le mouvement vers la possession parfaite de la sagesse, c’est-à-dire vers l’union parfaite avec Dieu et vers la paix, est marqué par trois étapes ou degrés : le degré des vertus, où la foi nous ouvre les yeux pour nous faire retrouver Dieu en tout, le degré des dons et enfin celui des béatitudes. Or, les actes des vertus, des dons et des béatitudes sont respectivement définis par : Credere, intelliyere crédita, videre intellecta. Brevil., part. V, c. iv, t. v, p. 256 ; Sermo IV de rébus Iheol., n. 1 et 15, t. v, p. 567 et 571 ; In III™ Sent., dist. XXXIV, p. 1, a. 1, q. i, t. iii, p. 737. Il y a donc, sur la base de la foi et tendant à un état d’union et de connaissance parfaites, une activité ù’intelligere qui relève de l’illumination des dons, plus spécialement des dons de science et d’intelligence.

Cette intelligence des mystères, objet de la théologie, est donc pour Bonaventure une étape intermédiaire entre le simple assentiment de la foi et la vision. Elle s’applique à l’objet de la foi, mais en y ajoutant quelque chose ; elle concerne, en effet, le credibile prout transit in rationem intelligibilis per addilionem rationis. Sent., proœm., q. i, sol., t. i, p. 7 ; ad 5um et 6um, p. 8 ; cf. Brevil., part. I, c. i, t. v, p. 210. Aussi cette intelligence des mystères, fruit du don d’intelligence et, subsidiairement, du don de science, suit-elle un mode rationnel, cognitio collativa. Sermo IV de rébus theol., n. 1, t. v, p. 568 ; modus ratiocinativus sive inquisilivus, In Sent., proœm., q. ii, sol., t. i, p. Il ; per discursum et inquisilionem, In III am Sent., dist. XXXIV, p. 1, a. 2, q. iii, t. iii, p. 751.

Bonaventure dit du don d’intelligence que multis laboribus habetur, In Hexæm., coll. iii, n. 1, t. v, p. 343 ; il affirme qu’on s’y dispose et que la nature et l’expérience y collaborent avec l’illumination divine. De donis Spir. Sancti, coll. viii, n. 1 sq. et 12 sq., t. v, p. 493 sq. Mais, si la nature y collabore, son développement ne s’opère cependant pas selon les lois des autres sciences, Brevil., prol., t. v, p. 201 ; c’est une science qui est le fruit, en nous, d’une illumination surnaturelle : Theoloqia, ianquam scienlia supra [idem fundata et per Spiritum Sanclum revelata… ibid., et § 3, p. 205 ; scientia philosophica et theologica est donum Dei, De donis Spir. Sancti, coll. iv, n. 4, t. v, p. 474 (à propos du don de science). La théologie, pour saint Bonaventure, est un don de Dieu : un don de lumière, certes, descendant du Père des lumières, mais non un don purement intellectuel : elle suppose non la foi nue, mais la foi vive, la prière, l’exercice des vertus, la tendance à une union de charité avec Dieu.

Nous touchons là à un point essentiel, où la théologie de Bonaventure et celle de Thomas d’Aquin se distinguent nettement. Pour celui-ci, la théologie est le rayonnement, dans la raison humaine comme telle, des convictions de la foi et la construction de ces convictions par la raison du croyant, selon le mode qui est connaturel à cette raison. Elle se fait, comme

toute chose, sous la motion de Dieu et elle a pour racine la foi surnaturelle : mais, par elle-même, elle est une activité de la raison. La sagesse qu’est la théologie se distingue du don infus de sagesse, lequel fonde une connaissance de mode expérimental et affectif ; elle est une sages’c intellectuelle, acquise par l’effort, qui s’attache à comprendre et à reconstruire intellectuellement l’ordre des œuvres et des mystères de Dieu, en les rattachant au mystère de Dieu lui-même.

Pour Bonaventure, la matière de cette sagesse peut bien être la même ; le sens du mouvement est différent. La théologie comporte bien aussi une synthèse dynamique de la foi et de la raison ; mais plutôt qu’une expression de la foi dans la raison, de la lumière révélée dans l’intellect humain, elle est une réintégration progressive de l’homme intelligent et de tout l’univers connu de lui dans l’unité de Dieu, par amour et pour l’amour. Elle est une réalisation, plus parfaite que celles qui précèdent, moins parfaite que celle à laquelle l’âme aspire encore, de la lumière et de la grâce de Dieu. Sans éliminer l’activité et l’effort de l’homme, elle s’identifie aux dons infus du Saint-Esprit. Il ne s’agit plus tant de reconstruire par l’esprit l’ordre de la sagesse de Dieu, que de reconnaître cet ordre, afin de s’en servir pour monter à Dieu et, plutôt que de le connaître, de ie réa’.iser en soi. Cf. plus particulièrement Itiner., e. iii, n. 3 et 7, t. v, p. 304-306 ; c. iv, n. 4 et 8, p. 307 et 308 ; c. vii, n. 6, p. 313.

Dès lors, on peut s’attendre à ce que la connaissance des créatures qui entre dans la constitution de la théologie ne soit pas considérée et requise de la même manière chez Bonaventure et chez Thomas d’Aquin. Pour celui-ci, c’est la connaissance scientifique et philosophique des lois et de la nature des choses, à base d’expérience sensible, qui entre dans la construction objective elle-même de la théologie. Pour Bonaventure, notre connaissance de Dieu n’est pa^ dépendante, en sa source, de la connaissance des créatures par les sens ; elle n’a besoin de celle-ci que pour s’étoffer et, pour ainsi dire, se nourrir, en demandant aux créatures simplement une occasion de lui rappeler Dieu et un moyen d’en mieux réaliser la révélation intime. C’est pourquoi, bien que la théologie se constitue grâce aux deux dons de science et d’intelligence, cependant elle réside principalement dans l’usage du don d’intelligence, qui regarde vers le haut, et moins dans l’usage du don de science, qui regarde les créatures sensibles. Le domaine propre de la théologie n’est pas l’intelligence des choses spirituelles qu’on peut avoir par la connaissance des choses sensibles qui en sont les symboles ou par celle de la nature des choses, objet de la philosophie, à quoi est ordonné le don de science, In III™ Sent., dist. XXXV, a. 1, q. iii, ad l um, t. iii, p. 778 ; son domaine propre est l’intelligence des choses de Dieu qu’on peut avoir par un bon usage des intelligibles, à quoi est ordonné le don d’intelligence.

Aussi, pour Bonaventure, l’usage de la philosophie reste, pour le fond, extrinsèque à la constitution des objets révélés en objets d’intelligence, qui est l’œuvre de la théologie. Nous retrouvons ici ce que nous avons déjà touché plus haut à propos de l’augustinisme : une manière de considérer les créatures dont le Docteur séraphique a fait la théorie dans le De reductione artium ad theologiam, qu’il a lui-même mise en œuvre dans l’Itinerarium, et qui consiste à exciter en nous la. onnaissance spirituelle de Dieu en prenant occasion et matière de tout ce que les créatures nous offrent comme image et miroir de lui. Certes, les sciences profanes serviront à la théologie, mais celle-ci en fera une utilisation, en somme, assez extrinsèque ; elle ne reçoit, au fond, que de son donné propre et le livre des créatures ne lui apprend rien. Ce n’est pas la connaissance des 397 THÉOLOGIE. DÉBATS D’ÉCOLE 398

natures qui lui fait comprendre quelque chose aux mystères de Dieu, mais bien plutôt l’Écriture inspirée qui lui révèle la vraie valeur symbolique des créatures à l’égard de Dieu. In Hexæmcron, coll. xiii, n. 12, t. v, p. 390 ; Brevil., part. II, c.xii, t. v, p. 230. Seulement, la théologie doit lire le livre de la création, pour en réaliser la finalité, pour tout ramener à Dieu de ce qu’il a répandu de lumière jusqu’aux extrêmes franges du vêtement de la création : Sic Scriptura sacra, per Spiritum Sanctum data, assumit librumcreatura ?, referendo in finem. Brevil., proœm., § 4, t. v, p. 206.

Comme pour saint Thomas, on pourrait retrouver la notion de théologie de saint Bonaventure dans ses disciples : Matthieu d’Aquasparta, Jean Pecham, Roger Mars ton ; ultérieurement, sans qu’il soit disciple immédiat et en lui reconnaissant son originalité propre, dans Raymond Lulle. Matthieu d’Aquasparta suit saint Bonaventure de très près et, au delà de lui, saint Augustin, saint Anselme, les Viclorins. Si Matthieu représente, de saint Bonaventure, le côté le. plus positif, Pecham représente surtout le côté de réaction augustiniste contre le naturalisme philosophique de saint Thomas et de ses disciples dominicains. C’est lui qui, en 1280, inculpait Richard Clapwell d’hérésie pour différentes thèses dont la onzième (au moins dans la rédaction primitive, le texte définitif n’ayant que huit thèses) est : Se non teneri in his quæ sunt fidei, alicujus auctoritale, Auguslini vel Gregorii seu papæ, mit cuiuscumque mayistri, excepta auctoritate canonis Biblite vel necessaria ratione, subjicere sensum suum. Revue thomiste, 1927, p. 279.

M.-O. Blerbaum, 7.ur Methodik der Théologie des hl. Bonavenlura, dans Der Kalholik, iv « sér., t. xl, 1009, p, 31-52 ; Ii. Longpré, La théologie mystique de S. Bonaventure, dans Arcli. francise. hlsl., t. xiv, 1921, p. 36-108 ; B. Trimolé, Dcutttng und Bedenlung der Schrifl « De reductione artium ad theologiwn des ht. Bonavenlura, dans Franzisk. Studien, t. VIII, 1921, p. 172-18 !) ; autre étude du même auteur et de même titre dans Fûnfle Lektorenkon/erenz d. deulschen Franziskaner f. Philos, u. Theol., Sigmaringen-Gorhcim, 1930, p. 98-121 ; II. Guardini, Dos argumentum ex pietate beim hl. Bonavenlura und Anselmus Dczenz beweis, dans Théologie und Glaube, t. xiv, 1022, p. 156-165 ; B. Rosenmôllcr, Heligiôse Erkenntnls nach Bonavenlura, dans Beilrdge…, t. w. 3-4, Munster, r.12."> ; É. Gilson, La philosophie de s. Bonaventure, Paris, 1921 ;.J.-M. Bissen, L’exemplarlsme divin selon S. Bonaventure, Paris, 1929 ;.l.-l’ï. Bonne/oy, Le Suint Espritetscs dons selon S. Bonaventure, Paris, 1929 ;

D. Seruph. s. Bonaventuræ Prolegomena ad Bacram theologiam, ex operibus ejus collecta, éd. Th. Soiron, Bonn, 1932 ; Th. Soiron, l’om Gcisle der Théologie Bonaoenturas, dans Wlssmsehalt und Wetsheit, 1. 1, 1931, p. 28-38 ; < ;. Sohngen, Bonavenlura als Klassikcr der analogia fidei, Ibld., t. ii, 1935, |>. 97-111 ; Th. Soiron, lleilige Théologie. Grundsdlzliche Darlegungen, Katisbonne, 1935 ; F. Tinivelln, £)e impnsgibili sapientim adeptione in phllosophia pagana juxta CoUailoneë m llexæmeron S. Bonavenlura, dans Antonianum, t. xi, 1930. p. 27-50, 135-186, 277-318 ; P. Lansberg, Li philosophie d’une expérience mystique. L’Binerarinm, dans La Vie sptril., mai 1937, suppl., p. 71-8Ô ; E. Sauer, In-rtllglôse Wertung der Welt in Bonaoenturas Binerarium

mentit ad Deum, Weri-in-W., 1937 ; E. Longpré, art. Bonavenlorr dans le Dicl. de spiritualité, t. I, Paris, 1937, col. 1768 sq.

Poui les de saint Bonaventure, cf. Matthml ab

Aquasparta Quæsllonet disputâtes seleeler, t. i, {). de fid » et

togitilione, Uuuracchl, 1903 ; M. Grabmann, Die phlloso-’und theologische Erkenntnislehre des Knrdinals

Matthieu » oh Aquusparta. Un Beilrag zur Geschlchlt des

n Augustinlsmui und ArUtotellsmui un

inittelaltcrlichen Denken, Vienne, 1900 ; 1 r. Hogeri Mars ton

Qumtttones dispututie, éd. Quaracchi, 1932 ; Pr, Pelster,

i Mamlon, (). I. t., eln engllschtr Vertrtler des Augus tlnlsmus, « luis Scholiatik, t. iii, 1928, p, 526-556 ; Pr. Ehrie,

John i’echiun ttber den Kiunpf des Augusltnlsmus und du

.tri ( leliimut in der ; a><ilin Utlifle des I. ?. JahrhundcrU,

eh. I. A-.li/VI. Theol., t. Mil, 1889, p. 172 sq. ;

A. Calhli.iut, Jean l’echam, O. 1. M., il l’guguâtlillsme,

Aperçus historiques (1263-1285), dans Archiv. francise, hist., t. xviii, 1925, p. 441-472 ; T. Carreras-Artau, Fondanicnts metaftsics de la Filosofta lulliana, dans Miscellània Lulliana, Barcelone, 1935, p. 446-466 ; M. Flori, Las relacioncs entre la L’ilosofta y la teologta y conceplo de Filosofta cristiana en el « Arle magna >del B. R. Lullo, dans Razôn y Fe, t. evi, 1934, p. 289-296, 450-468 ; t. cvii, 1935, p. 171-177.

III. POSITIONS ET DÉBATS D’ÉCOLE. —

Il serait vain de consacrer à la méthodologie théologique de chaque théologien du xiiie siècle et du début du xiv c, une sorte de monographie, si brève soit-elle. Aussi, avant d’aborder le monde en partie nouveau inauguré par Scot et les nominalistes, voulons-nous grouper ici quelques renseignements sur les points les plus disputés de la notion de théologie. Nous suivrons l’ordre des quatre causes, comme les scolastiques eux-mêmes aimaient à le faire.

La cause efficiente, qui est le Saint-Esprit lorsqu’il s’agit de l’Écriture, et, pour chaque ouvrage, celui qui l’a écrit, ne pose pas de question particulière, ainsi que le remarquent eux-mêmes Hervé Nédellec et Alphonse Vargas.

La cause formelle et le mode propre, c’est-à-dire le statut interne de la théologie, de quoi dépend sa spécification. Le débat, au xiiie siècle, s’institue sur cette question : la théologie est-elle une science ? Saint Thomas peut donner à cette question une réponse allirmative. Non qu’il soit pour cela nécessaire que la théologie démontre, à partir de la foi, des conclusions objectivement nouvelles, mais en ce sens qu’elle s’applique à une construction, de mode rationnel et scientifique, de tout ce qui tombe sous la lumière de la Révélation (revelabile). Ainsi la théologie vérifiet-elle la qualité d’un habitus scientifique acquis, étant bien entendu qu’elle rentre dans la catégorie, prévue et définie par Aristote, des sciences suballernées.

Maints débats eurent lieu sur la question de savoir si la théologie était vraiment une science au sens aristotélicien. Non, disaient un grand nombre, puisqu’elle n’apporte aucune évidence. À quoi les paitisans de la théologie-science répondaient : la théologie n’apporte aucune évidence sur les mystères dont elle parle, mais, la foi étant supposée, elle apporte l’évidence formelle du rattachement de ses conclusions à leurs principes : Non est scienlia consequentium, sed est scientia consequentiarum. Cette distinction a rencontré de fortes objections de (iodefroid de Fontaines, Quodl., IX, q. xx, éd. J. Hofîmans, Couvain. 1928, p. 282 sq. ; Gérard de Sienne, Thomas de Strasbourg. François de Mayronis, Alphonse Vargas, etc. Cf. E. Krebs, Théologie und Wissenschaft., ., Munster, 1912, p. 32* sq. ; J. KUrzinger, Alfonsus Vargas Toletanus…, Munster, .. ici sq.

De telles discussions n’étaient pas sans attirer l’attention sur les conclusions théologiques. De fait, chez lis auteurs du début du xie siècle, la notion ei l’expression de conclusion théologique prennent un relief qui est nouveau : on les rcncontie dés lors fréquemment : ainsi chez Jacques de l hérines, Quodl, , I. q. wii, Jean de Basoliis, disciple immédiat (et indépendant ) de Scot, Pierre Auriol, Hervé Nédellec, enfin Alphonse Vargas († 1366) ; cf. E. Krebs, op. cit., p. 29*-30* (Jean de Basoliis), p. 31* (Auriol). p ! 30* et 47* (Hervé) ; Kiirzingcr. op. cit., p. 130 et 139 (Vargas), p. ici (Jean de Basoliis), etc.

Au total, la plupart des maîtres donnent à la théologie le titre de science, mais entendent par là des chocs assez diverses, l’eu lui dénient purement et simplement la qualité de seienec : ce sera le cas il’|phonse Vargas, augustlnlen assez Influencé, semhlet il. par Durand de Saint Pourçain. I B majorité tient que la théo.’i I clence, oit en un.soit en un lem propre mais d’une manière Imparfaite,

Il est clair qu’à mon : - de faire de la théologie une dialectique purement forme le et d’aller jusqu’à admettre, comme on le fera plus tard, qu’il peut y avoir théologie sans la foi, ou ne pouvait soutenir sa qualité de science qu’en marquant fortement sa jonction à la science de Dieu et des bienheureux, c’est-à-dire en affirmant son caractère de science subalternée. Plus tard. Cajétan soulignera cette exigence de continuatio moyennant quoi la science des théologiens ne se réduit pas à scire illationcs tantum : Coin, in 7° iii, q. i, a. 2, n. 12 ; cf. Bafiez, Coin, in / iiii, q. i, a. 2, éd. de 1934, p. 20 ; Jean de Saint-Thomas, etc. Cette qualité de science subalternée, attaquée par Uuns Scot, Op. Oxon., . III, dist. XX IV, q. unie, n. 2-4, est critiquée par beaucoup de théologiens du début du xive siècle et n’est admise par eux que dans un sens large et impropre.

Parmi les docteurs de la fin du xiiie siècle, Henri de Gand demeure assez isolé dans sa position quant à la cause formelle de la théologie et plus précisément quant à sa lumière. Elle consiste à admettre, entre la foi et la vision, une lumière intermédiaire spéciale, infusée par Dieu, illustratio specialis, lumen supernaturale, qui serait la réalité propre de la science théologique.

Cause matérielle.

C’est la question, maintes fois

agitée et sur laquelle tout théologien devait bien prendre parti, du sujet de la théologie, c’est-à-dire : de qui ou de quoi parle-t-on en théologie ? La question est posée en réféience aux classifications d’Aristote, Anal. Post., t. I, c. vu et x. Nous ne pouvons ici que classer les opinions d’une manière documentaire. On peut, semble-t-il, en dénombrer sept, que nous énumérerons sans souci de classement selon la chronologie ou selon la valeur :

1. Christus tolus ou Christus inleger.

Position attribuée à Cassiodore, In Psalmos, prsef., c. iii, P. L., t. lxx, col. 15, et qui eût pu se réclamer aussi de saint Augustin. Elle est partagée par Robert de Melun, Sententiæ, t. I, part. I, c. vin (Cod. Brug*n. 191, fol. 11°, cité par Mersch, art. cité infra, p. 137) ; Roland de Crémone (cf. E. Filthaut, Roland von Cremona, O. P., und die Anfdnge der Scholastik im Predigerorden, Vechta, 1936, p. 122) ; Kihvardby, De natura theologiæ, éd. Stegmùller, p. 13 sq. ; Odon Rigaud, dans ses Quæstiones theol., q. iii, cité dans Archiv. francise, hist., 1936 ; Guillaume de Méliton, Qusest. theol., q. iv, n. 1 ; Robert Grossetète, Hexæmeron, in princ, texte édité par J.-G. Phelan, An unedited lext of Robert Grosseteste on the subject-matter of theology, dans Revue néoscol. de philos., t. xxxvi, 1934, p. 172-179 ; plus tard enfin, par Gabriel Biel et Pierre d’Ailly. Cf. E. Mersch, L’objet de la théologie et le « Christus totus », dans Rech. de science relig., t. xxvi, 1936, p. 129-157.

2. Res et signa.

C’est la division techniquement augustinienne, Augustin, De doctr. christ., t. I, c. ii, n. 2, P. L., t. xxxiv, col. 19, reprise par Pierre Lombard.

3. Opéra conditionis et reparationis.

C’est la division d’Hugues de Saint-Victor, de Pierre le Mangeur, de ceux qui dépendent de l’un et de l’autre. Hugues, De sacram. christ, fidei, prol., c. ii, P. L., t. clxxvi, col. 183 ; De Scripturis, c. ii, P. L., t. clxxv, col. Il ; Excerp. prior., t. II, c. i, P. L., t. clxxvii, col. 203.

4. Deus inquantum est oc et a, principium et finis. — Opinion d’Albert le Grand, In I" m Sent., dist. I, a. 2, et de son disciple Ulrich de Strasbourg, Summa de bono, I, tract, ii, c. ii, éd. Daguillon, p. 33. Albert semble bien, dans sa Summa theol., tr. I, q. iii, memb.2, critiquer la position de saint Thomas sur l’unité de la théologie prise dans le revelabile.

5. Deus ; omnia sub ralione Dei. — C’est la position vigoureuse et simple de saint Thomas, Suin. theol., 1°, q. i, a. 7. Elle a été aussi, fin du xiiie et début du

xiv c siècle, celle de Duns Scot, Opus Oxon., prol., q. m late’., n. 4 ; Report. Paris., q. ii, n. 4, et de son disciple Jean de Basoîiis, de Hervé Nédellec, Henri de Gand et Godefroid de fontaines, etc. Cf. Krebs, op. cit.

6. Une position que l’on pourrait appeler synthétique et qui, malgré leur indéniable tendance christologique, est celle d’Alexandre de H aies, saint Bonaventure, Odon Rigaud et Pecham. Alexandre, Sum. theol., t. I, trac, intr., q. i, c. iii, accueille à la fois les opéra reparationis, Christus et aussi Deus sive divina substantia ; il se résume lui-même, en fin de question, p. 13 : Doctrina theologia-est de. substantia Dei efficiente per Christum opus reparationis humonæ. Bonaventure propose une vue synthétique encore plus complète, distinguant Je sujet auquel tout se réfère ut ad principium, et c’est Dieu ; celui auquel tout se réfère ut ad totum integrum, et c’est le Christ total ; celui enfin auquel tout se réfère ut ad tohim universale, et c’e t res et signa, ou credibile prout transit in rationem intelligibilis per additionem rationis. In l um Sent., prorem., q. i, t. i, p. 7 ; Brevil., prol., § 4, t. v, p. 205.

7. Enfin, nous aurons la réponse d’Olieu, qui représente une autre manière de mettre tout le monde d’accord, en disant qu’il n’y a pas lieu de rechercher une unité de sujet dans une matière sublime, transcendens omnem materiam et genus ; cf. Krebs, p. 56*-57*.

4° La cause finale peut être abordée de deux points de vue, ainsi que le fait, par exemple, Hervé Nédellec. Du point de vue de la nécessité d’une science surnaturelle et, à cet égard, comme le dit le même Hervé (Krebs, p. 84*), il n’y a pas de difficulté. Du point de vue de la finalité de cette science, et c’est la question, fort discutée, du caractèie spéculatif ou pratique de la théologie. Il est très notable, que, sous des positions systématiques diverses et dont la diversité n’est certes pas superficielle, nos théologiens obéissent tous au sentiment du caractère original de la théologie, qui ne peut rentrer univoquement dans les catégories d’Aristote. Rares sont ceux qui acceptent de dire purement et simplement que la théologie est une science pratique, ainsi Odon Rigaud, Guillaume de Méliton, Auriol, Scot enfin, mais en élargissant la notion aristotélicienne de science pratique par l’idée de praxis circa finem.

Le plus grand nombre des théologiens médiévaux voient dans la théologie une science d’un genre spécial, à la fois spéculative et pratique, ordonnée principalement à nous unir à notre fin, et qu’ils appellent affective. Albert le Grand a, mieux que tous, formulé cette qualité originale de la théologie : Ista scientia proprie est affectiva id est veritatis quæ non sequestratur a ralione boni, et ideo perficit et intelleclum et affectum. In 7um Sent, , dist. I, a. 4, éd. Borgnet, t. xxv, p. 18.

Saint Thomas fut presque seul, au xiir » siècle, à affirmer le caractère principalement spéculatif de la théologie, tout en soulignant que, au titre de sagesse communiquée de la science de Dieu, elle comprenait à la fois et dépassait le pratique et le spéculatif. Sum. theol., I », q. i, a. 4 et 6. Mais le plus grand nombre des théologiens dominicains de la fin du xiiie siècle et du début du xiv furent fidèles à la position du Docteur commun.

Sur la question : « spéculative ou pratique ?, cf. E. Krebs, op. cit., p. 85* sq. ; M.Grabmann, De qua’stione : « L’irum theologia sit scientia speeulatiua seu practica’aB. Alberto Magno et S. Thoma Aq. pertractata, dans Alberto Magno. Alti delta Selliwana albertina, Rome, 1932, p. 107-126 (textes de saint Thomas, Albert, Ulrich de Strasbourg, Bombolognus, Jean Quidort, Gilles de Rome, Thomas de Strasbourg, Prosper de Reggio) ; L. Amorôs, La teologia como cieticia prâctica en la escuelo franciseanu en los tiempos que preceden a Escoto, dans Archives d’hist. doctr. et liltér. du Moyen Age, t. ix, 1934, p. 261-3(13 (textes d’Alexandre de Halès, Bonaventure, Gauthier de Bruges, Richard de Mediavilla,

Roger Marston, Gonzalve de Balboa ou Valbonne ; textes inédits d’Odon Rigaud, Jean Pecham, Matthieu d’Aquasparta, Pierre de Trabibus, Guillaume de Ware) ; R. Gagnebet, La nature de la théologie spéculative, dans Revue thomiste, 1938, p. 1-39, 213-255.

Sur l’ensemble des débats concernant la théologie que nous venons d’évoquer : E. Krebs, Théologie und Wissenschaft nach der Lehre derllochscholastik an der Handderbis-’her ungedruckten Defensa duclrinæ S. Thomæ, dans Beitràge, t. XI, fasc. 3-4, Munster, 1912 ; A. Bielmeier, Die Stellungnahme des Jlervieus A’atalis.O. P. († 13231, in der Frage nach dem Wissenschajtscharakter der Théologie, dans Divus Thomas, Fribourg, 1925, p. 399-414 ; R. Egenter, Vcrnunfl und Glaubenswalirheil im Aufbau der theologischen Wissenschaft nach Aegidius Homanus, dans Philosophia perennis, Festgabe Geyer, t. i, p. 195-208 ; J. Kïuzinger, Alfonsus Vargas Toletanus und seine theologische Einleitungslehrc. Ein Beitrag zur Geschichle der Scholastik im li.Jahrhundcrl, dans Beitràge, t. xxii, fasc. 5-6, Munster, 1930 ; B. Pergamo, De quæslionibus ineditis Fr.Odonis Rigaldi, Fr. Guglielmi de Melitona et Cod. Vat. lat. 782 circa naturam theologiæ deque earum relatione ad Sunimam theol. Fr. Alexandri Halensis, dans Archiu. francise, hist., t. xxix, 1936, p. 3-54, 308-364.

IV. LE XIVe SIÈCLE. LA CRITIQUE THÉOLOOIQVE. —

Duns Scot.

Scot a exposé sa notion de théologie

le plus expressément dans VOpu.i Oxoniense (avant 1302), prol. et t. III, dist. XXIV, éd. Vives, t. viii, p. 8-293, t. xv, p. 32-53, et dans les Reporlata Parisiensia, prol., t. xxii, p. 6-53.

La position de Scot est originale par l’accent qu’elle met sur une critique de notre connaissance naturelle et surnaturelle de Dieu, des conditions et des limites de cette connaissance. Cette critique semble inspirée par la réaction contre le « naturalisme » philosophique albertino-thomiste et contre le naturalisme absolu des « artiens » d’inspiration averroïste. De ce côté, Scot continue la ligne de Bonaventure, Matthieu d’Aquasparta et Jean Pecham et reprend la direction qui venait de s’affirmer dans les condamnations de 1270 et 1277. D’autre part, Scot esquisse une réaction de défense contre le noininalisme naissant : d’où, chez lui, le souci de déterminer le domaine des certitudes métaphysiques, ce qu’il ne peut faire qu’en rentrant lui-même, fût-ce avec une intention résolument réaliste, dans le courant critique qui va miner la théologie.

Très tôt, l’école franciscaine a senti et affirmé la différence radicale entre le Dieu des philosophes et celui des chrétiens. Ce sentiment s’est exprimé dans un choix, non seulement en faveur d’Augustin contre Aristote et la philosophie, mais dans le choix, parmi les commentateurs d’Aristote, d’Avicenne contre Averroès. Ceci est vrai en particulier dans la question de l’objet de l’intelligence et de l’objet de la métaphygique. Il est remarquable que déjà Odon Rigaud, vers 1245, ait indiqué que peut-être l’objet, subjectum, de la métaphysique n’était pas Dieu, mais l’être ; cf. Archiv. francise, hist., 1936, p. 27-28. Scot reprend cette-idée : la métaphysique a pour objet l’être déterminé par les catégories et dénommé par les transi en dentaux. Aussi elle ne porte pas directement sur Dieu qu’elle n’atteint que confuse, dans son idée généiale d’être, et, lorsqu’elle veut poser des affirmations sur Dieu, elle ne peut que constater son Impuissance. < f. Op. Oxon., prol.. (|. i, n. 17, t. viii, p, 86 ; q. m et (|. iv lat., n. 29, p. 189 Rep. Paris., prol., q. iii, a. I, t. xxii, p. 17, et n. 15, p. 52 ; Theoremata, xiv, l, t. v,

Seule la théologie parle directement « le Dieu. Rncore faut il distinguer Ce dont il s’agit Ici, « ’est de connaître Dieu en lui-même, dur. on Individualité propre, connaître Dieu non plus confuse, mais ut hic. On, une telle connaissance ne peut être en toute vérité le

fait que d’une intuition de l’cssenci divine. Dieu seul, dont l’essence correspond à l’Intellect, a par nature cette Intuition. Ainsi, a considérer ce qu’on peut

appeler la théologie en soi. doit-on dire que Dieu seul est théologien. Op. Oxon., prol., q. n later., n. 4 et 23, t. viii, p. 122 et 175 ; Rep. Paris., prol., q. i, n. 40, t. xxii, p. 28. Mais nous pouvons, par révélation, en atteindre l’objet, Dcus ui hic, non pas intuitivement, mais à travers l’idée â’ens infmitum, qui est l’idée la plus haute que nous puissions nous former de Dieu. Tel est le statut de notre théologie. Op. Oxon., prol., q. n later., n. 1 et 12, t. viii, p. 123 et 150 sq. N’atteignant Deus ut hic, et donc n’étant théologie que par révélation, elle sera nécessairement positive et scripturaire, et ne pourra poser d’affirmation valide sur Dieu que de ce qui nous est livré, ex vohmlale Dei revelantis (notion ù’objectum voluntarium). Op. Oxon., prol., q. ii, n. 24, t. viii, p. 179. Scot accentue fortement le caractère singulier de tout ce qui concerne Dieu lui-même, essentia ut h&c, sur quoi la métaphysique, qui ne sait rien de cet être singulier et de son vouloir particulier, ne peut nous renseigner. Mieux, l’Écriture et la Tradition qui la complète ne nous étant données que dans et par l’Église, notre théologie sera nécessairement ecclésiastique, dépendante de l’Église.

Mais, bien que Scot ait reçu la marque du milieu plus positif d’Oxford et qu’il développe la critique théologique, nous n’en sommes pas avec lui au fidéisme qui sera la conséquence de cette même critique et surtout du noininalisme. Impuissante à fonder une science portant sur Dieu, lorsqu’elle est livrée à ses seules forces, la raison redevient, dans l’utilisation qu’en fait le théologien, une efficace pourvoyeuse de rationes necessariæ. Ce n’est pas que Scot pense qu’on puisse démontrer d’une façon évidente, même par la raison fortifiée par la foi, les vérités de la foi. Il faut en effet distinguer : on peut très bien proposer des rationes necessariæ qui cependant n’apportent pas l’évidence de la nécessité sur laquelle elles se fondent : Ad auctoritates Richardi et Anselmi dicendum, quod adducunt ipsi, sicut et cœteri doctores, rationes necessarias, sed non evidenter necessarias ; non enim onuie necessarium est evidenter necessarium. Rep. Paris., prol., q. H, n. 18, t. xxii, p. 43. Il ne peut y avoir, dans notre théologie, aucune démonstration par une raison nécessaire évidente, car une telle démonstration doit se faire ex aliquibus necessariis per se noiis médiate vel immédiate. Dès lors, ce que nous pouvons, c’est atteindre autant que possible la substance des raisons nécessaires, tendre le plus possible du moins probable au plus probable et au presqu’évident, mais sans jamais atteindre à l’évidence : Dieu seul est pleinement théologien. Il semble que, dans les meilleurs cas, de telles raisons puissent, aboutir normalement, selon Scot, à montrer la possibilité, non pas le fait du mystère, mais sa possibilité ; cf. liep. Paris., I. II, dist. I.q.iv, n. 18, t. xxii, p. 517 et Op. Oxon., I. II, dist. I, q. iii, n. 10, t. xi, p. 70.

Ce manque d’évidence dans les arguments de la théologie empêche radicalement celle-ci, selon Scot, d’être une science, du moins dans le sens propre du mot. Op. Oxon., prol., q. III et iv later., n. 26, t. viii, p. 1 s : -t ; I. III, dist. XXIV, q. unie, n. 13. On ne. peut sauver la qualité scientifique de notre théologie par l’idée <i science subalternée, dont il n’est pas sûr, à vrai duc. ipie Seul fasse une critique efficace. Op. Oxon., prol., q. m et IV later., n. Il sq.. t. viii, p. 102 sq. ; Rep. Paris., prol.. q, ii, n. 1 sq.. et I. III, dist. W1Y. (|. unie, n. 3 sq., t. xxii. p. 35 et t. xxiii. p. 117 sq.

Ainsi la théologie n’est-elle pas science, du moins au sens propre et rigoureux du mot. Mais, si Dieu n’est vraiment tclbiltt que par lui-même, dans la vision Intuitive de son essence singulière. Il est operabtlis, altingibllis par nous dès cette vie ; Nos (par opposition .m Philo ophe) autem ponimus cognoscibile operabtle, i attingibile per operationem, quet est vert praxis,

in se esse maxime cognoscibile… Op. Oxon., prol., q. iv, n. 42, t. viii, p. 28(>. Le chrétien sait que l’amour est la fin de tout, que Dieu lui-même ne se connaît que pour s’aimer et que notre théologie, soit celle qui a pour objet les mystères nécessaires de Dieu, soit celle qui a pour objet les vouloirs contingents de Dieu, est une science pratique. Cf. Op. Oxon., prol., q. iv, tout entière, à partir riu n. 31, t. viii, p. 259 sq. ; q. i, n. 8, p. 15, la pensée de Scot lui-même.

Telle est en bref la notion scotiste de la théologie. Si nous la comparons à celle de saint Thomas, nous pourrons remarquer ceci. Chez saint Thomas, la connaissance des choses est conçue de telle manière (analogie) que les notions, purifiées et dégagées de leur mode, peuvent être appliquées validement aux choses de Dieu ; il y a à la fois parfaite distinction entre la philosophie et la théologie et une certaine continuité entre notre connaissance du monde et notre connaissance, même surnaturelle, de Dieu. Chez Scot, la métaphysique a pour objet l’être des catégories et ne peut porter d’affirmation valable sur la iéalité singulière rie Dieu ; certes, le théologien rend à la philosophie la possibilité de fournir des preuves, mais c’est en la transportant dans un ordre nouveau : il y a discontinuité.

Par un autre côté, la théologie scotiste se présentera comme beaucoup plus systématique et dialectique que la théologie de saint Thomas. La continuelle critique des arguments et l’intervention de perpétuelles disjonctions entre l’ordre en soi et l’orrire de fait, de perpétuels renversements de positions, donnent à la théologie rie Scot une allure extrêmement philosophique et dialectique. On est frappé, quand on lit Scot, de voir combien le vocabulaire de la théologie courante, de la théologie « scolastique » actuelle, par les commentateurs des différentes écoles, remonte à lui. l’eut-être faudrait-il, d’ailleurs, en plus d’un cas, remonter au de la de lui, à Henri de Gand par exemple. On est frappé aussi de voir combien le point de vue critique de Scot introduit sans cesse dans un « donné » qu’on prenait, avant lui, beaucoup plus « tel quel », une interprétation systématique ; cette théologie, qui se veut au maximum positive et scripturaire, donne de prime abord l’impression d’être construite au maximum, par une dialectique « subtile », à partir de quelques principes d’ordre systématique.

Il n’y a pas encore d’étude satisfaisante sur la conception scotiste du travail théologique. R. Seebeig, Die Théologie des Johanncs Duns Scotus, Leipzig, 1900, p. 1 13-129 ; P. Minges. Dos Verhiiltnis zwischen Glauben und Wissen, Théologie und Philosophie nach Duns Scotus, Padeiborn, 1908 ; Déodat de Basly, Scotus docens, Paris et Le Havre, 1934, p. 111-136 ; M. Millier, Thcvloge und Théologie nach Duns Scotus, dans Wissenscha/t und Weisheit, t. i, 1934, p. 39-51 ; A. Dietershagen, Kiirhe und theoloyisches Denken nach Duns Skotus, ibitl., p. 2/3-286 ; TU. Soiron, Die theologische Intention des Duns Scotus, dans Sechste u. siebte Leklorenkonferenz d. deutschen Pranziskaner I. Pliilos. u. T licol., Sigmaringen-Gorlieim, 1931, p. 71-79 ; M. Millier, Die l’heologie als Weisheit nach Scotus, ibid., p. 39-52. Beaucoup plus neufs et remarquablement concoidants sont : P. Vignaux, Humanisme et théologie chez Jean Duns Scot, dans La France franciscaine, 1936, p. 209-223 ; La pensée au Moyen Age, Paris, 1938, p. 141-155 ; F.. Gilson, Les seize premiers Theoremata et la pensée de Duns Scot, dans Arch. d’hist. doclr. et litlér. du Moyen Age, t. xi, 1937-1938, p. 5-86, partiellement repris par le même, dans Mttaplajsik und Théologie nach Duns Scotus, des l’ranziskanische Studicn, 1935, p. 209-231.

Les nominalisles.

C’est une question sur laquelle

on n’est pas encore bien au clair, de savoir dans quelle mesure il faut ranger Durand de Saint-Pourçain († 1334), parmi les nominalistes. Il distingue trois habitus relatifs à l’objet de la théologie : Habilus quo solum uel principahter assentimus his quæ in sacra Scriplura traduntur et proul in ea tradunlur…, habilus

quo fides et ea qux in sacra Scriplura traduntur defenduntur et deelarantur ex quibusdam principiis nobis nolioribns… tertio accipitur theologia pro habitu eorum qnæ deducuntur ex articutis fidei, ex diclis sacrw Scriplura ; sicut conclusioncs ex principiis… In Sent., prol., q. i, éd. Paris, 1508, fol. n E-G. Dans cette partie déductive, la théologie ne peut être dite une science qu’au sens large. À la q. vii, fol. xiii C sq., Durand rejette l’idée de science subalternée. Du reste, en cette partie déductive, la théologie ne déduit que des conclusions pratiques, car les vérités spéculatives ne font l’objet que de défense et d’explication, c’est-à-dire du second habitus. Ibid., fol. v K et q. v, fol. xi en haut. A ces trois habitus correspondent trois sujets : au premier, qui s’identifie réellement avec la foi, l’aclus meritorius vet salutaris ; au second. Dieu sub ratione Salva/oris (incluant la Trinité), tandis que Dieu sub ratione absolula est le sujet de la philosophie ; au troisième enfin, pour les vérités spéculatives, Dieu sub ratione Salvalnris, pour les vérités pratiques, Vopus meritorium. Sent., prol.. q. v. fol. ix h" ; fol. x D-F et K. Après quoi l’on ne sera pas étonné que, pour Durand, la théologie au premier et au troisième sens soit purement et simplement pratique ; au second sens, spéculative. Sent., prol., q. vi, fol. xii F-G. Tout cela, évidemment, enlève à la théologie son caractère d’unité et d’homogénéité : Theologia non est una scientia, sed plures. Ibid., q. iv, fol. vin. I.

Sans nous arrêter à Pierre Auriol († 1322), voir ici t. xii, col. 1847-1849 et 1857-1858, et P. Vignaux, La pensée au Moyen Aqe, p. 158 159. considérons comme type de la pensée nominaliste Guillaume d’Occam († 1319), qui est d’ailleurs le chef de l’école.

La pensée d’Occam relativement à la théologie procède de la conjonction ou de la juxtaposition de deux choses ; sa foi religieuse d’une part, sa philosophie générale d’autre part, laquelle est essentiellement une philosophie de la connaissance et de la démonstration, qui est d’aborri une épreuve critique de notre manière d’énoncer les choses.

Occam est d’abord un croyant et, pour lui, Dieu est d’abord l’Absolu tout-puissant et souverainement libre. On a fortement souligné, ces derniers temps, la valeur religieuse de l’attitude nominaliste. Réaction contre Scot et contre les distinctions qu’il introduisait dans la connaissance et le vouloir de Dieu, la pensée d’Occam rentre aussi, comme celle de Scot lui-même, dans le courant de réaction qui a suivi la condamnation de 1277, contre le traitement philosophique des mystères. Si la philosophie d’Occam, et le rapport de cette philosophie à la foi, est dilïéiente de la philosophie de Scot, le Dieu d’Occam et des nominalistes est le même que celui de Scot (et de Durand de Saint-Pourçain ) : une toute-puissance souverainement libre, une pure libéralité créatrice. Chez Occam, la notion du Dieu souverainement puissant et libre se développe plus spécialement dans ce sens, qui a une immédiate répercussion en méthodologie théologique : Dieu peut faire tout ce qui peut être fait sans impliquer contradiction et donc il peut faire directement tout ce que peuvent faire les causes secondes, ce qui élimine toute considération valable de la nature des choses, et l’usage confiant de l’analogie tel que nous avons vu que saint Thomas l’avait conçu.

Avec cette notion de Dieu va interférer, pour définir le statut de la théologie, l’épistémologie critique et nominaliste d’Occam ; cf. les art. Nominalisme et Occam à quoi on ajoutera P. Vignaux, La pensée au Moyen Age, p. 161 sq. Le résultat en est que tout ce que nous pouvons distinguer et formuler en usant de notre raison ne dépasse pas nos concepts et nos mots et ne peut s’appliquer à la réalité divine. Celle-ci, en effet, est simple et tout ce qui lui est attribuable s’identifie

en vérité à cette réalité simple. Il ne peut s’agir, dans cette perspective, d’une théologie qui soit une tentative de reconstruire à partir de la connaissance des choses et de la Révélation, les lignes de la science de Dieu. La simplicité divine s’y oppose et la raison y est impuissante. C’est ainsi, par exemple, qu’Occam considère comme illusoire toute tentative d’entrevoir le mystère de la prédestination, dont on ne peut dire qu’une chose, c’est qu’elle est, comme la création, un acte absolument gratuit. C’est ainsi encore que la raison ne peut venir à bout de la contradiction qu’elle voit dans un énoncé tel que celui-ci : « L’Essence est le Fils, « Le Père n’est pas le Fils », et cependant « Le Père est l’Essence ». Devant ce mystère, l’esprit s’arrête soit dans la négation, soit dans la foi pure et simple.

Quel sera, dès lors, le statut de la théologie, que la tradition mettait, à la suite de saint Augustin et de saint Anselme, inler fidem et speciem, en une fides quterens inldlectum ? De la théologie entendue en ce sens, il ne reste, en somme, rien chez Occam. Pour lui, il y a bien la foi d’une part, les savoirs scientifiques ou dialectiques d’autre part ; il y a bien un certain entre-deux, qui est précisément la théologie, mais en cet entre-deux, les extrêmes restent juxtaposés, hétérogènes et extérieurs l’un à l’autre ; il ne s’opère pas cette conjonction organique et vitale qui est, précisément, aux yeux d’un thomiste, la théologie. Occam s’en exprime avec une parfaite clarté à la q. vu du Prologue (= q. m principalis). Dans le croyant, il n’y a de surnaturel que la foi et il n’existe aucun autre habitus se référant aux credibilia que la foi. Quel est donc l’habitus de théologie, et qu’acquiert donc le théologien au delà de la foi ? Deux choses : 1. une augmentation de sa foi acquise, c’est-à-dire de sa foi humaine, non infuse ni salutaire, et c’est ce qui est propre au théologien croyant ; 2. de multiples habitus scientifiques qu’il trouve dans et par l’élude de la théologie, mais qu’à vrai dire il aurait pu acquérir par l’étude directe de ces sciences, et que le théologien nou-croyant peut tout aussi bien se procurer.

Comme l’a remarqué R. Draguet, dans la Revue calhol. des idées et des faits, 7 février 1936, p. 6, les nominalistes gardent le sens de la provenance diverse et de la valeur différente des éléments qui entrent dans la construction théologique. Mais, derrière une heureuse attention donnée au révélé originel, derrière ce sentiment de l’inégale valeur des éléments qui Intègrent l’activité théologique, n’y a-t-il pas une perte du sens profond de cette activité et de son unité ? Au total, cette théorie fort logique ne revient-elle pas à juxtaposer à un croyant un pur savant, qui est surtout, d’ailleurs, un logicien ? Ne méconnaît-elle pas, au moins en partie, cette tradition augustinlenne de contemplation religieuse qui avait jusqu’alors régné en Occident et dont Vintelleclus fidei, le quo fides saluberrima niitritur avaient donné la formule ? Pour Occam, les ruliones probabiles ne sont plus la nourriture de la foi salutaire qui nous unit au Christ, mais seulement celle de l.i (Ides acquisila. Op. cit., q. vu L.

Certes, il ne faut rien exagérer. Le besoin spéculatif est, dans l’homme, imprescriptible et il s’affirme comme ailleurs i hez ( lecam et chez ses disciples, Pierre d’AUlꝟ. 1420), plus tard Gabriel Biel (+ l 195). Occam, Pierre d’Aillv et suit oui Biel veulent chercher quelque intelligence des vérités de la foi, si obscure que soit cette intelligence il si pauvres qu’en soient les moyens rationnels (probabile). On prendra une idée de cette pauvreté des moyens rationnels tenant à une critiqua de toute considération de la nature des choses, dans M. Patronnier de Gandillac, U$age ci râleur des nc/umtnts probable » clirz Pierre d’Ailly, dans Arrinres d’hist. doctr. et UUér. du Moyen Age, t. viii, 1933,

p. 43-91. Il reste vrai que, si le besoin de spéculation n’est pas dorénavant tué, les possibilités d’une spéculation théologique sont considérablement réduites ou modifiées.

De très graves conséquences vont s’ensuivre, qui se développeront jusqu’au xvie siècle.

1. Une certaine rupture entre philosophie et théologie et même entre philosophie ou connaissance rationnelle et religion. D’où disjonction entre deux ordres de choses qui tendent à se distribuer ainsi : d’un côté une réalité purement religieuse, une spiritualité de la foi, une mystique de l’expérience intérieure, qui n’est plus alimentée par une activité proprement spéculative ou théologique ; de l’autre, une spéculation parement dialectique et formelle, où une logique très fortement critique s’applique à des questions d’école passablement systématiques. Dans la première ligne, on trouvera Gerson, lequel est d’ailleurs nourri de saint Bonaventurc, puis les mystiques de la devotio moderna, où Luther trouvera quelque consolation spirituelle ; dans la seconde ligne, les traités des nominalistes eux-mêmes, d’Occam par exemple, car, malgré l’inspiration religieuse de leur attitude critique elle-même, l’œuvre théologique se présente chez eux comme un traitement logique, dialectique et critique, de questions d’école. L’elîet de cette critique sera de transformer beaucoup de questions, telles que celle de la grâce infuse, du caractère sacramentel, de la transsubstantiation et divers points dans celle de la pénitence, en schémas vides.

La défiance, sinon à l’égard de la raison elle-même, du moins à l’égard des excès commis dans son usage dialectique amènera, au xive siècle, à préconiser, par sens religieux beaucoup plus que par exigences scientifiques, une réforme de la théologie dans une ligne principalement orientée vers les besoins spirituels des âmes. Ainsi Gerson, Nicolas de Clémanges, le chartreux Nicolas de Strasbourg, etc. D’autres, tels Nicolas de Cues et Guillaume Durand le jeune, réclameront, comme remède à un état de la théologie qu’ils jugent très sévèrement, un retour à l’étude des sources, voire une décision de l’autorité fondée dans l’Écriture et les canons, qui dirime tant de vains débats ; cf. A. Posch, Die Rcfornworschlàge des Wilhelm Durandus jun. auf dem Korizil von Vienne, dans Millcilungen des ôsterreich. Insl. f. Geschichtsforsch., Fcstschrift I. 0. Redlich, Inspruck. 19’29, p. 288-303, cf. p. 301-302.

2. À la dévalorisation de la connaissance rationnelle répond nécessairement une attitude fidéiste. Les deux choses se suivent selon une proportion rigoureuse. Non qu’il faille taxer tous les nominalistes de fidéisnic total, mais, dans l’ensemble, le fidéisme est une attitude répandue chez eux.

3. Un grand développement des questions de méthodologie critique, pour lesquelles on peut distinguer trois points d’application principaux : a) le rapport des certitudes rationnelles et de la logique naturelle aux certitudes et a In logique de la foi ; la question de savoir si la logique, la lo</ica rmturalis, vaut en théologie et s.M (unie avec In loijicu fidei. Question grosse, déjà, peut-être, de certaines positions luthériennes. — b) A l’intérieur même des données et des problèmes proprement I biologiques, application systématique d’une critique qui s’inspire le plus souvent du principe de la toute puissance divine et de la distinction entre potentat absoluta et la potentia ordtnala. Exemple : est il possible, de puissance absolue, (pu-le pécbé el la grâce Coexistent, ou que le pécheur lOll jUSl Iflé sans recevoir

les certitudes et les possibilités de la

spéculation théologique sont de ce chef considérablement réduite*. — c) Le point de vue critique ne

pouvait pas ne pas se porter sur les sources propres de la théologie elle même ; d’autant que In Icn.l.nirc

fldéiste accentuait davantage la dépendance à l’égard de ces sources positives et du magistère. On a signalé, au xive siècle, un certain développement des questions critiques de sources et de méthode, bref de ce qui sera plus tard le traité des lieux théologiques.

G. Manser, Die Geisteskri.se des XIV. Jalirhunderts, Fribourg, Suisse, 1915 ;.). Wiirsddrior, Erkennen und Wisscn nacli Gregor von Himini, dans Beilràge, t. xx, fasc. 1, Munster, 1922 ; M.-C Michalski, Les courants philosophiques à Oxford et A Paris pendant le XIVsiècle. Le criticisme et lescepticisme dans laphilosophie du XI V’siècle. Les courants critiques et sceptiques dans la pliilosopliie du XI V> siècle. La physique nouvelle et les différents courants pliilosopliiques auXIV’siècle, dans le Bulletin de l’Académie polonaise des Sciences et des Lettres, Classe d’hist. et de philos., respectivement en 1921, 1926, 1927 et 1928 ; C. Michalski, Les sources du criticisme et du scepticisme dans la philosophie du XIV’siècle, extr. de La Pologne au congrès intern. de Bruxelles, Cracovie, 1924 ; Fr. Ehrle, Die Scholastik und ihre Aufgaben in unserer Zeit, Fribourg-en-B., 1933, p. 17-2."> ; M. Grabmann, Geschichte der katholischen Théologie, Fribourg-en-B., 1933, p. 92-95.

V. APPRÉCIATION SUR LA THÉOLOGIE DE LA PÉRIODE

SCOLAST1QUE. — Ce qui caractérise la théologie de cette époque, c’est la confiance dans la spéculation et d’abord dans la connaissance humaine. Que cette connaissance ait signification par elle-même, comme chez saint Thomas, ou qu’elle ne reçoive validité que par la foi et la théologie, comme chez Scot, elle a toujours valeur en elle-même. L’œuvre de spéculation est également considérée comme se justifiant par soi, même lorsque l’œuvre de spéculation est intrinsèquement mise en rapport avec la vie de charité ; nous voulons dire que le travail théologique est poursuivi pour lui-même, pour la valeur intrinsèque de la connaissance vraie, même si celle-ci a une relation nécessaire à la charité, et qu’il n’est plus subordonné aux besoins directs de l’Église, à la défense de la doctrine, à l’instruction des fidèles ou à l’évangélisation. La théologie de la grande époque scolastique est le produit d’une activité qui s’est développée pour elle-même. Nous n’avons pas à justifier ici ce point de vue. Mais il faut nous demander ici ce qu’a valu, de fait, cet effort, et si certains signes de décadence théologique, à l’époque où nous sommes parvenus, ne viennent pas du développement logique de dangers ou d’excès que la théologie de la scolastique portait en soi. Trois points nous paraissent, à cet égard, plus spécialement notables :

1° Excessive prépotence d’une méthode trop exclusivement rationnelle et logicienne. — Nous avons vu que l’introduction de la dialectique, avec la quæstio comme instrument technique, avait déterminé en théologie l’usage de deux méthodes parallèles, celle du commentaire et celle de la dispute. Dès le début, à chaque progrès du second procédé, une réaction se produit, à telles enseignes qu’on peut jalonner le développement de la méthode dialectique par le témoignage des réactions qu’elle suscite : Robert de Melun († 1167) s’en prend à ceux qui négligent le texte pour les gloses ; le commentaire de Pierre de Poitiers sur les Sentences soulève la protestation indignée du prieur des bénédictins de Worcester ; la première Somme, celle d’Alexandre de Halès, soulève la critique de Roger Bacon, etc. L’objet de ces inquiétudes était le même et il se dédoublait ainsi : n’allait-on pas soumettre le mystère de Dieu à une curiosité tout humaine, n’allait-on pas supplanter la parole de Dieu, le texte de la Bible, par des écrits ou des exercices plus rationnels, qui n’étaient pas même toujours des commentaires ?

Le xiiie siècle avait senti l’acuité de ces problèmes et leur avait donné une solution méthodologique et pédagogique. Cette solution comportait le maintien très ferme d’un enseignement biblique à côté d’un enseignement de la théologie du type rationnel et dia lectique. Non seulement la leçon ordinaire du maître, d’ailleurs peu fréquente, était une « lecture » de quelque livre de l’Écriture, mais, pour remédier au caractère fragmentaire de cette étude de la Bible, on avait institué une lecture rapide du texte qui permettait de le parcourir tout entier, légère Bibliam biblice ou secundum morem sludii Parisiensis. Cependant, il semble que ces dispositions aient été, avec le temps, tournées ou rapportées. On en viendra, dans les règlements de l’Université de Paris de 1387, à autoriser les bacheliers bibliques à échanger l’enseignement de deux livres de la Bible contre deux disputes. Chartul. univ. Paris., t. ii, p. 699, n. 28. Dans le même temps, c’est-à-dire au cours dès xive et xve siècles, la lecture des Pères dans le texte, originalia, va en décroissant et, comme le note le P. de Ghellinck, « la place faite aux Pères dans l’Église diminue en raison de l’extension des ouvrages d’Aristote et des scolastiques ». Patristique et argument de tradition au bas Moyen Age, dans Aus der Gcisleswelt des Millelallers, Felsg. Grabmann, 1. 1, p. 421 sq. Le P. Denifle remarque de même qu’on ne fréquente plus guère, au xve siècle, les grands ouvrages des Pères, la théologie étant devenue une chose logique. On ne voit plus guère, comme manuscrits des Pères, que les extraits, ou bien des ouvrages purement moraux. Chartul., t. iii, p. ix.

Cette régression croissante du donné textuel devant la construction logique et le système se double d’une certaine débilité quant aux procédés par lesquels la théologie doit prendre possession de son donné. La grande faiblesse de la théologie scolastique est de n’avoir guère le sens historique. Celui-ci consiste à pouvoir lire un texte ou comprendre un fait non dans la perspective qu’on a soi-même dans l’esprit, mais selon la perspective dans laquelle ce texte ou ce fait se sont réellement trouvés, à rechercher le contexte propre de chaque chose ; l’absence de sens historique consiste à situer les choses dans son propre contexte à soi. Or, le Moyen Age n’a eu que rarement ce sens historique. Ce qui l’intéresse, c’est seulement la vérité objective, l’absolu de l’objet, l’adéquation de l’esprit à la vérité idéale et en soi.

Certes, le Moyen Age a merveilleusement connu l’Écriture et sa culture pourrait à bon droit être appelée une culture biblique ; certes, les grands théologiens, et en particulier saint Thomas dans ses commentaires sur saint Jean et saint Paul, sont de bons exégètes. Mais l’absence de sens historique a aussi bien des fois poussé les médiévaux à interpréter les termes et les énoncés de la Bible en fonction non de la Bible elle-même, mais des idées de leur temps et de leur milieu, ou encore d’idées théoriques parfois étrangères au sens littéral et historique des textes. À la limite, nous aurons l’invraisemblable usage de textes comme Spirilualis judical omnia ; Sunt duo gladii hic, dans la question des rapports du pouvoir spirituel et du temporel. Mais, en deçà de ces dangereuses aberrations, nous aurons le danger d’interpréter les mots de l’Écriture non par une enquête sur le sens génuine des catégories bibliques, mais par un recours à ce que signifie ou évoque le même mot chez d’autres auteurs, Aristote par exemple, et dans le milieu médiéval latin. Exemples : saint Thomas applique d’emblée les analyses d’Aristote dans le VIe livre des Éthiques aux dons intellectuels de sagesse, science et intelligence dont parle l’Écriture ; dans la question de la « grâce capitale » du Christ, il interprète le mot capul non par une étude exégétique de son emploi, mais par une analyse systématique de l’idée de « tête » en soi. L’interprétation systématique rejoint-elle l’interprétation exégétique ? En substance, oui, et il est certain que les grands scolastiques n’ont pas dévié doctrinalement. Mais on concédera qu’il y aurait facilement là un vice de

méthode, un danger d’en venir à pratiquer la théologie d’une manière purement dialectique et déductive, les textes bibliques ne venant plus qu’à titre décoratif, d’une façon accidentelle.

On pourrait faire des remarques semblables au sujet de l’usage des écrits des Pères. Alors que les grands scolastiques des xii et xiiie siècles lisaient souvent les Pères dans le texte ou la traduction latine, originalia, on en arrive, au cours des xive et xv c siècles, à ne lire que des extraits et à revenir au régime des excerpla ou des deflorationes. D’où un regrettable développement d’une méthode dont la meilleure scolastique n’avait pas été totalement exempte et dont la scolastique de nos jours ne s’est pas encore complètement guérie et qui consiste à citer, à l’appui d’une thèse systématique développée pour elle-même et par des procédés purement logiques, un ou deux textes fragmentaires, extraits d’extraits, empruntés à des auteurs de contexte historique fort divers et qui, traités ainsi, ne représentent qu’une caricature du donné positif.

Rappelons-nous comment les théologiens de la fin du xiii c siècle fondaient le caractère scientifique de la théologie en disant qu’elle est une scienlia consequentiarum, et non une scienlia consequentium, c’est-à-dire une perception de la vérité non des choses elles-mêmes, mais de la démonstration des conclusions. Position, à coup sûr, irréprochable dans la mesure où on demeurait fidèle à un contact sans cesse enrichi et renouvelé avec le donné positif, scripluraire et patristique. Au cours des XIVe et xv° siècles, ce contact se faisant moins actif, le danger s’accusait en proportion de s’attacher plus à la construction systématique et à son appareil dialectique qu’à la perception des mystères dont doit vivre la foi. L’objet de la sacra doctrina risque ainsi de devenir non plus les choses essentiellement religieuses, mais les propositions plus ou moins rationnelles. C’est essentiellement contre cela que se fera, d’abord, la réaction de l’humanisme et même celle de Luther. Aussi peut-on dire que le défaut ou la déviation que nous venons de signaler, dans la mesure où ils furent effectifs, constituent la responsabilité de la scolastique dans les grandes déchirures du xvi c siècle.

Danger de subtilité’inutile.

La méthode dialectique

de la quæstio était sans aucun doute un grand progrès. Elle offrait cependant un risque, celui de se développer pour soi-même et d’envahir tout le champ du travail théologique. Kn effet, tout peut être mis en « question et, une question résolue, on peut en soulever quantité d’autres sur chacun de ses éléments et ainsi à perle de vue. Que l’on arrive, à partir d’une considération fruste et globale, à analyser tous les aspects et à envisager toutes les difficultés d’un sujet par la méthode dialectique de la quxslio, il y a là un bienfait. Mail la méthode risque de continuer à fonctionner pour elle même. Historiquement, ce danger s’est présenté après chaque progrès de la met hode dialecl Ique : ainsi, au xir siècle, où Jean de Salisbury donne un très silr diagnostic du mal. M. Grabmann, Gesch. d. schnl. Meth., t. ii, p. 112 sq., 516 et 522 523. Mais les Cornificiens » ont survécu et se renouvellent d’Age en tre ceux de leur temps que réagiront surtout les humanistes o ologiens soucieux de

taire droit à leurs plaintes, par exemple Cano, De

tocis theol., I. IX, c. vu ; I. XII, c. v. Si l’excès de sens

historique i ses inconvénients, l’érudition fin en soi

ei l’historicisme, l’absence de sens historique a aussi

Ique médiévale, les difficultés

que pouvaient soulever l< lutorités

irticulier, ont été trop fréquemment résolues, non’eii’i, avec h-relativisme

qu’implique, en vi loyale méthode, mais par

des distinctions s’établissant à un plan idéologique intemporel.

Les grands théologiens médiévaux ont généralement évité de s’engager dans la voie d’une application intempérante de la méthode dialectique et du procédé de la quæstio. Mais le risque de vaine curiosité et de subtilité dialectique n’était pas imaginaire, comme le montrent des avertissement tels que celui-ci, formulé par le chapitre général des frères prêcheurs de 1280 : Monemus quod lectores et magislri et jratres alii quæstionibus theologicis et moralibus potias quam philosophicis et curiosis intendant. Acta capit. gen., éd. Reichert, t. i, p. 209.

Danger de cristallisation en systèmes pétrifiés.


Ce danger découle du précédent. Chez les grands scolastiques, le système vit des grandes intuitions génératrices, comme l’appareil dialectique est au service de problèmes réels. Mais les maîtres font école et il se trouve, parmi leurs disciples, ceux qui s’appliquent surtout à exploiter et plus encore à fixer, gloser et défendre leurs conclusions. Il y a « scolastique » au sens étroit et péjoratif du mot, quand, au lieu de sentir quel est le sens profond des problèmes, on traite ceux-ci d’une façon purement académique ; quand, au lieu de vivre des principes pour son propre compte, on discute pour les conclusions d’un autre, pour les conclusions tenues dans un groupe, avec l’âpreté et l’étroitesse, le formalisme et l’impuissance à assimiler, qui sont en tout ordre de choses les marques de l’esprit de corps. Ce n’est pas un hasard si le nom de « scolastique » est lié à celui d’ « école ». On a remarqué justement qu’en se développant dans des écoles, en devenant une affaire de magislri, la théologie avait aussi perdu le contact avec la vie de l’Église et était devenue une affaire de spécialistes. El comme, de fait, le clergé diocésain eut toujours beaucoup de mal à donner des théologiens, comme les écoles de théologie furent en très grande majorité alimentées par les ordres religieux, la théologie se constitua en écoles pratiquement identifiées aux grands corps religieux : dominicains, franciscains, augustins, etc. Vers le milieu du xv siècle, la théologie était devenue une affaire de couvents et de maisons spécialisées en ce genre, une question d’écoles rivales, de disputes entre systèmes. C’est d’écoles de ce genre, et précisément en parlant du thomisme et du scotisme, que M. Gilson a pu écrire : « Des deux côtés on a commis la faute de philosopher sur des philosophies au lieu de philosopher sur les problèmes… » L’esprit de la philosophie médiévale, Paris, 1932, t. ii, p. 2C7.

Les déviations que nous venons de signaler ne sont pas d’ailleurs le fait de la glande scolastique, mais celui de sa décadence. Cependant, toute décadence d’une institution dénonce, dans cette institution, quelque chose qui, indépendamment des dangers qui peuvent venir du dehors, représente en elle un risque, un risque qu’elle court de par sa nature même et qui lui est. pour ainsi dire, essentiel. La scolasl ique de la promotion la plus franchement confiante de la raison dans la science de la fui. entraînait un problème qui était plus spécialement son problème : en exploitant à fond, pour mieux comprendre les mystères, les ressources de la raison naturelle, comment garder aux chose ; chrétiennes leur caractère dominateur et

leur valeur i tout » ? en introduisant loyalement le

jeu de la dialectique dans la s^icro doctrina, comment conserver la primauté effective du » donné » ? en utilisant la Connaissante des réalités de noire monde pour Lrulre Intellectuellement les mystères révélés, comment garder à ces mystères leur spécificité, leur

1ère de nouveauté ri <l< révélation <’w nuire monde.’i.e problème <<- la scolastique est au fond lr problème de toute t héoli

VII. Problèmes nouveaux et lignes nouvelles de la théologie modehne. — L’époque à laquelle nous arrivons est caractérisée, en sa notion de la théologie, comme d’ailleurs en tout, par 1. la naissance de problèmes et de besoins intellectuels nouveaux ; 2. par la dissociation de la synthèse et de l’unité caractéristiques du Moyen Age, et ceci en tous les domaines ; 3. par la naissance de formes nouvelles d’activité et de recherche. Ces dissociations, commencées au xve siècle, continueront de s’opérer activement jusque vers le milieu du xixe siècle où commenceront à s’élaborer des tentatives de nouvelle synthèse.

Après avoir évoqué rapidement les problèmes nouveaux qui se posent nous exposerons les réponses qui furent taites et qu’on peut classer en cinq types : humaniste, luthérienne, scolastique traditionnelle, mystique, scolastique progressiste.

A. Humbert, Les origines de la théologie moderne, i. La renaissance de l’antiquité clirétienne ( 1450-152 1), Paris, 1911 ; Ch. Gœriing, La théologie d’après Érasme et Luther, Paris, 1913 ; A. Renaudet, l’réréjorme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d’Italie ( 14U4-1517), Paris, 1916 ; A. Lang, Die Loci theologici des Melchior Cano und die Méthode des dogmatischen lïeweises, Munich, 1925 ; K. Escliweiler, Die zu>ei Wege der neueren Théologie. Einc kritische Untersuchung des Problems der theologischen Hrkenntuis, Augsboutg, 1926 ; P. Polman, L’élément historique dans la controverse religieuse du A’K/e sièo/e, Gembloux, 1932.

I. LES PROBLÈMES ET LES BESOINS.

C’est un fait

qu’à la fin du xve siècle, pour de nombreuses consciences, les formes anciennes de la synthèse médiévale ne paraissent plus satisfaisantes. On éprouve le besoin de renouveler, de trouver pour la vie et la pensée des formes nouvelles. C’est alors que prend naissance une des catégories caractéristiques de la « conscience moderne », celle d’un passé périmé, dont on a définitivement tourné le cap, et de l’entrée dans une ère nouvelle et définitive.

Cette époque, marquée par un besoin général de renouvellement, nous paraît poser trois problèmes, d’ailleurs solidaires, où la théologie classique se trouve mise en question jusqu’en sa structure : un besoin spirituel et vital ; la nouveauté du contact critique avec les textes et du sens historique ; une orientation culturelle et anthropologique nouvelle.

1. Un besoin spirituel et vital.

Le nominalisme et la scolastique excessivement dialectique et subtile du Moyen Age déclinant aboutissaient, chacun de son côté, à disjoindre l’intellectuel et le religieux : le nominalisme. bien qu’il se doublât d’une attitude religieuse profonde, disjoignait l’objet de la religion et l’orcirc de notre connaissance et se rendait incapable de constituer pour le croyant un statut religieux intellectuel ; la scolastique décadente se développait d’une façon excessive et presque exclusive au p ; an aes conclusions systématiques et ainsi elle étouffait les intuitions religieuses indispensables à la théologie. On est frappé, à la fin du xv c siècle, de voir que la spéculation, comme la lutte des écoles, se place presque uniquement sur le terrain de la philosophie, le thomisme et le scotisme, par exemple, étant entendus en fonction des positions philosophiques de saint Thomas ou de Scot, beaucoup plus qu’en fonction de leur synthèse théologique. Aussi, quano on éprouvait le besoin de dépasser le plan de la ratio, pour retrouver celui de Y intel’.eclus, des intuitions dont aucune pensée discursive ne dispense, on était tenté de recourir non à la théologie, mais à un mysticisme tel que celui des Alexandrins (ainsi faisait-on à Florence), de Raymond Lulle, de Nicolas de Cues (ainsi Lefèvre d’Étaples, par ailleurs aristotélicien assez littéral), de Dcnys l’Aréopagite, voire d’Albert le Grand. On considérait encore Aristote comme maître de l’appareil conceptuel et dialectique ; on

demandait à d’autres et l’on cherchait ailleurs que dans la théologie les éléments d’une connaissance supérieure. On sent partout la recherche d’un contact plus direct et plus simple avec l’objet religieux, l’aspiration à rendre aux âmes cet objet en un état de certitude, c’est-à-dire de pureté, et sous un mode non plus philosophique ou intellectuel, mais religieux, chaud, consolant.

2. La nouveauté du contact critique avec les textes et du sens historique. — A. Humbert a décrit le mouvement de retour aux sources, c’est-à-dire surtout aux textes et d’abord au texte de la Bible, qui se fait jour alors partout. Cela commence dans les premiers travaux de. philologie et d’érudition critique, avec Pic de La Mirandole et Ficin, en Italie, de qui procèdent plus ou moins directement un John Colet en Angleterre, un Lefèvre et un J. Clichtoue en France, un Reuchlin en Allemagne et finalement Érasme lui-même. De là toute une activité d’édition de textes, la fameuse édition du Nouveau Testament en grec par Érasme, 1516, et les innombrables publications des écrits des Pères qui se firent alors, en particulier à Bâle.

Certes les textes, Bible et Pères, étaient fort loin d’être ignorés de la scolastique ; on a remarqué que, bien souvent, les humanistes ne firent qu’imprimer des manuscrits du Moyen Age. Mais, dans ce recours au texte, dans cette fréquentation des auteurs, la génération de 1500 apporte un point de vue nouveau. Klle inaugure une lecture des textes faite d’un point de vue non plus intemporel et inconditionné, mais historique, du point de vue non plus d’une tradition acquise, mais critique et euristique. Et d’abord, il faut être sûr de son texte et que ce texte est bien de l’auteur. D’où tout un travail de critique textuelle et littéraire, d’édition, d’interprétation critique, avec recours au contexte historique, philologique, etc. C’est cela qui marque la différence, dans la façon d’aborder le même texte biblique, entre Nicolas de Lyre, soucieux du seul sens théologique, et Laurent Valla ou à plus forte raison J. Colet et Érasme. Celui-ci s’élève en particulier contre les théologiens qui empruntent quelques mots à l’Écriture et les accommodent à leur doctrine, sans s’inquiéter du contexte de ces mots et de leur sens dans ce contexte. Encomium Morias,

c. LXIV.

3. Une orientation culturelle et anthropologique nouvelle. — W. Dilthey, E. Cassirer et après eux K. Eschweiler ont écrit sur l’homme nouveau de la Renaissance, caractérisé par le point de vue subjectif. Nous ne retiendrons ici que quelques traits qui intéressent immédiatement la conception du travail théologique. L’homme est conçu moins volontiers selon ce qu’il y a en lui de spéculatif et de rationnel ; on a moins de confiance en la preuve logique et l’on tend à substituer à l’esprit déductif et spéculatif un esprit plus intuitif et plus vital. Au cours du xviie siècle et ensuite, cette tendance reparaîtra comme le besoin de ne pas distinguer seulement, dans l’ordre des objets, entre le domaine des vérités de la foi et le domaine des vérités de la raison, mais, dans les conditions subjectives, entre le mode propre de la connaissance religieuse et le mode propre des activités rationnelles.

Ceci est fort important et intéresse la théologie non du dehors, mais structurellement. Car la théologie, par définition, implique à sa racine l’acte de foi et dans son élaboration un usage de l’esprit humain. Or, la poussée que nous signalons tend à modifier plus ou moins la notion de ces deux éléments : celle de l’acte de foi et celle du travail humain et des actes de l’esprit. Les requêtes nouvelles, peu développées dans la religion des pays demeurés catholiques, se développeront plutôt dans les pays germaniques et anglo-saxons, passés en grande partie au protestantisme, et elles en

reviendront, vers la fin du xixe siècle, sous la forme des problèmes et des tentatives de solution qui, mal engagés dans les déviations du « pragmatisme » et du « modernisme », battent encore le seuil de notre théologie.

II. les solutions.

L’humanisme.

L’humanisme

comporte un aspect très marqué de réaction : réaction contre la forme extérieure, peu élégante et fort appauvrie dans ses modes littéraires, de la scolastique. Souvent, le nom de « scolastiquc » sera donné à la théologie qui en reste à la forme « barbare » du Moyen Age. Mais au delà de la question de style, c’est le procès de la méthode dialectique, de la quæslio et de la dispulalio que l’humanisme institue. Car les « questions » sont barbares, excessivement et inutilement subtiles, elles n’ont apporté et n’apportent aux esprits que division et incertitude. De plus, ces questions ne représentent qu’une attitude sèchement intellectuelle de l’esprit, elles se prêtent à l’invasion de la philosophie et des problèmes purement philosophiques dans la théologie, alors que celle-ci ne doit que parler du Christ, mener au Christ, ouvrir le sens profond des Écritures à l’âme intérieurement illuminée. Voir surtout le traité typique de I.eonardo Bruni, Libellas de disputationum excrcilalionisque sludiorum usu, de 1401 (cf. Ph. Monnier, Le Quattrocento, t. i. 6e éd., p. 105 sq.) ; Érasme, Encomium Morias et la préface de son édition du Nouveau Testament, 1516, publiée à part en 1518 sous le titre de Ratio seu methodus compendio perveniendi ad veram theologiam ; enfin, A. Lang, Die Lnci Iheolotjici…, p. 32 sq., 50 sq. ; Petau, Theol. dogm., Proleg.. c. iv, n. 1 (t. i, p. 21), et c. v, n. 6, p. 33, qui répond aux critiques d’Érasme.

Les humanistes n’attaquent que pour remplacer. Au lieu de la dispulatio et de la méthode dialectique, ils veulent voir cultiver les textes et la méthode exégétique, le texte de la Bible d’abord, celui des auteurs anciens ensuite’. La sincera theologia, la philosophia Christi, c’est l’Écriture lue pour elle-même, dans son texte original, grec, ou hébreu et. en second lieu, les cci il s de ceux qui, plus proches des origines, avaient un sens plus pur et plus simple de l’Évangile. Il ne , pour le théologien, que de les comprendre et de les proposer. Aussi r’est-on pas étonné de voir les humanistes reprendre, pour nommer cette doctrine chrétienne sans adjonction, le vocable par lequel déjà les Pères, les Pères grecs surtout, avaient désigné l’Évangile : Philosophia Christi ou Philosophia christiana. Ainsi, après son Epislola de philosophia christiana, 1518. l’.rasme publiera une Lxhortatio ad philosophia christianæ studium, 1519-1520. qui, en moins de vingt ans connaîtra Irente-cinq éditions.

Il y avait d’abord, dans le programme humaniste, tout un côté positif, correspondant à l’apparition d’une ressource nouvelle de l’esprit humain que la théologie se devail d’assimiler. Comme avènement du point de vue et de la méthode historiques, comme rappel aux sources de la théologie et comme pourvoyeur de textes, l’humanisme représentait un mouvement normal et fécond. Aussi bien le progrès réalisé par Érasme ou ^rà* à son influence dans les études bibliques fut il. en partie du moins, consacré dans la du concile de In nie ; cf. Ail geler, Enunuu und Kardinal Ximenns in’/<vi Verhandlungen des KontiU ion Trient, Uurgeach, Spa tlfens, lus ; —, von II. Iinke, t. iv, Munster, 1033, p. 193 int, le pr. gramme érasmien ne se contentait

riuer ou de compléter la scol astique ; il la

remplaçait et dune, en somme, la supprimait. Il n’y

voil plus de place, chez Érasme, pour une

ion intellectuelle de la doctrine chrétienne

sous une forme scientifique correspondant aux BXJ

gences de la raison spéculative. Il n’y avait place que pour une connaissance détaillée des textes, inspiratrice de vie morale, non pour une spéculation s’appliquant à élaborer une connaissance scientifique de la nature des choses chrétiennes. Aussi A. Humbert a-t-il dit très justement de John Colet et de ses émules que, catholiques d’intention et de position, « ils ne saisissent plus l’ensemble doctrinal de la foi ». Op. cit., p. 102 ; cf. p. 194 sq., et surtout Gœrung, op. cit., p. 148 sq., 186 sq., 214 sq., et R. Gagnebet, La nature de la théologie spéculative. Le procès de la théologie spéculative au x vie siècle : Luther et Érasme, dans Revue thomiste, 1938. p. 615-674.

Certes, l’humanisme avait représenté, lui aussi, surtout en son premier état, chez Ficin et chez Pic, une union de la Révélation chrétienne et de la pensée philosophique païenne. Mais cette union s’opérait en de toutes autres conditions que dans la scolastique. Dans celle-ci, Platon et Aristote intervenaient pour le seul contenu de vérité spéculative que leurs écrits révélaient ; leur pensée pouvait ainsi entrer dans la constitution même d’une doctrine proprement théologique. Ici, même lorsqu’on le joint à l’Évangile, Platon reste lui-même, Aristote reste lui-même ; ils ne sont pas réduits à un contenu de vérité spéculative qui ne soit plus ni Platon ni Aristote comme tels, mais vérité objective acquise par l’esprit. D’où le caractère de juxtaposition que présentent les traités humanistes, leur caractère composite, leur allure d’ « essai », leur aspect apologétique ; les philosophies païennes y semblent des illustrations ou des étais du dehors plutôt qu’un ferment interne de la pensée en travail de construction.

Chez Érasme lui-même, il n’est même pas question de cela. Il n’est pas seulement antiscolaslique, il est antispéculatif et, sans qu’on puisse dire qu’il ait été antidogmatique, il se serait contenté volontiers d’un certain fidéisme, avec une tendance à réduire la religion aux éléments moraux ; voir, par exemple, De servo arbilrio. éd. de Leyde, Opéra, t. ix, col. 1217. Par cet aspect antilhéologique, malgré leur attachement à l’Église, Érasme et l’humanisme ont préparé la religion sans dogmes qui, après Spinoza, sera celle du déisme moderne et sera d’un si grand rôle dans l’inspiration de 1’ « incroyance » actuelle.

Luther.

Nous voulons seulement caractériser

la position du réformateur, qui représente un augustinisme exaspéré et sorti de ses attaches catholiques. On peut résumer sans la schématiser à l’excès, la position de Luther en ces lignes :

1. Il ne s’agii, dans le christianisme que du salut. Or, mon salut est dans le Christ seul et il suppose que je me convertisse à lui, ce pour quoi nous a été donnée sa Parole, dans l’Écriture, et la prédication de cette Parole, dans l’Église. Ni l’Écriture, ni l’enseignement des docteurs n’ont d’autre but que de nous convertir de ce qui n’est pas le Christ à ce qui est le Christ et de nous mettre le Christ sauveur, c’est-à-dire crucifié, dans le cœur. Il y a là une double affirmation : 1° le salut, qui est le Christ, suppose qu’on se convertisse de ce qui n’est pas lui, c’est-à-dire de l’extérieur, de tout ce que saint Paul appelle la I ol > et qui englobe, selon Luther, tout ce qui est œuvre extérieure à l’Évangile, à une foi qui consiste essentl llement en une

totale défiance de soi et en nue confiance éperdue dans

le Christ sauveur et miséricordieux. 2° L’Écriture et la

doctrine chrétienne, qui ne concernent que le salut. c’est-à-dire la conversion susdite, ne nous apportent

pas une connaissance spéculai Ive des choses, mois sont

purement orientées à nous faire faire celle conversion du sensible et de nolie monde au monde du salut et du (.lirist. Il y a donc, entre la manière dont la philosophie, science de notre monde, et la théologie <>u la

doctrine chrétienne, science du salut, parlent des choses, une différence radicale ; ce sont deux ordres de pensée hétérogènes, en sorte qu’aucune application de nos connaissances naturelles n’est valable en théologie.

Voir, comme textes caractéristiques, pour toutes ces notions : Dictata super Psalt., in ps. lxxiii, Weimar, t. iii, p. 508-509 ; In ps.LXXX/v, in eos qui convcrtuntur ad cor, Weimar, t. iv, p. 10-11 ; In ps.LXVM, t. iii, p. 419. Voir encore la Dispulalio theologica an heec proposilio sit vera in philosophia : Verbum caro jactum est, de 1539, éd. Erlangen, Opéra varii arg., t. iv, p. 458461, ce texte ne figurant pas dans l’édition de Weimar.

2. Cette impossibilité d’appliquer à l’ordre chrétien notre connaissance rationnelle des natures et de la loi des choses est d’autant plus rigoureuse que la nature humaine est pécheresse. Le salut ne s’opère pas par une élévation de la nature à l’aide de la grâce, mais par une aversion à l’égard des natures et par la foi seule, fide sola. C’est ainsi que se développe chez Luther, par dessus sa réaction anliecclésiastique, antiinstitutionnelle, une réaction antiscolastique, antirationnelle, dont la fameuse Disputatio contra scholaslicam theologiam de 1517, Weimar, t. i, p. 224 sq., est une des expressions les plus caractérisées :

Prop. 43 : « Enor est dicere : sine Aristotele non fit theologus. » Prop. 44 : « Imo theotogus non fit nisi id fiât sine Aristotele. » Prop. 45 : » Theologus non logicus est monstruosus hæreticus est monstruosa et hieretica oratio. Prop. 47 : « Nulla forma syllogistica tenet in divinis. » Comparer la Disputatio Heidelbergæ habita (1518) : Prop. 19 : « Non ille digne theologus dicitur, qui invisibilia Dei per ea quæ facta sunt, intellecta conspicit. » Prop. 20 : « Sed qui visibilia et posteriora Dei per passiones et crucem conspecta intelligit. » Prop. 29 : « Qui sine periculo volet in Aristotele philosophari, necesse est ut ante bene stultificetur in Christo. »

On voit que c’est toute la théologie telle que la tradition chrétienne l’avait conçue, surtout depuis saint Anselme, qui est sapée par la base, sa base étant précisément la possibilité d’appliquer aux réalités surnaturelles les conceptions de la raison. Luther appelle toute théologie qui garderait quelque continuité et quelque rapport entre l’ordre des choses ou de la connaissance naturelle et l’ordre des choses chrétiennes et de la foi, theologia gloriæ, à quoi il oppose la theologia crucis, caractérisée par la discontinuité radicale des deux ordres et la soumission de tout l’ordre chrétien au critère exclusif du salut sous la croix. La theologia gloriæ, qui s’efforce de comprendre le plus par le moins et les purs intelligibles du Christ par les formes sensibles de la philosophie, est en réalité une théologie de ténèbres, tandis que le vrai chrétien trouve la sagesse dans la croix. Cf. Disp. contra theol. schol., prop. 21 ; Disp. Heidelbergæ habita, prop. 50.

3. À la place d’une théologie spéculative construisant intellectuellement le donné de la doctrine chrétienne, que préconise Luther ? Une théologie qui soit une vraie piété, préparée par une étude principalement textuelle.

Une théologie qui soit une vraie piété : car il ne s’agit pas de connaître la nature des choses, même chrétiennes, mais de vivre avec le Christ. Dès 1509, il voudrait laisser l’étude de la philosophie pour celle de la théologie : lettre à J. Braun, 17 mars, éd. Weimar, Briefwechsel, t. i, p. 17. Or, quelle était pour lui cette moelle de la théologie ? Si te détectât puram, solidam, antiquæ simillimam theologiam légère in germanica lingua efjusam, sermones Tauleri… tibi comparare potes…, à Spalatin, 14 décembre 1516, ibid., p. 79. La théologie que veut Luther est une théologie pieuse, sensible au cœur, où il ne s’agisse pas de disséquer des objets par la connaissance, mais d’adhérer dans une foi consolante et chaude. Disp. theol. an hœc pro posilio…, de 1539, prop. 11. Il s’agit d’une théologie du salut, qui porte à se détourner de notre monde pour se convertir au Christ dans une fulucialis de.sperulio sui et dans une confiance éperdue en notre Sauveur. Une théologie sans cesse référée à l’expérience intérieure de la conversion des fausses réalités à la seule vraie, une théologie du salut sola fide. Cf. A. Humbert, op. cit., p. 267 sq., 297 sq. ; y ajouter le texte significatif, publié depuis lors, du commentaire sur les Romains, éd. Ficker, t. ii, p. 183, Quietioris solatii nos nuinere jovemur et scrupulis conscientise facilius medemur, et cet autre texte, que Ritschl et Harnack ont cité comme typique : « Christ a deux natures, en quoi est-ce que cela me regarde ? S’il porte ce nom de Christ, magnifique et consolant, c’est ! à cause du ministère et de la tâche qu’il a pris sur lui ; c’est cela qui lui donne son nom. Qu’il soit par nature homme et Dieu, cela, c’est pour lui-même. Mais qu’il ait consacré son ministère, mais qu’il ait épanché son amour pour devenir mon sauveur et mon rédempteur, c’est où je trouve ma consolation et mon bien… » Trad. J. Huby, dans Études, t. clxix, 1921, p. 290.

Cette théologie pieuse et salutaire se réalisait surtout dans les actes religieux de foi et de la prière ; elle n’admettait pas qu’on lût la Bible, comme les scolastiques. propter cognitionem lanquam scriplum historicum, mais propter medilationem. Tischreden, éd. Weimar, t. iv, n. 5135. Mais elle comportait, pour sa préparation et sa diffusion, une part d’étude principalement consacrée au texte de l’Écriture, subsidiairement à celui de certains Pères, notamment saint Augustin. Briefwechsel, t. i, p. 99 ; cf. p. 139. Pour répondre à un tel programme, des études iittéraires sont nécessaires, la connaissance des langues anciennes en particulier. C’est le côté par où Luther et la Réforme sympathisent et collaborent avec Reuchlin, Érasme et l’humanisme. Luther ajoute et continuera jusqu’à la fin de sa vie d’ajouter une certaine étude de la logique, de la rhétorique, de la dialectique et de la philosophie. Mais Luther en reste ici, comme en sa notion <ie théologie, à un augustinisme exaspéré. Il était de tradition augustinienne de traiter les arts libéraux et la philosophie surtout comme des propédeutiques préparant l’esprit à la contemplation. Luther reprend ce point de vue en le poussant à l’extrême et les mêmes textes qui affirment le bienfait de la philosophie et de la logique, affirment plus fortement encore que cellesci ne peuvent prendre aucune place dans la théologie elle-même.

Luther suscitera une double postérité, dont les deux lignes, opposées entre elles, nous semblentpouvoir se réclamer légitimement de lui. Par le côté où Luther a intériorisé le principe du christianisme, donnant à la théologie, comme double intérieur du texte, un critère spirituel se référant au salut et à l’expérience du salut, il a reçu pour postérité la lignée de Schlciermacher et d’une « théologie de l’expérience », selon laquelle la » Dogmatique » a pour objet de décrire et de systématiser l’expérience religieuse. Par le côté où, adhérant à un donné objectif, Écriture et symboles de l’ancienne Église, il l’a systématisé selon une dialectique de radicale opposition entre notre monde et Dieu, la « Loi » et l’Évangile, il peut être reconnu comme le père de la « théologie dialectique », animée par le rejet de toute analogia enlis et de tout « surnaturel » qui ne soit pas Dieu, l’Incréé, lui-même.

Au point de vue de l’évolution ultérieure de la théologie catholique, le rejet par Luther de toute norme de la théologie autre que l’Écriture mettaitenquestion jusqu’en ses fondements la science théologique et devait amener celle-ci, nous le verrons, à créer toute une défense et toute une méthodologie critique de ses fondements : traités de la Tradition, des lieux théoiu417

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. CONTINUATION DE LA SCOLASTIQUE’418

giques et justification apologétique tant de la foi que de l’Église et de son magistère.

Sur la notion de théologie chez Luther : A. Humbert, op. cit. ; Ch. Gcerung, La théologie d’après Érasme et Luther, Paris, 1913 ; P. Vignaux, Luther commentateur des Sentences, Paris, 1935 ; R. Gagnebet, art. cité supra. — Sur la theologia crucis et la theologia glorise, cf. les thèses 19 et 22 de la Dispulalio lleidrlbergæ habita, 1518, et W. von Lœwenich, Lulhers Theologia crucis, 2’éd., 1933, p. 11-20.

3° Continuation et développement de la scolastique médiévale. — Des théologiens, dont plusieurs comptent parmi les très grands, continuent, non seulement quant aux principes, mais quant aux problèmes et à la méthode, la théologie de la scolastique médiévale. Ce sont des commentateurs qui, s’attachant à la doctrine d’un maître, la fixent par le fait même dans une tradition d’école. Incontestablement, l’autorité de saint Thomas, depuis sa canonisation, s’affirme et s’étend d’une manière exceptionnelle ; on peut mesurer ses progrès au cours des xiv et xve siècles. Cette faveur accordée à saint Thomas aura une grande répercussion sur la conception même de la théologie : d’abord par elle-même, par le développement de la tradition issue de saint Thomas ; puis, d’une façon indirecte, par l’élimination qui s’opéra, dans la pensée ecclésiastique, d’une autre tradition, de ligne augustinienne, surtout à la suite de la Réforme et du jansénisme, crises où cette tradition joua un certain rôle. Cf. É. Baudin, dans Revue des sciences religieuses, 1923, p. 233 sq., 328 sq., et surtout 508 sq.

Les commentateurs se sont d’abord attachés aux Sentences : ainsi Capréolus. Vers la fin du xve siècle, la Somme théologique commence à supplanter les Sentences, et les grande commentaires deviennent des commentaires de la Somme ; cf. ici, art. Frères-Prêciii i us, t. vi, col. 906 sq. ; A. Michelitsch, Kommentaloren -ur Summa theologia : des hl. Thomas von Aquin, Graz et Vienne, 192 1 (répertoire bibliographique des commentaires et commentateurs) ; H. Wilms, Cajclan uni Kœllin, dans Angelicum, 1934, p. 568-592.

filant donnée cette prééminence de la tradition thomiste, nous nous en tiendrons à elle pour marquer les étapes de ce développement de la scolastique médiévale qui va Jusqu’au xviiie siècle. Ses étapes sont jalonnées par les grands noms de Capréolus († 1444), Cajétan († 1534), Bafiez († 1604), Jean de Saint-Thomas († 1644), des cannes de Salamanque (entre 1C>37 et le début du xviii 6 siècle), enfin, comme types d’une tradition désormais fixée, de Gonet († 1081) et de Billuart († 1757). Le développement de la tradition scolastique thomiste est caractérisé, en ce qui concerne la notion de théologie, par l’application de plus en plus forte de la notion aristotélicienne de science et par la définition de plu* en plus déterminée de la conclusion théologique. L’ensemble de cette histoire a été esquissée par le P. !.. Charlier, Essai sur le problème théologique, Thuillles, 1938, p. 14-31 ; cf. R.-M. Schultes, Introduclui in historiam dogmalum, Paris, 1923, p. 106 sq.

Le débat des écoles s’était vite fixé sur la question de savoir si la théologie était une science. Les disciple* de saint Thomas, qui tenaient pour l’affirmative, en ! ét< amenés à définir la théologie-science par conclusions, comme science des conclurions ou scient ia conséquent iarum ; cf. supra, col. 398. L’attention se portail dés lors principalement, et parsclusivement, sur les conclusions de la science théolog que. La qualité scientifique « le la théolo) définie ainsi p.ir < apréolus : Son est scienlia articulorum ftdei, sni conclusionum quee seqtiuntur n ilhs. Q. i, a. 1, r> « concl., p, l. Après a oir défendu la qualité

scientifique de la théologie, il défend Ifl qualité s|m i ii latlve, puis son unité comme science, enfin l’assigna tion de I lieu i omme son sujet t on Objel formel quod

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

principal et direct. Cependant, s’il insiste sur les conclusions comme objet de la théologie-science, il ne définit pas celle-ci par le revelabile entendu comme médiatement ou virtuellement révélé.

Cette précision n’est pas encore exprimée chez Cajétan. Selon lui, la théologie se distingue de la foi, à l’intérieur du même enseignement révélé, en ce qu’elle a pour objet les conclusions, tandis que la foi a pour objet les articles ou les dogmes, qui sont comme des principes. In I* m partem. q. i, a. 2, n. xii. Les principes ou vérités révélées contiennent les conclusions virtualiter ; ainsi, tandis que les principes font l’objet d’une adhésion de foi immédiate et simple, les conclusions déduites d’eux font l’objet d’une adhésion proprement scientifique : d’une science, certes, divino lumine fulgens, a. 3, n. iv, où la lumière révélée des principes se communique aux conclusions ; mais cette lumière n’est que dérivée, assentimus conclusionibus propter articulos, et dérivée par un raisonnement humain. A. 2, n. xii. Cajétan nous semble, dans un vocabulaire plus évolué, bien rendre la pensée de saint Thomas. Il a bien vu le sens de sacra doctrina, a. 1, et que, quand saint Thomas se demande si la sacra doctrina est une science, il se demande eu réalité si l’enseignement révélé, par le côté où il comporte une déduction de conclusions, vérifie la qualité de science. A. 2, n. i. Comme saint Thomas encore, il n’envisage nulle part expressément que les conclusions de la science théologique soient des vérités nouvelles, c’est-à-dire non-révélées : il suffit que, dans l’enseignement révélé, elles aient une fonction et une valeur de vérité déduite ex principiis ; il semble bien que, pour lui, la théologie n’ait pas formellement pour objet le « virtuellement révélé », mais simplement les vérités qui, dans l’enseignement chrétien, sont fondées en d’autres vérités comme dans leur principe. Enfin Cajétan, pas plus que saint Thomas, ne paile expressément de prémisses de raison concourant, avec une prémisse de foi, pour produire la conclusion théologique ; comme saint Thomas d’ailleurs, il n’en exclut pas la possibilité, cf. a. 8, n. iv, comparé à n. vi-viu. Le cardinal Tolet († 1596), suit en tout ceci Cajétan ; cf. Charlier, op. cit., p. 19, n. 10.

Maflez est le disciple de Melchior C.ano ; s’il défend la méthode scolastique contre les attaques humanistes, il écrit un latin soigné et il a développé son commentaire de la i r * question, a. 8, en un petit De locis theologicis : Scholastica commentaria in / » m partem Summm S. Thomæ Aq., éd. L. Urbano, Iiibl. de Tomistas Espanoles, t. viii, Madrid et Valence, 1934. Cependant il est résolument de ces théologiens scolastiques qui succincte et more dialectico sacram doclrinam pertraclani. De locis, p. 82. Baficz s’applique à définir le lumen sub quo ou ratio lormalis sub qua de la théologie, c’est à-dire la lumière qui fait d’un objet quelconque un objet de la théologie ; c’est, dit-il, divina reoelatio, Il s’en explique, a. 3, a. 7, a. 8 et Corn, in // » m //". q. i. a. 1, dub. 2, éd. Venise, 1002. col. 15-17 : Est trgo ratio formalis sub qua coi/nosrimus Denm et ea i/uir bri sunt , lumen infusum » Deo, per quod formaliter illuminantur ea quir sunt in nostro intelleclu de esse inlclligibili theologico, P. 30. La lumière qui fait d’un objet quelconque un objet de théologie, c’est la lumière infuse qui, dans le sujet, répond à la révélation surnaturelle. Qu’est-ce qui distingue, dès lors, la théologie et i

I l’abord, il est essentiel al’illumination » (nous Ira (luisons ainsi le mot rcvilatio tel que Hanc/ l’emploie ici) de la foi d’être obscure, tandis que l’obscurité t I accidentelle à la théologie ef que celle ci demanderait plutôt de posséder ses principes en pleine clarté. In su. te l’illumination Infuse est) dtUU la foi, le motif immédiat de l’adhés ! on qui atteint directement che i 1 1 1 1..h assertions de la foi, lesquelles seront les

T. — XV. — 14.

419

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. CONTINUATION DE LA SCOLASTIQUE

420

principes de la théologie. Mais la théologie se définit par ses conclusions : celles-ci en sont proprement l’objet. Or, de l’adhésion aux conclusions, objet de la théologie, l’illumination infuse n’est le motif que medianle consequenlia évidente alio lumine. Et sic acquiritur habitas theologicus et lumen theologicum quod virtualiler est ex dirina revelatione. Quapropler objectum proprie et formalités theologiæ est virlualiler revelatum.De locis, p. 33 ; cf. Corn, in 7/ » m -77°, loc. cit., 3° concl., col. 16. L’objet formel quo de la théologie n’est donc pas celui de la foi, car c’est la lumière de la révélation en tant qu’étendue par le raisonnement, et donc par une intervention de la lumière naturelle de l’esprit, à une conclusion dégagée des vérités de la foi. P. 33, 34.

L’homogénéité entre la théologie et la foi joue évidemment à plein quand les conclusions sont tirées de deux vérités de foi : c’est le cas que Bafiez envisage le plus volontiers. Mais il envisage aussi celui d’une conclusion procédant ex altéra certa secundum fidem callwlicam, et altéra naturaliler cognita lumine naturali vel immédiate vel médiate, sive in philosophia naturali, sivemorali, sive inmelaphijsica. A. 3, p. 33 ; cf. a. 2, p. 21.

L’intervention de Jean de Saint-Thomas dans la détermination définitive de la notion scolastique de la théologie se fait sentir surtout en deux points : la définition de la révélation virtuelle et la valeur de la conclusion théologique tirée d’une prémisse de foi et d’une de raison. Le premier point est abordé In / » m partem, q. r, disp. II, a. 1, n. r et m ; a. 4, n. xvi, éd. de Solesmes, Paris-Tournai, t. r, 1931, p. 347, 348, 361-362, et surtout a. 7, n. vr sq., et x-xrr, p. 376-380 ; le second point l’est en de multiples passages ; il répond évidemment, pour l’auteur, à une découverte personnelle spécialement chère : ibid., a. 6, n. r, x-xvrr, xxiixxiv, p. 369-374 ; a 7, n. xvrrr sq., p. 381 ; a. 9, n. vi, xi-xirr, p. 391, 393 ; cf. aussi Logica, II » pars, q. xxv, a. 1, ad 3, éd. Reiser, p. 777.

La ratio sub qua de la théologie est la révélation virtuelle, c’est-à-dire la lumière de la révélation dérivée à une conclusion par un raisonnement proprement dit. La conclusion théologique tient de cette lumière une certaine qualité scientifique, scibilitas, qui permet de la situer dans le cadre des sciences hiérarchisées selon le degré d’abstraction. Ce virlualiler revelalum est défini exclusivement comme une vérité non formellement révélée, mais déduite de la Révélation par un raisonnement véritable. Il y a donc, à l’égard de saint Thomas et des commentateurs plus anciens, non certes une infidélité, mais une certaine spécialisation, une précision, au sens où ce mot implique une certaine élimination. La théologie est définie non plus simplement, comme chez saint. Thomas, par le fait d’ordonner et de construire l’enseignement chrétien en principes et conclusions, mais par la déduction de conclusions nouvelles.

Deuxième point, corrélatif au précédent : tandis que, pour Bafiez, les conclusions obtenues à partir d’une prémisse de foi et d’une prémisse de raison n’étaient pas éclairées par une lumière aussi purement théologique que les conclusions rattachées à deux prémisses de foi, Jean de Saint-Thomas met les deux cas rigoureusement sur le même plan et l’on a le sentiment que, pour lui, le plus purement théologique est peut-être le premier. Son effort pour maintenir d’une part l’unité d’un même lumen sub quo dans les deux cas, et d’autre part la qualité pleinement théologique de ce lumen, est très beau. Il recourt, pour cela, à l’idée d’instrumentalité et montre que les vérités de raison employées dans l’argument théologique n’y sont plus de pures vérités de raison. Car, bien qu’elles ne soient pas intrinsèquement transformées, elles sont, dans l’usage actuel qu’on en fait, assumées, corrigées, mesurées, approuvées par le principe de foi avec lequel on

les construit ; avec lui, elles font un seul médium de démonstration qui n’est pas une chose de foi et qui n’est plus une chose de pure raison, mais très proprement un médium théologique, engendrant une scibilitas théologique. Par là Jean de Saint-Thomas se rattache à la ligne suivie par Bafiez, selon laquelle la théologie la plus scientifique se construit dans la foi et, malgré l’intervention désormais très accusée des principes philosophiques dans sa construction, n’ajoute objectivement rien au donné de la foi.

La position de Jean de Saint-Thomas est celle qui est passée chez les thomistes postérieurs : Gonet, Clijpeus theologiæ thomisticæ. Disp. proœmialis ; Billuart, Summa S. Thomœ…, I » pars, dissert, proœmialis, qui définit la théologie : Doctrina rerum divinarum ex principiis fidei immédiate revelalis conclusiones deducens.

Ni Suarez, ni les carmes de Salamanque n’ont commenté la l re question de la Somme. Leur pensée sur la théologie est à chercher partie dans les écrits philosophiques auxquels ils se réfèrent, partie dans leur traité de la foi. À cet endroit sont envisagées en particulier la notion de révélé formel et de révélé virtuel et la question de la délinibi.ité de l’un et de l’autre. Voici comment le P. Charlier, op. cit., p. 24, en note, résume leur pensée :

Suarez distingue nettement Vassensus theologicus de Vassensus fidei. Celui-ci a pour objet le révélé formel, celui-là, le révélé virtuel. Le révélé virtuil, au sens strict, s’entend d’une conclusion déduite d’une proposition de foi virtute et adminiculo alicujus principii naturalis, ut quando colligitur una proprietas naturalis ex altéra revelata. De fide, disp. VI, sect. 4, n. x. La révélation virtuelle se dit respectu proprictatis quæ nullo modo conlinetur formnliler in re dicta, sed tantum in radiée, ut est in exemplo de risibililate et similibus. De fide, disp. III, sect. 11, n. v. Dans ce cas, Vassensus theologicus s’appuie sur le raisonnement proprement dit comme sur sa cause propre et formelle. La conclusion théologique stricte n’est pas, de soi, objet de foi ; car elle s’appuie sur un motif formel distinct du motif formel de la foi. Elle ne devient objet de foi que dans le cas d’une définition de l’Église, qui la propose alors, non comme virtuellement révélée, mais comme révélée formellement, immédiatement et en soi. Ibid., n. xr.

Les Salmanticenses diront, à leur tour, qu’une conclusion déduite d’un principe de foi et d’un principe de raison par voie de démonstration n’est pas une proposition de foi, mais une conclusion théologique. De fide, disp. I, dub. 4, n. 124. Quant à la vérité déduite rigoureusement de deux prémisses formellement révélées, il y a.lieu de distinguer : cette vérité peut être considérée : 1. sous sa modalité de vérité déduite et, comme telle, elle est conclusion théologique ; 2. eJe peut être envisagée en elle-même, au point de vue spécifique, en tant que vérité et, comme telle, elle est proposition de foi. Ibid., n. 127.

Il est inutile de poursuivre plus loin cette enquête sur les commentateurs de saint Thomas qui, aux XVIe et xvri 6 siècles, prolongent la ligne de la scolastique médiévale.

Produit des activités d’école, création, le plus souvent, de religieux défendant la tradition de leur ordre, représentant enfin la spécialité d’un monde à part, cette scolastique est, beaucoup plus que celle du xiiie siècle, polémique. La division et le développement des questions y sont, infiniment plus que chez saint Thomas ou saint Bonaventure, commandés par la controverse d’école. Cette scolastique est aussi appliquée exclusivement à développer le côté systématique de la tradition théologique où elle s’insère. Elle se définit elle-même comme « scolastique », par un traitement dialectique et métaphysique des problèmes

fournis par la tradition de l’École, en s’attachant à les traiter par partes avec les ressources et selon les exigences de la dialectique et de la métaphysique. Mgr Grabmann remarque, à propos de Capréolus que, des trois lignes suivies par saint Thomas, la ligne spéculative, la ligne historico-positive et la ligne mystique, il n’a prolongé que la première. Johannes Capréolus, dans Jahrbuch jûr Philos, u. spekul. Theol., t. xvi, 1902, p. 281. De fait, cette scolastique n’a guère profité des acquisitions nouvelles permises par l’humanisme : l’apport du donné scripturaire et patristique y est souvent médiocre ; même chez un Cajétan, l’effort exégétique est resté, en somme, extrinsèque à l’activité spéculative. Par contre, dans les belles questions spéculatives, abondamment développées, l’interprétation et la construction philosophiques sont poussées extrêmement loin. Chez Jean de Saint-Thomas, plusieurs grandes questions sont précédées de Prænotamintt philosophica fort considérables. De plus, et dans leur exposé même de la notion de théologie, comme déjà Gabriel Biel l’avait fait, ces théologiens renvoient volontiers à des traités de philosophie. C’est que l’effort de la scolastique a abouti à une élaboration très forte des notions philosophiques engagées dans la théologie spéculative ; il s’est constitué ainsi une « philosophie chrétienne » scolastique, dont les notions avaient été, pour ainsi dire, faites sur mesure pour leur usage théologique. Lt maintenant, la théologie n’avait guère qu’à recourir, pour chacun de ses problèmes propres, à cet arsenal qu’elle avait formé. C’est l’existence d’une « philosophie chrétienne » scolastique qui explique et justifie l’allure extrêmement philosophique de bien des traités de la scolastique des xvie etxvii* siè Mais il n’empêche que ce sera toujours une tentation, pour cette scolastique, de ne concevoir le travail de la théologie spéculative que comme une application à un donné spécial, tenu par ailleurs, de catégories philosophiques. Quand Jean de Saint-Thomas, qui était certes un contemplatif de haut vol, exprime la fonction de la théologie-science en ces termes : Kes supernaturales ad modum metaphysicæ scientiæ tractalw, el discursu naltirali collalx… Op. cit., disp. II, a. 8, n. 6, p. 380, il dénonce, au sein d’une fonction magnifique et à coup sûr légitime, une menace de déviation. Le danger existe de ne voir le rôle de la foi dam la théologie que comme un rôle préalable, nécessaiic pour fournir le point de départ, mais en somme liminaire et extrinsèque, le travail théologique se faisant ensuite par la simple application de la métaphysique à ce donné tenu pour vrai. Comment, dès lors, tout en construisant une interprétation rationnelle, garder au donné chrétien sa spécificité, son caractère il-tout et de réalité originale ?

4° Formes nouvelles dans l<i théologie catholique. — 1. Effort d’intégration des exigences modernes. Mclchior Cano. - — Le mouvement humaniste, d’une part, les de la controverse protestante, d’autre part, vont susciter dans l’Église tin ensemble de questions et un effort aboutissant à créer une théologie fonda|| les sources, les conditions, la certitude et la nul 1m. de de. la pensée religieuse geralent étudiées eritiquement. A. Lang, Die Loci theologici…, p. Il iq. ; P. Polman, L’élément historique…, p. 284. Cet effort fut le f.n ! de l’école de Salamanque et singulièrement de Mclchior Cano. Le renouvellement de la scolastique qui s’e t opén à Salamanque au xvr

le iioria, lequel avait, : i Paris, reçu l’influence de l’ii rre Crockært et, par lui, celle du milieu humanl te de Louvaln. Comme le. deux Soto, Cano u maître a son tour, il fut le

Llie Salamanque

i dans toute la

chrétienté la tradition d’une scolastique renouvelée : Tolet à Rome, Grégoire de Valence à Ingolstadt, Rodrigue d’Arriaga à Prague.

L’œuvre de Cano, le De locis theologieis, édition posthume en 1563, a été analysée à l’art. Lieux tiiéologiques, t. ix, col. 712 sq. Cano est un théologien de formation scolastique, mais qui veut tenir compte de l’humanisme et de ses conquêtes : l’histoire, l’édition et l’appréciation des textes, etc. Cano, a, par bien des côtés, une sensibilité et une mentalité humanistes : psychologiquement, il est un moderne, et il veut fonder une théologie tempori aptior. L. XII, c. xi. C’est cette mentalité humaniste qui le porte à mettre au premier plan, dans la théologie elle-même, l’appréciation critique de la valeur d’une position déterminée et à déterminer celle-ci en faisant appel au donné positif. Ce n’est pas que Cano nie la validité du raisonnement ; il apprécie sévèrement toute attitude fidéiste, t. II, c. xviii ; il critique ceux qui voudraient en rester à la lettre de l’Écriture, comme Érasme, et il justifie l’usage de la raison en théologie. L. VIII, c. n ; t. IX, c. iv. Classiquement, il assigne à la théologie scolastique trois buts : déduction de conclusions, défense de la foi, illustration et confirmation du dogme à l’aide des sciences humaines. L. VIII, c. n. Mais, comme tout élève de Vitoria, il sait les abus qui ont discrédité la théologie rationnelle, et il les dénonce. L. VIII, c. I. Il préconise une réforme profonde : la ratio qui déduit les conclusions est bonne, mais on ne peut rien savoir de plus dans les conclusions que ce que donnent les principes, ni rien qui dépasse en certitude et en valeur la certitude et la valeur des principes ; bref, la théologie rationnelle ne tire sa valeur que du donné positif, c’est-à-dire de Vauctoritas. L. XII, c. il. Le théologien ne sera donc un véritable savant, digne de ce nom, que s’il apprécie eritiquement les données desquelles il part : cf. textes dans A. Lang, Die loci, p. 187. Cano réagit contre une théologie qui ne serait que raisonnement, et il affirme très fortement que la théologie, comme toute autre science, vif d’un donné, d’un point de départ positif, qui est tel ou tel, et qu’aucun raisonnement ne peut créer. Cf. De locis, I. II, c. iv, 2e partie du chapitre ; I. XII, c. III. Tout son effort porte donc sur une étude systématique et critique des différentes sources où le théologien doit prendre sa matière de travail et qu’il appelle des « lieux ». C’est à déterminer la valeur propre, les critères, les conditions d’appréciation et d’utilisation de ces lieux qu’il s’attache d’une manière presque exclusive. On le voit bien quand, à la fin du I. XII, il donne lui-même trois exemples de s ;) méthode. Ces exemples vérifient tout à fait ce que dit, après le P. Mandonnet, art. CaMO, ici, t. ii, col. 1539, le P. Jacquin, Melchior Cano et la théologie moderne, dans Revue des sciences philos, et théol., 1920, p. 121-141.

On peut se demander si la théologie spéculative, la theologia scholæ, reste bien chez Cano ce qu’elle était chez saint Thomas. Cano abandonne le procédé de la qUSUtio et la manière dont il parle de la qumstto Iheologica, I. XII. c. v. laisse entendre qu’elle est, pour lui, non plus un instrument de science, mais un procédé de pédagogie et de discussion. Oc même la manière donl il parle soit de la conclusion théologique, soit de la fonction d’explication et d’illustration, l. nui. c. ii, semble ne se référer qu’à l’explication de ce qui se trouve tel quel dans le. lieux principaux, Écriture et

Tradition, travail OÙ l’argumentation ne serait guère qu’un procède d’explication parmi les autres et non

pas cette BSSOmption des ressources aut lient iques de la r.iison dans la construction de l’objet chrétien

qu’elle était pour saint Thomas. Cependant il

Injuste de rendre ( ; iiim responsable <li U des

déviations que son Initiative mirait pu permettre, i ni

lignée de disciples authentiques procède aussi de lui ; il a créé le traité scientifique et critique de la méthodologie théologique, et tous les De lotis sont tributaires du sien : cf. A. Lang, Die loti…, p. 228, n. 1, et p. 243 ; M.-J. Scheeben, La dogmatique, trad. fr., t. i, p. 11.

2. Désagrégation de l’ancienne unité de la théologie. Les spécialisations nouvelles. — Chez beaucoup, l’effort de réponse aux requêtes nouvelles se fait non dans le sens du maintien de l’unité, mais dans celui d’une spécialisation et d’un morcellement. Le fait est général et caractéristique de l’époque moderne à la fin du xve siècle : la désagrégation de la synthèse médiévale. Mais tout n’est pas « désagrégation » dans le processus que nous allons analyser et le fait de spécialisation qui s’y manifeste est, pour une grande part, la conséquence normale et bienfaisante des nouvelles acquisitions qui constituent le progrès.

Très tôt, le travail théologique perd son unité et se morcelle en spécialités. Cf. A. Humbert, op. cit., p. 3. Certes, la tradition de l’École continue : on rédige des Cursus ; non seulement on commente la Somme de saint Thomas, mais, jusqu’en plein xvii c siècle, on commente encore les Sentences : ainsi Estius († 1613). Mais, la plupart du temps, les traités qu’on publie portent diverses épithètes, qui accusent la spécialisation des objets ou des méthodes : theologia biblica, catholica, christiana, dogmatica, fundamentalis, moralis, mystica, naturalis, polemica, positiva, praclica, scholastica, speculativa…, etc. Cf. une liste plus complète dans O. Ritschl, Literarhistorische Beobachtungen ùber die Nomenklatur der theologischen Disziplinen im 17. Jahrhundert, dans Sludien z. systematischen Théologie, Festgabe Th. von Hæring, Tubingue, 1918, p. 76-85. Pour ne prendre que cet exemple, le jésuite T. Lohner publiera, en 1679, des Institutiones quintuplicis théologies, et ces cinq théologies seront : positiva, ascetica, polemica, speculativa, moralis. Nous nous en tiendrons ici aux trois divisions de la théologie caractéristiques de la théologie moderne, en scolastique et mystique, dogmatique et morale, enfin et surtout scolastique et positive.

a) Théologie scolastique et théologie mystique. — Chez un saint Thomas, un saint Bonaventure, la mystique est intégrée à la théologie ; dans un état de la théologie où celle-ci remplit toutes les obligations de sa fonction de sagesse, une théologie mystique ou spirituelle n’avait pas à se constituer à part. C’est cependant ce qui arriva à partir surtout du xve siècle. Cf. A. Stolz, Anselm von Canterburꝟ. 1938, p. 37-38. Vers la fin du xvie siècle apparaîtront les Exercices de saint Ignace, puis un peu plus tard les écrits du Carmel réformé, puis ceux de saint François de Sales, types d’ouvrages spirituels qui sont des chefs-d’œuvre, mais qui n’émanent pas de la théologie spéculative classique comme de leur source immédiatement inspiratrice et dont la valeur, semble-t-il, déborde de beaucoup la valeur de leurs auteurs comme théologiens proprement dits. Cf. J. Wehrlé, Le doctorat de saint Jean de la Croix, dans Revue apologétique, t. xlvii, 1928, p. 5-22. Significatif est le fait que, dans leurs Tabulée fontium traditionis christianse, les PP. Creusen et Van Eyen aient éprouvé le besoin, à partir du xve siècle, d’ouvrir une nouvelle colonne pour y classer les écrits sous la rubrique de Theologia ascetica et mystica. Une spécialité nouvelle se crée dans la théologie et, serait-on tenté de dire, se sépare de la théologie : à la théologie scolastique va s’opposer une théologie mystique ou affective qui aura ses docteurs, ses ouvrages, ses sources et son style.

Le vocable de « théologie mystique », patronné par Denys, est courant depuis longtemps ; dans son opposition à « scolastique », il se réclame surtout de

Gerson, comme on le voit, par exemple, dans le Lexicon theologicum de Jean Altenstaig, Anvers, 1576, s. v. Les expressions théologie ascétique ou théologie spirituelle sont plus tardives. Cf. J. de Guibert, La plus antienne « Théologie ascétique », dans Revue d’ascét. et de myst., t. xviii, 1937, p. 404-408.

Chez les dominicains, un effort fut tenté pour satisfaire aux requêtes du mouvement spirituel tout en conservant à la théologie son unité. L’intention de parer à une disjonction entre une spéculation scolastique subtile et desséchée, d’une part, une spiritualité pure, d’autre part, est très nette chez Contenson qui veut, dans sa Theologia mentis et cordis, rendre à la théologie dont on se détourne parce qu’elle ne nourrit pas l’âme, sa valeur spirituelle : cf. op. cit., t. I, diss. I, c. i, specul. 1, appendix n. Massoulié, qui achèvera l’œuvre interrompue de Contenson, sera plus fortement encore soucieux de réintégrer dans la théologie la matière de la vie spirituelle. Quelques années avant Contenson, L. Bail avait publié la Théologie affective ou saint Thomas en méditations, Paris, 1654, et quelques années auparavant encore, Louis Chardon avait donné sa Croix de Jésus, 1647 ; cf. l’Introduction écrite par le P. Fr. Florand pour la réédition de La Croix de Jésus, Paris, 1937, p. lxxii sq., et, du même, l’Introduction aux Méditations de Massoulié, Paris, 1934, p. 94.

Théologie « affective » s’entend ici non plus d’une théologie expérimentale des choses de Dieu, mais d’une théologie dogmatique traitée dans un esprit de piété et d’édification. En réalité, nous tenons, avec le chef-d’œuvre de Chardon, un type intermédiaire de théologie. Certes, il s’agit pour lui de puiser dans l’étude contemplative des mystères l’explication et la régulation des choses de la vie spirituelle. Mais le choix des mystères contemplés, le choix des « thèmes » de la contemplation et l’orientation de l’étude viennent chez Chardon, non du donné théologique tel quel, pris dans son objectivité, en soi et selon sa pure vérité d’objet ; ils viennent de l’expérience spirituelle ou de la connaissance des âmes acquises par le directeur spirituel. C’est une théologie dont le « lieu théologique » finalement décisif est l’expérience des « âmes saintes », et non la pure vérité révélée, objectivement contenue dans les lieux théologiques classiques. Cf. J.-M. Congar, La Croix de Jésus du P. Chardon, dans la Vie spir., avril 1937, suppl., p. 42-57.

Signalons ici d’un mot la position méthodologique de Contenson dans sa Theologia mentis et cordis. Il dépend de la tradition de Salamanque et cite Soto, Médina, Cano. Conformément à cette tradition, il souligne fortement la liaison de la théologie à ses sources et son homogénéité à la foi ; il mêle au raisonnement des citations de l’Écriture et des Pères. Mais son intention propre est de réintégrer à la scolastique, dans une unique théologie, les éléments spirituels et les valeurs mystiques. Il définit l’objet formel quo de la théologie par la revelatio virtualis. L. I, diss. I, c. i, specul. 3. Il souligne si fortement l’homogénéité de la théologie à la foi que le raisonnement lui semble être une pure condition d’application des prémisses de foi, en sorte que l’assentiment final ne relève, comme de sa cause véritable, que des vérités de foi, ibid., c. ii, specul. 3 ; position qui sera reprise par Schæzlcr, et, à sa suite, par le P. A. Gardeil. Enfin, Contenson, isolé en ceci, veut que la théologie soit un habitus entitative supernaturalis, acquis cependant, ibid., opinion à laquelle il est entraîné par cette vue très aiguë qu’il a de la continuité objective entre la théologie et la foi.

b) Dogmatique et morale. — On signale souvent la rupture qui s’est introduite, dans la théologie posttridentine, entre le dogme et la morale. Il n’est pas

aisé de préciser quand et comment est intervenue cette coupure. Le Moyen Age avait connu cette distinction. C’est ainsi que, dans sa fameuse Summa Abel, Pierre le Chantre dit : Theologia duplex est : superior sive cselestis, quæ divinorum nolitiam spondet…, injerior sive subælestis, quæ morum informalionem docel. Grabmann, Gesch. d. scholast. Méthode, t. ii, p. 483, n. 3. On retrouve une distinction semblable chez Guillaume d’Auxcrre, ibid., p. 484 ; Robert de Courçon, p. 494 ; Jean de La Rochelle, p. 495 et 504 ; Pierre de Poitiers, p. 503, n. 2 et 504, et auparavant chez Yves de Chartres, op. cit., t. i, p. 242. Cependant, cette division, au Moyen Age, était d’ordre purement pragmatique ; elle s’entendait à l’intérieur d’une même discipline et il ne venait pas à l’esprit d’en faire une séparation. Dans le dernier quart du xvie siècle, au contraire, la morale devient, chez un grand nombre d’auteurs, un domaine à part, soustrait à l’influence directe et constante du dogme.

Quelles causes assigner à ce fait ? Faute des études de détail indispensables, il est malaisé de le dire. Le P. A. Palmieri suggère en ceci une influence protestante, mais il ne donne, en ce sens, aucun fait, aucune justification. Acta Academise Velehradensis, t. viii, 1912, p. 157. La chose n’est pas impossible ; de fait, l’ouvrage du calviniste Lambert Daneau, Ethicæ christianæ libri très…, 1577, est sans doute un des premiers traités de théologie morale séparée. Fr. Tillmann, Kath. Sittenlehre, t. iii, p. 33, souligne l’influence des prescriptions du concile de Trente relatives à la confession détaillée des péchés sur l’afflux des ouvrages de casuistique que l’on remarque alors. On peut remarquer enfin que les auteurs d’ouvrages de théologie morale séparée sont presque tous des jésuites, et des jésuites espagnols : Jean Azor, S. J., Institutiones morales, 1600, très nombreuses éditions ; H. Henriquez, S. J., Theologiie moralis summa, 1591 ; Th. Sanchez, S. J., Opus morale in præcepta Decalogi, 1613 ; L. Mendoza, O. C, Summa totius theologiæ moralis, Madrid, 1598, etc., pour ne citer que les principaux parmi les premiers spécimens d’une littérature qui fut très abondante. Ces ouvrages comportent généralement un traité de la fin dernière et de la moralité des actes humains, un traité des sacrements, un traité de la loi naturelle et positive (Décalogue, lois de l’Église), un traité des sanctions de droit ecclésiastique, enfin un traité des sanctions ou fins dernières.

Ces auteurs n’ont ni l’intention ni la conscience d’innover. Cependant, la différence est grande entre cette théologie morale séparée et l’ancienne partie morale de la théologie. Auparavant, il y avait, d’une part une étude scientifique de l’action humaine, aboutissant à une science théologique de cette action capable de la diriger, et. d’autre part, des manuels pratiques fort résumés à l’usage des confesseurs. La nouvelle théologie morale reprend la ligne de ces manuels, mais elle veut y introduire la matière des traités théologique,

elle veut aussi mettre à la disposition des confesnon

plus seulement un aide-mémoire complétant les traités scientifiques de la théologie morale, un manuel complet, se suffisant à lui-même, où la matière de ces traités scientifiques soit intégrée au titre de principes immédiatement applicables aux’uns pratiques ; le nouveau genre prend la succession des manuels de casibu » et il y absorbe, avec la matière dont elle traitait, la partie morale de la science logique. Cf. l’art. Probabilismb, col. 488 sq. ; 1 r erner, Gach. <lrr kathol. Théologie seit dem Trienirr (.mu ii, 1859, p, 50 iq. Les anciennes.Sommes ou onfesseurs étaient des répertoires

i brefs et essentiellement pratiques, le plus ion vent disposés par ordre alphabétique. On aura désor-un ensemble systématique qui se suffira à lui même ; la morale devient une spécialité parmi les disciplines qu’on enseigne et sur lesquelles on écrit. Il s’agit d’une discipline particulière qui aura sa méthode et ses données propres. On aura un traité de la fin dernière séparé du traité de Dieu, un traité des sacrements séparé du traité du Christ… Aussi les nouvelles productions de théologie morale seront-elles, de soi, exposées au danger de subir, à la place de celle du dogme, l’influence de la philosophie. Déjà Yasquez ne voit, dans toute l’analyse de la moralité et des espèces de vertus et de péchés, que pure philosophie et, pour ce motif, considère la partie morale de la théologie comme subalternée à la philosophie morale ou mieux comme appartenant à la philosophie. In I* m part. Sum. theol., I » pars, disp. VII, c. v ; cf. disp. XII, c. m. On peut suivre, dans J. Diebolt, La théologie morale catholique en Allemagne au temps du philosophisme et de la Restauration, 1750-1850, Strasbourg, 1926, ce processus auquel l’étude du Droit naturel, à la suite de Grotius, a donné une forte impulsion, et qui tendrait à laïciser, si l’on ose dire, la théologie morale.

c) Scolastique et positive. — Grégoire de Valence, dans ses Commentarii theologici parus en 1591, parle de la division de la théologie en scolastique et positive comme d’une division courante. Disp. I, q- i, punct. 1. Vers le même moment, Louis Carbonia dit aussi : Theologia christiana dividi solet in scholasticam et positivam. Introduclio in sacram theologiam, Venise, 1589, t. I, c. vin. Un peu auparavant, le maître général des frères-prêcheurs, Sixte Fabri, dans une ordonnance du 30 octobre 1583, prescrit qu’au couvent de Pérouse, prœler leclionem theologiæ scolasticæ habeatur quoque lectio theologiie positivée…, cité par Ed. Hugon, De la division de la théologie en spéculative, positive, historique, dans Revue thomiste, 1910, p. 652-656 (p. 653). L’expression doit être courante, puisqu’elle est employée sans explication dans un document officiel. Cependant, elle est sans doute alors assez récente, car Jean Altenstaig, dans son Lexicon theologicum, Anvers, 1576, ne la mentionne pas ; Cano pas davantage, bien qu’il connaisse formellement la réalité qu’elle recouvre et qu’il parle deux fois de ponere principia, De locis, t. II, c. iv ; duas esse cujusque disciplina 1 parles… unam in qua principia ipsa tanquam jundamenla ponimus, slatuimus, firmamus, altérant in qua principiis positis, ad ca quæ sunt inde consequentia proficiscimur ; cꝟ. t. XII, c. iii, med. : Nulla enim omnino disciplina sua principia raliocinatione probat, sed ponit : ideirco enim positiones seu petilioncs nuncupantur.

On trouve la division en théologie positive et scolastique dans les règles d’orthodoxie ajoutées par saint Ignace de Loyola († 1556), à la fin des Exercices, reg. xi : « Louer la théologie positive et scolastique, car, comme c’est particulièrement le propre des docteurs positifs, tels que saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire et les autres, d’exciter les affections et de porter les hommes à aimer et à servir de tout leur pouvoir Dieu, notre Seigneur, ainsi le but principal des scolastiqucs tels que saint Thomas, saint Bonaventure, le Maître des Sentences et ceux qui les ont suivis, est de définir et d’expliquer, selon le besoin des temps modernes, les choses nécessaires au salut éternel, d’attaquer et de manifester clairement toutes les erreurs et les faux raisonnements des ennemis de l’Église. » On le voit, dans ce texte de saint Ignace, la théologie positive et la théologie scolastique répondent moins à deux fonctions qu’à deux Dualités, ou plutôt à deux genres et comme à deux formes de la théologie.

On peut remonter au delà de saint Ignace et, jusqu’à nouvel ordre, nous considérerons comme le premier usage du terme celui que fait Jean Mair dans son commentaire sur les Sentences publié à Paris en 1509

et réédité en 1512, 1516, 1521. Jean Mair désapprouve ceux qui prolixe in theologia quæsliones inutiles ex artibus inseru.nl ad lonqum, opinione.s jrivolas verborum prodigalitate impuqnant… Quocirca, statui pro viribus matcrias theologicas ferme tolaliler in hoc quarto nunc positive, nunc scholastice prosequi. In I V um Sent., 1509, fol. 1-2, cité dans R.-G. Valloslada, Un teologo ovlidado : Juan Mair, dans Esludios eclesiasticos, t. xv, 1936, p. 97 et 109. Ce texte est remarquable, et il nous met sur la voie d’un sens du mot « posilif « qui pourrait bien être le sens originel. Le mot désigne, chez Jean Mair, à la fois une matière et une méthode. Il indique un exposé bref, un exposé religieux, dépouillé tant des questions inutiles que des questions principalement philosophiques réservées au point de vue n scolastique », un exposé apportant, non des choses problématiques ou controversées, mais des données fermes ; il s’agit enfin d’un exposé portant sur une matière chrétienne, sur des vérités de fait, non déductibles par des raisons.

A partir de là, il semble bien que le même mot ait recouvert deux notions qui, pour se relier à une origine commune, n’en sont pas moins notablement différentes. Il y a une conception littéraire, selon laquelle la théologie positive représente une certaine manière de faire œuvre de théologie, et une conception méthodologique, selon laquelle la positive est une certaine (onction de la théologie. La première conception, qui peut se rattacher au texte de saint Ignace et même à celui de Jean Mair, sera longtemps la plus répandue : il semble bien que ce soit celle que le mot « positif portait alors le plus spontanément avec soi ; la seconde conception représente un développement interne de la notion de théologie qui s’est amorcée chez Cano et qui aurait pu se dérouler ensuite, sans se couvrir du nom de « positive « , mais qui s’est finalement présentée sous cette enseigne.

Dans la ligne de Cano, la théologie positive désignera cette partie ou cette fonction par laquelle la théologie établit ses principes et s’occupe de ses fondements, de son donné. Partie ou fonction qui concerne donc principalement l’Écriture et les Pères et qui vise, non à élaborer le contenu de leurs assertions, mais à le saisir tel quel en sa teneur positive ; par conséquent, partie ou fonction qui suit non une méthode d’argumentation dialectique mais une méthode d’exposition plutôt exégétique et simplement explicative. Par ce biais, la théologie positive ainsi entendue rejoint la théologie positive entendue au sens littéraire que nous allons voir : car elle se distingue de la théologie scolastique par la « manière » et finalement, par le style lui-même. Aussi, comme nous le verrons, un assez grand nombre d’auteurs mêleront ou juxtaposeront les deux notions.

Les auteurs et les textes suivants se rattachent à cette manière d’entendre la distinction entre scolastique et positive :

Secunda (divisio) oritur ex differentia quadam methodi qua utitur in ea fidei explicatione… in positivam et scholasticam. Quibus appellationibus unus eliam et idem habitus signifioatur, proul diverso modo versatur in suo munere explicandi et coufiimandi fidem. Positiva enim theologia dieitur, quatenus occupatur polissimum in explicando ipso Scriptura sacra ; sensu, ad eumque eliciendum, tum aliis admiiiiculis, tum prsecipue auctorilate sanctorum Pamim utitur. Quo ipso quasi principia fuma aliarum conclusionum theologicarum ponit ; et ideo positiva videtur dicta, quia scilicet ponit atque statuit ex Scriptura principia theologiae fuma. Scholastica vero, theologia vocatur prout explicat et confirmai ac défendit uberius et accuratius fidei sententiam, subtiliter iis etiam rébus animadversis, quæ vel ex fide conséquentes sunt vcl fidei répugnant… Grégoire de Valence, Commentarii theol., disp. I, q. i, punct. 1 ; comp. punct. 5.

Tlieologia positiva est Scripturse sacrée cognitio rerumque divinarum explicatio, sine argumentatione operosa. Po nendo sensum Scriptura ; et thèses conclusionesque theologicas sine argumentis convincenlibus. Theologia scotastica est scientia ex principiis fidei educens démonstrative conclusiones de Deo rebusque divinis… J. Polman, Breuiarium theologicum, Lyon, 1CJ6, p. 4.

Positiva illa dicitur quæ conclusiones suas probat tum ex Sacræ Scripturoe auctoritate, tum traditionibus, tum defiaitionibus conciliorum, tum denique sanctæ iicclesi.-e et poiililicum determinationibus, theologorumve unanimi sententia… J.-V. Zambaldi, Disserlaliones théologies ? scholastico-doginalicæ, Padoue, 1728, q. i.

La conception de la théologie positive prise du point de vue littéraire est déjà celle qui est sous-jacente au texte de saint Ignace cité col. 426. Elle fut, et de beaucoup, la plus commune au xvii* et au début du xviii » siècle. Petau lui-même, bien qu’il soit effectivement le père de la théologie positive au sens moderne du mot, lequel reprend la ligne de Cano, ne définit pas la théologie positive autrement.

On trouve cette notion dans les textes suivants : …Non illam (theologiam) conlenliosam ac subtilem, quæ aliquot abhinc orta sœculis jam sola pêne scholas occupavil, a quibus et scholasticæ proprium sibi nomen ascivit ; verum elegantiorem et uberiorem alleram… Dogm. theol., proleg., c. i, n. 1 ; cf. c. iii, n. 1 et surtout c. ix, n. 9, où son nom est donné à cette autre théologie : Alterum genus est theoloqiee quod posilivum vulgo nuncupanl, quod majori parti blanditur hominum eurum qui polilis deleclantur artibus et abhorrere ab omni barbarie prse se ferunt. Voir aussi Billuart, Cursus theologise, diss. proœm., a. 1 : Ex parte modi dividitur in positivam et scholasticam. Positiva est quæ versatur circa S. Scripturas, traditiones, concilia, canones, SS. Pontiftcum décréta, SS. Palrum opéra, antiquitalis facta historica et praxim, ea expendendo, penelrando, vera a falsis discernendo, sensum legilimum explicando, mysteria fidei et veritates revelatas ex eis eruendo, et ex verilatibus revelalis alias deducendo ; et hxc omnia stylo lusiori, elegantiori et quasi oratorio, atque regulis dialecticis minus accomodato… On pourrait enfin citer E. du Pin et ceux qui dépendent de lui : du Pin, Méthode pour étudier la théologie, Paris, 1716, c. n (éd. de 1768, p. 30 sq.) ; de La Chambre († 1753), Introduction à la théologie, diss. I, art. 6, dans Migne, Theol. cursus complcius, t. xxvi, col. 1070. Si étrange que cela puisse paraître, ces différents auteurs définissent la théologie positive comme la forme plus élégante et moins rigoureuse de la théologie tout court, dont la scolastique est la forme exacte et plus sévère. Comme Billuart l’indique nettement, la théologie positive est représentée, en somme, par les auteurs ecclésiastiques antérieurs à saint Jean Damascène pour l’Orient, à Pierre Lombard pour l’Occident. Mais, chez nombre de scolastiques, l’apport historique et textuel demeurera extrinsèque au développement de la pensée ; ils s’y résoudront comme à une exigence du temps, mais sans croire à sa fécondité et à sa valeur. Billuart lui-même ajoutera bien à son commentaire des développements historiques, mais ce sont, selon sa propre terminologie, des digressiones, et il ne les ajoute, dans une Somme qu’il proclame hodiernis moribus accomodata, que parce que usus prævaluit ; cf. la Prsejatio auctoris à sa Summa.

Beaucoup, d’ailleurs, accolent la notion épislémologique héritée de Cano et la notion littéraire ou humaniste. Il y a quelque chose de cela chez Billuart lui-même, et plus encore chez Philippe de la Trinité. C’est au maximum le cas de Tournély († 1729), Prselecliones theologicx de Deo et divinis attribuas…. disp. prœvia, q. i, a. 2, Venise, 1731, p. 4, et de Berli, De theologicis disciplinas, t. i, Venise, 1776, p. 2.

Il n’empêche que c’est bien à l’époque où nous sommes que, avec ou sans l’étiquette, se forma ce que nous appelons la théologie positive. À quels problèmes, à quels besoins répondait cette activité relativement

nouvelle ? À deux besoins : celui de l’humanisme et celui des hérésies.

Nous avons évoqué plus haut les nouvelles exigences en fait de textes et d’histoire. Certes, leur cause sera difficile à gagner. Si Cano déclarait en f560 que tous les gens instruits considéraient comme omnino rudes les théologiens dans les œuvres de qui l’histoire était muette, De locis, t. XI, c. ii, l’histoire n’en demeura pas moins étrangère aux programmes de formation intellectuelle du xvie siècle ; cf. P. Polman.L’e’Wme. nl historique, p. 500. Le xvii c siècle fut plus heureux : non seulement il vit paraître des œuvres très remarquables de théologie positive, celles, en particulier, de Petau († 1047) et de Thomassin († 1695), mais il vit l’histoire s’introduire, en plus d’un endroit, dans le régime pédagogique des clercs. Bien des traités de méthodologie théologique feront alors une place considérable aux études historiques et scripturaires : Noël Alexandre, Préface à son Histoire ecclésiastique, 1676 (cf. en particulier, t. i, p. liv) ; Bonaventure d’Argonne, Traité de la lecture des Pères de l’Église, 1688 ; Mabillon, Traité des études monastiques, 1691 ; Ellies du Pin, Méthode pour étudier la théologie, 1716, etc.

La théologie positive n’est pas née seulement de l’humanisme, mais de la nécessité de répondre aux hérésies. Cela entraînait l’obligation de prouver la conformité du dogme ecclésiastique à ses sources premières. Aussi les toutes premières recherches de théologie positive, dans l’Église, ont-elles été des recueils de textes et de témoignages que l’on a opposés aux novateurs. Les hérésies modernes devaient d’autant plus susciter une activité de ce genre qu’elles se présentaient comme une réforme radicale de l’Église et mettaient en question sa fidélité à ses origines. Ainsi d’abord dans la polémique avec Wiclef, comme on le voit, par exemple, dans le Doctrinale antiquitalum fidei Ecelesiæ cutholicæ de Thomas Netter, dit Waldensis († 1 131), et dans celle avec Jean Hus. Ainsi surtout dans l’effort énorme que firent les catholiques pour répondre au protestantisme. Les activités du catholicisme moderne ont été conditionnées en glande partie par la mise en question de la Réforme. Jusqu’alors la théologie avait été en possession paisible de ses sources ; elle en recevait l’apport dans l’Église. C’est en pleine tranquillité cju’- les théologiens seolastiques non seulement puisaient leur donné dans la vie actuelle de l’Église, sans s’inquiéter de critique historique, mais qu’ils référaient à l’Église vivante ce qu’ils pouvaient remarquer de nouveau à un moment donné de son développement : c’est très net, par exemple, dans la question, qui deviendra cruciale pour la nouvelle théologiepositive, de l’institution des sacrements.

Maintenant. l’autorité de l’Église, réduite par les Réformaleui i à un niveau tout humain, ne suffirait plus pour justifier la moindre tradition et l’on était Obligé, pour suivie les novateurs sur leur terrain, de se référer À l’Église ancienne, voire parfois au texte de la ule Écriture. D’où la création par les théologiens catholiques de la théologie positive, d’une part, du traité de la Tradition, d’autre part : double création par laquelle la manière de se référer aux sources sera changée pour la théologie, pour celle du moins qui ne croira pas pouvoir continuer purement et simplement [ne médiévale.

Les II essités que nous venons d’évoquer ont en gendié, au xvir sic. e, les innombrables traités qui

trfentés vers la démonstration de la « Perpétuité

t il. Avant le livre fameux de Nicole. Perpétuité

d’la foi de l’Église louchant VeucharMie, 3 vol., 1609

In ; même modèle de beaucoup d’autres, nous

aurons nombre de démonstrations de même esprit

et d ii (ours du xvie siècle,

C’est ainsi que l’effort de la théologie positive 1

d’abord orienté vers la preuve de la conformité de l’enseignement actuel de l’Église avec le témoignages bibliques ou patristiques de la foi de l’Église apostolique ou ancienne. C’est ce que certains auteurs appellent « positive des sources », ainsi R. Craguct, art. cité, p. 15-16 ; L. Charlier, Essai sur le problème théologique, p. 35-50.

A. Rébelliau, Bossuet historien du protestantisme, 3° éd., Paiis, 1909 ; J. Tunnel, Histoire de la théologie positiue du concile de Trente au concile du Vatican, Paris, 1906 ; Ph. Torreilles. Le mouvement théologique en France depuis ses origines jusqu’à nos jours, Paris, s. d., c. vi, ix, xi et xii (ce sont les meilleurs) ; P. Polman, L’élément historique dans la controverse religieuse du XVIe siècle, Gembloux, 1932 ; Mgr Grabmann, Geschichte der katliolischen Théologie seit dem Ausgangder Vàterzeit, Fribourg-en-li., 1933, p. 185 sq. ; A. Stolz, Positive und spekulalive Théologie, dans Divus Thomas (Fribourg), 1931, p. 327-343 ; R. Draguet, M< ?(/io</es théologiques d’hier et d’aujourd’hui, dans Revue cathol. des idées et des faits, 10 janv., 7 et 14 févr. 1936 ; L. Charlier, Essai sur le problème théologique, Thuillies, 1938.

d) L’apologétique. — Nous sommes maintenant à l’époque des dissociations. Le monde naturel tend à reprendre son indépendance et à se oncevoir comme étranger à la foi, se posant en face d’elle comme un vis-à-vis, et comme se suffisant à lui-même : en politique, deux pouvoirs qui peuvent, comme d’égal à égal, passer un concordat ; en matière de connaissance, deux lumières extérieures l’une à l’autre et gouvernant chacune un monde à part. L’apologétique, qui représente un usage de la taison extérieur à la foi, bien que relatif à elle, est née de cette situation et du besoin de refaire l’unité perdue. Il s’agit en effet, en usant de la lumière naturelle d’amener à la f oi en établissant qne l’enseignement de l’Église catholique représente la révélation de Dieu. Peu de décades avant l’époque dont nous parlons, la mise en question de la Réforme avait fait naître une activité nouvelle de défense qui, sous le nom de « polémique » ou de i controverse », s’était vite constituée en branche spéciale de la théologie et de l’enseignement ecclésiastique. Nous n’en ferons qu’une simple mention : cf. K. Werner, Geschichte der kalholischen Théologie seit dem Trienle.r Concil zur Gegemvart, Munich, 1866, p. 34 sq. ; Geschichte der apoloqetischen und polemischen Litcratur der christlichen Théologie, Schaffouse, 1861 sq., 5 vol. Nous n’avons à nous occuper ici de l’apologétique que sous l’aspect où elle intéresse la notion de théologie, en tant qu’elle est devenue une spécialité de la théologie et en tant que sa création et son développement ont pu influer sur la conception même de la théologie.

L’apologétique ne se constituera guère en traité séparé de la théologie dogmatique avant le milieu du xviie siècle : F. de B. Yizmanos, La apologetica de los escolaslicos postridentinos, dans Estud. eclesiast., 1934, p. 422 ; H. Busson, La pensée religieuse française de Charron à Pascal, Paris, 1933, c. xi et XII, Mais elle se prépare dans les traités seolastiques de la foi et en deux questions de ce traité : celle de la crédibilité et celle de la certitude subjective de la foi.

Le souci d’établir le bien fondé du dogme catholique détermine une nouvelle activité de la raison relativement aux principes de la théologie, qui sont précisément les dogmes : il n’est plus question d’élaborer

le contenu objectif des dogmes (théologie scolastique), ni même de prouver la conformité du dogme a ses sonnes premières (théologie positive), mais d’établir aux yeux de la raison leur crédibilité, objet de la démonstration chrétienne ». Ainsi, d’une part, les traités apologétiques se gonflent-ils d’une ma théologique qu’ils n’avaient pas à aborder, d’autre part, la théologie elle-même prend-elle souvent, en de ses objets, une altitude et des préoccupai ions

apologétique*. D’autant que la controverse a mis son

emprise partout. C’est ainsi que parfois la théologie, dans sa partie argumentative, semblera avoir pour objet d’établir apologétiquement la vérité de la religion et donc les vérités de la religion : la substitution fréquente du mot « religion au mot « foi » apportant ici sa nuance. Cette conception est au fond, avec une forte accentuation positive et une timide mention de la déduction de conclusions, celle qui s’affirme dans les c. i et m de la Méthode pour étudier la théologie d’Ellies du Pin, 1716 : « Toute l’étude de la théologie consiste à chercher les moyens par lesquels on peut s’assurer quelle est la Religion véritablement fondée sur la Révélation divine et quelles sont les vérités certainement révélées. » C. i.

Notons ici un dernier fruit de ces positions chez des théologiens modernes. Tandis que les anciens commentateurs de saint Thomas cherchaient la valeur scientifique de la théologie dans sa continuité à la science de Dieu et des bienheureux dans laquelle ses principes sont possédés avec évidence, cf. supra, col. 381, un certain nombre de théologiens, voulant donner à la théologie une valeur scientifique même au regard d’une raison humaine non croyante, trouvent le principe de cette valeur dans la jonction que la théologie peut avoir avec les évidences naturelles par le moyen de la crédibilité et de la démonstration apologétique. C’est la notion d’une « théologie fondamentale », entendue en ce sens que les fondements ou principes de la théologie y seraient établis de la manière qu’on vient de dire. Cette notion, qu’on rencontre par exemple chez A. Dorsch, S. J., Institutiones theologiæ fundamenlalis, t. i, Inspruck, 1930, p. 14, chez H. Dieckmann, S. J., De revelatione christiana, Fribourg, 1930, p. 24, etc., a été combattue, au nom de la tradition thomiste par le P. A. Gardeil, La crédibilité et l’apologétique, 2e éd., Paris, p. 221 sq., et Revue des sciences philos, et théol., 1920, p. 649. Elle garde pourtant des partisans, comme on pourra voir dans J. Bilz, Einfùhrung in die Théologie, Fribourg-en-B., 1935, p. 42, et P. Wyser, Théologie als Wissenschaft, 1938, p. 47, n. 3. B. Poschmann, Der Wissenschaflscharakter der katholischen Théologie, Brestau, 1932, p. 16-21, expose comment, encore que la théologie tienne sa qualité scientifique de la foi seule, une preuve scientifique et rationnelle, extrinsèque d’ailleurs, de l’existence de son objet, la Révélation, est cependant possible et convenable. Ainsi conçu, le rôle de l’apologétique dans le système scientifique de la théologie est non seulement acceptable, mais incontestablement heureux. Et, comme le note avec beaucoup de finesse B. Poschmann, c’est une manière de concilier « les deux voies » divergentes de K. Eschweiler.

K. Eschweiler, Die zwei Wege der neueren Théologie, Augsbourg, 1926 : on trouvera dans cet ouvrage, en particulier p. 263, n. 3 et 266, n. 12, la bibliographie afférente à la question de Vanalysis fldei ; P. Schutt.Das Verhâltnis von Vernunftigkeit und Gôltlichkeit des Glaubens bei Suarez, Warendorꝟ. 1929 ; F. Schlagenheufen, Die Glaubensgewissheit und ihre Begriindung in der N euscholastik, dans Zeitsch. f. kathol. Theol., t. lvi, 1932, p. 313-374, 530-595 ; F. de B. Vizmanos, La apologetica de los escolasticos postridentinos, dans Estud. eclesiast., 1934, p. 418-446 (bibliographie p. 422, n. 8).

VIII. Coup d’œil sur la théologie du xvir » siècle a nos jours. — Après avoir vu les problèmes nouveaux posés devant la théologie à l’époque moderne, puis l’effet de dissociation et de spécialisation causé par ces problèmes, il reste à esquisser les vicissitudes de la notion de théologie du xviie siècle à nos jours : 1. La forme de théologie déterminée par les attitudes nouvelles ; 2. Le marasme de la théologie au temps du philosophisme ; 3. Le renouveau de la théologie au xix » siècle et à l’époque contemporaine.

I. LA THÉO W 01 E NÉE DES TENDANCES U0DERNE8 : DOGMATIQUE ET THÉOLOGIE SCOLASTICO-DOOMATIQUE.

— Au point de vue de la notion de théologie, c’est vers les dernières années du xviie siècle que se fixent les formes modernes de cette science, issues à la fois du mouvement moderne de la Renaissance et du mouvement de défense du concile de Trente. Les grandes écoles de pensée qu’étaient les écoles conventuelles, ou les universités perdent leur éclat. Un fait notable au point de vue de la théologie est la mort des universités comme centres de pensée originale ; elles sont absorbées par les querelles du gallicanisme, du jansénisme, ou se discréditent dans la domestication du joséphisme. L’enseignement de la théologie y continue cependant, ainsi que dans les séminaires et les écoles des ordres religieux. À cela répond le fait que signale Hurter, Nomenclator, t. iv, 3e éd., col. 317 : aux commentaires sur saint Thomas ou sur les Sentences, se substituent, vers 1680, des cours et des manuels systématisés de théologie, où les points de vue positif, scolastique et polémique sont adoptés à la fois et harmonisés. Trois choses, qui se sont suivies chronologiquement, nous semblent caractéristiques de la théologie entre 1680 environ et la fin du xviiie siècle : 1. la méthode dogmatique ; 2. la tendance à se constituer en « système » ; 3. l’organisation pédagogique de la théologie en « Encyclopédies ».

La méthode dogmatique.

Elle est issue de la

nouvelle « positive » et du besoin de proposer, pour l’enseignement, au delà des controverses qui divisent les écoles, une doctrine qui s’impose à tous. L’idée de « dogmatique » est liée au désir d’une doctrine non soumise à disputes, celles-ci se produisant au delà, dans une marge laissée à la liberté. C’est l’époque où se répand la formule célèbre, In dubiis libertas, et où, par exemple, le servite G. -M. Capassi publie un livre intitulé Inlellectus triumphans, in dogmaticis captivus, in scholasticis liber, Florence, 1683.

Le mot dogmaticus existait déjà en théologie et il avait été déjà employé par opposition à moralis ou ethicus, ou encore pour signifier quelque chose de théorique, comportant des positions et des affirmations idéologiques fermes. Cf. O. RitschI, Das Wort dogmaticus in der Geschichte des Sprachgebrauchs bis zum Aufkommen des Ausdruckes theologia dogmatica, dans Festgabe J. Kdjtan, Tubingue, 1920, p. 260-272. Dans la théologie catholique, le mot, employé en opposition non plus à ethicus ou à historiens, mais à scholasticus, prend, vers 1680, semble-t-il, un sens que le texte suivant suffira à faire entendre : Theologiam dogmalicam et moralem in qua, sepositis omnino queestionibus scholasticis, prætermissis etiam positivée theologiæ quæstionibus. .. ea dumtaxat tractentur quæ in concilio Tridenlino fmita sunt aut trad.ta dogmata, vel in ejusdem concilii catechismo exposila… Noël Alexandre, Theologia dogmatica et moralis, 1693, 1. 1, præf. Le mot est encore employé en distinction avec moralis, mais il prend un sens très net de doctrine commune dans l’Église, telle que, évitant les disputes d’école, elle se fonde immédiatement dans les documents du magistère.

Cette idée d’une théologie « dogmatique » est liée, à cette époque, à tout un mouvement de pensée concernant la notion de dogme et les lieux théologiques. On trouve fréquemment, dans les auteurs de cette époque, des précisions nouvelles et passablement compliquées sur le dogme et ses différentes variétés. La division faite par le P. Annat dans son Apparatus ad posilivam theologiam melhodicus, t. I, a. 7, Paris, 1700 (2° éd., 1705, p. 31 : nombreuses éditions), entre dogma imperatum, liberum et toleratum, est acceptée par les auteurs. Gotti, Theol. scholastico-dogmatica, tract. I, q. i, dub. vi, §1 ; Gautier, Prodromus ad theol. dogmatico-scholasticam, Cologne, 1756, diss. II, c. i, a. 2.

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    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. AU TEMPS DU PHILOSOPHISME

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Les mêmes auteurs apportent beaucoup de soin à distinguer différentes espèces et divers degrés de conclusions théologiques : cf. Gotti, dub. iii, § 3 ; Gautier, diss. II, c. i ; de même, ils développent un De locis assez élaboré et ils consacrent une grande place à définir les différentes notes théologiques. Pour toutes ces choses, le Prodromus de Gautier est typique et très complet.

C’est cette ligne de la theologia dogmatica qui aboutira aux Dogmatiques modernes, c’est-à-dire à des exposés de la doctrine catholique se présentant non comme une élaboration extrême systématique et dialectique, à la manière des Sommes du Moyen Age, mais comme une sorte de « doctrine chrétienne » développée, ou une explication du donné de foi poursuivie très au contact avec les sources et les expressions positives de celles-ci. Cf. O. Ritschl, Li/erarhistorische Beobachlungen ùber die Nomenklatur der theologischen Disziplinen im 17. Jahrhunderl, dans Studien zur systemalisclien Théologie, Fcstgabe Th. von Heering, Tubingue, 1918, p. 83 sq. ; H. Keller, dans Theologische Revue, 1938, col. 301.

Les cours et manuels de l’époque qui suit 1680 portent fréquemment dans leur titre les mots « dogmaticoscolastique . Ainsi C.-V. Gotti, J.-B. Geuer, 17671777, Tournélꝟ. 1755, etc. Ce titre indique l’intention de marier l’élément positif et l’élément rationnel, l’explication de la foi et l’interprétation d’école. Cela est très net, par exemple, dans l’œuvre d’un Martin Gerbert, voir ici, t. vi, col. 1295 et cf. ici, art. Gotti, t. vi, col. 1505-1506. Cette intention commande une méthode. On a abandonné la technique de la quæstio et on adopte, à la place, un schème d’exposé qui commence d’apparaître déjà dans la scolastique du xive siècle et qui était déjà, en somme, celui de Cano ; il suit non un ordre dialectique d’invention et de preuve, mais un ordre pédagogique d’explication et comporte les étapes suivantes : thèse, status quæstionis, c’est-à-dire exposé des opinions, preuves positives d’autorité, preuves de raison théologique, solution des difficultés, corollaires, et en particulier corollaires pour la vie et la piété. Ce schéma est devenu celui de la presque totalité de nos manuels.

2° La tendance à se constituer en « système ». — Vers le milieu du xviir » siècle, la théologie subit, surtout en Allemagne, l’influence de la philosophie de Wolf. Cette influence est sensible au point de vue du contenu, et plus encore peut être au point de vue de la méthode. Wolf accentue la tendance de ses inspirateurs. Spinoza, avec son more geomelrico, Leibniz avec son Systema theologiæ (publié seulement en 1819), pour aboutir à ce qu’on appellera le systema ou la methodus scientiflea : méthode de type ^cornet rique caractérisée par la recherche d’un ordre déductif rattachant tous les éléments à un unique principe. O. Ritschl a étudié le développement de l’idée de « système » et de procédé t systématique dans la théologie, principalement dans la théologie protestante, depuis le début du xviie siècle jusqu’au milieu du xviii 1 : System und systematische Méthode in der Geschichle des wissenschalllichen Sprachgebrauchs und der philosophischen Méthodologie, Bonn, 1900, surtout p. 40-54. Il est fort probable que l’exemple de la théologie protestante qui. très loi, a juxtaposé à l’Écriture un « système » plus construit que les anciennes Sommes scolastiqucs, a influé sur la théologie catholique.

Dans la seconde moitié du xvine siècle, la théologie catholique recherche volontien de se constituer’n système », en suivant la methodus scientifica île l’école de Wolf. Des exemples types oc telles théologie ! sont fournis par l’œuvre de B. Stattler, s. J. ; cf.C. Oberndorfer, O. S B., Systema Iheolagtco hislonr, , rntintm, Allgsbourg, 1762 ; B.-J. Ilcrwis, O. Præm., Epitome dogmatica, Prague, 1706, traité

apologétique de l’Église selon la méthode mathématique ; J.-A. Brandmeyer, Principia eaiholica introductionis in universam theologiam christianam, Rastadt, 1 783 ; M. Gazzaniga, O. P., Theologia dogmatica in systema redacta, Ingolstadt, 1786 ; M. Dobmayer, Theologia dogmatica, seu Systema theologiæ dogmaticæ, 1807 (posthume).

3° L’organisation pédagogique de la théologie en « Encyclopédies ». — En même temps, la théologie du xviiie siècle est friande de traités méthodologiques. Les Introductiones, les Apparalus, les De locis se multiplient. La vieille idée de rassembler toutes les connaissances en un corpus où elles soient distribuées et ordonnées, réapparaît et anime le mouvement des encyclopédies. Vers la fin du xviir 3 siècle et au début du xix", l’idée de réunir et d’organiser en un ensemble les diverses branches relevant de la théologie, prend corps dans un grand nombre d’ « Encyclopédies » ou « Méthodologies ». Ces deux mots répondent à la fois à l’ancien De sacra doctrina, au De locis et au besoin nouveau de distribuer systématiquement les différentes branches, parfois divisées et subdivisées à l’excès, de la théologie : par cette idée de distribution systématique et d’ordre déduit d’un seul principe, 1’ « encyclopédie » se rattache au « système », comme on le sent jusque dans le titre d’une des plus célèbres productions de ce genre, du côté catholique, V Encyklopâdie der theologischen Wissenschaften als System der gesammten Théologie, de F.-A. Staudenmaier, 1834.

Ces Encyclopédies ou Méthodologies sont innombrables. On trouvera sur elles une abondante documentation dans l’art. Encyklopâdie de la Prolest. Realencyklopadie, 3e éd. t. v, p. 354 sq., dans les art. Encyklopâdie et Théologie du Kirchenlexikon, 2e éd., t. iv, col. 497-501 et t. xi, col. 1565-1569 ; dans le Systemalisch geordnetes Repertorium der kalholisch-lheologischen Litteratur de Gla, t. i, Paderborn, 1895, p. 6 sq. ; enfin dans l’art. Théologie du Dict. encyclopédique de la théologie catholique de W’etzer et Welte, trad. fr. par Goschler, t. xxiii, p. 313-324 : ce dernier article donne les plans proposés par Dobmayer, 1807 ; Drev, 1819 ; Klee, 1822 et Staudenmaier, 1834. Cf. aus’si G. Rabeau, Inlrod. à l’élude de la théologie, Paris, 1926, p. 369 sq.

II. LE MARASME DE LA THÉOLOGIE AU TEMPS DV

PHiLOSOMisME. — La théologie pénétrée par l’esprit du philosophisme est caractérisée par la méconnaissance du christianisme en tant qu’il apporte à l’esprit, au delà des possibilités et des initiatives propres de celui-ci, un ordre nouveau d’objets, qui sont des mystères, inaccessibles à toute découverte rationnelle, mais donnant lieu, une fois révélés et reçus dans la foi, à l’activité contemplative nouvelle d’une intellectualité surnaturelle. La Ve.rnunlttheologie, au temps de VAufktàrung et du philosophisme, reprend l’intention de l’apologétique qui s’est développée depuis le xviie siècle, contre les « libertins » : elle veut refaire l’unité des esprits dans le christianisme, au sein d’un monde où la foi d’un côté, la science et la culture de l’autre, forment deux terres séparées ; elle veut opérer le passage de la raison à la religion, de la science au christianisme, par les ressources de la raison et de la science. G. Hermès († 1831) donne à cette Intention une forme savante, dont l’appareil est en grande partie emprunté à Kant corrigé pu Fichte, Einleitung in die christkatholische Théologie, i. Philosophische Einleitung, Munsler, 1819 ; II, Positive Einleitung, Munster, 1829. Il définit la foi en termes purement intellectuels, comme l’état de l’esprit qui, parti du doute posilif et absolu, arrive a ne plus pouvoir douter. Cf. ici, art. IIihmi’s. i. i, col. 2290 sq. La grâce intervient bien pour rendre efficacement salutaire la foi ainsi obtenue ; mai’. I oui le contenu intellectuel

de cette foi. tout ce que l’esprit reroil de l’objet et dont il fait sa vie d’esprit, était, chez Hermès, une chose de la raison. Il n’a pas vu qu’entre la raison d’une part préparant l’accès à la foi par la démonstration des prœambula fidei et celle de la crédibilité générale du dogme et, d’autre part, la raison retrouvant une activité dans la foi et sur les objets de la foi par la théologie, s’intercalait un acte surnaturel dans lequel l’esprit était élevé à un nouvel ordre d’objets.

Hermès montre ainsi le danger d’une apologétique conçue comme une démonstration du dogme telle qu’une théologie pourrait lui faire suite sans rupture de continuité. Dès que, dans les diverses analysis fldei, on cherchait pour l’acte de foi lui-même, et non seulement pour ses préparations rationnelles, une résolution en une évidence donnée dans la conscience, n’était-on pas porté dans le sens d’une foi philosophique et d’une Vernunftllwologie ?

Le philosophisme agit sur la théologie assez différemment en France et en Allemagne. En France, la philosophie était étroitement laïque ; elle excluait le christianisme. En Allemagne, Fichtc, Schelling et Hegel assumaient dans leur système une sorte de double idéologique du christianisme, d’allure beaucoup plus religieuse. Aussi voyons-nous des théologiens faire de la théologie une explication hégélienne ou schellingienne des grands dogmes du christianisme. Dans cette théologie, tout le côté idéologique et spéculatif, la nécessité interne et l’enchaînement des mystères, semblent ne relever que du système philosophique, qui apporte la connaissance de 1’ « Absolu » ; le positiT du christianisme semble n’apporter qu’un élément de fait qui ne comporte, comme tel, aucune intelligibilité originale. Les écrits d’A. Gengler. Ueber das Verhùltnis der Théologie zur Philosophie, Landshut, 1826, et Die Idéale der Wisscnscha/t oder Encyklnpàdie der Théologie. Bamberg, 1834, malgré leur réelle valeur, reflètent quelque chose de cette tendance ; cf. J. Dicbolf, La théologie morale catholique…, p. 288 sq.

J.-B. Sagmiiller, Wissenscha/t und Glnube in der kirchlichen Aufkldrung, lïssea, 11)10 ; A. Keatz, Hejormversuche in der kaiholischen Dogmntik Deiitsclilands zu Béguin des 19. Jahrhunderts, Mayence, 1917 ; Cl. Selierer, Geschichte und Kiretiengeschichte an den deatschen Uniuersitàten im Zeitaller des llumanismtis, Fribourg-en-B., 1927 ; sur Hermès, voir K. Esciiweilyr, Die zwei Wege der neueren Théologie. .., Augsbouig, 1926, p. 81 sq.

/II. LE UF.NOUVEAV DE LA THÉOLOGIE AU XIXe SIÈ-CLE ET DAjVSI LA PfiRluDE COXTEU PUltAIXE. — Cette

dernière partie de notre exposé historique se distribue d’elle-même ainsi : 1. le renouveau d’inspiration romantique ; 2. le renouveau de la srolastique ; 3. le développement des études positives et critiques ; 4. la crise des études ecclésiastiques et le modernisme ; 5. les synthèses ; 6. les tendances et les besoins d’aujourd’hui.

Le renouveau d’inspiration romantique.

En

théologie le courant romantique est le premier à reconstruire, au cours des années 1810-1840. Son action s’exerce dans le sens de l’unité et de la réintégration d’éléments dissociés au cours de la période précédente. Il retrouve d’abord le sens du passé, des Pères et même, par le Moyen Age, de la scolaslique ; ainsi, il commence à retrouver le sens de la contemplation des vérités de la foi et de la spéculation sur elles : toutes choses qui sont très nettes dans l’école catholique de Tubingue et en particulier chez J.-A. Monter († 1838). Par le fait môme, le romantisme retrouve, ou découvre le sens du développement et de l’histoire.

Il apporte aussi le sens des connexions et le point de vue de l’organisme vivant. J.-S. Drey souligne la

connexion interne des disciplines théologiques dans sa Kurze Einleitung in das Stutlium der Théologie, Tubingue, 1819. Grâce à ce sens vital et organique, des dissociations déjà accréditées sont dénoncées. Il est extrêmement frappant de voir l’élimination du rationalisme entraîner, comme une requête immédiate, la réunion de la morale et du dogme : ainsi chez Drey, Gengler, Staudenmaier, G. Riegler, J.-A. Stapf, etc. ; cf. J. Diebolt. La IMoloqie morale catholique en Allemagne. .., p. 285, 290, 307, 172 et 179 ; Fr. Tillmann, Kalholische Sittenlehre, t. iii, p. 38 sq. Fn même temps la volonté s’accuse de faire cesser la séparation entre la théologie d’une part, le monde et la culture d’autre part. Le programme dressé par Drey et inspirateur de l’école de Tubingue répond à cette intention ; en France, celui de Lamennais.

Enfin, le romantisme apporte en théologie le sens du vital et, pour ainsi dire, du vécu. Il reprend la requête sans cesse renouvelée au cours des âges : celle d’une théologie liée à la vie, voire d’une théologie où s’exprime la vie. Que la théologie soit liée au don fait par Dieu à l’homme d’une vie nouvelle, surnaturelle, qu’elle poursuive son travail dans une ambiance de toi et de piété, qu’elle inspire à son tour la vie ! Mais, dans l’école romantique de Tubingue, insuiïisamment affranchie de l’idéalisme philosophique et théologique allemand, la théologie apparaît comme trop référée à la foi vécue de l’Église ; les sources et les critères objectifs de la théologie n’y sont ni assez dégagés, ni assez mis en relief. Certes, jamais la théologie n’y a été définie, comme dans le protestantisme libéral issu de Schleiermacher, comme une analyse et une description de l’expérience religieuse ; la pensée des plus grands parmi les Tubingiens est foncièrement orthodoxe. Mais la théologie est, chez eux, trop conçue comme une réalisation intellectuelle de ce qu’a reçu et de ce dont vit l’Église et le théologien dans l’Église, pas assez comme une construction humaine d’une foi relevant d’un donné objectivement établi et de critères objectifs. La théologie, en un mot, est trop, pour eux, une science de la foi, pas assez une science de la Révélation.

Mattès, dans le Dict. encyclopéd. de la théologie cathol. de Welzer et Welte, trad. Goschler, t. xx.ui, p. 315 sq. ; Kd. Vermeil, J.-A. Môhler et l’école catholique de Tubingue (1815-1840), Paris, 1913, surtout p. 32-38, 66-78, 115-136 ; J. Geiselmann, Die Glaubenswissenschall der katholischen Tiibinger Schule und ihre Grundlegung durch J. Seb. uon Dreg, dans Tiibinger Quartidsclirijt, t. exi, 1930, p. 49-117 ; P. Ghaillet, L’esprit du christianisme et du catholicisme, dans Revue des sciences philos, et théol., t. XXVI, 1937, p. 483-498 et 713-726 ; et ici, ait. Sailer, t. xiv.col. 749 sq.

Le renouveau de la scolaslique.

Le xvin c siècle

avait, dans l’ensemble, discrédité la scolastique médiévale. Aussi est-il notable que les premières interventions de l’autorité ecclésiastique en faveur de la scolastique furent pour la défendre contre l’accusation ou le soupçon de rationalisme. Cf. la condamnation de Ronnettꝟ. 1855 ; la Lettre Tuas libenler de Pie IX, 1863 : la 13e proposition du Sijllabus, Denz.-Bannw., n. 1652. 1680 et 1713.

Il ne rentre pas dans l’objet de cet article de tracer l’histoire de la restauration de la scolastique au cours du xixe siècle, depuis les efforts d’une tradition encore conservée en Espagne et surtout en Italie, jusqu’à l’encyclique JElerni Patris de Léon XIII, 4 août 1879, et aux documents qui l’ont suivie depuis. Cf. les art. Ki.eutgen, Perrone, Passaulia, Liberatore, Sanseverino. léon xiii, scolastique, thomisme ; Bellamy, La théologie catholique au XIXe siècle, Paris, 1904, [>. 41 sq., 145 sq. ; A. Musnovo, Il neolomismo in Ilalia. Originie prime vicende, Milan, 1923 ; A. Femi, Le vicende dcl pensiero lomislico nel seminario vescouile

di Piacenza, Plaisance, 1924 ; Fr. Ehrle, Die Scholastik vnd ihrc Aujgaben in unserer Zeit, 2e éd., Fribourg-cn-B. , 19.33. Par contre il faut marquer ici ce que cette restauration de la scolaslique représente au point de vue de son influence sur la notion de théologie au xix’siècle. Le xviie et le xviii’siècle n’avaient pas éliminé la scolastique comme méthode, mais ils l’avaient vue petit à petit mourir d’inanition comme objet ou contenu de pensée, car ils avaient délaissé ce qui proprement l’animait, la philosophie chrétienne. Ce qui est le plus frappant dans la période qui va de 1760 à 1840 environ, c’est de voir la théologie chercher son ferment philosophique non dans la tradition chrétienne d’Augustin, de Thomas d’Aquin et de Bonaventure, mais dans les diverses philosophies tour à tour dominantes : chez Descartes, ainsi, par exemple M. F.mcry, Pensées de Descartes sur la religion et la morale, ou le P. Valla, oralorien, auteur de la Philosophie dite de Lyon, suivie dans de nombreux séminaires, et d’une’J’heologia mise à l’Index en 1792 ; chez Leibniz et Wolf, comme nous l’avons vu plus haut ; chez Kant ou Fichtc, comme Hermès ; chez Schelling, comme M. Dobmaier, Systema theoloyise doymalicæ, ou P.-B. Ziemer, Theolngia dogmatica, ou encore Sailer ; chez Hegel et Schleiermacher, comme l’a fait dans une certaine mesure ou durant un certain temps Mohler ; chez Malebranche, comme le lera Gerdil ; chez les sensualistes, les empiristes et les naturalistes, Locke, Condillac et Bousseau, comme l’abbé Flotter, auteur de Leçons élémentaires de philosophie suivies dans de nombreux séminaires ; chez Lamennais enfin, comme l’abbé Gcrbet, Des doctrines philosophiques sur la certitude dans leurs rapports avec la théologie, 1826 ; Coup d’oeil sur la controverse chrétienne, 1828.

Or, c’est précisément la philosophie chrétienne que les papes s’appliquent à restaurer d’abord dans l’enseignement, puis par leurs interventions doctrinales sur la question des rapports entre la science et la foi, enfui par la série de documents qui entourent ou suivent l’encyclique JEterni Pains, dont le sous-titre, significatif au suprême degré, porte : De philosophia christiuna ad mentem sancti Thomæ Aqninatis Doctoris Angelici inscholis catholicis inslauranda, 4 août 1879. Les documents de même sens sont innombrables ; cf. les tables de VEnchiridion clcricorum. Documenta Ecclesiæ sacrorum alumnis instituendis, publié par la Congrégation des séminaires et universités en 1938.

La philosophie dont les papes veulent la restauration est celle des Pères et des grands docteurs médiévaux ; cf. encyclique /Eterni Patris ; encycl. Communiant rrrum, du 21 avril 1909, pour le centenaire de saint Anselme ; Jucunda sant, du 12 mars 1904, sur saint Grégoire le Crand : lettre Doctoris seraphici du Il avril 1901, pour la réédition des œuvres de saint Bonaventure. etc. Cependant, dès l’encyclique JEterni Patris, saint Thomas est proposé comme le maître le plus sûr et chez qui la philosophie chrétienne a trouvé son expression la plus parfaite, la plus élevée, la plus Cette préférence se fait, dés lors, de plus en plus précise et de plus en plus efficace : « Nous vonloni H nous ordonnons, dit l’encyclique Pascendi, quc la philosophie scolaslique soit mise à la base des icleni i… ; et, quand nous prescrivons la philo sophie scolaslique, ceci est capital, ce q.ic nous entendons par là, c’est la philosophie que nous a léguée le Docteur angélique. Arles de S. S. Pie X, éd. lionne I. t. m. p. 160 ; Enchir. clrnc. n. 805.

Si la do. 1 1 Ine d « ’quelque auteur a éié recommandée spécialement, déclare encore Pie X. la chose est claire,

dans l.i mesure seulement on elle s’accordi les principes de saint Thomas. Motu proprio Doctoris angelici, 29 juin loi 1, dans Acfa apost. Sedts, loi l, p. 338 ; Enchir. (Irnc, n. 801.

Ce motu proprio avait pour suite, un mois plus tard, 27 juillet, les fameuses 24 propositions précisant les principes essentiels de saint Thomas à tenir in omnibus philosophise scholis. Acla apost. Scdis, 1914, p. 383-386 ; Enchir. cleric, n. 894-918. Cette recommandation de saint Thomas a été continuée par Pie XI non sans recevoir d’ailleurs de sages interprétations : cf. encyclique Studiorum ducem, 29 juin 1923, et lettre O/ficiorum omnium sur les séminaires, 1 er août 1922. Acla apost. Sedis, 1922, p. 454 ; Enchir. cleric, n. 1 155. On sait que le Codex jnris canon ici, can. 1306, $ 2, fait aux professeurs, dans l’Eglise, une obligation de suivre, dans l’enseignement de la philosophie et de la théologie, Angelici Doctoris ralionem, doctrinam et principia ; la constitution Deus scientiarum du 24 mai 1931 rappelle, cette obligation tant po.ir les facultés de philosophie que pour celles de théologie : titre iii, art. 29 a et c. Aussi la théologie contemporaine se développe-t-elle sous le signe de saint Thomas et de la philosophie scolastique. C’est d’eux qu’elle tient les principes et le statut même de la synthèse, qu’il lui appartient de poursuivre, entre la foi et la raison. On peut vraiment parler d’un renouveau de la scolastique ; car, comme Albert le Grand et saint Thomas ont apporté jadis à la théologie une raison véritablement scientifique, celle d’Aristote, la théologie actuelle a repris leur héritage et a vraiment réintroduit dans son travail la raison scolastique, la philosophie chrétienne.

3° Le dévelopj>cment des éludes positives et critiques. — Le xixe siècle voit l’avènement définitif d’une nouvelle forme du travail rationnel, le travail historique, critique : critique biblique, histoire des dogmes, science des religions. Certes, tout cela existait déjà, en une certaine mesure. Le xviie siècle avait été, dans l’Église catholique, un grand siècle historique ; la critique biblique commence avec Bichard Simon, et le mot même de « t béologie biblique » apparaît chez nous au début du xviii’siècle, cf. Kirchenlexikon, 1° éd., t. xi, col. 1508 ; la science des religions débute au xvin’siècle et les missionnaires ne sont pas étrangers à ce début. Cependant, ces disciplines ne constituaient pas alors une véritable mise en question des principes de la théologie. Cette mise en question, au contraire, se produit au xixe siècle, principalement par deux cajses : la critique fondée sur l’histoire comparée, le point de vue du développement historique.

Jusque là, on avait interprété la Bible presque exclusivement par elle-même. Les découvertes dans le domaine de l’égyptologie, de la civilisation babylonienne, de l’archéologie palestinienne, etc. mettent désormais le texte sacré en rapports avec tout un milieu où les idées et les institutions qui s’y expriment perdent leur caractère de chose unique et absolue. En histoire des dogmes, de multiples travaux voient le jour, surtout en Allemagne. Des questions critiques se posent au sujet de plusieurs dogmes, dont le type achevé est la question des origines de la pénitence ; voir ce mot. Ii résulte de tout cela que les assertions de la Bible, d’une pari, les dogmes, d’autre part, qui fournissent à la théologie ses principes, font l’objet de nouvelles interprétai ions, de discussions et semblent perdre le caractère de vérité absolue qui leur était essentiel. Cf., sur l’essor des éludes critiques et historiques au xix’siècle. A.Briggs, History o the study <d Theologꝟ. 1 ondres, 1916, l. n. p. 18 ! » sq.

Par le fait même aussi s’impose l’idée ou développement historique. Une idée ou une Institution portent dans leur trame même une date et ne sont pas Intrinsèquement, les mêmes, au l". au XIII*, au xix’si. I lo,

En même temps, l’idée de développement était intégrée par des philosophes ou des théologiens, à la Synthèse philosophique ou théologique : chez Hegel, de qui dépendent plus ou moins d’un côté Mohler et les

théologiens catholiques de Tubingue. d’un autre côté Strauss et Renan ; dans une a ! niosphère beaucoup plus pure chez Newman, indépendant de ces influences. Ce point de vue, qui s’appliquait aussi bien à la Révélation, à l’histoire d’Israël, au christianisme, à ses dogmes et à ses institutions, demandait qu’on lui fît place dans les sciences théologiques. Ainsi se cherchait une issue l’incoercible sentiment du développement ; ainsi tendait à s’achever l’effort de l’humanisme. Sous ces influences, la tâche de l’ancienne théologie historique ou positive se présentait dans des conditions nouvelles. Il ne pouvait plus être question de justifier par des textes anciens les doctrines ou les institutions actuelles, à la manière de l’ancienne positive, celle des Perpétuité de la foi. Rien ne marque mieux la différence de perspectives entre l’ancienne recherche et celle qui s’amorçait que la confrontation de ces deux textes que cite Mgr Ratiffol, dans Bulletin de littér. ecclés., 1905, p. 159 : Bossuet : « La vérité catholique venue de Dieu a d’abord sa perfection » ; Newman : « Aucune doctrine ne paraît achevée dès sa naissance et il n’en est aucune que les recherches de la foi ou les attaques de l’hérésie ne contribuent à développer. » Au temps même de Newman, l’ancienne conception des choses était représentée par Perrone, puis par Franzelin, chez qui la connaissance des textes n’avait, en somme, d’autre rôle que de fournir un matériel de preuve, et parfois même simplement de citations, aux « thèses » de la théologie spéculative, selon le schème, patronné par Perrone, du triple Probatur ex Scriplura, ex Traditione, ex ratione. Le travail positif se présentait maintenant comme une pure recherche historique visant à connaître le passé d’après les documents qui nous en sont restés, et à dire simplement ce qui a été. Un tel travail est de pure histoire. Quelle serait sa situation par rapport à la théologie, et qu’adviendrait-il si ses résultats ne concordaient pas avec les exigences de la science sacrée ? La crise ne pouvait manquer de s’ouvrir tôt ou tard. Le problème devait être débattu au moment de la crise moderniste, sous la forme de discussions sur la vraie nature de la théologie positive, sur ses rapports avec la théologie spéculative, sur la liberté de la recherche historique.

Sur la critique biblique et historique au xixe siècle : P. Fredericq, L’enseignement supérieur de l’Iiistoire. Notes et impressions de voyage, Gand et Paris, 1899 ; J. Bellamy, La théologie catholique au XIX’siècle ; M. Goguel, Wilhelm Herrmann et le problème religieux actuel, Paris, 1905 et, dans une manière assez différenle, A. Houlin, La controverse de l’apostolicité des Églises de France au XIX » siècle, Paris, 1901 ; La question biblique chez les catholiques de France au XIX’siècle, Paris, 1902.

Sur le sens et les théories du développement : J.-H. Newman, An essag on the development oj Christian doctrine, 1845 ; Ed. Vermeil, J.-A. Mohler et l’école catholique de Tubingue (1815-1840), Paris, 1913 ; J. Guitton, La philosophie de Newman. Essai sur l’idée de développement, Paris, 1933 ; H. Tristram, J.-A. Mohler et J.-H. Newman, dans Hevue des sciences philos, et théol., t. xxvii, 1938, p. 184204 ; R. Draguet, L’évolution des dogmes, dans Apologétique, publiée sous la direction de M. Brillant et M. Nédoncelle, Paris, 1937, p. 1166-1192.

Les problèmes nouveaux : A. Ehrhard, Stellung und Aufgabe der Kirchengeschichte in der Gegenwart, Stuttgart, 1898 ; P. Batillol, Pour l’histoire des dogmes, dans Bulletin de littér. ecclés., 1905, p. 151-164.

4° La crise de l’enseignement des sciences théologiques et le modernisme. — En face des besoins nouveaux, l’état de l’enseignement et des travaux catholiques dans le domaine des sciences religieuses était assez déficitaire. Les manuels de l’enseignement théologique, résumés squelettiques des ouvrages de l’époque précédente, F. Lenoir, De la théologie du XIX’siècle. Élude critique, Paris, 1893, p. 27-29, étaient presque totale ment étrangers aux besoins nouveaux. Aussi les dernières années du xixe siècle et les premières du xxe devaient-elles voir se produire toute une littérature sur les programmes des études ecclésiastiques et leur réadaptation. Les revendications, en ce domaine, touchaient parfois à la forme et au genre plutôt qu’au fond, mais elles posaient aussi des questions de structure au bénéfice de l’histoire, des sciences positives, des sciences tout court, avec, parfois, quelque méconnaissance des valeurs spéculatives et de la scolastique.

C’est le même état de choses qui est à l’origine de la crise moderniste, que nous n’avons à évoquer ici que par le côté où elle intéresse la conception qu’on s’est faite alors de la théologie. La crise moderniste est née des tentatives faites par divers savants ou penseurs catholiques pour résoudre les questions posées par l’inadéquation que l’on croyait voir entre les textes ou les faits et les doctrines ecclésiastiques correspondantes. Pour apporter aux problèmes ainsi posés une solution que les théologiens n’avaient pas assez préparée, ceux qu’on peut appeler modernistes vont étudier les bases de la connaissance religieuse et donc les principes de la théologie, en opérant, au nom de l’histoire, une réduction critique de ce que cette connaissance a d’objectivement absolu ; ainsi proposera-t-on une nouvelle manière de justifier l’accord entre les affirmations de la doctrine et les faits historiquement connus. Cette nouvelle manière consistera toujours à remplacer le rapport d’homogénéité objective des concepts dogmatiques et des notions théologiques, d’une part, et l’état primitif du donné, de l’autre, par un rapport de symbole à réalité. Toujours les modernistes disjoignent le fait primitif, divin, et donc absolu, et son expression intellectuelle considérée comme relative, variable, soumise aux vicissitudes de l’histoire. D’où, avec des nuances diverses, leur commune critique de l’intellectualisme et de la scolastique, à peu près identifiés.

Un des malheurs des modernistes fut qu’ils ne surent pas distinguer la théologie et le dogme. À vrai dire la distinction n’était pas alors, pratiquement, aussi nette qu’aujourd’hui : ce fut l’un des bénéfices de cette crise, que de mieux faire distinguer les plans. Chez Tyrrell et M. Le Roy surtout, la confusion est flagrante. Ils veulent, et à bon droit, éviter le blocage entre l’absolu de la foi ou de la Révélation et la théologie de saint Thomas, ou en général celle du xiiie siècle, avec son intellectualisme particulier, son appareil conceptuel et philosophique, etc. ; mais, pour rejeter cette théologie particulière, ils croient devoir dégager le révélé et le dogme lui-même d’un contenu et d’une valeur proprement intellectuels.

La théologie, dans cette perspective, ne peut plus être la construction scientifique et l’élaboration humaine des énoncés révélés ; elle est une interprétation, une construction scientifique, une élaboration humaine des affirmations chrétiennes, et elle n’est plus que cela. Entre elle et ce qui procède de Dieu vers l’homme et que nous appelons Révélation, il n’y a plus cette continuité de contenu objectif et spéculatif dont la théologie doit vivre, sous peine de ne pas exister comme théologie. La Révélation, chez A. Loisy, n’est que les intuitions religieuses de l’humanité prenant place dans l’effort de l’homme vers le vrai et le parfait ; le dogme n’est que l’explication autorisée des assertions primitives de la « foi », c’est-à-dire de la conscience religieuse. Chez Tyrrell, elle est un phénomène « prophétique » et moral intérieur ; pour l’Église, en garder le dépôt, c’est seulement garder l’héritage d’une inspiration ; les formules dogmatiques qui se font jour au cours des siècles ne sont qu’une expression utile de ce que nous sommes portés à penser 44J THÉOLOGIE. LES SYNTHÈSES TRADITIONNELLES 442

conformément à l’esprit du Christ : entre elles et le révélé primitif, le rapport n’est pas celui d’une formule à un donné objectif et intellectuel défini, mais celui d’une formule née des besoins d’un temps et adapté à eux, à un esprit, l’esprit chrétien qui vit en chaque croyant et anime toute l’Église.

Le modernisme posait avec acuité, devant la théologie catholique, le double problème de l’homogénéité de celle-ci, jusque dans sa forme scientifique et rationnelle, à la Révélation, et de son rapport à ses sources positives désormais soumises aux méthodes historiques et critiques : Bible, états anciens et mobiles de la tradition et des institutions, etc.

Revendications réformistes pour les études ecclésiastiques : F.-X. Kraus, Ueber das Studium der Théologie sonst und fetzt, Fribouig-en-Br., 1890 ; Mgr Latty, Le clergé de France, 1900 ; Considérations sur l’état présent de l’Église en France, 1906 ; Éducation et science ecclésiastiques, Paris, 1912 ; J.-A.Zahm, De la nécessité de développer les études scienliftques dans les séminaires ecclésiastiques, Bruxelles, 1891 ; Léon XIII, Encycl. Depuis le jour, du 8 septembre 1899, au cierge de France ; J. Hogan, Clérical Studies, 1898, trad. franc., Les études du clergé, Paris, 1901 ; Mgr Le Camus, Lettre sur la formation ecclésiastique des séminaristes, 1901 ; Mgr Mignot, La méthode de la théulogie, dans Revue du clergé français, 15 décembre 1901, trad. allemande et anglaise : ce discours-manifeste, de beaucoup le plus important des documents de cette époque, a été repris dans les Lettres sur les études ecclésiastiques, Paris, 1908 ; J. Brucker, La réforme des études dans les grands séminaires, dans Études, t. xcii, 1902, p. 597-615 et 712-754 ; Mgr d’Hulst, Mélanges philosophiques, Paris, 1903 ; A. Baudrillart, Le renouveau intellectuel du clergé de France an XIXe siècle, Paris, 1903 ; F. Klein, Quelques motifs d’espérer, 3° éd., 1904, p. 77-114 ; P. Batiflol, Questions d’enseignement supérieur ecclésiastique, Paris, 1907 (c’est, avec celui de Mgr Mignot cité plus haut, l’ouvrage le plus important de cette liste) ; H. Schiôrs, Gedanktn iïber zeilmassige Erziehung u. liildung der Geistlichen, Paderborn, 1910 ; B. de Solages, La crise moderniste et les étutles ecclésiastiques, dans Revue apologétique, t. li, 1930, p. 5-30.

Écrits où s’exprime la notion moderniste de la Révélation et de la théologie : A. Loisy, L’Évangile et l’Église, Paris, 19M2 ; Autour d’un petit Hure, 1903 ; Mémoires, surtout t. I, p. 501, 567 et t. ii, p. 38 ; Ed. Le Roy, Dogme et critique, Paris, 1907 ; (1. Tyrrell, 771e relation of Theology to Dévotion, dans 1 lie Fatth of the Millions, t. i, 1901 ; Théologisme, dans Revue apologétique, t. iv, 1907, p. 499-526 ; Through Scglla and Charubdis or the OUI Theology and the New, 1907 ; Medievalism, Londres, 1908, trad. franc. : Suis-je catholique ? Paris, 1909 ; L. Laberthonnière, Essais de philosophie religieuse, Paris, 1903 ; Le réalisme chrétien et l’idéalisme grec, 1901 ; Fr. von llugel : voir exposé et bibliographie dans M. Nédoncelle, La pensée religieuse de Friedrich von HUgel, Paris, 1935.

Critiques orthodoxes de la notion moderniste de Révélation et de théologie : J. Lebreton, La loi et la théologie d’après M. Ti/rrrll dans Revue apologétique, t. iii, 1907, p. 512-55U ; Catholicisme, ibid., t. iv, 1907, p. 527-518 ; A. Gardell, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910 ; I’». Uarrlgou-Lagrangc, Le sens commun, la philosophie de l’être et les formules dogmatiques, Paris, 1909 ; M.-l>. Chenu, Le sens et 1rs leçons d’une crise religieuse, dans la Vie intellectuelle, 10 décembre 1931, p. 356-380.

Les synthèses dans le sens de la tradition.

Un nouvel et fécond effort de méthodologie théologique fut le fruit de la réaction catholique d’abord devant VAufklârung et le semi-rationalisme, ensuite devant le modernisme.

Dans l’élimination de VAufklârung. puis du semirationalisme de Gunther, en même temps que dans l’effort de restauration de la SColastique, il faut mm tionnor Clemens, cf. bibliographie, Ii.-J. Dcnzinger (+ 1883), auteur de Vier liùcher von der religiôsen Erkrnnlnis, 2 vol., 1856-1857, mais plus connu pour son Enchiridion ;.). Klcul l. († 1893), avec sa

Théologie der Vorzeit, 5 vol., is : >3 1860 et sa Phi phie der Voneit, 2 vol., 1860-1863. De même direction que Kleutgen et, comme lui, se reliant à la scolastique tant post-tridentine (de Lugo, Suarez, Cano, Petau) que médiévale (saint Thomas) est Constantin von Sehœzler († 1880), dont le P.Esser a édité Vlnlroductio in S. theologiam dogmaticam ad mentem D. Thomæ Aq., Ratisbonne, 1882.

Le pontificat de Pie IX fut orienté, contre le rationalisme et le naturalisme, dans le sens d’une affirmation : 1. de l’ordre surnaturel et, pour ce qui est de la pensée, des choses de la foi ; 2. des rapports de subordination et d’harmonie entre la raison et la foi, l’intelligence humaine et le magistère divin. Ces affirmations, promulguées au concile du Vatican, devaient assurer à la théologie un statut conforme à sa vraie nature et à ce qu’elle avait été dans la tradition catholique. C’est dans cette perspective que se placent Franzelin († 1885), collaborateur direct du concile du Vatican ; M.-J. Scheeben († 1888) ; en France J.-B. Aubry († 1882) qui suit Franzelin ; J. Didiot († 1903) ; C. Labeyrie, qui suit Scheeben et Didiot, etc. Tous ces auteurs s’appliquent à reprendre la grande tradition théologique, à retrouver, enrichie des exigences et des apports modernes, une synthèse du type et de l’inspiration de la synthèse patristique et médiévale : un état de choses où la raison ne soit pas séparée de la foi, mais organiquement reliée à elle, où les différentes parties de la théologie se regroupent et s’articulent dans une unité vivante. Chez ces auteurs, comme pour le concile du Vatican, l’intelligence de ce qu’est la théologie est cherchée du côté de la foi, laquelle fait face au révélé, à la Parole de Dieu.

Ceci est particulièrement vrai de M.-J. Scheeben. C’est dans une vue très riche et très lucide de la surnaturalité de la foi que cet auteur a puisé sa notion de la théologie. Sa notion de la foi elle-même est intégrée à sa théologie de la surnature, du nouvel être que la grâce donne aux enfants de Dieu : c’est bien la ligne traditionnelle du Fides quærens intellectum. La théologie est une connaissance qui procède de ce don de lumière, de ce regard nouveau ouvert sur le monde des objets surnaturels, que constitue la foi. Son ordre propre est celui de la foi. Aussi n’est-elle « que la connaissance développée de la foi y. Dogmatique, n. 957. Son premier rôle est d’amener la foi, en l’exprimant et en l’expliquant dans l’intelligence de l’homme, à un état plus ferme, plus lumineux, plus intime et plus personnel. Ibid., n. 852, 907, 910 ; Mysterien des Cliristentums, § 107, n. 3. La première activité de la théologie et le premier stade de son développement, c’est l’approfondissement de la foi par l’intelligence que nous en prenons ; tout le développement ultérieur de la théologie en une science de la foi dépend de ce premier intellectus, toute l’intelligibilité de la science théologique lui vient de l’intelligence du révélé. Mysterien, § 105, n. 3. La science de la foi se constitue principalement par un effort pour découvrir et organiser en un corps doctrinal les connexions que les mystères révélés ont entre eux et avec les vérités du monde naturel. Scheeben insiste beaucoup sur ce point, par quoi la théologie lui paraît mériter le nom de science ; cf. Mysterien. § 104, n. 1 ; § 105, n. 3 ; Dogmatique. n. 877 sq., 945, etc.

Cette recherche des connexions et cette pénétration dans la logique interne des mystères est une œuvre de la raison cherchant cur rcs sil vel esse debeai : possibilité interne et externe du mystère, pourquoi de sa réalisation ; cf. Mysterien, § 106. Dans ce travail, la raison assume et met en œuvre les connaissances naturelles et les analogies empruntées à notre monde. Si Scheeben n’exclut pas, d’ailleurs, toute possibilité.le conclusion théologique au sens moderne du mot, il ne fait pas, de la déduction de conclusions, l’objet principal et propre du travail théologique ; il voit cet

objet, bien plutôt, dans l’interprétation du révélé et sa construction en un corps organisé.

Enfin, pour se constituer ainsi en science de la foi, la théologie doit avoir une certaine activité visant à établir les propositions de foi. Par cette fonction, la théologie cherche à établir : 1. que les enseignements dogmatiques proposés par l’Église sont véritablement renfermés dans les sources divines de la Révélation ; 2. que la proposition qu’en fait l’Église repose réellement sur une mission divine. C’est la fonction dogmatique, positive ou apologétique de la théologie. Dogmatique, n. 926 sq. La théologie positive est donc cette activité par laquelle la théologie établit l’accord de l’enseignement ecclésiastique, qui est son donné immédiat, Dogmatique, n. 763 sq., avec les sources dans lesquelles la Révélation nous est présentée et transmise ; cf. Mysterien, § 105, n. 2 ; Dogmatique, n. 3, 926 sq., 930 sq., 940.

Au point de vue de la méthodologie théologique, c’est aussi une synthèse, et d’une inspiration semblable à celle de Scheeben, qu’apporta le P. A. Gardcil, avec Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910, 2e éd., 1932. Bien au delà d’une polémique ou d’une apologétique liées aux difficultés du moment, le P. Gardeil remontait aux principes propres de la connaissance religieuse, dogmatique et théologique. Sur les points vraiment structuraux, le Donné révélé rétablissait la théologie dans son vrai statut : homogénéité relative du travail théologique au révélé, unité de la théologie qu’intègrent les deux grandes fonctions positive et spéculative, définition de la positive comme une fonction théologique et un travail sur les principes mené sous la régulation de la foi, distinction de la science et des sytèmes théologiques, pleine valeur rationnelle et pleine valeur religieuse du travail théologique, etc. Plusieurs des travaux contemporains les plus notables de méthodologie théologique procèdent de l’ouvrage du P. A. Gardeil : c’est le cas en particulier de L’évolution homogène du dogme catholique, du P. Marin-Sola, qui développe et systématise, au regard du problème du développement du dogme et de la conclusion théologique, l’idée maîtresse du P. Gardeil sur l’homogénéité de la théologie au dogme et du dogme au révélé primitif.

Fr.-J. Clemens, 75e scolasticorum sententia : Philosophiæst ancilla theologiæ. Munster, 1860 ; Die Wahrheit in tlem Streite ùber Philosophie und Théologie, Munster, 1860 (contre Kufm) ; Fr, Lakner, Kleulgen und die kircldiche. Wissenscha.fi Ueutscldands im 13. Jahrhunderl, dans’Leilsch. f. kathol. Throl., t. i.vii, 1933, p. 161-21-1 ; J.-B. Aubry, Essai sur la méthode des études ecclésiastiques, Lille, 1890 sq., 2 vol. ;.J. Didiot, Cours de théologie catholique. Logique surnaturelle subjective. Logique surnaturelle objective, Lille, 1892 sq. ; C. Labcyrie, La science de la loi, La Chapelle-Montligeon, 1903 ;. J.-B. Franzelin, Traclalus de divina Tradilione et Scriptura, Rome-Turin, 1870. — M.-.l. Scheeben, Mysterien des Christentums, c. xi : Die Wissenscha/t von den Mgslerien des Christentums oder die Théologie, 1865 ; llandbuch der kalholischen Dogmalik, Fribourg-en-B., 1873, trad. fr. P. Belet, Paris, 1877 sq., t. i, 2e partie, p. 417 sq. ; art. Glaube, dans le Kirchenlexikon, 2° éd., t. v, col. 616-674 ; sur Scheeben, cf. K. Fschweilcr, Die zivei Wege der neueren Théologie, Augsbouig, 1926, p. 131 sq. ; M. Schmaus, Die Stellung Matthias-Joseph Hcheebens in der’Théologie des 10. Jahrhunderts, et M. (jrabmann, Matthias-Joseph Schcebens Auflassung vont Wesen und Wert der theotogischen Wissenschaft, dans le recueil publié pour le centenaire de la naissance de Scheeben : Multlùas-Joseph Scheeben, der Erneuerer katholischer Glaubenswissenschuft, Mayence, 1935, respectivement p. 31-54 et 57-108. — A. Gaideil./^a re/or/ne de la théologie catholique, dans lievue lliomiste, 19U3, p. 5-19, 197-215, 428-457, 633-649, et 191M, p. 48-76 ; Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910 ; sur l’œuvre du P. Gardeil, cf. Bulletin thomiste. Notes et Communications, octobre 1931. — Fr. Marin-Sola, La rvoluciôn hoinogénea del dogma catôlico, Madrid et Valence, 1923, trad. fr. en 2 vol., L’évo lution homogène du dogme catholique, Fribourg-en-Suisse, 1921.

6° Les problèmes, les tendances et les tâches d’aujourd’hui. — Depuis une quarantaine d’années, la théologie, plus que jamais, s’interroge sur elle-même, sur son objet, ses méthodes, ses possibilités, sa place parmi les autres disciplines. Cet effort semble pouvoir être caractérisé ainsi : après une période de mise en question et de tâtonnements, la théologie cherche, au delà des dissociations introduites par le nominalisme, la Réforme, la théologie du xviie siècle, le rationalisme et le modernisme, une unité semblable à celle qu’elle a connue dans son âge d’or médiéval, mais enrichie par l’apport des données, des questions, des méthodes nouvelles, par la mise en œuvre et l’assimilation des disciplines auxiliaires nées depuis le Moyen Age. En même temps, la théologie réalise davantage sa dépendance à l’égard de la communauté et du magistère ecclésiastiques.

La crise par laquelle commence l’effort de réflexion de la théologie sur elle-même, a eu deux points d’application principaux : la question de la valeur scientifique de la théologie et celle du statut de la théologie positive.

Il était fatal que depuis le xve siècle on ait été amené à dénoncer la valeur scientifique de la théologie. La crise n’intervint pourtant que quand des chrétiens, et non pas seulement des incrédules, posèrent la question de savoir si une discipline inféodée à une foi et à une orthodoxie pouvait encore être comptée parmi les sciences et faire, comme telle, l’objet d’un enseignement dans les universités. C’est en Allemagne et dans le protestantisme que la question fut posée par le livre fameux de C.-A. Bernouilli, Die wissenschajlliche und die kircldiche Méthode in der Théologie, Fribourgen-B. , 1897, auquel Overbeck, Lagarde, Duhm et Wellhausen donnèrent leur suffrage. Bernouilli voulait que l’on distinguât deux théologies : l’une affranchie de tout contrôle ecclésiastique, libre de sa recherche et digne du nom de science, l’autre adaptée à la finalité pratique de l’éducation des clercs et sous la dépendance des Églises. Le problème ainsi posé ne pouvait pas ne pas émouvoir les théologiens catholiques. Aussi ont-ils eu, dans ces quarante dernières années, le souci de justifier la qualité scientifique de leur discipline, de défendre la spécificité et la valeur de la connaissance religieuse, de trouver un statut pour la théologie dans l’ensemble des disciplines scientifiques. Sur ce dernier point, l’un des efforts les plus originaux et les plus réussis est sans doute celui de G. Rabeau qui, utilisant la théorie de la « collocation » proposée par Stuart Mil), a pu justifier l’existence et définir le statut, l’objet et la méthode de la théologie comme science d’un ordre de faits ayant sa spécificité ontologique et épistémologique.

Cependant, le problème du statut de la théologie a surtout été traité, ces quarante dernières années, à propos de la théologie positive. La nécessité de faire plus grande la place du donné et des résultats considérables acquis par le xixe siècle dans le domaine positif a déterminé, entre 1898 et 1910 environ, tout un débat sur la nature de la théologie positive, sa place dans la théologie, la nécessaire réforme de celleci, la place à garder à la théologie scolastique. Chez beaucoup d’auteurs le problème était de mettre dorénavant la théologie sous le signe de la positive, comme elle avait été jusque là sous celui de la scolastique. Plusieurs des études versées alors au débat sur la positive sont surtout des défenses de la scolastique, méconnue et rejetée par certains comme l’encombrant héritage d’un siècle révolu. Mais ce dont il s’agissait chez d’autres, c’était du statut et de la méthode de l’enquête positive au regard du travail théologique.

Ceux qui étaient formés aux disciplines historiques étaient tentés d’appeler théologie positive la simple enquête historique portant sur les doctrines et les institutions chrétiennes ; c’est ainsi que Mgr Batiffol croyait suffisant de répondre aux objections du P. Laberthonnière : « Nos études, qui sont historiques par leur méthode, sont théologiques par leur objet », dans Questions d’enseignement supérieur, p. 149. C’était donner à la théologie positive un lumen sub quo et donc une méthode d’ordre purement historique et naturel ; aussi appelait-on la nouvelle discipline i théologie historique » ou « théologie patristique », ou « histoire des dogmes », sans bien discerner sous ces divers vocables des genres de connaissance différents.

C’est l’intervention des Pères Lemonnyer et A. Gardeil qui contribua le plus alors à faire discerner les exigences d’un point de vue formellement théologique dans la définition de l’objet et de la méthode de la théologie positive en tant que distincte d’une histoire des dogmes. Parallèlement, le P. Gardeil proposait l’idée d’une « méthode régressive » comme caractéristique de la théologie positive.

Cet effort de réflexion, tant sur le statut de la théologie comme science, que sur les exigences propres d’une théologie positive, est allé de pair, dans la théologie contemporaine, avec une accentuation de la liaison essentielle qui existe entre la théologie et le magistère de l’Église. Cela semble avoir été l’un des bénéfices des discussions récentes, que de mieux faire comprendre l’implication du magistère ecclésiastique dans le travail de la théologie positive. C’est dans ce sens que, déjà chez un Franzelin, Z)e divina Traditione et Scriptura, Rome, 1870, puis dans le travail de ces trente dernières années, la théologie positive a de mieux en mieux pris conscience du caractère ecclésiastique de sa méthode. Voir Mgr Mignot, Préface aux Lettres sur les études ecclésiastiques, Paris, 1.908 ; J.-B. Aubry, Essai sur la méthode des études ecclésiastiques, t. ii, p. 232 sq., 286 sq. ; J. Didiot, Logique surnaturelle subjective, 2e éd., 1894, théor. xxvii, p. 91 sq., théor. xxxv, p. 140 sq., et toute la partie qui traite des lieux théologiques ; Laforêt, Jacquin, Schwalm. Durst, Landgraf, Ranft, Simonin, Draguet, Chariier, ’Wyser, cités plus loin ; M. Schmaus, Katholische Dogmatik, t. i, Munich, 1938, p. 18 sq., etc. Cette accentuation du rapport de la doclrina sacra, en sa fonction positive, au magistère de l’Égiisc, a été renforcée, dans les années 1930 et suivantes, par les étude, concernant la notion de tradition qui ont restitué en cette matière l’ancien sens ecclésiastique, si compris, au début du xixe siècle, par un Monter : le donné de la théologie, c’est la tradition, c’est-à-dire ce que livre à chaque génération la prédication apostolique, et le trésor constitué par cette prédication dans son développement à travers l’espace et le temps.

Mais le Irait le plus notable de l’idée actuelle de théologie tient à l’effort fait pour surmonter les dissociations survenues depuis le xve siècle et pour intégrer à l’œuvre théologique les acquisitions des techniques positives. I.cs deux grandes dissociations sont, d’une part, celle que le nominalisme etla Réforme ont favorisée entre la connaissance humaine et la foi et, d’autre part, celle que la théologie du xviie siècle a urée entre théologie et morale, théologie et mystique « m vie spirituelle. Elles procèdent l’une et l’autre d’une cotn i Insuffi iante de la vraie nature < ! <

la foi. (.’est sculement quand on a compris la vraie ni turc contemplative de la foi. que l’on peut faire d’elle le principe d’un nouveau régime de connaissance à l’Intérieur duquel s’inscrit la th te l’on peut Intégrer la théologie la direction de la vie humaine cl l’étude de ; ituclle dan i toute l’étendue di développement ; que l’on peutenfln comprendre la Jonc

tion de la fonction positive et de la fonction spéculative de la théologie et fonder, dans les conditions de noire foi, le statut social et ecclésiastique de la positive.

Chez quelques-uns, la tendance à restaurer la liaison de la théologie aux valeurs de la foi et de la vie dans l’Église a tendance à dévier vers une théologie immédiatement et intrinsèquement liée à la vie, inspiratrice de la vie. La tendance a toujours été très forte, en Allemagne, d’unir et presque de fusionner vie et théologie, connaissance et expérience. Elle a repris une vigueur nouvelle, ces dernières années, dans le courant de la Lebenslheolngie ou même dans celui qui, en liaison avec le mouvement liturgique, préconise le retour aux Pères et à une forme de théologie qui soit contemplation vécue autant que spéculation intellectuelle ; ce qui se joint à la tendance à concevoir davantage le dépôt de la foi comme immanent à la vie de la communauté chrétienne et le travail théologique comme se référant au Christ et lié à la nita in Christo.

Enfin l’une des tâches de la théologie contemporaine est d’assumer, sans déroger à son unité et aux lois de son travail, les données des sciences auxiliaires et en particulier des techniques documentaires et positives : exégèse, archéologie, épigraphic, histoire des dogmes et des institutions, science des religions, philosophie de la religion, psychologie, etc. Il y a encore beaucoup à faire à cet égard, et les exigences formulées en cette matière au cours de la crise moderniste n’ont pas encore reçu, en ce qu’elles avaient de juste, une satisfaction complète. Cf. Draguet, dans Revue catholique des idées et des faits, 14 février 1936, p. 1617 ; L. Chariier, Essai sur le problème théologique, p. 153 sq.

Sur la question de la qualité scientifique de la théologie. 1° Chez les protestants.

(’..-A. Bernoiiilli, Dlewissenschafiltsche

tind die kirchlichr Méthode in der Théologie, l’ribourg-en-B. , 1897 ; sur la polémique qui a suivi, F, Kattenbusch, art. Théologie, dans la Protest. Reulencyklopûdie, t. xxi, 1908, p. 907 sq. ; K.-ll. Hænssler, Die Krisis der theologischen Fakultdt, Zurich, 1929. La réaction dogmatique et confessionnelle inspirée surtout par la « théologie dialectique prend aujourd’hui le contrepied de Bernouilli et d’Overbeck, et allume fortement le caractère essentiellement ecclésiastique de la théologie, laquelle est science de la foi : cf. B. Pfennigsdoi f, Dos I’roblem des theologisehen Denkrns. Einc Einfilhrung in die Fragen, Au/gaben und Methoden der gegemuârtlgen Théologie, Leipzig, 1925 ; K. Barth, Die kirehliche Dogmatik, t. i, l r « partie, Munich,

1932, dont le litre est déjà sig.iilicatif et (pli, dès la p. 1, déclare : Théologie isl eine Fuilktion (tir Kirehe.

Chez les cutholiqilCS.

G. von I lertling, Dos Prinzip

des Kathiilizisinus und die iinssensclio/l. (irundsdtzliche

Erôrtcrung ans Anlass einer Tagesfrage, Frtbourg-en-B., 1899 ; abbé Frémont, La religion catholique peut-elle être une science ? Paris, 1899 ; 1°. von Sch.inL, Isl die I heulogie eine

Wlsseiucàafl ? Stuttgart et vienne, 1900 ; Chr. Pesch, Dos kirehliche Lehranit und die Frelhcit der Iheologischen Wissenscha /t, Fribourg-en-B., 1900 ; Die Aufgaben der kaiholiachen Dogmatik im : ’<i. lahrhundert, dans Y.eltsch. I. kathul. Theol.,

1901, p. 269-28.) ; F.-M. Sclllndler, Die Shilling der Iheologischen Fakultàt im Organtsinus der i niuersltât, Vienne, 1904 ; .1. Douât, Die Frelheil der WUænschaft, Inspruck, 1910 ; s. Weber, Théologie ait (nie IViuensc’tct/f, FHbouig-en-B., r.U2 ; K. Adam. tiluube und Glaubenamiasenschafl im Katho-Uxlsmus, Vorlrage und Au/sdlte, 2° éd., Kottenburg, 1923 ; G. I liifele, Dii ISerechligung ! r Iheologischen FakulUtt im ()rganlsmut der l’nlvenitât, Prlbourg (Suisse), 1932 ; H. Poschm. uin, Der WUxensclialtscharakler der kalhotischen Théologle, Brestau, 1932 ; (>. Rubeau, Introduction a réunie de la théologie, Paris, 1920 ; 1’. Wyser, Théologie ah Wietenschaft, Sulzbourg, 1938.

Sur la liquidation qui se f.iii des dissociations indûment introduites entre thé ilogleel morale, théologie et mystique, fonction spéculative el [onction |i>>iiive : A. Gardeil, l-c

donné rénélé il la théologie, l’a is, 1910 ; toute l’d’uwe du

P. IL Garrlgou Lugnmge et la revue La pie spirituelle ;

K. Kschwciler, Die zwei U, , /, dt r minrin Théologie, Augv

bourg, 1926, et en particulier le $ 2 du c. iv ; G. Rabeau, Introduction à l’élude de la théol., en particulier la 2* part., c. i ; M.-D. Chenu, Position de la théologie, dans Revue des sciences philos, et théol., t. xxiv, 1935, p. 232-257 ; J.-A. Jungmann, Die Frolibotschaft und unsere Glaubensverkùndigung, Ratisbonne, 1936.

Comme signes d’une réintégration de la morale dans l’unité de la théologie, cf. ici, art. Phobabilisme, t. xiii, col. 615 sq. ; Mgr G. -L. Waflelært, De methodo seu modo procedendi in theologia morali, dans Ephem. theol. Lovan., t. i, 1924, p. 9-14 ; Dumas et Merkelbach recensés dans Bulletin thomiste, avril 1932, p. 494 sq. ; Fr. Tillmann, Uandbuch der kalholischen Sittenlehre, Dusseldorꝟ. 1934 sq.

Sur la tendance à fusionner théologie et vie et sur la Lebenstheologie : E. Krebs, Die Wertprobleme und ihre Behandlung in der katholischen Dogmatik, Fribourg-en-B., 1917 ; A. Rademacher, Religion und Leben, 2 « éd., 1928 ; Th. Soiron, Heilige Théologie, 1935 ; A. Stolz, Charismatische Théologie, dans Der kalholische Gedanke, 1938, p. 187196 ; L. Bopp, Théologie als Lebens-und Volksdienst, 1935 ; K. Adam, Von dem angeblichen Zirkel im katholischen Lehrsystem oder von dem einem Weg der Théologie, dans Wissenscha/t und Weisheit, 1939, p. 1-25, et en général cette revue fondée en 1934 par les franciscains allemands ; E. Mersch, cité infra, col. 458 ; G. Kœpken.Die Gnosis des Christentums, Salzbourg et Leipzig, 1939. Pour une critique de la Lebenstheologie, cf. M. Koster, dans Theologische Revue, 1939, col. 41 sq. ; comparer le n u de juillet 1935 de la Revue thomiste, intitulé « Théologie et action ».


III. LA NOTION DE THÉOLOGIE. PARTIE SPÉCULATIVE.


I. Données et indications du magistère.
II. Idée et définition de la théologie (col. 448).
III. Problèmes de structure et de méthode (col. 462).
IV. L’habitus de théologie et le point de vue du sujet (col. 483).
V. Les divisions et les parties de la théologie (col. 492).
VI. La théologie et les autres sciences (col. 496).

I. Données et indications du magistère.

Il y a, sur la théologie, ses bases, sa règle, sa loi ou sa méthode, un certain enseignement du magistère de l’Église. Nous nous en tiendrons, comme le font VEnchiridion symbolorum de Denzinger et VEnchiridion clericorum de 1938, aux actes des grands conciles et surtout à ceux du Siège apostolique. Leurs interventions se réfèrent à trois grandes crises de la pensée religieuse : l’introduction de la philosophie aristotélicienne au début du xiii c siècle, lettre Ab JEgyptiis de Grégoire IX, en 1228, Denz., n. 442 sq. ; le semirationalisme du xixe siècle, condamnation de Hermès, Gùnther et Froschammer ; lettre de Pie IX à l’archevêque de Munich ; concile du Vatican, Denz., n. 1618 sq., 1634 sq., 1655 sq., 1666 sq., 1679 sq. ; enfin la crise moderniste et les problèmes ou renouvellements qu’elle engageait, encycliques Pascendi et Communium rerum, Denz., n. 2086-2087 et 2120. À la suite de cette crise un effort a été fait pour la réforme et le progrès de l’enseignement ecclésiastique ; d’où un certain nombre de documents récents, qu’on trouvera dans VEnchiridion clericorum. Documenta Ecclesiac sacrorum alumnis instituendis, Rome, 1938 ; voir en particulier la constitution Deus scienliarum Dominus, qui, en 1931, a fixé le statut de l’enseignement des sciences sacrées dans les universités ecclésiastiques.

Voici, en bref, les dispositions relatives à la théologie contenues dans ces documents. La base ou la source de la théologie n’est pas l’évidence rationnelle, mais la foi surnaturelle aux mystères révélés par Dieu, Denz., n. 1619, 1642, 1656, 1669 sq. ; son âme, dit Léon XIII, est l’Écriture sainte. Enchir. cler., n. 515. L’encyclique Pascendi insiste sur l’erreur qui consisterait à subordonner la théologie à une philosophie religieuse, et sa partie positive à la pure critique historique. Denz., n. 2087, 2104. La règle de la pensée théologique est l’enseignement de l’Église et la tradition des Pères. Denz., n. 1657, 1666 sq., 1679. Aussi met-on avec insistance les théologiens en garde contre les dangers de l’innovation, non seulement dans la pensée, mais même dans les expressions. Denz., n. 320, 442 sq., 1657-1658, 1680, 1800 (où l’on voit que la tradition n’exclut pas le progrès). Enfin, on prend formellement la défense de la théologie scolastique médiévale, laquelle n’est ni périmée, ni inclinée vers le rationalisme. Denz., n. 1652, 1713 ; Enchir. cler., n. 414 sq., 423, 602, 1132, 1156. De plus, tout en affirmant la nécessité d’une méthode positive, on en marque les limites et on affirme très fortement la nécessité d’y joindre une méthode spéculative. Enchir. cler., n. 806 (Pascendi), 1107 et 1133 sq. (Benoît XV), 1156 (Pie XI). Au demeurant, après avoir signalé les dangers ou condamné les erreurs, on nous propose une formule positive de ce qu’on pourrait appeler le statut ou la charte de la théologie.

La raison, éclairée par la foi, lorsqu’elle se livre à la recherche avec zèle, piété et mesure, peut, par le secours de Dieu, arriver à une très fructueuseintelligence des mystères : tant en usant de l’analogie des réalités déjà connues par notre esprit, qu’en considérant les liens que les mystères eux-mêmes ont entre eux et avec la destinée humaine. Cependant, jamais notre raison n’arrivera à connaître ces choses de la manière dont elle connaît les vérités qui constituent son objet propre… Concile du Vatican, sess. iii, c. iv, Denz.-Bannw. v n. 1796.

Dans les Adnotationes des théologiens au texte du schéma préparatoire (c. v) qui correspond à ce texte définitif, nous lisons des précisions qui, pour ne pas émaner de l’autorité dogmatique de la hiérarchie, n’en sont pas moins spécialement autorisées :

Une connaissance ou science purement philosophique des mystères est exclue… Mais il est une autre science qui procède des principes révélés et crus par la foi et qui s’appuie sur ces principes. Loin de nous d’exclure une telle connaissance fintelligentia), qui constitue une grande part de la sacrée théologie. Dans celle-ci, la foi étant supposée, on recherche comment les vérités sont proposées dans la Révélation : et c’est la théologie positive (comme on dit) ; à partir de là, en assumant également des vérités et des principes rationnels, on aboutit (deducitur) à une certaine intelligence analogique des choses connues par la Révélation et de ce qu’elles sont en elles-mêmes : Fides quærens intelleclum, et c’est la théologie spéculative. Dans cette discipline, c’est le sens des dogmes tel qu’il se trouve dans la Révélation et que l’Église le déclare, qui est la norme de ce travail de purification et d’amenuisement (expoliendx) que doivent subir les notions philosophiques pour être appliquées à cette intelligence des mystères, comme l’ont toujours pratiqué les Pères et les théologiens catholiques ; ce n’est pas, à l’inverse, aux notions purement naturelles de la philosophie qu’on accommoderait un sens des dogmes différent de celui qui se trouve dans la Révélation telle que l’Église la comprend et la propose. C’est pourquoi il est dit que « dans les choses de la religion, la raison humaine et la philosophie ne doivent pas régner, mais servir ». C’est pourquoi encore on a écrit, afin d’éviter une fausse interprétation du décret… Mansi-Petit, Concil., t. L, col. 84-85 ; Th. Granderath, Constitutiones dogmat. S. œc. concilii Vaticani…, Fribourg-en-Br., 1892, p. 90.

Dans les documents récents on souligne la nécessité d’une préparation philosophique soignée, pour la théologie, et le rôle que sont appelés à jouer, dans la constitution de cette théologie elle-même, les disciplines philosophiques : cf., pour le premier point, Enchir. cler., n. 480 (Léon XIII), 805 et 810 (Pascendi), 1126 (Benoît XV), 1155, 1190 (Pie XI), 840 (Consistoriale) ; pour le second point, n. 404 (Léon XIII, JEterni Patris), 1130 (Benoît XV), 1156 (Pie XI).

II. Idée et définition de la théologie.

I. GENÈSE ET NÉCESSITÉ DE LA THEOLOGIE : PHILOSOPHIE, FOI ET théologie.

Il nous faut situer la théologie dans l’économie générale de la connaissance de Dieu : connaissance divine, connaissance humaine et connaissance théandrique. Dieu est connaissable de deux manières : selon son mode à lui et selon notre mode à

nous, chaque nature ayant son mode propre de connaissance, déterminé par son objet connaturel. Cf. saint Thomas, In I" m Sent., prol., a., 1 sol. et ad l nm ; a. 3, sol. 1 ; In J/ um, prol. ; In Boet. de Trin., prol., q. ii, a. 2 ; q. v, a. 4 ; Cont. Gent., t. I, c. m et vin ; t. II, c. iv ; t. IV, c. i ; Sum. theol., I », q.xii, a. 12.

Dieu, qui est l’Être même et l’Infini parfait, a pour objet propre et connaturel soi-même ; le mode de sa connaissance est de se connaître lui-même intuitivement et les autres choses à partir de lui et en lui, comme des participations de lui-même. La science divine suit ainsi, parce qu’elle le crée, l’ordre en soi des choses et de leur intelligibilité.

Notre objet connaturel, qui est au niveau de notre propre ontologie, est la quiddité des choses sensibles, la nature des choses physiques. Notre connaissance va de l’extérieur à l’intérieur, des choses moins premières et moins intelligibles en soi aux réalités plus premières et plus intelligibles. C’est ainsi qu’elle atteint Dieu, comme cause efficiente, exemplaire et finale des choses sensibles, dans une connaissance analogique, liée à son objet connaturel, la quiddité des choses sensibles. On a, depuis le xve siècle, semble-t-il, donné le nom de « théologie naturelle » à cette connaissance de Dieu par la raison à partir de la connaissance que nous avons des choses créées.

La connaissance que Dieu a de lui-même est, par grâce, communiquée aux hommes. Elle l’est d’une manière parfaite, pour autant du moins que cela est possible à des créatures et d’une façon qui comporte des degrés, dans la vision béatifique. Elle l’est d’une manière imparfaite dans la foi surnaturelle. La foi est une réalité des choses que l’on espère, une ferme assurance de celles qu’on ne voit pas ». Hebr., xi, 1. Elle est une puissance de perception des objets ou plutôt de l’objet connaturel à Dieu lui-même. Mais, si elle est une « ferme assurance », si elle est le germe de la vision et si elle a en soi, dès maintenant, l’efficacité d’atteindre le mystère de Dieu lui-même comme objet, la connaissance de la foi est conditionnée en nous par une communication extérieure d’objets, qui s’opère par la Révélation. Dieu se dévoile à nous et nous parle de lui ; il le fait en une manière proportionnée à notre condition d’hommes, c’est-à-dire, d’un côté, selon un mode collectif, social, d’un autre côté, en un langage d’hommes, en des images, des concepts et des jugements pris parmi les nôtres. Dieu choisit, dans le monde de notre connaissance naturelle, des choses, des concepts et des mois qu’il sait et qu’il nous garantit, par le fait, être des signes non menteurs de son propre mystère. Ainsi est ce à travers des images, des concepts et des jugements de même type et de même extraction que les nôtres, que notre foi passe pour adhérer au Dieu même qui est notre destinée totale. (.v n’est que dans les images, les concepts et les formules de la Révélation et du dogme que la foi peut percevoir son objet ; mais, a travers la précarité et l’insuffisance des voiles verbaux qui ne révèlent Dieu qu’imparfaitement, la foi tend a une perception moins imparfaite de Dieu ; cf. S. Thomas, Dr oeril., q. xiv, a. 8, ad 5 om ; ad ll° m ; Sum. theol., II » -II », q. i. a. 2. ad 2° » ; In III"" Sent., dist. XXV, q. i. a. 1. sol. |, ad l 1 " » ; II » - II », q. i, a. (> : Articulas est perceptio divitur verilatis, tendent m ipsam.

Cette tendance à une perception pi us complète de la Vérité divine s’opère dans une activité de l’homme il répondant a l’avance de Dieu. Dans cette activité le croyant achevé l’œu re de Dieu en Joignant vltalement son activité au don qu’il a reçu. Ainsi VOyons-nous naître une troisième connaissance de Dieu, qui n’est plus ni purement divine, ni purement humaine, mais divino humaine ou t h. andrique (.

plu la connai >i.one pur< ment philosophique de

DICT. DE THÉOL. OATIIOL.

Dieu, obtenue par notre seul effort et limitée à ce que les créatures nous disent de lui. Ce n’est plus la connaissance proprement divine communiquée dans la vision intuitive et, ici bas, d’une manière inchoative et imparfaite, dans la foi. C’est une connaissance qui, partant de la foi et en exploitant le donné, tend, par un effort où l’homme apporte à Dieu une réponse active, à mieux percevoir l’objet divin livré dans la grâce et les énoncés de la foi.

Mais cet effort de perception de l’objet révélé peut se faire par deux voies différentes qui sont, aussi bien, les deux voies du progrès dogmatique : il peut se faire par la voie de la contemplation surnaturelle, sur la base d’une union affective à Dieu ; ou bien par la voie de la contemplation théologique, sur la base d’une activité de connaissance de mode rationnel et discursif. Ces deux voies sont caractérisées par deux manières différentes de posséder le principe, qui est Dieu en son mystère surnaturel. Dans le premier cas, l’âme le possède et lui est unie par mode d’expérience ; elle pénètre davantage l’objet de la foi par la charité ; ce n’est pas tant elle qui travaille le mystère de Dieu que ce mystère qui la travaille intérieurement, se la rendant vitalement accordée, conforme et sympathique. Dans la théologie de saint Thomas, cette activité de perception par mode vital est attribuée plus spécialement aux dons du Saint-Esprit, surtout aux dons d’intelligence et de sagesse. Sum. theol., II » -II">, q. iv, a. 8, ad 3um ; q. viii, a. 5, ad 3um.

Dans la seconde voie, on possède Dieu en son mystère, non plus dans l’ordre de la connaturalité vitale, mais dans celui de la connaissance, qui est celui d’une conformité intentionnelle à l’objet. La pénétration de celui-ci se fait par un travail proprement rationnel, où nous sommes actifs et non plus passifs et où chacun peut profiter du travail d’autrui et communiquer ses propres acquisitions. L’amour, certes, intervient dans ce travail, mais c’est seulement comme en toute activité, à savoir comme moteur. Sum] ^heoL, , Ia-IIæ, q. xxviii, a. 2, corp. ; II a -II", q. ii, a. lO.corp. Formellement, la pénétration de l’objet se fait par l’activité, avec les ressources, selon les lois et les méthodes de l’intelligence ou, plus précisément, de la raison. C’est à cet ordre qu’appartient la théologie, qui est contemplation proprement intellectuelle et de mode rationnel des enseignements de la foi. Cf. Sum. theol., I », q. i, a. 6, ad 3um ; II » - II », q. xlv, a. 1, ad 2° m. Dans la contemplation théologique, la foi se développe et rayonne dans l’homme selon le mode de celui-ci, qui est rationnel et discursif ; elle se développe et rayonne dans sa raison, y prenant la forme et obéissant aux exigences d’un savoir humain. Parmi ces exigences, il en est deux surtout qui donneront à la théologie son allure propre : une exigence d’ordre et une exigence d’unité dans les objets de connaissance.

Exigence d’ordre et de hiérarchie.

D’un côté.

Dieu a fait toutes choses avec ordre et mesure. Cet ordre procède de la science créatrice de Dieu. De la science de Dieu, cet ordre passe non seulement dans ses œuvres, mais dans sa Parole, qui nous communique quelque chose de cette science : ainsi, tandis que nous déchiffrons quelque chose de l’ordre de la création et de la science de Dieu dans le livre « le la nature ». nous en recevons une autre connaissance dans la Révélation à laquelle nous adhérons par la foi. Or, cette foi est celle d’un homme dont la raison porte dans les objets qui lui sont proposés de légitimes exigences d’intelligibilité et d’ordre, l.a foi n’est pai de la compétence « le la pure raison, mais, de quelque manière qu’il la

reçoive, lorsque l’homme s’y est ouvert, elle réclame

de lui la soumission de tout lui même et occupe jusqu’à ion. (.elle ci ne peut donc refuser de l’accepter

et. puisqu’elle ne peut davantage abdiquer les exigen T. — XV. — 15.

451

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. ACTIVITÉ DE LA RAISON

452

ces de lumière et d’ordre qu’elle a reçues de Dieu comme sa loi constitutive, elle est bien obligée d’apporter, dans la considération des objets de connaissance nouveaux que la foi fait habiter en nous, ses exigences natives d’intelligibilité et d’ordre : exigences auxquelles l’œuvre de Dieu, la Parole de Dieu, la Révélation et la foi ont de quoi satisfaire. Ce qui est donné simplement à l’homme pour son salut, sa raison devenue croyante le considérera à sa manière à elle, l’explicitera, le traduira en concepts et en définitions conformes à ses besoins, le construira surtout en un corps ordonné de vérités et d’énoncés où ce qui est premier en intelligibilité sera donné comme fondement à ce qui est second, la hiérarchie des choses se reconstruisant ainsi en un ordre qui s’efforce de reproduire, en en cherchant les indices dans les choses et dans la Révélation, l’ordre de la science créatrice de Dieu. Nous verrons bientôt à quoi ce programme engage.

Exigenre d’unité.

La seconde exigence est encore

commune à la foi et à la raison : c’est celle de l’unité dans les objets de connaissance. D’une part, en effet, la raison ne peut admettre la théorie de la double vérité ; elle ne se résoudra jamais à penser que ce qui est certain et démontré pour elle dans l’ordre de la vérité spéculative, puisse être nié ou contredit par la foi. Aussi cherchera-t-elle toujours à constituer une certaine unité avec les connaissances qu’elle tient de ses évidences ou de ses démonstrations et l’apport nouveau d’objets et d’énoncés dont la foi est en elle la source. S’il lui est révélé que Dieu s’est fait homme, elle cherchera à penser ce mystère avec ce qu’elle sait de l’homme ; et de même appliquera-t-elle aux sacrements, à la morale évangélique, à la théorie de la justification, etc., les différentes notions qui lui semblent intéressées par les réalités que la foi lui fait tenir. Or, cette foi, de son côté, n’est pas moins exigeante d’unité dans la connaissance. Elle est, en effet, dans le croyant, non pas un domaine à part et comme une nouvelle spécialité qui viendrait s’ajouter aux autres et leur demeurerait étrangère ; elle est une nouveauté, mais elle est aussi totale et, modifiant l’homme tout entier, elle tend à se subordonner et à s’annexer en lui tout ce qu’il y a de connaissances certaines comme tout ce qu’il y a d’activité morale. Et par exemple, Dieu ne peut pas, en elle, se révéler comme devenu homme sans que les certitudes authentiques de l’esprit au sujet de ce qu’est essentiellement un homme, ne se subordonnent à cette révélation et ne demandent à entrer, avec le mystère révélé, dans un ordre de connaissance qui soit un.

Par ailleurs la confrontation entre les choses révélées et les acquisitions rationnelles, entraîne fatalement des heurts, au moins apparents. Nouvelle nécessité, pour le croyant, de mettre sa raison en rapports avec sa foi et de lui faire exercer, à l’égard de l’enseignement chrétien, une activité de défense qui est une nouvelle forme d’application de la raison aux choses de la foi. À ces différents titres, l’enseignement révélé se développe et rayonne dans la raison humaine comme telle et tend à prendre une forme proprement rationnelle, discursive et scientifique, qui est la théologie.

II. LA LUMIÈRE DE LA THÉOLOGIE ET LES DIFFÉ-RENTES FORMES DE L’ACTIVITÉ DE LA RAISON DANS

LA foi. — Nous pouvons, ayant vu sa genèse et par là même sa nécessité, définir quelle est la lumière propre de la théologie, son lumen sub quo. C’est la Révélation surnaturelle reçue dans la foi, en tant que s’exprimant et se développant dans une vie intellectuelle humaine de forme rationnelle et scientifique : Revelalio virtnalis, disent les commentateurs de saint Thomas depuis Banez. Ce n’est donc proprement ni la lumière de la raison, car la théologie ne vit que de la foi, ni la lumière de la foi, car la théologie se constitue par une

activité rationnelle s’appliquant au donné de la foi, mais c’est une lumière qui se forme par l’union vitale et organique des deux : la lumière de la foi en tant qu’elle se conjoint celle de la raison, l’informe, la dirige et se sert d’elle pour constituer son objet en un corps de doctrines de forme rationnelle et scientifique. Cet usage de la raison dans la foi, qui e^t l’œuvre théologique, se fait de différentes manières, qu’il nous faut exposer rapidement.

1° Établissement des « præambula ftdei ». — Une première manière est de fournir des démonstrations rationnelles rigoureuses des préambules de la foi : existence de Dieu, unité de Dieu, création ex nihilo, immortalité de l’âme, etc. S. Thomas, In Boet. de Trin., q. ii, a. 3 ; In III um Sent., dist. XXIV, a. 1, sol. 1.

Défense des vérités chrétiennes.

Une seconde

manière concerne la défense des vérités chrétiennes, et elle comporte deux activités différentes : une activité s’appliquant à démontrer la crédibilité rationnelle du dogme et du magistère catholiques pris dans leur ensemble, cf. ici, art. Crédibilité, t. iii, col. 2201 sq., une activité s’appliquant à défendre chacun des dogmes pris en particulier. La première activité fait l’objet d’une partie spéciale de la théologie, l’apologétique, ou théologie fondamentale. La seconde se répartit tout au long de la théologie ; il revient, en effet, à celle-ci, après les avoir contemplés et construits rationnellement, de défendre chacun des dogmes en particulier contre les objections de la raison ou des sciences humaines. Dans cette activité de défense particulière de chaque dogme, la théologie ne peut apporter de preuves rigoureuses, positives et directes de la vérité des mystères ; elle peut seulement suggérer la convenance rationnelle de ces mystères, et montrer, en résolvant les objections proposées, qu’il n’est pas absurde de tenir, par la foi, la vérité de ces choses. S. Thomas, In Boet. de Trin., q. ii, a. 1, ad 5um ; a. 2, ad 4um ; a. 3 ; Sum. theol., I a, q. i, a. 8 ; Conl. Cent., I. I, c. vin et ix. C’est aussi ce que suggèrent les interventions du magistère condamnant Rosmini pour avoir voulu démontrer indirectement la possibilité de la Trinité. Denz., n. 1915.

Construction du révélé.

Mais la manière de beaucoup

la plus importante dont le travail rationnel s’applique à l’enseignement chrétien se réfère à la construction intellectuelle des mystères en un corps de doctrine. Car les mystères sont cohérents entre eux et cohérents aussi avec les réalités naturelles et les énoncés certains de la raison. C’est de cette connexion des mystères entre eux et de cette sorte de proportion qu’ils ont avec les choses que nous connaissons, que vit la théologie ; ce sont elles qui, sous le nom d’analogie de la foi, inspirent la charte donnée par le concile du Vatican au travail théologique. Cf. encore encycl. Providenlissimus, Denz., n. 1943 ; serment antimoderniste, Denz., n. 2146.

1. Rôle de l’analogie.

Aliquam mysteriorum intelligenliam ex eorum quæ naturaliter (ratio) cognoscil analogia. Il ne s’agit pas ici de démontrer les mystères, mais, ceux-ci étant connus par la foi, de s’en procurer quelque intelligence en recourant aux choses, aux lois, aux rapports qui nous sont connus rationnellement et avec lesquels les mystères ont une certaine similitude ou proportion. Cette justification repose tout entière sur la validité de la connaissance analogique et donc, d’une part, sur l’unité relative ou proportionnelle du monde naturel et du monde surnaturel et, d’autre part, sur la portée transcendante de la connaissance humaine. Ce second point est une question de philosophie. Le premier aussi pour une part, car il est lié à notre idée d’être, aux exigences et à la justification de cette idée ; mais il est aussi une vérité théologique, découlant de la Révélation

d’abord du fait même d’une Révélation formulée en notions et en mots empruntés à notre inonde de connaissance ; ensuite de certaines affirmations significatives de l’Écriture selon lesquelles le Dieu révélateur et sauveur, le Dieu de la foi et de la vie nouvelle est aussi et identiquement celui qui a créé le monde de notre connaissance et de notre vie naturelles ; cf. Hebr., I, 1 sq. et Joa., i, 1 sq. Encore que le monde surnaturel soit constitué par une participation toute nouvelle à la vie intime de Dieu, les deux créations ne laissent pas d’être l’une et l’autre de l’être, l’une et l’autre des participations de Dieu, et donc non seulement ne peinent se contredire foncièrement, mais sont reliées par un certain ordre.

Voilà pourquoi la raison de l’homme peut véritablement s’unir à la foi surnaturelle et devenir une puissance de connaissance originale et nouvelle qui n’est plus ni la simple foi, car elle raisonne, ni la simple raison, car elle app.lque son activité à un objet tenu par la foi surnaturelle, mais qui est la raison théologique.

Sur l’analogie elle-même, cf. ici, art. Analogie, t. I, col. 1142-1154 ; T.-L. Fenido, Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, Paris, 1931 ; K.-.M. Bruckberger, L’être Valeur révélatrice de Dieu, dans lievue thomiste, 1937, p. 201226. — Sur l’analogie comme fondement de la théologie, cf. A. Gardeil, Le donné révèle, c. i ; K. Przywara, lieligionspMlosophie kalholischer Théologie, 1926 ; Analogia entis, 1. 1, 1932 ; C. I h kes, Die Analogie in unserem Gotteserkennen, ilire metaphgsische und religiôse liedeulung, dans le recueil Problème der Gotteserkenntnis, .Munster, l’J28, p. 132-184 ; H. Cirosche, La notion d’analogie et le problème théologique d’auiounl’luti, dans liante de philos., 1935, p. 302-312 ; L. Charlier, Essai sur le problème théologique, p. 84 sq. ; 1*. Wy « er, Théologie als Wissenschaft, p. 99 sq.

2. Connexion des mystères. Tume mysteriorum ipsorum nexii inter se et cum fine hominis ultimo. L’Église attache une grande importance, pour l’intelligence que la raison croyante, avec l’aide de Dieu, peut obtenir des mystères, à la contemplation des rapports que ces mystères ont entre eux et avec la fin dernière de l’homme.

De fait, quand on cherche ce qui donne aux écrits dogmatiques ou moraux des Pères leur plénitude, ofi trouve que c’e-, t principalement leur sens de la connexion et de l’harmonie vivante des dogmes. Ils ont sens, parce qu’ils ont vécu et pensé dans l’Église, qu’ils ont écrit pour répondre aux besoins de sa vie et qu’ils reflètent ainsi dans leurs œuvres la conscience que l’Église a de sa foi. Quand les Pères exposent un point de la Sainte Écriture OU de la doctrine catholique, on a le sentiment que tout le reste, qu’ils n’exposent pas. est présent dans le point particulier dont ils traitent. Cf. M..1. Cnngar, L’esprit des Pères d’après Môller. dans la Vit spir.. avril 1938, Suppl., p i’-'">. l Wlnterswyl, Athanasius der Grosse, der gr der ErlOsung, dans Die Srhililc/rnossrn, t. xvi, 71.

La forme plus scientifique que la théologie a prise’es grand : rolastiques est nécessairement plus analytique que n’étaient les écrits des Pères ; moins la vie immédiate de l’Église, elle est plus purement < Icntiflque ou didactique. Ainsi, d’une part, une élaboration plus poussée d< doctrines et, d’autre

pari, une, | Intuition plus fi <|e ces mêmes

doctrine rcnd< il moins aisée, dans la théologii forme cientilique, cette contemplation des mysti

ins manuels issus d’une scola. tique souvent

les doctrines ont été souvent divisées en

thèses ti pj, l’étal morcelé, inorganique.

h et. nntn retél il de cho <. J.-B. Aubry, I sur la méthode <ir, i, i, ies ecclésiastique », Lille, 1890° q. ; I i enoir, La théologie du xt.xe siècle, Paris, 1893,

théologiens de la valeur de S’Ils une grande importance à la pi

tation organique des doctrines. Dogmatique, n. 887 sq. Cette exigence était satisfaite chez les grands scolastiques. Elle trouvait satisfaction dans leur souci d’un plan d’ensemble et dans leur détermination île l’unité de matière ou de « sujet » de la théologie. Ii serait trop long de montrer ici comment l’admirable plan de la Somme de saint Thomas répond à ces exigences. Mais il est certain que le plan des Sentences d’abord, basé à la fois sur les catégories augustiniennes de res el signa et de frui et uti, puis le plan des autres traités systématiques. Compendia ou Summæ, ont été el demeurent des éléments de Vintelleclus fidei, des instruments de doctrines, par l’harmonie qu’ils décèlent et expriment entre les mystères révélés. Que le mystère de l’incarnation, par exemple, soit compris comme l’achèvement et le moyen de notre retour au sein du Père et qu’il soit ainsi mis en rapports avec les mystères de la Trinité, des « missions di mes », de la grâce, de l’homme-image de Dieu et de tout son équipement de vertus théologales ou morales et de dons ou de charismes, enfin des sacrements, de la prédestination, de la filiation adoptive, du jugement…, cela, évidemment, importe grandement à l’intelligence que le croyant peut prendre de ce mystère et de tous les autres. Cette mise en rapports des mystères les uns avec les autres donne à la théolpgie un de ses procédés les plus féconds de développement et d’élaboration des doctrines.

On comprend enfin que le concile ait fait une men tion spéciale du rapport des mystères à la fin dernière de l’homme. Car ce rapport, intéresse immédiatement la place de telle doctrine particulière dans l’économie de la Révélation. Il y a des choses, dit saint Thomas, qui sont matière à révélation, et donc objet quod de la foi et principes de la théologie, principatiter, secundum se, proprie et per se, directe, en raison même de leur contenu, et d’autres qui ne le sont que in online ad alia, par le rapport d’application ou d’illustration qu’elles ont aux précédentes. Or, les choses qui tombent sou. la Révélation divine et intéressent la fol directement se résument, d’après saint Thomas, en id per quod homo bealus efpcitur, à savoir le double mystère ou la double « économie » : le mystère néces saire de la Un, quorum visione perfruemur in vita eeterna, et le mystère libre des moyens, per quee ducimur in vitcan teternam. Sum. theol., II » - II", q. i. a. (i, ad l ura ; a. 8, corj). ; q. ii, a.. r >. coi p. : a. 7, corp. Doctrine profonde, qui fait de notre béatitude, de la vérité sui notre destinée totale, l’objet direct de la Révélation et donc de la foi, du dogme et île la théologie et. pourrions nous ajouter, de la compétence du ministère ecclésiastique. Traduction technique, mais si Adèle, de la défini tion paulinienne rie. la foi comme Subslantia rcrum spe randarum.

Nous pressentons ici déjà combien peu la théologie consiste en une pure application de la philosophie à un donné nouveau ; elle est vraiment une science religieuse », avant un objet rpii, techniquement et dans sa condition épisléniologiqnc même, m-réfère à notre destinée. D’où ce titre spécial d’intelligibilité qui re vient à cette science, au témoignage du concile du Vatican, d’une considération de chaque doctrine dans son rapport à la fin dernière de l’homme.

Dans cette pénétration et cette construction Intel lectuellei des mystères, tant à partir de ce que le monde de notre connaissance naturelle peut nous fournir d’analogies, que par uni’mise en valeur ries

rapports que ces mystères ont entre eux et avec la

fin dernière de l’homme, les interventions de la raison peuvent prendre différentes formes, qu’on peut, sem

blc-t-il, ramener a trois : la simple explication du révélé, la raison de Convenance, la déduction de « un closions nouvr i i

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    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. SON OBJET

456

a) La simple explication du révélé. — C’est une fonction très fréquente de la raison en théologie. Cette explication peut être cherchée intrinsèquement ou extrinsèquement au révélé lui-même.

a. Explication intrinsèque. — Elle consiste surtout à donner, des réalités révélées, une notion plus précise, parfois même une définition répondant aux exigences d’une logique rigoureuse. Exemples : le dogme énonce que le Christ est assis à la droite du Père ; il revient à la théologie d’expliquer, en raisonnant le cas, ce que signifie cette « session à la droite », voir par exemple, Sum. theol., III », q. lviii. Dans des cas de ce genre, le travail théologique est assez proche de la théologie biblique et de la catéchèse ; il est bien cependant dans son rôle de sacra doctrina et nombre de questions, dans la Somme de saint Thomas, répondent à cette fonction. Autre exemple, où l’élaboration scientifique est plus nette : la théologie de la primauté et de l’infaillibilité pontificales, en tant qu’explication des textes bibliques qui les énoncent, Matth., xvi, 15-20 ; Luc, xxii, 31-32 ; Joa., xxi, 15-17, ou des formules du magistère. Dans les cas majeurs, l’explication ira jusqu’à donner de la réalité révélée une définition techniquement rigoureuse.

b. Explications extrinsèques. — Il revient aussi à la théologie, se tenant en cela très près de la catéchèse, de fournir, dans des analogies prises de notre monde, des explications qui sont moins une formule élaborée du révélé qu’une manuductio, un adjuvant pédagogique suggérant au fidèle l’intelligence du dogme. Cet usage pédagogique des analogies naturelles est à distinguer de l’usage précédent et des usages qu’on va dire : dans le premier, en effet, les analogies seront utilisées pour leur contenu intrinsèque de vérité, même si cette vérité n’est pas entièrement adéquate ; les analogies pédagogiques, elles, sont des auxiliaires du dehors et leur rôle est relativement indépendant de leur valeur intrinsèque. C’est pourquoi, d’une part, nous continuons, en théologie, à employer de vieilles manuductiones comme celles qui sont empruntées à la cosmologie ancienne, par exemple à l’idée de lumière comme milieu physique, tandis que, d’autre part, nous pouvons en emprunter de toutes nouvelles qui, n’ayant pas encore fait suffisamment leurs preuves de vérité, ne sauraient être introduites comme élément d’explication dans la science théologique elle-même.

b) Arguments de convenance. — Ils forment, et de beaucoup, la part la plus importante des arguments de la théologie et comme le domaine approprié de cette science. Ils consistent, en effet, à exploiter l’accord qu’un fait chrétien surnaturel connu par révélation, possède avec la marche générale, les lois et les structures de notre monde à nous. Cet accord est susceptible de degrés fort divers, l’élément qui nous est naturellement accessible ne représentant parfois qu’un écho lointain de la réalité ou du fait révélés, mais pouvant représenter aussi une donnée si homogène aux choses chrétiennes qu’on tient presque, dans la loi ou l’essence naturellement connues, une explication véritable de la donnée révélée. De toute façon, la raison ou l’analogie apportées ne sont pas une preuve directe du fait surnaturel ; elles donnent seulement des motifs de penser que ce fait est vrai et, à ce titre, doivent être rangées dans la catégorie du « probable » ; cf. S. Thomas, Conl. Gent., t. I, c. ix ; Sum. theol., II » -II æ, q. i, a. 5, ad 2um ; elles offrent, comme il est dit encore, ibid., et Cont. Gent., 1.1, c. iii, verassimilitudines, raliones verisimiles, qui nous permettent, le fait surnaturel nous étant donné, de le concevoir de quelque façon. On peut noter à ce sujet que le vocabulaire des Pères et des grands scolastiques ne doit pas nous tromper et que souvent ce pour quoi ils parlent de necessarium, necesse est, patet, etc., n’engage que la

convenance. Quand saint Thomas, pour rendre théologiquement compte du fait de l’incarnation rédemptrice, fait appel à la métaphysique du bonum di/Jusivum sui, Sum. theol., III », q. i, a. 1, il n’entend pas prouver le fait de l’incarnation et sait très bien que l’application de ce principe dans le monde surnaturel est soumise à la libre initiative de Dieu, In I II um Sent., dist. XXIV, q. i, a. 3, ad 2um ; mais, dans la mesure où un principe si élevé s’applique à la vie même de Dieu, on peut légitimement lui demander de nous manifester ce que le mystère recèle d’intelligibilité : l’analyse ne rend pas raison du fait ; garantie par la sagesse de Dieu qui accorde toutes choses dans un monde fait par elle à deux étages, elle tend à rendre raison de ce qu’il y a d’intelligible dans le fait.

Le procédé rendra pleinement dans les cas où l’accord entre le fait chrétien et la loi naturellement connue viendra en réalité d’une communauté essentielle de structure et donc d’une réelle unité de loi. Le cas se présente quand on atteint par la raison naturelle à la connaissance d’une forme et de ses lois essentielles, qui resteront telles sous les divers modes où cette forme pourra être réalisée. C’est le cas de notre connaissance de la nature humaine, en sorte qu’il faut nous attendre à trouver de telles explications de structure dans les différentes questions que pose, même en régime chrétien, cette nature : anthropologie, morale, christologie, voire expérience mystique.

c) Raisonnement théologique déductif. — L’explication du révélé prend souvent la forme d’un raisonnement par lequel l’esprit dégage le contenu plus ou moins enveloppé de l’enseignement chrétien : elle devient une exploitation. Il arrive qu’on explicite ainsi des vérités qui étaient réellement, bien que non manifestement, révélées. Il arrive encore, et c’est le cas le plus fréquent, que l’on se donne, par un détour rationnel, une vérité qui était révélée par ailleurs, mais sans que cette révélation fît connaître ses connexions logiques ou sa raison métaphysique. Ainsi dans le syllogisme suivant :

Ce qui est spirituel n’est pas dans un lieu.

Or Dieu est spirituel.

Donc Dieu n’est pas dans un lieu.

Il arrive aussi, surtout quand on introduit dans le raisonnement une prémisse de raison naturelle, qu’on obtienne une vérité nouvelle qu’on ne saurait prétendre révélée. Soit ce raisonnement, inspiré de saint Thomas, Sum. theol., III », q. xvii, a. 2 :

L’être est attribué à la personne.

Or, dans le Christ, il y a unité de personne.

Donc, dans le Christ, il y a unité d’être.

La conclusion est une acquisition nouvelle, qui fait si peu partie du donné de la foi que les théologiens ne s’entendent pas à son sujet. Elle est obtenue non seulement grâce à un raisonnement formel, mais grâce à l’intervention, dans la constitution même de l’objet finalement connu, d’une quantité rationnelle, d’une certaine philosophie de l’esse et de la personne, laquelle est bien assumée pour son contenu et selon son contenu intrinsèque de vérité. Cette fonction déductive de la théologie avec assomption de vérités naturelles entrant dans la constitution d’un scibile propre, pose des questions particulières ; aussi en ferons-nous plus loin un examen spécial.

/II. OBJET « QVOD » ET SUJET DE LA THÉOLOGIE.

— Le sujet d’une science, c’est la réalité dont on traite dans cette discipline, plus exactement encore, d’après Aristote, // Anal., t. I, c. vii, 75 b 1 et c. x, 76 b 15, la réalité dont on démontre des passions ou des propriétés. Si l’on considère le sujet d’une science formellement, c’est-à-dire sous l’aspect selon lequel la réalité est considérée dans cette science, l’unité de

sujet est aussi essentielle à l’unité de la science que l’unité de lumière ou d’objet formel quo. Aussi Aristote et saint Thomas disent-ils que les deux choses se répondent et que l’unité d’une science exige l’unité de son genus subjectum comme celle de son genus scibile. In II Anal., t. I, lect. 15 et 41. D’où le souci de saint Thomas, Sum. theoi, I », q. i, a. 3, ad l um et a. 7, de montrer l’unité du sujet de la sacra doclrina, l’unité de la réalité dont on y traite.

Cette réalité, en théologie, est Dieu lui-même. C’est de lui et finalement de lui seul qu’on traite dans cette science qui est un « discours sur Dieu », sur Dieu considéré non pas dans sa causalité, où on ne le connaît que d’une manière relative, non tanquam subjectum scienliir, sed tanquam principium subjecti, In Boet. de Trin., q. v, a. 4 ; Conl. Genl., t. II, c. iv, mais sur Dieu considéré en lui-même, dans son absolu, tel qu’il apparaît à son propre regard et tel qu’il ne peut être connu à d’autres que par révélation surnaturelle. La théologie a pour sujet la même réalité qui est le principe de notre béatitude, ce que la parole de Dieu nous révèle et à quoi adhère notre foi, illa quorum visione perjruemur in vila œlerna.

Cependant, objectera-t-on, elle traite également des anges, de la sainte Vierge, des hommes et de leur vie morale, de l’Église, des sacrements, etc. C’est vrai, et ces différentes réalités font, dans l’enseignement théologique, l’objet d’autant de « traités particuliers. Mais, comme le remarque saint Thomas, elle ne traite de ces réalités que sub ralione Dei, quia habent ordinem ad Deum ut ad principium et finem. Sum. theol., I », q. i, a. 7. La théologie n’est nullement faite d’une anthropologie, d’une angélologie, d’une étude des réalités sacramentaires poursuivies pour elles-mêmes. Elle est et elle est uniquement une étude de Dieu en tant que Dieu, sub ralione Dei. Mais, comme le monde entier a ordre à Dieu, ordre de procession comme à sa eause efficiente et exemplaire, ordre de retour comme à sa cause finale, la théologie considère aussi toutes choses en tant qu’elles vérifient à quelque degré la ratio Dei, en tant que Dieu est impliqué et comme investi en elles.

C’est le programme qu’a rempli saint Thomas, laissant cette idée toute simple organiser sa synthèse en ce plan de la Somme que le prologue de la I » pars, q. ii, énonce en termes si sobres. De même que par la charité nous aimons dans les créatures raisonnables le bien divin qu’elles possèdent ou dont elles sont capables, ainsi par la Révélation et dans la foi d’abord, puis d’une manière rationnelle dans la théologie, nous conons Dieu en lui-même et toutes choses en tant qu’elles ont rapport au mystère de Dieu et que, pour la béatitude des élus, elles sont associées à ce mystère. Ainsi, en traitant des anges, des sacrements, etc., la théologie garde-t-elle son caractère objectivement théologal.

C’est à cette constitution théologale de la théologie, tdence des objets de la foi, que se rattache la vue très profonde de saint Thomas, récemment remise en lumière, sur l’unité et l’ordre des dogmes ou articuli ftdei ; cf. I.. Charlier, Lssai sur le problème théologique, p. 123 136. La tradition théologique donnait une grande attention au texte de l’épître aux Hébreux sur la nécessite" de croire que Dieu existe et qu’il est rémunérateur de ceux qui le cherchent ». Hcbr., xi, G. Siiint rhomas donne de cette définition de saint Paul l’équivalent déjà noté : quorum visione prrjruemur m vila mterna < ! >cr qum ducimur ad uitam « ter nom. lour lui. toute la Révélation, toute la foi, et « loue toute la théologie se réfèrent à ce double objet : Dieu béatifiant, l’économie divine des moyens de la béatitude, e t-à-dirc encore au double mystère de l’un ; le mystère nécessaire de sa vie trinitaire et la

mystère libre de notre salut par l’incarnation rédemptrice. Tous les autres dogmes se ramènent à ces deux credenda essentiels. Les autres articles de foi ne sont, pour saint Thomas, que des applications ou des explications de ces deux articles essentiels. De veril., q. xiv, a. 11. C’est ainsi qu’il y a, dans la Révélation et donc dans la théologie, une hiérarchie, un ordre, où se manifeste l’unité du sujet dont on y traite. Nous verrons bientôt l’intérêt de cette vue pour la notion de la théologie comme science.

Au début du xixe siècle, plusieurs théologiens, héritant de la tendance à construire le donné dogmatique en « système », mais animant cette tendance par l’inspiration romantique du vital ou de l’organique, et par le point de vue philosophique d’une « idée » qui se développe dynamiquement, ont donné pour principe organisateur à la dogmatique, non pas le mystère de Dieu, mais la notion de Royaume de Dieu : ainsi J.-S. Drey, J. Hirscher, B. Galura, le cardinal Katschthalter, etc. Cf. J. Kleutgen, Die Théologie der Vorzeit, t. i, n. 152 sq. ; t. v, n. 297 sq. ; K. Wcrner, Geschichte der kathol. Theol. seit dem Trienter Concil, 1866, p. 258 sq. ; J. Diebolt, La théologie morale cathol. en Allemagne, p. 181 sq. ; J. Ranft, Die Stellung der Lehre von der Kirche im dogmatischen System, Aschaffenbourg, 1927, p. 3 et 113 ; F. Lakner, dans Zeilsch. f. kathol. Theol., 1933, p. 172 et 179 ; enfin, pour une critique, cf. H. Klee, Katholische Dogmalik, 3e éd., Mayence, 1844, t. i, p. 384. L’idée a été reprise de nos jours par L. Bopp, Théologie als Lebens-und Volksdiensl, 1935. Ces idées procèdent plus d’un point de vue descriptif et d’une organisation empirique des éléments de la dogmatique, que d’un point de vue véritablement formel : Altendenles ea quæ traclantur in ista scienlia, et non ad ralionem secundum quam considerantur. Sum. theol., I », q. i, a. 7.

Tout en se défendant de toucher à la question du subjectum de la théologie, le P. E. Mersch, S. J., a récemment repris une position très voisine de celle qui assignait pour objet à la théologie le Christus lotus. Voir Le Christ mystique centre de la théologie comme science, dans Nouv. revue théol., t. lxi, 1934, p. 449475 ; L’objet de la théologie et le « Christus totus », dans Recherches de science relig., t. xxvi, 1936, p. 129-157 ; cf. J.-A. Jungmann, S. J., Die Frohbotschaft und unsere Glaubensverkùndigung, Ratisbonne, 1936, p. 20-27. Le P. Mersch convient que Dieu en sa déité est le sujet de la théologie et le principe d’intelligibilité en soi de tout le révélé ; mais il pose la question de savoir quel est le mystère qui est pour nous le moyen d’accès et le principe d’intelligibilité de tous les autres, quelle est la doctrine qui, pour nous, fait l’unité de toute la dogmatique et représente le « premier intelligible » par rapport auquel tout le reste nous est accessible et systématisable : et il répond que c’est la doctrine du Christ mystique, Christus lotus. Il n’a pas de peine à montrer que les autres mystères ont tous rapport au mystère du Christ mystique, qui est bien le mystère central.

Il est vrai qu’au point de vue d’une union effective et d’une assimilation vitale à ces mystères, la Trinité et la grâce ne nous sont accessibles que par le Christ et dans le Christ. Dans cet ordre de l’union « le charité et de vie, dans l’ordre de la perception des mystères par la oie mystique, il est bien vrai que la réduction au Christ » est moyen et mesure ; mais c’est là un autre point de vue que celui de la science théologique, laquelle regarde les mystères et le Christ lui-même par mode intellectuel, notionnel. spéculatif, et mm par mode allcctif < vltaL II ne serait pas difficile de montrer que, dans la thèse du I’. Mersch. il ; i un bll parfaitement conscient, semble-t-il, des deux points de vue : cf. se p. 154 et 471-475. Si donc l’on ne veut

signifier ainsi qu’une différence dans ! e mode d’enseignement et la distribution pédagogique des doctrines, nous serons parfaitement d’accord avec l’auteur. Mais, si l’on entendait par là qu’il y aurait vraiment, dans l’ordre même des objets et de leur économie intelligible, deux théologies, alors nous refuserions notre suffrage et penserions que la tradition ne va pas dans ce sens ; cf. pour saint Augustin, Rech. de théol. ancienne et médiévale, t. ii, 1930, p. 410-419, et pour saint Thomas, Bull, thomiste, Notes et communie, janvier 1931, p. 5*-7*. C’est vraiment Dieu, et les autres mystères sub rutione Dei, qui est le sujet de la sacra doctrina en ses différents états d’enseignement révélé, de catéchèse ou de prédication et de science théologique.

IV. LA THÉOLOGIE SCIENCE.

La théologie est la forme rationnelle et scientifique de l’enseignement chrétien. Yérifie-t-elle la qualité de science et comment, elle qui dépend entièrement de la foi surnaturelle pour la possession de son objet ? La réponse à cette question dépend de la notion qu’on se fait de la science. Aussi faut-il l’envisager d’abord au point de vue de la notion de science empruntée à Aristote, qui fut celle de saint Thomas, puis du point de vue d’une notion de la science que l’on puisse considérer comme assez communément admise de nos jours.

La théologie science au point de vue scolastique.


Il y a science, selon Aristote et les scolastiques, quand on connaît une réalité dans une autre qui est sa raison, et donc quand on connaît une chose par la cause pour laquelle elle est et ne saurait être autrement qu’elle n’est. S. Thomas, II Anal., t. I, lect. 4. La science est connaissance dans la cause, dans le principe, m principio. Chez nous, cette connaissance n’est pas intuitive, mais discursive ; nous ne voyons pas les conséquences dans leur principe, les propriétés dans leur sujet essentiel, mais nous avons à les en déduire ou à les y rattacher par un raisonnement proprement dit cpii est le raisonnement démonstratif : la science, pour nous, n’est pas seulement connaissance in principiis, mais ex principiis. Sum. theol., I", q. lxxxv, a. 5. La démarche idéale de la science se construisant par raisonnement démonstratif part de la définition du sujet, c’est-à-dire de la réalité dont on traite, et se sert de cette définition pour démontrer l’appartenance à ce sujet de telle ou telle propriété. S. Thomas, // Anal., t. I, lect. 2. Ainsi la lumière de la définition initiale se communique aux conclusions et, selon que les définitions, postulats ou principes initiaux sont connus dans telle lumière, elle-même déterminée ou caractérisée par tel degré d’abstraction, on obtient des conclusions d’une certaine qualité scientifique. Ainsi l’idée ancienne de science est-elle de reconstruire par l’esprit, au moyen du raisonnement, les enchaînements ontologiques selon lesquels ce qui est dérivé ou subséquent, dans les choses, se fonde et trouve sa raison explicative en ce qui est premier et principal. S. Thomas, ibid., lect. 41.

Quand saint Thomas, se demandant si l’enseignement chrétien, sacra doclrina, vérifie la qualité de science, répond affirmativement, il est à présumer qu’il entend la science à la manière d’Aristote, pour autant du moins que cette manière peut s’appliquer à la théologie. Il ne s’agit pas, pour saint Thomas, d’identifier purement et simplement la théologie avec une science, avec une science répondant de tous points au schéma aristotélicien ; et peut-être ses commentateurs ont-ils trop exclusivement affirmé cette identification. La manière dont saint Thomas introduit la question qui nous occupe, In Boet. de Trin., q. ii, a. 2 et Sum. theol., I », q. i, a. 2, signifie ceci : est-ce que, dans son éminence, l’enseignement chrétien vérifie, parmi d’autres, la fonction et la qualité de science ? Or, la théologie, se fondant sur la Révélation, répond

aux deux exigences de la science. D’abord, l’enseignement chrétien nous présente des vérités qui sont effectivement le fondement d’autres vérités. Certes, la foi, qui a pour motif formel unique et direct ! e témoignage de Dieu proposé par l’Église, adhère aussi immédiatement aux unes qu’aux autres ; mai-, quand nous essayons de retrouver les valeurs et les rapports intelligibles réels entre les vérités de l’enseignement chrétien, alors ces vérités se construisent selon un ordre d’intelligibilité où celles qui expriment des réalités secondes et dérivées sont rattachées, comme des conclusions à leur principe, des effets à leur cause, des propriétés à leur essence, à celles qui expriment des réalités premières et principales. C’est ainsi, par exemple, que l’enseignement chrétien me livre et l’idée de l’omniprésence divine, et celle de l’omnicansalité divine ; mais il ne me dit pas, par lui-même, que l’omniprésence soit fondée dans l’omni causalité : il me le dit si peu que certains théologiens, comme Suarez, fondent l’omniprésence de Dieu dans son immensité, elle aussi enseignée par la foi. On voit comment les éléments mêmes de l’enseignement chrétien sur le mystère de Dieu peuvent faire l’objet d’une considération scientifique dans laquelle on s’efforce de « retrouver en quelque aspect de l’essence de Dieu la raison d’être d’autres aspects qui leur sont intelligiblement postérieurs, et la raison d’être de tout ce qu’il fait ». R. Gagnebet, dans Revue thomiste, 1938, p. 219.

Selon saint Thomas, il y a science quand ex aliquitus notis alia ignolioru cognoscuntur, et l’enseignement chrétien prend une forme de science quand ex his quæ fide capimus prima ; veritati inhserendo, venimus in cognitionem aliorum secundum modurn noslrum, scilicel discurrendo de principiis ad conclusiones. In Boet. de Trin., q. ii, a. 2. Noire science à nous est discursive et procède par raisonnement ; mais, sur la base de ce que Dieu nous a communiqué de sa science de lui-même, à quoi nous adhérons par la foi, nous nous efforçons de rattacher les ignotiora aux notis et finalement toutes choses, hiérarchiquement, au mystère unique et à la lumière seule première de Dieu. In Boet. de Trin., q. ii, a. 2. La théologie est science, et eile tend même à imiter, modo humano, la science de Dieu : impressio divinse scientiiv. va jusqu’à dire saint Thomas, Sum. theol., I », q. î, a. 3, ad 2um ; cf. In Boet. de Trin., q. iii, a. 1, ad 4um. Ceci n’est pas une formule éloquente, mais une expression techniquement précise de ce qu’est la théologie pour saint’1 bornas. Ainsi la théologie nous apparaît-elle comme un effort, de la part de l’être rationnel croyant, pour repenser la réalité comme Dieu la pense, non plus au plan de la simple adhésion de la foi, mais au plan, avec les ressources et par les voies de la connaissance discursive et rationnelle. Elle est un « double » de la foi, de mode rationnel et scientifique.

La théologie science au point de vue moderne.


Les théologiens modernes ne s’intéressent plus guère à la notion aristotélicienne de science, sauf par tradition d’école et la question de savoir si la théologie est une science est pour eux assez peu urgente. Mais, même si l’on demeure étranger à la conception ancienne de la science, il demeure intéressant de se demander si, pour un moderne, la théologie peut justifier la qualité de science. Seulement, les modernes n’ont pas une notion de la science de même type et de même portée que celle d’Aristote. La notion moderne de science, pour autant qu’il en existe une, c’est-à-dire l’ensemble des conditions auxquelles tout savant dira qu’il y a science, est beaucoup plus extérieure et plus relative. Sera science toute discipline qui pourra justifier d’un objet et d’une méthode propres et aboutir à des certitudes d’un certain type qui soient communicables à d’autres esprits. À ce prix, 461

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. PROBLÈMES DE STRUCTURE

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l’histoire et la sociologie, par exemple, seront considérées comme des sciences.

Cette notion de science pourra s’appliquer à la théologie par voie de comparaison et le résultat sera favorable si la théologie peut se présenter comme étant semblable à d’autres disciplines que nul n’hésite à qualifier de sciences. Les esprits modernes jugeront donc de la théologie d’après l’objet du savoir et la méthode employée ; ce point de vue méthodologique les amènera généralement à considérer les différentes méthodes particulières dont on use en théologie comme justifiant l’existence d’autant de sciences spéciales : théologie biblique, théologie historique, etc., assimilées aux sciences historiques ou sociales profanes. Quelle sera, dans cette perspective, la situation de la théologie proprement dite, c’est-à-dire de la théologie spéculative ? Considérée comme système de pensée, système de représentations, cette théologie serait, à coup sfir et pour le moins, une matière pour la science historique ; mais, considérée comme traitement philosophique de certaines convictions qui relèvent de la foi. elle semble bien s’occuper, elle aussi, d’un objet propre et selon une méthode propre et pouvoir dès lors trouver une place dans le monde des sciences.

Dans son Introduction à l’étude de la théologie, Paris, 1926, G. Rabeau a tenté de justifier, même aux yeux des philosophes incroyants, l’existence de la théologie comme science et de déterminer sa place dans une classification des sciences qui répondît aux exigences de la logique moderne. La théologie, dit-il, a droit de cité parmi les sciences, car : 1. elle a un objet scientifiquement fondé, puisqu’il y a un problème spéculatif de la religion qui est posé par la science et qu’il y a un problème pratique de la religion qui est posé par la vie ; 2. elle a de fait une méthode qu’il suffit d’analyser et de situer parmi les autres méthodes scientifiques ; 3. elle utilise enfin, pour mettre en valeur son objet, toutes les sciences modernes en harmonie avec son but. Elle mérite donc d’être classée parmi les sciences. Comment ce classement pourra-t-il s’opérer et se justifier ? L’auteur propose de mettre en œuvre, en cette question, la théorie des « collocations » formulée par Stuart Mill. Il y a des sciences complexes, dont le statut n’est pas défini par l’existence de leurs éléments, mais par le fait de la coexistence de ceux-ci : par exemple, c’est la rencontre des fossiles et des terrains qui permet de synthétiser le donné st i aligraphique et le donné paléontologique dans la géologie. De même la théologie n’est-elle pas définie par ses éléments, histoire ou Kolastique, textes ou déductions, mais par le fait de leur coexistence, par un tait de synthèse, une collocatlon. Or.ce qui met l’histoire et les faits en rapport avec le dogme ou la pensée religieuse, c’est la foi ; dr même que la stratigraphie et la paléontologie sont uni liées pur le fait que tels fossiles gisent dans tels terrains, ainsi l’histoire et la spéculation théologlque trouvent leur unité dans la foi des croyants, celle <les Individus et surtout celle (le l’Église totale. Collocation humaine qui définit la I néologie comme science laie, et au delà de laquelle on peut d’ailleurs trous er, dans la science même de Dieu, une collocatlon suprême qui justifie souverainement la précédente ! Voir l’apprêt lation de cette idée par A. (iardeil, dans Revue de* sciences philos, et thdol., 1926, p. G01.

Sur la conception aristotélicienne de la science : O. l lamelin, Lt tgslrmt ! ’Vristole, pulil. pai L. Robin, Parts, 1020 ; itweiler, l/ir l’.njrif] >Ur Wissenscholt M ArUtoteltê, Bonn,

l’application de relie notion : i l ; i théologie dans la

iqur- : M. (iralimann, lier W imrnichnlUbegrl/l des M. Thomai von Aquln, dans l<- Vereintchrift <le la Gorrrs poui 1931, p. 7*-n* ; r. Simon, ErktnnlnttUuo Il i i*enxclwlt.br{jrifl in der Scholastik, 192Π; I i. Mai in-S "i.i. L’évolution hiiiiHiyêite du dogme catholique, t, i, p.66sq. ;

R. Gagnebet, La nature de la théologie spéculative, dans Reoue thomiste, 1938, p. 214-240 ; cf. aussi, 1939, p. 122 sq. ; L. Charlier, Essai sur le problème thfiologique, Thuillies, 1938, p. 26 sq. ; P. Wyser, Théologie als Wissenschajt, Salzbourg et Leipzig, 1938 (sur quoi, cl. L. Kfisters, Théologie als Wissenschaft, dans Scholastik, 1939, p. 23.1-240). Sur la notion de science qui semble assez commune pour les esprits modernes : P. Simon, Dur issenschaftsbegrifl seit Beginn der Neuzeit, dans le Jahresberichl de la Gorresgesellschaft pour 1932-1933, p. 45*-61* ; Qu’est-ce que la science ? (Cahiers de la Nouvelle Journée) ; Science et loi, V* semaine de Synthèse ; L’orientation actuelle des sciences, Paris.

III. Les problèmes de structuree i de méthode.

— Ces problèmes sont au nombre de trois, se référant respectivement, d’une part, aux deux composantes de la théologie, à savoir l’élément de donné positif et l’élément rationnel de concepts philosophiques et de raisonnement ; d’autre part, au produit du travail théologique qui, en sa forme la plus poussée, est la conclusion théologique. Ainsi avons-nous à examiner :

1. Le problème du donné et de la théologie positive ;

2. Le problème de l’apport rationnel et du raisonnement théologique ; 3. Le problème de la conclusion théologique et de l’homogénéité de la science théologique au dogme.

I. LE PROBLÈME DU DONNÉ ET DE LA THÉOLOGIE

positive. — On s’accorde, en somme, à envisager la théologie positive comme visant à établir l’appartenance d’une vérité à l’enseignement chrétien. Nous avons vu plus haut, col. 444, que cette preuve, conçue d’abord comme se faisant par l’appel aux textes de l’Écriture et aux monuments de la tradition, a été davantage conçue, depuis quelques générations, comme guidée par l’enseignement actuel de J’Église et ne pouvant se faire que dans sa lumière.

1° Raison d’être et notion de. la théologie positive. — La positive est la fonction par laquelle la théologie prend possession de son donné, ’foule science rationnelle met en œuvre la lumière naturelle de l’intelligence ; mais elle doit recevoir du dehors, et finalement par les sens, sa matière particulière. La théologie est science de la foi ; sa lumière existe donc en tout homme fidèle qui a, par la foi, un principe de connaissance des mystères surnaturels et, dans sa raison, la possibilité d’une élaboration et d’une construction scientifique de ces mystères. Encore faut-il que la foi, pure possibilité de connaissance, rencontre la détermination de ses objets. Ces objets étant surnaturels, leur déter initiation ne peut se faire que par une révélation divine. Certes, cette révélation pourrait être intérieure à chaque fidèle, comme elle le fut pour les prophètes et les apôtres. Mais le plan de Dieu n’a pas été tel. Dieu prend les hommes comme ils son !, en comme parties dans un tout en une unité spécifique el en des communautés sociales. Il traite l’humanité comme une seule espèce, comme un seul peuple, pomme une seule Église, et il lui adresse une révélation unique, sociale et collective. Aussi la détermination des objets de la fol, determinatio credendorum, s’opère t-elle non par une expérience Indépendante et personnelle, mais par une révélation et par un magistère sur naturels. S. Thomas, In Boet. de Trin., q. m. a. 1, ad 4um. C’est parce que la lumière surnaturelle donnée à chacun dans la loi est trop faible poui procurer à chacun, pour son propre compte, la connaissance et le discernement des objets de la foi. qu’il y a. dans l’ordre surnaturel, un magistère et que I Église pi un véritable pouvoir d’enseignement.

i oute l’explicitai ion de la roi i loi, liée a la

Révélation transmise, propo expli quée p.n la prédication apostoliqui vivant dans

lise. Cf. S. Thomas, Sum. theol., II « II », q. v, i oi p, et ad &—* ; q. vi, a. 1 ; In III iii, S< ;, L, « Iisl. X III.

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THÉOLOGIE. LA THÉOLOGIE POSITIVE

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q. iii, a. 2, ad l um, 2 am et 4um ; dist. XXV, q. i, a. 1, qu. 4, adl um ; InIV am, dist. IV, q.n, a. 2, sol. 3, ad l um, qui a cette formule si simple : Fides principaliler est ex infusione : et quantum ad hoc per baptismum datur ; sed quantum ad determinationem suam est ex auditu : et sic homo ad fidem per catechismum inslruitur. Cf. aussi Fr. Marin-Sola, Évolution homogène du dogme cathol., t. i, p. 202 sq.

Mais le catéchisme, qui suffit au fidèle pour l’explicitation de sa foi, suffira-t-il au théologien pour construire rationnellement sa foi ? Il est bien clair qu’en écoutant la simple prédication de l’Église, le théologien reçoit l’essentiel de ses principes. Et c’est pourquoi on a dit souvent que l’enqi ête positive n’était pour lui qu’une question de bene esse et que, s’il ne peut y avoir de théologie sans spéculation, il peut y en avoir une sans enquête spéciale sur le donné. Cette remarque, où il y a du juste, a poussé parfois certains théologiens à concevoir la théologie positive comme une sorte d’ornement ajouté du dehors à la théologie, mais ne faisant point partie de son activité essentielle et représentant plutôt une concession au goût du jour, ou une opération purement apologétique, ou encore une sorte d’alibi pour ceux qui, ayant perdu le sens de la contemplation théologique, se réfugieraient dans 1’» érudition ».

En réalité, la théologie positive se situe au cœur même de la théologie tout court. Elle est essentiellement un acte ou une fonction de la théologie et procède, à double titre, de la même nécessité que la théologie spéculative : 1. elle est nécessaire à la théologie spéculative, qui emprunte sa matière même à un donné positif. Il est exact que ce donné peut être tenu, dans ses grandes lignes, par le simple auditus fidei qui correspond, en tout fidèle, à la catéchèse chrétienne. Mais une théologie spéculative qui en resterait là n’obtiendrait jamais sa plénitude dans l’ordre même de la spéculation. À moins de devenir une sorte de philosophie des choses chrétiennes, elle devrait se limiter à des questions rudimentaires et ne serait pas nourrie de toute sa sève. Elle serait incapable de se constituer pleinement en son état de science. — 2. Non seulement la positive est nécessaire à la théologie spéculative, mais elle répond, à sa manière, au besoin qu’a la foi de se constituer à un état rationnel et scientifique par l’assomption des ressources propres à la raison et à la science. À la double face, à la double activité de la foi répond, dans la raison croyante qui devient, par là, théologienne, une double fonction ; l’une et l’autre ont besoin de se constituer en un état vraiment rationnel et scientifique, en assumant les exigences et les instruments de la raison ; ensemble, elles constituent le total développement de la foi dans la raison, sa pleine promotion en science.

A ce que la foi comporte de contemplation de son objet répond, comme sa promotion rationnelle et scientifique, la théologie spéculative ; à ce qu’elle comporte de soumission à la révélation de Dieu transmise par l’Église répond, comme sa promotion rationnelle et scientifique, la théologie positive. La première est l’état scientifique de V intelleclus fidei ; la seconde l’état scientifique de l’auditus fidei. Saint Augustin commentait la fameuse formule, Nrsi credideritis, non intelligelis, en disant que les deux éléments s’en distribuaient entre l’autorité et la raison : Quod intclligimus debemus rationi, quod credimus debemus auctoritati. De util, cred., c. xi, n. 25, P.L., t. xlii, col. 83. Mais il est clair que la foi est à la racine de Vintellectus et que la raison trouve une application dans la soumission même qui s’adresse à l’auctoritas pour donner à la référence du théologien, à ses sources et à ses autorités, un état, lui aussi, scientifique. Ainsi, d’une part, la jonction de la théologie à ses sources n’est pas pure ment scientifique ou rationnelle : c’est vraiment une œuvre de théologie, comme nous allons le marquer bientôt en distinguant théologie positive et histoire des doctrines chrétiennes ; et, d’autre part, cette jonction n’est pas une œuvre de pure foi, étrangère à toute rationalité ; mais, tout comme la raison s’applique à l’intérieur de la foi pour en chercher un intelleclus, elle s’applique également à l’intérieur de la foi, avec toutes ses ressources, pour s’en procurer un auditus aussi riche, aussi précis, aussi critique que possible.

Il reste a préciser cette notion de la théologie positive en déterminant successivement son objet formel quod, son objet tormel quo et sa méthode.

2° Objet formel « quod » de la théologie positive. — Tandis que l’objet formel de la théologie spéculative est l’intelligibilité rationnelle et scientifique du révélé ou de l’enseignement chrétien reçu dans la foi, la théologie positive concerne la réception même de ce révélé ou de cet enseignement chrétien. En tant que positive, elle regarde le révélé, pour le recevoir et le connaître, dans son état de chose transmise et offerte à l’adhésion et à la contemplation de la raison croyante, et elle use pour cela des ressources que la raison présente pour saisir un donné, plus précisément pour découvrir ce donné particulier qu’est la foi et l’enseignement ae l’Église. L’objet de la théologie positive est donc la connaissance de ce que l’Église enseigne et livre à notre foi : autant dire qu’elle a pour objet la tradition, dans le sens que des études récentes ont restitué à ce mot.

Quand le traité De divina tradilione s’est constitué comme un traité spécial, au xvie siècle, il..’est orienté, en fonction de la polémique protestante, dans le sens d’une distinction, dans les objets de la foi ou les dogmes, entre des dogmes contenus dans l’Écriture et des dogmes contenus dans « la tradition ». et dans le sens d’une justification de la tradition ainsi entendue. Ainsi était-on porté à concevoir celle-ci : t. comme désignant un certain ordre d’objets, 2. comme distincte de l’Écriture et 3. comme constituée par des textes et des documents anciens. C’est en somme cette idée de la théologie post-tridentine qui inspire encore, dans nos manuels de théologie, le fameux schème du Probatur ex Scriptura, ex tradilione…

Or, des monographies récentes ont montré que la conception ancienne et authentique de la tradition était un peu différente. Le sens premier du mot « tradition » est celui d’enseignement ou de prédication doctrinale, soit au sens objectif, ce qui est enseigné ou transmis, soit au sens actif d’action æ transmettre ou d’enseigner. Mais le sens le plus ancien, jusqu’à saint Irénée inclus, est le sens objectif : la tradition est l’enseignement, l’objet transmis par le Christ et les Apôtres, puis, d’âge en âge, par l’Église. Cf. B. Reynders, Paradosis. Le progrès de l’idée de tradition jusqu’à saint Irénée, dans Recherches de théol. ancienne et médiévale, t. v, 1933, p. 155-191 ; D. van den Eynde, Les normes de l’enseignement chrétien dans la littérature patrislique des trois premiers siècles, Paris, 1933. Cet enseignement comprend à la fois l’Écriture avec son contenu et les vérités non contenues dans l’Écriture et que l’on peut appeler « traditions » au sens étroit du mot. En un sens secondaire, on désignera par tradition les monuments ou témoignages que l’Église constitue et laisse de son enseignement au cours des âges et qui nous restent dans certains documents : écrits des papes, des Pères, des théologiens, textes des conciles, liturgie, inscriptions, etc. Cf. A. Deneffe, op. cil. infrai et ci-dessous l’art. Tradition.

La Révélation est un dépôt ; l’Église pourra bien prendre une conscience progressive de ce dépôt et en réaliser un développement progressif ; elle n’y ajoutera

rien qui lui soit objectivement étranger. S’il y a, dans l’Église et tout au cours de son histoire, des « révélations », celles-ci n’ajoutent objectivement rien a la connaissance du mystère de Dieu ; elles sont ou bien une lumière donnée soit à la hiérarchie, soit aux Pères, soit à l’Église dans son ensemble, pour une intelligence nouvelle et plus profonde de l’enseignement révélé, ou bien des « révélations privées » concernant la vie de l’Église, l’orientation de la piété, les fondations ou la conduite des âmes. Cf. J. de Ghellinck, Pour l’histoire du mot « revelare, », dans Recherches de science relig., 1916, p. 149-157 ; J. van I.ee, Les idées d’Anselme de Havclberg sur le développement du dogme, dans Analecta Præmonstralensia, t. xiv, 1938, p. 5-35 ; J. Ternus, Vom Gemeinschaftsglauben der Kirche, dans Scholaslik, t. x, 1935, p. 1-30 ; M.-J. Congar, La crédibilité des révélations privées, dans Vie spir., octobre 1937, Suppl., p. 29-48.

C’est pourquoi, dans la continuité de la « tradition », entendue au sens d’enseignement révélé transmis par l’Église, il y a lieu de faire une distinction entre la Iraditio consiitutiva, qui est renseignement-révélation des prophètes, du Christ et des apôtres, la trad.tio continuativa, enfin ajouterons-nous dans toute la mesure que réclame le fait du développement doctrinal, la iraditio explicativa, qui est la proposition, la conservation, l’explication et le développement par l’Église du népôt primitif. La traditio consiitutiva étant formée par l’apport révélateur des prophètes, du Christ et des apôtres, sans préjudice des sine scripto tradiliones, est laite principalement de l’Écriture sainte de laquelle les Pères anciens faisaient dériver toute la substance doctrinale de la Paradosis ecclésiastique. Quant à la trad.tio continuativa et à Y explicativa, elles consistent dans la proposition fidèle et l’explication progressive du dépôt, telles qu’elles se sont produites dans l’Église animée et dirigée par l’Esprit du Christ, depuis la Pentecôte jusqu’à nous. C’est ce témoignage social, selon toute sa réalité concrète et son développement successif, qui est l’objet ou la matière de la théologie positive. B.-M. Schwalm, Les deux théologies : la scolaftique et la positive, dans Revue des sciences philos, et théol., t. ii, 1908, p. 674-703 ; cf. M. Blondcl, Histoire et dogme, dans La Quinzaine, 16 janvier, 1 er février et 15 février 1904.

L’objet de la positive, c’est donc la tradition, c’est-à-dire l’enseignement transmis depuis le Christ et les apôtres jusqu’à nous par l’Église et qui s’est développé, quant à ses expressions et quant à l’intelligence que l’humanité croyante en a prise, petit à petit, jusqu’à nous, et qui est vivant dans l’enseignement de l’Église actuelle : id quod traditum est, id quod traditur. La théologie positive, c’est la sacra doclrina en tant qu’elle prend conscience de son contenu acquis. Llle trouve son objet dans les expressions, d’abord de l’Église actuelle, puis de l’Église totale en la continuité vivante de son développement (traditio continuativa et explicativa), enfin dans les sources qui, expression de la traditio constitutiva, sont la règle intérieure de la Paradosis ecclésiastique. Ainsi l’objet quod de la positive, c’est le témoignage total sur le mystère de Dieu, tel que, porté par les prophètes, le Christ et les apôtres, il existe, est conservé, interprété, développé <t proposé dnns et par l’Église du Christ et des apôtres, dans et par l’Église une et apostolique.

3° L’objet formel t 7110° ou la lumière de la théologie positive. Connaissance d’un enseignement révélé, la positive est théologie ; connaissance scientifique de nement, non dans le pur aurtltus fldel, mais dans unr recherche et une Interprétation des documents de lu tradition ecclésiastique, la théologie posl tive est une œuvre rationnelle. Seulement, la raison quie » t Ici associée à la fol n’est plus proprement la

raison spéculative : c’est la raison qui fait face aux documents bibliques et historiques où s’exprime la tradition ecclésiastique. La lumière de la positive est donc théologique, c’est-à-dire la lumière de la Révélation en tant que, au delà de la simple adhésion de la foi, elle rayonne dans la raison humaine, en utilise l’activité en vue de procurer un état humain, rationnel et proprement scientifique de l’auditus ftdei. Cette notion, de soi fort simple, peut s’expliciter en ces trois propositions :

1. La positive est une théologie, non une histoire. — L’histoire des doctrines bibliques et celle des doctrines chrétiennes ont matériellement le même objet que la théologie positive, mais elles regardent et atteignent cet objet sous une lumière et selon des critères différents. Nous pouvons avoir, du donné chrétien, une connaissance formellement naturelle et historique : histoire du peuple d’Israël, histoire des doctrines bibliques, histoire des doctrines chrétiennes. Ce n’est pas une telle connaissance, formellement rationnelle et historique, du donné, qui peut fournir à la théologie ses principes. Car, dans ce cas, il y aurait, entre le révélé et la théologie qui doit en être une interprétation rationnelle, une rupture de continuité : au point de vue noétique ou épistémologique, on changerait de genre ; cf. A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, p. 197 sq., 210-211. La théologie doit, pour rester la science de Dieu révélé, s’aboucher à son donné et connaître ses principes dans une lumière formellement théologique, avec des critères théologiques. C’est pourquoi la théologie positive est formellement différente de l’histoire des doctrines chrétiennes. Cf. A. Lemonnyer, Théologie positive et théologie historique, dans Revue du clergé français, mars 1903, p. 5-18 ; Comment s’organise la théologie catholique ? ibid., octobre 1903, p. 225-242 ; M. Jacquin, Question de mots : histoire des dogmes, histoire des doctrines, théologie positive, dans Revue des sciences philos, et théol., t. 1, 1907, p. 99-104, et cf. Ibid., p. 344 sq. ; B.-M. Schwalm, art. cité ; A. Gardeil, Donné révélé, p. 207 sq., 288 sq. ; G. Rabeau, Introduction à l’étude de la théologie, p. 153 sq.

2. La théologie positive, étant théologie, s’élabore en dépendance du magistère de l’Église. — Il s’agit, en effet, pour elle, de trouver et d’interpréter des documents et de connaître un passé en tant que documents et passé témoignent du mystère de Dieu révélé. Aussi est-ce le magistère qui seul peut dire quels sont les documents ou les hommes qui témoignent du révélé, et la valeur respective de leur témoignage. Pour l’Écriture, c’est bien clair. Le canon en est l’œuvre de l’Église, en sorte que l’Écriture n’existe pour nous comme Écriture, c’est-à-dire comme écrit inspiré et expression de la Parole de Dieu, que dans l’Église et grâce à la déclaration qu’en fait l’Église. De même est-ce l’Église qui possède le sens de l’Écriture, l’Église totale, celle d’aujourd’hui aussi bien que celle du passé. Aussi l’Église demande-t-elle qu’on interprète l’Écriture selon le consensus Palrum, la tradition de l’Église. Denz., n. 786 et 2146, et voir ici l’art. Interprétation de l’Écriture, col. 2294 sq,

3. S’il s’agit des Pères et des théologiens, c’est de l’approbation de l’Église, approbation qui peut d’ailleurs revêtir bien des formes, qu’ils tiennent, pour le théologien, leur aleur de témoins du donné chrét ien : Ipsa doclrina catholtcorum doctorum ab Eeelesia auctorilatem habel. Unie mugis standum est auctorttait Ecciasiet quani audorltati ml Augusltnt, vel Hteronymt, vel

ciijtisctimqiir dorloris. S. Thomas, Suin. theol., II*-II", q. x. a.)’2. Ceci se marquera Immédiatement dans le travail du théologien positif pour lui donner Uni une oriental ion. des critères différents de ceux du pur historien. Pourquoi, dans l’Hirit lire, ne cherehera-t-il PUS son donne dans le / V » Livre d’1 sdftU 0Il dans

{’Évangile de Pierre, sinon en vertu de critères propre-J ment théologiques reçus du magistère de l’Église ? De môme en matière patrislique.

C’est de cette différence de crilère et de source réelle de connaissance et d’appréciation que provient, entre la théologie positive et l’histoire pure, une certaine différence dans les résultats, différence dont la constatation provoque parfois une sorte de malaise. Il y a, en effet, parfois, du point de vue de l’historien, une certaine disproportion entre les affirmations que la théologie tient comme données et les preuves positives ou les appuis documentaires qu’on invoque en faveur de ces affirmations. Certes, comme nous le dirons à propos de la méthode, la théologie positive n’est jamais dispensée de loyauté et de rigueur ; mais, déjà guidée dans sa lecture des documents par un certain sens et une certaine connaissance de ce qu’elle y cherche, elle y découvre plus que ne peut le faire l’historien. A. Landgraf, Les preuves scripluraires et palristiques dans i’argumentation théologique, dans Revue des sciences philos, et théol., t. xx, 1931, p. 287-292 ; F. Cavallera, dans Bull, de littér. ecclésiast., 1925, p. 39 sq.

La méthode de la théologie positive.

Ce que nous

venons de dire de la lumière de la théologie positive nous indique la méthode qu’elle doit suivre. D’un mot, elle utilise les ressources de la raison historique à la manière dont la théologie spéculative utilise les ressources de la raison philosophique. Ceci comporte deux affirmations, dans la délicate conjonction desquelles réside le secret de la théologie positive : ces deux affirmations concernent respectivement les deux notions de ressources de la raison historique et d’utilisation.

1. Ressources de la raison historique.

Ce que la théologie spéculative demande à la raison philosophique, c’est qu’elle soit loyalement elle-même : de manière à lui apporter un service au’hentique et vrai. De même la théologie positive réclame-t-elle le service d’une raison historique loyale, maîtresse au maximum des différentes techniques. Il s’agit ici d’apporter au service de la connaissance théologique du révélé le maximum des ressources authentiques par lesquelles la raison croyante peut entrer en contact avec la Paradosis ecclésiastique, grâce aux documents bibliques et historiques, il est bien clair d’ailleurs qu’on ne peut demander au même homme de posséder toutes les compétences ; le travail théologique est un travail social et réclame des instruments de communication et de collaboration : collections, congrès, bibliothèques, revues surtout, qui sont, depuis le début du x : xe siècle, l’instrument le plus efficace des échanges et de la collaborât ion scientifiques.

Si des progrès sont encore à faire dans la théologie catholique en ce qui concerne l’ampleur et l’exactitude de l’apport positif, surtout peut-être en matière biblique, un progrès considérable a déjà été fait depuis le xix° siècle. On comprend que les exigences de chaque époque soient différentes en ce domaine. La théologie positive a du suivre les évolutions de la raison exégétique et historique. Celle-ci, dans son sens moderne, ne s’est pleinement affirmée qu’après la critique nominaliste et la renaissance humaniste, et plus tard au xixe siècle, déterminant alors la crise que nous avons évoquée plus haut ; mais, avant cela, la raison a eu sa manière de se référer au donné documentaire, et ce qui ne suffirait plus aujourd’hui à une raison historique plus avertie a pu suffire en un autre temps.

2. Leur utilisation.

De la même manière dont la raison philosophique n’est pas maîtresse en théologie spéculative, mais servante, c’est-a-dire accomplissant son travail sous la direction et le contrôle de la foi, de même la raison historique en théologie positive. C’est la condition pour que ses résultats soient vrai ment théologiques. La positive cherche à enrichir, par la connaissance de ses sources, la connaissance da la Paradosis ecclésiastique, qui est le « donné » de la théologie, et c’est pourquoi elle doit employer aussi loyalement et aussi intégralement que possible les ressources de la raison historique. Mais elle ne cherche dans le passé que le témoignage sur le mystère de Dieu révélé. Si elle s’intéresse à saint Augustin ou à la liturgie syrienne, ce n’est pas pour eux-mêmes, c’est en tant que ces choses représentent une expression de la Paradosis ecclésiastique et que le révélé s’y trouve développé et attesté. Aussi la positive ne cherehe-t-elle pas à en faire l’histoire pour elle-même ; mais surtout les étudie-t-elle sous la direction et selon les indications de la prédication ecclésiastique actuelle, en prenant son départ dans la pensée de l’Église actuelle. Cf. Rabeau, op. cit., p. 153 sq.

La méthode de la théologie positive, parce qu’elle est théologique, sera donc « régressive » selon le mot proposé par le P. A. Gardeil, dans Revue thomiste, 1903, p. 1 ; cf. Rabeau, op. cit., p. 155 ; ici, art. Dogmatique, col. 1524, 1533 ; H.-D. Simonin, dans Angelirum, 1938, p. 409-418. La théologie positive prend son point de départ dans le présent, dans l’enseignement actuel de l’Église, mais elle s’efforce d’enrichir ce que lui livre cet enseignement par une connaissance, obtenue en mettant en œuvre toutes les ressources de la raison historique, de ce que livre à ce sujet l’enseignement total de l’Église, le témoignage social intégral sur le révélé, lequel comprend avec l’Écriture, sa principalinr pars, tout le développement et toutes les expressions que le révélé a reçus dans l’Église à travers l’espace et le temps.

Voilà pourquoi la théologie positive trouve parfois dans un document qui, pour l’historien, n’aurait pas un semblable sens, un indice, une expression de la foi actuelle de l’Église ; ainsi, là où l’historien n’aurait pu conclure, le théologien positif, interprétant l’indice, retrouve la continuité du développement. C’est qu’il procède avec la certitude de l’homogénéité de celui-ci, le sens de cette homogénéité et la connaissance du résultat final, au moins en sa substance. Quand l’infaillibilité pontificale, par exemple, est officiellement acquise à la foi commune de l’Église, le théologien positif la retrouve exprimée ou suggérée en des textes, des faits ou des institutions où l’historien, légitimement, ne la voit pas. Car l’historien ne peut donner de sens à un texte que ce qui ressort du texte pris en lui-même ; pour lui, l’implicite n’existe pas, les indices de développements ultérieurs homogènes ne sont admis que difficilement et l’existence d’une doctrine n’est reconnue que si l’on en trouve l’expression documentaire explicite. Cf. Draguet, dans Apologétique, et cf. H.-D. Simonin, dans Angelicum, 1937, p. 143 sq. Pour le théologien positif, la signification d’un texte est éclairée par le dedans ; la plénitude de son sens lui est donnée du dedans, par la voie d’une lecture intérieure qui, sous le bénéfice de la continuité doctrinale, éclaire l’implicite par l’explicite et donne aux indices le sens que manifestera un développement ultérieur. Le texte n’est pour le théologien que le moyen d’une communion plus pleine avec une pensée vivante dont l’âme lui est actuellement donnée ; il s’agit pour lui de retrouver dans le passé les éléments de sa propre vie, de sa propre pensée. La référence au donné documentaire n’est pas, en théologie, une preuve extrinsèque aux assertions proposées ; elle est un élément même de la parole apostolique ou du savoir théologique. Cf. pour l’Antiquité, D. vanden Eynde. o/>.c17..p. 54 ; M.-J.Congar. L’esprit des Pères d’après Môhler, dans Vie spir., avril 1938, suppl., p. 1-25 ; pour le Moyen Age, J. de Ghellinck, dans À us der Geisteswelt des Mittelalters, Festgabe Grabmann, t. i, p. 413 sq., et R. Gagnebet,

dans Revue thomiste, 1938, p. 240 sq. De ce point de vue, l’histoire est plutôt une justification et un enrichissement de la pensée ou de la vie présentes qu’une restitution du passé d’après les documents.

Aussi, tandis que l’histoire des doctrines bibliques ou chrétiennes, tout en ayant une valeur irremplaçable de technique, sera toujours lacuneuse et n’aura jamais la valeur d’une explication totale, la théologie bihlique pourra avoir cette valeur. Parce qu’elle est théologie, la positive est, dans son ordre, une sagesse. Par quoi, d’ailleurs, elle rencontre la tentation de toute sagesse, et singulièrement de la sagesse théologique, qui est de négliger la connaissance des causes propres pour ne s’attacher qu’à l’explication transcendante : cf. S. Thomas, (’.ont. Cent.. t. II, c. iv, un chapitre de haute portée. Cette espèce de mentalité donnerait en théologie positive un faux surnaturalisme qui couvrirait en réalité, sous les droits du Transcendant, une ignorance, du réel. La théologie positive, si elle esi une utilisation des techniques historiques par une sagesse plus haute issue de la foi, ne vit cependant que d’une loyale utilisation des ressources authentiques et aussi intégrales que possible de la raison historique.

Réponse à quelques difficultés.

II nous reste à

préciser cette méthode de la positive en examinant quelques difficultés très réelles de son emploi. Ces difficultés concernent soit la valeur de vérité objective et, en somme, historique de la théologie positive (n. 1. 2), soit sa valeur dogmatique et régulatrice pour la théologie spéculative (n. 3).

difficulté.

I.e point de vue d’une justification

d’un donné actuel par les documents du passé, et l’emploi de la méthode régressive risquent d’amener le théologien positif à chercher non la vérilé de ce qui a été tenu par saint Léon, par exemple, ou par saint Alhanase, ou par saint Paul ; mais simplement des textes qui aillent dans le sens de ce qu’on veut dire soi même et qui puissent servir de confirmatur à une thèse tenue par ailleurs.

Réponse. - - Il ne s’agit pas proprement, en théologie positive, de savoir ce qu’ont pensé Alhanase ou Léon comme tels : c’est là le point de vue de l’histoire des doctrines chrétiennes et la compétence de la méthode historique ; il s’agit, pour mieux savoir ce que croit l’Église, et donc ce que Dieu a révélé, d’interroger saint Athanase et saint Léon comme témoins de la croyance de l’Église à un moment donné et dans des circonstances données ; on ne recherche en eux que la croyance de l’Église. Cependant, cette recherche ne peut enrichir notre connaissance du témoignage toujours actuel de l’Église, 1ml île la théologie positive, que si elle nous fait connaît le un aspect plus précis de ce témoignage de l’Église : précisément cel aspect qu’ont compris saint Athanase et saint Léon dans les circonstances qui ont été les leurs. Cette connaissance ne peut être obtenue que si la pensée d’Athanase ou de Léon sur le point envisagé est connue dans sa vérité historique, par une utilisation loyale des ressources île l’histoire. L’apport de la théologie positive à l’oeuvre théologique présuppose et utilise la méthode et les résultats de l’histoire (les dix Innés ehrél icniic.s. L’ordre est donc celui-ci : I. une reconstruction historique du passé chrétien, aussi loyale que possible, grflre à toutes les ressources de l’histoire : histoirt doctrine s chrétiennes ; 2. acte de foi et audilus fldei en dépendance de la Paradosis ou prédication ecclésiastique qui se continue, homogène, au travers des générations. .’!. iieliei, in d’un étal scientifique de cel audilus /iilri ei d’un enrichissement de notre connaissance du donne chrétien contenu et présenté dans la prédira lion ecclésiastique, par la connaissance des différents états, des différentes formes et expressions de !.i nice et de la doctrine de t i glise dans leui contti

tution première et au cours de leur développement : œuvre de la théologie positive poursuivie sous la direction de la foi. par la mise en œuvre et l’utilisation des résultats de l’histoire des doctrines ; 4. recherche d’un état scientifique de Vintcllectus ftdei par le tiavail spéculatif utilisant la lumière et les ressources de la raison pour construire en forme de science l’enseignement chrétien ainsi connu en sa plus grande précision, en sa plus grande richesse de donné.

2e difficulté. — Elle renouvelle un point de la précédente. La théologie positive a beau « utiliser » le travail de l’histoire, son point de vue n’est pas purement historique. Recherchant un enrichissement de sa connaissance de la foi de l’Église actuelle, elle est amenée à voir une continuité et une homogénéité formelles dans la similitude matérielle des expressions et, par exemple, là où il sera question chez un Père de dona Spiritus Sancti, à entendre indûment cette formule au sens où nous parlons aujourd’hui des sept dons du Saint-Esprit comme distincts des vertus ; cf. Charlier, Essai sur le problème théol., p. 165, n. 209, et p. 167, n. 212. C’est ainsi encore que, dans les textes des conciles, on cherchera la justification de positions théologiques d’école, que ces conciles ont cependant expressément voulu ne pas envisager et qui, parfois, ne se sont fait jour que longtemps après eux. Cf. Charlier, op. cit., p. 159 sq., et H. Lennerz, Das Konzil von Trient und theoloaische Schulmeinungen, dans Scholastik, 1929, p. 38-53.

Réponse. — Ces choses relèvent de la loyauté et de la rigueur dans la documentation et dans l’usage des méthodes d’interprétation que la théologie positive met en œuvre. Documentation et Interprétation doivent être portées à un étal véritablement scientifique et critique ; à défaut de quoi, malgré des apparences de citations et un étalage de références, il n’y aura pas de théologie positive. La critique d’interprétation mise en œuvre par celle-ci est double : elle est d’abord historique ; elle est ensuite théologique, relevant de ce traité méthodologique et critique des sources et des règles de la pensée théologique qu’est le traité des lieux théologiques.

3e difficulté. — La science se fait par le savant ; l’esprit a une part non seulement dans l’interprétation des faits, mais dans la construction du fait comme tel et dans la réception de l’expérience. Quelque exigence qu’ille apporte en ses démarches, la théologie positive reste l’œuvre du théologien ; elle comporte une part Irréductible d’interprétation personnelle, voire de choix dans la documentation. Souvent les textes ne s’imposeront pas au choix ou à l’interprétation d’une manière telle qu’elle exclue ce facteur personnel qui jouera, chez chacun, dans le sens de ses options persni m elles ou corporatives. Ls scotlste trouvera des textes des Pères grecs qui lui sembleront, à l’évidence, aller dans le sens de sa t hese sur la primauté du Christ ; de même le molinlste trouvera t il chez les Pères grecs encore des textes qui lui sembleront appuyer sa théo rie sur la prédestination posl prseoisa merita et la nonprédétermination physique des actes libres, etc.

Réponse. - I.e p. Simonin a envisagé celle difficulté dans une Note sur l’argument de tradition et la théologie, dans Angelicum, 1938, p. 409 iih. Il élimine d’abord, comme critère d’interprétation, une option inspirée par l’expérience religieuse ou, comme on dit, la « spiritualité » personnelle du théologien ; il écarte ensuite, comme critère, l’harmonie d’une interpréta

lion avec la cohérence interne de la construction Intellectuelle ou du système spéculatif, car ce serait user, comme d’un rrilcre, de ce qui est en question II relient, en somme, comme principe d’interprétation, l.r doi llité au magistère ec » lésiastique : car il ne s’agit pas de trouver des appuis pour une théorie pei sonnelle,

mais bien d’enrichir, par la connaissance de toutes ses expressions, Vauditus du témoignage apostolique qui est déposé, s’explique et se perpétue dans l’Église. C’est la pensée de celle-ci que recherche le théologien positif. Il demande à ceux qui, ayant vécu et pensé en elle, ont su exprimer et parfois expliciter la foi de la Calholica, un témoignage sur ce qu’ils tenaient d’elle, sur ce qu’elle a exprimé en eux et peut nous apprendre par eux. Le théologien, d’ailleurs, peut recourir, en même temps qu’aux indications du magistère à ce contrôle et à cet enrichissement que chacun reçoit dans la communion et dans le commerce de tous les autres. C’est un des éléments de la vie et du progrès scientifique que cette collaboration, cette critique mutuelle de normes de vraisemblance et de renforcements de probabilités. Le théologien est un savant et sa méthode bénéficie de cette collaboration, de cette réduction, de ce contrôle mutuel dont le commerce scientifique est la source. Il est aussi un fidèle et il trouve les mêmes bienfaits dans l’ordre de la foi et de la pensée religieuse, au sein de la communauté catholique, tant qu’il est vivant dans cette communion ; cf. M.-J. Congar, Chrétiens désunis, p. 52 sq.

On voit aussi par là qu’il y aurait quelque étroit esse à limiter les investigations du théologien aux données pour lesquelles il bénéficierait des indications explicites du magistère. En réalité, d’abord, le magistère ordinaire de l’Église a des formes très variées et, comme l’a bien noté Vacant, Le magistère ordinaire de l’Église et ses organes, Paris, 1887, p. 27 et 46 sq.. il va jusqu’à enseigner d’une manière tacite, en laissant penser, dire et faire de telle ou telle manière. Ensuite, dans le silence du magistère hiérarchique, il y a une conservation et une éducation de la foi qui se fait dans tout le corps de l’Église. Enfin, l’enquête historique peut fournir par elle-même des données assez fermes pour donner à la théologie des principes sûrs, même en l’absence de toute « définition » par le magistère, comme c’est le cas, par exemple, pour la notion de la causalité instrumentale de l’humanité du Christ, ainsi que l’a montré le P. Simonin, De la nécessité de certaines conclusions théologigues, dans Angelicum, 1939, p. 72-82. Cf. C. Labeyrie, La science de la foi, p. 531.

Sur la théologie positive et le débat auquel elle a donné lieu au début du xxe siècle : L. de Grandmaison, Théologiens scolastiques et théologiens critiques, dans les Études, t. lxxiv, 1898, p. 26-43 ; Mgr Mignot, La méthode de la lliéologie, dans Reoue du clergé français, t. xxix, décembre 1901, repris dans les Lettres sur les éludes ecclésiastiques, Paris, 1908, p. 291 s<(. ; J. Brucker, La réforme des éludes dans les grands séminaires, dans les Études, t. xcii, 1902, p. 597-615 et 742-754 ; M. -Th. Coconnier, Spéculutive ou positive ? dans Revue thomiste, 1902, p. 629-653 ; A. Lemonnyer, Théologie positive et théologie historique, dans Revue du clergé français, t. xxxiv, 1903, p. 5-18 ; Comment s’organise la théologie catholique ? ibid., t. xxxvi, 1903, p. 225-242 ; P. Bernard, Quelques réflexions sur la méthode en théologie, dans les Études, t. ci, 1904, p. 102-117 ; P. Batilïol, Pour l’histoire des dogmes, dans Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905, p. 152-164 ; Évolutionnisme et histoire, ibid., 1906, p. 169179 ; M. Jacquin, Question de mots : histoire des dogmes, histoire des doctrines, théologie positive, dans Revue des sciences philos, et théol., t. i, 1907, p. 99-104 ; B.-M. Schwalm, Les deux théologies : la scolastique et la positive, ibid., t. ii, 1908, p. 674-703 ;  !.. Saltel, Les deux méthodes de la théologie, dans Bull, de liltér. ecclésiast., 1909, p. 382-397 ; F. Cavallera, La théologie historique, ibid., 1910, p. 426-434 ; Ed. Hugon, De la division de la théologie en spéculative, positive, historique, dans Revue thomiste, 1910, p. 652-656 ; H. Hedde, Nécessité de la théologie spéculative ou scolastique, ibid., 1911, p. 709-723 ; A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910 ; F. Cavallera, La théologie positive, dans Bulletin de littér. ecclésiast., 1925, p. 20-42 ;.M. Scliumpp, Bcdeutung und Behandlung der Heiligen Schriil in der sqstematischen Théologie, dans Théologie und Glaube, t. xxi, 1929,

p. 179-198 ; A. Antweiler, Ueber die Beziehungen zwischen historischen und sijstematischen Théologie, ibid., t. xxix, 1937, p. 489-497.

Parmi ces études, celles de Schwalm, Saltet, Hugon, Coconnier sont spécialement orientées vers une ullirmation de la nécessaire union de la positive et de la spéculative. Voir aussi en ce sens, Bellamy, La théologie catholique au XIX’siècle, p. 182-187, et T. Richard, Étude critique sur le but de la scolastique, dans Revue thomiste, 1904, p. 167-186, 416-436, et Usage et abus de la scolastique, ibid., p. 564-582.

Sur le travail de la théologie positive comme conditionné par le magistère de l’Église : N.-J. Laforèt, Dissertatio hislorico-dogmalica de methodo theologiæ sive de auctoritate Ecclesise catholicæ tanquam régula l’idei christianæ, Louvain, 1849 ; M. Jacquin, Le magistère ecclésiastique source et règle de la théologie, dans Revue des sciences philos, et théol., t. vi, 1912, p. 253-278 ; A. Landgiaf, Les preuves scripluraires et patristiques dans l’argumentation théologique, dans Revue des sciences philos, et théol., t. xx, 1931, p. 287-292 ; J. Hanft, Die Tradilionsmethode, cité supra : H.-D. Simonin, Note sur l’argument de tradition en théologie, dans Angelicum, t. xv, 1938, p. 409-418 ; L. Charlier, Essai sur le problème théologique, Thuillies, 1938, p. 58 sq. ; P. Wyser, Théologie als Wissenschalt, Salzbourg et Leipzig, 1938, p. 112-120, 128 sq., 159. — Et comp. supra, col. 426.

II. LE PROBLÈME DE L’APPORT RATIONNEL ET DV

raisonnement THÊOLOOiQUE. — 1° Le problème. Il

peut se poser ainsi : même en admettant qu’il y ait, entre l’univers de notre connaissance naturelle et l’univers de la foi, une certaine proportion, analogia entis, le monde révélé est proposé à notre foi précisément comme quelque chose d’autre que notre monde naturel, quelque chose de nouveau, dont on ne peut se représenter par la voie de la raison que ce qui est justement le moins lui-même. La Révélation est faite, précisément, pour nous faire connaître des choses inaccessibles à notre savoir et cependant nécessaires à l’accomplissement de notre destinée. Et même lorsqu’elle parle des choses que nous connaissons, au moins par un côté, elle en parle non pour nous en faire connaître la nature, les propriétés ontologiques ou physiques, mais pour nous en enseigner un usage conforme à l’orientation de notre vie vers Dieu. N’est-ce pas, au fond, le problème que posent directement des textes de l’Écriture du genre de ceux-ci : « Nous prêchons une sagesse qui n’est pas de ce siècle (de ce monde)…, des choses que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a pas entendues… Or, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous sachions les choses que Dieu nous a données. Et nous en parlons, non avec des discours qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu’enseigne l’Esprit, employant un langage spirituel pour les choses spirituelles, » I Cor., ii, 6, 9, 12-13 ? Comment peut-il y avoir une théologie chrétienne qui emploie, pour se constituer, la connaissance philosophique de ce monde ?

Techniquement, la difficulté se présentera ainsi : si l’on emploie, pour constituer la théologie, des notions philosophiques, ou bien l’on syllogisera à quatre termes, ou bien ce qu’on fait ne signifiera rien et n’apportera rien, ou bien on ramènera l’Écriture au sens des catégories philosophiques utilisées. Soit, en effet, un raisonnement de ce genre, dont il n’y a d’ailleurs pas lieu de se demander s’il aboutit à une con clusion théologique nouvelle, contenue ou non dans la Révélation :

Le Christ est roi (révélé : Joa., xviii, 37) ;

Or, tout roi possède le pouvoir de juger et de condamner ses sujets (principe philosophique : saint Thomas, Sum. theol., III*, q. xi ix, a. 4, ad l" iii) ;

Donc le Christ possède le pouvoir etc.

La qualité royale du Christ est révélée dans maint passage de l’Écriture sainte, mais elle est révélée dans son ordre à elle ; sa royauté est expressément pré

sentée par lui comme étant « de l’autre monde » et obéissant à des lois bien différentes de celles que suivent les rois terrestres. Or, dans la mineure (ou majeure, si l’on remet l’argument en forme) philosophique, la royauté est prise dans sa notion philosophique humaine. Et l’on cherche à progresser dans la connaissance de la royauté du Christ et de ses « propriétés », grâce à la connaissance, apportée par la mineure philosophique, d’une des propriétés de toute royauté et donc également de la royauté du Christ. On voit la difficulté : ou bien il n’y a aucun apport philosophique, et alors ce raisonnement ne signifie rien ; ou bien il y a un tel apport, mais alors on raisonne sur deux notions de la royauté, l’une révélée et spéciale, l’autre philosophique et générale, et l’on syllogise à quatre termes ; ou enfin on ramène la royauté surnaturelle et révélée du Christ dans le cadre de la royauté en général, telle que la réalisent les hommes et que la définit la sociologie rationnelle. Si l’on met notre raisonnement en forme, le principe philosophique y joue le rôle de majeure ; il se subordonne la vérité révélée et la royauté du Christ n’y est traitée que comme un cas de la royauté humaine en général, c’est-à-dire qu’elle perd sa spécificité surnaturelle, que Dieu devient pour nous un roi parmi les autres, alors que toute la Révélation cherche à nous faire savoir qu’il est le seul… C’est bien à cela, diront certains, qu’aboutit en effet la théologie » scolastique », c’est-à-dire celle qui s’est construite en assumant des données philosophiques. Pour avoir construit rationnellement la morale, on y a perdu de vue l’anthropologie biblique, où l’homme est essentiellement chair et esprit, pour prendre une anthropologie philosophique, où l’homme est matière et forme ; on a fait de l’Eglise une société de même type que les autres, différente simplement par son but et ses pouvoirs ; on a fait des sacrements de simples cas de causalité instrumentale, etc.

Une comparaison très heureuse que donne Scheeben peut nous permettre de réaliser encore mieux la difficulté du problème. Dogmatique, n. 862 ; Mysterien des Christentums, § 107, n. 3. Soit un voyageur faisant le récit de ce que sont, dans une montrée lointaine, un climat, une tlorc et une faune tout à fait différents de ceux que nous connaissons. Le simple fidèle est semblable à celui qui se contenterait d’écouter, d’admettre ce qu’on lui rapporte et d’agir en conséquence ; mais le théologien est l’homme qui, ayant écouté et admis, s’efforcerait de comprendre en recourant au monde qu’il connaît, à la connaissance qu’il a du climat, de la flore et de la faune du pays qui est te sien.

Réponse.

En face du problème que nous venons

de poser, il y aurait une autre hypothèse : que les notions rationnelles introduites en théologie spéculative ne soient ni vaines, ni parallèles et étrangères aux vérités de foi, ni dominatrices et assimilatrices de celles i i. mais soient assimilées par celles-ci et ramenées à leur sens. (Ici le hypothèse est en réalité la vraie, comme nous allons le montrer.

Il n’y a, pour notre esprit, qu’une manière de progresser intellectuellement dans la connaissance des n : y stères, c’est d’analyser le contenu des concepts dans lesquels ils nous ont été révélés pur Dieu, de déduire des essences les propriétés, fie rattacher les effets aux ii, bref d’analyser, d’expliquer et d’organiser rationnellement. La théologie consiste en cela. C’est pour cela qu’elle applique aux concepts choisis par Dieu dans notre monde pour se révéler les élabora*’ions des concepts correspondants auxquelles notre esprit ; i pu parvenir d : ms les différentes sciences qui les concernent, (/est ainsi que, si Dieu se dévoile comme personne, nous révèle qu’il y a en lui l’ère et etc., la voie d’une perce pi ion intellectuelle de i es vérités sera pour nous celle d’une application à ce

donné révélé, formulé en notions de notre monde, des élaborations que ces mêmes notions auront pu recevoir dans les disciplines humaines qui les étudient.

Mais il faut bien voir la condition nouvelle de ces notions désormais empruntées aux sciences par la théologie. Certes, les élaborations dont on fait maintenant profiter la théologie ont été obtenues par une étude des choses créées et sensibles qui constituent nos objets de connaissance ; mais leur validité et leur efficacité au regard de la représentation des mystères font l’objet d’une garantie, dont l’initiative et la responsabilité reviennent à Dieu lui-même : leur application aux mystères pour les représenter authentiquement est autorisée par Dieu lui-même qui, en se révélant comme personne, comme Père et comme Fils, détermine lui-même quels sont les concepts et les réalités créés qui ont une valeur de similitudo suse sapientiæ. Ces concepts ne sont plus, dès lors, des analogies philosophiques appliquées par l’homme sous sa seule responsabilité en vertu du principe transcendant de causalité ; ce sont des analogies révélées, reçues dans la foi et dont l’homme connaît dans la foi la valeur de représentation. Sur les analogies de la foi ainsi entendues : J. Maritain, Distinguer pour unir ou les degrés du savoir, Paris, 1932 ; cf. M. T.-L. Penido, Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, Paris, 1931 ; G. Sôhngen, Analogia fidei : Gottâhnlichkeit allein aus Glauben ? dans Calholica, t. iii, 1934.

Nous commençons donc à entrevoir la solution de nos difficultés. Les notions de raison employées en théologie pour exprimer renseignement de la foi selon un mode rationnel et scientifique ne sont plus de pures notions de raison philosophique ; elles sont en efïet soumises aux analogies de la foi, jugées, corrigées, mesurées, approuvées par elles et, par là, amenées à la dignité d’une analogie théologique, objet de raison théologique, de cette ratio fide iltuslrala dont parle le concile du Vatican, sess. iii, c. iv, Denz., n. 1799. Le raisonnement théologique n’est nullement une application de notions philosophiques à un donné qu’on recevrait d’ailleurs sans l’avoir démontré. Certaines manières de procéder, qui reposent plus sur l’appareil rationnel que sur la vérité révélée, pourraient tomber sous ce reproche ; cf. L. Charlier, Essai sur le problème théologique, p. 154-155. Quand les Salmanticenses, par exemple, reprenant le procédé du raisonnement de potentia absoluta, cher à la critique théologique des xive et xve siècles, avancent que, même si Dieu n’était point Père, non plus que Trinité, notre adoption par lui en qualité de fils serait encore possible, In ///- iii, q. xxiii, a. 2, éd. Palmé, t. xvi, p. 393 sq., on peut dire qu’une telle manière de raisonner d’après les seuls concepts naturels et en dehors des affirmations effectives et de l’économie réelle de la Révélation est de mauvaise méthode théologique. Car la théologie n’est pas la philosophie qui raisonne sur la foi, c’est, comme l’a dit le P. Chenu, la foi qui cherche à s’cmniembrer de raison », le donné qui « s’invertèbre par l’intérieur et sous s ; i propre pression ». Position de la théologie. d ; ms Revue des sciences philos, et théol., t. xxiv, 1935, p. 232-257 (p. 232 et 242).

Au point de vue du contenu objectif, c’est d’un bout à l’autre la foi qui commande en théologie. C’est uniquement pour prendre son développement dans

une intelligence humaine selon le mode connut urcl à cette intelligence, qu’elle s’annexe et se subordonne des notions philosophiques. Elle n’en reçoit aucun

apport objectif propre, mais seulement une explii t.

tion plus complète en assumant les ressources et les Voles « le cette raison. Aussi, dans Cette assomplion,

les notions philosophiques sont elles vérifiées, amenuisées, purifiées pu la foi de manière à repondre au sel

vice que celle ci réclame d’elles. <.. travail est évident

dans la théologie scolastiquc ; qu’on pense seulement à la reprise des notions de personne, de relation, de conversion substantielle, de subsistence, de verbe mental : les deux dernières, qui sont d’authentiques notions philosophiques, n’ont été dégagées, au bénéfice de la philosophie, que sous la pression du travail théologique et pour ses besoins ; quant à la première, on sait quelles rectifications et quelles précisions elle doit à sa destination théologique. De telles reprises seraient un scandale pour le philosophe qui voudrait n’être que philosophe ; elles sont, en théologie, la conséquence de la souveraineté de la foi. Pour le dire en passant, c’est à ce rôle de la foi vis-à-vis de la philosophie, que nous devons en grande partie la « philosophie chrétienne », au sens où cette expression désigne un certain nombre de problèmes, d’attitudes, de concepts et de certitudes qui ont été acquises à la philosophie. Les textes du magistère catholique ont souvent insisté sur ce bénéfice de certitude et cette plus-value de précision que la raison humaine reçoit de ce service de la foi.

Nous pouvons maintenant répondre aux difficultés qui représentent la forme classique de notre problème.

Il n’y a pas subalternation de la théologie à la philosophie car, dans la théologie de forme rationnelle, ce qui est donné de foi juge et mesure ce qui est emprunt philosophique et, loin de se subordonner à lui, se le subordonne à soi-même. S. Thomas, Sum. Iheol., I », q. i, a. 5, ad 2um ; a. 6, ad l um et 2um ; In Boet. de Trin., q. ii, a. 3. D’autre part, la théologie reste une science une, caractérisée par un médium demonstrationis un. Les prémisses du raisonnement théologique, en effet, sont coordonnées l’une à l’autre pour inférer la conclusion. La notion analogique de raison a en effet été prise, travaillée, mesurée et finalement approuvée et adoptée par la notion analogique de foi. De la sorte on n’a pas, dans l’argument théologique, un terme de foi, un terme de raison et un produit théologique, mais un terme de foi assumant vitalement et assimilant du vrai rationnel pour porter, grâce à lui, l’analogie révélée à un état rationnel et scientifique et constituer avec lui un unique analogue de foi. Ainsi : 1. il n’y a pas quatre termes dans l’argument théologique ; 2. les deux prémisses de cet argument forment un unique médium de démonstration dans lequel toute la détermination vient de la foi et qui est donc, comme le dit Cajétan, divino lumine fulgens, cf. In / am, q. i, a. 3, n. iv ; la conclusion du raisonnement théologique se résoud dans l’unique causalité de ce médium que sont les prémisses organisées et coordonnées pour son inférence ; toute la lumière lui vient de la prémisse de foi. La théologie est vraiment le développement scientifique de la foi, la science de la foi.

Tout ceci a été exposé par Jean de Saint-Thomas, In / » " partem, q. i, disp. II, a. 6, n. 1, 10-17, 22-24 (éd. deSolesmes, p. 369-374) ; a. 7, n. 18 sq. (p. 381) ; a. 9, n. 6, 11-13 (p. 391, 393) ; cf. Logica, II » pars, q. xxv, a. 1, ad 3, éd. Reiser, p. 777 ; cf. ici l’art. Dogmatiquk, t. iv, col. 1525-1526.

Conséquences.

Ces conséquences vont toutes

à assurer effectivement la primauté du donné de foi et le rôle instrumental de l’apport rationnel. Notons les quatre points suivants :

1. Le théologien devra avoir une conscience très vive du fait qu’il n’y a réellement qu’un monde de pensée comme un seul monde de réa.ité et que la foi se subsume le savoir rationnel, comme l’être surnaturel le fait pour ce qui est des réa.ités naturelles. Foi et raison, surnature et nature sont distinctes, mais pas néanmoins comme deux quantités de même genre et extérieures l’une à l’autre. Le monde de la foi est le « tout » du monde de la raison ; il l’englobe et le déborde. K. Eschweiler, Die zwei Wege, p. 37 sq., 238 ; L. Char ger, Essai sur le problème théol., p. 84 sq. C’est pourquoi il ne faut pas prendre les choses et les vérités de la foi pour de simples cas, de simples applications des lois générales du monde naturel, qui trouveraient dans ces lois leur explication.

2. Au delà de toute construction, si satisfaisante soit-elle, le théologien devra garder un sens très aigu de la transcendance et du mystère. Nos idées humaines peuvent bien nous aider à mieux nous représenter ce que c’est, pour le Christ, que d’être roi, par exemple ; mais le mode propre et positif dont il est loi nous échappe en son unité indivisible, et demeure un mystère. Ainsi la théologie peut-elle, comme science humaine de la foi, prendre de la réalité mystérieuse révélée une vue qui tend à être de plus en plus précise ; mais ce qui fait le point le plus propre du mystère lui échappe et se refuse à être élucidé par l’emploi des analogies humaines. On définit avec précision le lieu du mystère, mais on n’éclaircit pas celui-ci.

Ici encore, saint Augustin représente, pour le théologien, un exemple digne d’être médité : lui qui a écrit que si l’on parle en Dieu de trois personnes, « c’est moins pour dire quelque chose que pour ne pas ne rien dire », De Trin., t. V, c. ix, P. L., t. xlii, col. 918 ; lui qui a écrit également que ce qu’on a déjà trouvé et compris de Dieu invite à une nouvelle et perpétuelle recherche. Ibid., t. XV, c. ii, col. 1057-1058. Sur ce sens du mystère chez le théologien, cf. A. Gardeil, Le donné révélé, p. 144-150 ; R. Garrigou-Lagrange, Le sens du mystère et le clair obscur intellectuel, Paris, 1934 ; La théologie et la vie de la foi, dans Revue thomiste, 1935, p. 492-514 ; L. Charlier, Essai sur le problème théologique, p. 153-158.

3. En théologie, le donné est totalement régulateur. Le théologien ne construit pas à partir de ses concepts un monde où l’esprit n’est arrêté par rien qui soit étranger à son propre jeu et aux déterminations idéologiques nécessaires, mais il se réfère à un donné reçu du dehors. Cette dépendance exige du théologien une attitude de totale soumission et de radicale pauvreté ; cf. M.-J. Congar, Saint Thomas serviteur de la vérité, dans Vie spir., mars 1937, p. 259-279. Elle implique qu’en chacune de ses démarches, le système idéologique que le théologien construit, soit cri’iqué et assoupli en référence à tous les éléments du donné, eux-mêmes appréciés selon leur valeur respective. En certaines questions surtout, comme en matière sacramentelle, qui sont autant des « institutions » que des dogmes, la référence au fait doit être constante, le plus petit fait devant être respecté et engageant à assouplir la théoiie si celle-ci s’avère trop étroite ou tiop rigide pour en rendre compte. Sur cette docilité du « construit » à l’égard du « donné », cf. M.-D. Chenu, Position de la théologie, dans Revue des sciences philos, et théol., 1935, p. 243-245, et, sur le sens de l’Église et du magistère qui en est la condition, L. Charlier, op. cit., p. 158-164.

4. Enfin, il sera encore de l’humilité et de la soumission de la science théologique d’accepter un donné dont tous les éléments sont loin d’être de niveau avec les exigences de l’esprit en fait de précision conceptuelle. La Révélation est faite en un style imagé, dont M. Penido a précisé, si l’on peut dire, le statut épistémologiquc sous le nom d’ « analogie métaphorique » ou « analogie de proportionnalité impropre ». Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, p. 42 sq., 99 sq. C’est ainsi que le Christ nous est révélé comme « agneau de Dieu », ou « tête de l’Église », que l’Église elle-même l’est comme « épouse du Christ », « vigne du Seigneur », etc. La perfection commune aux deux termes métaphoriquement analogiques n’est pas formellement en tous les analogues, l’analogie métaphorique exprime une équivalence d’effets, non pas directement

la forme d’être ou la définition essentielle, mais la proportion entre deux manières d’agir. Aussi, comme Dieu, dans la Révélation qu’il nous adresse, veut plus nous dire ce qu’il est pour nous et ce qu’il fait pour nous que ce qu’il est en lui-même, on comprend très bien, indépendamment du motif général de s’adresser en images à des hommes qui sont des êtres sensibles, que la Révélation soit remplie de métaphores. De la sorte, en même temps que le théologien s’efforcera de traduire ces notions métaphoriques en analogies de proportionnalité plus rigoureusement définies, il devra cependant, parce qu’elles sont du donné révélé, des analogies de foi, soumettre des concepts philosophiquement plus satisfaisants à l’approbation de ces métaphores. Ainsi, d’un côté, il traduira en concepts plus précis le sens affirmé par les similitudes de la tête et <le la vigne, mais, d’autre part, le théologien devra soumettre le matériel conceptuel, emprunté aux sciences philosophiques, au jugement et à la mesure de ces grandioses mais imprécises images de la tête ou de la vigne, etc. Car ces métaphores sont du donné révélé et leur contenu doit passer dans la constitution de la théologie. Ce serait une erreur de méthode que de ne constituer une ecclésiologie, par exemple, qu’avec les notions humainement claires et rigoureuses, plus proches de la philosophie, de société, de pouvoir, de loi, etc., et de négliger les grandes images bibliques dont heureusement des traités comme les Thèses de F.cclesia de Franzelin ou le Corpus Christi quod est Ecrlesiu du P. Tromp, ont fait leur profit. Sur cet usage et cette valeur des métaphores en théologie, cf. S. Thomas, Sum. theol., 1*. q. t, a. 9.

/II. LK PROBLÈME DE LA CONCLUSION TUÉOI.OOIQUE El UB L’HOMOGÉNÉITÉ DE LA SCIENCE TIIÉOLOO QUE AU DOOME. — Si le raisonnement théologique vérifie les conditions d’un raisonnement néccssaiie et si l’apport de la raison y est à ce point assumé et réglé par la foi, ne doit on pas reconnaître à la conclusion theologique, à ce seibile divino lumine julgens dont parle Cajétan, une certaine homogénéité avec le révélé lui même, Objel de notre foi ? Dans le cas où une conclusion découlerait d’une façon nécessaire et évidente, soit de deux prémisses île foi, soit d’une prémisse de foi et d’une autre de raison évidente, la conclusion pourrait-elle faire l’objet d’une adhésion de foi, et s ; i négation l’objet d’un péché d’hérésie, avant toute définition de cette vérité par l’Église ? lue telle conclusion peut-elle être définie par l’Église comme vérité de foi et, m oui. comment justifier cette définition ? Enfin, après sa définition, une telle vérité relève-t-elle de la foi théologale, OU bien d’une adhésion spéciale distincte tant de la foi théologale que de la foi humaine ? telles son ! les questions que pose la conclusion tbéologlque. Cf. A. Gardeil, I.e donné révélé, p. 163-186.

1° Adhésion à une conclusion théologique avant sa définition. - Les grands théologiens (lu xiiie siècle admettent bien un accroissement « les formulaires dogmatique par la canonisation de propositions consequenliit nd articulas, mais ces propositions sont pour eux des vérités r< v< ndaires quant à leur con tenu, et non, !, | ln’-ologiqucs ; cf. H. -M.

Schultes, Introdurtia i lu loriam dogmatum, Paris, l>. 71 -78. I » aprè documentation que présente uteur, p. ~x s :, , il sembe que ce soient les théologiens noniina i ti - ri, .. ! tes qui aient appliqué aux conclusions théologiqui’, qu’Albert le Grand el’m.lisaient des viriles révélées 51 d.oïc. admettant parmi les vérités catholiques : veritalet omnes et singulie quæ concluduntur rx pnnnistr ilali bus in consequentia crrln m lumine fidei niot m evidenti lumine naturali, quamolt non in propria forma verborum ilhe habeantur. Gerson, cité p. 82 ; pour Bcot, <f p 84, Le P. Schultes semble suggère*, p. « 3,

que c’est dans ce contexte que s’est produite l’insistance des thomistes à donner pour objet à la théologie, ainsi distinguée de la foi, les conclusions théologiques.

La position qu’on attribue aux nominalistes, favorable à l’inclusion, parmi les vérités de foi, des conclusions déduites bona et necessaria consequentia, serait aussi, au xvre siècle, celle de Cajétan ( ?), Pierre Soto, M. Cano, Tolet, Molina, cités par Schultes, p. 1 16. Mais la position la plus notable à cette époque dans la question qui nous occupe est celle de Vasquez et de Suarez. Ces auteurs ont apporté en effet dans ce problème, une distinction qui s’est transmise après eux et est passée dans un grand nombre d’ouvrages. Ils distinguent, au regard d’une conclusion théologique nécessaire, deux assentiments : celui qu’on donne à la conclusion en tant qu’on la voit inférée par le raisonnement, et cet assentiment reste théologique ; celui qu’on donne à la vérité telle quelle que présente la conclusion en tant que, dégagée pour l’esprit par un raisonnement, elle apparaît comme objectivement et réellement contenue dans la proposition révélée. Ce second assentiment, qui va à une vérité vue comme contenue dans une autre vérité révélée, relève de ia foi ; pour marquer, cependant, ce qui la distingue de l’assentiment donné aux vérités révélées, explicitement proposées par l’Église comme des dogmes, Suarez parle, dans ce dernier cas, de foi catholique et, dans le premier, de simple foi divine ou « foi théologique ». distinction, elle aussi, extrêmement répandue depuis lors et à laquelle on peut d’ailleurs donner un sens acceptable. Cf. Vasquez, In / am partemD. Thomæ, q. i, a. 2, disp. V, c. m. éd. Venise, 1608, p. 19 ; Suarez, De fide, disp. III, sect. xi, n. 5, Opéra omnin, éd. Vives, t.xii, p. 97 ; cf. d’autres références dans Marin-Sola, Évolution homogène, n. 85, t. I, p. 99 sq. ; n. 114 sq., ibid., p. 210 sq. ; n. 388, t. ii, p. 157.

Le grand principe de discernement sera celui-ci : toute adhésion dépend de ce par quoi elle est motivée. Si mon adhésion repose sur le témoignage de Dieu proposé dans la prédication apostolique, elle sera de foi théologale ; si elle repose sur ce que je vois, par l’industrie de mon esprit, dans le témoignage de Dieu, elle restera humaine ou plutôt humano-divine, c’est-à-dire théologique. Cf. Marin-Sola. op. cit., n. Cià sq.. t. i, p. 202 sq.

Ce principe, cependant, n’est pas toujours d’une application commode. I.e plus simple auditus fidei engage toujours une certaine activité de notre esprit, ne serait-ce que pour comprendre le sens des mots. I.’intention même de la foi ne peut se contenter d’une réception purement passive de la parole de Dieu ; elle essaie de pénétrer le plus possible son sens et, pour cela, tout en étant dans la disposition d’être rectifiée par le sens de l’Église et les déclarations du magistère, elle s’engage à ses propres risques dans une certaine activité d’interprétation ; elle cherche à voir tout ce que veut dire l’énoncé sacré. Dira ton qu’un chrétien ne peut adhérer de fol théologale au sens qu’il voit être celui de tel passage de l’Écriture dont l’Êgiise ne lui donne par ailleurs aucune interprétation officielle explicite ? Et de même ne pourra I il adhérer

de foi théologale a ce qu’il verra avec évidence appar tenir à un dogme, mais dont l’Église n’aura pas encore fait une définition explicite ?

H semble qu’on puisse dire ceci : quand l’activité de le. prit se lient dans les limites d’une intelligence des énoncés révélés tell quels, une adhé’ion de foi est pos sible a ce que l’on verra avec évidence appartenir au révélé ou être le sens de CCS énoncés. À la limite, ii semble que la même adhésion de foi pourra elle don i ce qu’on verra avec évidence être lié de telle

lOTte aux énoncés de la foi que, i ou niait cela, on serait amené n leill a pervertir le sens offl

ciellement déclaré desdits énoncés. Telle est du moins la position de saint Thomas, à propos des « notions » divines. In I am Sent., dist. XXXIII, q. i, a. 5 ; Sum. theol., I a, q. xxxii, a. 4 ; cf. IIa-IIæ, q. xi, a. 2. On pourrait, dit saint Thomas, pécher contre la foi, si on niait la doctrine des notions divines. Non pas que celle-ci soit explicitement de foi ; mais elle intéresse la foi indirectement, indirecte ad fidem perlinel. On peut commettre un péché d’hérésie non en niant directement une vérité de foi, mais en tenant une position telle que le sens orthodoxe de la foi ne puisse être gardé. Il ne semble pas, d’ailleurs, que saint Thomas élargirait beaucoup le champ de ces appartenances indirectes de la foi et que, par exemple, il y ferait rentrer une doctrine comme celle de l’unité d’être dans le Christ. Sum. theol., III*, q. xvii. C’est pourquoi cette position ne revient nullement à considérer, avant toute définition dogmatique, toute conclusion théologique certaine comme relevant, pour le théologien, de la foi.

Il faut au contraire, à la suite de Jean de Saint-Thomas, In / » iii, q. i, disp. II, a. 4, éd. de Solesmes, p. 357 sq., et du P. Schultes, bien distinguer du cas précédent celui de la conclusion théologique proprement dite, laquelle relève de ce que Schultes appelle le virtuel illatif. Dans ce cas, nous ne sommes plus en piésence d’une activité de l’esprit s’efforçant de comprendie aussi totalement que possible et de traduire simplement en valeurs techniques l’énoncé tel quel de la foi, mais d’une activité s’efforçant de dégager, par l’introduction d’un élément étranger au révélé forme), un objet de pensée qui ne procède que médiatement des énoncés de la foi ; nous sommes dans l’ordre du médiatement révélé ; l’activité de l’esprit n’intervient pas seulement pour permettre au sujet de comprendre ce qui est expressément révélé, mais pour constituer un objet dont l’appartenance au révélé n’est que médiate. Il ne peut être question de donner au terme ainsi dégagé une adhésion de foi, le motif de celle-ci n’étant nihil aliud quam veritas prima. Sum. theol., IIMI », q. i, a. 1.

Il faut donc bien distinguer, comme le fait Jean de Saint-Thomas, deux usages du raisonnement : le cas où il ne s’agit que de disposer et d’habiliter l’esprit du croyant à comprendie aussi totalement que pessible ce qui est vraiment révélé ; le cas où il s’agit de dégager, par l’usage d’un moyen terme nouveau, des virtualités qui ne se rattacheront au révélé que d’une façon médiate. Il semble que la distinction de Suarez et de Vasquez ne puisse valoir pour ce second cas et qu’on ne puisse, dans un raisonnement théologique proprement dit, une fois la conclusion obtenue par le raisonnement, laisser de côté le moyen d’inférence qui a servi à la dégager et en contempler la vérité telle quelle, comme objectivement contenue dans la prémisse révélée. Ce qui est vrai du tiavail par lequel le théologien prend conscience du contenu du révélé formel, ne l’est plus du travail par lequel il dégagerait le « révélé virtuel », qui relèvera toujours d’une adhésion où la raison intervient. Finalement d’ailleurs, ce qu’on croyait à un moment donné ne teprésenter que du révélé virtuel sera peut-être un jour défini par l’Église. On reconnaîtra alors que c’était bel et bien, dès le début, du révélé formel. Mais on n’en savait rien alors. C’est pourquoi le théologien doit conduire son travail dans un parfait esprit de docilité envers le magistère de l’Église.

Après la définition par l’Église.

La question de

savoir quel assentiment donner à la conclusion théologique définie par l’Église après sa définition n’a plus d’urgence si l’on adopte la thèse de Schultes. Celuici, d’ailleurs, Inlrod., p. 130-131, a critiqué vivement la « foi ecclésiastique », c’est-à-dire une foi qui ne

serait ni la foi théologale, ni une foi humaine inspirée par la foi divine et s’adressant à l’autorité de l’Église comme telle. Le P. Marin-Sola, Évolution homogène, t. i, n. 225-297, a critiqué plus à fond encore la « foi ecclésiastique » ; il montre bien que, par la définition de l’Église, un nouveau motif d’adhésion, qui relève de la foi théologale, est substitué à celui du savoir théologique ; il résout dans le sens esquissé plus haut, col. 443, la question de la compossibilité de l’adhé.ion de foi et de l’adhésion théologique, sous différents aspects, à la même vérité matériellement prise.

Dogme et théologie.

Au terme de cette étude des

problèmes de structure que pose la théologie, et finalement la question de son homogénéité à son donné initial, il peut être utile de marquer nettement la distinction de la théologie et du dogme, puis d’expliquer et de déterminer le rôle, à l’intérieur de la théologie elle-même, d’une pluralité de constructions intellectuelles.

La théologie se distingue du dogme, où se trouve défini l’objet de la foi, en ce qu’elle implique un travail humain de l’intelligence qui reste, précisément, un travail purement humain. La foi est une pure adhésion à la Parole de Dieu, pour le motif même de l’autorité souveraine de Dieu révélant. Si l’homme a sa part dans l’expression de cette révélation divine, les énoncés humains de la Révélation ne laissent pas d’être garantis comme pure Parole de Dieu par le charisme de l’inspiration. La part de l’homme est plus notable dans la formulation proprement dogmatique de l’objet de la foi, car le dogme, expression plus élaborée de la Révélation, est l’œuvre de l’Église, laquelle n’est pas inspirée dans ce travail, mais seulement assistée ne errel. Le dogme est, à cet égard, de facture humaine ; aussi ses formules ne sont-elles pas sans rapport avec l’état intellectuel du temps qui les voit naître. Cependant, le dogme n’est qu’une fixation officielle des vérités contenues dans la Révélation et déjà proposées par l’Église qui nous transmet avec autorité et l’Écriture et les traditions. Le dogme ne fait qu’expliquer et expliciter le contenu réel de la Parole révélée, sans y rien ajouter. Aussi le travail humain peut-il être notable dans l’explication du donné primitif et l’élaboration des formules dogmatiques ; il n’entre cependant en rien dans la constitution intrinsèque de l’objet de l’adhésion religieuse. Cet objet demeure, sous une forme plus élaborée et plus précise, identiquement ce qu’il était, comme objet, dans la Révélation prophétique, évangélique et apostolique. Non seulement on n’ajoute rien à son contenu, mais on ne change rien à ce qu’il est comme objet d’adhésion.

La théologie, elle, s’efforcera bien de demeurer, pour l’expliquer intellectuellement et le construire scientifiquement, à l’intérieur du contenu des assertions révélées : ainsi, à l’assertion de la présence réelle du Christ vivant dans l’eucharistie, elle n’ajoutera pas une autre assertion ; elle s’efforcera seulement de pénétrer intellectuellement et de construire scientifiquement la réalité affirmée. Mais ce qu’elle percevra et affirmera dans l’objet révélé sera perçu et vu par elle grâce à un effort humain et par l’emploi de moyens épistémologiques humains, pour qui ne valent ni l’assistance dont bénéficie l’Église, ni à plus forte raison l’inspiration qui est donnée au « prophète ». Dans la vision du théologien comme tel, le moyen humain, laissé à lui-même, intervient comme principe même de connaissance ; l’objet comme objet, c’est-à-dire comme terme de connaissance, est constitué par le mélange de deux lumières bien inégales en qualité et en certitude, celle de la vérité révélée et celle de la raison humaine du croyant : deux lumières se composant ensemble pour déterminer un genre nouveau d’adhésion, celui du savoir théologique. Sur l’ensemble de la question et la

distinction entre dogme et théologie, cf. A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910 ; H. Pinard, art. Dogme, dans le Dict. apologét., t. i, col. 1144-1148 et 1183.

Cette distinction entre le dogme et la théologie a toujours été, sous une forme ou sous une autre, reconnue et surtout pratiquée dans l’Église : et ceci même lorsque, n’ayant pas encore nettement défini la théologie comme une activité rationnelle et scientifique du croyant, on ne laissait pas (te distinguer entre ce qui est tenu unanimement par l’Église et s’impose à la foi de tous, et ce qui est la manière de voir d’un individu proposant telle affirmation sous sa responsabilité personnelle, ou encore entre la simple affirmation des faits chrétiens, objet de la prédication ecclésiastique, et l’explication du comment et du pourquoi, à laquelle s’efforce la prédication des docteurs. Origènc en avait déjà fait la remarque au début du De principiis.

La distinction entre dogme et théologie n’a cependant pas toujours été as ; cz présente à la pensée des théologiens et de ceux qui, sans l’être, ont touché au domaine de la théologie. Plusieurs des difficultés soulevées par les modernistes contre le dogme viennent d’un manque de distinction entre le dogme de l’Église et les systèmes ou même la science théologiques. Ainsi de M. Ed. Le Roy dans son fameux article Qu’est-ce qu’un dogme ? repris avec des éclaircissements dans Dogme et critique, Paris, 1907 ; ainsi encore de G. Tyrrell, cf. supra, col. 440. Ce fut donc l’un des bénéfices de la crise moderniste que de faire mieux distinguer du dogme la théologie, la science théologique et les systèmes particuliers de théologie. Les éclaircissements donnés alors n’ont cependant pas suffi et l’on a vii, récemment, soulever contre le catholicisme des difficultés qui, arguant de la présence dans le dogme d’éléments philosophiques périmés, reposaient pour une part sur la vieille méprise et sur le manque de distinction entre dogme et systèmes theologiques. Sur la distinction entre dogme et théologie, au moment du modernisme, cf. les interventions des PP. Sertillanges et Allô dans le débat soulevé par M. Ed. Le Roy (bibliographie dans J. Rivière, Le modernisme dans l’Église, Paris, 1929, p. 250 sq.) ; A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910 ; L. de Grandmaison, Le dogme chrétien, sa nature, ses formules, son développement, Paris. 3e éd., 1928 ; H. Pinard, art. Dogme, dans le Dict. apologét., t. i, col. 1116-1 148 ; R. Garrigou-Lagrangc, Le sens commun, la philosophie de l’être et les lormules dogmatiques, Paris 1909.

C’est dans la perspective de ce qui vient d’être dit sut dogme et théologie qu’il faut comprendre la différence entre la science théologique et les systèmes théologiques et l’inévitable diversité de ces systèmes dans Il e. Il y a la fui catholique, qui s’impose à tous les nils, parce qu’elle n’est point particularisée dans la pensée d’un seul homme, mais qu’elle est le bien de l’Église comme telle et il y a l’élaboration humaine’l' cette f"i. qu’est la théologie. Par le fait même que cette élaboration est l’œuvre de croyants particuliers et qu’elle s’opère par l’adjonction organique au dogme d’éléments empruntés à la connaissance rationnelle, son produit, la théologie, est. nécessairement Inadé quat à la fuies catholica et, un peu comme l’inadéquation d « i biens particuliers au bien universellement voulu fonde la liberté de choix, cette Inadéquation jusiiiie et, en quelque mesure, entraîne une certaine diversité de théologies. Cette diversité proviendra de ourees principales :

1, La théologie, pas plus que la philosophie, : une œuvre absolument Impersonnelle, une wrU di trurtion purement logique au regard de laquelle de l’homme pensant, son tempéra

ment, son histoire, on i rieure et inte rner. DE TIIKOL. CATHOL.

rieure, pourraient être considérés comme amorphes. En philosophie, par exemple, ces choses, au contraire, orientent vers certaines attitudes qui commandent elles-mêmes les options inspiratrices du système. Et certes la théologie a pour règle un donné proposé par un magistère ecclésiastique, comme la philosophie a pour règle le donné de la connaissance naturelle ; et il est bien établi que la première démarche du théologien est un acte de soumission à ce donné et à ce magistère. Mais ce donné est si riche qu’il autorise des manières différentes de l’aborder et, selon l’orientation d’esprit d’un chacun, des manières différentes de poser les problèmes eux-mêmes. Ce que la foi catholique nous dit de la connaissance et du vouloir de Dieu quant à nos actes libres autorise, à coup sûr, différentes constructions non seulement des réponses, mais des problèmes eux-mêmes, constructions qui dépendent d’un certain angle de vision, lui-même commandé par une orientation initiale dont la raison est à chercher dans une certaine expérience intime, une tradition, une compréhension personnelle des données tout à fait premières. C’est ainsi, par exemple, que les historiens les plus récents du nominalisme ont signalé en celui-ci une conséquence et comme une expression d’une intuition initiale très forte, celle de la souveraine et libre omnipotence divine ; cf. P. Vignaux.dans l’article Nominalisme, ici, t. xi, col. 741-748, et L. Baudry, dans sa préface au De principiis theologiæ, Paris, 1936, p. 35-40. On pourrait faire des remarques de même type sur le molinisme, sur l’augustinisme franciscain, cf. supra, col. o92 sq., sur la théologie de la grâce chez Augustin ou chez Pelage, sur l’ecelésiologie de saint Cyprien, etc.

2. Si la théologie est l’élaboration de la foi par une raison humaine usant de ses ressources propres, il est clair que le contenu et l’inspiration d’un « milieu », le contenu et l’inspiration d’une tradition de vie religieuse et de pensée philosophique détermineront dans une large mesure Pauvre théologique, la construction rationnelle de la foi. Le climat intellectuel d’Alexandrie n’était pas celui de Carthage et l’on a justement souligné l’importance de cette diversité au regard de la diversité des théologies qui ont fleuri ici ou là. D’une manière plus générale, la tradition théologique de l’Orient et celle de l’Occident, en matière trinitaire, ont chacune une homogénéité interne relative et sont cependant diverses en leur manière d’aborder le mystère et de le construire intellectuellement : cf. les Éludes de théologie positive sur la Sainte Trinité, du P. de Régnon, et en particulier la conclusion du t. iii, p. 564 sq., et. du t. iv, p. 533 sq. Des différences semblables existent sur d’autres points entre l’Orient et l’Occident. Elles proviennent d’une manière différente d’aborder les mêmes mystères, la différence étant due à une orientation diverse du regard et de l’effort spéculatif, orientation elle-même conditionnée par une culture, par une tradition de pensée philosophique et religieuse.

3. Au delà de l’intuition religieuse, initiale, au delà du milieu général de la pensée, la diversité des théologies pourra naître du choix délibéré d’instruments conceptuels et philosophiques divers. L’Église, en effet, impose à tous le même donné de foi, mais, en raison même de sa transcendance, ce donné supporte, dans son organisation rationnelle en théologie, le ser

vice d’appareils philosophiques divers. Si le projet,

formé par certains au xvr siècle et jusqu’en plein JCVIIIe siècle d’employer, au lieu de la logique et do la dialectique d’Aristote, celles de Platon avait | fruit, nous aurions eu peut-être, dans l’Eglise catholique, un type di théologie assez différent de celui qui y

a prévalu. I.a tentative d’appliquer a l’ciichari lie la théorie cartésienne île l’étendue, i été condamnée p, n

T. — XV. — 16.

4 83

    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. L’HABITUS DE THÉOLOGIE

48’l’Église, mais une tentative semblable inspirée de la philosophie leibnizienne ne l’a pas été. La philosophie thomiste de la matière et de la forme diffère radicalement de celle de saint Bonaventnre ; la philosophie suarézienne du composé diffère profondément de celle de saint Thomas et toutes ces différences ont leurs répercussions immédiates dans la construction théologique. On pourra’t multiplier le- ; exemples.

Ayant ainsi marqué et justifié la possibilité de plusieurs systèmes théologiques, il est juste d’affirmer non moins fortement que cela n’autorise pas, en cette matière, un pur et simple relativisme. D’une part, en effet, il y a des zones où l’interprétation rationnelle est tellement liée aux certitudes philosophiques communes, qu’on se trouve atteindre à une connaissance scientifique et nécessaire, telle qu’elle ne laisse plus de place à une systématisation plus particulière. Ce serait le cas, par exemple, de la doctrine selon laquelle celui qui nie délibérément un article de foi perd l’habitus total de la foi ; de la théologie de la science bienheureuse du Christ ; d’un certain nombre de conclusions relatives à la sainte Vierge, aux fins dernières, à certains points de morale sociale ou internationale… L’ensemble de ces thèses dessinerait l’aire de ce qu’on peut appeler, par opposition aux systèmes, la science théologique.

D’autre part, tous les systèmes sont loin de se valoir au point de vue de l’expression du donné révélé avec ses virtualités, de même qu’au point de vue des éléments rationnels assumés. Un système qui, comme celui de saint Thomas, s’avère capable d’assumer et d’ordonner une multitude d’aspects particuliers qu’on trouve mis en valeur ailleurs, mais en un état dispersé et d’une façon fragmentaire, tient évidemment, de son point de vue supérieur, une valeur autrement « catholique » qu’un système particulier, fait pour répondre à une antinomie de détail. Voir, sur toute cette question de la science et des systèmes théologiques, A. Gardeil, Le donné révélé, p. 252-284.

IV. L’IIABITUS DE THÉOLOGIE DANS LE THÉOLOGIEN.

— Après avoir défini et étudié la théologie au point de vue de son objet et de sa méthode, il faut définir son statut dans le sujet, dans le théologien, en étudiant d’abord l’habitus de théologie, puis les conditions du travail et du progrès théologiques.

I. l’habit vu de THÉOLOGIE. — Trois affirmations caractérisent l’habitus de théologie : la théologie est une science ; elle esta la fois spéculative et pratique mais principalement spéculative ; elle est sagesse. Le premier point a été touché plus haut ; reste à parler des deux autres et à se demander si l’habitus de théologie est naturel ou surnaturel.

1° La théologie est un savoir spéculatif et pratique, mais principalement spéculatif. — Nous avons déjà vii, à propos de la notion de science, combien saint Thomas obéit à l’idée que le savoir doit correspondre à son objet et aux conditions internes de celui-ci. Or, il y a des objets qui sont faits pour être connus et dont la seule connaissance épuise toute la relation que nous pouvons avoir à eux et il y a des objets qui sont faits pour être réalisés par nous. Est spéculatif le savoir qui considère son objet comme un pur objet à connaître, en spectateur ; est pratique le savoir qui considère son objet comme une chose à réaliser et à construire, en acteur et en cause. Comme le dit saint Thomas, In II Anal., t. I, lect. 41, n. 7, le savoir spéculatif vise la cognilio generis subjecti, le savoir pratique la construclio ipsius subjecti. Cf. Com. in Metaphys., t. II, lect. 2 ; In de anima, t. III, lect. 15 ; In Polilic, prol. ; In Ethic, t. I, lect. 1 ; De verit., q. iii, a. 3 ; Sum. theol., I », q. lxxix, a. Il ; In Boel. de Trin., q. v, a. 1.

Nous avons résumé plus haut, col. 398, et pour Scot, col. 402, les positions prises au Moyen Age sur

la question du caractère spéculatif ou pratique de la théologie. Elles sont toutes inspirées par le sentiment que la théologie est un savoir original, supérieur, irréductible aux catégories des disciplines purement humaines. Cette inspiration est aussi celle de saint Thomas, mais elle l’amène à une position quelque peu différente des autres. La théologie ne se constitue pas et ne se spécifie pas comme les sciences humaines. Elle est une extension de la foi, laquelle est une certaine communication et une certaine imitation de la science de Dieu. Or, la science de Dieu dépasse la division en spéculative et pratique. C’est pourquoi la foi, puis les dons intellectuels de science, d’intelligence et de sagesse, puis la doctrina sacra et la théologie qui en est la forme scientifique, sont à la fois spéculatifs et pratiques, tenant du point de vue supérieur de la science de Dieu une unité qui se romprait s’il s’agissait de science humaine. Cependant, la théologie est plus principalement spéculative que pratique, car 1. elle considère principalement les mystères de Dieu, devant lesquels l’intelligence croyante est spectatrice et non active ; 2. même en tiaitant de l’action humaine, elle la considère comme ordonnée à la béatitude, laquelle consiste en la connaissance parfaite de Dieu. Cf. S.Thomas, In I am Sent., prol., a. 2, ad 3um ; a. 3, qu. 1 ; Sum. theol., I », q. i, a. 4 ; II » -lI æ, q. iv, a. 2, ad 3um, et q. ix, a. 3.

Ainsi, il n’y a qu’une théologie, science du mystère de Dieu révélé. Cette théologie est principalement spéculative, mais elle est aussi imprescriptiblement pjatique, car Dieu révélé n’est pas uniquement un objet, il n’est pas connu adéquatement par nous s’il n’est connu comme notre fin. C’est pourquoi l’étude de Dieu comporte une morale dont l’objet est l’activité par laquelle fa créature raisonnable revient à Dieu comme à sa fin dernière, selon l’économie concrète qui est celle de ce monde de la faute et du rachat par le Christ. La théologie a donc pour objet d’abord la connaissance de son genus subjectum, ensuite une certaine constructio ipsius subjecti, à savoir la construction de Dieu en nous, ou plutôt la construction du Christ en nous. Certes, tant pour des raisons pédagogiques que pour des raisons tirées de la nature des objets, la morale et la dogmatique se distinguent en quelque manière ; la morale répond, dans la Somme de saint Thomas, à la II a pars ; la dogmatique à la I » et à la III a pars, cette dernière représentant d’ailleurs, en plusieurs de ses parties, l’achèvement de la morale. Mais on se tromperait gravement si l’on séparait dogme et morale comme représentant deux systèmes indépendants de connaissance : d’un côté la dogmatique, c’est-à-dire les considérations sur les mystères, parmi lesquels on rangerait le péché originel, la grâce, l’habitation de Dieu dans l’âme des justes ; d’un autre côté, la morale, c’est-à-dire un ensemble de règles pratiques le plus rapproché qu’il est possible des « cas » concrets de la vie réelle. Cette morale, coupée de l’étude de la grâce de Dieu et de la béatituæ où la considération des vertus théologales serait exténuée à l’extrême et celle des dons du Saint-Esprit omise, ne représenterait d’ailleurs guère qu’une casuistique et devrait recevoir, comme une annexe extrinsèque, des considérations d’ « ascétique », valables pour l’ensemble des fidèles, et des considérations de « mystique », concernant des cas particuliers et « extraordinaires ».

Un tel état de choses serait contraire à la vraie nature de la théologie et à celle de ses deux fonctions ou quasi-parties. Il serait contraire à son activité spéculative au regard du mystère de Dieu révélé qui est celui de Dieu béatifiant, de Dieu se communiquant aux hommes et constitué leur fin dernière. Il serait contraire à sa fonction pratique au regard de l’agir °

chrétien et de la consommation de l’image de Dieu en nous, car action, image et consommation ne se conçoivent comme telles qu’en dépendance du mystère de Dieu et comme faisant partie de ce mystère lui-même. Ainsi, d’une part, c’est toute la théologie qui, par la connexion que ses éléments pratiques ont avec les spéculatifs, apparaît normative et a, comme on dit, « valeur de vie » ; et d’autre part, l’ascétique et la mystique trouvent leur place en elle, non comme des parties spéciales ajoutées à une morale elle-même séparée d’une dogmatique, mais comme des éléments intégrés organiquement dans l’étude scientifique du mystère révélé de Dieu béatifiant, en quoi consiste la théologie. Il appartiendra donc à celle-ci de développer, aux lieux propres correspondants, les éléments de doctrine qui rendent compte des diverses réalités dont on eût fait l’objet d’une ascétique, d’une mystique et d’une pastorale, et sans doute y a-t-il lieu de compléter sur ces points l’enseignement des théologiens anciens. Cf. Bulletin thomiste, 1932, p. 494 sq. ; ici, art. Probabilisme, t. xiii, col. 617 : R. Garrigou-Lagrange, La théologie ascétique et mystique ou la doctrine spirituelle, dans Vie spir., octobre 1919, p. 7-19 ; L’axe de la vie spirituelle et son unité, dans Revue thomiste, 1937. p. 347-360 ; S. -M. Lozano, Natureleza de la sagrada theologia su aspeclo affeclioo-praclico, sêgun S. T ornas, dans C.icncia tomista, septembre 1924, p. 204-221 ; A. Lemonnyer, Saint Thomas maître de vie spirituelle, dans Xotre vie divine, Paris, 1936, p. 393102 ; B. Merkelbach, Moralis thenlogiæ idonea melhodus, dans Miscell, Vermeersch, t. i, Rome, 1935, p. 116 ;.1. Vieujean, Dogmatique et morale, dans Revue écriés, de Liège, 1936, p. 333-338.

Il c t bien certain d’ailleurs que la science morale théologique ne v ufïit pas à régler immédiatement l’action concrète ; entre la connaissance des principes de l’action et l’action elle-même, il y a place pour une connaissance pratique immédiatement régulatrice. connaissance est celle non plus d’une science, d’une vertu à la fois intellectuelle et morale, la prudence : voir ce mot et l’art. Probabilisme, t. xiii, 133 sq. et 618 sq., où se trouve justifié le rôle de cette vertu comme adaptation vitale, par chaque fidèle, ouvernement de sa vie, des lumières de l’enseignement moral chrétien.

Mai i n’y a-t-il pas lien de concevoir, entre la science ogique morale et la vertu de prudence, un type Intermédiaire de connaissance qui serait un savoir, mais plus pratique et différemment pratique que la science morale ? M. Maritain l’a pensé et a proposé l’idée d’intercaler, entre une science péculative de l’action et le gouvernement prudentiel, une science quement pratique : cf. bibliographie, infra. Non lierait plusieurs savoirs par des obd lïérents, mais, seulement par une différence de point de vue formel et de méthode dan ? la considérai i même objet. Il y aurait d’abord nue considération « péculative de la ri Ité morale, qui ne se propoi tte réalité et où la nature de il moral, celle de l’action morale et de ses condi : > fin et il raient

étudiée suivant la méthode analytique, allant du trait, qui est la méthode des scii lirait, à la direction immédia i

on, la prudence ; il y aurail enfin, entre la science pratique ou cicncc spcculativement vertu de prudence, une connaissance quement pratique : connu ancc de la réalité I are pratiquement, empruntant ses lumières m de l’agir, à laquelle elle serait

vue de proposer des règle plus proiivoir pratiquement pra Uqu< nielle ou communiquée joue rait un grand rôle : ce serait la science de l’homme prudent comme tel, du praticien, du directeur spirituel.

Des théologiens ont agréé cette manière de voir. Ils ont pensé que la distinction proposée était de nature à donner son statut à une « théologie spirituelle ». distincte de la théologie morale telle que la réalise la Somme de saint Thomas, laquelle ne serait qu’une étude spéculative de l’agir chrétien : ainsi A. Lemonnyer, La théologie spirituelle comme science particulière, dans la Vie spir., mars 1932, Suppl., p. 158-166. Il semble bien que cette catégorie de « théologie spirituelle » réponde à quelque chose : d’abord à un genre littéraire, celui des « auteurs spirituels » ; ensuite à une utilité, voire à une nécessité pédagogique, car on ne peut bien enseigner les voies de la perfection chrétienne qu’en en faisant une étude spéciale ; enfin à une certaine réalité psychologique, à cet état particulier que prend le savoir théologique chez le théologien vraiment animé par le zèle et le goût des âmes. Mais il n’y a en tout cela rien qui justifie qu’on reconnaisse à la théologie spirituelle la qualité d’une théologie spéciale, distincte comme savoir de la théologie en sa fonction pratique. À la critique, ce savoir intermédiaire semble bien se distribuer sur les deux connaissances morales, celle de la science théologique et celle de la prudence, à condition que l’on restitue à cette dernière tout ce qui lui revient de connaissance et à la premièic la plénitude de son caractère pratique et la nécessaire information qu’elle reçoit de l’expérience, celle d’autrui et la nôtre propre. Moyennant quoi la « théologie spirituelle » ne serait que l’une des fonctions pratiques de la théologie, dont il serait légitime, pour les raisons reconnues plus haut et d’un point de vue pragmatique, de faire en quelque sorte une spécialité. C’est en ce sens que concluent les PP. Périnelle, Dcman, Mcnnessier, Régamey ; cf. la bibliographie.

Sur la question de la science pratique et de la « théologie spirituelle :). Maritain, Saint Jean de la Croix praticien de la contemplation, dans Études carmélitaines, avril 1931, p. 62-109 ; V. Simon, Réflexions sur la connaissance pratique, dans Revue de philos., 1932, p. "449-473 i.1. Maritain, Distinguer pour unir on 1rs degrés du savoir, Paris, 1932, c. VIII el app. vu ; A. Lemonnyer, La théologie spirituelle comme science particulière, d ; ms la Vie spir., mars 1932, Suppl., 1>. 158-166, repris dans Xntre vie divine, Paris, 1936, p. 403417 ; Y. Simon, La critique de la connaissance morale, Paris, 1934 ; Th. Dcman, Sur l’organisation du savoir moral, dans Revue des sciences pliilos. et théol., 1934, p. 238-280 ; J. Pôrinelle, ibid., 1935, p. 731-737 ;.1. Maritain, Science et sagesse, Paris, 1935 ; I. Mcnnessier, dans la Vie spir., juillet 1935, Suppl., p. 56-62 et juillet 1936, p. 57-61 ; Th. Daman, Questions disputées de science morale, dans Revue des sciences pliilos. ettliéol., 1937, p. 278-306 ; M. Lalmurdet le, Connais sanec spéculative et connaissance pratique, dans Revue thomiste, 1938, p. 561-568 ; P. Régamey, Réflexion* sur la théologie spirituelle, dans la Vie spir., dccemliie 1938, Suppl., p. 151-166, et janvier 1939, p. 21-32.

La théologie est sagesse.

Dans la i rc question de

la Somme, comme saint Thomas s’élail demandé, à l’art. 2. si l’enseignement chrétien vérifie la qualité de science, il se demande, à l’art. 6. s’il vérifie celle de sagesse ; cf. In I" m Sent., prol., a. 3, sol. 1 ; In 1 1 l um Sent., dist. XXXV, q. n. a. 3. sol. I ; In Ilncl.de Trin.. q. ii, a. 2, ad l um. Comme il le fait toujours dans les articles de ce type, saint Thomas rappelle quelles sont militions de la sagesse, puis en esquisse l’appli cal ion a la suera doelnna.

Mans Chaque ordre de choses, dit-il, le sage est celui qui détient le principe de l’ordre, lequel donne à tout

>n sens et sa Justification, ’.'est pourquoi le

savoir qui a pour objet la cause première ci univer

selle, le principe souverain de Imites < i.i la

sagesse suprême, la sagesse pure et simple, (, ’est I

de la sacra doctrina ou enseignement chrétien, dont la théologie est la forme scientifique. La théologie est vraiment un critère dernier et universel ; elle est reine et dominatrice de tout savoir ; on peut lui appliquer le mot de saint Paul : Spiritualis judicat omnia. De là découlent les conséquences suivantes :

1. La théologie étant sagesse, c’est-à-dire science suprême, n’a rien au dessus d’elle. Dans l’échelle des sciences, chaque discipline prouve ses propres conclusions, mais laisse à une discipline supérieure le soin de défendre ses principes ; mais la science suprême assure elle-même la défense de ses propres principes et des principes communs de toutes les autres sciences. C’est ainsi que la métaphysique se développe en « critique » pour défendre la valeur des principes premiers de la raison et la validité de la connaissance elle-même. De même la théologie doit-elle défendre ses principes, qui sont les vérités révélées proposées par l’Église. Elle le fait en se développant en une parlie critique qu’on appelle apologétique ou encore théologie fondamentale, sans préjudice de la défense particulière de tel ou tel point que la théologie assure dans ses différents traités, cf. ici, art. Dogmatique, t. iv, col. 1528, et supra, col. 430. Cette idée de l’apologétique conçue comme critique théologique et comme partie de la théologie nous paraît la plus satisfaisante ; c’est celle qu’appuient les textes de saint Thomas, Sum. theol., I a, q. i, a. 8, et Ia-IIæ, q. lvii, a. 2, ad 2um ; c’est celle qui est défendue ici à l’art. Apologétique par M. Maisonneuve et à l’art. Crédibilité du P. A. Gardeil, ainsi que dans La crédibilité et l’apologétique, du même auteur, 2e éd., Paris, 1912, par J. Didiot, Logique surnaturelle objective, p. v-vi et 4, par le P. Garrigou-Lagrange, De revelalione, t. i, 3e éd., Rome, 1931, p. 3 sq., 43 sq., 52 sq., L’apologétique dirigée par la foi, dans Revue thomiste, 1919, p. 193-213 et L’apologétique et la théologie fondamentale, dans Revue des sciences philos, et théol., 1920, p. 352-359.

2. La théologie est apte à utiliser pour sa propre fin toutes les autres sciences ; elle est fondée également, dans les conditions qu’on précisera plus loin, à exercer à l’égard de toutes autres sciences une certaine fonction de règle et de contrôle. Ce qui, d’ailleurs, comporte pour ces sciences un bénéfice de sécurité et de vérité.

3. D’un côté par le fait qu’elle utilise le service de nombreuses sciences auxiliaires, d’autre part en raison de l’ampleur et de la richessedesonobjet.lathéologiea une diversité de fonctions et de parties, telle qu’aucune science purement rationnelle n’en présente de-pareille.

4. La théologie tient de sa qualité de sagesse suprême, et donc de modératrice des autres savoirs, un rôle d’accomplissement, d’unification et d’organisation à l’égard des acquis spirituels de l’homme. C’est grâce à elle et soit à son service, soit sous sa direction, que les diverses acquisitions de l’intelligence peuvent être orientées vers Dieu et tournées à son service, non pas seulement du point de vue de l’exercice et de l’usus, mais selon leur contenu et leur richesse intrinsèque eux-mêmes. C’est pourquoi la théologie, comme sagesse, apparaît comme le principe nécessaire, sinon à tel ou tel individu, du moins à la communauté comme telle, d’un humanisme chrétien et d’un état chrétien de la culture. Un siècle laïcisé veut nécessai- ! rement qu’on supprime les facultés de théologie ou qu’on en nie la raison d’être, cf. supra col. 444.

Le danger de la théologie serait ici dans son point de vue supérieur lui-même, qui pourrait tourner en mentalité théologique simpliste ; si c’est une erreur de n’admettre que des causes immédiates et de rester ainsi dans les limites d’un point de vue étroitement technique, c’en est une autre de ne s’attacher qu’à l’explication transcendante, par la cause efficiente et

finale dernière, en négligeant les causes immédiates. Cette mentalité aboutirait à des résultats parfois désastreux : en politique, à un régime théocratique qui pourait bien dégénérer en cléricalisme, en mystique à un faux surnaturalisme, en apologétique à un concordisme facile, parfois malhonnête, où la vérité, au lieu d’être recherchée et servie, serait utilisée et truquée, etc.

3° L’habilus de théologie est-il surnaturel ? — On connaît la position de Contenson, Theologia mentis et corrf /s, t. I, pncl. I, c. ii, specul. 3, éd. Vives, 1875, t. i, p. Il sq. Se fondant sur le fait, admis par tous les thomistes, que la théologie est surnaturelle radicaliter, originative, en sa source ou racine qui est la foi. il veut qu’elle soit aussi surnaturelle entitalive : car 1. son objet et sa lumière sont surnaturels, dépassant toute adhésion humainement possible ; 2. le motif de l’assentiment donné aux conclusions n’est pas le discours humain, mais la vérité de la foi que le discours ne fait qu’appliquer ; 3. la théologie a des caractères tels qu’ils ne peuvent appartenir qu’à un habitus surnaturel, tels que d’être subalternée à une science proprement surnaturelle, d’être plus certaine que tout savoir naturel, etc.

L’intention de Contenson est de marquer fortement l’homogénéité objective de la théologie à l’ordre de la foi. Mais Contenson admet que la théologie est un habitus acquis, dont le rôle est de disposer les facultés, non de donner la puissance elle-même. Il est donc fort éloigné de l’opinion apparentée à celle d’Henri de Gand et curieusement soutenue de nos jours par J. Didiot, Logique surnaturelle subjective, théor. xxii, 2e éd., d’un habitus theologicus infus. On ne peut cependant pas tenir avec lui pour un habitus intrinsèquement surnaturel : car l’objet de la théologie n’est pas purement et simplement surnaturel, non plus que sa lumière, non plus que sa certitude : objet, lumière ou motif d’adhésion, certitude, sont bien d’origine surnaturelle et participent de la qualité surnaturelle de leur racine, la foi ; mais objet, lumière et certitude sont intrinsèquement modifiés par le fait qu’ils sont considérés par la théologie dans le rayonnement qu’ils prennent par l’activité rationnelle de l’homme croyant, laquelle peut bien être dirigée, fortifiée et surélevée par la foi, mais non formellement prise en charge et qualifiée par elle. L’objet qui finalise, termine et qualifie le travail théologique n’est pas purement et simplement surnaturel, mais bien ce qui est vu par la raison croyante dans l’objet surnaturel de la loi.

II. CONDITIONS DO TRAVAIL ET OU PROGRÈS TIIÈO LOdiQŒS. — 1° Théologie et vie spirituelle. — Il y a lieu d’abord de montrer comment la vie religieuse et la spéculation théologique s’unissent et ce qu’elles reçoivent l’une de l’autre.

1. Ce que la théologie apporte à la oie religieuse. — Elle est, pour la vie spirituelle, une sauvegarde et un aliment ; elle l’empêche de s’égarer, elle la préserve du subjectivisnie sous toutes ses formes et du particularisme mal éclairé ; cf. Garrigou-Lagrange, La théologie et la vie de la foi, dans Revue thomiste. 1935, p. 492 sq. ; De Deo uno, p. 30 sq. Elle lui permet de rayonner plus complètement dans l’homme, car elle étend le règne lumineux de la foi sur un plus grand nombre de convictions, de conséquences et d’aspects. Enfin, la théologie est une œuvre éminente de foi et de charité, un culte très élevé rendu à Dieu, car elle lui consacre notre raison comme telle, achevant la consécration que la foi lui avait faite de notre entendement comme tel. Pour saint Thomas, l’œuvre théologique représente une consécration de la raison humaine comme raison, en ses acquisitions, ses procédés, son efficacité. Elle procède d’une foi fervente et en augmente le mérite, Sum. theol., II » - !  ! », q. ii, a. 10 ; elle réalise le pro

gramme tracé par saint Paul : In captivitatem redigentes omnem intelleclum in obsequium Christ i. II Cor., x, 5. Se vouer à l’étude théologique est une œuvre éminente de la foi et de la charité et peut, à ce titre, devenir une matière spéciale de religion et la fonction de choix d’un ordre religieux. S. Thomas, Sum. theol., 1I » -II ». q. clxxxviii, a. 5 ; Contra impugnanles Dei cultum. c. xi.

2. Ce que la vie spirituelle peut et doit apporter à la théologie. — Tout d’abord, la grâce de la foi est consul ulionnellement nécessaire à la théologie, cf. supra, col. 451 i q. Chez le théologien qui viendrait à perdre la foi, l’habitus de théologie disparaîtrait ; il s’y substituerait un habitus opinatif qui n’aurait plus aucun rapport avec cette science de Dieu et des bienheureux à laquelle la théologie s’appuie et en laquelle elle tend à se résoudre. Il convient pourtant de noter que la théologie n’est pas liée à la charité du point de vue de sa structure noétique ; comme nous l’avons vii, col. 485, le mode de son union à son objet est intentionnel et intellectuel, non réel et affectif : ce qui est de nature à mettre au point certaines formes de Lebenslheologie, voir supra, col. 446, 447, et l’augustinisme bonaventurien tel que le présente le P. Th. Soiron, Heilige Théologie, Pauerborn, 1935, p. 65 sq., 68. 76 sq.

Il faut cependant bien voir tout ce qui manquerait à la théologie d’un théologien qui aurait perdu l’état de grâce. Il lui manquerait d’abord le moteur religieux de sa recherche et les conditions sans lesquelles il n’aura plus de goût pour la théologie ; il n’aura pas le goût de tirer de ses principes les conclusions pratiques qui intéressent la vie, non plus que de contempler les mystères qui sont liés aux attitudes les plus délicates de l’âme : les vérités concernant la vie spirituelle, les anges, la sainte ierge, le péché et la pénitence, etc. bref, toutes les choses qui accompagnent ce qu’on appelle l’esprit de foi.

Mais la charité, le goût et une certaine expérience personnelle des choses de Dieu sont nécessaires surtout pour que le théologien traite les mystères et parle d’eux de la manière qui leur convient. Bien que l’objet de la théolofrfe soit de l’intellectuel et du scientifique, il est surnaturel par sa racine et essentiellement religieux par son contenu, ea quorum visione perjruemur in nita a-trrna et per qum ducimur in vitam œternam. La connaissance de foi, qui donne à la théologie ses principes, ne se termine pas à des énoncés, à des formules, mais à des réalités qui sont les mystères de la vie de Dieu et de notre saint ; et nous avons vu plus haut, col. 470. combien la foi tendait à la perception surnaturelle des réalités divines. Il conviendra donc que 12 théologien mène une vie pure, sainte, mortifiée, priante. Son travail ne peut bien se fi. ire qu’avec le secours de grâces actuelles et sur la base d’un certain potentiel religieux. Et si, d’après saint Thomas, les dons d’intelligence et de sagesse sont nécessaires au Adèle pour perce oir droitement le sens des énoncer de la foi. on peut penser que le théologien ne saurait se passer de leur secours. Sur la nécessité de conditions morales pour la connaissance des choses spirituelles, nombreuses références aux auteurs anciens dans M. SchmaUl, bf p^grlinloqische Trinitatslehre du hL AugiUlintU, Munster, 1 ! » ’27, p. 171, n. 4. Plus spécifiquement sur les coi ni i lions spirituelles du travail I héologique et l’influence de la vie religieuse : Sehccben, Dogmatique, t. i. n. 997-1010 ; Mysterien drs Christentuinx, S H18 ;.1. Didiot, Logique surnaturelle subjective,

ll.eor. i.xxxi sq., 2° éd., 1894, p. 503 sq. ;.1. BilL, KinfOhrung in ihe Théologie. Pribourg-cn-Br., 1 p. 73 sq., ii. blekamp, Tlvologia dogmattese manuale, l. i. i’, p. 86 ; B. Garrignu-Lagrange, L" théo

togle ri i, i vie <ir in /m, dans Revue thomiste, ’< p. 492 sq. ; De Deo uno, Paris, 1938, p. 30 sq.. i<

La vie du théologien dans l’Église.

1. Le théologien

doit vivre dans l’Église. — Cela lui est nécessaire à plusieurs titres : a) du fait que, la théologie est science, elle suppose collaboration ; or, il s’agit d’abord de la collaboration des autres croyants, soucieux de porter leur foi à un état rationnel et scientifique, par où nous voyons que le théologien ne peut s’isoler de la communauté des croyants qui est l’Église. — b) La théologie est dépendante, dans son développement, du développement de la foi. Or, d’après saint Paul, Eph., iv, 13 ; Phil., i, 9, etc., le développement de la foi en connaissance, yvcôaoç. est lié à notre croissance dan., le corps mystique, comme membre de ce corps.

— c) La condition d’une connaissance orthodoxe des objets de la foi est la communion dans l’Église catholique, car la droite vue de ces objets est donnée par le Saint-Esprit, lequel ne dévoile la vérité qu’à ceux qui vivent dans la communion de l’amour ; cf. M.-J. Congar, L’esprit des Pères d’après Môhler, dans la Vie spir., avril 1938, Suppl., p. 1-25, et dans L’Église est une. Hommage à Môhler, Paris, 1939, p. 255-269. — d) Le critère dernier et finalement seul efficace de cette connaissance orthodoxe est l’Église enseignante : car l’Église ne peut vivre comme corps et ecclésiastiquement dans l’unité de la vérité, que grâce à un critère ecclésiastique d’unité et de croyance. M.-J. Congar, Chrétiens désunis, p. 105 et 166. C’est pourquoi, tant à propos de l’auditus fidei et de la théologie positive, qu’à propos de i’intellectus fidei et de la théologie spéculative, nous avons marqué plus haut la nécessité, pour le théologien, de se référer sans cesse à l’enseignement de l’Église, d’avoir le sens de l’Église et le sens du magistère.

La théologie sans doute est une science, mais c’est un fait que les Pères et les plus grands théologiens ont orienté leur travail vers la satisfaction des besoins de l’Église à un moment donné : défense de la foi, besoins spirituels des âmes, exigences ou amélioration de la formation des clercs, réponse à des formes nouvelles de la pensée ou à des acquisitions nouvelles de l’intelligence. Si l’on soustrayait de la théologie les œuvres qui répondent à ces divers appels pour ne garder que celles dont le seul souci du savoir a été l’inspirateur, on rayerait la plupart des plus grands chefs-d’œuvre. Toutefois ce serait un danger d’accentuer ou de développer, aux dépens d’un équilibre authentique de la doctrine et parfois même aux dépens de la vérité tout court, les thèmes qui « rendent » à un moment ou dans un milieu donnés. Le théologien ne doit pas se refuser à t-availler pour le service de l’Église ; mais, pour éviter ce danger qui, scientifiquement, ressemblerait à l’amateurisme, il doit aussi entourer son travail des conditions qui sont de rigueur pour tout travail scientifique : des exigences critiques, un certain recul par rapport à l’actualité immédiate, une atmosphère de désintéressement et de contemplation, une part de loisir, de dépouillement et de solitude.

2. L’Église doit laisser ou procurer au théologien les conditions de liberté qui sont nécessaires ù son travail. — Non que l’on veuille en aucune manière réclamer la liberté de l’erreur ou le droit à l’erreur. Mais il s’agit simplement de tirer une conséquence nécessaire de la distinction, expliquée plus haut, col. 180, entre dogme et théologie. L’Eglise enseignante propose et interprète la foi avec l’autorité souveraine du magistère apostolique. Mais, à l’Intérieur de cette unité de la foi dont elle est gardienne et juge, il y a place pour une recherche de type scientifique, que le théologien mènera sous sa piopre responsabilité et pour laquelle vaudra l’axiome :

in nrcessariis imitas, in diibus librrlas.

Ainsi celle distinction entre le dogme et la science

théologique correspond elle a une différenciation fort Importante, au sein de l’Église, dans les fonct ions rclatives à la sacra doctrina, à la vérité sacrée. Le service de cette vérité se fait en effet selon deux modes qu’on ne saurait bloquer sans dommage. La question proprement dogmatique est une fonction de conservation et de continuité ; elle doit transmettre à chaque génération ce qui a été depuis toujours transmis ; il ne lui revient pas de faire à proprement parler progresser la connaissance intellectuelle, mais de garder le dépôt, d’en déclarer le sens d’une manière authentique ; cf. Denz., n. 786, 1636, et surtout 1800. C’est le rôle du magistère hiérarchique. La fonction scientifique et proprement théologique, par contre, est une fonction d’initiative et de progrès : non pas, proprement, une fonction de conservation, mais une fonction de recherche, voire d’invention. Car, si la théologie travaille sur un donné immuable et auquel on ne peut ajouter, elle est elle-même une activité d’explication grâce à l’intervention active de ressources rationnelles ; aussi lui arrive-t-il de dépasser, à ses propres risques, les affirmations du dogme à un moment donné, tentant des synthèses là où celui-ci ne donne que des éléments, abordant des problèmes pour lesquels celui-ci ne fournit qu’un point de départ plus ou moins lointain, bref exerçant la fonction d’initiative et de recherche qui est celle de la science. B. Poschmann, Der Wissenschaftscharakter der kathol. Theol., Breslau, 1932, p. 14-15 ; A.-D. Sertillanges, Le miracle de l’Église, Paris, 1933, p. 94.

Aussi le travail théologique, comme tout travail scientifique, demande-t-il, par le côté où il est recherche et non tradition, une certaine liberté. Il est en effet rigoureusement impossible à la théologie de remplir sa fonction propre, si on lui ferme la possibilité d’essais, d’hypothèses, de questions et de solutions qu’on met en circulation non pour les imposer comme des choses définies et définitives, mais pour leur faire subir l’épreuve de la critique et faire jouer, à leur profit comme au profit de tous, la coopération du monde qui pense et qui travaille. Se refuser, dans ce domaine, à courir le moindre risque, vouloir que le théologien ne fasse que répéter ce qui a été dit avant lui et n’énonce que des choses certainement irréprochables et inaccessibles à la critique serait méconnaître le statut propre de la théologie et par là préparer sa décadence. Comme Benoît XV le déclarait, le 17 février 1915, au P. Ledochowski, S. J., il faut laisser, dans les matières qui ne sont pas de la Révélation, la liberté de discussion Timere se potius ne hac libertate præcidenda alæ simul ingeniorum inciderentur cum damno profundioris studii théologici. Revue du clergé français, 15 juin 1918, p. 416 ; Rev. apol., t. xxxvi, 1926, p. 307.

C’est ce droit à proposer, en matière non définie, pourvu que ce soit dans le respect de la foi, des opinions et des interprétations diverses, que réclamait, par exemple, au XIIIe siècle, un Bernard de Trilia : cf. le texte de son Mémoire justificatif, publié par P. Glorieux, dans Revue des sciences philos. et théol., 1928, p. 412 et 421. Aussi bien le Moyen Age connut-il précisément, en ce domaine, un régime de liberté qui permit la pleine floraison de la théologie.

Le progrès de la théologie. — Que la théologie progresse, c’est bien évident, puisque la connaissance dogmatique elle-même progresse et, pour une grande part, grâce à la théologie. On peut, semble-t-il, analyser les conditions du progrès de la théologie selon ces divers aspects.

Le progrès atteint d’abord la théologie au titre général de science. Elle se développe dans un régime de collaboration et par le commerce des spécialistes, grâce aux organes normaux d’un tel commerce : universités, instituts de recherche, congrès, collections, revues avec leur partie de critique bibliographique. Par ce côté, le progrès de la théologie est, au moins en partie, solidaire du progrès dans les autres sciences : sciences historiques, philologiques, liturgiques, sociologiques, etc. Par ce côté aussi, la théologie suivra en quelque mesure la loi de tout progrès qui se fait par spécialisation. Il appartiendra au théologien vraiment soucieux de la vitalité et du progrès de sa discipline de s’informer du progrès de toutes ces sciences dont il peut faire des auxiliaires de son travail.

Et en effet, le progrès atteint encore la théologie comme science d’un donné. Si progresser, pour tout être, c’est tendre à son principe, le progrès de la théologie consistera dans l’intelligence du donné tel quel de la prédication apostolique plus encore que dans le raffinement de la systématisation. Aussi la loi qui est celle de tout progrès vaut-elle d’une façon plus rigoureuse pour la théologie, qu’il n’y a de progrès véritable et de renouvellement fécond que dans la tradition. La nouveauté et le progrès, en théologie, ne sont pas dans un changement affectant les principes ou le donné, mais d’abord dans une prise de conscience plus riche ou plus précise de ce donné lui-même. Plusieurs questions de théologie peuvent être reprises, parfois révisées ou orientées d’une manière plus heureuse, par une étude plus critique du donné qui les concerne. C’est le cas, par exemple, de la notion de tradition, cf. supra, col. 464 ; ce pourrait être le cas, sans doute, pour plus d’une notion d’ecclésiologie ou de théologie sacramentaire. Cf., pour l’ensemble de la question du progrès en théologie, J. Kleutgen, Die Theologie der Vorzeit vertheidigt, t. v, 2e éd., Munster, 1874, p. 432-490 ; M.-J. Scheeben, Dogmatique, t. i, n. 1011-1026, trad. franç., p. 640 sq.

V. Divisions ou parties de la théologie. — La création progressive des diverses spécialités dans la théologie ne représente pas qu’un processus de désagrégation ou de décadence, mais bien aussi un processus normal de développement. Le progrès engage généralement une certaine spécialisation et donc une certaine division. Dans la partie historique de cet article, nous avons assisté à des spécialisations sucscessives au sein de la science sacrée : division de l’enseignement en lectio et quæstio, en commentaire de l’Écriture et disputes dialectiques, naissance d’une théologie positive et d’une théologie biblique, spécialisation d’une théologie morale, d’une théologie ascétique ou mystique séparées de la dogmatique, création d’une apologétique, développement séparé de la théologie polémique… Dans les tendances de restauration et de rénovation religieuses du début du xixe siècle, s’est formée une « théologie pastorale ». Nous avons vu aussi comment, vers la fin du XVIIe siècle, tout un mouvement s’était développé dans le sens d’une réintégration des différentes parties ainsi divisées dans un ensemble organique, dans un « système » dont les différentes parties seraient comme le développement d’une idée unique. C’est alors qu’on écrivit, surtout en Allemagne, des Encyclopédies dont l’objet était une distribution logique des sciences sacrées selon leurs articulations naturelles, cf. supra, col. 434. On trouvera un tableau de la distribution des disciplines théologiques telle que la proposaient Dobmaier, Drey, Klee et Staudenmaier, dans l’article Théologie du 'Dict. encyclopédique de la théologie catholique de Goschler, traduction de la 1re éd. du Kirchenlexikon de Wetzer et Welte, t. XXIII, p. 314 sq. ; cf. aussi l’article Encyklopädie de la Prot. Realencyklopädie, 3e éd., t. v, p. 351-364. Les auteurs modernes d’Introductions à la théologie présentent aussi, en la justifiant, une distribution de la théologie selon ses diverses parties ou sciences auxiliaires. Voici, par exemple, comment J. Bilz, qui semble s’inspirer un peu de Drey, divise et organise la théologie, soit dans son Einführung in dit Theologie, Fribourg-en-B., 493 THÉOLOGIE. SES DIVISIONS 494

1935, p. 49 sq., soit dans l’article Théologie du Lexikon fur Theol. u. Kirche, 1938, col. 71 sq. :

Disciplines auxiliaires :

Philologie biblique, herméneutique, géographie, chronologie et archéologie bibliques ; paléographie, épigraphie, diplomatique, chronologie, géographie, philologie.

Théologie proprement dite :

Apologétique, puis Introduction à la théologie ou Encyclopédie.

  • Théol. historique
    • hist. biblique
      • Introduction.
      • Exégèse
      • Théologie biblique.
    • hist. de l’Église
      • du dehors
      • du dedans (les idées) : nombreuses subdivisions.
  • Théol. doctrinale
    • Dogmatique
      • positive
      • spéculative (branches spéciales ; symbolique, étude des confessions chrétiennes).
    • Morale (dogmata morum), plus ou moins pratique, avec l’ascétique et la mystique.
  • Théol. pratique
    • Droit canon (avec spécialités droit des religieux, etc.).
    • Théol. pastorale :
      • (magistère) : homilétique, catéchistique.
      • (sacerdoce) : liturgique.
      • (gouvernement) : théologie pastorale proprement dite, avec, comme sciences auxiliaires, la pédagogie, la médecine, la psychiatrie.

Une rapide réflexion critique montre qu’il n’y a pas, dans ces diverses disciplines, différentes théologies mais une distribution d’une unique théologie, faite d’un point de vue pédagogique. C’est en réalité une division et une distribution de la matière complexe de l’enseignement ecclésiastique dans les universités et les séminaires, fl en est de même de l’énumération que présentent un certain nombre de documents officiels concernant les études des clercs. Voici les principaux, où se trouve généralement une distribution de la théologie en dogmatique, morale (avec annexion du Droit canonique et de la sociologie), Écriture sainte (divisée m Introduction générale et exégèse), histoire ecclésiastique ; cf. lettre de la Congrégation du Consistoire, Le visite apostoliche, aux évêques d’Italie, 16 juillet 1912, dans Enchiridion clericorum, Rome, 1938, n. 874 sq. ; Codex juris canonici, can. 1365 ; lettre de la Congrégation des universités et séminaires. Ordinamrnln dri seminari, 26 avril 1920, aux évêquei d’Italie, dans Enchir. cler., n. 1106, 1114 ; lettre Vixdum hœc Sacra (.ongregatio de la même Congrégation aux évéques d’Allemagne, 9 octobre 1921. ibid., n. 11311139 ; constitution Deus scientiarum Dominas sur les universités et facultés d’études ecclésiastiques, du 24 mai 1931 et règlement annexe, dans Arta aposl.

Sfdis, t. xxiii, 1931. p. 241-262, tra.l. française dans Documentation cathol., 15 aoûl 1931, col. 195-221. Ces documents donnent, sur l’objet, la méthode, l’importance ei l’espril de la théologie, de indications assez nettes et extrêmement prérieuses. Mais que l’énumération qui est faite là des matières principales, auxl’"ires et spéciales (telle est la division adoptée) ne prétende à aucune portée spéculative, on le volt soit par le but et la qualité de ce document, soit par ce qu’il déclare lui-même, soit par la manière dont des membres qualifiés des grands corps enseignants catholiques ont glosé ce dispositif ; cf. Ch. Boyer, dans les Études, 5 octobre 1931, p. 16 ; Gregorianum, 1936, p. 159-175 ; J. de Ghellinck, dans Nouvelle revue théol., novembre 1931, p. 777.

Il n’y a donc pas lieu de chercher dans ces documents une division scientifique de la théologie en ses parties nécessaires, mais bien une organisation et une distribution de l’enseignement des sciences ecclésiastiques. Quand la lettre Ordinamento, op. cit., n. 1110, la lettre Vixdum hase, op. cit., n. 1135 et la constitution Deus scientiarum parlent de théologie ascéticomystique comme d’un complément de la morale, elles n’entendent nullement prononcer que ces disciplines ont un statut épistémologique séparé, mais simplement donner une direction pour un enseignement complet de la morale. De même, quand le Code, can. 1365, § 3 et Pie XI, dans la lettre Officiorum omnium du 1 er août 1922, Enchir. cler., n. 1157, parlent de théologie pastorale, ils ont en vue de promouvoir une réalité pédagogique et non de définir une spécialité épistémologique. Et ainsi du reste. La voie est donc libre pour concevoir, selon l’idée qu’on se fait de la théologie, l’unité de celle-ci et la distinction de ses parties.

La théologie, en elle-même, est une, elle a un unique objet formel quod et quo, à savoir le mystère de Dieu révélé, en tant qu’il est atteint par l’activité de la raison à partir de la foi. Cette définition, en même temps qu’elle exprime l’unité essentielle de la théologie, nous fait pressentir la complexité de ses éléments et des apports qui l’intègrent : donné positif extrêmement complexe et dont une connaissance vraiment scientifique engage bien des disciplines, apport rationnel, possibilités considérables de développements et d’applications. La théologie, étant une sagesse, se subordonnera normalement une pluralité de méthodes et de données, les orientant vers son service tout en leur laissant leur autonomie. Parce qu’elle utilise ainsi à son service une pluralité de sciences, tout en respect ant les conditions propres de leur travail, la théologie aura donc, à l’intérieur de son activité à elle, plusieurs actes ou méthodes partiels qui joueront leur rôle dans sa constitution intégrale. Cette assomption d’instruments, de disciplines et de méthodes auxiliaires se fera en théologie, plus particulièrement, à deux moments : quand elle recueille son donné et quand elle pousse l’application de ses principes dans les différents domaines de l’activité proprement religieuse. C’est pourquoi deux auteurs récents, qui se rattachent à la tradition thomiste, G. Rabeau et J. Brinktrine, ont distribué les parties auxiliaires de la théologie selon ces deux moments : la préparation et l’application <>u exécution du travail de la théologie.

Voici comment G. Rabeau résume sa pensée, Inlrod. à l’étude de la théol., p. 235 :

  • Sciences instrumentales préparatoires :
    • Philologie sacrée
      • Langues sacrées
      • Archéologie
    • Histoire sacrée
      • de la Révélation
      • de l’Eglise
    • Théologie biblique et histoire des dogmes
      • Théologie spéculative
  • Sciences instrumentales exécutoires :
    • Dans la vie en général Droit canon
    • dans le culte Liturgie
    • dans l’enseignement Théologis pastorale 49J THÉOLOGIE ET AUTRES SCIENCES 496

Et voici comment J. Brinktrine schématise sa division, Zur Einteilung der Théologie und zur Gruppierung der einzelnen Disziplinen, dans Théologie und Glaube, 1934, p. 569-575 et dans Ofjenbarung und Kirche. Fundamenlal-lheologische Vorlesungen, t. i, Paderborn, 1938, p. 26 :


Rubricistique
Catéchistique
Homilétique
Droit canonique
Théologie pastorale
^ ^ ^ ^ ^
I I I I I
Eglise
^
I
Théol. mystique <-Dons du S.-E.
^
I
Péchés --> Théol. casuistique
^
I
Théol. liturgique <-- Religion
^
I
Vertus --> Théol. ascétique
^
I
Théologie
dogmatique
morale
fondamentale'
^ ^
I I

Théol. historique --> <--Théol. biblique

(l’ordre logique de lecture est de bas en haut)

Nous ne nous attarderons pas ici à définir chacune des disciplines particulières qui interviennent en théologie, non plus que chacune des parties de la science théologique. Voir l’exposé très compétent de G. Rabeau, op. cit., p. 231-327 et ici, aux mots : Apologétique, Archéologie chrétienne, Ascétique, Casuistique, Catéchisme, Dogmatique, Droit canonique, Exégèse, Fondamentale, Interprétation de l’Écriture, Liturgie, Morale, Mystique, Pères (t.xii, col. 1199 sq., sur Patristique, Patrologie, etc.), Philosophie, etc. Nous préférons donner rapidement, d’un point de vue spéculatif, un classement des parties de la théologie.

On peut distinguer un tout du point de vue de ses parties intégrantes ou du point de vue de ses parties potentielles.

Les parties intégrantes sont celles qui font l’intégrité du tout, comme les membres font celle du corps. À cet égard, les parties de la théologie sont :
1. du point de vue de sa méthode ou de sou objet formel quo, les deux actes qui intègrent son travail, à savoir l’auditus fldei porté à un état rationnel et scientifique dans sa fonction positive, et Y intellectus fldei porté à son état rationnel et scientifique dans sa fonction spéculative. —
2. Du point de vue de sa matière ou de son objet formel quod, les différents traités par lesquels elle considère son objet selon tous ses aspects : De Deo uno, de Deo trino, de Deo créante, etc. Ce sont aussi les différentes disciplines par lesquelles la théologie prend toute son extension pratique et qui ne sont qu’un développement de certains éléments étudiés dans les différents traités, comme on le voit bien dans le tableau de J. Brinktrine reproduit plus haut : ascétique, pastorale, etc.

Les parties potentielles sont celles en qui le tout est présent selon toute son essence, mais ne réalise pas toute sa vertu ; partie et tout son pris ici dans l’ordre d’une virtus qui se distribue inégalement en diverses fonctions : ainsi les diverses puissances de l’àme, intelligence et volonté, ou, dans la théologie de saint Thomas, les vertus qui considèrent un aspect secondaire dans l’objet d’une autre vertu, comme la religion ou la piété, par rapport à la justice. On pourrait donc, considérer comme parties potentielles de la théologie les usages différents et inégaux qui y sont fails de la raison théologique, c’est-à-dire de la raison habitée, éclairée et positivement dirigée par la foi. C’est pourquoi le P. Gardeil faisait de l’apologétique une partie potentielle de la théologie, ordonnée à un aspect secondaire de l’obiet de celle-ci, la crédibilité naturelle, et n’usant pour se fonder que des ressources de la raison critique de laquelle relève cette créoibililé naturelle. Revue d*.s sciences philos, et théol., 1920, p. 652. Mois, si l’on considérait l’apologétique comme un traité spécial étudiant Dieu révélant, comme un De revelalione, on la rangerait à cet égard parmi les parties intégrantes, et c’est ce que fait le P. Garrigou-Lagrange, De rcuclatione, t. i. p. 66. Peut-être pourrait-on de même considérer comme des parties potentielles ces disciplines instrumentales auxiliaires que G. Rabeau appelle « sciences préparatoires » : l’exégèse, l’histoire des dogmes et des institutions, la philologie sacrée, etc. Non pas que ces sciences ou parties de sciences, considérées en elles-mêmes, soient proprement de la théologie : l’histoire des dogmes est formellement de l’histoire et la philologie sacrée de la philologie ; mais, si l’on considère ces disciplines dans l’usage qu’en fait la théologie et en tant qu’elles se subordonnent à elle et obéissent à sa direction pour le service de sa fin. alors elles deviennent comme des appartenances de la théologie : elles peuvent alors être considérées comme se trouvant dans une situation semblable à celle de l’apologétique, discipline où la raison théologique ne se produit que selon une partie de sa vertu, n’usant que de ressources purement rationnelles, mais sous la direction de la foi, et atteignant l’objet de la théologie selon quelque aspect secondaire de celui-ci. Car c’est bien l’objet sacré, en tant que se trouvant dans telle ou telle condition semblable aux conditions des documents historiques, que ces disciplines considèrent, et cela les fait relever de la théologie à un litre spécial. À ce compte, les sciences auxiliaires préparatoires, telles que l’exégèse, l’histoire des doctrines et des institutions, etc., pourraient être envisagées comme des parties potentielles de la théologie ; mais on pourrait aussi les considérer comme des sciences indépendantes dont la théologie utilise les services, comme elle le fait aussi de la philosophie.

G. Rabeau, Introduction à l’étude de la théologie, Paris, 1926, III* partie ; J. Bilz, Ein/uhrung in die Théologie, Fribourg-en-B., 1935, p. 49-63 ; J. Brinktrine, Zur Einteilung der Théologie und zur Gruppierung der einzelnen Disziplinen, dans Théologie und Glaube, 1934, p. 569-575 ; Zur Einteilung und zur Stellung der Lilurgik innerhalb der Théologie, ibid., 1936, p. 588-599 ; Welches ist die Aufgabe und die Slellung der Apologelik innerhalb der Theulogie ? ibid., 1937, p. 314 sq. — Sur l’apologétique, cf. aussi supra, col. 430 et A. de Poulpiquet. Apologétique et théologie, dnns Revue des sciences philos, et théol., t. v, 1911, p. 7U8-734 ; supra, art. Dogmatique, t. iv, col. 1522 ; Dict. apologét., 1. 1, col. 244-247.

VI. La théologie et les autres sciences. —

Nous ne ferons ici que proposer très brièvement quelques conclusions concernant le rapport de la théologie non plus avec ses propres parties, mais avec les sciences profanes.

Distinction de la théologie d’avec les sciences qui, au moins partiellement, ont même objet matériel qu’elle. —

La théologie est distincte :
1. De ta philosophie, même en la partie de celle-ci qui traite de Dieu ; saint Thomas, Sum. theol., I », q. i, a. 1, ad 2um ; Denzinger, n. 1795.

2. De la psychologie religieuse, d’une analyse ou d’une description de l’expérience religieuse, car la théologie est l’élaboration intellectuelle scientifique des enseignements de la Révélation objective ; Révélation à laquelle fait bien face, dans les fidèles, la grâce 497 THÉOLOGIE ET AUTRES SCIENCES 498

intérieure de la foi, mais qui est essentiellement constituée en son contenu par un donné objectif dont la conservation, la proposition et l’interprétation relèvent d’un magistère hiérarchique prolongeant celui des apôtres. La théologie catholique est tout autre chose que cette description de l’expérience religieuse en termes intellectuels que le libéralisme protestant donnait pour tâche à la dogmatique, cf. ici, Expérience religieuse, t. y, col. 1786 sq.

3. De l’histoire des dogmes, et ceci pour les mêmes raisons. Si la théologie se nourrit, par sa fonction positive, de ce qui a été pensé dans l’Église, elle ne s’identifie pas plus avec l’histoire de cette pensée que la philosophie ne s’identifie avec l’histoire des idées ; elle est une contemplation rationnelle d’un donné, non l’histoire des idées religieuses.

4. De la science des religions et de la philosophie de la religion. On distingue assez généralement la science des religions ou histoire des religions, qui s’attache à décrire en leur genèse, leurs formes, leur contenu et leur développement les différentes religions, à l’aide des ressources de la méthode historique ; la psychologie religieuse, qui a pour objet les diverses manifestations du fait religieux dans les individus et dans les groupes, et pour méthode celle de la psychologie ; enfin la philosophie de la religion, qui étudie l’essence de la religion, les bases du fait religieux dans la nature de l’homme, les critères rationnels de vérité en matière de religion. L’ensemble de ces trois disciplines forme ce qu’on appelle en Allemagne la Religionswissenschaft. La théologie ne peut être assimilée à ces sciences ni par son objet, qui est le mystère de Dieu tel qu’il est connu dans la Révélation judéo-chrétienne proposée par l’Église, ni par sa méthode, qui n’est nullement d’enquête et d’explication historiques ou psychologiques, non plus que de démonstration philosophique, mais qui met en œuvre des ressources de la raison historique et philosophique à l’intérieur d’une foi s’adressant à une Révélation, sous la direction positive et constante de cette foi.

Principes généraux concernant les rapports de la théologie et des sciences profanes.

Les principaux textes du magistère sur cette question ont été apportés ici, art. Dogmatique, t. iv, col. 1529 sq. Sur les rapports de la philosophie et de la théologie, on se reportera surtout à l’encyclique Aeterni Patris du 4 août 1879. On peut formuler en trois énoncés la pensée de l’Église en cette matière :

1. entre la foi et donc ultérieurement la théologie, d’une part, les sciences qui sont vraiment telles d’autre part, il ne peut y avoir de contradiction réelle, cf. Denz., n. 1797 sq., 1878 sq.

2. Les sciences ont, en face de la foi et de la théologie, leur objet propre et leur méthode propre, et donc une autonomie épistémologique. Denz., n. 1670, 1674, 1799. —

3. La théologie, science de la foi, est cependant, de soi, supérieure à toutes les autres sciences en lumière et en certitude. Denz., n. 1656, 2085, etc.

Ce que ta théologie est pour les sciences. —

On a déjà Indiqué plus haut, col. 186, que la théologie, comme sagesse suprême, était le couronnement de toutes les sciences et devrait être le principe d’un ordre chrétien de la culture et du savoir. Comme sa suprême, la théologie domine et juge les sciences. Elle utilise leurs services pour son propre but, comme nous l’avons déjà remarqué, et elle a à l’égard de toutes, un certain rôle de critère, rôle qui peut s’exprimer ainsi : la théologie ne prouve pas les conclusions des autres sciences mais, dans la mesure on des conclusions l’intéressent elle même, elle les approuve ou les désapprouve, et ainsi intervient dans leur travail.

1. La théologie ne prouve pas les conclusion des autres sciences ; elle leur laisse l’autonomie de leurs démarches propres ; son intervention à leur égard n’est pas intrinsèque, concernant leur travail interne de recherche et de preuve ; elle ne change pas intrinsèquement et dans sa substance leur régime épistémologique : et ceci est vrai non seulement des sciences physiques ou mathématiques, mais des sciences philosophiques ou historiques que la théologie emploie immédiatement à son service. Même alors, en effet, la valeur, la certitude et l’évidence des données historiques ou philosophiques employées restent intrinsèquement ce qu’elles sont dans leur science respective, selon les critères propres de cette science.

2. Elle intervient de l’extérieur dans leur travail. — La théologie étant, en face des sciences, d’une vérité plus haute et plus certaine, le rapport de conformité ou de répugnance que les énoncés des sciences auront à l’égard de ceux de la théologie, rapport qui s’exprimera, le cas échéant, dans l’approbation ou la désapprobation que celle-ci leur témoignera, interviendra du dehors dans le travail des sciences et pourra ainsi le régir, le changer et, dans l’hypothèse favorable, en augmenter même la certitude. Soit par exemple la théorie cartésienne de la matière identifiée à la substance-étendue. Cette théorie se heurte aux énoncés de la foi et de la théologie concernant les espèces eucharistiques (noter que si la théologie parle d’ « accidents », le dogme, lui, évite ce mot philosophique). Il se passe alors ce que saint Thomas énonce ainsi : Ad (sacram) scientiam non pertinel probare principia atiarum scientiarum, sed solum judicare de eis : quidquid enim in aliis scientiis invenitur veritali hujus scienliæ répugnons, totum condemnatur ut /alsum. Sum. theol., I », q. i, a. 6, ad 2um. La théorie de la substance-étendue sera jugée et désapprouvée par la théologie et ainsi sera condamnée aux yeux du philosophe croyant. Si celui-ci l’avait tenue jusqu’alors pour certaines raisons philosophiques, il remettra en question ses raisons et ses évidences ; il cherchera une autre voie, par des moyens proprement philosophiques et ainsi la théologie, sans intervenir dans la trame interne de sa pensée, sans modifier intrinsèquement le régime épistémologique de sa discipline, représente pour le savant un critère extrinsèque, une norme négative. Son intervention est, pour le savant comme pour la science de celui-ci, un bienfait, car elle leur évite des erreurs, des fausses voies, elle les garantit contre l’illusion et les libère du mensonge ; cf. Denz, , n. 1656, 1674, 1681, 1714, 1799, 2085. Les documents officiels sont à cet égard soucieux d’exclure la distinction que certains faisaient entre le philosophe et la philosophie et d’affirmer la souveraineté de la théologie non seulement sur le premier, mais sur la seconde. Denz., n. 1674, 1682, 1710.

Soit maintenant une théorie philosophique, comme celle de la subsistence, que la théologie emploie au coeur même de ses traités les plus importants, dans la construction intellectuelle des mystères de la Trinité et de l’incarnation. L’utilisant dans les conditions que l’on a dit plus haut être celles des principes de raison dans le travail théologique, la science sacrée approuve la théorie de la subsistence ; elle ne la transforme pas intrinsèquement ou épistémologiquement, et cette théorie restera, en philosophie, ce qu’elle était auparavant, valant ce que valent les raisons qui la fondent ; mais elle recevra, aux yeux du philosophe croyant ou du philosophe théologien, une plus-value extrinsèque de certitude du fait de son approbation par la science de la foi qui, pour ainsi dire, l’homologue et la garantit. C’est pourquoi, dans de nombreux documents et en particulier dans l’encyclique Aeterni Patris, le magistère ecclésiastique a souligné, au delà d’une défense et d’une protection contre l’erreur, le bénéfice positif de certitude que la raison philosopbi 499 THÉOLOGIE 500

que retire de sa subordination à la foi par la théologie, cf. Denz., 1799, où le concile du Vatican dit de la foi que rationem multiplici cognitione instruit.

C’est le fait de ce bénéfice reçu par la philosophie du contact qu’elle a avec la théologie qui a porté M. Gilson, puis M. Maritain et ceux qui les ont suivis, à parler de « philosophie chrétienne ». En Allemagne, vers le même temps, d’une manière peut-être moins

« formelle », on parlait de sciences et de philosophie

catholiques, cf. infra, bibliographie. Dans un sens un peu différent, M. Blondel avait, depuis quelque temps, parlé de « philosophie catholique ». Un certain nombre de théologiens se sont montrés rebelles à cette nouvelle catégorie de philosophie chrétienne, voulant avant tout maintenir la distinction entre la théologie et la philosophie, prise de leur objet formel ou de leur lumière, aux termes de quoi toute pensée réglée par la foi ou dépendante de la foi serait théologie, toute valeur rationnelle, dùt-elle son origine au christianisme, ne pouvant recevoir aucune qualification intrinsèque autre que celle de philosophique. Cette opposition souligne bien que, au point de vue des définitions essentielles et des motifs formels qui en sont le principe, il n’y a pas de tertium quid entre la philosophie et la théologie. Mais, ceci accordé, il paraît légitime de se placer au point de vue de la genèse, de l’histoire, des conditions d’exercice et de l’état concret des formes historiques de la pensée. Alors il semble bien qu’il y ait une pensée inspirée ou suscitée par la foi, mais de contexture épistémologique comme de valeur purement philosophiques, que la raison développe et poursuit par ses propres moyens et pour sa propre fin, laquelle est le vrai pur et simple. Historiquement, ce développement des notions philosophiques grâce à la foi chrétienne s’est souvent opéré par la recherche de l’intellectus fidei, de l’intelligibilité de la foi, c’est-à-dire par l’effort proprement théologique. Inversement il est arrivé aussi chez un saint Augustin par exemple, que l’enrichissement philosophique ait été obtenu hors d’une référence directe à l’intellectus fidei, dans une véritable contemplation philosophique poursuivie pour elle-même et par les voies propres de la raison, mais dont le donné de la foi avait été l’occasion, le christianisme exerçant ici l’une de ses vertus qui est de rendre l’homme à lui-même et à la raison son propre bien de raison. Ouverte par la foi, la méditation philosophique se développe dès lors selon ses propres exigences. En sorte que, par ces deux voies, celle des besoins rationnels de la contemplation théologique, celle des possibilités rendues par la foi à la contemplation philosophique elle-même, il s’est développé, tout au long de l’histoire chrétienne, un savoir qui, purement philosophique au point de vue de son objet, de ses démarches, de sa trame épistémologique, n’en doit pas moins être qualifié de chrétien au point de vue de tout ce qui l’a rendu concrètement possible : choc initiateur ou point de départ, conditions et soutiens de la réflexion.

Ce que les sciences sont pour la théologie.

Les sciences sont pour la théologie des auxiliaires nécessaires, puisqu’elles lui fournissent cet apport rationnel sans lequel celle-ci ne pourrait se constituer pleinement. Ce que nous avons vu plus haut des conditions de cet apport justifie, au sens qui a déjà été expliqué, l’appellation de « servantes de la théologie » qui a été traditionnellement donné aux sciences. Toutefois, dans la mesure où les sciences n’apportent pas seulement à la théologie des illustrations extrinsèques ou de simples préparations subjectives, mais où elles lui fournissent véritablement un donné entrant dans l’élaboration de son objet, elles influencent sa constitution, son orientation, son progrès. Non que la théologie devienne ainsi subordonnée ou subalternée aux sciences : elle ne reçoit d’elles que ce qu’elle admet comme conforme à ses principes et convenable a son but. Mais la théologie se règle et se développe elle-même en faisant usage de sciences qui ont leurs accroissements et leur développement propres ; et ainsi le progrès de la science sacrée est-il en quelque manière fonction de l’état des sciences. Il est clair que le développement de la psychologie ou de la sociologie pourra, dans une certaine mesure, modifier celui de la théologie en certaines de ses parties, comme le développement de la métaphysique au XIIIe siècle, celui de l’histoire au XVIIe et celui des sciences bibliques au XIXe ont déjà pu influer sur son développement dans le passé.

Certains ont, dans cette perspective, préconisé un renouvellement de la théologie, soit en sa méthode, soit en quelqu’une de ses parties, comme le traité de l’eucharistie, par l’assomption en elle de techniques de pensées nouvelles, comme la logistique, ou de données scientifiques nouvelles, par exemple en physique et en chimie, cf. infra. bibliographie. L’idée n’est pas fausse a priori et au plan des raisons de principe ; structuralement, méthodologiquement, rien ne s’oppose à ce qu’elle porte fruit ; c’est une question d’espèce et il est bien clair qu’on ne s’engagera pas dans cette voie à la légère, sans une très sérieuse mise à l’épreuve des ferments nouveaux qu’il s’agirait d’assimiler. Pour ce qui est des cas concrètement proposés, il ne semble pas qu’on se trouve en présence de disciplines suffisamment mûres ou d’une valeur, d’une portée, d’une fécondité suffisamment indiscutables.

C’est sans doute du progrès des études bibliques et historiques, de celles qui intéressent la prise de possession exacte et riche de son donné, que la théologie serait présentement en droit d’attendre le plus pour son renouvellement ou son progrès.

L’histoire des rapports de la théologie avec les sciences a été écrite, dans un esprit prévenu, par A. While, A history o/ Ihe W are f are of Science ivilli Theologq in Christendom, New-York, 1903, qui s’attache à montrer que la théologie s’est toujours montrée hostile à la science.

Sur les rapports entre théologie et sciences en général : Petau, Theol. dogmata, proleg., c. m-v ; J. Kleutgen, Die Théologie der Vorzeil, t. v, 2e éd., Munster, 1874, p. 293333 ; J. Didiot, Logique surnaturelle subjective, théor. lxiilxv, 2’éd., 1894, p. 275-318 : H. Hedde, Relations des sciences profanes avec la philosophie et la théologie, dans Revue thomiste, janvier 1904, p. 650-G66 et mai 1904, p. 187-206 ; J. Bilz, Einfiihrung in die Théologie, 1933, p. 80-95 ; B. Baudoux, Philosophia ancilla theoloyiæ, dans Antonianum, 1937, p. 293-326.

Sur la distinction entre la théologie, l’apologétique et toute philosophie de la religion, on aura profil à lire les articles du pasteur L. Dallière, Examen de l’idéalisme, dans Études théolog. et relig., 1931 ; de même, sur les rapports de la théologie et de la psychologie ou de la philosophie de la religion, l’article de D.-S. Adam dans l’Encyclopsedia of Religion and Ethics de J. Hastings, t.xii, 1921, p. 293 sq. ; B. Heigl, Religionsgeschichtliche Méthode und Théologie, Munster, 1926.

Sur la « Philosophie chrétienne », on trouvera une bibliographie complète et critiquement analysée dans La philosophie chrétienne. Journée d’études de la Société thomiste, t. II, Juvisy, 1934, puis, pour la suite du débat, dans le Bulletin thomiste, octobre 1934, p. 311-318, et juillet 1937, p. 230-255. Les ouvrages essentiels sont É. Gilson, L’esprit de la philosophie médiévale, 2 vol., Paris, 1932 ; Christianisme et philosophie, Paris, 1936 ; J. Maritain, De la philosophie chrétienne, Paris, 1933.

Études préconisant une application nouvelle de sciences modernes à la théologie. Pour la logistique : La pensée catholique et la logique moderne (Congres polonais de philosophie), Cracovie, 1937 ; H. Scholz, Die mathematische Logik und die Metaphysik, dans Philos. Jalirbuch, 1938, p. 257291. — Pour les théories physiques et chimiques : A. Mitterei, Dos liingen der alten StofJ-Form-Metaphysik mit der heutigen Stoff-Phystk, [nspruck, 1935 ; Wesensarlwcuidel und Artensyslem der physikalischen Kôrperivelt, Bicssanone, 1936 ; Profanuiissenschafl als thlfswissenschajt der Théologie, dans Zeitsch. f. kathol. Theol., 1936, p. 241-244 ; J. Tennis, Dogmaiische Phqsik » in der Lelire vom Allarsakrament ? dans Stimmen der Zeit, juillet 1937, p. 220 sq. ; Fr. Unterkircher, Zu einigen Problemen der Eucliaristielehre, Inspruck, 1938. Le philosophe et apologiste catholique K. Isenkrahe († 1921) a donné le titre de Experimentelle Théologie à un ouvrage publié en 1919, oii il cherche, en usant des ressources des sciences exactes, à fournir des preuves mathématiques et scientifiques de l’existence de Dieu et à traiter des faits préternaturels.

Bibliographie générale. — La bibliographie, arrêtée en mars 1939, a été indiquée à mesure, selon les époques et les sujets. On se contente donc ici de quelques indications, par mode de rappel ou de complément. D’autre part, les histoires générales de la théologie, rares d’ailleurs, ne se placent guère au point de vue méthodologique. Hurter, Somencliitor literarius, est une histoire presque purement littéraire. Il y a à prendre dans les très érudits travaux de K. Wcmer, Geschichte der apologetischen und polemlschen Literatur der christlichen Théologie, 5 vol., Schaflouse, 18611867 ; Thomas von Aquin, 3 vol., Ratisbonne, 1838 ; Die Scholaslik des spdleren Mitlelalters, 5 vol., Vienne, 18811887 ; Franz Suarez und die Scholaslik der Irtzten Jahrhunderte, Ratisbonne, 1861 ; Geschiciile der katholischen Théologie Deutschlan<ls seit dem Trienler Conzil, Munich, 1866. De même dans J. Kleutgen, Die Théologie der Vorzeit, t. iv, 2’éd., Munster, 1873, qui contient, plus encore qu’une histoire, une défense et illustration de la scolastique ; de même encore dans l’esquisse historique que donne Scheeben à la fin du t. i de sa Dogmatique. M. Grabmann, Geschichte der katholischen Théologie seil dem Ausgang der Vàlerzeit, Fribourg-en-B. , 1933, n’est guère qu’une nomenclature, dont les classements et les appréciations procèdent souvent de Scheeben ; mais la Geschiciile der scholastichen Méthode du même auteur, 2 vol., 1913, est une mine précieuse pour l’histoire de la notion et de la méthode de la théologie. — Les articles de M. R. Draguet, Méthodes théologiques d’hier et d’aujourd’hui, dans lieuue cathol. des idées et des faits, 10 janvier, 7 février et 14 février 1936, bien que dépouillés de toute référence documentaire, présentent une vue d’ensemble fort suggestive des phases historiques de la méthode théologique, surtout dans son rapport au donné.

Sur les rapports de la raison et de la foi au Moyen Age, question qui déborde celle de la théologie et lui est en somme préalable : G. Brunhes, La foi chrétienne et la philosophie au temps de la Renaissance carolingienne, l’aris, 1903 ; Th. HeitZ, Essai historique sur les rapports de lu philosophie il de lu loi de Bérenger de Tours à suint Thomas d’Aquin, Paris, 1909 ; J.-M, Verweycn, Philosophie und Théologie un MUtelalter, Bonn, 191 1 ; E. Baudin, Les rupporls de la raison elde la fol, du Moyen Age à nos jours, dan - Revue des sciences relig., t. iii, 1923, p. 233-255, 328-357, 508-537 ; M. Grabmann, De quæstione l : trum oliquid possit esse si/nul creditum et seiium inler scholas augustinismi ei aristotelico-thomismt Me, m h : » ! agilata, dans Acla hebdom. augustinianee-tliamlsticm, lui iii, 1931, ». 110-137 ; W. Betzendôrfer, Glauben umt Wlssen bei dm grossen Denkern des Mitlelalters, Gotha, 1931 ; A.-.I. Macdonald, Authority and Reason in the rarlq MlddU Ages (Hulsean Lectures 1931-1932), Oxford. 1933.

Études sur la notion de théologie n’ayant pas figuré dans les bibliographies ou ayant été peu citées au cours de l’article :

  • N.-.J. Laforêt, Disserlalto historico-dogmatica de methodo

theologlm, Louvain, 1819 ;

  • H. Kilber, Principia theologica

(Theologia Wirceburgensis, t. 1), l’aris, 1852 ;

  • Bourfpiard,
  • LN’.nt.sur la méthode dans les sciences théologiques,

. 1860 ;

  • .1. Kleutgen, Die Théologie der’orzeil, 2’éd.,

Munster, 5 vol., 1867-1874, el un vol. de Beilagen : défense de li scolastique conl ro l termes, Gunlher et Herscber ; les t. i-iii représentent une sorte de-cou ; - de théologie, 1rs 1. iv et v une histoire de la théologie et un expose <| (. | a notion de théologie h « le so méthode ; Cl. Schrader, /v theologia generatim, Poitiers, IS7I ; C. von Schazler, Inlroducllo In 1. Theologiam dogmaticam, éd. Th. lisser, 1882 ; ’.. Kiini, Eragklopiidie und w der Théologie,

1892. I lopûdie der theologischen Wissenschaf l’ii. 1899 ; 1. B. Ha mg, Einjùhrung in dus Studium der 1911 ; leme ne, l>u. Ishraml der katholischen 1926 ; li. Martin, Principes de lu théologie tt lieux théologiqui thomi te, 1912, p. l’i’i

K. Zn-.< hé, 1 h. r ;.., dei boi ii, 1919 ;

li, Avuiamrnto alla studio délie scieme Uni’.() ; St. Szydol 1-1. Prolegomena m theologlm crain, Léopol, 2 vol., 1920 sq. ; Einfùhrung in dus Studium

der katholischen Théologie, hrsg. von der Munchener theolog. Fakultât, 1921 ; M. d’Herbigny, La théologie du révélé, 1921 ; G. Rabeau, Introduction à l’élude de la théologie, Paris, 1926 ; J. Engert, Sludien zur theologischen Erkennlnislehre, Ratisbonne, 1926 ; B. Baur, Um Wesen und Weisen der Théologie, dans Benediktin. Monatschri/t, t. ix, 1927, p. 187-189 ; J.-Chr. Gspann, Einjùhrung in die katholische Dogmatik, Ratisbonne, 1928 ; A. -M. Pirotta, De mcihodologia théologie ? scholaslicæ, dans Ephem. theol. Lovan., t. vi, 1929, p. 405438 ; Humilis a Genua, De theologia : objecto scholastica disquisitio, dans Estudis Eranciscans, t. xli, 1929, p. 447-458 ; De sacræ theologiæ scienti/ica natura, ibid., t. XI.il, 1930, p. 165-180 ; Eslne sacra theologia speculativa an praclica ? ibid., t. xliii, 1931, p. 151-168 ; F. Brunstâd, Théologie als Problem, Rostok, 1930 ; F. Canetti, La propedeutica alla s. Teologia, Bologne, 1931 ; G. Sôhngen, Die katholische Théologie als Wissenschaft und Weisheit, dans Calholica, 1. 1, 1932, ]>. 49-69, 126-14.") ; A. Janssens, Inleiding lot de Théologie, Anvers, 1934 ; J. Bilz, Einjùhrung in die Théologie, Fribourg-en-B., 1935. — On ajoutera les articles Théologie dos différents dictionnaires : Kirchenle.xikon ; Realencyklopàdie f. protest. Theol. ; Dict. de théologie de Bergier, de Goschler ; Lexikon jùr Théologie und Kirche ; Die Religion in Geschiciile und Gegenwart (protestant, dans le t. v de la 2° éd., ce qui concerne la théologie catholique est rédigé, col. 1124-1128, par J. Koch), etc.

Les livres ou études les meilleurs sur l’objet et la méthode de la théologie restent, outre les grands classiques, de saint Thomas à Scheeben : C. von Schazler, Introductio in sacrant theologiam ; A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910 ; M.-D. Chenu, Position de la théologie, dans Revue des sciences philos, et Ihéol., t. xxiv, 1935, p. 232-257 ; R. Gagnebet, La nature de la théologie spéculative, dans Revue thomiste, 1938, p. 1-39 et 213-255 ; P. Wyser, Théologie als Wissenschaft, Salzbourg et Leipzig, 1938.

M.-J. CONGAR.


THÉOLOGIE DITE DE CHALONS, œuvre du séculier Louis Habert, voir t. vi, col. 20132016, un des manuels les plus considérables que le commencement du xviiie siècle vit surgir, mais que ses tendances jansénistes firent beaucoup discuter. Il fut supplanté par Tournely.

A. Degert, Histoire des séminaires français jusqu’à la Révolution, l’aris, 1912, t. 11, p. 213-250.


THÉOLOGIE DITE DE CLERMONT, appellation d’origine sous laquelle fui bientôt et reste encore usuellement désigné un manuel qui tint une place impoit ante, pendant la seconde moitié du xixe siècle, dans l’enseignement des séminaires tant en France qu’à l’étranger.

Sous sa forme primitive, il est dû au sulpicien Arsène Vincent (1813-1809) — qui avait déjà publié un Tractalus de ocra reliyione, Paris, 1858, puis un Traclalus de veraEcclesia Christi, Paris, 1802 — et s’intitulait Compendium universte theologiæ, Lyon et Paris, 1807-1869, 6 vol. ln-12. Écrivant pro juiuoribus clcricis, l’auteur s’y préoccupe surtout de logique et de simplicité. Il avoue n’avoir pas craint de faire à ses devant lera des emprunts qui vont parfois Jusqu’à la transcription de verbo ad verbum, t. 1, p. vin ; mais il revendique le mérite de la nouveauté (ibid.. p. vi H) pour une notice relative aux opérations de Hourse et pour la création d’un Irait é spécial De beata Virgine.

Devenu la propriété du grand séminaire de Cler mont-Ferrand, ce premier Compendium allait être

isivement retouché par les professeurs tic la

maison, lue 2’édition en fui préparée (1875) par Auguste Thibaut (18 Ht 1895) pour le dogme, avec le

coin ours, pour la morale de Nicolas Déjardins (1806 1889). qui l’enrichit d’un Supplementum ad tractahu de habilibua, de pracceplis Decalogi ri de surmmento matrimonii. A partir de la.’S' (1882 1883), où l’ouvrage fut désormais Intitulé Theologia dogmalica et morallt, deux nouveaux collaborateurs prennent part à l’œuvre commune, le pu miet poui la têt le ! " mat Iqu second pour la partie morale, savoir les frères J