Dictionnaire de théologie catholique/TRINITÉ, LA THÉOLOGIE LATINE

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 86-150).

II. LA THÉOLOGIE LATINE DU VIe AU XXe SIÈCLE.

La théologie de la Trinité a déjà été étudiée sous divers aspects, chez les théologiens latins. Voir
Abstraits (Termes), t. i, col. 283-284 ; Ad intra, Ad extra, ibid., col. 398 ;
Appropriations aux personnes de la Trinité, ibid., col. 1708 sq. ;
Circumincession, t. ii, col. 2527 sq. ;
Consubstantiel, t. iii, col. 1604 sq. ;
Esprit-Saint, t. v, col. 759761 ;
Esprit-Saint (La procession de l'), ibid., col. 809812 ; 814-819, avec la bibliographie, col. 824-829 ;
Filioque, ibid., col. 2309 sq. ;
Fils de Dieu, ibid, col. 2467-2476 ;
Hypostase, t. vii, col. 407-437 ;
Noms divins, t. xi, col. 790-793 ;
Notion, ibid., col. 802-805 ;
Père, t. xii, col. 1188-1192 ;
Processions divines, t.xii, col. 645 sq. ;
Relations divines, ibid., col. 2135 sq. ;
sans compter les nombreuses monographies d’auteurs, d’hérésies ou d’écoles dont on trouve des échos dans l’étude précédente et dans la présente étude.

Les problèmes trinitaires seront rappelés ici, autant que possible, suivant leur enchaînement historique. La troisième et la quatrième partie cependant seront parallèles, l’une se référant aux erreurs, l’autre à la doctrine catholique.
I. De Boèce au IVe concile du Latran.
II. La grande scolastique et les controverses aboutissant au concile de Florence (col. 1730).
III. La crise protestante et ses répercussions dans la théologie catholique : concile du Vatican et encyclique Pascendi (col. 1766).
IV. Synthèse théologique de la Renaissance à nos jours (col. 1802).
V. Appendice : le culte de la Trinité (col. 1824).

I. De Boèce au IVe concile du Latran.

I. DE BOÈCE A LA FIN DE L’ÉPOQUE CAROLINGIENNE.

Boèce est le père de la scolastique. Ses cinq opuscules théologiques montrent bien comment la foi peut utiliser la raison dans l’exposé du dogme. Son influence fut considérable. Voir Scolastique, t. xiv, col. 1695-1696. Sans doute, la croyance chrétienne à la Trinité était depuis longtemps fixée, jusque dans les formules dogmatiques ; mais, pour réprimer les derniers sursauts de l’hérésie ou satisfaire la curiosité des penseurs, l’Église fut amenée à plusieurs reprises, à y apporter d’ultimes précisions.

Le dogme trinitaire avant l’époque carolingienne.

1. Les Pères.

a) Du vie au ixe siècle, les Pères sont, assez sobres sur le problème trinitaire. On peut cependant citer, à propos de l’affaire des Trois-Chapitres, Facundus d’Hermiane, Epistola catholiese fidei in defensione trium capitulorum, P. L., t. 1.xvii, col. 807 sq. ; ou encore Fulgence Ferrand, dans sa correspondance, Epist., iii, iv, v, ibid., col. 889, 908, 910. Cassiodore, à maintes reprises et parfois en quelques mots, souligne la foi catholique en la Trinité dans son commentaire sur le psautier, præfatio, c. xvii, P, L. t. lxx, col. 23 ; ps. ii, 17, col. 39 AB. ; ps. v, 2, 54 B ; ps. xvii. 33, col. 135D ; ps. xxix, 8, col. 201 BC ; ps. l. 13, col. 366 D-367 D (exposé assez complet avec. rappel de l’image augustinienne de la Trinité dans l’âme : substance, intelligence, vie) ; ps. lxxx, 14, col. 592 A ; ps. xi, 6, col. 98 CD (circumincession) ; ps. lvi, 4, col. 401 D (unité d’opération ad extra) ; cf. ps. cvi, 46, col. 765 D ; ps. cxxxi, 2, col. 947 CD et ps. cxxxii, 18, col. 955 D ; ps. cxxxv, concl. col. 967 (égalité dans l’adoration). La consubstantialité est indiquée au ps. lv, 9, col. 398 AD.

La collection canonique de Denys le Petit doit être mentionnée parce qu’elle acclimate les canons des conciles et les décisions des papes ; le dogme de la Trinité y trouve sa place marquée.

UHistoire des Francs de saint Grégoire de Tours débute par une profession de foi en la Trinité. P. L., t. lxxi, col. 161 B-162 A ; cꝟ. t. III, n. 31, col. 264 B. Son récit contient un certain nombre de professions de foi et de miracles attestant cette vérité. Cꝟ. t. II, n. 3, col. 195 B ; t. VI, n. 40, col. 406 C ; t. IX, n. 15, col. 493 B ; t. V, n. 44, col. 358 BC. Voir aussi Miraculorum libri, t. I, c. xiii, col. 718 BC ; c. lxxxi, col. 777-778, etc.

A cette époque (vie et vir 3 siècles), la foi au mystère de la Trinité était, à coup sûr, considérée comme le fondement de la vie chrétienne. Les « sermons » de saint Colomban ont pour point de départ une instruction De Deo uno et trino, P. L., t. lxxx, col. 229 sq. Boniface V exhorte le roi Edwin d’Angleterre à révérer avant tout « ce Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, qui est l’indivisible Trinité ». Epist., ii, ibid., col. 437 A. Le roi Dagobcrt I er invoque fréquemment la Trinité au début de ses diplômes. Ibid., col. 499 sq., passim. Voir aussi ceux de Dagobert II, ibid., col. 1301 sq. On constate la même formule initiale dans les chartes des donations aux vu » et viiie siècles. Ibid., col. 1077 sq. Les homélies attribuées à saint Éloi, évêque de Noyon, se terminent presque toutes par la doxologie trinitaire. Ibid., col. 593 sq. Une lettre, écrite en 679 par Damien de Pavie à l’empereur Constantin et à laquelle quelques manuscrits donnent le titre de De flde catholica, expose la croyance trinitaire et christologique de l’Église romaine et de l’Église de Milan, sorte d’explication du symbole de Nicée-Constantinople et des décisions de Chalcédoine. Ibid., col. 1261-1267. Le premier des sermons de saint Boniface, archevêque de Mayence, est consacré à un bref exposé de la foi chrétienne : le dogme trinitaire y tient une place prépondérante. P. L., t. lxxxix, col. 844 D845 AB ; cf. serm. v, col. 852 B ; serm. vii, col. 857 AB.

Dans ses commentaires sur l’Écriture, Bède offre d’excellents exposés théologiques du mystère. In Joan., c. i, P. L., t. xcii, col. 637-638, 645-646 (trinité des personnes) ; cf. c. viii, col. 745 AB ; c. v, col. 695697 (consubstantialité du Père et du Fils) ; cf. c. vi, col. 727 ; c. v, col. 698 (génération) ; c. vi, col. 726 (procession du Fils et du Saint-Esprit) ; c. xiv, col. 826 D-827 D (mission du Saint-Esprit dans les âmes) ; ibid., col. 830 (habitation de la sainte Trinité) ; ibid., col. 831 (unité d’opération ad extra) ; cf. c. xvii, col. 881 CD, 888 BC ; c. xvi, col. 859 (relation de la Trinité à l’incarnation). Voir aussi dans les homélies, t. I, hom. vii, t. xciv, col. 58 sq. ; t. II, hom. vi, col. 161 B-162 C ; hom. vii, col. 166 D ; hom. x, col. 181 D-182 A ; hom. xxi, col. 246 C-247 B. Chaque homélie se clôt par la doxologie trinitaire.

b) Les évêques espagnols forment un groupe compact. Au vie siècle, le priscillianisme est encore assez vivant en Espagne. Saint Martin, évêque de Braga, préside un concile dans cette ville (563) et porte le dernier coup à l’erreur : les deux premiers canons anathématisent les erreurs trinitaires. Voir Priscillien, t. xiii, col. 395 ; Denz.-Bannw., n. 231, 232. Sa lettre De trina mersione montre qu’il avait une parfaite notion du mystère. Voir Martin de Brada, t. x, col. 205.

Léandre de Séville est aussi un défenseur du dogme trinitaire dans ses deux traités de polémique anti-arienne, mentionnés par Isidore, De vir. (II., n. 41, P. L., t. LXXXIII, COl. 1103. Cf. LÉANDRE DE SÉVILLE, t. ix, col. 97. Léandre prit une part active au retour des Wisigoths à la foi catholique. Grâce à lui, le IIIe concile de Tolède (589) eut une exceptionnelle solennité et la profession de foi ainsi que les canons qui suivent sont un des plus beaux monuments élevés à la foi trinitaire. P. L., t. lxxxiv, col. 345-348.

La figure qui domine toutes les autres est celle du frère de Léandre, saint Isidore de Séville (î 636). Ce compilateur résume bien la pensée religieuse de son siècle. C’est au IVe concile de Tolède qu’il déploya toute son autorité. Bien que ce concile n’ait pas la même importance que le IIIe au point de vue trinitaire, on y doit signaler un premier canon De evidenti catholicæ fidei oeritate, P. L., t. lxxxiv, col. 365. Dans ses œuvres de théologie ou d’érudition, Isidore expose avec netteté la doctrine et la terminologie trinitaires. Cf. Etymol., I. VII, c. iv, P. L., t. lxxxii, col. 272 ; Differ., t. II, dif. î, t. lxxxhi, col. 69-73 ; Dc fi.de catholica contra Judœos, c. iv, col. 457-460 ; De ordine creaturarum, c. î, ibid., col. 913-916. Chose extraordinaire, les Sentences ne contiennent que quelques lignes sur la Trinité, t. I, c. xv, De Spiritu sancto, n. 1-3, ibid., col. 568-569.

Quelques noms gravitent autour d’Isidore. Taïon, évêque de Saragosse, expose la doctrine trinitaire en se référant fréquemment à saint Grégoire et à saint Augustin. Sentent., t. I, c. iv-vn, P. L., t. lxxx, col. 735-739. Ildefonse de Tolède indique nettement que le début du catéchuménat comporte la connaissance du mystère de la Trinité. De cognilione baptismi, c. n-iv, P. L., t. xevi, col. 112-113. Voir, sur la génération du Verbe, c. xxxix, col. 128-129 ; sur le Saint-Esprit, sa procession et ses différents noms, c. livlxxi, col. 134 C-138 A. Dans son Liber apologeticus des Trois-Chapitres, Julien de Tolède rappelle la foi trinitaire, sanctionnée aux XIVe et XVe conciles de Tolède. Mais cet exposé se rapporte à un incident qui aura sa place marquée plus loin.

En somme, chez les Pères, la continuité dans la croyance est parfaite. S’il n’y a guère de progrès, dogmatique ou théologique, il y a du moins possession sûre d’une doctrine traditionnelle.

2. Les décisions conciliaires. —

a) A Rome.

La controverse monothélite a sa répercussion et sa solution au concile du Latran de 649. Le can. 1 définit « la trinité dans l’unité et l’unité dans la trinité, à savoir un seul Dieu en trois subsistences consubstantielles et égales en gloire, aux trois appartenant la même et unique divinité, nature, substance, vertu, puissance, le même pouvoir et commandement, la même volonté, la même opération sans principe, sans commencement, incompréhensible, immuable, créatrice et protectrice de toutes choses ». Denz.-Bannw., n. 254. Voir Martin I er, t. x, col. 191.

b) En Espagne. —

La foi trinitaire est déjà précisée au prétendu I er concile de Tolède, Libellas im modum symboli. Denz-Bannw., n. 19 sq. On a signalé plus haut le concile de Braga, avec saint Martin, évêque de cette ville ; la profession de foi du IIIe concile de Tolède, lue par le roi Reccarède lui-même, cf. P. L., t. lxxxiv, col. 341 ; le can. De evidenti catholiese fidei oeritate de saint Isidore, au IVe concile. Ibid., col. 365. Le VIe concile (638) reprend, quant au sens, la même formule de foi au can. 1, De plenitudine fidei catholicæ, ibid., col. 393.

Le XIe concile (675) fait un apport considérable à la théologie trinitaire. Il canonise une profession de foi que Kûnstle attribue à un théologien inconnu du ve siècle. Voir Symboles, t. xiv, col. 2929. C’est le célèbre symbole de Tolède Confilemur et credimus, inséré dans la collection dite Hispana, P. L., t. lxxxiv, col. 452 sq. ; Denz.-Bamvw., n. 275 sq. On y trouve exprimée la génération éternelle du Fils consubstantiel au Père, ainsi que sa filiation naturelle et non adoptive, n. 276 ; la consubstantialité du Saint-Esprit au Père et au Fils dont il procède et par lesquels il est envoyé, comme le Fils est envoyé par le Père, lui-même étant cependant égal à l’un et à l’autre, n. 277. La foi nous oblige à parler de Dieu trine et non de Dieu triple, car c’est par leurs relations et non par leur substance que les personnes se distinguent entre elles. — Ici, un progrès est manifeste : la doctrine de la relation est présentée comme un élément dogmatique, voir Relations divines, t. xiii, col. 2139. En sorte que nous distinguons les personnes sans diviser la déité ; in hoc solum numerum insinuant, quod ad invicem sunt, n. 278-280. Impossible donc de concevoir les personnes sans leurs relations mutuelles ni de les séparer, bien que chacune garde sa propriété : « Le Père a l’éternité sans naissance ; le Fils a l’éternité et est engendré ; le Saint-Esprit procède, sans naissance, de toute éternité », n. 281. Le reste du symbole concerne l’incarnation.

Le XIIe concile (681) se contente de proclamer la foi du symbole de Nicée-Constantinople. P. L. t. lxxxiv, col. 470. Même rappel au XIIIe concile (683).

Le XIVe concile devait provoquer l’incident auquel on a fait allusion plus haut. Saint Julien avait envoyé au pape Benoît II la relation officielle de ce concile. Le texte de sa synodique ne nous est pas parvenu et nous n’en savons que ce qu’en font connaître les critiques et les répliques auxquelles certains passages ont donné lieu. En ce qui concerne la Trinité, Benoît II y avait relevé, comme répréhensible ou tout au moins contraire à l’usage, l’expression voluntas gentil voluntatem, appliquée à la génération du Verbe. L’interprétation en bonne part de la formule douteuse fut donnée par Julien lui-même dans la synodique du XVe concile (688). On en trouve la partie principale dans Denz.-Bannw. , n. 294. Voir l’interprétation à Julien de Tolède, t. viii, col. 1941. Cf. Th. de Régnon, Études de théologie positive sur la Sainte-Trinité, t. iii, p. 552 sq.

Dans une longue profession de foi, le XVIe concile revient encore sur la même question et confirme l’interprétation donnée. P. L., t. lxxxiv, col. 531 sq. L’essentiel est dans Denz.-Bannw., n. 296. Le XVIIe concile (694) se contente du symbole de la foi. P. L., t. lxxxiv, col. 555. Quant aux actes du XVIIIe et dernier concile (701), ils sont perdus. Voir l’art. Tolède (Conciles de), supra col. 1189.

L’époque carolingienne.

1. Le problème trinitaire à la renaissance carolingienne. —

La renaissance carolingienne ne. connaît pas encore la théologie systématisée. Néanmoins l’étude des Écritures et des Pères ou les nécessités de la controverse provoquent parfois, au sujet du mystère de la Trinité, une heureuse alliance du raisonnement et des données positives. Cf. J. de Ghellinck, Le mouvement théologique an xiii tiède, Paris, 1914, p. 8 sq.

a) Alcuin (+ 804). —

Le point de départ des travaux d’Alcuin sur la Trinité fut l’apologie du Filioque pour répondre aux observations faites par les Orientaux au coneile de Gentilly (767). Dans le De processione Sancti Spiritus, P. L., t. ci, col. 64-82, Alcuin utilise, fort incomplètement d’ailleurs, les travaux de saint Augustin et d’autres écrivains Intins post/rieurs. — Trois ans après le IIe concile de Nlcée. Alcuin se retrouva devant le même problème en raison del actes de ee coneile, dans lesquels on avait remarqué l’omission du F II toque, t’n nouveau travail de ce théologien est publié, au nom de Charlemagne, dans les Livres carolinx, t. III, c. iii, P. L., t. xcviii, col. 11171121. S’appuyant sur les textes déjà utilisés par les Pères des ive et ve siècles, Alcuin affirme d’abord la divinité du Saint-Esprit et aborde ensuite la question de sa procession. Ni les preuves scripturaires alléguées, ni les raisonnements proposés n’apportent d’élément nouveau.

La théologie didactique de la Trinité a inspiré à Alcuin, vers la fin de sa vie, le De fide S. Trinitatis en trois livres, P. L.., t. ci, col. 11-54, suivi d’une invocation à la Trinité et d’un long symbole de foi. Trinité et incarnation y sont exposées en formules qui s’apparentent au Quicumque. Signalons également les 28 questions De Trinilate ad Fredegisum, col. 57-64. Ces œuvres sont « d’un théologien fort sûr ». É. Amann, L’époque carolingienne, dans Fliche-Martin, Histoire de l’Église, t. vi, p. 99.

b) Paulin d’Aquilée (f vers 802).

C’est au concile du Frioul (796) que Paulin rappelle la doctrine catholique promulguée à Nicée et à Constantinople sur la Trinité, n. 6, 7. Il insiste sur la procession du Saint-Esprit, à la fois du Père et du Fils, puisque le Père et le Fils sont inséparables (Joa., xiv, 9, 10), n. 8. Ce texte scripturaire, peu ad rem, est heureusement corroboré par d’autres allégations plus pertinentes. Joa., xx, 22 ; xvi, 7 ; xiv, 26. L’exposé qui suit est relatif au mystère lui-même et englobe tout le dogme catholique, n. 8-11. Il se termine par un long symbole de foi, n. 12-13, P. L., t. xcix, col. 283-295. Cf. É. Amann, op. cit., p. 177 sq.

c) Agobard de Lyon († 840). —

Comme Paulin, Agobard défendit la doctrine catholique contre l’adoptianisme. C’est donc d’une manière occasionnelle qu’il parle de la Trinité. Le début du Sermo exhortatorius ad plebem de fidei veritate et totius boni institutione est consacré à un bel exposé de ce dogme, n. 3-4. Sur la procession du Saint-Esprit, on trouve cette précision qui prélude à la formule : tanquam ab uno principio t « Le Saint-Esprit procède du Père et du Fils… ; il ne procède pas d’abord du Père dans le Fils, ensuite du Fils pour répandre dans le cœur des fidèles le don de la charité, mais simultanément de l’un et de l’autre. » P. L., t. civ, col. 269 BC.

d) Théodulphe d’Orléans († 821). —

Au début du ixe siècle, une communauté de moines francs à Jérusalem chantait le symbole avec l’addition du Filioque. Accusés d’hérésie par les Grecs, ils écrivirent à Léon III pour lui demander une décision. Le pape transmit leur lettre à Charlemagne, en l’invitant à prendre leur défense. Théodulphe fut chargé d’étudier la question. Son travail fut lu devant le concile d’Aixla-Chapelle (809) et reçut l’approbation complète des évêques. Sur cette démarche des moines francs, voir Le Quicn, Dissert, damasc, diss. I, n. 13 sq., P. G., t. xciv, col. 205 sq. — Dans le De Spirifu sancto de l’évêque d’Orléans, P. L., t. cv, col. 239-276, la preuve scripturaire est nulle, mais la preuve patristique prend un développement que ne lui avait pas donné Alcuin. L’enquête est faite sur des bases plus larges. Sans doute la liste des textes n’est pas de tout point irréprochable ; elle constitue cependant un réel progrès pour la théologie du Saint-Esprit.

2. Controverses postérieures à Photius.

Le débat du Filioque rebondit en 867 après le réquisitoire de Photius. Voir t.xii, eol. 1574. Le pape Nicolas 1° invita les évêques francs à répondre aux accusations venues de Constantinople. P. /… t. exix, col. 1 1 52. Une fois de plus, le Filioque fut l’occasion de proposer non seulement la procession ob ntroqne, mais encore le dogme tout entier. Les évêques de Germanie, réunis a Worms (868). publièrent un De fidr Trinitatis contra Grn’corum h/rresim, P. L., t. exix, col. 1201-1212. OdOîl de B< BUvnis répondit également aux Grecs ; cf. Flodoard, llisl. Fret. Itrmrnsis, I. III, c. xxiii, P. L., t. cxxxv, col. 224 B ; mais son livre ne nous est pas parvenu. Sur la motion des évêques de la province de Sens, Énée, évêque de Paris, composa son Liber adversus Grsecos, P. L., t. cxxi, col. 683 sq. ; chargé du même office par les évêques de la province de Reims, Ratramne écrivit son Contra Grœcorum opposita. Ibid., col. 225 sq.

a) Concile de Worms.

Les évêques germains ne connaissent pas les travaux d’Alcuin et de Théodulphe. Leur mémoire est déficient. Pour prouver le Filioque, ils se contentent de quelques textes de saint Augustin sans portée réelle. Toutefois ils affirment l’essentiel du mystère, c’est-à-dire l’égalité, la divinité, la consubstantialité des personnes divines. Le De fide Trinitatis se complète de décrets disciplinaires et de protestations infirmant d’injustes reproches formulés par les Grecs. Mais les actes du concile contiennent en outre une belle profession de foi, exprimant d’une manière plus détaillée la doctrine des trois personnes divines et de leurs rapports mutuels, particulièrement en ce qui concerne le Saint-Esprit. Mansi, Concil., t. xv, col. 867.

b) Énée de Paris († 870). —

En écrivant son Liber adversus Grœcos, l’évêque de Paris n’a pas seulement l’intention de justifier le Filioque et de rappeler, à cette occasion, l’ensemble du dogme trinitaire ; il reprend aussi, un à un, les griefs disciplinaires formulés par les Grecs. Des 210 chapitres que renferme le mémoire, les 94 premiers seuls ont trait à la Trinité. Énée a transcrit les textes de Théodulphe, avec quelques additions de Vigile de Thapse et d’Alcuin (dont cependant il ne semble pas connaître le De processione Sancti Spirilus). Le Liber adversus Grsecos apparaît ainsi en léger progrès sur le recueil de Théodulphe.

c) Ratramne. —

L’ouvrage de Ratramne, en quatre livres, est supérieur à ceux qu’on vient de citer. Le 1. IV est consacré aux controverses disciplinaires ; les trois premiers ont pour objet la doctrine trinitaire et spécialement la procession du Saint-Esprit. Le 1. I expose les preuves scripturaires : l’argumentation de Ratramne. est bien menée et s’avère supérieure à l’essai d’Alcuin et des Livres carolins. Les livres II et III développent l’argument patristique. Ratramne connaît Alcuin et Théodulphe et il les utilise. Mais, aux données qu’il emprunte (en faisant d’ailleurs une sélection judicieuse), il ajoute le résultat de ses recherches personnelles : résultats modestes, s’attachant plus à la qualité qu’à la quantité. La méthode de Ratramne est différente de celle de ses prédécesseurs : il rapporte les documents par petites tranches qu’il fait suivre d’une glose. Ainsi on trouve chez lui une exégèse personnelle, souvent intéressante.

Ratramne avait aussi composé une défense de la formule Te trina Deitas unaque poscimus, de l’hymne des premières vêpres du commun des martyrs. Sur ce point, il épousait les idées de Gottschalk qui s’était attaché à cette formule qu’Hincmar estimait dangereuse. Voir plus loin. C’est par Hincmar qu’on connaît l’existence de l’opuscule, aujourd’hui perdu, de Ratramne.

3. Autres auteurs du IXe siècle.

a) Raban Maur († 856). —

Dans le De universo (844), Raban Maur, après avoir parlé de Dieu, c. i, du Fils de Dieu, c. ii, du Saint-Esprit, c. iii, expose brièvement la doctrine catholique sur la Trinité, c. iv. Les formules s’inspirent du Quicumque. Comme preuves de l’Ancien Testament en faveur du dogme trinitaire, il invoque Gen., i, 26 et Is., vi, 3. Pendant longtemps encore, les écrivains catholiques puiseront dans cet arsenal et y trouveront même de nouvelles armes.

Chose extraordinaire, Raban Maur a été cité par des Grecs, au xixe siècle, comme adversaire du Filioque ! Cf. Macaire, Théologie dogmatique orthodoxe (tr. fr.),

Paris, 1860, p. 370. Deux textes sont relevés où, tout en parlant de la génération du Fiis, Raban Maur dit simplement que le Saint-Esprit procède du Père : In EcclL, t. VI, c. ii, P. L., t. cix, col. 943 D ; Hom. in evang. et epist., hom. xxxv, P. L., t. ex, col. 212 A. Ce sont de simples citations de saint Augustin. La procession ab utroque est explicitement affirmée par l’archevêque de Mayence, hom. xlix, ibid., col. 237 D et surtout dans le De universo, t. I, c. m et iv, P. L., t. exi, col. 23 D-24 B, 27 D (Spiritus relative ad Patrem et Filium). Voir aussi Jn Eccli., t. VI, c. n. t. cix, col. 939 D ; De universo, I. IV, c. x, t. exi, col. 96 À et B ; De clericorum institutione, t. II, c. lvii (De régula fidei), t. cvii, col. 369 C ; Liber de sacris ordinibus, c. ix, t. cxii, col. 1171 C. Cf. Franzelin, Examen doctrinal Macarii Bulgakow…, Rome, 1876, p. 112 sq.

b) Haymon d’Halberstadt († 853). —

Haymon n’a pas écrit ex professo sur la Trinité. Mais Macaire a dirigé contre lui la même accusation que contre Raban Maur. Dans l’homélie lxxxvii, de lempore, Haymon affirme que le Saint-Esprit est appelé Esprit de vérité parce qu’il procède a Pâtre veritatis. P. L., t. cxviii, col. 519 C. Or, quelques lignes plus loin, est affirmée la procession a Paire et Filio, col. 520 A. Cf. hom. xcvm, col. 551, où précisément se retrouve la phrase incriminée, mais avec tous les apaisements nécessaires en faveur du Filioque. Voir également hom. evi, col. 574 A ; hom. li, col. 300 B ; hom. c, col. 558 À et, dans les homélies de sanctis, hom.xii, col. 798 A. Cf. Franzelin, op. cit., p. 110 sq.

c) Paschase Radberl († 865). —

Radbert a composé un traité De fide, spe et cliaritate. P. L., t. cxx, col. 1387 sq. Dans le 1. I er sur la foi, il étudie la vertu de foi et, à l’occasion de son objet, fait un exposé simple et précis du dogme de la Trinité, c. i, n. 3, col. 1393 AC ; cf. c. vi, n. 1, col. 1402-1403. On lit. au n. 2, une explication rejetant, comme inventée par les hérétiques, la formule : credo et in sanctam Ecclesiam. Le mystère de la Trinité est certainement manifesté dans la formule baptismale. Jn Matth., t. II, c. iii, ibid., col. 177.

d) Hincmar († 882). —

On a vu que Ratramne défendait l’orthodoxie de la formule Te trina Deitas et que Gottschalk, ayant appris quHincmar l’avait interdite, s’efforçait d’en venger l’orthodoxie. Hincmar reprend le texte de Gottschalk en y répondant dans le De una et non trina Deitale, P. L., t. cxxv, col. 473-618. Si la thèse d’Hincmar n’est pas incontestable (voir par exemple la doxologie de l’hymne Sacris solemniis), elle fut du moins l’occasion d’un bon exposé de la doctrine.

e) Jean Scot Érigène (t vers 870). —

Avec une terminologie catholique, Érigène semble faire de la Trinité l’objet soit d’une inférence partant de la vision des choses sensibles, soit d’une introspection attentive. Voir ici t. v, col. 410. Prélude, sans doute, des tentatives de « démonstration » que nous trouverons au XIIe siècle. La synthèse, fortement inspirée des idées origénistes et platoniciennes (elles lui viennent par le pseudo-Aréopagite) est extrêmement puissante.

II. lA PRÉSCOLASTIQUE.

L’époque étudiée ici couvre les XIe et XIIe siècles. C’est la préparation immédiate à l’ère des grands scolastiques.

Avant Pierre Lombard.

1. Le XIe siècle.

La théologie qui avait été, sinon frappée à mort, du moins très languissante, au xe siècle, commence à reprendre quelque vie au XIe siècle. Mais c’est une vie encore bien embryonnaire. Les auteurs se contentent souvent de reprendre ce qu’on avait dit avant eux et leurs spéculations sont timides. En ce qui concerne la Trinité, on ne peut guère relever que les noms de Fulbert de Chartres, d’Odilon de Cluny, de Guitmond d’Aversa et de saint Pierre Damien.


a) Fulbert de Chartres († 1028).

C’est dans ses sermons qu’on trouve sa doctrine trinitaire. La Trinité est comparée au soleil, dans lequel il y a trois éléments : la sphère, la lumière, la chaleur. Serm., i, P. L., t. cxli, col. 317 B. Ailleurs, Fulbert cherche dans l’Ancien Testament des preuves du mystère. Serm., vii, col. 331 C-334 C. La lettre à Adéodat est d’une théologie scripturaire plus sérieuse : l’évangile de saint Jean y est mis à contribution. Epist., v, col. 196-204. Signalons aussi une hvmne à la Trinité, col. 342 D-343 A.

b) Odilon de Cluny († 1048). —

Dans un sermon sur la Nativité on trouve les grandes lignes d’une doctrine trinitaire assez complète. P. L., t. cxlii, col. 993 B.

c) Guitmond d’Aversa († 1079). —

Cet auteur fait une sorte d’exposé de la foi chrétienne. L’âme de l’homme fournit une image des trois personnes en une seule substance : faite à l’image de Dieu, elle est substance spirituelle et, d’elle-même, c’est-à-dire de cette substance, elle possède trois réalités distinctes : l’intelligence, la mémoire, la volonté. Confessio de SS. Trinitate, Christi humanilate…, P. L., t. cxlix, col. 1497 D-1498 A.

d) Pierre Damien († 1072). —

Trois opuscules touchent au dogme trinitaire.

— L’opuscule I, De fide catholica, en dix chapitres, rappelle ce que la tradition nous oblige à croire touchant la Trinité et l’incarnation. L’Écriture est fréquemment invoquée et l’on sent l’influence du tome de Léon à Flavien. P. L., t. cxlv, col. 19-39. La procession du Saint-Esprit est exposée dans le dernier chapitre, col. 37. et dans le second des « scholia » qui terminent l’opuscule, col. 40. — La procession du Saint-Esprit, exposée spécialement en fonction de l’erreur des Grecs, fait l’objet exclusif de l’opuscule xxxviii, col. 633-642.

— Contre les Juifs, Pierre défend l’existence de la Trinité en s’appuyant uniquement sur des textes de l’Ancien Testament, Opusc. ii, præamb., col. 42-44 ; ce qui, à plusieurs reprises, l’amène à préciser la place tenue par le Fils de Dieu dans la Trinité.

— De ses Carmina sacra et preces, Pierre Damien consacre le premier à une prière à Dieu le Père, le second à une prière à Dieu le Fils, le troisième à une prière à Dieu le Saint-Esprit et il ajoute sept petites prières à la Sainte-Trinité. Ibid., col. 917-925.

2. Le début du XXIe siècle : tendance traditionnelle. —

Le xire siècle marque le réveil de la pensée religieuse. Mais la raison entend prendre part — une part quelquefois aventureuse — dans l’exposé du dogme. Toutefois, dès l’aube de cette période, un grand docteur contribue à fixer la théologie trinitaire dans les voies traditionnelles, en lui faisant en même temps l’apport d’un exposé dialectique solide et de bon aloi. C’est saint Anselme de Cantorbéry.

a) Anselme de Cantorbéry († 1109). —

Sur la méthode de saint Anselme dans la recherche de la connaissance des mystères, voir ici t. i, col. 1346 ; cf. col. 1343. Le début du De fide Trinitatis et de incarnatione Verbi, dirigé contre Roscelin, montre la vraie pensée de l’archevêque : il est absurde de subordonner la foi à la raison ; c’est plutôt l’attitude inverse qui l’impose. Les vrais théologiens doivent humblement s’appuyer sur les données de l’Écriture. C. i, ii, P. L., t. clviii, col. 259-265. Suit la réfutation des assertions rosccliniennes, avec la solution des difficultés. Anselme précise surtout les notions de nature et de personne en distinguant en Dieu ce qui est absolu et ce qui est relatif. Ce qui lui permet de montrer la non-répugnance du mystère à la raison : l’unité dépend de la substance, la multiplicité de la relation et, en Dieu, nec substanliri potest amittere singularitatem, nrr relatio pluralilatem. C. ix, col. 284 A. La théorie de ! relations reprend ainsi, dans la pensée et sous la plume d’Anselme, la place essentielle que lui assigne la tradition dans l’exposé du mystère. C’est Anselme qui trouve le premier la formule dogmatique que consacrera le concile de Florence, proclamant l’unité existant en Dieu, ubi non obviât aliqua relationis oppositio. De processione Spiritus sancti, c. ii, col. 288 C. Cf. B. Adlhoch, Roscelin und S. Anselmus, dans Philosophisches Jahrbuch, t. xx, 1907, p. 443 sq.

Ainsi la théologie trinitaire d’Anselme fait une grande place à la dialectique. Est-ce à dire que, par elle-même, la raison puisse s’élever à la connaissance du mystère ? On accuse Anselme d’avoir eu cette prétention. Dans le De fide Trinitatis, c. iv, col. 272 D, il renvoie au Monologium et au Proslogium, « écrits, dit-il, surtout dans le but de prouver, par des raisons nécessaires (necessariis rationibus) et sans l’autorité de l’Écriture, ce que nous croyons par la foi touchant la nature divine et les personnes, en dehors de l’incarnation ». Il ne faut pas exagérer la portée de cette assertion, bien adoucie à la fin de l’opuscule, col. 284 BC. Anselme semble vouloir simplement « retrouver par la raison les mystères déjà établis. Anselme (Saint), t. i, col. 1346. Cf. Proslogium, c. xxiii, et Monologium, surtout c. lxv-lxvi. La vraie pensée de l’auteur serait d’expliquer le mystère en coordonnant, avec une logique aussi rigoureuse que le comporte la matière, les éléments essentiels, sans prétendre en épuiser la vérité, de telle sorte que cette vérité demeure encore ineffable et incompréhensible. P. L., t. clviii, col. 211-213. Cf. Th. de Régnon, Études…, étude viii, c. ii, t. ii, p. 23 sq. ; et Janssens, De Deo trino, Fribourg-en-B., 1900, p. 413.

A l’instar d’Augustin, Anselme étudie dans l’âme l’image de la Trinité, c. lxvii, col. 213 BC, et par cette étude des opérations intellectuelles, il lui semble qu’il pénètre jusque dans le sanctuaire de la divinité, non pour comprendre, bien entendu, mais du moins pour affirmer par argument probant ». De Régnon, op. cit., t. i, p. 304. Dieu se contemple lui-même dans son acte d’intellection ; de là, naissance du Verbe mental qui explique les relations constituant le Père et le Fils. Mais comment n’y a-t-il qu’un seul Verbe et comment ce Verbe ne procède-t-il que du Père ? Anselme, qui ne distingue pas « intellection » et « diction », déclare ce fait inexplicable. Monol., c. lxiii-lxiv, col. 208 B-210 D. Quant au Saint-Esprit, il est l’amour commun du Père et du Fils, ne faisant qu’une essence avec eux. Ibid., c. lvii sq., col. 204 B. Cette procession par l’amour fait que le Saint-Esprit se distingue du Fils. Voir Janssens, op. cit., p. 593 sq., comparant sur ce point Anselme et saint Thomas ; cf. p. 621.

La question du Filioque amène saint Anselme, durant son séjour en Italie, à composer le traité De processione Spiritus sancti, P. L., t. clviii, col. 285326. La dialectique y a la part principale ; les formules concernant la pluralité des personnes en raison de « l’opposition des relations » s’y rencontrent assez nombreuses, ainsi col. 287 B, 288 C, 289 A, 290 A, 322 BC, 323 C. La procession ab utroque n’est qu’une application du principe de l’opposition des relations ; mais Anselme indique également, de cette procession, une raison psychologique : « Si Dieu s’aime, sans aucun doute, le Père s’aime et chacun aime l’autre. » Monol., c. li, col. 201 AB. Il est donc impossible de concevoir une procession selon l’amour, dans laquelle le Fils n’aurait pas sa part active comme le Père.

Aux Grecs qui reprochent aux Latins d’admettre ainsi pour le Saint-Esprit deux principes, Anselme répond en paraphrasent l’ensi ignement de saint Augustin. De Trtnitate, I. » ’, c. xiv, P. L., t. xlii, col. 920921 : Nous ne croyons pas que ! >’Saint-Lsprit procède de ce qui rend deux » le Père et le Fils, mais bien de ce qui les laisse « un ». Voilà pourquoi nous ne reconnaissons pas deux principes, mais un seul principe du Saint-Esprit. En effet, lorsque nous disons que Dieu est le principe de la créature, nous considérons le Père, le Fils, le Saint-Esprit comme un unique principe, non comme trois principes. Aussi nous disons un seul créateur et non pas trois créateurs, bien que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient trois ; et la raison en est que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont créateurs par ce en quoi ils sont un, non par ce en quoi ils sont trois. Si donc, relativement à la créature, bien que le Père soit principe, que le Fils soit principe, que le Saint-Esprit soit principe, cependant ils ne sont pas trois principes, mais un seul principe ; de même, relativement au Saint-Esprit, bien qu’il procède du Père et du Fils, il ne procède pas de deux principes, mais d’un seul, comme il procède d’un seul Dieu qui est le Père et le Fils. » De processione S. Sp., c. xviii, col. 311-312. (Trad. de Régnon, t. ii, p. 202-203.) Bien que la dialectique ait emporté Anselme au point de lui faire négliger tout recours aux sources patristiques, les preuves scripturaires ont été invoquées surtout aux c. ix-xii et xix-xx.

La doctrine trinitaire de saint Anselme a été particulièrement mise en relief par L. Janssens, op. cit. : sur les processions, p. 49, cꝟ. 78 ; sur les relations, p. 249 ; sur le rôle de la raison dans l’étude du mystère, p. 395, cꝟ. 413 ; sur le nom de Verbe, p. 486 ; sur l’unique principe de laspiration, p. 607 ; sur l’égalité du Père et du Fils, p. 802 ; sur les missions divines, p. 818.

b) Anselme de Laon († 1117). —

Une mention doit être accordée à cet auteur, disciple et homonyme d’Anselme de Cantorbéry, qui fut, au xir » siècle, le chef d’une école florissante. Sur Anselme de Laon, voir Dict. d’hist. et de géogr. eccl., t. iii, col. 485-487. L’ouvrage principal d’Anselme est intitulé Flores sententiarum ac quee.stionum magistri Anselmi et Radulphi fratris ejus, ms. Bibl. Nat. lat. 16 528, fol. 1-252. Il est divisé en sept parties. En voir les titres dans L. Saltet, Les réordinations, Paris, 1907, p. 285, note 3. C’est dans la première partie qu’on rencontre les questions relatives à la Trinité (prima pars continet de Pâtre et Filio). L’inspiration en est nettement traditionnelle et reflète saint Augustin et saint Anselme. Elle évoque même Jean Erigène, dont le monisme toutefois est rigoureusement écarté. La philosophie y a une grande part. Les Flores ont été édités une première fois par G. Lefèvre (thèse), Évreux, 1895, sous le titre Anselmi Laudinensis et Radulphi fratris ejus sententise excerptse. Une édition plus complète et plus récente, par Bliemetzrieder, dans les Beitrâge de Bâumker, Munster-en-W., t. xviii, 1919.

c) Guillaume de Saint-Thiéry († 1148).—

Cet adversaire d’Abélard, voir plus loin. col. 1714, est un représentant de l’école traditionnelle. Son œuvre prépare celle de Pierre Lombard. Théologien profond, nourri des Pères, doué d’un jugement sûr et pénétrant, tel il nous apparaît. Trois de ses ouvrages, dont deux seulement sont édités, nous renseignent sur sa doctrine trinitaire :

1. Spéculum fidei, passim ; voir P. L., t. clxxx, col. 385 A, 392 AB, 394 AB, 396 BC ; — 2. JEnigma fidei, ibid., col. 405 AB, 408 AC, 409-414, 417 AB, 419-422, 425 D-432 C, 433D-436D, 437C-440 : — 3. Sententiss de fîde, inédit, où l’auteur « traite de l’essence divine, de ses attributs, de la trinité des personnes, de l’unité de nature et de la création des anges et des hommes, employant presque toujours les propres paroles de saint Augustin et de Boèce ». Dom Ceillier, Hisl. gén. des auteurs sacrés et ecclés., éd. Vives, Paris, 1863, t. xiv, p. 389. La préface de l’édition Migne indique un autre ouvrage inédit : Traité des relations divines contre les erreurs de Gilbert de la Porrée ( ?).

Mais les traités polémiques de Guillaume contre Abélard sont encore la meilleure source à laquelle on doive puiser :

1. Sa lettre à saint Bernard, dans les œuvres de ce Père, Epist., cccxxvi, P. L., t. clxxxii, col. 531 ; — 2. Dispulatio adversus Petrum Abselardum, P. L., t. clxxx. col. 249-282 (la théologie trinitaire dans les c. ii-iv) ; — 3. Dispulatio altéra adv. Abœlardum, 1. I : réfutation de la doctrine abélardienne qui attribuait la puissance au seul Père, la sagesse au seul Fils, la bénignité au seul Saint-Esprit, ibid., col. 283298 ; 1. II : comment la trinité des personnes se concilie avec l’incarnation du seul Fils, col. 297-310 ; I. III, diverses erreurs abélardiennes y sont réfutées, notamment les erreurs cataloguées dans Denz.-Bannw. , n. 2, 3, 7, pour nous en tenir aux questions trinitaires. Ibid., col. 309 sq. Il faut enfin ajouter l’opuscule De erroribus Guillelmi de Conchis, ad sanctum Bernardum, col. 333 sq.

d) Rupert de Deutz († 1135). —

Le De Trinitate de Bupert de Deutz ne ressemble à aucun autre ouvrage sur la Trinité. C’est un commentaire sur un grand nombre de livres sacrés depuis la Genèse jusqu’aux évangiles. Il est divisé en trois parties : la première présente les événements depuis la création du monde jusqu’à la chute du premier homme ; la deuxième, depuis cette date jusqu’à l’incarnation et la passion du second homme, Jésus-Christ, Fils de Dieu ; la troisième, depuis ce temps jusqu’à la résurrection générale. Rupert attribue les œuvres de la première partie au Père ; celles de la deuxième au Fils ; celles de la troisième au Saint-Esprit. Ni son exégèse, ni sa théologie ne présentent d’originalité. Les applications trinitaires des textes de l’Ancien Testament en forcent évidemment le sens. Voir ici t. xiv, col. 175184. La procession du Saint-Esprit a Pâtre Filioque est cependant bien présentée au début de la troisième partie, c. iii-iv et c. xxviii, P. L., t. clxvii, col. 15731576, 1599-1600. La doctrine trinitaire proprement théologique de Rupert doit être glanée aussi en d’autres ouvrages, mais surtout dans le De glorificatione Trinitatis et processione Spiritus sancti, P. L., t. clxix, col. 13 sq., et dans le De divinis officiis, t. clxx, col. 13 sq. Sur le reproche fait à Rupert d’avoir affirmé l’incarnation du Saint-Esprit, voir ici t. xiv, col. 193194.

e) Hugues Métel († 1150). —

Si l’on cite cet auteur, ce n’est pas en raison de sa très modeste notoriété théologique, voir t. x, col. 1573. Mais ses lettres sur la Trinité attestent le caractère traditionnel des doctrines qu’il y présente. La lettre m est un petit traité composé à la prière de Tiécelin, son premier maître, et dans lequel Hugues propose ce que l’Église croit du mystère de la Trinité. Il n’y parle que d’après saint Augustin, saint Ambroise, saint Athanase, saint Jérôme et Boèce. La lettre xlv à l’abbé Odon explique la Trinité par les relations divines. Cf. Ceillier, op. cit., p. 363, n. 7 et 368, n. 25.

f) Honorius Augustodunensis.

Cet auteur, dont la personne demeure entourée de tant d’obscurité, a certainement vécu dans la première moitié du xii* siècle. Voir ici t. vii, col. 139 sq. Deux de ses ouvrages retiendront notre attention : 1. De philosophia mundi, P. L., t. clxxii, où les c. vi-xiv du 1. I esquissent rapidement le dogme et la doctrine des appropriations, col. 45 A-46. Le c. xv contient une allusion intéressante à l’adresse de ceux qui voyaient dans le Saint-Esprit l’âme du monde, col. 46 CD. — 2.Elucidarium sive dialogus de summa totius christianie théologies, dont deux petits chapitres (i et n) sont consacrés à la Trinité et aux noms du Père et du Fils. Un point de comparaison, pour l’intelligence du mystère, est donné dans le soleil, à la fois substance ignée, lumière et chaleur. Col. 1110-11Il A.


3. Le début du XIIe siècle (suite) ; tendances rationalistes.

La théologie en est encore à ses premiers essais et « tous les inconvénients d’une science encore débutante… devaient forcément occasionner bien des hésitations, des tâtonnements et des écarts ». De Ghellinck, op. cit., p. 106. Ajoutons que les excès de la dialectique et l’intrusion de la philosophie dans le domaine dogmatique poussèrent plus d’un esprit dans la voie de l’erreur. Trois tendances téméraires s’affirment ainsi et précisément en corrélation avec les trois solutions proposées pour le problème des universaux.

a) Le nominalisme de Roscelin († 1120) et le dogme trinitaire.

Fidèle aux principes du nominalisme, Roscelin ne pouvait concevoir que des substances individuelles et concrètes. Cette position philosophique le fit aboutir logiquement au trithéismc. Saint Anselme rapporte l’argument de Roscelin : « Si les trois personnes sont une seule chose, una res, et non trois choses, très res, — chacune existant par soimême séparément, comme trois anges ou trois âmes, de sorte cependant qu’elles soient identiques en tant que puissance et volonté — il s’ensuivrait que le Père et le Saint-Esprit se sont incarnés avec le Fils. » De fide Trinitatis, c. iii, P. L., t. clviii, col. 266 A. Voir également, de Roscelin à Abélard, la lettre où le premier s’insurge contre les décisions du concile de Soissons. Dans bs lettres d’Abélard, Epist. xv, P. L., t. clxxviii, col. 357-372. On sait que le trithéisme de Roscelin fut, en effet, condamné, en 1092, au concile de Soissons, lequel nous est connu par la lettre d’Anselme à Falcon, évêque de Beauvais. Epist., t. II, xli, P. L., t. clviii, col. 1192 sq. Voir ici Roscelin, t. xiii, col. 29Il sq. Cf. Hefele-Leckrcq, Hist. des conciles, t. v, p. 365-367. On doit signaler que, de son côté, Abélard avait réfuté le trithéisme de Roscelin dans le De unilate et trinitate divina, publié en 1891 par R. Stolze, Fribourg-en-B. ; voir ici, t. i, col. 38.

b) Le conceptualisme d’Abélard († 1142) et le dogme trinitaire.

La foi personnelle d’Abélard ne saurait être mise en doute. Voir t. i, col. 41. Croyant sincère, Abélard s’est soumis d’avance au jugement de l’Église. Cf. Theologia christiana, 1. III. P. L., t. clxxviii, col. 1228 CD. Pour s’en convaincre, il suffirait de lire ses brèves compositions sur le symbole des apôtres, ibid., col. 617 sq., ou sur le symbole d’Athanase, col. 629 sq. Mais, voulant expliquer le dogme par la philosophie, il tombe à plusieurs reprises en de graves erreurs où l’on ne peut voir de simples impropriétés de langage. Sous prétexte de réfuter le trithéisme de Roscelin, il ressuscite le sabclHanisme. Il ne voit dans la Trinité que trois concepts dont la révélation se sert pour décrire et recommander la perfection du Souverain Bien. Theol. christ., t. I, c. ii, col. 1125 CD. Si parfois Abélard Indique le caractère relatif des personnes, cꝟ. t. IV, col. 1275 CD, ces rapports ne semblent pas dépasser l’ordre logique. Cf. col. 1277. Ainsi les noms de Père, Fils et Saint-Esprit sont pures appropriations. Professer que Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit, c’est proclamer qu’il est le Souverain Bien, que rien ne lui manque de la plénitude de tous les biens et que, par sa participation, toutes les créatures sont bonnes. Intr. ad theol., I. I, c. îx, col. 990 A ; cf. c. vii, col. 989 B. La révélation de la Trinité aux Chrétiens a donc simplement consisté à désigner sous des noms nouveaux les trois propriétés du Souverain Bien ; la puissance (Père), la sagesse (Fils), la bénignité (Saint-Esprit). Theol. christ., t. I, c. ii, col. 1125 C, 1126 C.

Les processions divines sont expliquées en fonction de ce conceptualisme. La puissance, qui s’identifie avec le Père, est un terme général, dont la sagesse est une partie, restreinte a l’ordre de la connaissance. La bénignité n’est pas à proprement parler une puissance, mais une disposition affective de la puissance générale et de la sagesse. Intr. ad theol., t. II, c. xiv, col. 1072 AB. En sorte que, si le Fils et le Saint-Esprit procèdent du Père, l’un en procède par génération et l’autre simplement : « La génération diffère de la procession parce que le Fils est engendré de la substance même du Père, puisque la sagesse est une certaine puissance. Quant à la disposition de la charité, elle se rapporte plutôt à la bénignité de l’âme qu’à sa puissance. Ainsi le Fils est engendré du Père parce qu’il est de la substance même du Père. Quant au Saint-Esprit, on ne dit point qu’il est engendré, mais qu’il procède simplement, c’est-à-dire qu’il s’étend vers un autre par la charité. » Theol. christ., I. IV, col. 1299 D1300 AB. Abélard est embarrassé pour expliquer comment en Dieu les personnes divines ne sont pas multipliées à l’infini selon le nombre infini des attributs divins. Cf. Theol. christ., 1. III. col. 1259 B-1260 C.

Abélard fut dénoncé à saint Bernard par Guillaume de Saint-Thiéry, lequel dressa dans la suite un double réquisitoire contre son adversaire : Disput. adv. Abœlardum ; Disp. altéra ado. Abselardum, P. L., t. clxxx, col. 249 sq. et col. 283 sq. On sait la suite. Au concile de Sens, saint Bernard dénonça dix-neuf articles tirés des œuvres d’Abélard. Des articles incriminés, six se rapportent au dogme trinitaire. Voir ici 1. 1, col. 44-46.

Les erreurs d’Abélard ont été reprises par un certain nombre de disciples. Voir t. i, col. 50-51. Très particulièrement Guillaume de Conches († 1145) accentua le sabellianisme du maître : « Dans la divinité, afflrmet-il, il y a puissance, sagesse, volonté. Ces attributs, les saints les appellent personnes, leur accordant, en raison d’une certaine analogie, des noms qu’on détourne de leur sens vulgaire : appelant « Père », la puissance ; « Fils », la sagesse ; « Saint-Esprit », la volonté. » Guillaume de Saint-Thiéry, De erroribus Guiltelmi de Conchis, P. L., t. clxxx, col. 333 C. Guillaume de Conches rétracta ses erreurs dans un dialogue intitulé Pragmaticon. Cf. Ccillier, loc. cit., p 388.

Touchant le Saint-Esprit, Abélard et son école professent une erreur que le concile de Sens n’a pas suffisamment relevée et qui semble poser le principe d’une âme divine du monde. D’où une accusation, imméritée peut-être pour Abélard. mais très exacte en ce qui concerne Guillaume de Conches et Bernard de Tours, l’accusation de panthéisme. Pour Abélard, en effet, le Saint-Esprit procède à la fois du Père et du Fils parce qu’il est leur bénignité dans I’ « affection » et 1’ « effection » qui ont pour terme les créatures. Intr. ad theol., t. II, c. xiv, P. L., t. clxxviii, col. 1072 AB. Il semble donc qu’une relation aux créatures soit essentielle à l’Esprit-Saint. Cf. Guillaume de Saint-Thiéry, Disp. adv. Abœlardum, c. iv, P. L., t. clxxx, col. 260 C-262 C. Tout en protestant de sa foi chrétienne, Guillaume de Conches va plus loin et paraît identifier le Saint-Esprit et l’âme du monde. De erroribus G. de C, col. 339 A. Ces tendances deviennent un système réel chez Bernard Silvestris de Tours dans son De mundi universitate ou Megacosmus et Microcosmus, éd. Barach et Wrohl, dans liibliotheca philosophica mediæ a’talis, Inspruck, 1876. On voit par lu qui était visé par Honoré d’Autun, au c. xv du De philosophia mundi ; voir ci-dessus, col. 1712. La même fâchl use tendance s’accentue au xiiie siècle chez Amaury de Bène († 1207) et, avec une aggravation matérlallstt, chi i David de Dînant. Voir ces vocables, t. i, col. 936 ; t. iv, col. 157 et plus loin, col. 1725.

Les décisions du concile de Sens provoquèrent de la part de Robert de Melun († 1167) une defens. des propositions 1 et 14 d’Abélard au sujet de la Trinité. A cette occasion, Robert a su mettre en relief la doctrine des appropriations divines, que devait plus tard reprendre Richard de Saint-Victor et que consacreront les grands scolastiques. Voir les textes ici t. xiii, col. 2752.

c) Le réalisme de Gilbert de la Porrée († 1154) et le dogme trinitaire.

Après la condamnation du nominalisme à Soissons, du conceptualisme à Sens, le réalisme est atteint à Paris et à Reims dans la réprobation des doctrines trinitaires de l’évêque de Poitiers. Sur Gilbert de la Porrée, voir ici, t. vi, col. 1350 et cf. A. Hayen, Le concile de Reims et l’erreur théologique de Gilbert de la Porrée, dans Arch. d’hist. doct. et litt. du M. A., t. x, 1935-1936, p. 29 sq.

Le réalisme de Gilbert, distinguant en Dieu « l’être qui est » de « l’essence par laquelle il est » (essens quod est et essentia qua est) l’amenait à concevoir la Trinité comme trois êtres n’ayant qu’une forme d’existence, c’est-à-dire la même essence, id quo est unum esse in Trinitate contendit, c’est-à-dire la forme, la nature déifique, qui est pour ainsi dire la source de la divinité des personnes. Porro quod hac essentia est, non unum in Trinitate contendit, sed tria singularia queedam, très res numerabiles unitatibus tribus. Geoiïroy, abbé de Glairvaux, Libellus contra Gilbertum, n. 26, P. L., t. clxxxv, col. 604. Comment concilier l’unité divine et le nombre trois des divines réalités ? Pour Gilbert, l’unité est dans le même prédicament que la chose qu’elle rend une et, par conséquent, il y a autant d’unités que de prédicaments. Puisqu’en Dieu il n’y a qu’une seule substance, il n’y a aussi qu’une seule unité substantielle, par laquelle les trois personnes sont Dieu. Mais en Dieu il y a trois relations ; les unités de paternité, de filiation, de spiration qui sont non des unités substantielles, mais des unités relatives. Gilbert, Comment, in lib. de prædicatione trium personarum, P. L., t. lxiv, col. 1309 D. Peut-être Gilbert cherche-t-il d’une façon malhabile la formule d’accord entre la substance et les relations divines ; mais sa formule n’échappe pas au reproche d’une quaternité divine. Ce qui justifie les critiques de saint Bernard, De consideratione, t. V, c. vii, P. L., t. clxxxii, col. 797 C ; cf. In Cantica, serm. lxxx, n. 5, t. clxxxiii. col. 1168-1169.

Les erreurs trinitaires et christologiques de Gilbert furent condensées en quatre propositions que présente, avec leur justification d’authenticité par des textes empruntés à Gilbert, l’abbé de Clairvaux, Geoffroy, dans son Libellus contra capitula Gilberli Pictaviensis episcopi, P. L., t. clxxxv, col. 595 sq. A chaque proposition, le concile de Reims, présidé par Eugène III, opposa un article de profession de foi catholique.

1. À l’erreur initiale (cf. Geoffroy, col. 597 CD), le concile oppose l’article suivant :

Credimus et confitemursimplicem

naturam divinitatis esse Deum, nec aliquo sensu catholico posse negari, quin divinitas sit Deus et Deus divinitas. Si vero dicitur : Deum sapientia sapientem, magnitudine magnum, aeternitate aeternum, unitate unum, divinitate Deum esse et alia hujusmodi, credimus nonnisi ea sapientia quæ est ipse Deus, sapientem esse, nonnisi ea magnitudine, quae est ipse Deus, magnum esse, nonnisi ea aeternitate mise est ipse Deus, aeternum esse, nonnisi ea unitate qua ; est ipse Deus unum esse, nonnisi ea divinitate Deum, quæ est ipse, id est seipso sapientem, magnum, aeteriium, unum, Deum.

Denz.-Bannw., n. 389.

Nous croyons et confessons que la simple nature de la divinité est Dieu et qu’on ne peut accorder aucun sens catholique à l’assertion que la divinité n’est pas Dieu lui-même et Dieu, la divinité. Si l’on dit que Dieu est sage par sa sagesse, grand par sa grandeur, éternel par son éternité, un par son unité, Dieu par sa divinité, etc., nous croyons que Dieu est sage uniquement par la sagesse qui est Dieu lui-même, grand uniquement par la grandeur qui est Dieu lui-même, éternel uniquement par l’éternité qui est Dieu lui-même ; un, uniquement par l’unité qui est Dieu lui-même, Dieu, par la divinité qui est lui-même, en sorte qu’il est par luimême sage, grand, étemel, n, Dieu.

Voir le commentaire de cette assertion à l’art. Dieu, t. iv, col. 1165-1167 et surtout 1173-1174. Il est impossible de distinguer en Dieu id quod est et id quo est, car « soutenir qu’il y a en Dieu quelque chose par quoi il est Dieu et qui n’est pas Dieu détruit la simplicité divine ». Loc. cit.

2. À la seconde erreur, proprement trinitaire (voir Geoffroy, col. 604), le concile oppose le deuxième article :

Cum de tribus personis Ioquimur, Pâtre, Filio et Spiritu Sancto, ipsas unum Deum, unam divinam substantiam esse fatemur. Ete converso, cum de uno Deo, una divina substantia loquimur, ipsum unum Deum, unamque divinam substantiam esse très personas confitemur.

Denz.-Bannw., n. 390.

En parlant des trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous confessons que ces trois personnes elles-mêmes sont un Dieu unique et une substance divine unique. Et, à l’inverse, en parlant d’un Dieu unique et d’une unique substance divine.nous confessons que ce Dieu unique et cette unique substance divine sont les trois personnes.

Ce canon indique expressément qu’on ne peut concevoir en Dieu une essence ou substance réellement distincte des personnes. Quoique les personnes soient réellement distinctes entre elles, elles s’identifient pleinement avec la réalité de la substance divine, de Dieu lui-même. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu ; mais les trois sont l’unique Dieu, l’unique substance divine.

Par là est réprouvée l’application faite par Gilbert à la Trinité de son erreur fondamentale, à savoir que les personnes ne sont pas une essence quæ sunt, mais une essence 711a sunt, qu’elles ne sont donc pas réellement identiques à l’essence divine mais participent simplement à cette essence qui les domine. Ainsi le Père, le Fils, le Saint-Esprit ne seraient pas numériquement un Dieu ; ils participeraient seulement à la même déité, un peu comme trois hommes à la même humanité.

3. La troisième erreur (voir Geoffroy, col. 609) établissait une distinction réelle entre personnes et propriétés divines. C’était là briser la simplicité de Dieu. Le concile émet donc ce troisième article :

Credimus (et conûtemur) solum Deum Patrem et Filium et Spiritum Sanctum aeternum esse, nec aliquas omnino res, sive relationes, sive proprietates, sive singularitates vel unitates dicantur, et hujusmodi alia, adesse Deo, quæ sint ab aeterno, quæ non sint Deus. Denz.-Bannw., n. 391.

Nous croyons (et confessons ) que seul Dieu, Père, Fils et Suint-Esprit, est éternel et que les réalités, quelles qu’elles soient, relations, propriétés, particularités, unités et autres semblables, ne peuvent être dites appartenir à Dieu de toute éternité, si elles ne sont Dieu.

Donc, simple distinction de raison entre Dieu et les attributs et l’essence, entre les relations, les propriétés et la substance. Voir Dieu, t. iv, col. 1170-1171 et Relations divines, t. xiii, col. 2145 sq.

La quatrième erreur de Gilbert concernait l’incarnation (voir Geoffroy, col. 613). Cf. Gilbert de la Porrée, t. vi, col. 1353.

Les Sententiæ divinitatis (éd. Geyer, Die « Sententiæ divinitatis », ein Sentenzenbuch der Gilbertschen Schule, Munster-en-W., 1909) sont à placer vers le milieu du XIIe siècle. Elles sont l’œuvre d’un disciple de Gilbert et reproduisent presque à la lettre les points réprouvés à Reims, notamment la doctrine trinitaire et christologique. Les propriétés par lesquelles les hypostases divines se distinguent l’une de l’autre ne sont pas Dieu, mais en Dieu. Cf. Geyer, op. cit., p. 10-28 ; p. 160*, 161*, 162*. Voir ausr.i M. Grabmann, Die Geschichte der scholastischen Méthode, t. ii, p. 437-438 ; A. Landgraf, Untersuchungen zu der Eigenlehre Gilberis de la Porrée dans Zeitschr. fur kath. Théologie, Inspruck, 1930, p. 184 sq.

4. Le début du XIIe siècle (suite) : tendances mystiques.

Le début du XIIe siècle est dominé par la grande figure de saint Bernard. Saint Bernard est avant, tout un mystique. C’est dans l’Écriture, dans la contemplation des choses divines qu’il puise toute sa scirnce, une science qui, loin des subtilités d’une vaine philosophie, cherche à conduire les âmes vers la connaissance de soi, l’amour du prochain et la contemplation de Dieu.

On a dit, voir Bernard (Saint), t. ii, col. 763, que son enseignement sur la Trinité avait uniquement consisté à poser le dogme, tel que l’Église l’a défini. Pour Bernard, scruter ce dogme est une spéculation condamnable, la connaissance de la Trinité divine étant réservée à la vie éternelle. On a dit aussi, col. 764, que Bernard avait été dégoûté des spéculations scolast.iques sur la Trinité par les tentatives malheureuses de ses contemporains, tentatives qu’il avait dû lui-même dénoncer, poursuivre et faire condamner. Noir surtout Contra capitula errorum Pétri Abeelardi, P. L., t. clxxxii, col. 1049 sq. ; 1053 sq. La doctrine trinitaire de Bernard est condensée dans le De consideratione, t. V, c. vii-ix, col. 797-801.

Saint Bernard n’en a pas moins exercé une influence heureuse sur la scolastiquc. Cf. Grabmann, op. cit., t. ii, p. 94-97. Peut-être même, en raison de son mysticisme, eut-il une certaine influence sur l’école de Saint-Victor, dont le chef, Hugues, lui proposa des difficultés soulevées par les théories d’Abélard, ce qui nous vaut le petit traité De baptismo aliisque quæstionibus, P. L., t. ci.xxxii, col. 1031 sq.

a) Hugues de Saint-Victor († 1141). —

La doctrine d’Hugues sur les rapports de la raison et de la foi a été indiquée, t. vii, col. 259-261. Hugues est disciple d’Augustin et il expose avec complaisance la théorie augustinienne de la trinité humaine, image de la Trinité divine : l’âme, la sagesse, l’amour. De sacramentis, 1. f, part. III, c. iv-xi ; xix-xxi, P. L., t. clxxvi, col. 218 B-220 A ; 224 D-225 D. Faut-il y voir un point de départ pour une démonstration rationnelle de la Trinité divine ? F. Vernet a montré ici, t. vii, col. 207269, ce qu’il faut penser de cette affirmation. Pour découvrir en elle-même un vestige de la Trinité, il faut d’abord que l’âme se sache créée à l’image de Dieu et parte de cette connaissance. Il y a donc nécessairement un point de départ révélé. Mais il serait excessif d’en vouloir tirer une démonstration proprement dite de l’existence du mystère. Voir art. cit., col. 268. La doctrine trinitaire elle-même est assez rudimentaire chez Hugues, col. 274.

Si le Tractatus théologiens édité dans P. L., t. clxxi, col. 1067 sq., sous le nom d’Hildebert de Lavardin doit être restitué à Hugues de Saint-Victor, on y trouvera c. iv-vui, un bon exposé de la doctrine catholique « /inspirant de saint Augustin et de Boèce : le mystère de la Trinité, les noms par lesquels selon leurs propriétés nous distinguons les personnes entre l’égalité du Père, du Fils et du Saint-lisprit. On y relève de grandes analogies aee Pierre Lombard.

b) La Summa Sententiarum.

Cette Somme présente un réel propres, spécialement quant a la théologie trinitaire, sur le De sacramentis. I.n Ce qui concerne les rapports de In rai’on et di !  ; i foi, elle t adoucit les expri salons du be sacramentis sur la démonstration rationnelle de la Trinité et, après avoir dit nettement qu’il faut d’abord entendre les témoignages de l’autorité, réduit le rôle de la raison à montrer certains exemplaires de la Trinité dans les œuvres de Dieu, quædam exemplaria in his quæ facta sunt, certains vestiges de la Trinité dans l’âme, in seipsa potuit humana mens vestigium Trinitatis invenire. Sur le terme ingenitus appliqué au Père, sur l’égalité des personnes, l’application du mot personne aux trois réalités divines, sur les relations dans la Trinité et les opérations divines, des explications courtes mais précises sont données, qu’on chercherait en vain dans le De sacramentis ». F. Vernet, art. cit., col. 285. Voir Summa sententiarum, tract. I, c. vi-xi, P. L., t. clxxvi, col. 50 D-61 B.

c) Richard de Saint-Victor (f vers 1173). —

Richard tient une place de premier plan dans le développement de la théologie trinitaire. Sa doctrine a été longuement exposée t. xiii, col. 2684-2691. C’est lui surtout qui a présenté une « démonstration rationnelle » du mystère. Le P. de Régnon indique qu’on peut dégager de sa théologie une double démonstration, l’une d’ordre métaphysique, qui part de l’existence a semetipso et qui est développée surtout dans le 1. V du De Trinitate ; voir ici, t. xiii, col. 2687 ; l’autre, d’ordre psychologique, s’appuyant sur la puissance d’aimer, amour de personne à personne. C’est surtout dans le 1. III qu’est développé l’argument ; voir ici t. xiii, col. 2684. Mais le 1. VI (voir col. 2689) y ajoute un couronnement nécessaire en montrant la plénitude de la vie divine se communiquant dans le Fils et dans l’amour. Sur la valeur de la « démonstration », voir t. xiii, col. 2691. La doctrine de Richard est aussi résumée dans A. d’Alès, De Deo trino, p. 197-198 ; cf. J. Ebner, Die Erkenntnislehre Richards, Munster, 1917 ; A. -M. Ethier, O. P., Le « De Trinitate » de Richard de Saint-Victor, Paris, 1939.

Il serait utile de rapprocher Richard de saint Augustin sur le point précis de la théorie psychologique de l’amour appliquée à la Trinité. Le P. de Régnon l’a fait, avec bonheur, semble-t-il, dans ses Éludes…, t. ii, p. 305 sq. Tandis qu’Augustin, partant de l’analyse d’un amour naturel, se trouve obligé d’insérer un « verbe » dans l’intelligence avant d’envisager la volonté, pour constater que l’amour procède et de l’âme et de son verbe, Richard s’adresse immédiatement à l’amour personnel ou amour d’amitié, qui ne peut pas ne pas exister en Dieu et qui pose nécessairement la multiplicité des personnes qui s’aiment.

Le P. de Régnon fait également observer qu’au sommet des choses, théorie métaphysique et théorie psychologique se rejoignent. Au sommet métaphysique, Dieu, c’est l’amour subsistant à l’état d’acte qui est sa propre substance, sa propre vie, sa propre subsistence. L’Être, c’est-à-dire Dieu, est le Bon, l’Amour. Amour, c’est la substance divine, identique chez les Trois. Aimant, c’est le suppôt, la personne divine. Un seul Amour, voilà l’unité ; trois Aimants, c’est la Trinité. Op. cit., p. 312-313. Cf. Richard, De Trinitate. I. V, c. xx, P. L., t. exevi, col. 963 CD.

Les appropriations divines ont été étudiées par Hichard dans un opuscule qui fait suite au De Trinitate, ibid., col. 992-994. L’amour que les personnes divines ont entre elles est brièvement rappelé dans l’opuscule Quomodo Spirilus Sanctus est amor Patris et lilii. Ibid., col. 1011. Voir M. -T. L. Ptnido, Glose sur les » roccssions d’amour dans la Trinité, dans Eph. theol. Lovanien., t. xiv, 1937, p. 33-68.

Bn parlant de la procession du Fils, Richard, voulant faire écho à la formule de certains Pères, parle di la substance qui engendre et de i.i substance qui i t i ng< iulrtv, subslanlia gentil tubstanUam. Substance est ici, pour lui, l’équivalent de personne, en marquant toutefois que toute la réalité de la personne se confond avec la substance. De Trinitate, I. VI, c. xxii. C’est là d’ailleurs une conception conforme à la définition qu’il donne de la personne : l’être qui possède une nature. Ibid., t. IV, c. XI, col. 937 B. La formule ne présenterait pas plus d’intérêt que la oolunlas genuit voluntatem de saint Julien de Tolède, si l’on n’avait quelque raison de penser que Richard a visé ici Pierre Lombard qui, au moment où Richard écrivait son traité, enseignait que « la divine essence n’a pas engendré l’essence. En effet, puisque la divine essence est une chose unique et suprême, si l’essence divine a engendré l’essence, une chose s’est engendrée elle-même ; ce qui est absolument impossible. Mais le Père seul a engendré le Fils, et du Père et du Fils procède le Saint-Esprit ». Sent., t. I, dist. V. Le IVe concile du Latran a donné raison à Pierre Lombard contre Joachim, abbé de Flore, qui attaquait précisément la position prise par le Maître des Sentences. En condamnant Joachim, le concile n’a pas atteint Richard ; voir ici, t. xiii, col. 2694. Ce qui fut condamné, c’est le trithéisme qui se cachait sous la formule de l’abbé de Flore. (Voir plus loin, col. 1727.)

De Pierre Lombard au IVe concile du Latran.

Pierre Lombard († 1160) est un initiateur ; il entend réagir contre les abus des dialecticiens, restituer à la révélation le primat sur la raison, faire un appel modéré à la philosophie dans le seul but d’éclairer le dogme, interroger surtout l’Écriture et les Pères. Son œuvre présente un programme relativement complet et ordonné de la théologie, dans lequel il s’efforce de concilier en une synthèse cohérente les éléments traditionnels parfois disparates ou divergents.

A tous ces titres, le livre des Sentences de Pierre Lombard marque le début d’une période nouvelle. Si le Maître a eu des continuateurs, des commentateurs ou imitateurs, il existe toutefois encore des auteurs indépendants. Enfin, l’ère des hérésies n’est pas close ; plusieurs erreurs attaqueront encore, à la fin du xiie siècle, le dogme de la Trinité et auront leur solution au IVe concile du Latran.

1. Pierre Lombard et son influence immédiate.

La doctrine trinitaire de Pierre Lombard a été exposée t. xii, col. 1991-1992. Le plan du 1. I er, consacré à la Trinité, appelle de sérieuses réserves ; Pierre se justifie en disant que l’objet de notre jouissance devant être finalement la Trinité, il est bon d’en commencer l’étude dès le principe. La distinction du De Deo uno et du De Deo trino, si souhaitable, n’est donc pas réalisée.

a) Maître Bandinus (XIIe s.) mérite à peine une mention : abréviateur plutôt que continuateur de Pierre Lombard, il donne de simples notes dans le De sacrosancta Trinitate qui forme le 1. I er de ses Sentences. P. L., t. cxcii. col. 871-1028. Voir ici t. ii, col. 140.

b) Pierre de Poitiers († 1205), au contraire, s’est appliqué à mettre en relief et à expliquer la doctrine du Lombard dans cinq livres de Sentences. P. L., t. ccxi, col. 791 sq. Sauf quelques chapitres (i-ii, vm-xvi), le 1. I er est entièrement consacré à la Trinité. L’auteur aborde les problèmes doctrinaux plutôt de biais, en fixant la terminologie avec exactitude. C’est, en somme, un véritable traité des notions divines et des noms divins. La seconde partie du c. III en indique le plan :

Il y a neuf genres de termes qu’on applique à Dieu. Les uns désignent l’essence et présentent toujours une signification essentielle, par exemple l’essence, la divinité, etc. D’autres désignent l’essence (le texte de Migne porte existentiam ? ), et cependant ont parfois une acception personnelle, par exemple : la puissance, la sagesse, la bonté. Quelques-uns, et par leur expression et par leur signification, s’appliquent aux relations de toute éternité ; par exemple : Père, Fils. Il y en a qui s’appliquent collectivement aux trois personnes sans pouvoir être dits d’aucune d’entre elles, comme la Trinité. Certaines expressions marquent un rapport de la divinité aux créatures et conviennent à toutes les personnes : Créateur, Seigneur. Mais d’autres, qui impliiruent pareillement un rapport aux créatures, rapport ne se réalisant que dans le temps, ne conviennent pas à toutes les personnes, par exemple : être envoyé. D’autres conviennent à une personne et dans le temps, sans rapport aux créatures : être incarné, fait homme. Dans ce dernier genre se rencontrent des expressions métaphoriques, comme « agneau », » lion », « caractère », etc. C’est de toutes ces énonciations qu’il sera ici traité. Col. 795 AB.

Pierre de Poitiers et son maître Pierre Lombard, ainsi qu’Abélard et Gilbert de la Porrée, furent l’objet de vives attaques de la part de Gauthier de Saint-Victor, dans son ouvrage Libri contra quatuor Labyrinlhios Francise, P. L., t. cxcix, col. 1127 sq. (simples extraits) ; voir ici t. vi, col. 1171. Les critiques concernant le 1. I er sont restées inédites en presque totalité. C’est par une note de dom Mathoud qu’on en connaît les plus pertinentes, P. L., t. ccxi, col. 785 CD786 A. La plus importante est à coup sûr celle qui concerne l’habitation personnelle du Saint-Esprit, identifié avec la charité, dans l’âme juste. Voir l’article suivant, col. 1841.

c) Sur Gandulphe de Bologne, voir t. vi, col. 11461150, où J. de Ghellinck résume les conclusions de son livre Le mouvement théologique au xue siècle, p. 178 sq. Comme Pierre Lombard, Gandulphe traite de la Trinité dans le 1. I er, ordonné comme celui du Maître des Sentences : Dieu, la Trinité, les attributs divins, la science divine, la prédestination, la volonté divine.

d) Faut-il rapporter à Gauthier de Châtillon (f vers 1201) un traité De Trinitate, P. L., t. ccix, col. 575 sq. ? L’auteur, quel qu’il soit, semble avoir composé cet écrit contre ceux qui prétendaient qu’en Dieu des propriétés ou des relations sont des réalités différentes de la substance divine. C. xi. Seraient-ce des disciples attardés de Gilbert ? La conception de trois personnes constituées en Dieu par trois propriétés absolues distinctes virtuellement de l’essence divine n’était pas inouïe à cette époque. Voir ci-dessous, col. 1731, un texte significatif de Robert Grossetête, évêque de Lincoln.

Ce De Trinitate s’inspire visiblement de Pierre Lombard et comprend treize chapitres. Après avoir démontré les perfections essentielles de Dieu (c. i), l’auteur prouve qu’il y a trois personnes dans l’unité de la substance divine (c. il). Le Père est sans principe ; le Fils est engendré ; le Saint-Esprit procède de l’un et de l’autre (c. iii). D’où il suit que le Père ne tient de personne ce qu’il a ; que le Fils tire du Père ce qu’il possède et que le Saint-Esprit tire, non par grâce, mais naturellement, ce qu’il a et du Père et du Fils, sans que ces mutuelles dépendances marquent la moindre infériorité dans la seconde et la troisième personne (c. iv). La Trinité n’a qu’une opération ad extra commune aux trois personnes (c. v) ; donc tout ce qu’on dit substantiellement de Dieu peut être dit du Père, du Fils et du Saint-Esprit. En passant, l’auteur examine s’il est permis de dire qu’il y a dans la Trinité trois » substances » individuelles de nature raisonnable (définition de la personne par Boèce). Sa solution est négative, en raison de l’usage (c. vi). Ce qui convient à Dieu de toute éternité par rapport à sa nature peut être attribué à chacune des personnes ; il faut en dire autant de ce qui convient à Dieu dans le temps par rapport à la créature. L’incarnation est à part, car elle n’implique pas en Dieu de rapport à la créature (c. vu). Le c. viii rappelle que les prédicats relatifs concernent les personnes et qu’il faut en conséquence parler de Dieu trine et non de Dieu triple. Les c. ix et x montrent les similitudes de la Trinité dans l’âme humaine : seuls les bienheureux dans le ciel auront une connaissance parfaite de la Trinité. Le c. xii explique en bonne part un texte de saint Jérôme et certaines expressions de la préface de la messe de la Trinité (cette préface date de l’époque carolingienne). Enfin (c. xiii) l’auteur réfute l’erreur de ceux qui, attribuant au Père seul la puissance, au Fils seul la sagesse, au Saint-Esprit seul la bonté, se vantent de comprendre le mystère : une telle prétention est folie et la transcendance du mystère exige de nous une foi plus humble.

e) Existe-t-il un lien de dépendance, doctrine et plan, entre les Sentences et le sermon xxxiv, In festivitate sanctæ Trinitatis de saint Martin de Léon († 1202), P. L., t. ccviii, col. 1269 ? À lire ce « sermon », qui n’a rien d’un morceau oratoire, mais qui a tout d’un traité didactique, on serait tenté de l’admettre. L’auteur espagnol, du moins, puise à la même source principale, saint Augustin, et développe son exposé suivant un plan similaire. De plus on y retrouve la doctrine du Saint-Esprit, charité de Dieu dans l’âme, col. 1302 D-1305 A.

Voici le résumé de l’ouvrage :
1. Preuves de la Trinité par l’Écriture, Ancien et Nouveau Testament, col. 12711274 D ;
2. Vestiges de la Trinité dans les créatures et image dans l’àme, col. 1274-1280 A ;
3. Exposé du mystère et terminologie à garder, col. 1280-1282 C ;
4. Vérité, immutabilité, simplicité de l’essence divine qui ne possède rien qui ne soit elle-même, col. 1282-1290 B ;
5. L’Esprit-Saint, amour du Père et du Fils, procède éternellement de l’un et de l’autre, quoi qu’en disent les Grecs, et cette procession n’est pas une génération, col. 1290-1294 G ;
6. Mission visible et invisible du Saint-Esprit dans le monde et dans les âmes, col. 1294-1297 G ;
7. Mission du Fils comparée à celle de l’Esprit, col. 1297-1301 B ;
8. Du don de l’Esprit-Saint à l’àme par la charité, col. 1301-1306 D ;
9. Égalité des trois personnes dans leurs perfections, col. 1307-1310 A ;
10. Les propriétés personnelles, col. 1310-13Il B. —
Le reste du « sermon », tout comme la fin du t. I, r des Sentences concerne la nature divine comme telle (intelligence, science, prédestination, volonté). L’ouvrage se clôt par la profession de foi de Nicée longuement commentée, col. 1326 B1328 G et par une exhortation aux Juifs incrédules à revenir à la foi d’Abraham à qui aurait été révélée la Trinité, et à croire en Jésus-Christ, Messie envoyé par Dieu et Fils de Dieu, col. 1350.

2. Auteurs indépendants.

D’autres écrits, de caractères et de genres très divers, ne semblent pas avoir subi l’influence des Sentences.

a) Achard de Saint-Victor († 1171). —

On lui attribuait un De Trinitate dont, semblait-il, il ne restait plus trace. Voir t. I, col. 310 et Ceillier, op. cit., p. 709. Avec quelque vraisemblance on a aujourd’hui identifié ce traité avec le commentaire du pseudo-Bède sur le De Trinitate de Boèce, P. L., t. xcv, col. 391-411. La rédaction de ce commentaire accuse une certaine habitude de la scolastique, encore que la doctrine exposée ne présente aucun relief et se traîne dans des généralités entrecoupées de remarques historiques, grammaticales ou étymologiques. Le dernier paragraphe seul présente quelque intérêt en raison de la définition de la personne donnée par Boèce et qu’il s’agit d’appliquer à la Trinité : il faut, de toute nécessité, déclare l’auteur, entendre le mot subslantia dans le sens à’hyposlasis, col. 4Il C. Le commentaire se clôt sur une curieuse hésitation, l’auteur n’osant ni affirmer ni nier que les trois personnes soient coéternelles, ne voulant pas paraître accorder au Fils et au Saint-Esprit une sorte d’autorité sur le Père, se re fuant néanmoins à dire qu’ils ne sont pas éti nuls comme lui, col. 4Il D.

b) Hugues d’Amiens, archevêque de Rouen († 1164). —

Hugues écrit sur la Trinité en un tout autre genre, L’( xposé du mystère est contenu dans le I. I or de ses Dialogues, où il est aussi question « le l’incarnation. L’auteur procède par interrogations et réponses.

Dieu est le Souverain Bien, un dans son essence, trine dans ses personnes (I). La Trinité ne s’oppose pus à l.i simplicité (IV) ni à l’éternité (V), ni l’unité à la distinction dis personnes (VI-V1II). L’image de la Trinité est dans l’Ame : intelligence, mémoire, amour (IX). Le Fils est engendré et l’Esprit-Saint procède du l’ère et du Fils (X) Comme tous ses contemporains. Hugues trouve des preuves teriptnratfea de la Trinité dans la Genèse ; mais, sur la connaissance du mystère, sa doctrine est ferme : la raison humaine ne

peut l’acquérir et c’est la foi seule qui nous permet d’y atteindre. P. L., t. cxcii, col. 1141-1147. Voir aussi De memoria, t. I, col. 1301-1308 ; De fide catholica et oratione dominica, passim, col. 1323 sq. ; cf. ici, t. vii, col. 205 sq.

c) Adam Scot (fin du XIIe siècle) est plutôt un mystique. Voir t. i, col. 389. Son traité De tripartito tabernaculo et la lettre aux prémontrés qui le suit, P. L., t. cxcviii, apportent cependant une contribution non négligeable a l’histoire du dogme trinitaire. Le traité est divisé en trois parties : 1. Explication, au sens littéral, du tabernacle de Moïse ; 2. Au sens allégorique, interprétation de ce tabernacle par rapport à l’âme devenue image de la Trinité dans l’imitation de la passion du Christ. C’est dans cette partie que se trouvent les emprunts au dogme trinitaire. Voir surtout col. 762 BC. Dans la lettre, De triplici génère conlemplationis, Adam décrit l’image de la Trinité dans l’esprit créé, part. I, § xxi-xxx, col. 805 sq., en marquant combien la Trinité, par sa transcendance même, se différencie des faibles images qu’on en peut avoir ; l’auteur est ainsi amené à faire l’exposé du mystère. La deuxième partie est consacrée à l’adoption de l’âme par les personnes de la Trinité, ce qui permet à l’auteur de revenir, au § xvi, sur l’image de la Trinité dans l’âme, col. 833 CD, et sur les processions divines en même temps que sur la distinction des personnes, § xvii, col. 835.

d) Pour clore cette série, citons quelques lettres, essais, sermons, d’un intérêt non négligeable.

Des sermons attribués à Hildebert de Lavardin, voir t. vi, col. 2466, bien peu sont authentiques. Le sermon De Trinitate, P. L., t. clxxi, col. 595, doit être restitué à Pierre Comestor († 1178). — Le cardinal Henri de Marsi († 1188), dans le De peregrinante civitate Dei, P. L., t. cciv, touche à plusieurs reprises aux questions trinitaires : opérations communes aux trois personnes et cependant appropriations légitimes, tract. I, col. 262-263 ; image de la Trinité dans la créature, tract. II, col. 270-271 ; témoignage rendu par la Trinité à ses amis qui, par là, se distinguent des fils et des serviteurs, tract. III, col. 275 sq. — Baudoin, archevêque de. Cantorbéry († 1188) parle en mystique de la Trinité : habitation de la Trinité dans l’âme par la charité, serm. xiii, P. L., t. cciv, col. 528 ; vie de la Trinité, une dans les trois personnes distinctes, idéal de la vie cénobitique, serm. xv, col. 545 sq. ; témoignage rendu par la Trinité (cf. I Joa., v. 7) à ses amis, Liber de commendatione fidei, col. 614 sq., cꝟ. 619 B, 628 BC, 634 CD. — Pierre de Blois († 1200) a, sur la Trinité, P. L., t. cevn, col. 637-641, un sermon où l’on relève une formule expressive au sujet de l’unité divine simplex et unissima, col. 640 B ; du même auteur signalons une poésie, Tractalus de sacrosanctis venerabilis sacramenti eucharistiie musteriis, col. 1135 sq., dont le prologue, écrit en vers léonins, est constitué par une triple invocation au l’ère, au Fils et au Saint-Esprit, col. 1 135 B-1138 C. — D’Alain de Lille († 1202), qu’on retrouvera plus loin, outre les doxologies trinitaires terminant la plupart de sis sermons, on Indiquera les sermons iv, t. ccx, col, ao ?D-a08 lï.etvm, eol.218Bsq.( les MtmoraHlia, col. 254 AF » ; le s 7 lirologictr reguttr, rcg. i-lxi, col. 621lee Distinctionrs dictionum thrologicarum, V 7rinitas, col. 980 B. Tous ces textes renferment des observations ou (L i exposée utiles.

Enfin, après deux anonymes, auto urs de commentaires sur le symbole des apôtres et sur le Quiciimque, P. L., t. ccxiii, col. 728-730, 735-744 (ers réfén nc< s concernent la Trinité), terminons par le curieux seTmon de daniier, évlque de Langrea (t van 1198), De tanekêitBia Trinttata, P. L., t. c.cv, col. 710-721 i et auditeurs langrois devaient être habitués aux subtilités pour comprendre un tel discours, qui prétend démontrer philosophiquement la Trinité par les choses extérieures et ce, en vertu d’arguments non seulement probables, mais nécessitants. Tout le raisonnement porte sur les rapports des trois côtés du triangle isocèle 1 Cela posé, à l’aide de textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, Garnier expose le mystère, exhortant les fidèles à réfléchir souvent à ces vérités quæ simplici sermone vix leneri poteranl, col. 721 A.

3. Controverses.

L’histoire du IIIe concile du Latran montre quelles étaient, vers la fin du xiie siècle, les préoccupations des controversistes. Voir ici t. viii, col. 2647 sq. Les adversaires du dehors étaient, en plus des vagabonds de toute sorte, les albigeois, les vaudois, les Juifs et les Sarrasins musulmans. Mais, dans l’Église même, les apologistes eurent à combattre les erreurs de quelques théologiens. Soit du dedans, soit du dehors, les attaques ont visé, plus d’une fois, le dogme trinitaire.

a) Les hérétiques du dehors.

Au concile de Vérone de 1184, Lucius III, de concert avec l’empereur Frédéric Barberousse, promulgua un décret contre tous les hérétiques de son temps, nommément « les cathares, les patarins, les humiliés ou pauvres de Lyon (vaudois), les passagiens, les josépins, les arnaldistes ». Décret. Greg. IX, t. V, tit. ii, c. 9. Voir le texte latin, ici t. viii, col. 1547. Les recherches consacrées à ces sectes ou à leurs fondateurs n’ont pas toujours permis d’identifier complètement leur doctrine. Il semble qu’on puisse les partager en trois grandes classes qui, par la force de leur opposition à l’Église, se sont pratiquement unies dans la même rébellion et ont mérité le même anathème.

D’une part, on trouve les partisans d’un néo-manichéisme, que caractérise la croyance en un double principe : les albigeois, t. i, col. 678, ou les cathares, t. ii, col. 1993, avec toutes les nuances qui différencient leurs sectes et que nous fait connaître un converti, Rainier Sacconi, Summa de catharis et leonistis, publiée dans Martène et Durand, Thésaurus noous anecdotorum, Paris, 1717, t. v, col. 1761-1776. Voir aussi un autre converti, Bonacorsi, Vita hærelicorum, P. L., t. cciv, col. 775 ; Ermengaud, Contra hæreticos, ibid., col. 1235 sq., et Moneta de Crémone, Adoersus catharos et valdenses libri V, Rome, 1743. Voir la bibliographie à l’art. Cathares, t. ii, col. 1997. Faut-il rapprocher des cathares les josépins ? Le problème est obscur ; voir, t. viii, col. 1547. Mais, à coup sûr, doivent leur être identifiés, tout au moins dans ! a pensée de Lucius III, les patarins. Voir t. xi, col. 2243.

Une deuxième classe serait constituée par les hérésies principalement antiecclésiastiques, faisant écho aux idées de réforme alors en l’air, dans lesquelles pouvait parfois se mêler une certaine dose de manichéisme, mais où l’on trouvait surtout une volonté de révolte contre l’autorité. C’est le cas des pétrobrusiens, dénoncés dès le début par Pierre le Vénérable, P. L., t. clxxxix, col. 719 sq., voir Bruys (Pierre de), t. ii, col. 1153 ; des henriciens, voir Henri, t. vi, col. 2182 et, en général, des vaudois ou pauvres de Lyon. Cf. Bernard de Fond-Cauld, Adversus waldensium seclam, P. L., t. cciv, col. 793 sq. De ces sectes, il faut rapprocher les arnaldistes, voir Arnaud de Brescia, t. i, col. 1973 ; cf. Bonacorsi, op. cit., P. L., t. cciv, col. 791-792. Sans être nommément désignées, ces sectes virent plusieurs de leurs doctrines condamnées par le IIe concile du Latran, can. 23 ; voir t. viii, col. 2642-2643.

Enfin, une troisième classe renferme les hérétiques faisant figure de judaïsants, sans toutefois l’être réellement, ainsi que G. Lacombe l’a démontré contre Schmidt et Newman. Voir G. Lacombe, La vie et les œuvres de Prévostin, Kain, 1927. Tels étaient les passagiens, dénoncés par Bonacorsi et par Prévostin de Crémone ; voir ici t. xi, coï. 2206. Quant aux juifs et aux mahométans, leur monothéisme rigide et leur opposition au Christ les plaçaient avec les passagiens au premier rang des adversaires de la Trinité.

A la fin du xiie siècle, toutes ces sectes se sont pour ainsi dire compénétrées et toutes subissent plus ou moins indirectement l’effet de préjugés antitrinitaircs ou déformateurs de la vérité trinitaire ; voir plus loin. Des apologistes, comme Alain de Lille, ont attaqué de front toutes ces hérésies simultanément, De flde catholica contra hæreticos sui temporis, P. L., t. ccx, col. 305 sq.

Toutefois le dogme de la Trinité est directement nié par les passagiens, les juifs et les « sarrasins ». La loi mosaïque, retenue par les passagiens, les empêchait d’admettre la divinité du Christ. Les personnes divines ne sont donc pas d’une seule substance : le Fils est inférieur au Père, et le Saint-Esprit, inférieur au Père et au Fils. C’est de l’ébionisme pur. Bonacorsi consacre trois chapitres de sa réfutation à i établir la vérité du dogme trinitaire, c. ii-iv, t. cciv, col. 788. Dans sa Summa contra hæreticos, Prévostin distingue nettement les passagiens des cathares ; il réfute les premiers qui n’admettent qu’un principe, le Père toutpuissant, personne unique. Le Fils n’est ni de la même substance, ni de la même dignité que le Père ; il est Dieu par adoption. Cf. Lacombe, op. cit. Par contre, il semble que, dans sa Summa theologica, Prévostin n’ait pas saisi la doctrine catholique de la relation, si nécessaire cependant pour rendre raison de la distinction des personnes, puisqu’il enseigne que les personnes divines sont constituées par elles-mêmes et se distinguent l’une de l’autre par leur propre réalité : donc, négation des relations et des notions ; cf. S. Thomas, Sum. theol., I », q. xxxii, a. 2. Cette opinion singulière a trouvé deux timides approbateurs au xive siècle, Guillaume de Rubione et Gauthier de Catton. Cf. M. Schmaus, Der « Liber Propugnatorius » des Thomas Anglicus und die Lehrunterschiede zwischen Thomas von Aquin und Duns Scotus. n. Die Trinitarischen Lehrdifjerenzen, II Band, Anhang, Texte, Munster-en-W., 1930, p. 389, 544-547. Un seul auteur du xive siècle a soutenu franchement cette opinion, c’est Grégoire de Rimini († 1358), In I am Sent., dist. XXVI, q. i, a. 2.

Les controverses antijuives ont existé de tous temps. Voir Juifs (Controverses avec les), t. viii. col. 1870 sq. Le dogme trinitaire a été spécialement défendu contre eux. Nous avons déjà rencontré sur notre chemin Isidore de Séville et Pierre Damien avant le xiie siècle. Les auteurs cités t. viii, col. 1881 omettent ou ne font qu’effleurer accidentellement la question de. la Trinité. Des auteurs mentionnés col. 1888, on ne retiendra que quelques noms : le pseudo-Guillaume de Champeaux, P. L., t. clxiii, col. 1056 D1060 C ; Guibert de Nogent, dans son De incarnatione contra Judœos, t. III, c. x, P. L., t. clvi, col. 525 C526 D ; Pierre de Blois, Contra perfidiam Judœorum, P. L., t. ccvii, où l’auteur veut établir la vérité de la Trinité et de l’unité de Dieu par l’Ancien Testament, c. v, col. 828 A-834 B, mais où il ajoute les arguments du Nouveau Testament « pour l’édification et la consolation des chrétiens », c. vi, col. 834-835 A. De l’anonyme Traclatus adversus Judœum, P. L., t. ccxiii, col. 749 sq., la première partie est consacrée à la preuve du mystère : existence du mystère, génération du Fils, divinité du Saint-Esprit, procession de la troisième personne a Pâtre Filioque ; le tout appuyé par des textes de l’Ancien Testament. La démonstration se clôt par une preuve générale, tirée de la vision d’Abraham, n. 2-9, col. 750 A-756 A. L’auteur trouve la Trinité dans Is., vi, 3 : Quem milfam et quis ibit nobis ?N. 66, col. 798.

Gauthier de Châtillon, au 1. III du Contra Judieos, accumule des textes sans valeur de l’Ancien Testament pour prouver la Trinité. P. L., t. ccix, col. 453458. De son côté, Alain de Lille, au 1. III du Contra hæreticos, démontre aux Juifs qu’il n’y a pas contradiction à affirmer une essence et trois personnes, c. iii, P. L, t. ccx, col. 399 D-403 A. Il développe ensuite les preuves ( ?) par l’Écriture, c. iii, col. 403-405 B, et par la raison : arguments tirés de l’unité et du nombre, de la sagesse issue du Père et du nœud qui la rattache au Père ; comparaison de l’âme (mémoire, intelligence, volonté) et de la lumière (l’unique flamme de trois flambeaux conjoints), c. iv-v, col. 405-407 A.

Les autres controversistes ou font silence ou n’ont que de vagues allusions au problème trinitaire. Le meilleur exemple qu’on puisse apporter est celui de Pierre le Vénérable rappelant à propos des « sarrasins » les anciennes hérésies d’Arius, de Macédonius, de Sabellius. P. L., t. clxxxix, col. 665.

Quant aux hérétiques inféodés au dualisme manichéen, ils ne pouvaient que difficilement admettre le principe de la Trinité chrétienne, surtout en considération du Dieu de l’Ancien Testament, le Dieu mauvais. Comment pourraient-ils concéder que le Fils fût l’égal du Père ? Cf. Bonacorsi, op. cit., t. cciv, col. 777 B ; Alain de Lille, op. cit., t. I, c. xxiii, t. ccx, col. 334 C sq. Comment pouvaient-i’s admettre l’action du Saint-Esprit conjointe à celle des autres personnes, puisqu’ils rejetaient le baptême ? Bonacorsi, col. 777 C. D’ailleurs, tous se réclamaient du règne de l’Esprit, qui avait définitivement remplacé celui du Fils de Dieu et de l’Église. Moneta de Crémone nous apprend que ces hérétiques admettaient l’existence des trois personnes, mais formulaient toutes sortes de théories à leur propos en particulier sur ce qui concerne le Saint-Esprit. Op. cit., p. 4, 6, 36. Bien d’étonnant que les papes ou les conciles aient imposé à tous, dès le début du xiiie siècle, la foi en la sainte Trinité.

b) Controverses intérieures.

Les lointains disciples d’Abélard, a-t-on dit, col. 1714, sombrèrent dans une sorte de panthéisme. Amaury de Bène, voir t. i, col. 937, est à citer en premier lieu. Pour lui. Dieu est la forme de toute créature. On se demande quelle est sa pensée au sujet de la Trinité. Ses disciples nous l’apprennent. Selon eux, le Père s’est incarné en Abraham et son rôle se termine au moment où le Fils s’incarne en Marie et commence à agir dans le monde. Mais ni Abraham, ni Jésus ne sont Dieu. Enfin, à l’époque où vivait Amaury, le règne du Fils est terminé. C’est le Saint-Esprit, s’incarnant en tout homme, qui leur apporte à tous et à chacun les prérogatives qui, jusque, la, avaient été le propre d’Abraham, puis du Christ. Cette singulière doctrine qu’on retrouve chez hs joachimites et les guillclmites, voir ces mots, dérivait-elle du trithéisme de Joachim de Flore ? Voir t. viii, col. 1437 sq. Ce qui est certain, s’est qu’elle favorisait singulièrement la rébellion chez les révoltés. Pour les « spirituels » de toute sorte, le règne de l’Église était terminé et devait faire place à celui de l’Esprit. Nous avons là une explication de l’attitude ajrtiecclésiastique de bon nombre des hérétiques du xir » et du xiir » siècles.

David de Dînant, avec un panthéisme plus accentué dans h’sens du matérialisme, aboutissait aux mêmes équenecs en ce qui concerne la Trinité. David fut pareillement condamné au concile de Sens de 1210 et par Robert di Courçon, légat du pape, dans le règlement donné à l’université de Paris, en 1215.

Une figure plus attachant d Joachim de More. Voir t. viii, col. 1425 sq. C’est dans son Libella* de imitâte seu essenlia Trinitatis (non publié) que se trouve la controverse engagée par lui contre Pierre Lombard. Joachim avait traité celui-ci d’hérétique et d’insensé pour avoir enseigné, à la dist. V, qu’ « une chose souveraine est Père, Fils et Saint-Esprit » et dit qu’ « elle n’engendre, ni n’est engendrée, ni ne procède ». Joachim s’imaginait qu’il fallait admettre en Dieu quatre réalités : trois personnes et une essence distinguée des trois personnes et qu’en Dieu donc aucune chose n’existait qui fût tout ensemble Père, Fils et Saint-Esprit, car ce serait admettre une quaternité, savoir : l’essence commune et les trois personnes. Joachim ajoutait même que cette unité d’essence n’était pas proprement et véritablement une unité numérique, mais une simple unité collective et de ressemblance, comme il est dit dans les Actes des apôtres « que la multitude des croyants n’avaient qu’un cœur et qu’une âme ». Ce qui n’empêcha pas Joachim, dans un âge plus avancé, de s’exprimer fort correctement sur la Trinité. Cf. Psalterium decem chordarum. Texte dans Ceiliier, op. cit., p. 831.

4. Les décisions de l’Église.

Il n’est ici question que, des décisions doctrinales, lesquelles se réduisent à deux :

a) Profession de foi imposée par Innocent III à Durand de Huesca (1208).

— En ce qui concerne le dogme trinitaire, deux points y sont fortement accentués :

1. Corde credimus, fide intelligimus, ore eonfltemur et simplicibus verbis allirmamus : Patrem et Filium et Spiritum sanctum très personas esse, unum Deum, totamque Trinitatem coessentialem et consubstantialem et coœternalem et ommpotentem et singulas quasque in Trinitate personas plénum Deum…

Denz.-Baruvw., n. 420.

Nous croyons de cœur, admettons par la foi et confessons de bouche, affirmant notre croyance par ces simples mots : le Père et le Fils et le Saint-Esprit sont trois personnes et un seul Dieu et toute la Trinité est coessentielle, consubstantiellc, eoéternelie et toute-puissante, et chacune des personnes de la Trinité est Dieu tout entier…

On remarquera la formule « coessentielle, consubstantielle, coéternelle », appliquée à la Trinité elle-même et la plénitude de la divinité reconnue à chaque personne. Il y a là une réminiscence du symbole de Léon IX emprunté, quant au sens, aux interrogations proposées par les Slatuta Ecclesise anliqua aux candidats à Pépiscopat. Voir Denz.-Bannw., n. 343 et note. Innocent III ajoute que cette unité divine dans la Trinité est bien celle que nous affirmons en récitant le symbole des apôtres ou le symbole de Nicée et le Quicumque.

2. Patrcm quoque et Filium et Spiritum Sanctum unum Deum de quo ndbts sermo, esse ereatorem, factorem, gubernatorem et dispositorem omnium corporalium et spiriiualiiun, visibilium et invisibilium, conle credimus et ore eonfltemur. N » vi et Veteris Testa unum cumdemque anctorem credimus esse Deum irai in Trinitate, ut diction est, |>ermanens, de nihilo cuncta en ivil … I l, r 1 L.|| : ininv., il. 121.

Nous croyons de cœur et confessons de bouche que cet unique Dieu dont nous parlons, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, est le créateur, l’auteur, le gubernateur et l’ordonnât en r de toutes lis choses corporelles et spirituelles, visibles et invisibles. Nous croyons que Dieu est l’unique et le même auteur a la lois il" l’Ancien et du Nouveau Testament, ce Dieu qui, demeurant dans sa Trinité, a crée toutes choses de rien.

L’hérésie dualiste est ici nettement atteinte avec le caractère spécial que lui avalent donné les albigeois, en distinguant l< i >li ii, auteur de l’Ancirn Testami ht, i i le Dit ii, Hifi ur dU Nouveau. Voir ALBIGEOIS, t. i, col. G78. Il s’agit de prémunir les nouveaux convertis conUn l’héré le dualiste ambiante. D’ailleurs cette profession de foi servit à plusii urs reprises pour reoe* voir dans l’Église les hérétiques des différentes sectes. Voir Denz.-Bannw., n. 420, p. 185, note 2.

b) Décisions doctrinales du IVe concile du Latran (1215). —

Deux décisions également. L’une définit la foi catholique « contre les alhigeois et autres hérétiques ». C’est le célèbre chapitre Firmiter ; en voir le texte et la traduction à Albigeois, t. i, col. 683. La première partie de cette définition est tout entière consacrée au dogme trinitaire. Denz.-Bannw., n. 428.

L’autre déclaration doctrinale concerne l’affaire de l’abbé de Flore contre Pierre Lombard. Après avoir relevé l’affirmation de Joachim à peu près dans les termes où on l’a rapportée ci-dessus, le concile rend sa sentence en approuvant — chose rare dans les annales de la théologie — la position prise par Pierre Lombard :

Nos autem, sacro approbante concilio, crcdimus et confitemur euro Petro Lombardo, quod una quædam summa res est, incomprehensibilis quidem et ineffabilis, quæ veraciter est Pater et Filius et Spiritus Sanctus ; très simul personæ ac singillatim quælibet earumdem ; et ideo in Deo solummodo ïrinitas est, non quaternitas ; quiaquælibettriura personarum est ilia res, videlicet substantia, essentia seu natura divina ; quæ sola est universorum principium, pneter quod aliud inveniri non potest ; et illa res non est generans, neque genita, nec procedens, sed est Pater, qui générât, et Filius qui gignitur, et Spiritus qui procedit ; ut distinctiones sint in personis, et uni tas in natura.

Quant à nous, avec l’approbation du saint concile, nous croyons et confessons avec Pierre Lombard, qu’il est une réalité souveraine, unique, incompréhensible certes et ineffable, laquelle est vraiment le Père et le Fils et le Saint-Esprit ; les trois personnes ensemble et chacune d’elles en particulier ; et ainsi, en Dieu, il y a seulement une Trinité et non une quaternité. Chacune des trois personnes, en ellet, est cette réalité, à savoir la substance, essence ou nature divine, laquelle seule est le principe de toutes choses et en dehors de laquelle aucun autre principe ne peut être trouvé. Et cette réalité n’engendre pas, ni n’est engendrée, ni ne procède ; mais c’est le Père qui engendre, le Fils qui est engendré et le Saint-Esprit qui procède ; de sorte que c’est dans les personnes que sont les distinctions et dans la nature qu’est l’unité.

Licet igitur alius sit Pater, alius Filius, alius Spiritus Sanctus, non tamen aliud ; sed id quod est Pater, est Filius, et Spiritus Sanctus idem onuiino ; ut secundum orthodoxam et catholicam ndem consubstantiales esse credantur. Pater enim ab aeterno Filium generando, suam substantiam ei dédit, juxta quod ipse testatur : Pater quod dédit milii, majtis omnibus est (Joa., x, 29). Ac dici non potest, quod partent substantia 1 suæ illi dederit, et partent ipse sibi retinuerit, cuin substantia Patris indivisibilis sit utpote simplex omnino. Sed nec dici potest quod Pater in Filium transtulerit suam substantiam generando, quasi sic dederit Filio, quod non retinuerit ipsam sibi ; alioquin desiisset esse substantia. Patet ergo quod sine ulla diminutione Filius nascendo substantiam Patris accepit, et ita Pater et Filius iiabent eamdem substantiam ; et sic eadem res est Pater et Filius neenon et Spiritus Sanctus ab utroque procedens.

Bien que donc le Père soit un autre, le Fils un autre et un autre le Saint-Esprit, ils ne sont cependant pas autre chose. Ce qu’est le Père, le Fils l’est et pareillement le Saint-Esprit. Ainsi, selon la foi orthodoxe et catholique, les personnes sont crues consubstantielles. Car le Père, de toute éternité engendrant le Fils, lui communique sa substance, selon que le Christ lui-même en témoigne : « Ce que mon Père m’a donné est plus grand que toutes choses. < Et l’on ne peut dire que le Père a donné au Fils mie portion de sa substance, retenant pour lui l’autre partie ; car la substance du Père est indivisible, parce qu’absolument simple. Et l’on ne peut dire non plus que le Père a transféré au Fils sa substance en l’engendrant, comme s’il l’avait donnée au Fils, ne la gardant pas pour lui ; il faudrait dire alors que la substance du Père a disparu. Il est donc clair que le Fils, en naissant, a reçu, sans lui causer aucune diminution, la substance du Père et ainsi le Père et le Fils ont la même substance. La même réalité est donc le Père et le Fils et le Saint-Esprit qui procède de l’un et de l’autre.

Cum vero Veritas pro fidelibus suis orat ad Patrem, Volo (inquiens) ut ipsi sint unum in nobis, sicut et nos unum sumus (Joa., xvii, 22) ; hoc nomen unum » pro fidclibus quidem accipitur, ut intelligatur unio caritatis in gratia, pro personis vero divinis, ut attendatur identital is uni tas in natura, quemadmodum alibi Veritas ait : Estote perfecti, sicut et Pater vester ceelestis perfectus est (Matth., v, 48), ac si diceret manifestais : Estote perfecti perfectione gratiæ, sicut Pater vester ceelestis perfectus est perfectione naturæ, utraque videlicet suo modo : quia inter creatorem et creaturam non potest tanta similitude notari, quin inter eos major sit dissimilitudo notanda.

Quand la Vérité (faite homme) priait le Père pour ses fidèles, elle disait : « Je veux qu’ils soient un en nous, comme nous aussi sommes un. Ce mot « un » entendu des fidèles, signifie en eux l’union de la charité dans la grâce ; mais appliqué aux personnes divines, il signifie l’identité dans la nature. C’est ainsi qu’ailleurs la même Vérité dit : Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait. » C’est comme si elle disait plus manifestement : « Soyez parfaits » de la perfection de la grâce, « comme votre Père céleste est parfait de la perfection de la nature. Chaque perfection doit donc être comprise de la façon qui lui convient ; car, entre le Créateur et la créature, on ne peut noter une telle ressemblance, qui cependant ne laisse place à une plus grande dissemblance.

Si quis igitur sententiam vel doctrinam prsefati Joachim in hac parte defendere vel approbare preesumpserit, hæreticus ab omnibus conlulatur.

Denz.-Bannw., n. 431-432.

Si quelqu’un donc a la présomption de défendre ou d’approuver sur ce point la doctrine proposée par le dit Joachim, qu’il soit de tous rejeté comme hérétique.

Cette longue déclaration peut être divisée en trois parties.

Dans la première, le concile rétablit la vérité catholique : dans la Trinité, une seule chose (une seule réalité absolue), qui est vraiment Père, Fils et Saint-Esprit et s’identifie avec chaque personne, tout en laissant subsister leur distinction mutuelle. Donc cette réalité absolue ni n’engendre, ni n’est engendrée, ni ne procède. C’est le Père qui engendre, le Fils qui est engendré, le Saint-Esprit qui procède. Comme le disait autrefois saint Grégoire de Nazianze dans sa lettre ci à Clédonius, il n’y a pas dtXXo et fiXXo, mais àXXoç et àXXoç. P. G., t. xxxvii, col. 180 B. L’expression passe ici de la théologie au dogme. Joachim est condamné, non pas précisément parce qu’il réprouve la façon de parler de Pierre Lombard, mais parce qu’il introduit en Dieu une véritable quaternité. La réprobation formulée à son égard n’atteint pas Richard de Saint-Victor, voir ci-dessus, col. 1718.

La seconde partie est une justification un peu confuse de ces vérités dogmatiques. Le concile expose que le Père communique sa substance sans la perdre et il justifie son assertion par la simplicité et l’immutabilité divines. L’explication est matériellement juste ; mais il faudra arriver au concile de Florence pour tenir l’explication adéquate : Omnia in Deo unum sunt, ubi non obviât relationis oppositio. Le concile cependant, au canon Firmiter, avait en passant marejué que la Trinité était secundum communem essentiam individua et secundum personales proprietates discrela ; mais il est en régression, quant à la vraie formule, sur le XIe concile de Tolède. Voir ci-dessus, col. 1704.

Enfin, dans la troisième partie, le concile montre que les textes scripturaires sur lesquels pouvait s’appuyer Joachim pour comparer l’unité divine à une simple unité collective ou de ressemblance, ne supportent pas, appliqués à la Trinité, une interprétation univoque. Et il en fournit un exemple en faisant l’exégèse de Joa., xvii, 22, par comparaison avec Matth., v, 48. Il affirme ici le grand principe de l’analogie qui doit gouverner toute la théologie : pas de ressemblance entre les créatures et Dieu qui ne laisse subsister une plus grande dissemblance. Remarque trop importante pour ne pas être soulignée.

Conclusion.

Les textes du IVe concile du Latran montrent qu’à l’aube du XIIe siècle le dogme trinitaire ne réalise plus de véritable progression et se trouve, jusque dans ses détails, à l’abri de controverses graves. Un seul point peut-être n’est pas encore suffisamment mis en relief dans les documents officiels de l’Église : le rôle des relations divines. Les Pères, même les Pères grecs, dont le concept trinitaire part des trois hypostases pour aboutir à la substance unique, font état, dans l’exposé du dogme et pour réfuter les objections ariennes, des relations réelles d’origine, qui seules peuvent, en Dieu, expliquer la distinction des personnes, sans nuire à l’unité et à la simplicité. Voir, par exemple, saint Grégoire de Nazianze, Orat.. xxix, 16 et xxxi, 9, P. G., t. xxxvi, col. 96 A et 141 C ; saint Grégoire de Nysse, Quod non sint tres dii, P. G., t. xlv, col. 133-136, ce dernier texte moins clair dans son expression et cependant, quant au sens, concordant avec ce que saint Grégoire de Nazianze appelle τῆς πρὸς ἄλληλα σχέσεως διάφορον. Les Pères latins, partant de la substance pour aboutir aux personnes, ne peuvent y parvenir qu’au moyen des relations d’origine, dont le concept trouve une élaboration déjà remarquable chez saint Augustin. Voir t. I, col. 2347. Toutefois les relations divines n’étaient pas encore entrées dans les textes officiels de l’Église (si l’on excepte le XIe) concile de Tolède, qui, par lui-même, n’a pas valeur œcuménique). Peut-être l’œuvre de suprême clarification que vont accomplir les grands scolastiques a-t-elle été nécessaire pour faire consacrer à Florence la formule dogmatique préparée par la tradition depuis des siècles.

Mais, à côté du dogme, reste son exposé philosophique, qui est le propre de la scolastique. On a vu que, dès la fin du xiie siècle, Pierre de Poitiers avait excellé dans la précision des formules à employer. Voir col. 1719. Son œuvre sera continuée et parachevée par les théologiens postérieurs. Le progrès s’affirmera surtout — mais ici avec des divergences parfois fort accentuées — dans la théorie rationnelle de la Trinité ; chacun, en effet, y introduit le concept analogique qu’il s’est fait de la vie intime de Dieu.

Les luttes engagées au xiie siècle ont convaincu la raison humaine de son impuissance à démontrer le mystère lui-même et tous les théologiens affirment d’un commun accord que la philosophie ne saurait nous le faire même soupçonner. Mais, cet aveu fait, il reste que Dieu a imprimé dans les créatures des vestiges, dans l’âme humaine une image de sa vie intime ; et donc la raison a le droit et le devoir d’en rechercher les traces à la lumière de la foi. Mais — tous les théologiens sont également d’accord pour le noter — « les explications rationnelles des processions divines n’atteignent point la réalité même des choses. Elles ne fournissent que des comparaisons, puisque, ne s’appuyant que sur des images, elles ne procèdent que par voie d’analogie. Sans doute, dans nos docteurs scolastiques comme dans les saints Pères, on rencontre souvent la théorie des processions présentée sous une forme syllogistique. Mais il ne faut jamais oublier que les théologiens attribuent à de pareils argument, une simple valeur de « convenance », comme ils disent. La raison ne démontre point apodictiquement ce dogme inaccessible, mais elle montre que, loin d’impliquer contradiction, le mystère se reflète dans les plus belles créatures. Par là, elle écarte les obstacles ; elle prépare les voies de l’âme à l’arrivée de la foi : arguit et commendat, suivant l’heureuse expression d’Hugues de Saint-Victor… Toutes nos théories de la Trinité sont de simples comparaisons par voie d’analogie ». Th. de Régnon, op. cit., t. ii, p. 119-120.

Ainsi, dans toutes les théories relatives au mystère de la Trinité, nous trouverons deux éléments. L’un est révélé : c’est l’unité divine, c’est la trinité des personnes, dont les noms, Père, Fils et Saint-Esprit sont consacrés par l’Évangile et le symbole. Tous admettront donc en Dieu une paternité, une filiation, une procession qui n’est pas une génération. Mais d’autres noms divins nous sont révélés, qui fournissent eux aussi des images du mystère : le Fils est le Verbe, la Sagesse, l’Image, la Splendeur ; le Saint-Esprit est le Don, l’Amour. Ce sont là des indications. Les théologiens restent libres de choisir parmi ces données celles qu’ils veulent mettre à la base de leur œuvre. Déjà, dans l’étude du XIIe siècle, nous avons rencontré des essais — heureux ou malheureux — en ce genre. Saint Thomas, résumant les « voies » de ceux qui l’ont précédé, écrit fort pertinemment : « Pour prouver la trinité des personnes, quelques auteurs ont raisonné sur l’infinité de la bonté divine, qui se communique elle-même d’une manière infinie dans la procession des diverses personnes. D’autres se sont appuyés sur ce qu’il ne peut y avoir jouissance-possession d’un bien, si l’on n’en jouit pas en commun. Quant à saint Augustin, pour expliquer la Trinité des personnes, il part de la procession du verbe et de l’amour dans notre âme, et c’est la voie que nous avons suivie nous-même. » Sum. théol., Ia, q. xxxii, a. 1, ad 2um.

Après une période de tâtonnement, la théologie du xiiie siècle a vu deux noms se détacher de l’ensemble, deux noms d’initiateurs, Pierre Lombard et Richard de Saint-Victor. Le premier devait être l’organisateur de la théologie ; le second en est le docteur mystique. La doctrine de Pierre Lombard se retrouve dans Albert le Grand, mais elle prend une vigueur nouvelle chez saint Thomas dont l’influence est telle qu’on la retrouvera, au cours des siècles suivants, ininterrompue jusqu’à nos jours. Richard influencera Alexandre de Halès et se fixera en saint Bonaventure. Et, plus tard, l’école franciscaine prendra une direction nouvelle avec Duns Scot.


II. L’apogée de la scolastique et les controverses aboutissant au concile de Florence.

I. L’ENSEIGNEMENT SPÉCULATIF.

Coup d’œil général sur le XIIIe siècle.

Pierre Lombard est un disciple fidèle de saint Augustin. Ses Sentences sur Dieu et la Trinité reflètent toujours (sauf en ce qui concerne la charité identifiée avec l’habitation du Saint-Esprit dans l’âme) la doctrine et souvent la terminologie augustiniennes. Les théologiens s’efforcent de l’imiter, presque toujours en le commençant. Il suffit de citer les dominicains Roland de Crémone, Hugues de Saint-Cher, Jacques de Mandres, Pierre de Tarantaise, Hugues de Strasbourg (dans son Compendium veritalis theologicae : cf. A. Stohr. Die Trinitätslehre Ulrichs von Strassburg, Munster, 1921) et les anglais Richard de Fishacre et surtout Robert de Kilwardby († 1278). Leurs commentaires sur les Sentences s’en tiennent ordinairement à la formule primitive où l’étude du texte l’emporte sur la quæstio. Voir Sentence t. xiv, col. 1874. Dès l’origine se révèle chez les franciscains, un maître, Alexandre de Halès, qui, jusque dans le titre de son ouvrage, Summa theologica, affirme sa personnalité. Il sera le précurseur d’un autre maître, saint Bonaventure en attendant que, dans le même ordre religieux, se manifeste Duns Scot.

Du côté des dominicains, deux noms s’imposent : Albert le Grand et Thomas d’Aquin. Dans le clergé séculier, plusieurs noms sont à retenir : des évêques illustrèrent la science théologique en même temps que le gouvernement de l’Église, Guillaume d’Auxerre, Guillaume d’Auvergne, Robert Grossetête, etc. Au fur et à mesure de notre exposé, d’autres noms s’ajouteront à cette première liste mais en se groupant tous autour des « chefs de file ». Sur l’orientation générale de la théologie triuitaire au xiiie siècle, voir A. Stohr, Die Hauptrichiungen der Théologie des mu. Jahrhunderls, dans Tubinger theol.Quartalschrift, 1925, p. 113-135.

En ce qui concerne le dogme trinitaire, il faut, hors cadre, mettre en relief Robert Grossetête, évêque de Lincoln, et Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris.

1. Guillaume d’Auvergne († 1249). —

Sans écrire à proprement parler sur les Sentences, Guillaume a laissé vingt-deux traités théologiques, dans lesquels on peut voir les éléments d’une vaste encyclopédie théologique, laquelle, tout en demeurant fidèle au plan qui a dicté l’œuvre du Lombard, prélude déjà à ia magistrale conception de saint Thomas d’Aquin.

Le traité De Trinitate, notionibus et prædicamentis est placé au début du t. h de l’édition d’Orléans-Paris, 1674. L’auteur y fait d’abord un préambule sur l’existence, la simplicité, la toute-puissance de Dieu prouvées par des arguments métaphysiques en forme de démonstrations géométriques. C’est par des raisonnements analogues qu’il veut établir le mystère de la Trinité. Toutefois il semble bien qu’on doive interpréter cette démonstration comme celle de saint Anselme, car Guillaume apporte des exemples tirés des choses créées « pour rendre ce mystère plus croyable ». L’âme humaine vit ; elle s’aime ; elle se conçoit : ces trois choses, vie, intelligence, amour ne sont pas dans l’âme comme des parties différentes d’elle-même ni comme des accidents ; elles ne font avec l’âme qu’une même essence. Enfin, l’auteur traite des notions et des attributs divins, tant relatifs qu’essentiels ; et il termine le traité en s’expliquant brièvement sur la volonté et la prédestination divines. Cf. Ceillier, op. cit., p. 1027. Sa doctrine sur les relations divines est encore bien hésitante : elle semble accorder aux personnes de la Trinité un caractère absolu. Voir Schmaus, op. cit., p. 391.

Comme évêque, Guillaume eut à censurer un certain nombre d’erreurs, réduites à dix propositions, où l’on retrouve des échos d’Abélard ou de Gilbert de la Porrée et de l’hérésie cathare. Cf. Ceillier, op. cit., p. 1030. Voici les premières, qui intéressent plus directement le dogme trinitaire :


I. Les bienheureux ne verront pas l’essence de Dieu ;
II. À raison de la force, l’essence divine n’est pas la même dans le Saint-Esprit que dans le Père et le Fils ;
III. Le Saint-Esprit, comme amour et lien de l’amour mutuel du Père et du Fils, ne procède pas du Fils ;
IV. Il y a plusieurs vérités éternelles qui ne sont pas Dieu même ;
V. Le principe n’est pas créateur.
Cf. Bibliotheca Palritm, t. xxv, p. 329.

2. Robert Grossetête († 1268). —

Cet auteur aurait admis, comme Guillaume d’Auvergne, que les personnes divines sont constituées par une propriété absolue, virtuellement distincte de l’essence : « L’opinion du vénérable évêque de Lincoln est qu’en Dieu il y a trois suppôts absolus et une essence commune et qu’il n’y a pas de suppôts constitués par les relations. Celles-ci s’ajoutent aux suppôts déjà constitués par les propriétés absolues ; c’est une réalité absolue, hypostasc ou personne, qui engendre et, en suite de cette génération, s’établit, par l’acte passif, per actum passivum, de l’origine une « habitude » (un rapport) de filiation. La troisième personne, qui est « spirée » acquiert aussi « l’habitude » de don ou d’Esprit. Les relations sont donc des habitudes consécutives aux personnes déjà constituées par des propriétés incommunicables et absolues, de sorte que l’essence est commune aux trois personnes absolues et chaque propriété personnelle est formellement incommunicable et propre à chaque personne. Ainsi, dans le Père, la paternité n’est pas formellement identique à l’essence et n’entre pas dans son concept ; et pourtant, dans le Père, elle est réellement identique à l’essence, sans composition ni imperfection… » Cité par Robert Cowton (début du xive siècle), dans Schmaus, op. cit., p. 452.

Cette doctrine trouvera à la fin du xiiie et au xiv «  siècles des adeptes. Schmaus cite, après Guillaume d’Auvergne, voir ci-dessus, P. Olieu († 1298), Jacques de Viterbe († 1307) et Jean de Ripa (t vers 1350). Les textes, p. 391, 467, 475, 541-543, 567, 551. On voudra bien, à l’art. Relations divines, t. xiii, col. 2152, ajouter ces noms à celui de Jean de Ripa.

Deux maîtres franciscains de l’école de Richard de Saint-Victor.

Pour l’intelligence des exposés qui vont suivre, il est nécessaire de se remémorer les notions philosophiques relatives au principe formel prochain, au principe formel immédiat, au principe formel quod et au principe formel quo des processions divines. Voir Processions divines, t. xiii, col. 654659.

1. Alexandre de Halès († 1245). —

Sur cet auteur, voir t. i, col. 772. On notera que, depuis la parution de cet article, les franciscains de Quaracchi ont commencé d’éditer la Somme théologique d’Alexandre, avec des introductions qui contiennent d’intéressants aperçus doctrinaux. Les difficiles circonstances dans lesquelles l’auteur du présent article s’est trouvé pour le rédiger, l’ont contraint à se référer au texte des anciennes éditions, sans faire la discrimination des interpolations de Guillaume de Méliton.

Dès les premières questions relatives à la Trinité, Alexandre corrige le plan défectueux de Pierre Lombard et s’en tient à l’ordre suivi par Richard de Saint-Victor, étudiant d’abord les attributs essentiels de la divinité et seulement ensuite la trinité des personnes.

a) Personnes, processions, relations.

Le point de départ, conforme au concept grec de la Trinité, est semblable à celui de Richard : Dieu, d’abord envisagé dans les trois personnes et ensuite dans l’essence unique. Comme chez Richard, « personne » signifie « substance ». Sum. theol., part. I a, q. lvi, memb. 3 ; cependant la personne est quis habens, la substance quid habitum : « Il y a plusieurs personnes et non plusieurs substances, parce qu’il y a plusieurs « ayant » un seul et même être indistinct, mais avec des propriétés différentes qui les unissent. » Ibid., q. xliv, resol. L’ordre de nature et d’origine des personnes nous est connu par la révélation, mais « puisqu’en Dieu tout est divine substance, il ne peut y avoir ordre de nature et d’origine que par rapport à une chose qui est substance. Donc il ne peut y avoir en Dieu un ordre sans qu’il y ait plusieurs hypostases. Bien plus, puisque l’hypostase est substance, l’ordre de nature établit les hypostases mêmes ». Ibid., q. xlvi, memb. 8, ad 2um. Écrivant après le concile de 1215, Alexandre explique qu’on ne peut dire : Substantia gentil subslantiam, car engendrer suppose non la substance conçue comme principium quo, mais la personne, principium quod, possédant la divine substance. Ibid., q. xlii, memb. 3, a. 2.

Toutefois, encore qu’il n’emploie pas l’expression, il semble bien qu’Alexandre maintienne encore que le principe prochain de la procession est l’essence.


Nous ne confondrons pas, cependant, sa doctrine avec celle de l’abbé Joachim. Celui-ci affirmait que le Fils était engendré par la nature divine absolument considérée. Pour Alexandre, la nature divine, considérée relativement en tant qu’elle est dans le Père est le principe de la génération. Ce disant, il ne nie pas pour autant le rapport étroit de la génération du Fils à l’intelligence divine : le Verbe de Dieu ne peut qu’être proféré intellectuellement par le Père ; mais la nature divine, étant par elle-même intellectuelle, le Père engendre le Fils par cette nature intellectuelle. Notre théologien tout en affirmant le lien intime qui existe entre la génération et la connaissance, nie l’identité formelle entre generare et intelligere dans le Père. Voir plus loin.

L’ordre d’origine constitue dans la Trinité les relations divines, mais, tandis que la plupart des théologiens postérieurs verront surtout Vopposition mutuelle des relations, d’où ils font dériver la distinction réelle des personnes entre elles, Alexandre considère plutôt la liaison qui, par les relations, s’établit entre les hypostases pour réaliser l’unité divine. Ainsi, la procession du Saint-Esprit est nécessairement a Pâtre Filioque, parce que, « si deux personnes procédaient d’une seule sans que l’une des deux procédât de l’autre, il n’y aurait ni souveraine affinité, ni souveraine convenance, ni par conséquent souverain amour ; ce qu’on ne peut soutenir b. Ibid., q. xliii, memb. 4. D’ailleurs, ce ne sont pas les relations opposées qui constituent formellement les personnes ; ce sont les propriétés d’origine. Les relations ne font que manifester et, pour ainsi dire, notifier la distinction des personnes.

Si l’ordre d’origine entre les hypostases différentes ne contredit pas l’unité substantielle, c’est que la multiplicité n’existe que dans les personnes et l’unité est dans l’essence. Les différences de relations n’ont par elles-mêmes aucune connexion avec les différences substantielles : « Tout ce qui est en Dieu se rapporte à son unité. Pour le Père, engendrer n’est pas autre chose qu’être Père ; pour le Père, être Père n’est pas autre chose qu’être ; pour le Père, être n’est pas autre chose que la divine essence. Toutes ces choses et toutes les raisons personnelles se réduisent à l’unité d’essence qui n’est pas multipliée dans ces choses multiples. » Ibid., q. xiv, memb. 6, a. 2, 3° ratio. Que l’unité soit en plusieurs, c’est une perfection ; mais, qu’elle soit elle-même multipliée, c’est une imperfection. La perfection souveraine qu’est Dieu exige donc qu’il y ait en lui unité d’essence non multipliée, mais en plusieurs personnes, de sorte que la Trinité est la perfection même de l’unité. Ibid., memb. 1.

b) La seconde personne.

Dans ce qui précède, il a été suffisamment parlé du Père. Le nom de Fils est un nom propre. Pour Richard de Saint-Victor, la procession, envisagée selon la conception métaphysique, n’est que la fécondité de la substance et, selon la conception psychologique, une exigence de l’amour personnel. Voir ci-dessus, col. 1718. Le mode de procession par génération proprement dite et, partant, le nom de Fils importerait donc assez peu : une telle appellation relève plutôt de la convenance. De Trinitate, I. VI, c. v, P. L., t. exevi, col. 971 AB. Ce reste de rationalisme abélardien ne se retrouve pas chez Alexandre : c’est la révélation même et non une convenance de langage qui < nscigne que la seconde personne est vraiment le Fils de Dieu : Matth., iii, 17 ; cf. Marc, i, 11 ; Luc, iii, 22 ; Matth., xvii, 5 ; cf. Luc, ix, 35 ; Marc, ix, 7 ; II Pet., i, 17. Aussi son traité s’ouvret-il par ces mots : « Dieu a engendré ! »

Afin de maintenir le caractère de génération à la procession du Fils, Alexandre cherche à transformer la preuve de la fécondité de la substance, telle que l’avait proposée Richard. Le bien, dit-il en substance, est difîusif de soi et la plus grande diffusion qu’on puisse imaginer est une diffusion substantielle en vue de produire son semblable en nature. Pourrait-il en être autrement de Dieu dont la vertu causative doit être tellement puissante que son acte s’identifie avec elle comme perfection de nature ? Il faut en inférer une génération éternelle. Enfin, dernier motif, on ne peut refuser à Dieu la noblesse de la fécondité ; et, « si l’on objecte que ce ne sont là que des raisons de convenance et non des preuves nécessaires », Alexandre répond : « Tout ce qui est inconvenant en Dieu est impossible ; tout ce qui est convenable en Dieu est nécessaire. Si donc la génération convient en Dieu, elle est nécessaire en Dieu. » I », q. xlii, memb. 1. Alexandre termine en soulignant le caractère personnel d’une telle génération, car la tendance à se communiquer ne peut être le propre du bien considéré en soi ; elle n’existe que dans une personne qui ne dépend pas d’une autre : Est diffusivum prout est in persona non ente ab alio. Ibid., memb. 3, a. 1, fin.

Après le nom de Fils, le nom d’Image, qui est aussi nom propre de la seconde personne. Le Fils « est la similitude expresse du Père et son image en ceci que, de même que la plénitude de la divinité procède de l’un, ainsi cette même plénitude procède de l’autre » (dans le Saint-Esprit). Ibid., q. lxi, memb. 3, a. 2. Le principe de la fécondité substantielle est ainsi toujours à la base du raisonnement.

Enfin, en troisième lieu seulement, le nom de Verbe. Pour Alexandre, le Verbe ne peut être conçu comme le terme de l’intelligence divine ; c’est l’étal même de cette intelligence, c’est-à-dire de la substance divine, état concomitant à l’acte même par lequel Dieu se connaît et qu’il est impossible que Dieu ne possède pas. Ibid., q. lxii, memb. 1, a. 1. Ainsi « génération » n’est pas formellement identique à « intellcction » : « La génération en Dieu est une production univoque de toute la substance en parfaite similitude de nature. Il faut donc affirmer que l’idée même de la génération ne coïncide pas exactement avec celle de l’intcllection, tout comme la génération et l’être. « Penser » est dit en Dieu absolument ; mais l’idée de, génération comporte une relation. « Penser » est donc, en Dieu, simplement concomitant à « engendrer ». Ibid., q. xlii, memb. 2.

c) La troisième personne.

Ces considérations permettent difficilement d’expliquer l’existence d’une seconde procession en Dieu. Ne conservant pas la théorie augustinienne du « concept » et de 1’ « amour », Alexandre ne peut pas distinguer les deux processions selon le concept et selon l’amour, comme l’avait fait saint Augustin et comme le fera bientôt saint Thomas. Il recourt donc à une double manière de procéder de la première personne. Cette double manière est l’action par nature et l’action par volonté : « La plus parfaite diffusion de nature est celle qui s’opère par voie de génération ; la plus parfaite diffusion de volonté se fait par voie d’amour et de dilection… Si tout ce qui est parfait et glorieux ne peut manquer dans le Bien suprême, il est clair que, dans le Bien suprême qui est Dieu, il y a diffusion par voie de génération… et de plus diffusion par voie de dilection, que nous appelons procession du Saint-Esprit. » Ibid., q. xliii, memb. 4, Il s’agit ici, Alexandre le déclare expressément, de la volonté divine personnelle, dont l’acte formel » si l’amour et le terme une autre personne. Dans la pro>n du Fils, la volonté joue son rôle ; mais simplement à titre de nature se. communiquant ; dans la procession du Saint-F.sprit, la volonté divine Intervient à titre de personne et ne peut que suivre l’acte intellectuel qui la détermine objectivement. Aussi l : i procession du Saint-Esprit vient-elle après celle du Fils et, n’étant pas selon la nature, ne peut être dite génération. Ibid., q. xlvi, memb. 7. D’où il suit encore que, de même que « l’amour procède par le moyen de l’idée », de même « le Saint-Esprit ne peut procéder du Père que par le moyen du Fils ». Ainsi s’établit logiquement la procession a Pâtre F Moque. Ibid., q. xlvi, memb. 5. Dans cette conception, il serait inexact de dire que le Saint-Esprit est l’amour commun du Père et du Fils ; cet amour mutuel est un principe dont le terme est la « condilection » du Saint-Esprit par le Père et le Fils ; et ainsi s’explique que la troisième personne procède des deux autres par une seule procession.

En résumé, pour Alexandre, c’est la bonté qui est au principe des processions divines, en raison de la diffusion qui lui est naturelle. Ibid., q. xvi, memb. 3 ; cf. memb. 8.

Puisque le Saint-Esprit procède par voie d’amour et non par nature selon l’intelligence, s’ensuit-il qu’il soit moins semblable au Père que le Fils ? Richard avait paru l’admettre. Cf. De Trinitate, t. VI, c. xi, xviii sq., P. L., t. exevi, col. 975, 982-985. Alexandre opine également en ce sens, tout en admettant la parfaite identité de nature et de perfection des personnes divines. Ibid., q. lxi, memb. 3, a. 2. Cf. Chr. Pesch, op. cit., ii. 586.

2. Saint Bonaventure († 1274). —

Saint Bonaventure continue Alexandre de Halès dont il avait été l’auditeur vers 1244. Le problème trinitaire a retenu son attention à plusieurs reprises : In IV libros Sentent., t. I, dist. VIII-XXXIV, éd. de Quaracchi, t. i ; Queestiones disputatæ : de mysterio Trinilatis, t. v, p. 44-115 ; Breviloquium, part. I », ibid., p. 199 sq. ; Itinerarium mentis ad Deum, c. vi. ibid., 293 sq. La Queestio disputata débute par la démonstration de ces deux propositions : Deum esse, esse verum indubitabile ; Deum esse trinum, esse verum credibile. Elle continue par l’exposé de sept attributs divins dont on montre quod possunt stare cum Trinitate. Enfin, saint Bonaventure a un sermon pour la fête de la Trinité, à l’octave de la Pentecôte. Ibid., t. ix. Dans l’exposé qui suit, on s’en tiendra surtout au commentaire.

a) Processions ; relations.

Saint Bonaventure suit le plan de Pierre Lombard ; il en accepte le point de vue initial qui est celui des Latins : considération de l’essence divine, d’abord, des personnes, ensuite ; il s’en tient à la définition de la personne donnée par Boèce. In I am Sent., dist. XXV, a. 1, q. il. Mais, disciple de Richard et d’Alexandre, il ne considère la nature que comme subsistante et la personne en Dieu n’a pas d’autre raison d’être que son origine. Ibid., dist. XIX, part. II, a. 1, q. ii. La nature est « possédée » ; le « possesseur » en est la personne : « Ainsi, parce qu’il n’y a qu’une seule et identique nature « possédée », nous devons dire qu’il n’y a qu’une seule essence ou substance ; mais parce qu’il y a plusieurs « possesseurs », il v a plusieurs personnes. » Ibid., dist. XXIII, a. 2. q." ii.

Pour l’école dyonisienne, à laquelle Bonaventure se rattache, Dieu est bien l’acte pur, mais un acte dont la plénitude de bonté ne demande qu’à s’épancher. La métaphysique de saint Bonaventure est dynamique ; elle explique sa conception de la Trinité. Tout en accueillant la théorie augustinienne de l’image de la Trinité dans l’âme humaine, le Docteur séraphique ne prend pas ce fait psychologique comme base de sa doctrine des processions ; il s’en sert uniquement comme d’un exemple et d’une confirmation. C’est le concept de « primauté » qui prend le pas sur celui de « bonté » et qui, en dernière analyse, explique la fécondité divine : « Pour démontrer la pluralité des personnes divines, il faut présupposer en Dieu quatre choses : premièrement, qu’il y a en lui suprême béatitude ; deuxièmement, souveraine perfection ; troisièmement, suprême simplicité ; quatrièmement, suprême primauté… En vertu de la simplicité, l’essence est incommunicable et ne peut exister en plusieurs. En vertu de la primauté, la personne est apte à en produire une autre et j’appelle ici primauté « l’innascibilité », en vertu de laquelle, comme l’enseigne une antique opinion, il y a dans le Père une plénitude de source pour toute émanation, fontalis plenitudo… En vertu de la perfection, cette personne est apte à produire. En vertu de la béatitude et de la charité, elle en a la volonté. » Ibid., dist. II, q. ii. Puis, reprenant une thèse de Richard, Bonaventure déclare qu’ « il n’existe que deux manières de produire… ou par mode de nature, ou par mode de volonté… Donc une personne divine produit suivant ces deux modes et uniquement suivant ces modes ». Ibid., q. iv. Cf. Breviloquium, t. I, c. iii. Nature féconde, volonté féconde, tels sont les principes formels des deux processions ; mais nature possédée par la personne et volonté personnelle. Ibid., dist. XIX, part. I, a. 1, q. ii, ad 3°" » ; dist. XIII. a. 1, q. iii. Par là, le producteur fécond et les termes produits par la fécondité s’opposent et se distinguent par voie d’origine et constituent des personnes, principia quæ. Les différences des deux sortes de fécondité proviennent des différences entre les principes quo, c’est-à-dire entre les puissances opératives, nature et volonté. Et, puisque la génération est une émanation par manière de parfaite assimilation, elle provient d’un seul ; puisque la spiration est une émanation par manière de connexion, elle provient de deux. Cf. In I am Sent, dist. XIIIs a. 1, q. iii.

b) La personne du Père.

Entre « personnes » et « relations », il y a identité réelle et simple distinction de raison. Voir Relations divines, t. xiii, col. 2151. Tout en maintenant l’identité réelle des personnes, des relations, des propriétés personnelles, voir Notions, t. xi, col. 803-804, saint Bonaventure admet, comme avant lui Alexandre de Halès, que les relations ne sont pas constitutives, mais simplement caractéristiques des personnes distinctes en raison de leurs propriétés d’origine. Dist. XXVI, a. 1, q. ni. C’est peut-être ce qui l’a fait accuser, mais à tort, d’avoir, touchant l’élément constitutif des personnes divines, renouvelé la thèse de Grossetête. Cf. A. Stohr, Die Trinitâtslehre des hl. Bonaventura, Munster-en-W., 1923, p. 114124 ; Schmaus, op. cit., p. 448-452. La personne, selon la conception issue de Richard de Saint-Victor, est l’hypostase caractérisée par une propriété impliquant une dignité d’être. Les propriétés personnelles apportent aux hypostases divines cette dignité qui constitue la personne ; mais, si l’on fait abstraction de ces propriétés caractéristiques, on doit encore concevoir les hypostases divines comme déjà constituées dans leur individualité en raison de leur origine : Qui non ab alio et a quo alius — qui ab alio et a quo alius — qui ab alio et a quo non alius. Voir Richard de Saint-Victor, t. xiii, col. 2687-2688.

En adoptant ce point de vue, saint Bonaventure montre la personne du Père constituée hypostase par cela seul qu’elle est principe ne procédant d’aucune autre hypostase. Hypostase, elle peut être le principe d’un acte générateur et c’est en vertu de cet acte générateur qu’elle est Père : Ideo Pater quia gênerai, avait déjà dit Pierre Lombard, dist. XXVI, initié. Saint Thomas, admettant que les propriétés constituent les personnes, dira au contraire : Générât, quia Pater. Sum. theol., I », q. xl, a. 4, ad 1 UB. Saint Bonaventure est donc ici en désaccord avec le Docteur angélique. Rien d’étonnant. Saint Thomas, intégralement fidèle à la conception latine qui voit en Dieu d’abord l’unité de substance, en laquelle seule l’opposition des relations peut apporter la distinction des personnes, ne peut qu’identifier personne, relation et propriété personnelle, sans qu’il lui soit possible de concevoir la personne antérieurement à sa propriété personnelle. Saint Bonaventure envisage ici d’abord l’hypostase et il trouve dans la perfection même de Fhypostase la raison de la paternité divine. Cette perfection s’exprime d’une manière en apparence négative : Générât quia innascibilis, et spirat quia improcessibilis. Dist. XXVII, part. I, a. 1, q. ii, ad 3 am : « L’innascibilité, sous une forme privative, est une réalité parfaite et positive. Le Père est dit innascible, parce qu’il ne procède pas d’un autre. Or, ne pas procéder d’un autre, c’est être premier et la primauté est une noble affirmation… Il est premier et donc principe ; il est principe, donc il y a, en acte ou en puissance, un terme procédant du principe… Et il n’y a pas à poursuivre, ni à demander pourquoi il est innascible : innascibilité dit primauté et il faut s’arrêter au « premier ». — Cette position de saint Bonaventure est discutée par saint Thomas, Sum. theol., I », q. xxxiii, a. 4, ad l um. On trouvera dans Th. de Régnon, op. cit., t. ii, p. 489 sq., le résumé de la controverse, avec une bienveillance non dissimulée pour le Docteur séraphique.

c) La personne du Fils.

La foi enseigne que la seconde personne est le Fils, l’Image, le Verbe. Mais les théologiens ne s’entendent pas sur l’ordre à placer entre ces noms divins.

La filiation frappe saint Bonaventure surtout par son aspect métaphysique : de là vient qu’il la place en premier lieu. On sait qu’il admet cette première production divine « par mode de nature ». La nature divine est toute noblesse et toute perfection ; elle est communicable et, en fait, communiquée. Mais, en raison, d’une part, de sa simplicité même, d’autre part, de son infinité, elle se communique sans se multiplier et en demeurant identique et totale. Cette communication est une génération parce qu’une hypostase divine donne à une autre hypostase la nature divine : unité de substance en pluralité de personnes, Père et Fils. Dist. IX, a. 1, q. i ; cf. dist. X, a. 1, q. i, ad 3° m ; dist. XIII, a. un., q. m ; dist. XVIII, part. II, a. un., q. iv ; Brevil., t. I, c. iii.

Le Fils est aussi l’Image du Père, imitation, non de l’essence, mais de la personne. Seul le Fils est, à proprement parler, l’Image du Père, parce que seul il en procède par voie de nature. À cette raison propre, on peut ajouter d’autres raisons de convenance : il procède d’un seul ; il produit le Saint-Esprit avec le Père et semblablement. Dist. XXXI, part. II, a. 2, q. n ; cf. ad 3um. Image parfaite, le Fils peut être appelé, comme saint Hilaire l’a fait, species, parce qu’il est la raison de connaître toutes choses et qu’il comporte la beauté. Ibid., q. iii, ad 2° iii.

Image, le Fils est aussi Verbe. Pierre Lombard et son école enseignaient : eo Filius, quo Verbum. Pour l’école de Richard de Saint-Victor, c’est eo Verbum quo Filius qu’il convient de dire. Jadis saint Augustin avait uni les deux formules : Eo Filius quo Verbum et eo Verbum quo Filius. De Trinitate, t. VII, n. 2, P. L., t. xi.ii, col. 934. Saint Bonaventure rétablit ainsi l’assertion : Eo quo Filius, eo est Imago et eo ipso Verbum. Dist. XXXI, part. II, a. 1, q. n : « Le verbe mental n’est pas autre chose qu’une ressemblance exprimée pressive, conçue par la force de l’intelligence qui contemple soi-même ou autre chose. Le verbe présuppose donc connaissance, génération et image. » Dist. XXVII, part. II, a. 1, q. iii. Les trois personnes, dans leur nature commune et unique, pensent et ont la même contemplation de la vérité ; c’est un état absolu et immobile. Seul le Père dit » un verbe ; c’est une opération qui a tous les caractères de la génération puisque le terme est semblable en nature au principe dont il procède ; et, à ce sujet, Bonaventure maintient que la procession du Verbe n’est pas formellement selon l’intelligence. Dist. X, a. 1, q. i, ad S""". Mais, en Dieu, le Verbe a un caractère personnel, parce que la parole atteste et apporte le témoignage d’une personne parlante.

d) Le Saint-Esprit.

Parce que l’Esprit-Saint procède selon la volonté et non selon la nature, sa procession n’est pas une génération. Dist. VI, a. 1, q. n ; X, a. 1, q. i, ad 3 nm ; XII, q. rv ; XIII, a. 1, q. ii, ad 3um ; q. iii, ad 2um. Il procède par mode de libéralité et d’amour. Dist. VI, a. 1, q. iii.

Il n’est pas suffisant, il est même inexact d’affirmer que le Saint-Esprit procède selon l’amour que Dieu a de lui-même. Saint Bonaventure rappelle les sentences des premiers Pères affirmant que la troisième personne procède formellement de l’amour mutuel du Père pour le Fils et du Fils pour le Père et il bannit de cette procession tout amour d’une personne pour soi-même. Dist. XIII, a. 1, q. i. Le Saint-Esprit est le Nœud qui réunit ces deux amours réciproques. Son opération d’aimer, à lui, n’étant pas une opération personnelle, reste dans la ligne de l’amour essentiel commun aux trois personnes. Dist. X, a. 2, q. i, ad 4 am. Et donc, si le Saint-Esprit ne procédait pas aussi bien du Fils que du Père, il ne se distinguerait pas du Fils. Dist. XI, a.un., q. i. Toutefois, en admettant que le Père et le Fils ne sont qu’un principe de spiration active, Bonaventure déclare qu’ils sont cependant deux « spirateurs ». Expression moins conforme à la terminologie reçue. Cf. Stohr, op. cit., p. 68-71 ; J. Slipyj, De principio spirationis, Lwov, 1926, p. 84.

Un autre nom de l’Esprit-Saint est le Don, qui exprime une relation à la créature. Sans doute, ce don n’a été fait que dans le temps, mais de toute éternité, il était susceptible d’être donné. Dist. XVIII, a. 1, q. v. Cf. S. Augustin, De Trinitate, t. V, n. 16, P. L., t. xlii, col. 921.

Conclusion.

La meilleure conclusion de cet exposé sera le bref parallèle établi par saint Bonaventure entre la seconde et la troisième personne : « Esprit désigne principalement (la troisième personne) par comparaison à la vertu productrice, savoir la vertu spirative ; Amour la désigne principalement par le mode de procéder qui est un noeud ; enfin, Don la désigne par un rapport conséquent aux deux autres, son propre étant de nous lier à Dieu, quia nos nalus connectera. . De même, la procession du Fils est signifiée d’une triple manière par les noms : Fils, Image, Verbe : Fils, parce qu’il procède par voie de nature ; Image, parce qu’il procède par voie d’expression ; Verbe, parce qu’il exprime aux autres, quia aliis expressivum. .. ideo Verbum. » Dist. XVIII, a. 1, q. v, ad 4 nB. Sur la théologie trinitaire de saint Bonaventure, voir A. Stohr. Trinitdtslehre des hl. Bonaventura, Munster, 1923.

3. Influence des doctrines trinitaires d’Alexandre de Halès et de saint Bonaventure aux xrn* et xrv siècles.

L’influence des deux grands docteurs franciscains se fait sentir sur quatre points principaux :

a) Beaucoup d’auteurs n’admettent pas que les relations soient constitutives des personnes : elles sont caractéristiques des personnes, lesquelles se distinguent entre elles par leurs propriétés d’origine. Voir Im textes d’Kudes (Odon) Rigaud, de Pécham, de Guillaume de la Mare, de Nicolas Ockam, de Roger Manton dans Schmaus, op. cit., p. 447-452, 455, 460, 466. Sur la doctrine trinitaire de Pécham, voir ici, t. xii, col. 129.

b) L’innascibilité, comme propriété constitutive du Père, Mt une thè^e bonaventurienne. qtM ces mêmes auteurs accueillrnt volontiers, en y ajoutant cette précision : le Père est constitué par l’innascibilité dans sa personne, mais imparfaitement, inchoalive ; la paternité s’y ajoute comme forme perfective. "Voir les textes de Roger Marston, de G. de la Mare, de Pierre de Trabibus dans Schmaus, p. 565, 587, 590. La doctrine trinitaire de Pierre de Trabibus a été exposée ici, t. xii, col. 2053 sq. On y a marqué, col. 2056, certaines ressemblances avec celle de P. Olieu.

c) La thèse de la procession du Verbe par voie de nature et non formellement d’intelligence se retrouve chez les disciples d’Alexandre et de Bonaventure. On peut citer, dans l’ordre franciscain, Eudes Rigaud, Guillaume de la Mare, Richard de Médiavilla, Pierre de Trabibus ; chez les dominicains eux-mêmes, Fishacre, Pierre de Tarentaise (saint Thomas explique en bonne part le texte de Pierre de T. dans l’opuscule : responsio ad CVIII art., q.xii, éd. de Parme, t. xvi, p. 154), Ulrich de Strasbourg, Roger Marston et, au début du xive siècle, Jacques de Metz, Jacques de Lausanne, Noël Hervé, Durand de Saint-Pourçain, Jean de Naples. Bien plus, les deux Jacques (de Metz et de Naples) ont prétendu que telle était l’opinion de saint Thomas. Les textes dans Schmaus, p. 117-134. Peut-être l’assertion visant saint Thomas a-t-elle un fondement dans l’œuvre de jeunesse de saint Thomas : In I am Sent., dist. VI, q. i, a. 3 ; X, q. i, a. 1 et 5 ; XI, q. i, a. 1 ; XIII, q. i, a. 2, ad 2°" » et q. iii, a. 3, ad 4um ; XXVIII, q. ii, a. 3. Cf. M.-T.-L. Penido, Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, Paris, 1931.

d) Par voie de conséquence, les mêmes auteurs ajoutent que la procession du Saint-Esprit n’est pas une génération, précisément parce que le Fils procède par voie de nature et que le Saint-Esprit procède selon la volonté. Les textes dans Schmaus, p. 187, 188, 190, 191, 194, 213-214.

4. Raymond Lulle († 1315). —

Raymond Lulle mérite une attention particulière. Un certain nombre de ses ouvrages, plusieurs encore inédits, étudient directement la Trinité ; d’autres en parlent incidemment. Ceux qui sont consacrés à l’étude de la Trinité ont été énumérés à l’art. Lulle, t. viii, col. 1096 sq. (Œuvres théologiques et apologétiques, sous les n. 2, 3, 4, 7, 8, 13, 17, 19, 20, 26, 29, 36, 37, 48). Quelques-uns de ces ouvrages ont trait à la procession du Saint-Esprit ab utroque, contre les Grecs. C’est dans les œuvres mystiques qu’on rencontre incidemment — mais fréquemment — des considérations relatives à la Trinité.

On ne comprend bien la position théologique de Lulle qu’en le rapprochant, comme on le fait ici, de l’école de Richard de Saint-Victor, Alexandre de Halès et saint Bonaventure. La bonté est mise par Lulle au premier rang des attributs divins ; elle est aussi le principe des processions divines, à tel point qu’en « démontrant » la production des personnes en Dieu par ce simple fait que les dignités divines ne peuvent être inactives, le bien tendant à se répandre, on apporte un motif qui doit empêcher l’esprit humain d’admettre avec quelque apparence de raison que le contraire soit faux. Voir les textes, art. cit., col. 1126.

Les deux fondateurs de l’école thomiste : Albert le Grand et Thomas d’Aquin. —

1. Albert le Grand.

A l’article qui lui est consacré, t. i, col. 673, on a dit le rôle, plus effacé en théologie qu’en philosophie, joué par Albert le Grand. Son principal mérite fut de tirer parti des conceptions aristotéliciennes dans l’exposé du dogme catholique. En ce qui concerne la Trinité, on voit immédiatement que son point de vue est différent de celui de l’école bonaventurienne. Sa doctrine trinitaire est exposée dans le Commentaire sur les Sentences, t. I, et dans la Summa theologica, part. I ».

a) Processions.

Tandis que Richard, Alexandre et Bonaventure partent de l’idée du Bien pour expliquer la fécondité de la vie divine, Albert le Grand est

Adèle à la théorie psychologique de saint Augustin et à la primauté du vrai sur le bien. La vie immanente de Dieu n’est pas une source desséchée. La « communicabilité » divine qui se manifeste dans toute la création et dans les relations de Dieu avec la créature, où resplendissent sa bonté, sa perfection, son amour, ne peut avoir d’autre fondement que Dieu lui-même. En Dieu elle se manifeste réellement par les processions ad intra : la génération du Fils, la spiration du Saint-Esprit. Elle s’achève ainsi dans les trois personnes divines et seulement en ces trois.

Il ne peut y avoir communication de la divinité que de deux façons : par manière de verbe de vérité et par manière de bien. Une communication par mode de nature — celle que préconisaient les théologiens qu’on vient d’étudier — ne saurait être une manière de communication distincte. Le Père, principe sans principe, se manifeste dans la procession des personnes, mais seulement de ces deux façons. Le bien vient après le vrai et ainsi le Saint-Esprit procède aussi du Fils, à qui revient la première procession selon le vrai. Dist. X, a. 12. On doit cependant confesser que d’autres textes laissent l’impression qu’Albert retient encore, au moins quant à la formule, la thèse du Fils procédant selon la nature. Dist. XIII, a. 1. C’est parce que le Fils procède selon l’intelligence que sa procession est une génération ; la procession du Saint-Esprit selon la volonté ne saurait être dite telle. Ibid. Cf. A. Stohr, Der hl. Albertus ùber dem Ausgang des Heiligen Geistes, dans Divus Thomas (Fribourg), t. x, 1932, p. 241-265. C’est aux personnes, non à l’essence qu’il faut attribuer la génération et la spiration active. Albert justifie sur ce point la doctrine promulguée en 1215 contre Joachim de Flore. Les expressions divinitas nata, substantia de substantia, qu’on peut parfois relever chez les Pères signifient simplement que le Fils a la même divinité et la même essence que le Père, vu que d’une part le Fils est du Père mais que, d’autre part, il est aussi de la même substance que lui. Summa, part. I », q. xxx, memh. 3, a. 1.

b) Relations, notions, propriétés.

La distinction des personnes par leurs relations opposées est fondamentale dans la doctrine trinitaire. Si l’opposition des relations n’existait pas entre le Saint-Esprit, d’une part, et, d’autre part, le Père et le Fils, ce dernier ne serait pas distinct de la troisième personne. Dist. XI, a. 6. Albert cite cinq propriétés, caractéristiques des relations et des personnes : au Père, l’innascibilité, la génération active et, en commun avec le Fils, la spiration active ; au Fils, la génération passive, au Saint-Esprit, la spiration passive. C’est une doctrine reçue ; voir Notion, t. xi, col. 804. Les propriétés personnelles prennent le nom de « notions », si elles nous servent à distinguer entre elles les personnes elles-mêmes. Summa, q. xxxix, a. 1. La personne est constituée par la relation, mais incommunicable ; aussi, tout en retenant la définition que Boèce a donnée de la personne, voir Hypostase, t. vii, col. 409, Albert en explique l’expression : substantia individua par substantia incommunicabilis, en ce sens que la nature, en tant qu’elle est communicable, ne constitue pas la personne. Le concept de personne inclut l’unité, la singularité, l’incommunicabilité, dans la division, la séparation d’avec une autre hypostase. In III am Sent., dist. V, a. 14 ; cf. a. 11-13. L’âme séparée, partie d’un homme qui doit un jour ressusciter, demeure bien un élément constitutif de la nature humaine. La personne ne sera reconstituée qu’à la résurrection dernière. Summa, q. xliv, memb. 2. En Dieu, l’unité vient de l’essence ; l’incommunicabilité vient de. la relation s’opposant à la relation. En sorte que, si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils en s’opposant à lui, il ne s’en distinguerait pas. In J° m Sent., dist. X, a. 6.


c) Vestiges et image de la Trinité.

Albert les recherche avec prédilection dans les créatures. Il y trouve des vestiges, c’est-à-dire une certaine trinité dans le monde matériel et ses parties constitutives, dans son fieri, dans son esse, dans son perfectionnement (perfeclum esse), ou encore dans sacognoscibilité ou dans sa capacité d’agir.

Dans la création du monde (le fteri), le nombre, le poids, la mesure, cf. Sap., xi, 21, lui paraissent une première trinité. Les choses elles-mêmes, considérées dans leur être (esse) se distinguent par leur forme (modus), leui espèce (species), leur relation au but final (ordo). Du côte du perfectionnement des créatures, la trinité se manifeste plus clairement dans l’être, perfectionné par la vérité et la bonté. Du côté de leur cognoscibilité, les vestiges se constatent dans Vêtre, les ressemblances et les différences. Enfin, selon la capacité d’agir, nous trouvons : la substance, la faculté, l’acte. Summa, part. I », tr. iii, q. xv, memb. 2, a. 1. Canevas classique, qu’on retrouvera désormais chez les théologiens postérieurs.

L’image de la Trinité n’existe que dans les créatures spirituelles. L’âme est l’image de Dieu, avec sa mémoire, son intelligence, sa volonté. Enseignement traditionnel depuis saint Augustin ! S’en inspirant, Albert compare les trois facultés, leurs propriétés particulières, leurs relations réciproques avec les trois personnes divines et leurs mutuelles relations. Ibid., a. 2. Sur les personnes en particulier, leurs noms propres ou appropriés, la théologie d’Albert n’apporte aucun élément spécial.

2. Saint Thomas d’Aquin.

a) Disposition générale de son traité sur la Trinité dans la Somme théologique.

C’est sur un plan nouveau et plus logique que saint Thomas expose la doctrine trinitaire. Sum. theol., I », q. xxvii-xliii. Voici tout d’abord les grandes lignes, répondant aux exigences primordiales de la foi ; des processions (q. xxvii) ; des relations (xxviii) ; des personnes et de la pluralité des personnes en Dieu (xxixxxx). Logiquement s’insère ici la distinction entre ce qui relève en Dieu de l’unité de nature et de la pluralité des personnes (xxxi) et la connaissance que nous en pouvons avoir (xxxii). L’auteur passe ensuite à l’étude de chaque personne en particulier : le Père (xxxui) ; le Fils, Verbe et Image (xxxiv, xxxv) ; le Saint-Esprit procédant ab utroque (xxxvi) et les noms du Saint-Esprit : Amour et Don (xxxvii et xxxviii). Les questions suivantes sont proprement théologiques : comparaison des personnes à l’essence (xxxix), et aux actes notionnels (xli) ; égalité et similitude des personnes divines (xxm). L’étude des missions divines (xliii) clôt le traité.

Le cadre du 1. I er des Sentences est décidément brisé ; ici, le traité De Deo uno est nettement séparé du De Deo trino. Cf. Dondaine, La Trinité, éd. de la Revue des jeunes, 2 vol., Paris, 1945.

Autres ouvrages < ! ’saint Thomas sur la Trinité : Contra Sente », I. rv.c. i-xxvi ; In Sent., . I.dist. [I-VII, IX-XVI ; XVIII-XXXIV ; Qumst. disp. de palrntia, <r. ri, vrn-i ; De VtrttaU, q. iv-x ; Quodlibet., iv, a. 6-7 ; vi, a. 1 ; xii, a. 1 ; In Wang. Jouruii », c. r, lect. 1-3 ; Opuseula : Cont. errorrs Grœcorum, c. r-xv, xxxii ; Compenrfium theologiæ, t. I, c. xxxvii-i.xvii ; Declaratio quorumdam articulorum contra Grtecos, Armenos, Saracenos, c. in-iv ; In art. ftdet et sacram. nv (le début) ; In tumbolum aposlolorum, n. 1, 2, 8 ; Retponsio adfr. Joannem Vercellensem (à propos de 108 artistes tirés de Pierre de Tarentaise), a. 5-6, 8-13, 23-30, 50-64 : De dlfferentia verbl rtiolnt il verbi humani (extrait du comnentalrc -ur le prologue de saint Jean) ; in décrétaient /

tmpoiillo (cap. Flrmtter) ; In décrétaient II’" (sur l’abbé

< ! ’Flore) ; In m>. Boettlde Trlnitate.

b) La connaissance du mystère.

Dan le Commentaire sur Boèce. q. i, a. I, saint, Thomas rappelle tous les argument’, invoqués avant lui pour prouver la possibilité de s’élever à la connaissance de la Trinité par le seul raisonnement naturel ; et il conclut néanmoins par la négative : « Que Dieu soit trine, c’est uniquement objet de croyance et on ne peut le prouver d’aucune manière démonstrative. On peut en apporter quelques raisons non nécessitantes et qui n’ont de probabilité que pour le croyant. Dans notre état présent de voie, nous ne pouvons connaître Dieu que par ses effets dans le monde. Or, la Trinité des personnes ne peut être perçue en vertu de la causalité divine, puisque, cette causalité est commune à toute la Trinité ». Éd. de Parme, t. xvii, p. 357. Dans la Somme théologique, I a, q. xxxii, a. 1, saint Thomas ajoute que vouloir démontrer la trinité des personnes, c’est doublement offenser la foi : c’est d’abord rapetisser à notre taille les mystères divins qui dépassent infiniment la raison humaine ; c’est aussi, par la faiblesse des arguments, exposer la foi aux moqueries des infidèles. Toutefois, les créatures ordinaires présentent des vestiges de la Trinité, q. xlv, a. 7 ; les créatures raisonnables ont en elles-mêmes une certaine image de la Trinité, q. xciii, a. 1-4 ; la psychologie de l’âme humaine présente comme, un reflet de la connaissance et de l’amour divins, ibid., a. 5-8. Et de là, en présupposant le mystère déjà révélé, on peut tirer une certaine connaissance de la Trinité. Q. xxxii, a. 1, ad 2um ; cf. In I am Sent., dist. III, q. i, a. 4 ; q. ii, a. 1-3 ; q. iii, a. un. ; q. iv, a. 1-4 ; q. v ; Cont. Gentes, t. I, c. xiv ; De potentia, q. ix, a. 5 ; De veritate, q. x, a. 1, 7 et surtout 13 ; In epist. ad Romanos, c. i, lect. G, in fine.

c) Les processions.

Il y a en Dieu deux processions ; c’est une vérité de foi. Mais il faut entendre ces processions dans le sens d’une émanation intellectuelle. I », q. xxviii, a. 1. Cf. In I<"° Sent., dist. XIII, a. 1 ; Cont. Génies, t. IV, c. xi ; De poteniia, q. x, a. 1. Tout se passe donc dans l’ordre spirituel.

Une première procession est celle du Verbe, laquelle vérifie pleinement la définition fournie par Aristote de la génération véritable : Origo viventis a vivente principio conjuncto. Le Verbe divin est ainsi engendré : il procède par manière d’acte intellectuel, ce qui est une opération vitale au premier chef ; il procède d’un principe uni. puisqu’il s’agit d’une procession immanente ; et, en vertu même de sa procession, il est en parfaite similitude de nature, le verbe intellectuel étant la parfaite représentation de la chose conçue et, en Dieu, ne pouvant être que Dieu lui-même. Q. xxvii, a. 2 ; cf. Cont. Génies, t. IV, c. x, xi ; Comp. theol., t. I, c. xl. Sur les analogies avec le verbe humain, voir Processions divines, t. xiii, col. 647-648, et 652.

Mais il y a en Dieu une autre procession, celle de l’amour : « Le Verbe suit l’opération de l’intelligence ; l’amour suit l’opération de la volonté, celle-ci postérieure à celle-là, selon notre manière de concevoir ; car il n’y a pas de procession selon l’amour sinon consécutivement à la procession selon l’intelligence, rien ne pouvant être aimé s’il n’est connu d’abord. » Q. xxvii, a. 3 ; cf. In /" » Sent., dist. XIII, q. i, a. 2 ; Cont*. Gentes, t. IV, c. xiii, (n fine ; De potentia, q. x, a. 2. & tte procession n’est pas une génération. Voir plus loin. Aucune autre opération que celle de l’intelligence et celle de la volonté ne peuvent se concevoir en Dieu ; il n’y a donc pas lieu d’établir plus de deux processions. Q. xxvii, a. 5 ; xxviii, a. 4 ; xxxvii, a. 1 ; xli, a’. : cf. In /" m Sent., dist. XIII, a. 3 ; Cont. Génies. i. IV. c. xxiii.

d) Les relations.

La procession entraîne en Dieu des relations : la seconde personne procède du Père dans le même ordre de réalité ; il en es ! de même de la troisième personne par rapport an l’ère et au I ils. Il est doue née.".’aire que les relations qui les unissent ni réelles et non pal seulement dans notre manière de voir. I », q. xxviii, a. 1. Or, en Dieu, la relation ne peut avoir d’autre réalité que la réalité même de l’essence. Gilbert de la Porrée a été condamné à Reims pour avoir distingué la réalité de l’essence de celle de la relation ; et peut-être aussi Joachim au IVe concile du Latran. En Dieu, la réalité de la relation ne peut être que substantielle ; cette réalité s’identifie donc avec l’essence divine, a. 2. Et pourtant il est nécessaire que les relations se distinguent entre elles réellement, non pas dans l’ordre d’où elles tirent leur réalité (esse iii), mais dans ce qui fait leur opposition (esse ad). Sur tous ces points, voir Relations divines, t. xiii, col. 2141-2145. Tout en s’identifiant avec l’essence dans leur réalité, les relations en demeurent distinctes d’une distinction de raison. In 7um Sent., dist. XXXIII, q. i, a. 1. Les théologiens postérieurs chercheront à préciser d’une manière plus subtile la nature de cette distinction. Voir plus loin.

S’identifiant avec l’essence divine, les relations sont dites subsistantes, c’est-à-dire qu’elles existent en elles-mêmes et par elles-mêmes, en raison de leur identité avec l’essence divine. Cette conclusion se dégage nettement des principes posés par saint Thomas, encore que le mot subsistentia ne présente pas chez lui de signification absolument fixe. Voir les exemples cités à Relations, col. 2153.

En raison de leur opposition d’origine, les relations divines ne peuvent être qu’au nombre de quatre : paternité = filiation ; spiration (active) = spiration (passive). Q. xxviii, a. 4 ; cf. q. xxx, a. 1, 2, et ad l um.

e) Les personnes divines. —

Saint Thomas conserve la définition de Boèce : persona est rationalis naturæ individua substantia, individua marquant ici l’incommunicabilité. Q. xxix, a. 1 ; cf. III », q. ii, a. 2 ; In /" » Sent., dist. XXV, a. î ; De potentia, q. ix, a. 2 ; De unione Verbi, a. 1. Il faut donc identifier personne, hypostase, subsistence (au sens concret), chose de nature, lorsque ces trois derniers termes indiquent un individu raisonnable. Ibid., a. 2 ; cf. In II am Sent., dist. XXIII, a. 1 ; De potentia, q. ix, a. 1. Ces noms, et très proprement le nom de personne, peuvent et doivent être transférés à Dieu, avec l’analogie et l’excellence qui conviennent. Ibid., a. 3 ; cf. a. 2 et a. 3. Ces principes posés, saint Thomas rappelle que le mot « personne » signifie en Dieu la relation d’origine, mais considérée comme subsistante. Ibid., a. 4 ; cf. a. 3 et dist. XXVI, q. î, a. 1 ; De potentia, q. ix, a. 4. Et c’est par là que s’achève la solution de la difficulté provenant de l’unité de l’essence et de la trinité des personnes, solution esquissée à la q. xxviii, a. 3 ; ad l um et qui a été développée à Relations, col. 2155-2156.

Qu’il y ait seulement trois personnes en Dieu, cela résulte non seulement de la révélation qui impose cette croyance, mais de la définition même de la personne en Dieu. Puisque la personne est la relation subsistante, incommunicable, la spiration active, commune au Père et au Fils, ne peut constituer une personne, I », q. xxx, a. 1-2 ; cf. xxxi, a. 1, a. 6 ; In I am Sent., dist. X, a. 5 ; Conl. Gentes, t. IV, c. xiii, xxvi ; De potentia, q. ix, a. 9 ; Comp. theol., t. I, c. lvi, lx.

Enfin — conclusion logique — c’est par l’opposition des relations que les personnes se distinguent entre elles, I », q. xl, a. 2, ad 2um ; cf. De potentia, q. viii, a. 3 ; q. ix, a. 5, ad 18 om. On a vu plus haut l’opinion moins catégorique de saint Bonaventure, d’Alexandre de Halès et de leur école. Pour saint Thomas, les relations non seulement manifestent et notifient la distinction des personnes ; elles la réalisent effectivement par leur opposition mutuelle. L’a. 3 de la q. xl de la Somme est sur ce point aussi catégorique que possible. Sans les citer, l’Angélique docteur combat les théologiens franciscains : même si, par simple abstraction, nous enlevions des personnes divines l’idée de relation, il ne resterait plus que l’idée d’essence unique. Cf. In I um Sent., dist. XXVI, q. î, a. 2 ; De potentia, q. viii. a. 4 ; Comp. theol., t. I, c. lxi, lxii. Toute l’école thomiste est ici avec le Maître.

Tels sont les principes généraux par lesquels il est possible de montrer quelle est la vraie pensée de saint Thomas sur quelques problèmes trinitaires purement scolastiques :

a. Les personnes divines sont constituées dans leur être personnel formellement et uniquement par l’opposition qui réalise leur distinction. Par conséquent, la spiration active ne peut être invoquée à aucun titre comme constituant l’être personnel du Père et celui du Fils. Cette solution est contestée par plus d’un théologien des écoles non thomistes, ainsi qu’il apparaîtra plus loin.

b. Les notions et les personnes sont identiques ; les notions ne font que marquer d’une façon abstraite la raison qui, dans les personnes mêmes, les distinguent l’une de l’autre. Essentia in divinis est ut quid, persona vero ut quis, proprietas autem ut quo. I », q. xxxii, a. 2. Voir Notion, t. xi, col. 802.

c. La procession et la relation en Dieu sont formellement la même réalité et ne diffèrent que dans les termes. Cf. I », q. xli, a. 1, ad 4 nm. Selon leur mode de signification, la procession diffère de la relation comme l’implicite de l’explicite. Ibid. Cf. q. xl, a. 2.

f) Le Père. —

Voir ici t.xii, col. 1188 sq. Avec tous les théologiens, saint Thomas enseigne que le Père est et doit être appelé « principe », puisqu’il est à l’origine des processions divines. I*, q. xxxiii, a. 1. Bien que marquant la relation d’origine, le mot « Père » est un nom personnel, car en Dieu la relation de paternité est subsistante, a. 2 ; toutefois la paternité peut être affirmée essentiellement de Dieu par rapport à ses créatures et en ce cas elle appartient en commun aux trois personnes, c’est-à-dire à la divinité comme telle. A. 3. Enfin le Père est l’inengendré, en tant qu’il lui est propre de ne procéder d’aucun autre. A. 4. C’est à ce propos que, dans l’ad 1um, saint Thomas réfute la thèse de saint Bonaventure accordant à l’innascibilité une réalité positive qui en ferait le principe de la fécondité divine. La vraie considération des choses ne sépare pas la relation de sa subsistence dans la personne divine, voir ci-dessus ; elle exige, contrairement à l’affirmation de Pierre Lombard et de saint Bonaventure, qu’on dise : générât quia Pater.

g) Le Fils. —

Qui a étudié le Père a étudié le Fils, les deux relations de paternité et de filiation étant concertantes, I », q. xxxiv, introduction.

C’est surtout la dénomination de Verbe qui retient l’attention du saint Docteur. Eo Filius quo Verbum et eo Verbum quo Filius, répète saint Thomas après saint Augustin. Dieu ne reçoit pas la vérité ; il la pose comme le terme d’un acte qui est son être même ; il ne la conçoit pas comme l’intelligence conçoit le verbe mental ; il l’engendre. Par là même qu’il pense, il est Père et uniquement père et la Vérité est son Fils par là même qu’elle est son Verbe. On a dit comment la procession du Verbe réalisait la définition aristotélicienne de la génération, voir col. 1742. Saint Thomas a voulu marquer d’un trait admirable la différence entre la génération divine, toute intellectuelle, et la génération charnelle :

La génération charnelle des animaux exige une vertu active et une vertu passive : vertu active qui caractérise le père, vertu passive qui caractérise la mère. Parmi les choses exigées pour la génération d’un fils, les unes conviennent au père et d’autres conviennent à la mère… Or la procession du Verbe est définie comme l’acte par lequel Dieu se pense lui-même. Cette pensée ne provient d’aucune vertu passive, mais d’une sorte de vertu active, puisque l’intelligence divine n’est pas en puissance, mais seulement en acte. Donc, dans la génération du Verbe de Dieu, aucune maternité ; tout procède de la paternité. Voilà pourquoi tous les rôles qui sont distribués entre le père et la mère dans une génération charnelle sont attribués par les Saintes Écritures au Père seul pour la génération du Verbe. C’est ainsi qu’elles disent du Père qu’il donne la vie au Fils, qu’il le conçoit et qu’il l’enfante. Cont. Gentes, t. I, c. xi (tr. Th. de Régnon, op. cit., t. ii, p. 193-194).

Quelle clarification apporte la thèse thomiste à la doctrine scolastique du Verbe et d’une manière conforme aux données de la révélation ! Il y a là un réel progrès sur la thèse parallèle de saint Bonaventure.

La doctrine de l’Image est brièvement traitée, I », q. xxxv, a. 1-2. Ici encore, la psychologie humaine éclaire la révélation. Si je pense à moi-même, je pose devant moi ma propre image. Or, Dieu se connaît. Celui qui est le Verbe du Père est par là même son image parfaite et, puisqu’il s’agit d’une image procédant du Père, ce ne peut être qu’une personne, a. 1 ; cf. q. ciii, a. 5, ad 4<"° et In / « m Sent., dist. XXVIII, q. ii, a. 2. Être image appartient en propre au Verbe, a. 2. Voir plus loin.

Une question subsidiaire et toute scolastique est agitée à propos du Verbe ; quel est l’objet de l’intelligence divine quand elle exprime son Verbe ? Saint Thomas répond que « le verbe représente tout ce que l’intelligence conçoit dans l’acte qui le produit. Puis donc que Dieu se connaît lui-même et toutes choses par un seul acte, son Verbe unique représente et le Père et toutes les créatures. La science de Dieu est simplement spéculative, eu tant que Dieu se connaît soi-même ; elle est spéculative et créatrice à la fois, en ce qui concerne les créatures. Ainsi dans le Verbe se trouve simplement exprimé tout ce qui concerne Dieu ; mais en lui s’exprime et se réalise ce qui concerne les créatures : dix// et facta sunt (ps. xxxii, 9) ». I », q. xxxiv, a. 3. Écho du beau commentaire du prologue de saint Jean, c. i, lect. 2. Cf. De veritate, q. iv, a. 4-7.

h) Le Saint-Esprit. —

La procession selon la volonté donne naissance au Saint-Esprit, lequel procède à la fois du Père et du Fils comme d’un principe unique. A vrai dire, cette procession est plus obscurément présentée par la révélation, qui laisse innommée la relation reliant le Père et le Fils au Saint-Esprit. La théologie invente le nom de « spiration » (active et passive) en conformité avec le nom d’esprit. Mais il n’y a ici qu’une dénomination de haute convenance. I », q. xxxvi, a. 1 ; cf. Cont. Gentes, t. IV, c. xix ; Comp. theol., c. xlvi-xlvii.

Pourquoi la procession du Saint-Esprit n’est-elle pas une génération ? Richard de Saint-Victor pensait l’expliquer en indiquant que le Saint-Esprit n’avait pas reçu du Père, et du Fils une nature féconde. De Trin., t. VI, P. L., t. exevi, col. 975, 982-985. Saint Bonaventure estimait que le Saint-Esprit, ne procédant pas selon la nature, ne pouvait être dit engendré. Saint Thomas donne une raison, semble-t-il, plus profonde. Par lui-même, l’amour ne tend pas à reproduire l’aimant dans l’aimé, mais plutôt à créer dans l’aimant une propension vers l’aimé. Voir le développement de cette idée à Processions divines, t. xiii, col. 648. Il n’y a donc pas ici une procession en parfaite similitude de nature. I », q. xxvii, a. 4 ; xxxvi, a. 1, in fine ; cf. Cont. Gentes, t. IV, c. xxiv-xxv. Pierre Auriol contestera la valeur de cette raison, la volonté, l’amour ne pouvant être considérés comme produisant une réalité. Voir t.xii, col. 1862. Mais il ne s’agit que d’analogie, comme on l’a dit à Processions, toc. cit., et ce t poids qui entraîne l’aimant vers l’aimé est bien capable de nous suggérer en Dieu l’existence d’un terme de la procession selon la volonté. Ainsi l’expliquent tous les thomistes pour défendre cette raison contre les attaques dont elle a été l’objet. Cf. Pcnldo,

Cur non Spiritus Sanctus a Pâtre Deo genitus ? S. Augustinus et S. Thomas, dans Rev. thom., 1930, p. 508 sq.

Pourquoi le Saint-Esprit ne peut-il être dit, comme le Fils, l’image du Père ? Après avoir éliminé les raisons proposées par d’autres, saint Thomas déclare qu’il ne peut y avoir similitude en raison de la procession même sinon pour le Verbe. L’amour, par lui-même, ne comporte pas cette ressemblance. Ici donc encore, on pourrait dire : Eo Filius quo Verbum ; eo Imago quo Filius. I a, q. xxxv, a. 2.

Enfin, reste la controverse du Filioque, sur laquelle saint Thomas est revenu à maintes reprises et sous différentes formes. On n’examinera ici que l’aspect scolastique de la question. Pour la controverse avec les Grecs, voir plus loin, col. 1758. Logique avec sa doctrine rigide de l’opposition relative, seul principe de la distinction des personnes, saint Thomas ne conçoit pas que le Saint-Esprit puisse être réellement distingué du Fils s’il ne s’oppose pas à lui par une relation d’origine : « Les relations ne peuvent distinguer les personnes, sinon en tant qu’elles sont opposées. Il en est ainsi du Père qui a deux relations dont l’une s’oppose au Fils, l’autre au Saint-Esprit. Mais ces deux relations, n’étant pas opposées l’une à l’autre, ne constituent qu’une personne. Si, dans le Fils et le Saint-Esprit, on ne trouvait que deux relations, l’une et l’autre s’opposant au Père, ces deux relations ne s’opposeraient pas l’une à l’autre, pas plus que dans le Père la relation au Fils et la relation au Saint-Esprit. Ainsi, de même que la personne du Père est unique, ainsi la personne du Fils et celle du Saint-Esprit se confondraient, avec leurs deux relations opposées seulement aux deux relations du Père. Et cela est hérétique. Il faut donc affirmer que le Fils procède du Saint-Esprit, ce que personne n’a jamais dit ou que le Saint-Esprit procède du Fils. » I*, q. xxxvi, a. 2 ; cf. In I um Sent., dist. XI, q. i, a. 1 ; De potentia, q. x, a. 4 ; Cont. Génies, t. IV, c. xxiv, xxv ; Comp. theol., t. I, c. XLIX.

A cette raison, qu’on pourrait appeler métaphysique, le Docteur angélique ajoute une raison « psychologique », esquissée déjà plus haut, col. 1742, dans l’ordre des processions : « Il est nécessaire que l’amour procède du Verbe, car nous n’aimons quelque chose qu’autant que nous le percevons dans un concept mental. » I*, q. xxxvi, a. 2.

Mais comme, dans la spiration, le Père ne s’oppose pas au Fils, on doit en conclure qu’ils ne forment à l’égard du Saint-Esprit qu’un principe unique. Ibid., a. 4. Ce principe se rapporte indistinctement aux deux personnes du Père et du Fils dans l’unité de la substance divine. Ibid., et ad 4um ; cf. ad 5 ii, n. Cette unité de spiration dans l’unité de la substance ne détruit pas la dualité des personnes : « Il n’est pas contradictoire que la même propriété se retrouve dans deux suppôts dont la nature est une. Cependant, si l’on considère les suppôts de la spiration, le Saint-Esprit procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont deux, puisqu’il procède comme l’amour qui les unit tous deux. » Ibid., ad l u ™. Néanmoins saint Thomas ne rejette pas la formule grecque du Saint-Esprit procédant du Père par le Fils, a. 3 ; il l’explique en bonne part, en ce sens que « l’Esprit-Saint procède immédiatement du Père, puis médiatement en tant qu’il sort du Fils ». Ad 1°".

Les questions xxxvii et xxxviii sont consacrées aux deux noms appropriés au Saint-Esprit : V Amour et le Don. Voir Noms divins, t. xi, col. 790-791. Dans la question xxxvii, a. 2, ad 3° iii, saint Thomas établit un heureux parallèle, par rapport aux créatures, entre la procession du Verbe et celle de l’Esprit-Saint : « Le Père aime non seulement le Fils, mais encore lui-même et nous par le Saint-Esprit ; car, encore une fois, le mot « aimer », pris notionellement, implique et la production d’une personne divine et cette personne elle-même. Comme donc le Père se parle et parle toute créature dans le Verbe, parce que le Verbe représente toute créature et le Père, ainsi, il s’aime et aime toute créature dans le Saint-Esprit, parce que le Saint-Esprit procède comme amour de la bonté première qui fait que le Père s’aime et aime toute créature. Où l’on voit que le Verbe et l’Amour comportent secondairement un rapport aux créatures : ils sont, comme Vérité et Bonté divines, le. principe de la connaissance infinie et de l’amour de Dieu à l’égard des créatures. »

Les autres questions touchées par saint Thomas ont été exposées à Notion et Noms divins. La question des « missions divines » fera l’objet d’un article spécial. Voir col. 1830.

3. Influence des doctrines trinitaires de saint Thomas d’Aquin aux XIe et XIVe siècles. —

On sait que saint Thomas n’eut pas que des admirateurs et qu’il fallut attendre sa canonisation pour que tombassent certaines oppositions violentes à sa doctrine. Cependant, depuis 1278, les chapitres généraux des dominicains avaient agi en faveur des doctrines thomistes. La doctrine trinitaire était d’ailleurs en dehors des controverses. Noël Hervé (Hervé de Nédellec), général de l’ordre en 1318 († 1323) est l’auteur d’une Defensa doctrinæ divi Thomse, qui est une véritable apologie de la Somme et prépare l’œuvre théologique de Capréolus.

Il faut cependant signaler deux points où l’influence de saint Thomas fut, sinon décisive, du moins prépondérante, même en dehors de l’ordre dominicain :

a) C’est d’abord la réaction contre l’opinion bonaventurienne de la procession du Verbe secundum naturam. Saint Thomas défendit énergiquement la procession secundum intellectum, plus conforme à la révélation et à la nature des choses. Des théologiens de toutes écoles et de tous ordres embrassèrent ce point de vue. Citons les principaux : le dominicain Bernard de la Treille († 1292), le séculier Henri de Gand († 1293) qui admet une lumière spéciale accordée aux théologiens pour pénétrer, comme par intuition, la nature intime de la Trinité ; le franciscain Guillaume de Ware (début du xiv° siècle) ; le carme Gérard de Bologne († 1317) ; Pierre Auriol († 1322) ; Pierre de la Palu († 1342) ; le cistercien Jean de Pouilly († 1342), etc. Voir les textes dans Schmaus, op. cit., p. 135-139. Sur Guillaume de Ware, professeur à Oxford, voir A. Daniels, Zur den Beziehungen zwischen Wilhelm von Ware und Duns Scotus, dans les Franc. Stud., 1917, et d’autres études et extraits par le même auteur, dans les Beitrâge de Bàumker, Munster-en-W., t. vin. Sur Bernard de la Treille, voir G.-S. André, Les Quodlibeta de Bernard de la Treille, dans Gregorianum, 1921, p. 226-265 ; Notes sur les manuscrits de Bernard de la Treille et Guillaume de Hozun, daas Rev. des se. phil. et théol., 1914, p. 467-476.

b) C’est encore et surtout l’élément constitutif des personnes divines. Disciples de Pierre Lombard, un certain nombre de théologiens, même avant saint Thomas, avaient enseigné, sans toutefois approfondir la question, que les personnes divines étaient constituées par les propriétés personnelles d’origine et relatives. Ainsi : Bobert de Melun († 1167), Pierre de Poitiers († 1205) ; Guillaume d’Auxene († 1231) et postérieurement à saint Thomas, Jean de Naples († 1336). Les textes dans Schmaus, op. cit., p. 387, 391, 433, 409, 411, 441. Saint Thomas ayant précisé cette doctrine, voir col. 1743, contre la thèse de saint Bonaventure, c’est toute une pléiade de théologiens de provenances fort diverses qui s’y rallient. Chez les dominicains : Thomas de Sutton († 1300), Jean de Paris († 1306), Hervé Noël († 1323), Jacques de Lausanne,

Jean Picard (de Lichtenberg), Henri de Lubeck, Nicolas Trivet. Cf. Schmaus, op. cit., p. 509, 510, 417, 427, 424, 412, 440, 439. Bon nombre de scotistes : Guillaume de Ware, Jean de Beading, Alexandre d’Alexandrie, Landulphe Caraccioli, Hugues de Newcastle, Pierre d’Aquila (Scotellus), Henno, tous au début du xive siècle. Les textes dans Schmaus. op. cit.. p. 516, 518, 522-525, 537-539, 541, 543. Du même auteur, voir Auguslinus und die Trinitàtslehre Wilhelms von Ware (sur la doctrine trinitaire de Guillaume de Ware) dans la collection Grabmann-Mausbach, Aurelius Auguslinus, Cologne, 1930, p. 330-331. L’opinion thomiste est également retenue par les augustins Gilles de Borne et Thomas de Strasbourg ; par les carmes Gérard de Bologne et Gui de Perpignan (Gui Terreni) et par les séculiers Henri de Gand et Godefroy (ou Geoffroy) des Fontaines, tous de la première moitié du xiv c siècle. Cf. Schmaus, op. cit., p. 474, 476, 477, 479, 481. Sur Geoffroy des Fontaines et sa place dans l’histoire de la théologie trinitaire, voir A. Stohr, Des Gotifried von Fontaines Stellung in der Trinitàtslehre dans Zeitschr. fur kalh. Theol., 1926, p. 177 sq.

4° Réactions théologiques diverses. —

Il s’en faut néanmoins que la synthèse thomiste sur la Trinité ait été acceptée par tous et sur tous les points. Un jeune et brillant théologien de la famille franciscaine devait y apporter plus d’une réserve. Tout en restant fidèle dans les grandes lignes à un exposé consacré par la tradition de longs siècles, Duns Scot, sur des points où la philosophie a son mot à dire, modifie l’exposé de saint Thomas. Au nom de ce maître qui fera école doivent être joints ceux de trois autres théologiens, chacun très indépendant en son genre, dont la théologie trinitaire est trop personnelle pour être passée sous silence : Pierre Auriol, Durand de Saint-Pourçain, Occam.

1. Duns Scot et son école. —

La doctrine trinitaire de Duns Scot a été exposée à Duns Scot, t. iv, col. 18811884 ; cf. P. Minges, Zur Trinitàtslehre des Duns Scotus, dans Franc. Studien, 1919, p. 24 sq. Nous n’y revenons ici que pour marquer l’influence du Docteur subtil sur l’école scotiste du xive siècle en matière trinitaire. On a dit que les arguments employés par Scot pour « démontrer » le fait de la Trinité ne sont en réalité ni une démonstration quia, iii, à plus forte raison, une démonstration propter quid, col. 1882 ; ce ne sont que des arguments de convenance. C’est là, d’ailleurs, l’attitude prise par la presque totalité des théologiens du xive siècle, y compris Henri de Gand. Cf. L. Janssens, De Deo trino, p. 412.

a) Les processions. —

Les processions sont de véritables productions (c’est le terme employé par Scot) constituées par un acte vital ou attachées à cet acte. C’est substantiellement la doctrine traditionnelle. En Dieu, il n’y a que deux principes de production : la nature, la volonté ; et, dans chaque ordre, il ne peut y avoir multiplicité de production en raison de l’infinité du terme produit ; voir t. iv, col. 1882. Ici, Scot se rattache à l’enseignement bonaventurien, qui demeure héréditaire dans l’ordre de saint François.

Dans la génération du Verbe, Scot distingue intelleclion et diction. C’est par la diction seule, produite par l’intelligence déjà en possession de son objet (ce qui est la memoria fecunda), que l’acte de génération se réalise et produit le Verbe ; voir col. 1888. Cette explication a été retenue dans l’école scotiste, au xive siècle, par François de Meyronnes († 1325), Jean de Bassolis († 1347), Jean de Beading (vers 1325) (sur la doctrine, trinitaire de ce théologien, voir t. xiii, col. 1833), Landulphe Caraccioli († 1351), dont Pierre de Candie affirme que la doctrine est doctrina Doctoris subtilis, cf. Ehrle, Die Sentenzenkommentar Peters von Candia, Munster-en-W., 1925, p. 70, et enfin par Pierre d’Aquila († 1361). Voir les textes dans Schmaus, op. cit., p. 139-151. Sur Pierre d’Aquila, voir Scotellus, t. xiv, col. 1732. La connaissance dont procède la diction est restreinte par Scot à la connaissance de l’essence et des attributs divins et probablement aussi des personnes ; voir t. iv, col. 1881. Cf. Scot, In Il" m Sent., dist. I, q. i, concl. (expliqué par Frassen, Scotus academicus, tract, vi, dist. I, a. 3, q. ii, concl. 2). Toute l’école scotiste suit ici son chef de file. Cf. Suarez, De Trinitate, t. VI, c. vi, n. 1.

Dans la procession du Verbe existe un acte d’amour essentiel qui suit la connaissance que Dieu a de lui-même, des attributs et des personnes. Mais un second acte d’amour, commun au Père et au Fils, est un acte d’amour volontaire, à la fois libre et nécessaire et donc personnel. Voir t. iv, col. 1882-1883. Cette doctrine « met en relief le caractère formel des productions éternelles sans les expliquer uniquement par.l’opposition des relations.. Elle souligne particulièrement la différence à établir, d’une part, entre les émanations vitales : actes de connaissance et d’amour, et, d’autre part, entre les actes féconds : diction productrice du Verbe et spiration productrice de l’Esprit-Saint. Elle rend compte enfin de la thèse soutenue par le Docteur subtil que l’Esprit-Saint se distinguerait du Verbe, alors même qu’il n’en procéderait pas ». Col. 1883.

Ce dernier point a son fondement philosophique dans la célèbre distinction formelle ex natura rei que Duns Scot applique même aux conceptions trinitaires. Tandis que, pour saint Thomas, c’est uniquement l’opposition des relations qui justifie la distinction des personnes, pour Scot, la relation et la propriété personnelle suffisent, par elles-mêmes, à distinguer les personnes. In I um Sent., dist. XI, q. ii, n. 6-11. Et ainsi, même si la spiration active n’était pas commune au Père et au Fils, par la seule paternité et la seule filiation, les deux premières personnes se distingueraient de la troisième.

Des théologiens antérieurs à Scot, des contemporains et, cela va sans dire, l’école scotiste dans son ensemble soutiennent cette manière de voir, qui est bien dans la ligne d’Alexandre de Halès et de saint Bonaventure. Avant Scot : Jean Pecham, Henri de Gand, Pierre de Trabibus, Roger Marston, Guillaume de Ware, Mathieu d’Aquasparta, Nicolas Ockam, Pierre d’Angleterre. Après Scot, la plupart des scotistes : Alexandre d’Alexandrie, Henri Harclay, Martin d’A’nwick, Jean de. Bassolis, Landulphe Caraccioli, François de Marchia, Pierre d’Aquila dit Scotellus, Robert Cowton, Pierre Auriol. Les textes dans Schmaus, op. cit., p. 291, 292, 296, 300, 304, 307, 311, 341, 313, 344, 350, 351, 352, 354, 356, 357, 367, 373. Cf. J. Slipyj, Num Spiritus Sanctus a Filio distingueretur si ab eo non procederel, dans Bohoslooia, Lwov, 1927, p. 2sq. ; 1928, p. 1 sq.

Enfin, la procession du Saint-Esprit n’est pas une génération. Scot apporte la même preuve qu’Alexandre de 1 laies 1 1 saint Bonaventure ! Op. Oxon., I. I, dist. XIII, n. 18 ; l’Esprit-Saint procède selon la volonté. Toute l’école scotiste est, ici encore, substantiellement d’accord. Voir, pour le xive siècle, les textes dans Schmaus, op. cit., p. 236-248 ; cf. Frassen, Scotus academicus, De Trinitate, tract. III, dist. I, a. 2, q. iv, concl..’!  ; Henno, De Trinitate, disp, I, q. vi. concl. l : (. Mais la spiration n’est pas le résultat de l’amour du l’en pour !, Mis ni du Fils pour le Père : le Père et le Fils produisent le Saint-Esprit parce qu’ils ont l’aadivine comme premier objet de leur volonté. Cf. In /""> Srnt., dist. XII, q. i, n. 7.

b) Les relations. —

Le problème des relations divines présenti pin, chez Scol - on le com p re n d pat ce qui précède av< c le menu caractère systémal Ique qui’chez talni i homas. Sans doute, le Docteur subtil enseigne l’existence des quatre relations réelles : paternité, filiation, spiration active et spiration passive. Mais, en plus des relations réelles s’opposant dans les personnes divines, Scot admet des relations réelles communes d’identité, de ressemblance et d’égalité entre les personnes. Op. Oxon., In I um Sent., dist. XXXI, q. un, a. 2 et 5 ; Rep. Paris., id., q. iii, n. 26-30 ; Quodl. vi, a. 2 et 5. Cette affirmation ne peut se soutenir qu’avec l’appui de la distinction formelle ex natura rei. Pour nous en tenir aux quatre relations réelles d’origine, Scot admet avec tous les théologiens que, par leur opposition mutuelle, elles se distinguent réellement l’une de l’autre. Bien plus, la relation de spiration active, commune au Père et au Fils, se distingue non réellement, mais formellement ex natura rei de la relation de paternité et de filiation. Elle ne constitue pas une personne, mais, dans la pensée de Scot, ne serait-elle pas un complément nécessaire dans la constitution de la personne du Père et dans celle de la personne du Fils ? C’est du moins à cette conclusion qu’arrive Pierre Auriol. In I" m Sent., dist. XI, q. i, a. 3. Pour Scot, voir Op. Oxon., dist. XI, q. ii, n. 6-11.

c) Les personnes. —

Quelques mots complémentaires suffiront. La définition scotiste de la personne corrige celle de Boèce ; elle présente la personnalité comme une répugnance à toute communication, répugnance constituée par la réalité positive de l’être personnel. Voir t. iv, col. 1883, mais aussi Hypostase, t. vii, col. 411. Cette notion de la personne, où l’élément négatif (incommunicabilité) se mêle à l’élément positif (réalité de l’être incommunicable), a été retenue par toute l’école scotiste. Voir t. vii, col. 412. Appliquée à Dieu, elle ne représente par elle-même ni substance, ni relation, et par là elle est commune aux trois personnes. Concrètement, chaque personne est constituée et distinguée par la relation subsistante et non par une propriété absolue. Toutefois l’opinion relevée chez Robert Grossetête, voir col. 1731, ne paraît pas improbable à Scot. In I » ™ Sent., dist. XXVI, n. 23-40. Tout en reconnaissant le sérieux de l’argumentation de Scot en faveur de l’évêque de Lincoln et les difficultés de la thèse traditionnelle, les scotistes se rallient néanmoins à cette thèse, parce que traditionnelle et plus conforme à la révélation. Ainsi opinent, au xiv° siècle, Jean de Bassolis, François Mayronnes, Fr. de Marchia et Robert Cowton. On retrouvera le même point de vue au xvie siècle, chez Lichet et Malafossa et, au xvii c, chez Macedo et Frassen. Les textes dans Schmaus, op. cit., p. 482-509, 508, 533, 534, 536, 542, 557, 558 ; Frassen, toc. cit., dist. II, a. 1, q. n.Cf.Baliè, Les commentaires de Jean Duns Scot sur les quatre livres des Sentences, Louvain, 1927, p. 154-161.

Un dernier point, à peine ébauché par Scot, est la subsistence des personnes divines. Préludant à une solution qui ne sera explicitée qu’ultérieurement, Scot semble n’affirmer qu’une subsistence absolue, par laquelle les trois relations possèdent leur existence personnelle. In III um Sent., dist. I, q. II, n. 6.

2. Pierre Auriol († 1322). —

Malgré de nombreuses divergences, Auriol est un précurseur du nominal isme d’Occam. Rien d’étonnant que, dans l’exposé du dogme trinitaire, l’apport philosophique soit réduit au minimum. Cet exposé a été rappelé t. XII, col. 16811685. Nous n’en ferons ici qu’un bref résumé. Tout en restant traditionnel dans les grandes lignes, Auriol s’allirme indépendant de toutes les tendances. C’est là, peut-on dire, sa note caractéristique II admet la poa Ibilité d’une démonstration philosophique des pro"its divines. Toutefois sa théorie sur la génération et la spiration en Dieu est très particulière : d’une part, avec Pierre Lombard et. dit-il, avec l’Église (concile de 1215), il nie que l’essence puisse engendrer l’essence ; d’autre part, il n’admet dans la génération que l’actualité même du terme : le Fils. Pareillement, le Saint-Esprit procède selon la volonté et l’amour ; mais la volonté et l’amour ne sont pas des principes producteurs ; c’est un acte qui se distingue par son objet. Ainsi « engendrer » et « souffler » (spirare) ne se distinguent pas ; seuls les deux termes sont réellement distincts. On comprend pourquoi Auriol se place parmi les auteurs qui expliquent la distinction du Fils et de l’Esprit-Saint par leur réalité personnelle et non par leur relation d’origine ; d’où il suit que, si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils, il s’en distinguerait encore. Néanmoins, il faut accepter, en vertu de la définition de l’Église, les relations divines. Les personnes en Dieu sont une résultante de la nature et des relations. Les propriétés personnelles s’identifient pleinement avec l’essence, sans distinction même de simple raison ; il n’y a, de notre part, qu’une impossibilité de les concevoir distinctement. Et il faut en dire autant des relations par rapport aux propriétés et par rapport à l’essence.

Le Fils est appelé Verbe parce qu’il est Dieu placé dans un être objectif et apparent ; et c’est aussi pourquoi il doit être appelé Image.

3. Durand de Saint-Pourçain († 1334). —

Durand est le dominicain infidèle au thomisme. Sur bien des points, en effet, même en doctrine trinitaire, il s’écarte de l’enseignement de sa famille religieuse.

Tout d’abord, il admet comme possible une démonstration rationnelle des processions : Demonstrationem processionum divinarum inlranearum certain dari posse, en supposant toutefois la révélation préalable du mystère. In J am Sent., dist. II, q. iv. Jacques de Metz, dont la parenté doctrinale avec Durand est fortement accusée, soutient la même thèse. Voir les textes dans Schmaus, op. cit., p. 29, 30. Cf. J. Koch, Die Jahre 1312-1317 im Leben des Durandus de S. Porciano, dans Miscellanea Ehrle, 1924, 1. 1, p. 274.

On a vu plus haut que Durand s’était rallié à la thèse de la procession du Verbe par voie de nature, col. 1739 ; mais il faut signaler qu’il ne s’agit pas d’une « production » (generatio), mais d’une « émanation de la nature très féconde. Et la production du Saint-Esprit s’explique par le même principe. Pareillement les propriétés et attributs découlent de l’essence. Explication assez singulière qui rend difficile la conception de deux « émanations » parallèles différentes ou, si l’on admet cette possibilité, qui ne présente aucune raison valable de s’arrêter à deux. Explication, en tout cas, qui ne saurait rendre compte de la différence entre la génération du Fils et la « spiration » de la troisième personne. Cette explication est cependant accueillie avec faveur par Jacques de Lausanne, Jean de Naples, Guy de Perpignan, Guillaume de Rubione, Guillaume d’Occam, Nicolas Trivet. Les textes dans Schmaus, op. cit., p. 130, 131, 216-225, 136, 141, 247, 153, 247, 228. Ce qui n’empêche pas plusieurs de ces auteurs de se rallier pleinement à la thèse thomiste des relations.

En troisième lieu, Durand semble s’accorder avec saint Thomas, en plaçant dans la relation la personne divine. In I » m Sent., dist. XXVI, q. i, n. 15-17. Mais il s’en écarte en accordant à la relation comme telle, qui constitue la personne une réalité en quelque sorte distincte de celle de l’essence : « La différence entre l’essence et la relation n’est pas purement et simplement une différence de raison. Mais on ne saurait dire non plus que c’est une différence réelle. Il est nécessaire d’affirmer qu’elles diffèrent d’une certaine manière réellement… comme la chose et le mode de la posséder. » In 7um Sent., dist. XXXIII, q. i, n. 33 sq. Pour l’appréciation de cette opinion, voir Relations divines, t. xiii, col. 2146.

Cette distinction modale trouve une application aussi peu heureuse dans la distinction réelle que Durand en conclut entre la spiration active d’une part et, d’autre part, la paternité et la filiation. Il y aurait donc ainsi quatre relations non seulement réelles, mais réellement distinctes : « Engendrer et souffler (spirare) diffèrent réellement et pareillement être engendré et être soufflé ; ces relations se distinguent par elles-mêmes et non par une autre chose, sans quoi il faudrait aller à l’infini. » In Z um Sent., dist. XIII, q. n. D’où il suit que, même si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils, il s’en distinguerait encore réellement. Ibid.

Un dernier point, sur lequel on pourra être d’accord avec Durand, c’est la subsistence divine au sens concret du mot. « La personne divine subsiste par l’essence et non par la propriété relative », d’où il suit que « la subsistence en Dieu est unique et absolue ; et c’est en raison de l’essence qu’elle appartient aux personnes ». In III nm Sent., dist. I, q. ii, n. 7. Voir ici t. xiii, col. 2153-2154.

4. Guillaume d’Occam (t vers 1349). —

La métaphysique du nominalisme exclut les relations réelles, voir ici t. xi, col. 748. Et déjà nous avons vu plus haut comment Pierre Auriol en avait minimisé l’importance dans le dogme trinitaire. Occam va plus loin. On a rappelé à l’art. Nominalisme son attitude en face de la distinction formelle à admettre en Dieu pour distinguer la formalité de la relation de celle de l’essence, tout en identifiant la réalité de l’une et de l’autre. C’est en vertu du principe d’identité qu’Occam s’insurge, au nom de la seule raison, contre les distinctions formelles et même de simple raison apportées en Dieu par la théologie. Il s’insurge également, toujours au nom de la seule raison, contre le réalisme de la relation même transportée en Dieu en vue d’expliquer la trinité des personnes. Voir t. xi, col. 742748. On a dit aussi comment, en dépit de ces présupposés philosophiques, Occam avait cru pouvoir exposer sa doctrine trinitaire, col. 776-779. En réalité, il a la foi ; il croit au mystère ; mais, se plaçant au point de vue rationnel, il y trouve contradiction : « Il y a opposition essentielle entre le mouvement de la raison et la donnée de la foi, mais la raison et la foi n’ont pas une égale autorité : en croyant, nous adhérons à l’objet qui s’est lui-même révélé ; en raisonnant, nous usons, autant que nous le pouvons, des puissances que possède actuellement notre esprit ; la raison ne peut que s’arrêter devant le mystère et constater que, de soi, elle le nierait. » P. Vigneaux, art. cit., col. 779.

Du procès qui fut fait à Occam en cour d’Avignon, nous avons le rapport adressé au pape Jean XXII par les censeurs, au nombre desquels était Durand de Saint-Pourçain. Cinquante et un articles avaient été examinés. En ce qui concerne le dogme trinitaire, graves étaient les conséquences résultant de la critique des idées de relation et de distinction. Voir le résumé des art. 27, 28, 37, 41, 42 et 44 relatifs à la Trinité, t. xi, col. 892. L’université de Paris prit position contre Occam, col. 896. Mais le Saint-Siège n’intervint pas directement dans le débat théologique. Du moins les principes philosophiques fortement apparentés à ceux d’Occam furent condamnés par Clément VI dans la cause de Nicolas d’Autrecourt ; voir t. xi, col. 561 sq.

Plus d’un siècle après, le nominalisme trouvait un dernier et illustre défenseur dans la personne de Gabriel Biel († 1495). Biel, est caractérisé par son souci de l’orthodoxie. Mais Biel est un disciple d’Occam et, dans son traité de la Trinité, Epilome et collectarium circa IV Sententiarum libros…, t. I, dist. II sq., il montre qu’il conserve la rigide logique nominaliste. L’essence et la relation apparaissent en Dieu, d’après la raison, comme une simple réalité. La foi seule nous apprend que tout ce qui est vrai de l’une ne l’est pas de l’autre. Voir t. ii, col. 819.

5° Conclusion. —

Une vue d’ensemble sur l’enseignement des grands scolastiques résumera cette partie de notre étude.

1. En général, les scolastiques partent de cette idée que la doctrine de la Trinité relève du domaine strictement surnaturel. Les raisons qu’on peut en apporter, même après révélation faite du mystère, sont de simples raisons de convenance. Les uns prennent ces raisons dans la psychologie humaine, où Augustin avait trouvé une image de la Trinité ; d’autres, dans la diffusion inhérente à l’amour divin ; d’autres enfin, dans la bonté de Dieu, source de communications personnelles.

2. Les scolastiques sont d’accord pour rattacher la génération du Fils à l’ordre de la connaissance, même ceux, assez nombreux, qui considèrent que cette première procession est « selon la nature » ; la procession du Saint-Esprit est selon l’ordre de l’amour et de la volonté. Tous admettent que cette dernière procession n’est pas une génération, bien que les raisons qu’ils en apportent soient assez divergentes.

3. Les personnes divines sont constituées par les relations ; tous reconnaissent que la foi est engagée dans cette doctrine. Mais le mot « constituées » est interprété de différentes manières. L’école thomiste seule identifie formellement la personne et la relation subsistante ; les autres écoles semblent placer dans la personne quelque propriété que la relation met simplement en relief.

4. En ce qui concerne la distinction du Saint-Esprit des deux autres personnes, les scolastiques se partagent en deux grandes écoles. L’école thomiste, fidèle au principe de la relation constitutive de la personne, déclare que le Saint-Esprit ne se distingue du Père et du Fils qu’en raison de sa procession de l’un et de l’autre, l’opposition de la spiration active et de la spiration passive marquant la distinction des personnes. L’école scotiste maintient que, même si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils, il s’en distinguerait par les propriétés personnelles que manifeste la relation au Père. Mais puisque le Saint-Esprit vient du Père et du Fils, les deux personnes ne font qu’un principe : duo spiranles, mais non duo spiratores.

5. Enfin, pour les notions et les appropriations, on se reportera aux articles consacrés à ces mots ; t. xi, col. 802-805 ; t. i, col. 1708.

II. les controverses.

Les articles Esprit-Saint (la procession de V) et Filioque n’ont pas fait à la théologie latine du Moyen Age la place qu’elle tient dans les controverses relatives à la procession du Saint-Esprit. Il sera utile de rappeler ici quel fut l’effort de quelques bons théologiens, avant d’indiquer les solutions apportées par les conciles.

L’apport des théologiens latins. —

1. Rappel des travaux antérieurs au XIIe siècle. —

Le Filioque, on l’a vii, avait provoqué de la part d’Alcuin, de Théodulphc d’Orléans, d’Énée de Paris et de Ratramne, des travaux divers en réponse aux attaques des Grecs. Plus tard, au xie siècle, nous avons pu citer les traités de Pierre Damicn et d’Anselme de Cantorbéry. En débordant un peu sur le xiie siècle, on a rappelé, de Rupert de Deutz, le De glorificatione Trinitatis et processione Spiritus Sancti.

2. Les controversistes des XIIe et XIIIe siècles. —

La controverse se situe entre les dernières luttes ; i|>rès le schisme consommé et les espoirs d’union que le II* concile de Lyon devait si fragilement restaurer. Nous signalons simplement en passant VOratio de Spiritu Sancto de Pierre Chrysolanus († 1117), archevêque de Milan, P. G., t. cxxvii, col. 911-920, adressée à l’empereur Alexis Comnène. Il s’agit de prouver cjuc le

texte de Joa., xv, 26 n’est pas exclusif de la procession a Filio. L’orateur montre que l’Esprit du Père est aussi l’Esprit du Fils (Gal., iv, 6 ; Rom., viii, 9). Plusieurs exemples scripturaires font voir qu’en nommant le Père, on sous-entend le Fils, par exemple les textes sur la rémission des péchés, Matth., vi, 14, et l’accomplissement de la volonté du Père qui nous rend frères de Jésus-Christ, Matth., xii, 50.

Il convient de s’arrêter sur trois noms : Anselme de Havelberg, Hugues Éthérien, saint Thomas d’Aquin.

a) Anselme de Havelberg († 1159). —

Envoyé comme ambassadeur à Constantinople par l’empereur Lothaire II, il eut avec les évêques grecs les plus habiles des conférences sur les dogmes qui divisaient les deux Églises. Sa longue familiarité avec les Pères lui permettait la controverse. Le résumé de ses discussions est contenu dans le 1. II de ses Dialogues, P. L., t. clxxxviii, col. 1163 sq.

On peut diviser l’ouvrage en trois parties. Dans la première, toute spéculative, Anselme montre à ses interlocuteurs qu’il n’est pas possible de concevoir la procession du Saint-Esprit sinon du Père et du Fils comme d’un principe unique, le Père étant lui-même sans principe et le Fils étant engendré de lui, sans toutefois que ces processions marquent entre les personnes un degré différent de dignité ou indiquent une participation différente de la substance divine. C. nix, col. 1165-1178. Les processions n’existent que selon les relations d’origine, le Père et le Fils émettant le Saint-Esprit comme leur nœud et leur mutuel amour. C. x-xvii, col. 1178-1183.

La deuxième partie fait appel à l’Écriture. Tout d’abord, certaines manifestations et missions du Saint-Esprit, envoyé par le Fils, cf. Luc, i, 35 ; vi, 19 ; xxiv, 49 ; Joa., xv, 16 ; xx, 22 ; Act., i, 8 ; l’expression même « l’Esprit du Fils », Rom., viii, 9 ; Gal., iv, 6, rapprochée de « l’Esprit du Père », Matth., x, 20, peuvent être considérées comme des indications que l’Esprit-Saint procède du Fils, tout comme il procède du Père, Joa., xv, 26. C. xvi-xvii, col. 1187-1189. Aux Grecs objectant qu’autre chose est procéder du Père, autre chose être du Fils, Anselme riposte qu’être et procéder, pour une personne divine, sont identiques. Il en est ainsi du Fils, cf. Joa., xvi, 28 ; viii, 42, col. 1199 C ; il doit en être de même du Saint-Esprit. Et ce n’est pas admettre une pluralité de principes : le Saint-Esprit, en procédant du Père et du Fils, n’en procède que comme d’un seul principe, puisque le Père et le Fils sont un, Joa., x, 30. Ainsi niei que le Saint-Esprit procède du Fils comme du Père, c’est nier son existence, c’est détruire le mystère de la Trinité. Sans doute, l’Évangile ne dit pas expressément que l’Esprit-Saint procède du Fils, mais il n’affirme pas non plus le contraire et nulle part il n’est dit que l’Esprit ne procède que du Père. Il n’est pas téméraire d’ajouter une précision qui n’est pas contenue dans l’Évangile : 1rs conciles l’ont fait pour la « consubstantialité » du Fils et pour la « coadoration » du Saint-Esprit, ainsi que pour la maternité divine de Marie. Col. 11991200. Positivement enfin, la procession a Filio est suffisamment indiquée dans Joa., xvi, 14 : de meo accipiet. C. xviii-xxii.

La troisième partie laisse à désirer : c’est la tradition patristique. Parmi les Pères grecs, Anselme cite un passage du symbole dit d’Athanase ; un texte de Didyme l’Aveugle, De Spiritu Sancto, n. 36, P. G., t. xxxix, col. 1064-1065. Voirie texte ici, t. v. col. 789. Anselme en appelle ensuite au « symbole d’Eplièse », puis à une lettre de Cyrille d’Alexandrie à Nestorius. En réalité ces deux textes n’en sont qu’un, extrait delà lettre du concile d’Alexandrie a l’automne de 430 condamnant Nestorius et reproduite dans les actes du concile d’Éphèse. S. Cyrille, Epist., xvii, P. G., t. lxxvii, col. 118 C. Suivent trois citations de saint Jean Chrysostome qu’il nous a été impossible d’identifier. C. xxiv, col. 1202-1205.

Anselme rapporte aussi des témoignages de Pères latins, Jérôme, Augustin, Hilaire. Tout en admettant que le Saint-Esprit procède pioprement et principalement du Père, il rejette l’expression : procéder du Pèle par le Fils. C. xxv-xxvi, col. 1205-1208. La conclusion de ce colloque avec les évêqucs orientaux fut qu’on souhaita, des deux côtés, un concile général où seraient débattus les différends dogmatiques des deux Églises. Cf. Ceillier, op. cit., p. 414-415.

2. Hugues Éthérien (t fin du xiie siècle). —

L’œuvre d’Hugues Éthérien est plus consistante. Ce Toscan, envoyé de bonne heure à la cour de Constantinople, y put prendre contact avec les théologiens grecs et se renseigner d’une manière plus exacte sur la polémique du Filioque. Voir t. vii, col. 308 sq. Invité par l’empereur Manuel Comnène à exposer les preuves de la croyance latine, il rédigea une longue dissertation qu’il dédia au pape Alexandre III, De hæresibus Grœcorum, P. L., t. ccii, col. 227-396. Le De hæresibus est divisé en trois livres, sans toutefois qu’un lien logique rattache l’un à l’autre.

Le 1. Ier est surtout spéculatif. Les Grecs n’admettaient pas que le Saint-Esprit procédât du Père et du Fils, alléguant comme raison qu’il est impossible qu’une même chose ait deux principes ou que deux principes produisent la même chose. L’argumentation d’Hugues vise donc à prouver que le Père et le Fils ne forment qu’un principe, d’où procède le Saint-Esprit. Il rejette tous les exemples tirés des natures créées, puisqu’il n’y a aucune proportion entre elles et la nature divine : le Père et le Fils sont deux personnes distinctes ; ils n’ont cependant qu’une seule et même nature et, par là, ne forment qu’un seul principe du Saint-Esprit. C. i-vi, col. 233-244. Hugues se sert du terme « cause » pour marquer la procession du Saint-Esprit. Le terme est assez inexact, mais, pour les cerveaux grecs, il ne présentait pas d’inconvénient. Cf. Père, t. xii, col. 1189. Pour répondre à d’autres instances, Éthérien rappelle le principe théologique que ce n’est pas en ce que le Père est distingué du Fils qu’il produit le Saint-Esprit, mais en ce qui lui est commun, c’est-à-dire la nature divine. C. vii-xx, col. 245-274. Ce premier livre avait été écrit par Hugues en collaboration avec son frère Léon. Celui-ci, parti avec l’empereur Comnène, se contenta d’exhorter Hugues à continuer seul son œuvre.

Le t. II, après une brève introduction sur l’origine du monde, s’attache à réfuter les sophismes de Nicétas de Byzance, de l’évêque de Méthone, de l’évêque de Nicomédie, de Théophylacte de Bulgarie, de Photius. Il donne le vrai sens de certains textes scripturaires, d’après les interprétations de saint Jean Chrysostome, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Cyrille d’Alexandrie. On retrouve ici les assertions d’Anselme ds Havelberg, mais avec plus de développements. C. ii-xvi, col. 275-322. C’est sur le De meo accipiet, Joa., xvi. 5, que notre auteur insiste, c. xvii, invoquant l’autorité d’Athanase, de Basile, de Cyrille d’Alexandrie, c. xviii ; et il conclut, dans une argumentation assez confuse, que l’Esprit-Saint n’est pas dit « Esprit du Fils » parce qu’il lui est consubstantiel ou qu’il est envoyé par lui, mais parce qu’il tire de lui son origine. C. xix, col. 322 D-354. Sur l’argumentation d’Éthérien, voir Petau, De Trinilate, t. VII, c. iv, n. 13-14.

Du t. III, une première partie est toute spéculative et s’attache à démontrer derechef l’unité de la nature divine, la trinité des personnes, la génération du Fils et la procession du Saint-Esprit. C. i-x, col. 335358 D. Mais — et c’est ici la partie, la plus intéressante de l’ouvrage d’Éthérien — les Pères de l’Église auxquels plus d’un emprunt avait été fait précédemment, vont être interrogés et opposés aux prétentions de Photius et de ses disciples. Le texte latin d’Hugues ne répond pas toujours exactement au texte grec ; parfois il commente ou il soude des phrases séparées entre elles dans le texte original. Cependant ses citations sont substantiellement exactes, sinon toujours quant à la lettre, du moins quant au sens.

Dès le t. II, c. ta, saint Grégoire de Nazianze est appelé en témoignage des rapports qu’ont entre elles les trois personnes, le Père sine initio ; le Fils, qui principium ; le Saint-Esprit, qui cum principio ; les trois unus Deus. Cette paraphrase se rapporte vraisemblablement à l’Oratio, xx, n. 7, P. G., t. xxxv, col. 1074 AB. Puis, voici, avec un texte qui déborde celui du fragment inséré dans Migne, P. G., t. xlvi, col. 1109 BC (cf. Damascenica, t. xciv, col. 240-241), le texte si discuté de Grégoire de Nysse sur l’oraison dominicale (voir ici t. v, col. 786). Hugues, col. 280281. — Au c. vii, partant du principe formulé par saint Basile, EpisL, lii, n. 4, P. G., t. xxxii, col. 396 BC, qu’il n’y a point d’intermédiaire entre le Père et le Fils, Hugues reprend une expression assez familière aux Grecs pour montrer que ce que le Père est au Fils, du moins pour l’origine, le Fils doit l’être au Saint-Esprit. Le Saint-Esprit est appelé l’image du Fils, comme le Fils est appelé l’image du Père ; cf. S. Basile, Adv. Eunomium, 1. V (et non III), t. xxix, col. 724 B et 725 C ; Grégoire le Thaumaturge, Expositio fidei, t. x, col. 985 ; S. Jean Damascène, De fide orth., t. I, c. xiii, t. xciv, col. 856 D ; S. Grégoire de Nazianze, Orat., xxx, n. 20, t. xxxvi, col. 129 B. Donc il doit, non certes par génération, procéder du Fils comme le Fils procède du Père. Hugues, col. 292 D-293 A. — Plus loin, c. xv, Hugues rappelle, au sujet de la procession du Saint-Esprit, la controverse entre Théodoret de Cyr et Cyrille d’Alexandrie (voir ici t. v, col. 793-794). Et il ne manque pas, à ce propos, de citer la synodique de Cyrille à Nestorius ; ci-dessus, col. 1754. Hugues, col. 316-317. — Au c. xviii, commentant le De meo accipiet et le Omnia quæ sunt Patris, mea sunt, Hugues montre que le Saint-Esprit.hormis la génération, doit tenir du Fils ce qu’il tient du Père ; et il invoque l’autorité d’Athanase, Ad Serapionem i, n. 20, P. G., t. xxvi, col. 580 AB ; de Basile, Adv. Eunom. (titre rectifié), 1. III n. 1, P. G., t. xxix, col. 656 A (sur ce texte, voir la discussion t. v, col. 783) ; de Cyrille d’Alexandrie, De Trinitate, dial. vi, P. G., t. lxxv, col. 1013 B (titre rectifié ; le texte est cité librement) ; et de Jean Chrysostome, In Joannem, hom. lxxviii, n. 3, P. G., t. lix, col. 424. Hugues, col. 327-328.

Les autorités invoquées dans le 1. III visent plus directement la procession a Pâtre Filioque. Tout d’abord, c.xii, une assertion attribuée à Basile : « Le Fils procède immédiatement du Père et le Saint-Esprit médiatement », qu’il a été impossible d’identifier. Suivent quelques lignes empruntées au Damascène, Homil. in sabbat, sanct., P. G., t. xevi, col. 605 B : « Le Saint-Esprit est dit Esprit du Fils, parce qu’il est manifesté par lui et communiqué aux créatures. » Texte bien discutable quant à sa valeur probante, car les paroles qui suivent ont été supprimées par Hugues, àXX* oôx è^ aû-roG 2x ov T’î v orcapÇiv. (Voir ici t. v, col. 795-796 et les notes de Le Quien, P. G., t. xciv, col. 831, note 28 et t. xevi, col. 605, n. 70.) Enfin, Grégoire de Nysse, dans le traité Quod non sint très dii (titre rectifié ; texte cité librement), P. G., t. xlv, col. 133 B, marque « la différence entre le Père, causam esse ; le Fils, ex causa, mais sine medio ex primo, et le Saint-Esprit, qui dérive du Père, le Fils conservant son rôle d’intermédiaire et sa qualité d’unique engendré ». Hugues, col. 364-365. — Au c. xiii, un texte de Grégoire de Nazianze, qu’il faut restituer à l’Orat., xli, n. 9, P. G., t. xxxvi, col. 441442, semble quelque peu détourné de son sens véritable. Grégoire affirme que « le Saint-Esprit est toujours uni au Père et au Fils et énuméré avec eux ; ainsi ne convient-il pas de séparer en aucun cas le Père du Fils et le Fils du Saint-Esprit : oùSè yàp ëîrpsTrsv IXksiizevj tzozs, /) ïlôv ITarpî, 9) IIvsG^a Yîw. Eu traduisant : itaque non expedit Filium a Pâtre in emissione Spiritus separari, Hugues force évidemment le sens du texte grec. Hugues, col. 365 A. Chrysostome, In Joannem, xv, 26, Homil. lxxvii, n. 3, P. G., t. lix, col. 417, déclare que ce n’est pas le Père seul, mais aussi le Fils qui envoie le Saint-Esprit. S’il l’envoie, comme le Père, on doit logiquement conclure, affirme Hugues, qu’il l’émet aussi pareillement : si mitlil, emittit. Hugues, col. 365 C.

La procession a Filio est enseignée par Basile, au début du 1. III contre Eunomius. On sait que l’authenticité de l’incise la plus caractéristique est contestée (voir ici t. v, col. 783). Hugues, col. 366 B. Hugues appuie sa démonstration en rappelant le texte déjà cité de Grégoire de Nysse, dans Quod non sint 1res dii, texte ici encore plutôt commenté que cité. Col. 367 AB. Et, pour répondre à l’objection que l’ordre placé entre les personnes divines semble marquer une infériorité de l’Esprit, il renvoie à saint Basile, pour montrer qu’en Dieu l’ordre des personnes n’implique qu’un ordre d’origine. Adv. Eunom., t. I, n. 20, P. G., t. xxix, col. 557 AB ; Hugues, col. 367 CD.

Voici, au c. xiv, des textes catégoriques. Athanase écrit à Sérapion : « L’Esprit à l’égard du Fils a le même rapport que le Fils à l’égard du Père. » Le contexte dont Hugues entoure cette phrase ne se trouve pas littéralement chez l’évêque d’Alexandrie. Un passage qui s’en rapproche se lit Ad Serapionem, i, n. 20-21, P. G., t. xxvi, col. 580 B ; voir aussi n. 30-31, col. 660 C-661 A ; iii, n. 1, col. 625 B. Basile, De Spiritu sancto (titre modifié), n. 46, P. G., t. xxxii, col. 152 BC, parle de cet Esprit qui seul peut glorifier dignement le Christ, non comme créature, mais comme esprit de vérité manifestant en lui-même la Vérité, c’est-à-dire le Fils. Hugues, col. 368 CD. — Ici s’intercalent les textes de trois Pères latins, Hilaire, Augustin et Jérôme, col. 378-379, et plus loin Grégoire le Grand, col. 393-394, en raison de l’autorité que leur ont reconnue les conciles orientaux eux-mêmes. Puis nous revenons à des textes fort pertini rits, empruntés aux Grecs : à Cyrille d’Alexandrie, De adoratione in spiritu et veritate, t. I, P. G., t. lxviii, col. 147 A (cité ici t. v, col. 793) ; In Joël, n. 35 r « Le Saint-Esprit est dans le. Fils et du Fils, comme le Fils est dans le Père et du Père », P. G., t. i.xxi, col. 377 D. Hugues résume un passage de VExpositio fidei attribuée à saint Athanase et prête à l’auteur une formule de saveur latine qui ne se lit pas dans le texte grec, P. G., t. xxv, col. 208 A. Mais cinq textes, tous très affirmatifs, sont pris dans VAncoralus d’Épiphane (on aurait pu en trouver plusieurs autres) : L’Esprit est Dieu ; i ! est l’Esprit du Père et l’Esprit du Christ (Fils), non par une fusion des deux, mais au milieu du l’ère et du Fils ; il sort de l’un et fie l’autre, n. 8, col. 29 C. « Le Saint-Esprit vi< nt des deux, l’Esprit de l’Esprit, car l’Esprit est Dieu », n. 70, col. 148 A. i Dirons-nous qu’il y a deux Fils ?… Non, Dieu dit que le Fils sort de lui et que le Saint-Esprit sort des i » US », n. 71, col. 148 H. - I. S.iint-Esprit est un esprit : il est la troisième lumière, issue du l’ère et du Fils », ihirl. ; Hugues, col. 393-394. La pensé* du Uamascène semble à Hugues, sinon opposée à l’orthodoxJ autres Pères, du moins fort douteuse. Il essaie toutefois « le l’expliquer en bonne part, OO). 394 CD., * oir ici, sur Jeun Damascènc, t. V, col 798 799.

Sans être parfait, le travail d’Hugues eut, à l’époque où il fut composé, une valeur de premier ordre. Les Grecs l’ont utilisé et il servit de point de départ à plus amples recherches. Petau lui-même s’y réfère fréquemment. Aussi avons-nous voulu faire une mise au point aussi exacte que possible de son enquête patristique.

3. Saint Thomas d’Aquin. —

Saint Thomas s’est livré, lui aussi, à une longue enquête, patristique à propos du Filioque. Déjà dans le Commentaire sur les Sentences, dist. XI, q. i, a. 1, le De potentia, q. x, a. 4 et la Somme théologique, il avait expliqué quelques difficultés provenant du pseudo-Denys ou de saint Jean Damascène. Dans la Somme contre les Gentils, t. IV, c. xxiv, il apporte, en faveur de la thèse catholique, l’autorité du symbole d’Athanase, de la synodique de Cyrille d’Alexandrie et d’un texte du Saint-Esprit de Didyme. Mais c’est dans l’opuscule Contra errores Grœcorum que l’enquête patristique est conduite sur de plus larges bases.

Saint Thomas ne recourt pas aux sources originales ; il utilise un recueil de textes que le pape Urbain IV lui avait donné à examiner. Grave défaut de documentation qui nous met souvent dans l’impossibilité de contrôler l’exactitude et même l’origine des citations ! L’opuscule se divise en deux parties, mal séparées en certaines éditions. La disposition la plus pratique est celle adoptée par Fretté, éd. Vives, t. xxix. La première partie (1. I) comprend, outre le préambule général, les 31 chapitres indiqués dans les autres éditions, plus le début du 32e. La seconde partie, après une courte introduction, renferme les trente subdivisions non numérotées des éditions courantes, qui constituent le long chapitre xxxii et qui, chez Fretté, forment 30 chapitres nouveaux du 1. II.

Dans le 1. I er, les quinze premiers chapitres sont consacrés à la théologie trinitaire. Le lecteur y trouve une ample moisson de textes se rapportant à des locutions plus ou moins défectueuses, glanées chez les Pères grecs et que saint Thomas, à la lumière des principes de sa théologie, interprète en bonne part. De la seconde partie, les vingt premiers chapitres concernent la procession du Saint-Esprit a Filio. Elle ne renferme pas moins de 96 textes pris dans les œuvres authentiques ou supposées de saint Athanase, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse, saint Épiphane, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Cyrille de Jérusalem (un seul texte), Théodoret, saint Maxime (un texte). L’efîort était digne du genie de saint Thomas ; le résultat est difficilement utilisable en raison de la façon dont les textes lui furent communiqués. Tout un travail critique des sources serait à faire, avant de pouvoir utiliser les textes — et ils sont nombreux encore — qui pourraient entrer définitivement dans l’arsenal de la théologie positive.

Dans son édition Sancti Thomæ AqV.in.atis in Scripturam sacram expositiones et opUBCllla, Rome, 1880, Ucclli a publié d’un anonyme un Liber de fide sanctiesima Triniiatis ex dtversis auctoritatibus sanctorum Patrum grivcorum contra Grsecos, p. 361-420. On ne petit Ici qu’y renvoyer.

L’apport des théologiens grecs. —

On indiquera succinctement cet apport, lequel, en plusieurs auteurs, marqua beaucoup plus l’influence latine que la pensée grecque.

1. Sous le nom du diacre Pantatéon est puiiiu dans la P. G., t. cxi„ col. 487-574, un opuscule Contra Grœcorum errores qui, en réalité, est une rruvre (les dominicains de IVia. L’ouvrage, <ph a précédé le (.unira rrmrcs Grœcorum « le saint Thomas et semble avoir été Ignoré de ce dernier, l’i mporU de beaucoup sur le traité latin dédié à 1 ïh.iin IN’: tl KteS plus nombreux, plus exactement rapport) >t faciles à l’iden tifler. Seul le début concerne la procession du Saint-Esprit ; les objections des Grecs, les réponses des Latins sont exposées, col. 487-510. L’influence d’Hugues Éthérien se fait sentir à maintes reprises.

2. Les écrits de Nicéphore Bkmmyde († 1272) ont été alternativement employés par les Latins et par les Grecs pour ou contre la procession du Saint-Esprit a Pâtre Filioque. Voir Nicéphore Blemmyde, t. xi, col. 444.

3. Georges Acropolite peut, à la rigueur, être cité comme un partisan de l’union entre Grecs et Latins, puisqu’il fut un des artisans de cette union au concile de Lyon de 1274. On notera cependant une évolution profonde en son esprit touchant la procession du Saint-Esprit. Michel l’Ange, despote d’Épire, l’ayant fait prisonnier en 1257, Georges profita de deux ans de captivité pour écrire sur la procession du Saint-Esprit en un sens plutôt défavorable aux Latins. Deux discours sont le fruit de ce travail. Dans le premier, « l’auteur s’élève avec force contre les discussions stériles des théologiens et demande l’union sur les bases d’une morale commune ; dans le second, il défend le dogme photien avec les arguments accoutumés des polémistes byzantins ». M. Jugie, art. Acropolite (Georges), dans le Dicl. d’hist. et de géogr. ecclés., t. i, col. 378. Ces deux discours dans le t. n des œuvres complètes éditées à Leipzig, 1903, collection Teubner. Mais une fois acquis au parti unioniste, Georges Acropolite lui resta fidèle jusqu’à sa mort (1282). Il composa en faveur du dogme catholique un opuscule qui fut brûlé par ordre d’Andronic II et qui, pour cette raison, ne nous est pas parvenu.

4. Le patriarche Jean XI Veccos ou Beccos († 1293) fut converti au Filioque, encore simple chartophylax, par la lecture du traité de Nicéphore Blemmyde. Cette conversion, d’ailleurs sincère, favorisait les desseins de Michel Paléologue en faveur de l’union des Églises. Cf. L. Bréhier, art. Beccos, dans le Dict. d’hist. et de géogr. ecclés., t. vii, col. 357. Après l’abdication du patriarche Joseph, antiunioniste, Veccos fut élevé à la dignité patriarcale quin 1275). Ses œuvres sont nombreuses, dans lesquelles il professe la double procession : 1. Ilepi TÎjç svtiæoç xal eîpiQvïjç tûv tÎ)ç TtaXaiâç v.vl véaç’Pa^r/jç èxxXTjatôv (1275), P. G., t. cxli, col. 15-156 : défense de la doctrine romaine à l’aide des Pères grecs, n. 1-34 ; réfutation des objections de Photius, n. 35-49 ; de Jean Phurnès, n. 49-54 ; de Nicolas de Méthone, n. 55-64 ; de Théophylacte de Bulgarie, n. 66-70. Ce sont là les falsificateurs de la vraie doctrine et les fauteurs du schisme. 2. Dans la Lettre synodale au pape Jean XXI (1277), l’article consacré au Saint-Esprit renferme expressément la profession de foi au « Saint-Esprit procédant et du Père et du Fils, comme d’une seule source », col. 946947. 3. Dans Y Apologie, homélie prononcée en 1280 pour montrer que l’union n’abolit aucunement les coutumes grecques, on devra retenir un passage, n. 4, en faveur du dogme de la procession ab utroque, col. 10161020. 4. Dans l’ouvrage de polémique Ad Constantinum libri IV, col. 337-396, adressé en 1280 à l’empereur pour réfuter les doctrines de Georges de Chypre, la question du Filioque est reprise dans le sens catholique : « Que le Verbe soit engendré par le Père et que l’Esprit en procède, c’est le point culminant de la foi sincère et exacte », col. 396. 5. Vers 1280 également, Ilepi TÎjç èxTropeûoewç toû àyiou IIveûjxaToç, où il rétablit la vraie pensée de Basile et de Cyrille, col. 157. 6. Sentence synodale (1280) au sujet d’un passage altéré de Grégoire de Nysse (préposition èx à rétablir : t6 Se IIveij(jia to ayiov xal èx toû IlaTpoç Xéyexai, xai (èx) toû Yioû elvxi), col. 284 D. 7. Réponse à Théodore, évêque de Sougdcea (1280), sur les questions posées par celui-ci relativement à la procession de l’Esprit col. 289-337. 8.’AvTippir)Tixà (1280) contre Andronic Camatérès : remarques sur son traité de la procession du Saint-Esprit, afin d’établir la paix de l’Église et de réfuter les écrits qui peuvent compromettre cette paix, col. 396-613. 9. Recueil d’épigraphes (1280), c’est-à-dire de textes empruntés aux Pères grecs favorables à la thèse latine : aux noms déjà habituellement rencontrés s’ajoutent ceux de Jean Chrysostome, du Damascène, de Métaphraste, de Théodore de Raïthou (fréquemment cité), de Sophrone ; de Maxime, de Taraise. Veccos y montre que les deux formules èi ; uioû et Si* uioû sont équivalentes, col. 613-724. Il avait d’ailleurs déjà établi cette équivalence dans le Ilepi ttjç évwoewç, col. 60, en marquant toutefois que èx convenait mieux au Père qui est la source des deux autres, et 8tà mieux au Fils, qui a sa source dans la première personne. 10. Encore d’autres àvTipp7)Ti.xà > col. 728864 ; c’est une réfutation en règle des assertions de Photius : fidèle à une méthode employée dans la plupart des livres de polémique déjà cités, Veccos rappelle le texte qu’il veut critiquer et le fait suivre de ses observations. 11. Pendant son exil, après 1282, Veccos adresse à Théodore de Sougdæa une profession de foi pour montrer la concordance parfaite des doctrines contenues dans ses ouvrages, ’E7tiCT7)[xeîto(ji( ; tûv ccùtoû ànoLcGiv p16Xô>v xal ypacpôv CTUpLçwviaç ; profession de foi, dit-il, de « Jean, par la miséricorde divine humble archevêque de Constantinople, condamné jusqu’à sa mort à l’exil et à la prison, pour son attachement à la vraie doctrine des Pères sur la procession du Saint-Esprit, du Père et du Fils, col. 1019-1028. 12. Toujours pendant l’exil, vers 1282-1284, avec la même suscription, une lettre sur la procession du Saint-Esprit, à Alexis Agallianos, diacre de la Grande-Église, un de ses adhérents qui l’avait abandonné, col. 275-282. 13. Après 1284, Ilepi àSixîaç ?jç ô^éaT/), toû oixeioo 6p6vou à7reXa0e((T, sur l’injustice qu’on lui fit en l’enlevant de son siège ; il montre une fois de plus qu’il eut raison d’enseigner la procession a Paire Filioque, col. 940-1010 (la justification comprend deux discours). 14. En 1285, il écrit Contre le « tomos » de Georges de Chypre (le patriarche Grégoire qui lui avait été substitué). Cet usurpateur avait essayé, dans ses écrits, d’interpréter en sa faveur un texte du Damascène ; Veccos découvre dans ses traités des erreurs importantes qu’il signale à l’empereur, et c’est ainsi qu’il provoqua (1290) l’abdication forcée de Grégoire, col. 863-926. 15. Enfin, en 1293, avant sa mort, AiafrrjXï), son testament spirituel, dans lequel il îenouvelle sa profession de foi touchant la procession du Saint-Esprit, col. 1027-1032.

On le voit, non seulement Veccos est resté fidèle à la foi catholique, mais il s’en est fait le champion décidé. « De tous les théologiens de Byzance, c’est celui qui a présenté, avec le plus de force les arguments favorables à l’union des Églises et a défendu avec le plus d’érudition l’antiquité de la double procession. Il a exercé une grande influence sur les luttes théologiques de la fin du xiiie siècle et ses œuvres devaient fournir aux futurs champions de l’union avec Rome leurs arguments les plus solides. » L. Bréhier, art. cit., col. 362. Voir ici, Jean Beccos, t. viii, col. 656.

5. Constantin Méliténiotès (fin du xiiie siècle) partagea fidèlement les doctrines et les revers de son maître Jean Veccos. Il composa lui-même deux discours sur la procession du Saint-Esprit. P. G., t. cxli, col. 1039-1274 : « Le principal intérêt en est fourni par la constatation que la procession du Saint-Esprit a Paire Filioque est déjà enseignée dans les écrits des principaux théologiens du ive et du v c siècle. Au point de vue du contenu et de la forme, Constantin dépend de son maître littéraire Jean Veccos. » Voir ici t. iii, col. 1227.


6. Un autre compagnon de doctrine et d’infortune du patriarche, l’archidiacre Georges le Métochite (t après 1308), plus encore que Constantin Méliténiotès, atteste sa dépendance d’idées à l’égard de Veccos. Mais son grand ouvrage en cinq livres sur la procession du Saint-Esprit (que nous connaissons par Allatius, Diatriba de Georgiis eorumque scriptis, n. 137, Paris, 1651, p. 345-348), est encore inédit. Il s’agit toujours des Pères qui ont défendu chez les Grecs la procession ab utroque, des textes difficiles à expliquer, des doutes à dissiper, des objections à résoudre. Migne en a reproduit quelques fragments, tirés du I. IV, dans P. G., t. cxli, col. 1405-1420. Mais le thème de la procession du Saint-Esprit fait le fond des deux écrits publiés in extenso dans Migne, d’après Allatius : 1. Réfutation des trois chapitres du moine Maxime Planude, col. 1275-1308 ; 2. Réfutation des écrits de Manuel neveu du Cretois (du métropolite de Crète, Nicéphore Moschopoulos). Voir ici, t. vi, col. 1238.

7. Barlaam de Seminara, évêque de Gorace († 1348), est un calabrais de culture grecque. Voir t. ii, col. 407. Il a écrit contre les Latins et pour les Latins, selon les fortunes de son existence mouvementée. En faveur du Filioque, nous avons de lui : 1. Un bref traité sur la procession du Saint-Esprit, P. G., t. cli, col. 12811282 (lequel n’est que la fin de la deuxième lettre écrite à ses amis de Grèce ; on devra donc rectifier ce qui a été dit à ce sujet, t. ii, col. 408) ; 2. Une réponse à Démétrius Cydonius, pour lui exposer les motifs de son adhésion au Filioque, col. 1301-1309 (trois motifs : beaucoup de Pères ont ainsi entendu la sainte Écriture ; c’est la doctrine de l’Église romaine ; cette doctrine a été sanctionnée au IIe concile de Lyon), col. 1301 ; 3. Une lettre à Alexis Calochète, où il montre que, faute d’admettre le Filioque, on s’expose à tomber dans l’hérésie ou à déclarer hérétiques les plus grands des Pères grecs, col. 1309-1314 ; 4. Une démonstration du Filioque par seize arguments scripturaires, col. 1314-1330. De ces arguments, plusieurs n’ont qu’une valeur d’allégorie prise dans les types ou les manifestations de l’Ancien Testament ; un seul (le 12e) est vraiment concluant : il s’appuie sur le De meo accipiet.

8. Démétrius Cydonius, dont il vient d’être question, vécut à la fin du xive siècle et au début du siècle suivant. Voir t. iii, col. 2444. On trouvera, dans la notice qui lui est consacrée, la liste des ouvrages manuscrits intéressant la procession du Saint-Esprit. Traducteur en grec de la Somme théologique de saint Thomas, Cydonius était pénétré de la théologie latine. On trouvera, dans la P. G. : 1. Sa lettre à Barlaam, où il lui expose ses doutes touchant la procession du Saint-Esprit et lui demande comment il a été amené à admettre le Filioque, t. cli, col. 1283-1301. 2. Un traité « sur la procession du Saint-Esprit », en treize chapitres, dont le dernier a l’avantage de présenter en une cinquantaine de lignes tout le résumé de l’ouvrage, t. cliv, col. 863-958.

9. Manuel Calécas († 1410), dans son Contra errores Grircorum, P. G., t. clii (traduction latine), consacre les trois premiers livres à établir la doctrine romaine de la procession du Saint-Esprit, col. 17-186. Pctau a formulé sur cette œuvre le jugement suivant : Manuel Caleras, auctor eruditus et catholicus, cujus habeo volumen egregium pro Latinis adversus Grœcos, in quo de processione Sanrti Spiritus uberrime, accuratissimeque disputât, nihil ut hoc de argumento scribi pnssit doctius ur tubttliu ». Dr Trinttate, t. VII, c. i, n. 11. Caleras veut d’-montrer « que les principaux théologiens du IV et du v » siècle, tant de l’Orient que de l’Occident, nt pleinement d’accord sur ce point de doctrine. Mai’, il fn » it avouer que, pu suite sans doute de sa formation théologique, le religieux dominicain connaît

I beaucoup mieux les écrits des Pères latins que ceux de ses anciens coreligionnaires ». S. Vailhé, art. Caléi cas, t. ii, col. 1332. Calécas garde néanmoins la tendance générale de la théologie byzantine qui place les Pères au premier rang de l’argumentation et sacrifie plus ou moins complètement les spéculations scolastiques. Il remet à l’étude un texte du Damascène en ] apparence opposé au Filioque : « Nous disons que l’Esprit vient du Père et qu’il est l’Esprit du Père ; mais nous ne disons pas qu’il vient du Fils, nous disons simplement qu’il est l’Esprit du Fils. » De flde orth., t. I, 8 (voir ici t. viii, col. 522). Calécas fait observer que Jean Damascène réserve la préposition èx au Père uniquement, paice qu’il est la première personne. En ajoutant : « Nous ne disons pas », Jean aurait simplement rappelé l’usage, sans cependant condamner la procession a Filio, col. 159.

10. Le moine Maxime Chrgsoberge (fin du xive siècle ) a laissé une exhortation aux Cretois pour les conjurer de se rallier au Filioque. P. G., t. cliv, col. 12171230. Peu de raisonnements ; quelques rares citations patristiques ; adjuration émouvante cependant, lacrymis potius quam verbis, dit l’éditeur, col. 1215.

En face de ces défenseurs de l’orthodoxie catholique, les partisans de la thèse photienne sont nombreux. Voici les principaux, dont les noms en italique indiquent une monographie dans ce dictionnaiie. Au xe et xie siècle : l’empereur Léon le Sage ; Michel Cérulaire ; Théophylacte ; au xiie, Euthymius Zigabène, Nicétas Stétathos, Nicolas de Méthone ; Andronic Camatéros ; Nicétas de Maronée, Nicétas Acominatos ; au xiiie, Grégoire Palamas, Constantin Acropolite, Maxime Planude, George Pachymère, Georges de Chypre ; au xiv 8, Nil Cabasilas, Nicolas Cabasilas, Théophane de Nicée, Mathieu Blastarès, l’empereur Manuel Paléologue, Joseph Bryennios.

III. DOCUMENTS CONCILIAIRES ET PONTIFICAUX.

— Différents points de la théologie trinitaire sont fixés d’une manière plus nette par les documents conciliaires et pontificaux. Nous procédons par ordre chronologique, en remontant toutefois jusqu’à Léon IX, dont le symbole marque un point de dépari important.

1° Symbole de foi de Léon IX (1053). —

Sur la théologie des trois personnes consubstantielles, voir ci-dessus, col. 1726. Denz.-Bannw., n. 343. Sur la procession du Saint-Esprit, Léon IX affirme la procession a Pâtre et Filio, tout en confirmant l’égalité de la troisième personne avec les deux premières : le Saint-Esprit est « coégal, coessentiel, coomnipotent, coéternel en tout avec le Père et le Fils et il est, pleinement, parfait et vrai Dieu ». Ibid., n. 345.

2° IIe concile de Lyon (1274). —

Sur l’histoire de ce concile, voir t. viii, col. 1374 sq. Deux documents conciliaires concernent la question trinitaire : 1. La constitution dogmatique sur la procession du Saint-Esprit. Denz.-Bannw., n. 460. Sur la portée de cette constitution, voir t. viii, col. 1383. — 2. La profession de foi, prescrite par Clément IV et Innocent IV, et à laquelle Michel Paléologue et les évoques déclarèrent se rallier. Voir le texte, t. viii, col. 1384-1386 : Denz.-Bannw. , n. 461-466. La premièic partie, relative à la Trinité, reproduit à peu près le symbole de Léon IX. La partie relative à la procession du Saint-Esprit propose explicitement la formule ex Paire Filioque procedentem, en grec : èx ITarpic ; TLoij re. Voir col. 1387.

3° Concile de Florence. —

Le concile de Florence fournit deux définitions dogmatiques relatives au mystère de la Trinité.

1. Décret d’union pour les Grecs ((> juillet 1439). — On a lu à l’art. Florence (Concile de), t. vi, le récit des pourparlers et des discussions qui précédèrent, oit à Fcrrarc, col. 31-33, soit à Florence même, col. 34-41, le décret d’union. Dans la bulle Lætentur qui contient le texte définitif du décret d’union, il faut distinguer deux parties : la première historique, la seconde, dogmatique. La première partie rappelle le grand bienfait du concile qui rétablit la concorde entre l’Orient et l’Occident, et elle indique en quelques phrases la raison du malentendu au sujet de la procession du Saint-Esprit : « On a cité des témoignages de l’Écriture et un grand nombre de textes tirés des saints docteurs de l’Orient et de l’Occident, dont les uns disent que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils et les autres, qu’il procède du Père par le Fils ; tous cependant voulant exprimer la même chose en des termes différents. Car les Grecs ont assuré qu’en enseignant que le Saint-Esprit procède du Père, ils ne le faisaient pas dans l’intention d’exclure le Fils, mais parce qu’il leur semblait, disaient-ils, que les Latins professaient que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils comme de deux principes et par deux spirations ; pour ce motif, ils s’abstenaient de dire que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Les Latins ont déclaré qu’en enseignant que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, ils n’avaient nullement l’intention d’exclure le Père comme la source et le principe de toute divinité, savoir le Fils et le Saint-Esprit ; pas plus qu’en disant que le Saint-Esprit procède du Fils, ils ne voulaient nier que le Fils procédat du Père ; qu’enfin ils n’admettaient pas deux principes ou deux spirations, mais un seul principe et une seule spiration de l’Esprit. L’accord étant ainsi réalisé, Eugène IV en vient à la définition dogmatique :

In nomine Sanctæ Trinitatis, Patris et Filii et Spiritus Sancti, hoc sacro universali approbante Florentino concilio, distinimus, ut hæc fidei Veritas ab omnibus christianis credatur et suscipiatur, sicque omnes profiteantur, quod Spiritus Sanctus ex Pâtre et Filio aeternaliter est, et essentiam suam suumque esse subsistens habet ex Pâtre simul et Filio, et ex utroque aeternaliter tanquam ab une principio et unica spiratione procedit :
Au nom de la Sainte-Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, avec l’approbation de ce saint concile œcuménique de Florence, nous définissons que tous les chrétiens doivent croire, recevoir et professer cette vérité de foi, savoir que le Saint-Esprit est éternellement du Père et du Fils, qu’il tient tout ensemble du Père et du Fils son essence et son être subsistant et qu’éternellement il procède de l’un et de l’autre comme d’un seul principe et par une spiration unique.
Declarantes quod id, quod sancti Doctores et Parses dicunt, ex Patre per Filium procedere Spiritum Sanctum, ad haut intelligentiam tendit, ut per hoc significetur, Filium quoque esse secundum Græcos quidem causam, secundum Latinos vero principium subsistentiæ (ὑπάρξεως) Spiritus Sancti, sicut et Patrem.
Nous déclarons que les expressions des saints Docteurs et des Pères, affirmant que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, signifient que, selon les Grecs, le Fils est aussi la cause et, selon les Latins, le principe de la subsistence du Saint-Esprit, comme le Père.
Et quoniam omnia quæ Patris sunt, Pater ipse unigenito Filio suo gignendo dedit, præter esse Patrem, hoc ipsum quod Spiritus sanctus procedit ex Filio, ipse Filius a Patre aeternaliter habet, a quo etiam aeternaliter genitus est.
Et, parce qu’en engendrant son Fils, le Père lui a donné tout ce qui appartient au Père, excepté d’être Père, le Fils tient éternellement du Père, dont il a été engendré de toute éternité, cette particularité même que le Saint-Esprit procède de lui (comme il procède du Père).
Diffinimus insuper, explicationem verborum illorum « Filioque » veritatis declarandæ gratia, et imminente tune necessitate, licite ac rationabiliter Symbolo fuisse appositam.


Denz.-Bannw., n. 691.
Nous définissons en outre que l’explication apportée par ces mots Filioque pour exposer la vérité, en raison d’une nécessité urgente, a été ajoutée au Symbole d’une manière licite et raisonnable.



Le texte conciliaire peut être divisé, comme on l’a fait ici en quatre paragraphes. — Le premier est une définition de foi, promulguant comme un dogme, que le Saint-Esprit procède éternellement du Père et du Fils, comme d’un seul principe et par une unique spiration, tenant d’eux toute sa réalité essentielle et personnelle. — Le second est une simple déclaration marquant l’identité de foi chez les Orientaux et chez les Latins, malgré la différence des formules. On y trouve acceptée l’expression grecque « cause », prise comme l’équivalent de « principe ». — Le troisième consacre une raison dogmatique maintes fois apportée par les Latins en faveur du Filioque : le Père donne au Fils tout ce qu’il a, sauf la paternité ; ainsi, comme du Père procède le Saint-Esprit, ainsi du Fils le Saint-Esprit doit-il également procéder. — Enfin le texte se clôt par une définition concernant la légitimité de l’addition Filioque au symbole.

On sait combien fut fragile l’entente réalisée à Florence. Des discussions dogmatiques — qui aujourd’hui n’ont pas encore pris fin — continuèrent après le décret d’union. Voir Filioque, t. v, col. 2331-2336, ainsi que les bibliographies des art. Esprit-Saint, ibid., col. 819-829 et Filioque, col. 2342-2343, qu’on complétera, en ce qui concerne le concile de Florence, par les art. Bessarion, t. ii, col. 801 ; Marc Eugenicos, t. ix, col. 1968 sq. ; Scholarios, t. xiv, col. 1521 sq., surtout 1534-1540, 1562-1565, et par A. Touron, Hist. des hommes illustres de l’ordre de Saint-Dominique, Paris, 1746, t. iii, pour Jean de Montnoir, théologien des Latins au concile de Florence, p. 287-303 ; cf. ici Jean de Montenero, t. viii, col. 891. Pour la suite des controverses, qui dépassent le cadre de cet article, on se référera à M. Jugie, Théologia christianorum orientalium, t. ii, Paris, 1933, p. 296-536. Tous ces compléments n’ajoutent aucun progrès à la doctrine trinitaire.

2. Décret d’union pour les jacobites (4 février 1441).

Sur les préparatifs de cette union aussi éphémère que celle des Grecs, voir Ethiopie (Église d’), t. v, col. 941-942, et Florence (Concile de), t.vi, col. 47-48.

Le préambule de la bulle Cantate Domino ne renferme rien qui intéresse le dogme. Mais la partie doctrinale est un véritable résumé de la théologie catholique, où la première place est réservée au mystère de la Trinité. La partie concernant ce mystère comprend deux paragraphes, le premier consacré à l’unité de l’essence et à la trinité des personnes, le second à la circumincession et à la parfaite égalité des personnes, nonobstant l’ordre des processions.

Sacrosancta Romana Ecclesia, Domini et Salvatoris nostri voce fundata, firmiter credit, profitetur et prædicat, unum verum Deum omnipotentem, incommutabilem et aeternum, Patrem et Filium et Spiritum Sanctum, unum in essentia, trinum in personis : Patrem ingenitum, Filium ex Patre genitum, Spiritum Sanctum ex Patre et Filio procedentem.
La sacrosainte Église romaine, fondée par la parole de Notre-Seigneur et Sauveur, croit fermement, confesse et prêche qu’il y a un seul et vrai Dieu tout-puissant, immuable et éternel, Père, Fils et Saint-Esprit, un dans son essence, trine dans ses personnes. Le Père n’est pas engendré ; le Fils est engendré du Père ; le Saint-Esprit procède du Père et du Fils.
Patrem non esse Filium aut Spiritum Sanctum ; Filium non esse Patrem aut Spiritum Sanctum ; Spiritum Sanctum non esse Patrem aut Filium ; sed Pater tantum Pater est, Filius tantum Filius est, Spiritus Sanctus tantum Spiritus Sanctus est. Solus Pater de substantia gentil Filium, solus Filius de solo Patre est genitus, solus Spiritus
Le Père n’est ni le Fils ni le Saint-Esprit ; le Fils n’est ni le Père ni le Saint-Esprit ; le Saint-Esprit n’est ni le Père ni le Fils, mais le Père est seulement Père, le Fils seulement Fils, le Saint-Esprit seulement Saint-Esprit. Seul le Père a engendré de sa substance le Fils, seul le Fils est engendré du seul Père, seul le Saint-Esprit procède
Sanctus simul de Patre procedit et Filio. Hæ tres personæ sunt unus Deus et non tres dii ; qui a trium est una substantia, una essentia, una natura, una divinitas, una immensitas, una aeternitas, omniaque sunt unum, ubi non obviat relationis oppositio.
à la fois du Père et du Fils. Ces trois personnes sont un Dieu et non trois dieux ; les trois, en effet, n’ont qu’une substance, qu’une essence, qu’une nature, qu’une divinité, qu’une immensité, qu’une éternité, et tout en elles est un, là où l’opposition des relations n’empêche pas l’unité.


Dans cet exposé clair et précis de la foi trinitaire, le concile rappelle l’unité divine quant à l’essence, la trinité quant aux personnes et marque chaque personne de sa notion propre : au Père seul convient l’innascibilité ; au Fils, la génération ; au Saint-Esprit la procession du Père et du Fils. La profession de foi conciliaire proclame ensuite la distinction des personnes, indiquant expressément que chacune des trois personnes n’est pas les deux autres et se distingue d’elles par ce qui constitue sa personnalité. Elle indique ensuite que seul le Fils procède par mode de génération et qu’il est engendré « de la substance » du Père, c’est-à-dire qu’il lui est consubstantiel. Elle enseigne que le Saint-Esprit procède à la fois du Père et du Fils ; enfin, elle consacre les dernier progrès de la théologie trinitaire en affirmant qu’en Dieu, substance, essence, nature, divinité et tous les attributs essentiels, dont deux sont expressément nommés, tout est un, là où n’existe pas l’opposition des relations. C’était déjà la formule dogmatique du XIe concile de Tolède, voir col. 1705 ; reprise par saint Anselme, col. 17Il et par saint Thomas, col. 1743. Au concile de Florence, les deux principaux orateurs de l’union, Jean de Montenero pour les Latins, Bessarion pour les Grecs, avaient constaté l’accord unanime des Églises sur ce point de théologie confinant au dogme : Est vero secundum Doctores tam Grœcos quam Latinos, disait le premier, sola relatio, quæ multiplicat personas in divinis productionibus, quæ vocatur relatio originis, ad quam duo tantum spectant, a quo alius et qui ab alio. Et Bessarion : Quod nomina personalia Trinitatis relativa sunt, nullus ignorat. Hardouin, sourit., t. ix, col. 203, 339.


Propter hanc unitatem Pater est totus in Filio, totus in Spiritu Sancto ; Filius totus est in Patre, totus in Spiritu Sancto ; Spiritus sanctus totus est in Patre, totus in Filio.


Nullus ni allium aut prætecte aeternitate, aut excedit magnitudine, aut superest potestate. AEternum quippe et sine suffio est, quod Filius de Patre exstitit ; et aeternum ac sine suffio est, quod Spiritus sanctus de Patre Filioque procedit.


Pater quidquid est aut habet, non habet ab allo, sed ex se ; et est principium sine principio. Filius quidquid est aut habet, habet a Patre, et est principium de principio. Spiritus Sanctus quidquid est aut habet, habet a Patre, simul et Filio. Sed Pater et Filius non duo principia Spiritus Sancti, sed unum principium ; sicut Pater et Filius et Spiritus Sanctus non tria principia creaturæ sed unum principium.
En raison de cette unité, le Père est tout entier dans le Fils, tout entier dans le Saint-Esprit ; le Fils est tout entier dans le Père, tout entier dans le Saint-Esprit ; le Saint-Esprit est tout entier dans le Père, tout entier dans le Fils.


Aucune personne ne précède l’autre par l’éternité ; aucune n’est supérieure à l’autre par la majesté ; aucune ne surpasse l’autre par la puissance. C’est de toute éternité et sans commencement que le Fils existe du Père ; c’est de toute éternité et sans commencement que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils.


Tout ce que le Père est ou possède il le tient non d’un autre, mais de lui-même, il est principe sans principe. Tout ce que le Fils est ou possède, il le tient du Père, il est principe issu de principe.Tout ce que le Saint-Esprit est ou possède, il le tient tout ensemble du Père et du Fils. Et pourtant, le Père et le Fils ne sont pas des principes du Saint-Esprit, mais un seul principe ; tout comme le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois principes, mais un seul principe des créatures.
Quoscumque ergo adversa et contraria sentientes damnat, reprobat et anathematizat et a Christi corpore, quod est Ecclesia, alienos esse denun tiat.


Denz.-Bannw., n. 703-705
Tous ceux qui professent des doctrines contraires et opposées à ces vérités, le concile les condamne et les anathématise ; il les déclare séparés du corps du Christ, qui est l’Église.




Les premiers mots de cette définition rappellent que les trois personnes, quoique distinctes entre elles en raison de leur origine et de leur relation mutuelle, sont tout entières l’une dans l’autre selon leur communauté d’essence. C’est ce qu’on appelle la circumincession. Voir ce mot, t. ii, col. 2527 ; simple conclusion de la doctrine des relations subsistantes et de leur consubstantialité. Vient ensuite l’exposé de l’enseignement catholique sur l’égalité parfaite des trois personnes, nonobstant les propriétés d’origine, complété par deux affirmations : l’unité du principe de la spiration active ; l’unité du principe créateur en Dieu ; toute action ad extra étant commune aux trois personnes.

Ces définitions de Florence sont demeurées dans l’Église la pierre de touche de l’orthodoxie, quand il s’agit de rappeler aux Orientaux les conditions de l’unité catholique. Voir la profession de foi imposée aux Gréco-Busses par Grégoire XIII (1575), Denz.-Bannw., n. 1084 ; la constitution Nuper ad nos (16 mars 1743) de Benoît XIV, rappelant aux Maronites qu’il leur faut adhérer à la doctrine définie par les conciles, notamment, en ce qui concerne la Trinité, aux définitions de Nicée, Constantinople et Florence. Denz.-Bannw., n. 1460-1461, 1468. Enfin, c’est encore l’adhésion à la procession du Saint-Esprit que Pie X demande aux Orientaux pour s’unir à Rome. Voir la Lettre aux délégués apostoliques de Constantinople, Grèce, Egypte, Mésopotamie, Syrie, Indes orientales. Denz.-Bannw., n. 3035.

Le concile termine en anathématisant ceux qui refuseront de souscrire à la doctrine définie et, reprenant l’expression de saint Paul, Col., 1, 24, il les déclare désormais étrangers « au corps du Christ, qui est l’Église ».


III. La crise protestante et ses répercussions dans la théologie catholique : concile du Vatican et encyclique « Pascendi ».

Tout entiers à ce qu’ils considéraient comme leur œuvre essentielle : établir la justification et le salut de l’homme par la foi en Jésus-Christ, les premiers réformateurs n’ont pas attaqué le dogme catholique de la Trinité. Bien plus, ce dogme leur apparaissait, et à juste titre, comme la condition préalable de la sotériologie chrétienne. On aurait tort cependant de croire que la crise protestante fut sans influence sur la croyance trinitaire. Bien vite, en effet, les cadres traditionnels, conservés par Luster, Mélanchthon, Zwingle et Calvin, furent brisés. Une vague antitrinitaire déferla au sein de la Réforme. Un danger, plus grave encore peut-être, surgit de la philosophie indépendante qui, différentes formes, donna aux assertions dogmatiques des interprétations rationalistes. La réaction de Schleiermacher, s’efforçant de rendre au dogme une valeur réelle devant la conscience chrétienne, l’a simplement dépouillé de toute valeur objective. Ces interprétations ne sont pas seulement un témoignage irrécusable des nouvelles « variations » protestantes en une matière qui semblait en comporter le moins ; elles fournissent une contribution non négligeable à l’histoire du dogme catholique, en raison des répercussions qu’elles ont eues sur la théologie catholique du xixe siècle en Allemagne et en Italie et, plus tard, en France, ce qui provoqua l’intervention du magistère, principalement sous Pie IX et sous Pie X. On étudiera donc :

1° la permanence des cadres traditionnels chez les premiers réformateurs ;

2° les doctrines antitrinitaires ;

3° les interprétations philosophiques ;

4° l’adaptation moderniste protestante ;

5° le semirationalisme catholique et les interventions de l’Église ;

6° le modernisme catholique et la condamnation de Pie X.

I. PERMANENCE DES CADRES TRADITIONNELS CHEZ LES PREMIERS RÉFORMATEURS.

1° La pensée de Luther a été formulée dans les articles de Smalkalde, a. 1, i. Elle s’exprime parfaitement dans le texte du Petit catéchisme, divisant le symbole en trois articles, « le premier qui parle de Dieu le Père et de l’œuvre de la création ; le deuxième, de Dieu le Fils et de l’œuvre de la rédemption ; le troisième, de Dieu le Saint-Esprit et de l’œuvre de sanctification ». Joh. Tob. Muller, Z>/e symbolische Bûcher, p. 299. On saisit immédiatement la portée de cette profession de foi : elle est pratique en même temps que spéculative ; pratique en tant que le dogme s’exprime en fonction des relations de Dieu à sa créature, création, rédemption et sanctification. Ce double point de vue est développé dans le Grand catéchisme, ii, § 63-66. Millier, op. cit., p. 459-460. On aurait tort de ne vouloir retenir que le point de vue pratique, pour justifier, par un rapprochement tendancieux, les interprétations purement « économiques » que nombre de protestants ont données, au cours du siècle dernier, au mystère de la Trinité. Cf. P. Lobstein, Essai d’une introduction à la dogmatique protestante, Paris, 1896, p. 224 sq., et surtout, p. 226, note 2.

Mélanchthon, dans la première rédaction de ses Loci, avait traité fort sommairement le dogme trinitaire, trop étranger aux vérités religieuses, que la Réforme prétendait remettre en lumière. Ma’s les attaques des antitrinitaires ainsi que les nécessités d’une systématisation théologique l’incitèrent à donner une place plus large au mystère de la Sainte-Trinité dans les éditions postérieures. L’exposé de Mélanchthon, qu’on retrouve plus résumé dans la Confession d’Augsbourg, a. 1, présente, dans les Loci, une justification tirée de l’analogie psychologique déjà invoquée par saint Augustin, analogie qu’à l’exemple d’Augustin lui-même et des grands scolastiques, il élargit en lui donnant une portée spéculative. Corp. Reform., t. xxi, col. 258, 615, 629-630 ; cf. Enarr. symboli Niceni, t. xxiii, col. 235 ; Postilla, t. xxv, col. 19. Dans l’âme, il y a l’esprit, la pensée, le principe du mouvement. Le Père est comme l’esprit ; le Fils est l’image du Père engendrée par la pensée ; le Saint-Esprit est le mouvement. In ep. ad Col., iii, t. xv, col. 1274. Comme Luther, Mélanchthon cherche à donner une portée pratique à cette vérité spéculative : « L’Écriture, dit-il, nous enseigne la divinité du Fils d’une manière non seulement spéculative, mais pratique : nous devons invoquer le Christ, nous confier à lui et lui rendre ainsi l’hommage dû à la divinité. Il est plus expédient de considérer ces devoirs que de disputer sur la nature (de Dieu). Dans cette invocation, dans ces exercices de foi, nous arrivons à une meilleure connaissance de la Trinité que par des spéculations oiseuses qui envisagent les relations des personnes entre elles et non leurs rapports avec nous. » Corp. réf., t. xxi, col. 367 ; cf. col. 608-609, 612. Voir aussi Apol. confes., iii, 20, Mûller, op. cit., p. 90. Cette portée pratique et cette insistance de Mélanchthon à éliminer du dogme les discussions purement spéculatives ne suppriment en rien la réalité objective du mystère. Il est nécessaire de le souligner, comme tout à l’heure pour Luther.

Zwingle est plus exclusivement fidèle aux formules spéculatives, encore que le dogme de la Trinité n’ait été envisagé par lui que très accidentellement. Voir surtout Fidei ratio, I (1530) et l’ouvrage posthume (1536), Christ ianæ fidei exposilio, § 21-22, dans Zwinglii opéra, t. iii, Zurich, 1832. La distinction des personnes dans l’unité de l’essence semble avoir pour lui moins de portée pratique que pour Luther et pour Mélanchthon. Pour Zwingle, ce que nous attribuons au Père, au Fils et au Saint-Esprit se rapporte à la diinité unique indivisible. L’Écriture Sainte attribue au Père la puissance ; au Fils, la grâce et la bonté ; au Saint-Esprit la vérité. Mais c’est l’Être éternel et souverain qui est, par sa nature même, tout puissant, absolument bon et vérité parfaite.

En tout cela, rien que de très orthodoxe, encore que les antitrinitaires aient pu en déduire la non-distinction des personnes.

4° Mais c’est Calvin qui nous a laissé l’exposé le plus complet de la doctrine trinitaire. Sa pensée, au contact des controverses, semble accuser une certaine modification, non quant à la doctrine elle-même, mais quant à la manière de la présenter. D’abord plutôt spéculative, elle fait ensuite une place à l’expérience religieuse. Mais cette expérience religieuse n’a rien de commun avec celle de Schleiermacher.

1. Exposé.

La doctrine trinitaire de Calvin est renfermée dans l’Institution, t. I, c. xiii, Corp. Reform., t. xxxi, col. 144-189. Cette doctrine est conforme aux exigences du dogme catholique. Mais, au moment de la deuxième rédaction de cet ouvrage (1539), Michel Servet avait déjà publié (1531) son De Trinitatis erroribus. Il s’agissait donc de défendre le dogme attaqué. Calvin ne s’y prit pas autrement que les catholiques. Les preuves du mystère, il les trouve d’abord dans l’Écriture, accueillant même comme démonstratifs les textes de l’Ancien Testament que citaient encore à son époque les catholiques. Le chapitre est d’ailleurs intitulé : « Qu’en l’Escriture nous sommes enseignez dès la création du monde, qu’en une seule essence de Dieu sont contenues trois personnes. » Les principales preuves scripturaires sont, de toute évidence, prises dans le Nouveau Testament, là où il est question de la venue du Verbe en notre chair et des promesses de salut que Jésus nous donne par le Saint-Esprit. Ces textes sont classiques. Affirmer que Calvin atteint le Dieu trinitaire a posteriori, que la Trinité est chez lui un postulat de l’expérience religieuse de la sotériologie, c’est avancer une interprétation de sa pensée pour le moins discutable. Personne n’affirme a priori un mystère qu’on ne peut connaître que par révélation. Si Calvin, à plusieurs reprises, parle de l’expérience religieuse des apôtres ou même de notre expérience personnelle, il s’agit simplement de. cette expérience qui, en vue de notre salut, nous oblige à trouver, dans le Christ, tel que l’Évangile nous le révèle, le médiateur nécessaire auprès de Dieu. L’expérience personnelle ne nous fait pas par elle-même découvrir le mystère ; elle nous fait mieux comprendre les affirmations de l’Écriture. Voir Institution, loc. cit., n. 13, 14. C’est donc en ce sens qu’il est dit dans le Catéchisme de 1537-1538 : « L’Escripture et l’expérience mesme de piété nous monstre en la très simple essence de Dieu le Père, le Filz et son Esprit ». Voir une interprétation légèrement tendancieuse dans Doumergue, Jean Calvin, les hommes et les choses de son temps, t. iv, Lausanne, 1910, p. 92-93.

Calvin accepte pleinement (à l’exception peut-être du Dieu de Dieu du symbole de Nicée, en raison des abus que faisaient de cette expression les antitrinitaires ) la terminologie traditionnelle, adoptée par les Pères et les anciens conciles, rien ne devant nous empêcher « d’exposer par mots plus clairs les choses qui sont obscurément monstrées en l’Escripture ». Loc. cit., n. 3. Il justifie Yhomoousios contre Arius et Sabellius, n. 4. Cf. n. 16, 22. La distinction est nettement marquée entre « le Père, sa Parolle et le Sainct Esprit », distinction, mais non division ; distinction de toute éternité et qui n’a pas eu son origine depuis que le Fils a pris chair, n. 17. Les comparaisons tirées des choses humaines donnent difficilement une idée de ce mystère : il faut ici être très prudent afin de ne pas donner « occasion de mesdire aux méchants et aux ignorans de s’abuser », n. 18. Il n’est pas jusqu’à la doctrine catholique des relations qui ne soit accueillie d’une façon nette : « Car en chacune personne toute la nature divine doit être entendue avec la propriété qui leur compte… Le Père est totalement au Fils et le Fils totalement au Père, comme lui-même l’affirme (Joa., xiv, 10 sq.)… Par ces mots, dit saint Augustin, dénotans distinction, est signifiée la correspondance frelatio) que les personnes ont l’une à l’autre ; non pas la substance, laquelle est une en toutes les trois », n. 19. C’est encore la meilleure solution des difficultés : « Le plus seur est de s’arrêter à la correspondance, selon qu’il (Augustin) le déduit », n. 19. À la fin du chapitre, Calvin justifie le langage moins précis de certains Pères, notamment d’Irénée, n. 27, de Tertullien, n. 28, de Justin et d’Hilaire, n. 29.

Le catéchisme de Calvin, comme celui de Luther, sait allier l’aspect spéculatif et l’aspect pratique du mystère. En voici les passages essentiels : « En une seule essence divine, nous avons à considérer le Père, comme le commencement et l’origine ou la cause première de toutes choses ; son Fils qui est sa Sagesse éternelle ; le Saint-Esprit, qui est sa vertu et sa puissance, répandue sur toutes les créatures et qui néanmoins réside toujours en lui… En une même divinité nous concevons distinctement trois personnes et Dieu pourtant n’est pas divisé. — Si nous sommes enfants de Dieu, ce n’est pas par nature, mais seulement par adoption et par grâce… au lieu que le Seigneur Jésus, qui est engendré de la substance de son Père et qui est d’une même essence que lui, est appelé à bon droit son Fils unique. Car il n’y a que lui seul qui le soit par nature. — Le Saint-Esprit habite dans nos cœurs… nous illumine pour nous faire connaître ses grâces ; il les scelle, les imprime dans nos cœurs et les y rend efficaces… » Le catéchisme de Genève, de Calvin, en français moderne, Paris, 1934, p. 23, 30-31, 43.

2. Discussions avec Caroli. —

La doctrine trinitaire de Calvin fut néanmoins suspectée, en raison de la discussion qu’il eut avec Caroli, moine apostat de Paris, qui, en 1537, avait sommé Calvin de souscrire aux trois symboles des Apôtres, de Nicée et d’Athanase, afin de prouver son orthodoxie. Calvin s’y refusa. Dans un tract tout populaire, son ami Farel avait exposé le dogme de la Trinité en évitant les termes de l’École. On avait accusé Farel de partager les idées de Servet. Ces termes n’étaient pas non plus dans le catéchisme que Calvin et Farel venaient de publier ; et pourtant, dans V Institution de 1536, on les lirait. Devant le synode de Lausanne (14 mai 1537), Calvin lut une confession sur la Trinité, où il fait appel à « l’expérience active plus certaine que toute spéculation oisive » ; il proclamait la divinité du Fils « apprise par une expérience certaine de piété, certa pietatis experientia ». On retrouve ces expressions soit littéralement, soit substantiellement, dans Vinstilution de 1530 et dans le texte définitif de 1559, t. I, c. xui, n. 19. Nous en avons expliqué le sens plus haut. Si, dans sa défense de 1537, Calvin s’en tient à ces expressions, c’est qu’il ne veut pas se séparer ds Farel dans sa justification ; il déclarait accepter les termes reçus, mais ne pas s’y lier, « lafoi ne devant pas être liée à des mots et des syllabes ». Cf. Doumergue, op. cit., p. 97. Voir Defensio pro C. Farello et coUegis ejus, adversus Pétri Caroli calumnias, p. 311-319, dans Calvini opéra, Corp. reform., t. xxxv, col. 293. Ce fut là un sujet d’étonnement et une occasion d’attaque de la part des adversaires de Calvin. Voir, en particulier, iEgidius Hunnius, professeur à Wittemberg, Calvinus judaizans, Wittemberg, 1595 : « Jean Calvin n’a pas eu horreur de corrompre, d’une façon détestable, les passages et les témoignages les plus utiles de la sainte Écriture sur la glorieuse Trinité » (sous-titre).

3. L’affaire Servet. —

Entre la deuxième et la troisième rédaction de l’Institution s’est placée l’affaire Servet. Calvin juge nécessaire d’entrer en polémique avec l’antitrinitaire et de réfuter ses idées. Mais cette polémique n’ajoute rien à ce que nous connaissons de la doctrine du réformateur. Cette polémique a trouvé place dans les derniers paragraphes du c. xiii, n. 20 sq. On en retiendra surtout l’affirmation suivante : ’Que si la distinction des personnes, selon qu’elle est difficile à comprendre, tourmente quelques-uns de scrupules, qu’il leur souvienne que si nos pensées se laschent la bride à faire des discours de curiosité, elles entrent dans un labyrinthe ; et combien qu’ilz ne comprennent pas la hautesse de ce mystère, qu’ilz souffrent d’estre gouvernés par la saincte Écriture », n. 21. Une telle polémique devait rassurer les adversaires de droite ; à gauche, on ne pouvait qu’accuser Calvin de conservatisme étroit. C’est cette accusation qu’on retrouve sous la forme à peine voilée d’une absolution de simple opportunité, chez Harnack : « Si l’on considère la question en soi, il est profondément regrettable que, si près de ce progrès immense (l’adoption de l’antitrinitarisme), la Réforme n’ait pas fait le pas décisif ; mais si l’on pense que les principaux antitrinitaires n’avaient aucune idée de la conception de la foi de Luther et de Zwingle, et se laissaient aller en partie au pire nominalisme, il faut juger que la tolérance vis-à-vis d’eux aurait probablement amené au xvi » siècle, la dissolution de la foi évangélique, tout d’abord dans les pays calvinistes. » Lehrbuch der Dogmengeschichle, 1890, t. iii, p. 665, note 2.

Sur la doctrine trinitaire de Calvin, voir Benjamin B. Werflclds, Calvin’s Doctrine of the Trinity, dans The Princeton théologal Review, oct. 1909, p. 553-652.

Les confessions calvinistes. —

S’il pouvait exister un doute sur la pensée de Calvin, il serait levé par la lecture des « confessions » qu’il a inspirées :

1. La Confession des Pays-Bas :

Art. 9 : Il est donc manifeste que le Père n’est point le Fils et que le Fils n’est point le Père ; semblablement que le Saint-Esprit n’est pas le Père ni le Fils. Cependant ces personnes aussi distinctes ne sont pas divisibles, ni aussi confondues ni mêlées… Le Père n’a jamais été sans son Fils ni sans son Saint-Ksprit, pour ce que tous trois sont d’éternité égale en une même essence. Il n’y a ni premier ni dernier : car tous trois sont un en vérité et puissnnce, en bonté et miséricorde. Le catéchisme de Genève…, appendice, p. lHfi, a. 8 ; cf. p. 180.

Cette doctrine de la Sainte-Trinité a toujours été maintenue en la vraie Eglise depuis le temps des apôtres jusques à présent contre aucuns faux chrétiens et hérétiques… lesquels à bon droit ont été condamnés par les saints Pères… Nous recevons volontiers en cette matière les trois symboles, celui des Apôtres, celui de Nicée et d’Athanase et semblablement ce qui a été déterminé par les anciens, conformément à eux. P. 190.

Art. 10 : Nous croyons que.lésus-Christ, quant à sa nature divine, est Fils unique de Dieu, éternellement engendré, n’étant point fait ni créé, d’une essence avec le Père coôtornel…, étant en tout semblable a lui, lequel est Fils de Dieu, non point seulement depuis qu’il a pris notre nature) mais de toute éternité… P. 191.

Art. Il : Nous croyons ot confessons aussi que le Saint-Esprit procède éternellement du Pèro et du Fils, n’étant point fait ni créé ni engendré, mais seulement procédant des deux : lequel est une personne troisième de la Trinité en ordre, d’une même essence et majesté et gloire avec le Père et le Fils, étant vrai et éternel Dieu, comme nous enseignent les Écritures saintes. P. 192.

2. La Confession de La Rochelle, adoptée à Paris en 1559 :

Art. 6 : Cette Écriture sainte nous enseigne qu’en la seule et simple essence divine que nous avons confessée, il y a trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit : le Père, première cause et origine de toutes choses ; le Fils, sa parole et sagesse éternelle ; le Saint-Esprit, sa vertu, puissante et efficace ; le Fils éternellement engendré du Père, le Saint-Esprit procédant éternellement de tous deux ; les trois personnes non confuses, mais distinctes ; et toutefois non divisées, mais d’une même essence, éternité, puissance et qualité. Et en cela nous avouons ce qui a été déterminé par les conciles anciens et détestons toutes les sectes et hérésies qui ont été rejetées par les saints docteurs, comme saint Hilaire, saint Athanase, saint Ambroise et saint Cyrille. Op. cit., p. 145-146 ; cf. a. 7, p. 146-147.

Théologie scripturaire. —

On l’a déjà constaté par la position prise par Luther et Calvin, la spéculation tient une place infime dans la théologie trinitaire des réformateurs : c’est dans l’Écriture qu’ils cherchent l’exposé du dogme. Tout comme les théologiens catholiques de leur époque, les protestants affirment trouver dans l’Ancien Testament une révélation certaine de la Trinité. Georges Calixte (1614-1656), qui fit fleurir à Helmstedt le goût des études philologiques et historiques, osa présenter quelques observations, assez timides d’ailleurs, contre les procédés de l’exégèse traditionnelle. Num mysterium S. Trinitatise solius V. T. libris demonstrari possil ? Helmstedt, 1649. Dans le camp orthodoxe, ces observations soulevèrent des tempêtes. Cf. Calov, Scriptura V. T. Trinitatis revelalrix, Wittemberg, 1680 ; Pfeiffer, Dissertatio Trinitatem personarum in unitale Dei ex oraculis V. T. probans, Erlangen, 1743.

Mais c’est de toute évidence dans le Nouveau Testament que les protestants, comme les catholiques, vont chercher la révélation précise du mystère. Et, tant que le protestantisme demeure orthodoxe, il reste fidèle à l’exégèse traditionnelle et voit dans la révélation du Fils et du Saint-Esprit la révélation de trois personnes divines distinctes et inséparables dans l’unité de leur nature commune et identique. Cf. Martensen, Dogmatique chrétienne (tr. fr. Ducros), Paris, 1879, p. 173 sq. ; p. 367 sq. ; p. 505 sq.

Aujourd’hui encore, cette exégèse subsiste, non pas, hélas ! chez tous, mais chez un certain nombre d’auteurs qui semblent vouloir réagir contre les libertés excessives prises par la grande majorité des théologiens protestants à l’égard de nos textes inspirés. On pourra juger plus loin de la gravité de ces écarts. On est quelque peu réconforté de constater que la Conférence mondiale de Lausanne (août 1927) s’est déroulée sur une base trinitaire nettement affirmée. Non seulement, on y admit à plusieurs reprises les formules traditionnelles, mais plusieurs commissions entendent se référer purement et simplement au symbole des Apôtres et à celui de Nicée. La seule restriction apportée est celle des orthodoxes orientaux au sujet du Filioque. Cf. Foi et constitution, Actes officiels de la Conférence mondiale de Lausane (3-21 août 1927), par J. Jézéquel, Paris, 1928, passim et surtout p. 538-539. Mêmes constatations à la Conférence universelle d’Edimbourg, 3-18 août 1937, rapport (en français), Winchester-New-York, 1937, p. 32. Mais on est pleinement rassuré en lisant des ouvrages comme le commentaire de M. Louis Bouyer, Le quatrième évangile, Paris, 1938. L’étude des textes conduit l’auteur à professer explicitement la divinité du Verbe incarné, dans lequel nous ne pouvons voir « ni un Dieu diminué, ni un homme incomplet », p. 108. La divinité du Saint Esprit, cet « autre », le Paraclet, p. 219, ne ressort pas moins du quatrième évangile. Et l’auteur rejoint la théologie catholique sur l’habitation de la Trinité dans l’âme juste : « Le but de l’œuvre de Jésus, dit-il, est de créer une société d’amour entre les personnes divines et les fidèles : c’est aux disciples que le Christ ressuscité se manifestera parce qu’il meurt et ressuscite pour que, par le Saint-Esprit répandu dans leurs cœurs, ils soient réunis au Père dans le Fils et que toute la Trinité divine fasse sa demeure chez les hommes », p. 221 ; cf. p. 241.

II. LES DOCTRINES ANTITRINITAIRES. —

Les doctrines antitrinitaires se manifestèrent dès le début du protestantisme. C’est, au fond, un mouvement rationaliste s’originant à une interprétation rationaliste de l’Écriture. La tendance déjà indiquée chez Luther et Calvin de considérer la Trinité par rapport à nous, d’une manière « économique », selon l’expression adoptée par beaucoup d’auteurs protestants, incite à n’attribuer à la triade scripturaire qu’une valeur relative à l’histoire de notre rédemption et non une valeur ontologique : « Le Nouveau Testament, dit-on, n’établit pas de distinction hypostatique entre le Père et le Fils d’une part, et le Saint-Esprit de l’autre ; il n’enseigne pas la personnalité distincte et indépendante de l’Esprit, puisque celui-ci n’est que Dieu ou le Seigneur glorifié, vivant et agissant dans les âmes, y déployant sa force, y répandant ses dons. Ce résultat semblera plus vraisemblable encore si l’on songe que le génie hébraïque n’aimant pas l’abstraction est naturellement porté à personnifier les forces ou les attributs divins, en sorte que les passages qui attribuent à l’Esprit un rôle personnel peuvent s’expliquer parfaitement par ces personnifications si fréquentes dans la Bible. » P. Lobstein, art. Trinité, dans YEncycl. des sciences relig. de Lichtenberger, t.xii, p. 214. Quant au Fils, il suffit de n’attribuer aux textes affirmant sa divinité qu’une valeur relative, pour aboutir à la négation de sa personnalité divine. Voir Jésus-Chhist, t. viii, col. 1370sq. Etl’on conclut avec sérénité : « Sans doute, le Nouveau Testament nous parle du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; mais son enseignement ne diffèrc-t-il pas de celui de l’Église ? Attribue-t-il la divinité métaphysique et la préexistence éternelle au Fils de Dieu, qui serait par conséquent absolument égal au Père ? Conçoit-il le Saint-Esprit comme une personne distincte du Père et du Fils et procédant de l’un et de l’autre ? C’est ce que l’on conteste, et il est évident que la négation de la divinité de Jésus-Christ et de la personnalité du Saint-Esprit emporte comme conséquence nécessaire la négation de la trinité elle-même dans le sens que l’Église attache à cette doctrine. D’ailleurs, alors même que les éléments de la doctrine trinitaire se trouveraient dans le Nouveau Testament, les écrivains sacrés nous parlent de la trinité révélée dans ses rapports avec l’histoire de notre rédemption, non pas de la trinité en soi et considérée en Dieu même : or, s’ils se taisent sur le rapport immanent des personnes divines, ne faut-il pas en conclure qu’il y a une différence sensible entre la triade religieuse de la révélation chrétienne et la trinité spéculative de la métaphysique chrétienne. » P. Lobstein, art. cit., p. 227. Sans doute, tout en partant du même principe, certains auteurs pensent pouvoir garder encore quelque chose de la triade métaphysique. Voir Bonifas, Revue théologique de Monlauban, 1878-1879, p. 60 sq. Mais la position scripturaire indiquée par Lobstein est bien celle qui a dicté toutes les négations antitrinitaires, sous quelque forme que ce soit.

Avant Michel Servet. —

L’humanisme érudit et littéraire poussa dès le début de la Réforme certains individus, impatients des limites où les réformateurs voulaient les enfermer, à s’attaquer aux dogmes mêmes que, ceux ci entendaient respecter. Ce fut le cas des premiers antitrinitaires. Les principaux noms qu’il convient de relever sont ceux de : Conrad in Gassen, Wurtembergeois, exécuté à Bâle en 1529 pour crime de blasphème contre la divinité de Jésus-Christ ; L. Hetzer, de Bischofszelt en Thurgovic, prêtre catholique apostat, « le plus remarquable des anabaptistes », dit Harnack, Lehrbuch…, t. iii, p. 658-659, condamné à mort à Constance en 1528 pour immoralité (sur lui, voir Th. Keim, dans la Prol. Realencycl., 3e éd., t. vii, p. 325 sq.) ; J. Denk, de Nuremberg (1495-1527), ami de Th. Mùnzer, chef des anabaptistes, qui, dans son livre De la loi de Dieu, oppose la lettre de l’Écriture à l’Esprit de Dieu ; chassé de Bâle et de Strasbourg pour scandale de mœurs, il revint cependant en cette ville sous la protection d’Œcolampade ; mais il y mourut bientôt de la peste (sur lui, voir Hebeilé, Johann Denk und sein Biichlein vom Gesetz, dans Sludien und Kritiken, 1851 ; et Johann Denk und die Ausbreitung seiner Lehre, ibid., 1855) ; J. Kautz, de Worms, qui, le 9 juin 1527, jour de la Pentecôte, affiche dans cette ville sept thèses chères aux anabaptistes. Quoi qu’en pense Harnack dans l’appréciation superficielle qu’il donne de ces auteurs, op. cit., p. 660, on doit objectivement les considérer comme des protagonistes de l’antitrinitarisme en Alsace, de 1526 à 1528, et comme les alliés des anabaptistes. Leur doctrine revient, en termes généraux, à ceci : Dieu est absolument un ; il n’existe en Dieu aucune trinité de personnes ; Jésus-Christ n’a pas eu de préexistence personnelle avant sa venue sur la terre. Denk insiste cependant sur l’idée d’un Verbe éternel, parole intérieure de Dieu dans nos âm"s. Cf. Doumergue, op. cit., t. vi, Neuilly-sur-Seine, 1926, p. 445-449 ; A. Réville, art. Antitrinitaire, dans l’Encyclopédie d>-, Liclitenborg : r, t. i, p. 378.

A ces noms il faut encore ajouter : Claudius de Savoie, qui enseigna à Berne (1534) l’unité absolue de Dieu, combattit la préexistence personnelle du Christ, ramena l’Esprit-Saint au nombre des créatures ; Sébastien Frank, de Donauwœrth, en Souabe, un idéaliste qui ne voyait dans le Christ visible que l’image et le symbole du Christ spirituel, invisible, résidant dans la conscience humaine, et qui révèle le Créateur dont il dérive ; J. Campanus, de Juliers, qui, dès 1528, se faisait remarquer à Wittemberg pour son opposition au dogme trinitaire et qui mourut en prison, vers 1574, dans un état de complète démence. Il avait consigné ses vues dans un écrit : Restitution et amélioration de l’Écriture sainte et divine, obscurcie depuis des siècles, avec la permission de Dieu, par des doctrines et des docteurs pernicieux (en allemand). Il voulait, non une trinité, mais une dualité divine, l’homme, mâle et femelle, ayant été créé à l’image de Dieu. Le Fils est l’élément féminin, par conséquent subordonné de la divinité où le Père représente l’élément masculin, actif et productif. Le Saint-Esprit n’est pas une personne, mais l’esprit commun au Père et au Fils et leur action commune sur l’homme.

Enfin, D. Noris, de Delft (1501-1556), évêque anabaptiste dans sa ville natale, repoussait comme contradictoires les doctrines de la Trinité et de l’incarnation. L’incarnation du Fils-Dieu a été révélée par trois hommes, Moïse, Élie, Jésus ou enror^ Adam, David, Jésus. Mais le vrai Fils est le Christ de l’esprit qui s’Identifie avec la volonté, la parole, la nature même di Dii ii Noris a laissé de nombreux traités en langue hollandaise ; le plus remarquable est Wonderboek des miracNs).

Michel Servet. —

Cet Fspagnol (il étaitnéen 1500 ou 1511 à Villanueva en Ar.i<ion)se fit déjà remarquez à Pâle, en 1530, par sis vues antltrinltmlrea qui lui valurent les observations d’Œcolampade. Ce qui ne

l’empêcha pas de publier en 1531 son traité De Trinitatis erroribus libri VII qui causa grand scandale. L’édition fut, dans la mesure du possible, saisie et anéantie ; il dut se rétracter dans Dialogorum de Trinitate libri II. De justitia regni Christi capitula IV (1532). Au fond, Servet ne rétractait rien. Sur ses discussions avec Calvin au sujet de la Trinité, voir Servet, t. xiv, col. 1967 sq. En 1543, Calvin publiait déjà contre lui sa Defensio orlhodoxæ fidei de sancta Trinitate contra prodigiosos errores Michælis Serveti Hispani, Corp. Reform., t. xxxvi, col. 457 sq. (trad. fr. en 1564, Déclaration pour maintenir la vray foy, que tiennent les chrestiens de la Trinité des personnes en un seul Dieu contre les erreurs détestables de Michel Servet, Espagnol, Genève).

Ce qui mit le comble à 1’ « hérésie » de Servet fut, en 1553, la publication de la Christianismi restitutio (on voit l’opposition avec la Christiana institutio). (Cinq livres et deux dialogues sur la Trinité ; trois livres sur la foi, la justice, le royaume du Christ ; quatre livres sur la nouvelle naissance d’en haut et le royaume de l’Antéchrist ; trente lettres à Calvin ; les soixante signes de l’Antéchrist et une apologie contre Mélanchthon, relative au mystère de la Trinité, 734 p. Voir l’histoire de la publication de la Restitutio dans Doumergue, op. cit., t. vi, p. 255 sq.). Entre les deux ouvrages, celui de 1531 et celui de 1553, Servet avait fait une évolution philosophique vers le néoplatonisme. Mais, dès 1531, il se montre violemment antitrinitaire, au nom même de la spéculation philosophique et de la critique rationnelle. Tandis que « les Réformateurs étaient des croyants pratiques », se préoccupant avant tout du péché et de la rédemption des hommes, Servet se montre « l’inventeur de la théologie historique ». Cf. Doumergue, op. cit., t. vi, p. 229. Il critique vivement les « tritoïtes ». « On divise, écrit-il, notre Dieu en trois parties, nous sommes donc sans Dieu, des athées. » De Trin., p. 21. Après son évolution, il écrira : « Ces tritoïtes, ils rêvent d’une façon incompréhensible (inintelligibiliter somnianl) d’un cerbère à trois têtes, d’un Dieu tripartite. » Restitutio, p. 119.

Michel part d’un principe a priori : le dogme antitrinitaire, l’unicité de Dieu, mais d’un Dieu conçu à la façon du néoplatonisme : « L’essence de toutes choses est Dieu même et toutes choses sont en Dieu. » De Trin., p. 102. Et encore : « Dieu est partout, plein de l’essence de toutes choses. Il contient en soi l’essence de toutes choses, de telle façon que, par sa seule essence, sans autre chose créée, il peut se montrer à nous comme feu, comme air, comme pierre, comme aimant, comme verge, comme fleur, comme quoi que ce soit… Dieu dans le bois est bois, dans la pierre est pierre, ayant en lui l’être (esse) de la pierre, la vraie substance de la pierre. » Lettre VI, dans Restitutio, p. 588. Ainsi « Dieu est dit « essentiant » (essentians) les essences, pour que celles-ci en essentient d’autres ». Le Christ est le dispensateur de la lumière ; l’envoyant de sa substance, envoyant l’esprit de sa substance. Id., p. 128. C’est le principe néoplatonicien du Logos. Cf. Trechsel, Michel Servet und seine Vorgânger nach Quellen und Urkunden dargestellt, 1839 (i OT vol. de l’ouvrage, Die protestant ischen Antitrinitârier vor Faustin Socin, Heidelberg, 1839, t. II, 1844). Voir aussi Doumergue, op. cit., t. vi, p 228 sq. C’est un panthéisme qui s’affiche avec d’autant plus do naïveté qu’il croit servir la cause du christianisme. Chauvet, Élude sur le système théologique de Servet, Strasbourg, 1807, p. 36. Cf. Emerton, dans Harvard theological Review, avril 1909. Ainsi le Christ est vraiment, visiblement et corporel lement engendré (genilus) de la substance de Dieu le Père et de la Vierge comme mère. Restitutio, lettre vi, p. 589. Il n’est pas Dieu, mais il n’est pas homme non plus ; son corps est divin de la substance de la déité, cf. Trechsel, op. cit., p. 105 ; en son âme et en sa chair, il y a déité substantielle et la même puissance, substanlialis deitas et potentia eadem. Restitutio, p. 87. Ces spéculations nébuleuses n’empêchent pas Servet de se livrer à des élans de prière mystique. Dial. de Trinitate H, dans Restitutio. Cf. Tollin (tr. fr. de Mme Picherat-Dardier), Michel Servet, portrait et caractère, Paris, 1879.

C’est sur ces données métaphysiques que Servet construit la synthèse de la religion chrétienne. En voici le résumé par A. Réville, art. cit., p. 382 :

Dieu… a voulu se révéler et s’est révélé sous trois modes : la parole, le Christ et l’esprit. La parole ou le Verbe est le monde idéal, la lumière incréée, omnium imagines… in sapientia ipsa… in luce omnia consistant, l’homme et le Christ y compris. Pour que ce Christ prévu, prédéterminé, apparût, le monde et son histoire était nécessaire. C’est ainsi que le monde a été fait par (per) le Christ et en vue de sa venue en chair. Mais, comme de toute parole provient un souille, de même, du Verbe créateur émane l’esprit, l’âme du monde, qui anime aussi les hommes et fait leur respiration. Cet esprit procédant par des productions encore imparfaites (Adam, la Loi, les prophètes, les figures de l’Ancienne Alliance) a trouvé sa parfaite expression en l’homme Jésus, dans la naissance duquel la substance du Verbe ou de la lumière incréée a tenu lieu de semence paternelle. Les vrais éléments supérieurs, le feu, l’air, l’eau se sont unis à la manière terrestre dans le sein d’une vierge ; d’où il suit que la nature corporelle du Christ est aussi divine que son âme… Grâce à cette incarnation ou plutôt à cette « sarcogénèse », l’esprit, troisième mode révélateur de Dieu, s’est pour ainsi dire affranchi de tout ce qui le limitait et l’obscurcissait. Il nous vient du Christ, délivré depuis la résurrection de tout ce qui pouvait encore, même en Jésus vivant de la chair terrestre, troubler sa pensée. Spiritus sanctus est ipse oris Christi halitus. Il implante dans l’homme la nature divine et la vraie immortalité.

Les protestants italiens réfugiés en Suisse. —

On ne parle ici que des Italiens n’appartenant pas directement à l’école socinienne. — Citons : Francesco le Calabrais, Titiano et surtout Camillus Renatus, tous trois en Suisse depuis 1542, et s’accordant dans une doctrine d’un subjectivisme complet, qui annule l’incarnation objective du Verbe et ramène à la persuasion intérieure du salut le rapport religieux de l’homme avec Dieu. Ce sont des modernistes avant la lettre.

Bernardin Ochino, d’abord franciscain, confesseur de Paul III, natif de Sienne, passe au protestantisme et se réfugie en 1542 à Bâle. On peut l’appeler le second fondateur de l’unitarisme. Ses vues sont exposées dans son Catéchisme (1561) et surtout dans ses Dialogues (1563), composés en italien et traduits en latin par Castellion. La question de la Trinité est agitée en l’un de ces dialogues entre Ochin et son esprit. L’esprit dit que la doctrine de la Trinité est à réviser, non moins que les autres. Cf. Trechsel, op. cit., t. ii, p. 240. L’esprit estime que le Nouveau Testament ne réclame pas la foi en la Trinité. Et cependant, devant les réponses d’Ochin, l’esprit se déclare vaincu. Réponses d’une faiblesse voulue. Voir Ochin, t. xi, col. 916 sq.

Matthieu Garibaldo, jurisconsulte de Padoue, expose dans une lettre (Genève, 1554) sa théorie sur le Père et le Fils, deux hypostases réelles, distinctes, l’une et l’autre Dieu, l’un envoyant, l’autre envoyé, l’un corporeus, l’autre corporalus. Il admet trois dieux : le Père, prince des dieux, le Fils et le Saint-Esprit, dieux à son service et subordonnés, ministeriales et subordinatos. Lettre de Haller à Bullinger, 14 septembre 1557, citée par Trechsel, op. cit., t. H, p. 298, note 3. L’unité divine du Père et du Fils n’est autre chose que la participation à une même nature divine abstraite, un peu comme Paul et Apollos étaient unis entre eux dans le même apostolat. Cf. Réville, art. cit., p. 380. Singulier mélange de trithéisme et d’arianisme, que Calvin, dans sa correspondance avec Wolmar, réprouve énergiquement. Voir Doumergue, op. cit., t. vi, p. 475. Emprisonné à Berne, Matthieu consentit, pour éviter la mort, à signer une rétractation et à accepter tous les symboles, « celui de Nicéc et celui d’Athanase » (septembre 1557). On le laissa néanmoins en prison, où il mourut de la peste (1558). Voir Trechsel, op. cit., t. ii, Appendice xiv, p. 466, 467.

Georges Blandrata, de Saluées (1515-1590), était médecin et Calvin, à maintes reprises, en fait un portrait peu flatteur, mettant ses correspondants en garde contre « ce monstre ». Voir les textes dans Doumergue, op. cit., p. 477 sq. Blandrata venu à Genève, posa à Calvin d’innombrables questions, servetica deliramenta, dit le réformateur. Parmi ces questions revenaient celle des personnes de la Trinité et de l’idée que s’en étaient faite Justin et Tertullien. Un de ses disciples, Jean-Paul Alciati, piémontais, accusa Calvin et ses fidèles « d’adorer trois diables, pires que toutes les idoles de la papauté, parce qu’ils croyaient en trois personnes ». Voir aussi Vie de Calvin, dans Corp. Reform., t. xlix, col. 86. Ces attaques de 1’ « Église italienne » déterminèrent Calvin à réunir une conférence (1558) où la question trinitaire fut discutée et qui aboutit à la rédaction d’une confession de foi orthodoxe que tous les membres s’engagèrent à signer. Blandrata et Alciati se retirèrent en Pologne, où Lismaninus les accueillit favorablement, malgré les avertissements de Calvin. Alciati devait mourir à Dantzig, en 1565.

Blandrata continua ses attaques antitrinitaires, d’abord sous forme de petites sentences où il préconisait le subordinatianisme ; mais très habilement il évite de froisser de façon trop directe le sentiment des calvinistes trinitaires. Ce fut seulement en 1562 qu’il démasque le fond de sa pensée en douze articles qu’il soumit au synode d’octobre 1562. Voici les plus caractéristiques : 1. Le fondement de toutes les erreurs est de dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit est un Dieu ; 2. Celui qui invoque Dieu absolument un dans la Trinité a un « Dieu gonflé » (Deum conflatum), un « Dieu turc » (turcinum) sans Fils ; 11. Les mots « trinité, personnes, essence », sont des mots papistes ; 12. Tous ceux qui ne pensent pas ainsi sont des sabelliens. Dans Corp. Reform., t. xlvii, col. 573. Cf. Doumergue, op. cit., ꝟ. 486. Après ce synode, où l’on ne put s’entendre, le protestantisme polonais se scinda : calvinistes et blandratistes. Le calvinisme reprit bientôt le dessus et Blandrata quitta Cracovie pour la Transylvanie, où il défendit l’unitarisme avec Franz David et périt, dit-on, assassiné par un neveu, en 1590.

Valentin Gentilis, de Cozenza, en Calabre, avait refusé de signer la profession de foi de 1558 proposée par Calvin à 1’ « Église italienne ». Toutefois, en présence de Calvin, le 20 mai, il accepta d’y souscrire. Mais il porta bientôt le débat en chaire devant le grand public et cette incartade lui valut la prison et un procès en règle. Cf. Henry Fazy, Procès de Valentin Gentilis et de Nicolas Galbo (1558), dans Mémoires de l’Institut national genevois, t. xiv, 1878-1879 ; Trechsel, op. cit., t. ii, p. 316-390. Devant ses juges, il présenta deux confessions de foi. Il y niait la première personne, le Père, en l’essence unique » ; une telle personne serait « sophistique » et « doit estre raclée entièrement du mystère de la Trinité ». Cette essence unique qui serait Dieu, ajoutée aux trois personnes, également dieux, formerait « non pas une Trinité, mais une quaternité en Dieu ». Le Père n’est donc pas la première personne en l’essence divine, il est « ceste seule essence ». Le Père « est le seul vray Dieu, et baillant essence ». Le Fils, « la Parole, c’est la splendeur de la gloire de Dieu ; et il est ensemble aussi vray Dieu ». Texte latin dans Corp. Reform., t. xxxvii, col. 389-390. — Dans une lettre adressée aux pasteurs, Gentilis conclut : « Ainsi faisant, je tiens pour certain que vous abolirez, par l’esprit de Dieu qui habite en vous, tous ces monstres, qui ont si souvent renversé la Trinité et remettrez icelle Trinité en sa première beauté et pureté qui jusques ici a esté délaissée et salie de tant de blasphèmes. » Ibid., col. 399. Condamné, Gentilis abjura le 29 août ; mais au lieu de faire amende honorable en public, il se sauva à Lyon, où il publia ses Antidota : seul, le Père est àuTO0e6ç, essentiator ; le Fils est ëTepo6e6ç, essentialus. Quant à la « personne » du Père, elle est « magique, sophistique, fictive, fantastique, diabolique ». Cf. Trechsel, op. cit., t. ii, p. 333, note 5. Après un bref séjour en Pologne, Gentilis revint à Gex et fut repris par le gouvernement bernois qui le fit décapiter, 10 septembre 1566, comme blasphémateur et parjure. Voir l’exposé de toute l’affaire dans Corp. Reform., t. xxxvii, col. 365-420.

Enfin, François Stancaro de Mantoue, réfugié en Suisse, dut partir également pour la Pologne († 1574). Il n’est antitrinitaire que parce qu’il cherche à écarter de l’essence divine tout ce qui, dans l’œuvre de la rédemption, pourrait en compromettre l’immutabilité. Son antitrinitarisme se résout, en fin de compte, en un nestorianisme très accentué.

Pour être complet, il faudrait citer les théologiens polonais antitrinitaires : Pierre Gonesius (Goniadski), pasteur à Wengrow, dont les idées offrent une grande analogie avec celles de Servet, Grégoire Pauli, Statorius et son disciple Rémi Chelinski. On a vu comment, après le synode de 1562, un schisme se produisit parmi les protestants polonais, entre trinitaires et unitaires. Les antitrinitaires eux-mêmes se divisèrent en partisans et adversaires de la préexistence de Jésus-Christ. Franz Davidis poussa la logique du système antipréexistentiel en refusant l’adoration au Christ, quatenus homo. Désormais, l’histoire de l’antitrinitarisme polonais se confond avec l’histoire du socinianisme. Sur tous ces auteurs on consultera la correspondance et les œuvres de Calvin, cf. VIndex historique, à la fin du t. l du Corpus Reformatorum.

Le socinianisme. —

Sur l’histoire et les doctrines antitrinitaires des sociniens, voir t. xiv, col. 2326 sq. Il ne serait pas difficile de montrer que, si l’erreur de Michel Servet procède d’un mélange de sabellianisme et de mysticisme platonicien, celle des Socins suit plutôt l’impulsion de Paul de Samosate, avec son rationalisme plus ou moins moraliste. Socin, c’est Servet, moins sa métaphysique. Pour bien comprendre l’antitrinitarisme socinien, il faut le replacer au point de vue de son temps : c’est un rationalisme supranaturaliste.

Il cherche surtout à ramener les doctrines chrétiennes à des conceptions conformes aux exigences de la raison, mais en mémo temps, il croit à une révélation surnaturelle contenue dans la Bible et, par conséquent, il s’ingénie à interpréter l’Écriture sainte de manière que ses enseignements soient toujours et en tout d’accord avec la raison… Par conséquent tous les dogmes contraires à la raison doivent d’avance être considérés comme non-scripturaires…

La doctrine de la Trinité est contraire à la raison :

1. parce qu’elle enseigne l’existence de trois personnes divines sans pouvoir rétablir d’une manière acceptable l’unité de Dieu qu’elle nie et que, dans les vains eflortt de la théologie traditionnelle pour échapper à cette conséquence, elle tombe fatalement ou dans le trithélsme ou dans le modalisme ;

2. parce qu’en attribuant à chaque personne divine des propriété* distinctes, elle Introduit l’imperfection dana la nature divine, puisque les propriétés distinctes de l’un manquent aux deux autres ;

3.parce que l’Idée de génération est Inapplicable à l’Être divin et suppose la profonde subordination de l’être engendré qui ne tire pas son existence de lui-même ;

4. parce qu’au chapitre de l’incarnation du Fils, vrai Dieu et vrai homme, elle aboutit à stipuler l’existence d’une seule personne ayant deux natures, personnelles toutes les deux, de sorte que le Christ est a la fois infini et fini, parlait et imparfait, impassible et souffrant, impeccable et tenté, prié et priant, etc.

Cette doctrine n’est pas moins contraire à l’Écriture, qui insiste partout sur l’unité rigoureuse de Dieu. Les trois termes de la trilogie chrétienne, Père, Fils et Saint-Esprit, correspondent à trois éléments essentiels de la dispensation chrétienne, mais non à la métaphysique trinitaire. Le passage des trois témoins (I Joa., v, 7) n’est pas authentique et, quand il est dit que le Père et le Fils sont un, cette expression ne doit s’entendre que de leur accord en volonté, en intention et en action… A Réville, art. cit., p. 387-388.

Parmi les disciples des Socins, Jean Crell (Crellius) est celui qu’ont le mieux connu nos théologiens catholiques. Petau lui a consacré presque entièrement le 1. III de son De Trinitate, s’appliquant dans les c. i, ii, iv, à réfuter les arguments de Crell contre la divinité du Fils ; dans le c. iii, à montrer qu’on ne peut refuser au Christ d’être Dieu comme le Père ; dans les c. vu-vin, à venger la divinité du Saint-Esprit ; enfin, dans les c. ix-x, à rétablir la vérité du mystère tout entier de la Trinité. Bossuet, d’une manière plus générale, attaque à plusieurs reprises la doctrine et surtout l’exégèse de Crell. Voir Le Nouveau Testament de Richard Simon, dans Œuvres, Paris (Lachat-Vivès), t. iii, l re instr., n. 14, p. 392 ; 2e instr., n. 2, p. 479 ; Défense de la Tradition et des Saints Pères, t. III, passim, t. iv, p. 74 sq. L’évêque de Meaux s’attache également à réfuter les erreurs sociniennes en général. Voir la 2e instruction citée et les Avertissements aux protestants, 1 effet 6e avertissements, ibid., t. xv, p. 181 sq. ; t. xvi, p. 1 sq. Suarez fait une brève allusion aux hérétiques de Transylvanie, De Trinitate, t. II, c. iv, n. 3, renvoyant à Bellarmin, De Christo, 1. 1. (Il s’agit de la divinité et de la préexistence du Christ.)

En général, les sorbonnistes ont accordé une grande attention aux erreurs trinitaires des sociniens. On verra plus loin que cette préoccupation a donné à leurs traités une allure nouvelle. Voir Tournely, De Trinitate, q. i, a. 4 (réfutation de Michel Servet, de Gentilis et des sociniens) ; Witasse, id., q. ii, sect. ii, n. 15-16 ; sect. iii, n. 12-13 ; q. iii, a. 2, passim ; q. iv, a. 2, sect. i (préexistence du Christ) ; sect. n (éternité du Christ) ; sect. m (consubstantialité du Christ par rapport au Père éternel) ; a. 3, divinité du Saint-Esprit ; et les autres.

L’unilarisme. —

Au point de vue doctrinal, il y a peu de chose à ajouter à ce qui a été dit sur le socinianisme et l’antitrinitarisme, en ce qui concerne l’unitarisme, qui n’est autre que la transposition en Angleterre et en Amérique des théories sociniennes.

Les idées antitrinitaires furent apportées en Angleterre par les juristes italiens, notamment Pierre Vcrmigli et Bernardin Ochino. On doit y ajouter, venant d’Espagne, Enzinos ou Dryandcr ; de France, Pierre Alexandre ; de Strasbourg, Buccr et Fagius ; de Pologne, Jean de Lasco qui fut le fondateur de « l’Église des étrangers » en Angleterre.

En principe, l’Église des étrangers proclamait le dogme de la Trinité. Bientôt cependant les unitaires y marquèrent leur point de vue. Voir Unitariens. Bernardin Ochino fut à leur tête, avec ses Labyrinthes et ses Trente dialogues sur la Trinité. Après Ochino et dans les dernières années d’Elisabeth, l’unitarisme fut représenté par l’espagnol Antonio Corrao. Dans son ouvrage, L’œuvre de. Dieu, il incline, au sujet de la Trinité, vers des solutions subordinatirnncs. L’architecte Italien Jacques Acontius déclara, dans ses Stratagèmes que la connaissance du mystère trinitaire n’était pas nécessaire pour le salut. L’assemblée de Westminster de 1048 condamna fc. idées comme hérétiques ; mais, en dépit des excommunications, les doctrines antitrinitaires ne cessèrent d’avoir des défenseurs dans l’Église des étrangers. Quand éclata l’hérésie socinienne, l’Angleterre lui offrit un terrain propice et, malgré la brièveté de son séjour à Londres, Lelio Socin y exerça néanmoins une réelle influence. En 1651 parut à Londres la deuxième édition du catéchisme de Rackow, bientôt suivie de la traduction des autres écrits les plus importants des frères polonais. L’accueil fait aux idées sociniennes fut si favorable qu’en 1731 Edouard Combe ne craignit pas de dédier à la reine Caroline la traduction anglaise du De auctorilate Scindée Scripturse de Fauste Socin. Thomas Lushington, chapelain de Charles I er, traduisit quelques-uns des commentaires de Crell sur le Nouveau Testament.

Le plus célèbre des unitaires fut John Biddle (16011662), qui arriva au doute sur la Trinité avant d’avoir lu les traités sociniens. Seize mois de détention dans la prison de Newgate ne l’empêchèrent pas de publier Douze arguments tirés de l’Écriture contre la divinité du Saint-Esprit (1647). Un peu plus tard, du fond du cachot où il avait été enfermé pour avoir nié la Trinité (2 mai 1648), il publie encore deux ouvrages : La confession de foi touchant la Trinité conformément à la sainte Écriture ; Témoignages d’Irénée, de Justin martyr… concernant le Dieu unique en trois personnes. Après sa mort, son collaborateur Firmin fit paraître en quatre séries (de 1693 à 1700) ses Anciens traités unitariens (Old Unitarian Tracts). En 1665, le libraire Richard Moone publiait la traduction du De Deo uno et Pâtre de Jean Crell.

Sous le règne de Guillaume III, les unitaires eurent plus de liberté. Clarke, dans la Doctrine scripturaire de la Trinité, se montre nettement subordinatien. Milton, l’auteur du Paradis perdu, est arien dans son Traité de la doctrine chrétienne et, comme Biddle, nie la divinité du Saint-Esprit. Locke, l’auteur de L’entendement humain, laisse percer ses sympathies unitaires, soit dans sa correspondance avec l’arminien Philippe de Limborch, soit dans le manuscrit posthume, Adversaria theologica (deux colonnes de passages pour ou contre la Trinité, la colonne contre étant la mieux fournie). Des arguments analogues furent développés par Newton dans son Exposé historique de deux notables éclaircissements de l’Écriture, adressé à Locke, et dans ses Observations sur les prophéties de Daniel et de l’Apocalypse.

A la fin du xviiie siècle, l’unitarisme passe aux États-Unis. Son principal foyer est, aujourd’hui, au Massachusetts. En 1822 se fonda V Association unitaire britannique et étrangère, dont le siège est à Londres. A l’art. Unitarisme seront donnés les détails historiques du développement de cette doctrine. Il suffisait ici d’en retracer la marche doctrinale.

Conclusion : la position des unitaires protestants en face de leurs coreligionnaires trinitaires. —

Les antitrinitaires se dressent tous comme des adversaires de la métaphysique et des spéculations grecques. Mais ils sont subtilement raisonneurs et semblent hypnotisés par la question de la Trinité qu’ils passent leur temps à nier, à étudier, à discuter. Certes, /épondent les trinitaires, la Trinité est un mystère, mais elle est aussi un postulat auquel la raison, partant des faits religieux, de la Bible et des expériences du cœur et de la raison elle-même, doit logiquement arriver. En arrivant, elle trébuche ; soit. Mais cela ne compromet en rien ni les textes de la Bible, ni les expériences du cœur et de la conscience. La Trinité, répondent-ils encore, est la meilleure hypothèse qu’on puisse faire ; à supposer que cette hypothèse ne soit pas parfaite, il n’y a pas à s’en étonner : l’essence divine dépasse la compréhension humaine.

Les antitrinitaires partent de l’idée de la Trinité, l’analysent et en déduisent leurs négations ou leurs affirmations. C’est du raisonnement pur, qui n’a pas d’autre valeur que celle du raisonnement, valeur petite et incertaine au point de vue religieux. Les trinitaires s’élèvent à la question de la Trinité en partant d’une angoisse de la conscience et du cœur, la préoccupation de leur salut. Les antitrinitaires descendent de la question de la Trinité en partant d’un embarras et d’une révolte de l’intelligence.

Les trinitaires raisonnent à contre-cœur. Calvin ouvre la discussion avec les Italiens en déclarant : « La confession de foi qui est au symbole des apôtres devrait bien suffire à tous chrestiens modestes. Et c’est seulement pour « obvier à toutes les astuces et cautèles » de Satan qu’il se voit obligé à franchir cette limite raisonnable, désirable, des discussions… ». — Les antitrinitaires raisonnent avec passion, avec délices. Le raisonnement est leur vie. Nous avons un curieux récit de Bèze sur Gentilis : « Ce malheureux doué d’un esprit sagace, mais subtil et sophistique, peu de temps après le supplice de Servet, se procura son livre et la réfutation de Calvin. Voilà son début. Il est là au milieu des « spectres », des « idées », des hérésies de Paul de Samosate, de Sabellius, d’Arius, des questions d’essence, de personnes. Il s’aperçoit que ce qui est dit dans les Écritures de l’unique essence de Dieu, des trois hypostases, ne cadre pas avec la raison et il décide de soumettre la sagesse divine à l’humaine raison. » Calvin, Opuscules, Paris, 1842, p. 1957.

Parmi les antitrinitaires, on observe un double mouvement : celui de Servet, celui de Lelio Socin, le premier plus mystique, le second plus rationaliste. Mais, dans les deux cas, c’est la suprématie du moi, de l’individu sur la Bible et l’expérience chrétienne. Cf. Doumergue, op. cit., p. 487-498.

Le pasteur Doumergue n’hésite pas à rapprocher les extrémistes du xvie siècle des excès qu’il appelle 1’ « ultraprotestantisme » du xixe. Op. cit., p. 449-450. Dès lors qu’on rejette toute règle de foi en dehors de la Bible et de l’interprétation qu’on en peut faire sous l’inspiration personnelle du Saint-Esprit et sa propre expérience religieuse, on peut se demander si les « extrémistes » du xvie siècle et les « ultras » du xix « ne sont pas, les uns et les autres, dans la logique même du système.

III. LES INTERPRÉTATIONS PHILOSOPHIQUES. —

L’interprétation mystique. —

La remarque faite en dernier lieu explique que, dès le début du protestantisme, se soit fait jour, même parmi les protestants, une conception du christianisme autre que celle de Luther ; c’est la conception des mystiques et des théosophes.

Le premier théosophe, qui n’a appartenu qu’à moitié à la Réforme, est Théophraste Paracelse, contemporain de Luther. Pour lui, le Christ est la lumière de la nature ; et il cherche à découvrir la connexion intérieure entre la révélation dans la nature et la révélation par le Christ. Pour les théosophes, la Trinité se réduit aux rapports de Dieu avec l’homme : Dieu, par un effet de son amour, a uni étroitement notre âme à notre corps ; mais le Christ, lumière de la nature, nous communique par son Esprit (l’Esprit-Saint) le germe d’un corps nouveau d’ordre spirituel et qui ne trouvera sa réalisation que dans le corps céleste du Christ, par le corps que nous recevrons à la résurrection.

Valentin "Weigel († 1558) ne considère l’Écriture que comme un simple témoin historique : la lettre de l’Écriture est un noyau qu’il faut briser pour atteindre le Christ glorieux, livre vivant de la vérité. Cette vérité est d’expérience subjective : elle existe en nous et c’est le témoignage de l’Esprit qui appelle à la lumière la vérité cachée en nous. L’homme doit arriver ainsi à renouveler sa substance (âme et corps) par le corps spirituel et céleste du Christ. Et l’épanouissement de notre nature se fera dans une communion d’amour avec Dieu par Jésus-Christ.

D’autres mystiques en vinrent à concevoir une incarnation progressive du Christ dans l’humanité : la religion devient ainsi la connaissance et le culte de l’Esprit éternel de Dieu qui est aussi le Christ (Lautensack, Isaïe Syiefel, Ezéchiel Metz). Rêveries panthéistes et qui ne méritent pas de retenir l’attention. Elles nous éclairent du moins sur l’idée chère au calviniste Poiret, Économie divine, Amsterdam, 1687, qui attribue au Christ un corps céleste préexistant à l’incarnation, idée partagée par les anglais Goodwin, H. Morus, Ed. Fowler.

Le représentant le plus distingué de la théosophie allemande est Jacques Bôhme. Voir t. ii, col. 924. Il est le premier théosophe à avoir formulé une doctrine assez précise de la Trinité. Pour comprendre son point de vue, il faut se rappeler qu’il rattache au problème trinitaiie celui de la création. Au commencement était l’abîme (non-être) ; c’est de lui que procèdent l’amertume, le feu, la colère. Il n’est pas Dieu et cependant il est le premier principe existant en Dieu le Père. Mais il est dans le Père un autre principe, sentiment éternel qui aspire à se révéler et qui a la volonté d’engendrer. C’est grâce à cette aspiration que le premier principe engendre le Fils, cœur éternel de Dieu, douce lumière qui, grâce à sa puissance intrinsèque, engendre à son tour le Saint-Esprit. Cette explication de la Trinité a pour but d’assurer la possibilité et la réalisation de la création par le triple principe de la volonté en Dieu le Père, de la nature éternelle et indestructible cachée dans le sein de Dieu et à laquelle est donné le nom de Fils, et du Saint-Esprit qui manifeste la majesté du Père. Toute la doctrine de Bohme est fonction de cette conception fondamentale. Voir Dorner, Histoire de la théologie protestante (tr. fr. Paumier), Paris, 1870, p. 518-520.

Une autre forme du mysticisme protestant fut le piétisme, avec Spener († 1705) et surtout ses disciples. Nous n’avons pas à rappeler ici la nature de ce mouvement qui voulait avant tout, comme l’indique son nom, communiquer aux chrétiens une foi vivante et active, cf. Piétisme, t.xii, col. 2084 sq. Mais par làmême, ou restreignait la part, dans la vie chrétienne, des éléments extérieurs, Église visible, livres symboliques, et même, dans une certaine mesure, Écriture sainte. Spener enseigne la communion immédiate de l’ame avec l’infini et sa participation possible à la vie divine elle-même. Le Père que Spener adore est le Dieu vivant et vrai, et non pas un Dieu qui se renferme dans sa solitude pour laisser agir les grâces renfermées dans les sacrements et dans la Parole ; ce Dieu agit directement dans l’âme par le ministère de la Parole et des sacrements, moyens dont le Saint-Esprit se sert pour travailler et transformer les consciences. La Parole est le médiateur sensible et humain entre Dieu et l’homme. La philosophie ne joue qu’un rôle assez effacé dans ces conceptions. Les traités dogmatiques abondent chez les piétistes, mais les appels fréquents à l’action directe du Saint-Esprit n’y remplacent pas le contrôle utile d’une règle supérieure. La Trinité qui semble confinée dans le rôle de Dieu dans l’Ame, avec la Parole et l’Esprit, reste bien dans l’indéterminé et le vague. Les ouvrages exégétiques des piétistes, Francke, Hoffmann, multiplient les sens allé-Roriqm-s, paraboliques, typiques, en sorte u la al’iir objective des affirmations scripturaires disparaît dans une multiplicité d’interprétations, contrai la nature même du dogme.

Après Francke, le piétisme du nord de l’Allemagne (Halle) dégénéra et languit. Dans le Wurtemberg, avec Bengel et en Moravie, avec Zinzendorf et les frères moraves, il manifestait une puissance et une vitalité plus durable.

La théologie de J.-A. Bengel (1687-1752) est moins une étude dogmatique qu’une étude directe de la Bible. Bengel est, en Allemagne le fondateur de la critique du Nouveau Testament. L’école de Bengel se partagea en deux groupes distincts : le premier se consacrant à des travaux historiques, le second se livrant aux spéculations de la pensée chrétienne. C’est dans ce second groupe que se trouve Christophe-Frédéric Œtinger, dont les tendances mystiques rejoignent la théosophie. Par le fait qu’il envisageait le monde comme un ensemble de réalités, Bengel cessa de considérer Dieu comme un être infini, insondable, tout volonté et entendement, pour voir en lui le centre vivant de l’univers, qui pénètre le monde de son Esprit, tout en gardant intactes sa gloire et sa félicité, dont il veut rendre, par Jésus-Chriat, les hommes participants. Œtinger s’empare de ces idées : Dieu n’est pas une unité absolue, mais l’unité des forces divines, forces vivantes, unies entre elles par un lien indissoluble, mais pouvant agir séparément. Les forces infinies de la divinité se reflètent dans la nature ; elles se retrouvent dans l’homme qui est un monde et un Dieu en miniature ; elles créent en lui un sensus commuais bien différent de la conscience chrétienne, parce qu’il n’est que le pressentiment de la vérité divine. Ce sensus convnunis a été possédé par le Christ d’une manière exceptionnelle ; en nous, il nous attire vers le Christ et sert de base à l’action du Saint-Esprit.

Le mysticisme de Zinzendorf (1700-1760) fut, au point de vue du dogme trinitairc, d’une extravagance déconcertante. Il représentait la Trinité comme mari, femme et enfant ; c’est le Saint-Esprit qui est la mère. Il enseigne également la paternité du Fils : lui seul est directement notre Père et c’est à lui seul qu’on s’adresse en récitant le Notre-Père. Le Père de Jésus-Christ est « ce qu’on appelle dans le monde un beau-père ou un grand-père ». Cf. Zinzendorf, ITepl èautoû oder naturel Reflexiones ùber sien selbst, 1749 ; Félix Bovet, Le comte de Zinzendorf, Paris, 1865 ; dans l’Encyclopédie de Lichtenberger, Ch. Pfender, art. Zinzendorf, t.xii, p. 512 ; ici l’art, zinzendorf.

On voit par là combien déficiente est la théologie des mystiques théosophes ou piétistes relativement à la Trinité. Avant de les quitter, il convient de dire quelques mots de la conception plus extravagante encore de Swedenborg. Sur cet auteur, voir t. xiv, col. 2874. Ce théologien aspirait à une communion réelle de Dieu et du monde, qu’il cherchait à réaliser par des spéculations émanatistes et panthéistes. Il proteste donc contre les formules orthodoxes de la Trinité, qui relèguent la divinité dans les abîmes d’une transcendance inaccessible à la pensée et n’établissent aucun contact entre elle et la Trinité révélée dans ses rapports directs avec le monde. Aussi enseigne-t-il non une trinité des personnes, mais une trinité de la personne. Cette trinité se manifeste de différentes manières : l’être universel doit être conçu sous forme de trois cercles concentriques. Dans le cercle intérieur siège le Seigneur sur son trône d’amour, entouré d’esprits supérieurs qui révèlent par leur activité les diverses puissances de l’amour. Le second cercle est celui du Seigneur sous la forme de la vérité divine. Le troisièim I formé par le monde visible et matériel et par l’homme à l’état de nature. Les trois cercles oui une existence simultanée et parallèle. C’est la la représentation d’une évolution de Dieu, progressant de l’être virtuel à l’être complet et réel par le devenir, Parvenu an terme de son évolution, qui est l’homme. Dieu est entré dans sa réalité. Grâce à sa nature physique et spirituelle, l’homme manifeste l’union des principes, qui, en dehors de lui, sont séparés l’un de l’autre, à savoir l’union de la nature, de l’intelligence, de l’amour. La trinité existe en Dieu lui-même : la divinité du Seigneur est le Père ; l’humanité divine est le Fils ; la divinité se révélant dans la sphère de la réalité est le Saint-Esprit. L’homme, but suprême et épanouissement définitif de la vie divine, présente la perfection idéale de l’univers et Dieu, en devenant homme d’une manière sensible, acquiert l’existence qui répond à son essence, puisque toutes les puissances qui existaient en lui sont réalisées dans l’homme dont il a pris la forme. Le Christ est l’homme par excellence, dans lequel réside la Trinité, à savoir la divinité du Père, l’idée de l’homme et la réalité sensible. Le Fils, qui était virtuellement en Dieu et qui se manifeste et devient réel dans la personne du Christ, exprime l’amour substantiel, ou divinité du Père. C’est en lui que se manifeste la Trinité ; il est le point central de l’univers et le sentiment que nous avons de Dieu peut désormais sans crainte s’appuyer sur la réalité concrète que Dieu a acquise en lui. Le Christ continue à communiquer aux âmes sa sagesse et son amour par l’Écriture qui doit être envisagée comme une continuation constante de l’incarnation de Dieu au sein de l’humanité depuis que le Christ a quitté la terre. Cf. Dorner, op. cit., p. 571-573.

La théosophie contemporaine suit les mêmes errements. Non seulement elle nie la personnalité de Dieu, mais — conséquence inévitable — elle détruit le mystère de la Trinité. Sans doute, certains de ses représentants, pour les besoins de leur cause, semblent parfois admettre la Trinité chrétienne. Pur trompe-l’œil t Quand on vient à l’explication, jamais il ne s’agit de personnes divines ; il n’est question que de forces impersonnelles groupées par triade ou symbolisées par des noms. Ainsi, une théosophe en vue, Mme Besant, assimile la Trinité chrétienne à la Trimurti hindoue, à une terna de dieux helléniques, arbitrairement choisis : Zeus, Apollon, Minerve, ou encore aux trois notions fondamentales des matérialistes : cause, énergie et matière. Voir de Grandmaison, art. Théosophie, dans le Dict. apol. de la foi cath., t. iv, col. 1663-1664. Du même auteur : Le lotus bleu, Paris, 1910 et deux articles sur La nouvelle théosophie, dans les Études, 5 décembre 1914 et 5 mai 1915.

Interprétations objectives de l’orthodoxie traditionnelle.

Il faut entendre ici dans un sens assez large le mot « orthodoxie ». Il signifie simplement l’exposé d’une doctrine répondant à une réalité objective.

1. Leibniz. —

Le philosophe Leibniz s’est fait, au point de vue rationnel, le défenseur du dogme contre les unitaires. Non qu’il veuille démontrer la Trinité, il se contente d’en montrer la possibilité. Le Cursus theologicus de Migne a accueilli trois petits travaux de Leibniz sur ce sujet, t. viii, col. 749-770. Dans Opéra omnia, Genève (éd. Dutens), 1768, p. 10, 17, 24.

Le premier, Defensio Trinitatis per nova reperta logica, contra epistolam ariani, est dirigé contre André Wissowath, descendant des Socins du côté maternel (1608-1678) et socinien lui-même. Simple réfutation des objections antitrinitaires. — Le second, Duse epistolse ad Lœfllerum, vise non seulement les sociniens, mais les « néo-ariens » d’Angleterre : l’auteur y cherche à concilier la définition de la personne par la substance, et la même définition par la relation. — Enfin, la plus importante publication de Leibniz sur le problème trinitaire ce sont les Remarques sur le livre d’un anlitrinitaire anglais qui contient des considérations sur plusieurs explications de la Trinité : quelques pages seulement, mais pleines d’une doctrine répondant parfaitement aux exigences du sujet :

J’oserais dire que trois esprits infinis, étant posés comme des substances absolues, seraient trois dieux, nonobstant la parfaite intelligence qui ferait que l’on entendrait (de l’un) tout ce qui se passe dans l’autre. Il faut quelque chose de plus pour une unité numérique… Il ne sulïit pas non plus de dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit diffèrent par des relations semblables aux modes, tels que sont les postures, les présences ou les absences. Ces sortes de rapports attribués à une même substance ne feront jamais trois personnes diverses existantes en même temps… Il faut donc dire « qu’il y a des relations dans la substance divine, qui distinguent les personnes, puisque ces personnes ne sauraient être des substances absolues. Mais il faut dire aussi que ces relations doivent être substantielles, (ce) qui ne s’explique pas assez par de simples modalités ». (Les guillemets sont de Leibniz).

C’est donc l’explication de saint Thomas qui est reprise par le philosophe allemand. Et Leibniz entend bien montrer par là qu’il n’y a, dans la Trinité, aucune contradiction. Il blâme même les théologiens catholiques « qui croient que ce principe de logique ou de métaphysique : Quee sunt eadem uni tertio, sunt eadem inter se, n’a point de lieu dans la Trinité ». Je crois, ajoute-t-il, que « ce serait donner cause gagnée aux sociniens en renversant un des premiers principes du raisonnement humain, sans lequel on ne saurait plus raisonner sur rien, ni assurer aucune chose… J’ai été fort surpris de voir que les habiles gens parmi les théologiens scolastiques ont avoué que ce qu’on dit de la Trinité serait une contradiction formelle dans les créatures. Car je crois que ce qui est contradiction dans les termes, l’est partout ». Col. 768-769, 767 ; cf. Dissertatio de conformitale fidei cum ratione, n. 22, dans Opéra, t. i, p. 81. Voir à Relation, col. 2155 et ci-dessous, col. 1822, les auteurs à qui Leibniz fait allusion. On lira dans Franzelin, De Deo trino (3e éd.), p. 330, la note rédigée à ce propos.

2. Commencement de la décadence de l’orthodoxie. —

Les disciples de Leibniz sont loin d’avoir la ferme attitude de leur maître. Ils ont été formés à l’école de Wolfî et, si Wolfî a beaucoup contribué à faire progresser la philosophie leibnjzienne, c’est en la déformant par la systématisation rigide qu’il lui imposa. Il habitua les esprits à réclamer en tout des démonstrations et des raisonnements. D’ailleurs, en ce qui concerne les mystères révélés, toute une tendance nouvelle, bien conforme aux idées naturalistes du xviiie siècle, commence à se faire jour et les théologiens de l’orthodoxie traditionnelle sont obligés d’y faire face. La théorie de l’expérience personnelle prenait le pas sur la révélation objective par l’Écriture : on pensait par là faire plus facilement comprendre et admirer les enseignements de l’Écriture en les confrontant avec les instincts les plus profonds de l’humanité et même le simple bon sens. En réalité, on détruisait toute croyance objective. Aussi les théologiens attachés encore à l’orthodoxie s’empressèrent-ils de chercher une base plus objective de la divinité de l’Écriture sainte et une argumentation plus serrée en faveur de la vérité du christianisme : ils eurent recours soit à la méthode rationnelle, soit à la méthode historique.

Les disciples de Wolff adoptèrent la première manière. Ainsi Reinbeck veut tirer le principe de la Trinité de l’idée du Souverain Bien, qui est Dieu et que Dieu veut communiquer aux siens d’une manière absolue. Belrachtungen ùber die in der Augsburger Confession enthaltene und damit verknùpfte Wahrheiten, Berlin, 1731-1741. Bûttner déduit la Trinité du dogme de la rédemption : s’il y a une personne divine qui accomplit l’acte d’expiation, il doit y en avoir une autre qui accepte cet acte. Cursus theologiæ revelatse, 1746. Reusch, esprit net et positif, établit que la Trinité correspond en Dieu à trois ordres de pensée, l’ordre du nécessaire, du possible, du réel. Inlroductio in theologiam revelatam, Iéna, 1744. Des explications analogues se retrouvent chez Canz, Schubert, Carpov, Daries, Baumgarten et, en général, chez tous les théologiens qui cherchent encore à concilier les formules traditionnelles avec la philosophie. Contre le piétiste Joachim Lange, le luthérien Val. -Ernest Lôscher n’abandonne aucune des positions dogmatiques traditionnelles. Unschuldige Nachrichlen, Dresde, de 1702 à 1719.

On retrouve dans ces essais des échos de certains raisonnements de théologiens du Moyen Age, Bonaventure, Richard de Saint-Victor ou même saint Anselme. Cette attitude a persévéré chez certains luthériens jusqu’au xixe siècle. Plusieurs ont développé, sous des formes différentes, l’argument de Richard : Dieu, qui est amour, ne trouve pas dans le monde fini un objet digne de lui et qui le paie de retour. Cet objet de dilection, Dieu l’engendre, c’est le Fils qui, en conséquence, doit être éternel et Dieu comme le Père. Enfin, la communion ineffable du Père et du Fils se réalise en une troisième personne, lien vivant, éternel indissoluble des deux autres, le Saint-Esprit. Cf. J. Millier, Lehre von der Sùnde, 6e éd., t. ii, Brestau, 1877 ; Schôberlin, Die Grundlehren des Heils entwickelt aus dem Prinzip der Liebe, Gœttingue, 1848, p. 22 sq. ; Liebner, Die christliche Dogmatik aus dem christol. Prinzip, Gœttingue, 1849, 1. 1 (le seul paru), p. 108 sq. ; Sartorius, Die Lehre von der heiligen Liebe, Kônigsberg, 1861, p. 6-19 ; cf. Dorner, System der christlichen Glaubenslehre, Berlin, 1879, t. i, p. 391 sq.

D’autres théologiens adoptèrent la seconde manière et s’engagèrent à fond dans la critique historique : ce sont les théologiens de la première école de Tubingue. Mais leur entreprise, loin de consolider la foi, aboutit, en réalité, fréquemment du moins, à la ruiner. Tout en maintenant les formules, cette école détruit le dogme objectif de la Trinité et de l’incarnation. Flatt, Dôderlein, Tôllncr, professent le subordinatianisme et l’arianisme. Et, en christologic, en même temps que l’arianisme, ils enseignent le nestorianisme. Œuvre difficile pour des docteurs subordinatiens et ariens, que d’établir et de comprendre l’unité personnelle de deux êtres finis ! Cf. I.-A. Dorner, op. cit., p. 594-603.

3. La fin de l’orthodoxie. —

La décadence s’accentua par l’affirmation de la personnalité humaine du Christ (à partir surtout de 1750). Pour les unitaires, sabelliens modernes, un tel « progrès « simplifiait la question trinitaire. Plus n’était besoin de tenir compte d’un Verbe, personnellement distinct du Père. Aussi, de plus en plus, se répand une dogmatique nouvelle, la dogmatique pratique et populaire, qui écarte de l’enseignement pastoral les éléments spéculatifs, jugés inutiles pour la conduite morale de la vie. L’initiateur de cette dogmatique est J.-J. Spalding, dans son traité De l’utilité du ministère pastoral, Leipzig, 1772. Elle se retrouve chez J.-P. Miller, J.-J. Griesbach, G. Less, A.-J. Niemeyer et Ch.-F. von Ammon, tous de la fin du xviiie siècle. Du christianisme, doctrine populaire, le prédicateur a le devoir d’éliminer les éléments spéculatifs, jugés inutiles ; et sont rangés au nombre des dogmes embarrassants et secondaires les dogmes de la Trinité, des deux natures en Jésus-Christ, de la satisfaction vicaire, de la justification par la foi sans les œuvres. Plusieurs de ces auteurs se posent encore ri pendant comme des défenseurs de l’orthodoxie contre le rationalisme envahissant !

Lancée sur cette pente, la théologie en vint à vouloir corriger et compléter le christianisme : W.-A. Teller, professeur à Helmstedt et à Berlin, laisse de côté les dogmes de Dieu et de la Trinité et professe sa foi en la perfectibilité de la religion chrétienne. Bien plus, on veut justifier par la Bible de telles prétentions. Cf. H. -P. Henke, Lineamenta institulionum fidei christianæ, Helmstedt, 1794 ; Eckermann, Compendium theologiæ christianæ, 1791 ; Handbuch zum gelehrten und systematischen Studien der christlichen Glaubenslehren, 1811 ; Michælis, Compendium theologiee dogmatiese, Gœttingue, 1760 ; Semler, Einleitung zu Baumgarten’s Glaubenslehre, Halle, 1759 ; Spittler, dans son Abrégé de l’histoire de l’Église chrétienne, Gœttingue, 1782. Spittler et Henke attaquent violemment les dogmes fondamentaux de l’Église ; Planke leur témoigne une profonde indifférence et ce sentiment est partagé par les autres auteurs cités et la plupart des coryphées de la théologie négative de la fin du xviiie siècle, qu’on peut rattacher, pour leur tendance générale, aux idées de Semler.

Contre de tels excès, une réaction se dessine cependant, qu’inspire un réel sentiment religieux et chrétien. En ce sens, il faut citer Klopstock dans son poème religieux La Messiade ; Hamann, dont le langage sibyllin dépare souvent les nobles aspirations, théo* sophe plutôt que théologien ; Lavater, qui considère le christianisme comme une religion de l’humanité ; Claudius, qui a su opposer aux théories des novateurs les vérités d’un christianisme pratique mais respectueux du Rédempteur. Ces auteurs professent une réelle croyance en Jésus-Christ, en lequel Dieu s’est incarné pour se manifester à nous. Mais il serait exagéré de trouver en cette affirmation la moindre esquisse d’une restitution du dogme trinitaire. Leur christianisme est un christianisme vague, dégagé de toute « cristallisation » dogmatique.

Un seul auteur pourrait peut-être faire exception ; c’est Lessing (1729-1781). Le système religieux de Lessing est difficile à saisir. La révélation positive ne semble exister pour lui que dans les débuts de l’humanité et cette révélation primitive concerne l’ensemble des vérités rationnelles enveloppées sous une forme symbolique et sensible. Mais la seule révélation nécessaire à l’heure présente est une révélation intérieure, manifestation constante de la puissance de Dieu, dont la pensée créatrice agit sans cesse au dedans de nous ; de cette inspiration divine naît dans l’âme le sentiment religieux, sentiment qui peut se développer au point de nécessiter, exceptionnellement, d’autres révélations extérieures, miracles et prophéties par exemple, destinées à conduire l’homme aux principes spirituels. Lessing croit ainsi fermement à l’enseignement supérieur donné aux hommes par le Christ ; il croit non moins fermement en une intervention surnaturelle du Saint-Esprit dans la primitive Église. Mais, pour lui, l’essence de la religion se situe dans un ensemble de vérités éternelles, indépendantes de toutes circonstances historiques ou autres, de telle sorte qu’il peut y avoir une religion chrétienne qui ne soit pas la religion du Christ : l’abandon des preuves traditionnelles n’cntratne pas nécessairement la chute du christianisme lui-même. On ne s’étonnera donc pas que Lessing ne saisisse pas les liens qui rattachent le dogme de la Trinité à la christologic ; cet aspect essentiellement protestant du problème trinitaire l’intéresse peu : 1a Trinité est une de ces vérités éternelles qui existent par elles-mêmes. Elle n’est que l’évolution de la conscience que Dieu a de lui-même et Lessing conçoit cette évolution par analogie aux donne la connaissance que nous avons de nous-mêmes Le penser divin est un penser fécond et c’est par sa tééOB dite que le Fils est produit, image parfaite du l Entre l’image et le Père rèRnc l’harmonie la plus parfait.. * I a de harmonie est elle même Dieu : l’Esprit. Et elle est aussi nécessaire à la divinité que le l’ère (lie lils.Cf. Erziehung des Menschr.ngeschlr< hts, i 73 ; Das Christentum der Vernunft, § 1-12. (Luvres, Leipzig. 1858-1862, t. vi, p. 522 ; t. vii, p. 42. I bien là une réhabilitation de la Trinité ? N’est-ce pas plutôt, avec les formules traditionnelles reprises, un avant-goût des spéculations philosophiques du xixe siècle ? N’oublions pas que Harnack a qualifié certaines phrases de Lessing d’ « émancipatrices ».

En somme, dans cette période de transition, à la fin du xviiie siècle, tes protestants allemands, soit supranaturalistes (qui admettent encore une révélation), soit rationalistes (qui délaissent ou nient cette révélation), demeurent cependant encore d’accord sur un point : la foi en une vérité objective, tout au moins l’existence personnelle de Dieu.

Interprétations subjectives. —

Il est intéressant de constater que la philosophie de Kant a eu une répercussion considérable sur l’exposé du mystère de la Trinité. Kant n’a pas abordé lui-même ce problème. Mais Fichte, Schelling et Hegel, d’une manière plus ou moins directement dérivée de Kant, ont construit, chacun à leur manière, une doctrine philosophique de la Trinité.

1. Fichte. —

Tout au moins dans une évolution ultérieure de sa philosophie, Fichte place à la base de tout mouvement de la pensée, non plus le moi humain — qui a cessé pour lui d’être un facteur primordial pour devenir un simple produit de la pensée — mais l’être absolu objectif, ou Dieu, dans lequel l’individu se perd, comme une vague disparaît au sein de l’océan infini. Ce principe absolu s’individualise, ne fût-ce qu’un instant, dans chaque âme et les intelligences humaines sont autant de milieux éphémères de ces manifestations éternelles. Dieu s’aime dans l’homme et l’homme réalise la vérité de sa destinée en se sacrifiant à Dieu. On voit par là comment Fichte peut se rapprocher du christianisme. Plus tard encore, lui qui, dans sa Critique de toutes les révélations avait minimisé le rôle du Christ, sur la fin de sa vie, dans ses Leçons sur la science politique, Berlin, 1813, il affirme nettement le christianisme et la personne historique du Christ, dans lequel la grâce de l’amour divin a fait épanouir les dons précieux d’une volonté supérieure, dont Jésus était l’instrument et qui, comme telle, lui donnait conscience de lui-même. Jésus est ainsi la religion ou la raison absolue parvenue à la puissance de la conscience intuitive du moi, l’exposition parfaite et profonde de la parole éternelle. Seule la pauvreté spirituelle des siècles postérieurs l’a transformé en un idéal inaccessible. Lui, il aurait voulu que ses disciples reproduisissent sa nature et ses dons sous une forme parfaite. Par là, ce qui importe pour le chrétien, c’est moins la personne historique du Christ que l’effort pour faire, à l’exemple du Christ, vivre Dieu en nous. De telle sorte que la question du salut apparaît, en soi, indépendante de la foi en la Trinité et en la personne du Christ. Sans doute, en réalité, personne ne vient au Père que par le Fils et par l’Esprit, mais le Fils et l’Esprit peuvent assurer le salut des rachetés sans que ceux-ci en aient nécessairement connaissance. La non-intelligence de la Trinité constitue un simple état d’ignorance, que l’éducation se charge de dissiper. On doit se contenter d’enseigner que Dieu s’est manifesté, non en paroles, mais par des faits, comme Père, Fils et Saint-Esprit. Conformément au système philosophique de Fichte (qui n’est qu’un panthéisme déguisé), Dieu est, de toute éternité, ce que sont et ce que font les âmes, qu’il pénètre de son esprit. Il est tout, et c’est en quoi il est Père, et il n’y a rien en dehors de lui. Le Fils réalise sous une forme parfaite et absolue, comme dans le Christ, la contemplation par l’âme du royaume de Dieu. En tant qu’Esprit, Dieu crée un cœur nouveau en tous ceux qui s’approchent de lui ; et c’est en cela qu’est constitué le miracle par excellence. Ainsi, la Trinité n’est qu’un aspect du système panthéiste de Fichte ; elle n’est que l’action d’une divinité, non pas abstraite, mais impersonnelle sur des âmes qui, pour réaliser leur propre perfection, doivent s’abîmer en elle, ne fût-ce qu’un instant. Cf. Dorner, op. cit., p. 658 sq.

2. Schelling. —

La Trinité de Schelling dépend d’un système philosophique empreint d’un panthéisme gnostique : c’est Dieu se contemplant lui-même et émanant de lui-même. Schelling est le fondateur de la philosophie de la nature, qui embrasse l’absolu au point de vue physique. L’univers forme un organisme absolu et parfait, dont Dieu constitue l’âme, trouvant en lui son éternelle actualité. Ainsi Dieu devient éternellement homme par l’éternelle évolution de la nature, et l’histoire du monde est l’histoire de Dieu lui-même.

Dans le Dieu éternel, il y a trois puissances rattachées entre elles par une unité primitive et indissoluble, la puissance de l’être sans limite, l’être pur, et l’immuable dans l’acte. C’est par l’évolution de Dieu dans l’humanité actuelle que ces trois puissances ont donné naissance aux personnes trinitaires. Pour créer le monde, il était nécessaire que Dieu produisît la matière d’un monde possible, avant que sa volonté créatrice pût réaliser sans obstacle et sans contrôle son plan éternel dans le monde idéal. Voici le monde créé ; mais l’homme primitif reflète en lui-même dans ce monde l’unité des puissances, éternelle en Dieu. Le devoir imposait à l’homme l’obligation de maintenir en lui l’harmonie des trois puissances. Il ne le fit point, détruisant l’unité indissoluble des puissances : ce fut le signal d’une usurpation sur les puissances d’ordre de la matière grossière et chaotique. Néanmoins le but final du monde n’en demeure pas moins ce qu’il était à l’origine, l’unité des puissances. « Pour rétablir l’harmonie primitive. Dieu laisse les deux autres puissances, unies éternellement en lui, se séparer et apparaître sous une forme distincte dans le développement historique de l’humanité… Le développement historique de la deuxième puissance divine au sein de l’humanité assure à notre race déchue la domination sur les forces de la nature, dont la chute avait coïncidé avec la sienne. Cette deuxième puissance, qui a reconquis la vertu de l’être, devient homme en Jésus de Nazareth, mais accomplit le sacrifice moral et volontaire de sa grandeur et de sa gloire, parce que la simple humanité, bien que bonne en elle-même, se trouve en dehors de l’essence divine et ne participe pas encore à la vie centrale et universelle. L’Homme-Dieu accomplit le sacrifice de sa gloire, de son être extra-divin, pour rentrer dans l’ordre harmonieux et primitif de la Divinité. Enfin, l’Esprit-Saint qui procède de lui, ramène à Dieu l’humanité déchue. À l’origine, les principes étaient unis en Dieu ; la chute de l’homme, qui a réagi jusqu’au sein de l’essence divine, soulève ces principes l’un contre l’autre. Il n’en est pas moins vrai que Dieu est resté éternellement maître des puissances qui sont en lui, bien qu’il les ait laissées se diviser et se combattre dans le développement de l’humanité historique… La puissance simultanée des principes en Dieu est remplacée par l’/iomoousie du second et du troisième principe, devenus personnes dans le cours du développement historique, et des personnes en communion avec le Père, qui est personnel de toute éternité. » I.-A. Dorner, op. cit., p. 682-683. Cf. Schelling, Vorlesung iiber die Metltode der acad. Studien, Iéna, 1803, p. 184, 192.

On voit, par cette analyse, l’effort accompli par Schelling pour adapter le dogme chrétien à son système philosophique. Il reste que le panthéisme qui est ici sous-jacent, l’évolutionnisme appliqué à Dieu et aux personnes divines sont deux points absolument inacceptables pour le catholicisme.

3. Hegel. —

Hegel, comme Schelling, affirme l’identité de l’être et de l’idée ; pour lui aussi, tous les phénomènes de notre univers sont l’évolution d’une seule et même substance infinie. Mais, tandis que Schelling l’étudié au point de vue physique, Hegel l’envisage au point de vue logique. Suivant Hegel, en effet, c’est l’idée qui, par son développement, fournit les cadres de la logique, tant qu’elle reste abstraite ; mais cette idée se revêt d’un caractère concret pour constituer le monde extérieur ; et, pour former le monde de l’esprit, elle prend conscience et libre possession d’elle-même. Ainsi l’idée, envisagée en elle-même, est quelque chose qui se retrouve en toutes choses, en ce qui est et en ce qui n’est pas ; elle est à la fois être et non être, c’est l’être universel, indéterminé.

L’idée ou l’esprit universel est ainsi la force productrice de toutes choses… Semblable à un germe, elle se développe progressivement, produisant successivement le règne minéral, le règne végétal, le règne animal, l’homme enfin qui termine le développement de la substance éternelle et devient l’organe des évolutions ultérieures de l’esprit universel. En sorte que toutes les religions sont une suite naturelle de l’évolution inhérente à l’être universel ; toutes sont divines, légitimes et vraies dans leur temps et leur lieu et chacune d’elle sert de base à la religion qui doit lui succéder, jusqu’au moment où se réalisera la dernière évolution du sentiment religieux, qui sera la religion universelle.

Cette théorie fondamentale sert de base à Hegel pour expliquer le dogme trinitaire en fonction du développement de l’idée. L’absolu, qui constitue cette idée pure, traverse, dans son développement, trois moments essentiels :

Celui de l’Idée en soi est le règne du Père, de Dieu encore considéré comme idée abstraite et antérieure au monde réel ; cependant l’Idée tend à sortir d’elle-même, à s’objectiver, à se réaliser à travers d’innombrables négations ; le second moment, celui du développement de l’Idée dans le monde, correspond à la seconde personne de la Trinité, au Fils ; enfin, de même quo l’Idée ne doit pas demeurer à l’état d’abstraction, mais se donner un contenu objectif, de même le monde est destiné à être de nouveau saisi et pénétré par l’Idée ; il en résulte que l’Idée et le monde tendent de nouveau à se rencontrer et à s’identifier ; cette synthèse de l’idéal et du réel, ce moment où l’absolu arrive à se connaître comme esprit absolu à travers l’épanouissement des choses finies correspond à ce que l’Église appelle le Saint-Esprit. Ainsi, Dieu, conçu comme sujet absolu, est le Père ; Dieu, s’opposant lui-même à lui-même comme objet, est le Fils ; Dieu s’opposant lui-même comme sujetobjet, est le Saint-Esprit.

On reconnaît en ces formules la doctrine hégélienne, thèse, antithèse et synthèse. Voir surtout, dans les œuvres de Hegel, Religionsphilosophic, publié par Merheineke, Berlin, 1832 ; cf. J. Hessen, Hegels Trinitâtslehre, Fribourg-en-B., 1922.

4. Influence de Schelling et de Hegel. —

Plusieurs philosophes reprirent et développèrent les mêmes idées. On doit citer Daub, Einleitung in die Studien der Dogmalik, Heidelberg, 1810, p. 65 sq. ; Merheineke, Die Grundlehren der christlichen Dogmatik (influence prépondérante de Schelling), Berlin, 1819, p. 123 sq., 174 sq., 254 sq. Cet ouvrage eut, en 1827, une nouvelle édition, avec un titre modifié : Grundlehren der christlichen Dogmatik als W issenschaft (influence directe de Hegel). Dans le même sillage, avec certaines nuances : Conradi Selbstbeivusstsein und Offenbarung, Mayence, 1839 ; Kritik und Dogmen, Christus in der Vergangenhrit, Gegenwart und Zukunft ; Gôschel, Beitrûge zur speculalwen Philosophie von Gott, dem Menschen und drm Gotteimensch’n, Berlin, 1839 : C.-H. Weisse, Die Idée der GoUheit, I.’ipzig, 1832 ; Zur Vrrlheidigung des Begriffs der immanenlm Wrsenstrinilât, id., 1841 ; Pkllotophische Dogmatik, Id., 1855-1862. Pour donner une Idée de ces sortes de spéculations, disons que Merheineke se refuse à admettre une Trinité en dehors du monde. Le inonde > t Dieu dans son être en dehors de lui-même, et, sous sa forme objective, le h Dieu ; quant au Saint-Esprit, c’est l’humanité réconciliée avec Dieu par l’Église. Dieu est ainsi l’essence de l’homme et l’homme est la réalité de Dieu.

La « théologie hégélienne » sera défendue quelque temps encore par des partisans convaincus et sincères, comme Erdmann, Conradi, Gôschel et Rosenkrantz. D’autres auteurs continueront à donner aux formules de l’ancienne orthodoxie une portée philosophique et une signification spéculative qui n’a rien de commun avec le dogme : par exemple Fichte fils, Einige Bemerkungen ùberden U nterschied der immanenten und der Offenbarunstrinitàt, dans sa Zeitschrift fur Philosophie und spéculât. Théologie, 1841 ; Zukrigl, Wissenschaftliche Rechtfertigung der christlichen Trinilàts-Ichre gegen ihre neuesten Gegner (contre Strauss), Vienne, 1846 ; Ulrici, Ueber den Begriff der Trinitàt, dans Deutsche Zeitschrift fur christ. Wissenschaft und christ. Leben, 1853 ; Peip, art. Trinitàt. dans la Realencycl. de Herzog, 2e éd., t. xvi. Mais cette position paradoxale devait bientôt succomber sous les coups de Becker, de Jules Muller, de Feuerbach et surtout de Strauss, l’auteur de la Vie de Jésus. Ce dernier n’hésite pas à déclarer le dogme de la Trinité périmé et désormais sans valeur en regard des droits de la raison : Wcr das Symbolum Quicumgue beschworen hat, der hal den Gesetzen des Denkens abgeschwore.n. Der aile und neue Glauber, p. Il sq. Sur les ruines du dogme traditionnel, Schleiermacher tentera de construire un nouvel édifice.

IV. ADAPTATION MODERNISTE PROTESTANTE. —

On sait que Schleiermacher peut être à bon droit considéré comme l’initiateur de ce renouveau religieux du protestantisme contemporain, renouveau issu de l’expérience religieuse que chaque croyant doit éprouver en lui-même.

On a vu par les exposés précédents que, d’une part, le rationalisme antitrinitaire accepte en fait les arguments opposés au dogme par les sociniens et les unitaires ; que, d’autre part, les supranaturalistes n’ont jamais eu le courage (à part Leibniz) de défendre le dogme dans sa formule rigoureuse. Cette formule fut soumise par Schleiermacher à une critique serrée. Schleiermacher conserve la Trinité sans doute ; mais il ne l’envisage pas au point de vue de la théologie orthodoxe comme une vérité conçue en dehors de nous et de. nos expériences religieuses. Pour lui, la dogmatique ne saurait être que la description et l’explication des phénomènes de la conscience chrétienne ; le dogme trinitaire prend donc chez lui une place différente de celle que lui assignait le système orthodoxe. Notre conscience religieuse, ne dépassant pas le domaine de l’expérience immédiate, n’a ni la prétention ni le moyen d’affirmer quoi que ce soit touchant l’essence divine considérée en elle-même. C’est de l’impression que lui laisse la personne du Christ qu’elle conclut à l’union de Dieu avec l’humanité en Jésus-Christ. C’est des effets divins produits au sein de l’Église qu’elle peut remonter à leur causalité divine, c’est-à-dire à l’œuvre de Dieu accomplie dans l’humanité par l’Esprit de Dieu. La conscience religieuse allume don deux faits : union parfaite de Dieu avec Jésus-Christ ; action de l’Esprit de Dieu dam la communauté chrétienne. Mais elle ne saurail aller au-delà et transformer ces faits de l’expérience subjective en relation immanentes dans l’être divin, c’est-à-dire les ramener à dl s personnes distinctes constituant l’essence unique de Dieu. Franchir ainsi les limites Imposées par IV i rience à la connaissance, c’est substituer la spéculation et la métaphysique à la religion et à la foi. La Trinité née doit dune être sacrifiée à la Trinité d< la i latton, c’est-à-dire à la Trinité économique. Ainsi, tandis que la spéculation hégélienne pari da l’a priori "lu et fait du dogme trinitaire la fondement du me dogmatique, le dogme trinitaire. pour Schleiermacher, ne peut être envisagé que comme le couronnement de l’édifice : il ramène à l’unité et exprime dans leur ensemble les expériences religieuses faites par la conscience chrétienne sous l’impression de la rédemption et de la régénération. Cf. Schleiermacher, Glaubenslehre, § 170-172 ; Ueber den Gegensatz der sabellianischen und der athanasianischen Vorstellung von der Trinitàt, dans Theol. Zeilschrijt de Schleiermacher, 1822. Cette étude, dans laquelle l’auteur justifie historiquement sa préférence pour la Trinité économique, se trouve dans ses Œuvres complètes, Berlin, part. I, vol. ii, p. 485-574. Cf. Alex. Schweitzer, Christliche Glaubenslehre, Leipzig, 1872, § 102 ; Lobstein, Essai d’une introduction à la dogmatique protestante, Paris, 1896, p. 224-227. Voir aussi Hase, Evangelische protestantische Dogmatik (2e éd.), Stuttgart, 1870, p. 222-224 ; M.-H. Schultz, Theol. Literaturzeilung, 1879, p. 500 ; Die Lehre von der Gotlheit Christi, Gotha, 1881, p. 605 ; M. Bovon, Dogmatique chrétienne, Lausanne, 1893, t. i, p. 236 sq. ; t. ii, p. 389-408.

Cette perspective nouvelle, qui transforme totalement la nature du dogme en lui enlevant son caractère objectif pour en faire un simple couronnement ou mieux une traduction de nos expériences religieuses, a exercé, en France, une profonde influence sur le protestantisme contemporain. De Harnack, Das Wesen des Christentums, Leipzig, 1899 (tr. fr., Paris, 1902 et 1907), ce symbolo-fidéisme est passé chez A. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la religion d’après la psychologie et l’histoire, Paris (7e éd.), 1903 ; Les religions d’autorité et la religion de l’Esprit, Paris (2e éd.), 1904. Mais, de cette expérience religieuse, que peut-on déduire touchant la réalité objective du mystère ? En somme, c’est nous qui créons le dogme, ou tout au moins nous l’envisageons comme un postulat de notre vie religieuse. Pratiquement, certains auteurs, poussant à l’extrême logique le système, en viennent à nier purement et simplement la Trinité : « La piété chrétienne connaît un seul Dieu, personnel, saint et aimant, vraiment paternel. Elle connaît la personnalité de Jésus et l’action personnelle de l’Esprit au plus secret des cœurs… La théologie chrétienne doit examiner les problèmes qui en résultent et conclure à la divinité morale de Jésus sur la terre, à la divinité actuelle ( ?) du Christ, en écartant la divinité préhistorique de Jésus et la divinité personnelle de l’Esprit. Aussi, elle n’aboutit pas à une réelle Trinité, mais bien à l’unité de Dieu, à la paternité du Dieu unique, à la filialité non métaphysique, mais morale de Jésus ; à la communion filiale de Jésus avec son Père sur la terre, à la dualité de Dieu et du Christ dans la puissance céleste, à l’action de Dieu ou du Christ sous la forme de l’Esprit… La doctrine de la Trinité est une doctrine philosophique… parfaitement inutile à la vie religieuse. » G. Fulliquet, Précis de dogmatique, Genève-Paris, 1912, p. 219, 222. Cette conclusion d’un auteur protestant estimé est la meilleure critique qu’on puisse faire de la prétendue rénovation religieuse opérée par le modernisme de Schleiermacher et de ses innombrables disciples.

Conclusion. —

On voit par ce qui précède la courbe suivie par le protestantisme. Finalement, avec des nuances diverses — sauf chez un petit nombre d’auteurs fidèles à l’orthodoxie — c’est un rationalisme explicite ou déguisé qu’on trouve sous les formules traditionnelles, conservées peut-être uniquement parce qu’il est difficile de les récuser devant les simples fidèles. Sans doute, la plupart des protestants, même libéraux, s’élèvent contre l’appellation d’antitrinitaires. Pfleidcrer, par exemple, considère que l’unitarisme, loin d’être un progrès, constitue au contraire un retour à la théologie inférieure des Juifs. Et pour tant le dogme officiel n’a, pour lui, qu’une valeur symbolique et c’est en ce sens seulement qu’il peut justifier l’adoration due au Christ. Cf. Grundriss der christlichen Glaubenslehre, Berlin, 1880, p. 118-123. On retrouve les mêmes idées, quant au fond, chez É. Saisset, Michel Servet, dans la Revue des deux mondes, 1848, t. xxi a, p. 606, et chez Vacherot, Histoire critique de l’École d’Alexandrie, t. i, Paris, 1846, p. 290-293.

Il suffit d’ailleurs de lire l’article de Lobstein, Trinité, dans l’Encyclopédie de Lichtenberger, pour se rendre compte de cette tendance. Nous en avons cité plus haut, voir col. 1772, un passage se rapportant à l’interprétation des données scripturaires. D’après cet auteur, l’Écriture ne nous donnerait que les éléments d’une trinité économique et non « de la trinité toute spéculative de la métaphysique ecclésiastique ». Il ajoute que « l’histoire de la lente et laborieuse formation du dogme est, en outre, alléguée comme un critique décisive de celui-ci ; il suffit, dit par exemple Strauss, d’en décomposer et d’en examiner les facteurs pour en achever la ruine : solidaire de la christologie, il tombe avec elle et les indécisions qui enveloppèrent longtemps des points essentiels de la doctrine prouvent combien peu celle-ci est autorisée à en appeler au consensus de l’Église… » Enfin, le dogme en lui-même présente, dit-on, d’inextricables difficultés. Et l’on conclut par la condamnation des méthodes et des procédés de l’orthodoxie, laquelle, abandonnante terrain de la révélation historique et de l’expérience chrétienne, a eu la prétention de nous initier aux mystères de la vie divine, d’en fixer les relations essentielles, d’en préciser les modalités internes. N’est-ce pas méconnaître entièrement le caractère moral et religieux de l’œuvre du salut que de faire dépendre ce salut de l’admission d’une doctrine qui, dans la formule précise qu’on veut imposer à l’intelligence, relève exclusivement de la théologie et non de la religion ? » Art. cit., p. 228. Et comme conclusion dernière : « il ne nous est pas permis de transformer les affirmations de la conscience chrétienne en axiomes métaphysiques exprimant des relations essentielles et immanentes en Dieu », p. 230. Voir en ce sens, Baur, Entwickelungsgeschichle von der Menschwerdung Gottes und der Trinitàt, 3 vol., Tubingue, 1841-1843 ; W. Meyer, Die Lehre von der Trinilât in ihrer historischen Entwickelung, Gœttingue, 1844 ; F. Strauss, Die christliche Glaubenslehre, § 32, Tubingue, 1840-1841 : A.-E. Biedermann, Christliche Dogmatik, Zurich, 1869, p. 412-417 ; 611-616 ; Chenevière, Du système théologique de la Trinité, Genève-Paris, 1831 sq.

V. LE SEMIRATIONALISME CATHOLIQUE ET LES INTERVENTIONS DE L’ÉGLISE. —

Caractères généraux du semirationalisme catholique (Voir Semirationalistes, t. xi v, col. 1850). —

L’exposé qui précède était indispensable pour montrer comment la position adoptée par nos théologiens catholiques catalogués « semirationalistes » s’explique en raison des erreurs qu’ils avaient la prétention de combattre, tout en s’inspirant des principes qui les avaient engendrées chez les protestants.- Hermès tient de Kant la distinction entre raison théorique et raison pratique ; Gûnther adopte l’évolutionnisme hégélien ; Frohschammer ne recule pas devant le rationalisme appliqué aux mystères : essais qui pouvaient paraître séduisants à leurs auteurs, essais cependant d’avance voués à l’échec : tels principes, telles conclusions.

1. Hermès, le premier, a voulu faire de la foi un assentiment de la raison comme telle à des vérités qui s’imposent nécessairement à elle. C’est ainsi que le concile du Vatican a compris son système et l’a rangé parmi les erreurs semirationalistes. La foi dont Hermès s’est fait le protagoniste n’est pas la foi qui adhère à la vérité propter audoritatem Dei loquentis ; mais la vérité est acceptée et crue solummodo propter perspectum intrinsecum nexum idearum. Schéma sur la doctrine catholique, note 14, dans Coll. Lacensis, t. vii, col. 527 d ; cf. Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. i, p. 591. Pour Hermès, « la foi est en nous un état de certitude ou de persuasion de la vérité de la chose connue ; et nous sommes amenés à cet état par un assentiment nécessaire de la raison théorique eu par un consentement nécessaire de la raison pratique ». Introduction philosophique à la théologie, 2e éd., Munster, 1831, p. 259. Si l’autorité seule était le motif de l’assentiment de foi, il n’y aurait plus, ajoute Hermès, aucune certitude danslafoi. Ibid., p. 265. C’est doncàjuste titre que déjà Grégoire XVI reprochait à Hermès de considérer « la raison comme la règle première et le moyen unique qui puissent permettre à l’homme de parvenir à la connaissance des vérités surnaturelles ». Bref Dum acerbissimas, 26 sept. 1835, Denz.-Bannw., n. 1619.

2. Günther considère que la question mère de la philosophie est la théorie de la connaissance ; cette théorie doit chercher ses bases dans la conscience du moi. S’inspirant de la méthode de Descartes, Gùnther s’applique à déterminer comment, des phénomènes de la conscience, nous passons à la connaissance de nous-mêmes, du monde extérieur et de Dieu. Nous avons entendu Schelling et Hegel affirmer l’identité de l’être et de l’idée : pour eux, tous les phénomènes de l’univers sont le résultat de l’évolution d’une seule et même substance infinie. Sans doute, Gùnther ne se rallie pas complètement à cette métaphysique : il rejette le panthéisme et maintient une distinction entre la substance divine et la substance du monde ; il admet néanmoins que tous les êtres créés sont des manifestations diverses d’une seule et même substance, la nature. Inconsciente dans les êtres inférieurs, la nature devient consciente dans l’homme. Cette conscience du moi est pour l’homme le principe même de sa personnalité. Cette définition de la personnalité dérive en ligne directe de Descartes ; mais on la trouve déjà appliquée à la Trinité chez un théologien anglican du xviie siècle, Sherlock. Voir Leibniz, / » epist., Defmitiones. .. etc., dans le Cursus theologicus de Migne, t. viii, col. 759. Sur la portée de cette notion dans la théologie catholique, voir Hypostatique (Union), t. vu. col. 554. C’est en partant de cette notion de la conscience du moi, que GOnther prétend apporter une démonstration véritable du mystère de la Trinité. Voir plus loin. La possibilité de cette démonstration repose sur un autre principe, connexe au principe de l’évolution de Hegel. Il y a aussi une évolution dans la connaissance : la raison doit connaître de mieux en mieux toutes les vérités, y compris celles qu’on appelle mystères. Il y a plusieurs étapes dans la connaissance de ces mystères. La foi aveugle qui adhère à une vérité sur le seul témoignage de Dieu est une première étape ; la dernière étape sera la parfaite intelligence de cette vérité. L’intelligence des vérités divines devient, au cours des âges, de plus en plus parfaite, par suite du progrès des sciences et de la philosophie. Ainsi les jugements doctrinaux de l’Église n’ont rien de définitif ; formules provisoires, opportunes pour certaines époques, elles feront un jour place à d’autres formules et à d’autres définitions dans lesquelles apparaîtra une meilleure intelligence des dogmes. C’est à cause de ces prétentions que Pie IX reproche a GOnther d’introduire dans la théologie le système déjà réprouvé du rritionalisme et de donner à la raison une place prépondérante, qu’elle ne devrait pas avoir en regard de la foi. Bref Fximiam tuam, 15 juin 1857, Denz, Baumv., n. 1055, 1656. Sur la théorie générale de GOnther relativement au progrès rationnel de la vérité chrétienne. voir Franzelin, De Traditione, 2e éd., p. 309 ; Kirchenlexicon, art. Gùnther, t. v, p. 1324 ; Vacant, op. cit., t. ii, n. 839 sq. ; et ici art. Gùnther, t. vi, col. 1992.

3. Frohschammer céda à la même tendance qu’Hermès et que Gùnther. Toutefois, il admet que, si la révélation est nécessaire pour nous manifester les mystères, nous pouvons néanmoins par les principes de la raison, en avoir, après leur révélation, une certitude naturelle et scientifique. Frohschammer appliquait cette doctrine à tous les mystères sans exception, même à ceux qui, comme l’incarnation, sont fondés sur la libre volonté de Dieu. Pie IX, Lettre Gravissimas inter, Il décembre 1862, Denz.-Bannw., n. 1668. Il rejoignait ici Gùnther qui, tenant toutes les œuvres de Dieu ad extra pour des effets nécessaires de la bonté divine, se voyait obligé de confondre les mystères que la théologie considère comme des effets libres de la volonté de Dieu et ceux qui, en Dieu, ont une existence nécessaire, tel le mystère de la Trinité.

D’autres semirationalistes cependant maintenaient cette distinction et, tout en reconnaissant l’impuissance de la raison à connaître les mystères libres, refusaient de ranger la Trinité et les dogmes relatifs à l’essence nécessaire des choses, parmi les objets excédant la connaissance naturelle de la raison. Nous n’avons sur ce point aucun nom propre cité dans les Acta du concile du Vatican ; mais la distinction entre ces deux sortes de semirationalistes est expressément proposée à la note 12 du schéma de la constitution De doctrina catholica. Coll. Lac, t. vii, col. 525 be ; cf. Vacant, op. cit., p. 589.

4. L’ontologisme, qui affirme pour l’homme la nécessité de connaître toutes choses en Dieu devait, chez quelques-uns de ses partisans, aboutir à des théories analogues. Ce fut le cas de Rosmini. Comme Gùnther, Rosmini se ressent d’une influence profonde de Hegel. Voir ici t. xiii, col. 2926. La théorie de la connaissance d’après Rosmini semble confondre connaissance de l’ordre naturel et connaissance de l’ordre surnaturel. Voir prop. 36 et 37, art. cit., col. 2947-2948. De sorte que, comme Frohschammer, le philosophe italien admet, pour la raison humaine, la possibilité de démontrer l’existence de la Trinité, prop. 25, 26, art. cit., col. 2941.

Explications positives du mystère de la Trinité.

1. Au début du xixe siècle, un auteur, aujourd’hui bien oublié, a présenté trois démonstrations de la Trinité : c’est Mastroflni (1845), Metaphysica sublimior, t. III, IV, V. La première part de l’idée de raison suffisante de l’existence propre, qui suppose, d’un côté, un principe d’existence, le Père, de l’autre, une hypostase procédant de ce principe, le Fils. La commune action de ces deux hypostases crée entre elles un troisième principe, le Saint Esprit. La deuxième démonstration s’appuie sur « la quantité de la force créatrice que Dieu contient en lui » (sic) : puissance créatrice des substances, des espèces et des individus, ce qui, d’après l’auteur, poserait en Dieu trois puissances créatrices infinies, trois personnes. Enfin, la manifestation de la gloire divine exige une deuxième personne, distincte de la première, et qui en soit l’Image manifestant la splendeur de la gloire du Père. Une troisième personne est nécessaire, distincte de la première et de la seconde, pour connaître la manifestation de la gloire divine. Sur ces singulières « démonstrations », voir Franzelin. De Dro trino. th. xviii, p. 281-285. Il semble que Mastroflni ait emprunté certaines idées de son système a Peutinger, lirliqiôse Ofjenbarung und Kirche, Salzbourg, 1785, p. : <78. Cf. Schwetz, Theologta dogmatica, t. i, p. 502.

Encore en Italie, il faut signaler la démonstration * présentée par liosmini. Se reporter à Rosmini. t. m. col. 2941, prop. 25, 26.


2. Günther est expressément indiqué dans le bref Eximiam de Pie IX comme ayant construit une explication erronée de la Trinité. Denz.-Bannw., n. 1655. Voici cette explication, toute a priori comme celle de Hegel :

Dieu n’a pas conscience de lui même par son essence, car ce serait admettre en lui une seule conscience de soi, donc une seule personne. Si Dieu se connaît, ce ne peut être que par les trois personnes qui sont en lui ; c’est en s’opposant lui-même comme sujet à lui même comme objet et en affirmant en même temps l’égalité de ce sujet et de cet objet. Le sujet ayant conscience de lui-même est la première personne ; l’objet ayant conscience de lui-même est la seconde personne ; la conscience de l’égalité de ce sujet et de cet objet constitue la troisième personne. La substance divine se trouve ainsi « triplée ».

Et voici comment cette Trinité nécessaire se relie à une création nécessaire. En se distinguant des deux autres, chaque personne nie qu’elle soit une autre personne et c’est précisément cette négation d’une chose infinie et absolue qui fait naître en Dieu la conception du fini et du relatif. Cette connaissance des êtres finis une fois posée, la bonté de Dieu exige qu’il donne l’existence à ces êtres non divins. Ainsi la création, suite de la Trinité nécessaire, est elle-même nécessaire. Nécessité qui se répercute sur la création de l’homme, son élévation à l’état de justice originelle, et, ensuite de la faute d’Adam, sur la rédemption. Sur la théorie trinitaire de Gùnther, voir Franzelin, op. cit., p. 285. Cf. Gùnther, Vorschule zur speculativen Théologie des posiliven Christenlhums, 1828-1829, 1. 1, p. 104 sq. ; 119 sq., 352 ; t. ii, p. 291 sq., 535 539, 553 sq. Voir aussi Peregrins Gastmahl, 1830, p. 149, 565 ; Thomas a scrupulis, 1835, p. 177-181, 188, 193-197 ; Janus Kôpfe fur Philosophie und Théologie, 1833, part. II, p. 272-279, 334-340 ; Eurysleus und Héraclès, p. 449 sq., 508 sq., 512 sq., et les Annales Ludia, 1849, p. 245 sq… 331-333 ; 1851, p. 166 sq., 310 sq. ; 1852, p. 260, etc. Voir aussi Kleutgen, De ipso Deo, n. 939 ; Théologie der Vorzeit (2e édit.), t. i, p. 339 ; Piccirelli, De Deo uno et trino, n. 1130 sq.

Les théologiens catholiques font observer qu’en Dieu la triple conscience triplant les personnes (ce que Günther appelle le processus théogonique) aboutit à un véritable trithéisme. En effet « entre les personnes envisagées de cette manière, il n’y aurait pas unité numérique de nature et de substance, mais seulement égalité de nature et concours de chaque personne à la formation des deux autres ? Les trois personnes ainsi comprises seraient donc trois dieux : ce qui est absolument contraire à la conception catholique de la Trinité ». Vacant, op. cit., p. 131 ; cf. Katschthaler, Zwei Thesen fur das allgemeine Konzil : die numerische Wesenseinhcit der drei gôltlichen Personen, Ratisbonne, 1868.

3. Plus près de nous, H. Schell, s’inspirant sans doute du même point de vue que Frohschammer, estime qu’après la révélation du mystère il est possible d’en fournir une explication convaincante, positive et scientifique. Ce fut là sa première préoccupation dans l’enseignement théologique, sa thèse doctorale à Tubingue étant Das XVirken des Dreieinigen Gottes. Voir ici, t. xiv, col. 1276. Cette activité essentielle de Dieu, où se retrouve le dynamisme platonicien mêlé aux conceptions intellectualistes de saint Thomas, se retrouve dans son enseignement : Katholische Dogmatik, Paderborn, 1890, t. ii, p. 21 sq. Cf. Chr. Pesch, Ende der Schell-Frage, dans Slimmen aus Maria Laach, t. lxxiii, p. 550 sq. ; De Deo uno et trino, n. 495, note 1. Voir un exposé détaillé de la doctrine trinitaire de Schell dans L. Janssens, op. cit., p. 417429.

Dans cette « démonstration » fort obscure, Schell envisage l’essence divine comme une pensée active, produisant par nécessité logique une lumière spirituelle, qui est la parfaite intelligence de soi-même. En tant que Dieu pense et dit cette logique nécessité et la parfaite intelligence qui en résulte, il est le Père ; en tant qu’il exprime cette nécessité logique et l’intelligence qui en résulte, il procède du Père et en tire son origine ; c’est le Fils. Tout s’achève en une nécessité éthique, laquelle complète la nécessité logique : l’existence divine devient alors un effet de la volonté infiniment active en même temps que de la vérité essentielle à Dieu. Par cet acte de volonté éternelle, Dieu est principe de spiration et le Saint-Espiit s’origine nécessairement à ce principe.

On reconnaît ici une excellente intention de « catholiciser » Hegel et Gùnther. Il est difficile d’affirmer que l’auteur y ait réussi. On comprend cependant le succès obtenu en Allemagne par sa thèse. Au point de vue de l’orthodoxie, on doit cependant lui faire un reproche sérieux, celui d’avoir voulu introduire un élément de nécessité logique dans l’explication. Même révélé, le mystère ne saurait être expliqué. La théorie psychologique d’Augustin et de Thomas d’Aquin est une comparaison, non une explication scientifique du mystère. C’est ce qu’oublient les théologiens, rationalistes ou semirationalistes, qui, reprenant les erreurs signalées au Moyen Age, tombent dans le même défaut que leurs lointains devanciers.

Les condamnations de l’Église. —

Explicites s’il s’agit des tentatives de démonstration rationnelle des mystères en général, elles sont implicites à l’égard de la démonstration rationnelle du mystère de la Trinité. On se souviendra cependant que le concile du Vatican se préparait à promulguer, sur ce point, une doctrine officielle.

1. Réprobations explicites. —

Elles sont indiquées ici à Mystère, t. x, col. 2585, 2587. Cf. Notes au schéma de la constitution De doctrina christiana, n. 12 et 24, dans Collectio Lacensis, t. vii, col. 525, 537. Les principales sont : Grégoire XVI, Encycl. Mirari vos, Denz.-Bannw., n. 1616 ; Dum acerbissimas, ibid., n. 1619 ; Pie IX, Qui pluribus. ibid., n. 1639 ; Singulari quadam, ibid., n. 1642, 1645 ; Eximiam tuam, ibid., n. 1656 ; Gravissimas inter, ibid., n. 1669, 1671, 1672, 1673 ; Tuas libenter, ibid., n. 1682 ; Sgllabus, prop. 9, ibid., n. 1709 ; Concile du Vatican, sess. iii, c. iv, § 2, ibid., n. 1796 ; De fide et ratione, can. 1, ibid., n. 1816.

2. Réprobation des tentatives de démonstration du mystère de la Trinité. —

Dans le bref Eximiam, Pie IX déclare qu’ « on lit dans les ouvrages de Günther des doctrines qui s’éloignent considérablement (non minimum aberrant) de la véritable foi et explication catholique en ce qui concerne l’unité de la substance divine en trois personnes distinctes et éternelles ». Denz.-Bannw., n. 1655. Cette déclaration n’indique pas sur quel objet précis elle porte. Mais, à coup sûr, elle vise tout au moins la façon dont Günther entend démontrer l’existence de la Trinité, sinon également l’explication qu’il en donne, vraisemblablement les deux aspects du problème.

Au concile du Vatican, sans doute, la constitution Dei Filius se tait sur la question de savoir si la Trinité rentre dans les mystères inaccessibles à la raison, même après la révélation qui en peut être faite par Dieu. Toutefois, des indices non équivoques nous obligent à considérer comme atteintes implicitement par la condamnation formulée au concile les tentatives du rationalisme et du semirationalisme concernant la Trinité.

Un indice général se trouve dans le schéma primitif de la constitution, c. i, où se trouvaient condamnés le matérialisme et le panthéisme, non seulement en raison de leurs « opinions monstrueuses >, mais parce qu’on avait voulu « adapter ces opinions à l’exposé des mystères de la religion chrétienne, de sorte qu’en retenant encore les noms de la Trinité, de l’incarnation, de la rédemption, de la résurrection, on s’est efforcé de corrompre ces dogmes vénérables de la vraie religion en les interprétant en des sens détestables », dum Trinitatem, incarnationem, redempiionem, resurrectionem nominant, id assequi student… ipsa veneranda mysteria verse religionis ad pervers issimos sensus detorqucant aique dépravent. Coll. Lac., t. vii, col. 507 c.

Ce schéma n’a pas eu de suite, tout au moins dans le c. i de la constitution, mais les notes ajoutées au schéma définitif indiquent, parmi les erreurs frappées par la constitution, celle qui refuse le caractère de mystère aux vérités considérées comme nécessaires et tout particulièrement au mystère de la Trinité. Note 12. ibid., col. 525 bc. Cf. Vacant, op. cit., t. i, p. 589.

Mais si, au xixe siècle, le magistère extraordinaire ne s’est pas explicitement prononcé, il s’en faut de beaucoup que le magistère ordinaire soit resté silencieux. Les déclarations des conciles provinciaux de Paris (1849), Bordeaux (1850), Cologne (1860) sont une preuve non équivoque de la pensée de l’Église. Le premier déclare « détester l’erreur de certains philosophes qui, affectant de conserver le nom de la très sainte Trinité, expliquent l’ineffable unité de la divine nature en trois personnes à la manière de cel’e qui unit le Créateur à la créature, l’infini au fini et donnent ainsi de leurs relations une notion inadmissible ». Tit. ii, n. 4, Coll. Lac, t. iv, col. 16 b. Le second « condamne et réprouve l’erreur sacrilège de ceux qui exposent le mystère de la très sainte Trinité par l’infini et le fini et leur mutuelle relation ». Tit. i, c. ii, n. 3, ibid., col. 550 d. Sans doute, c’est le pur rationalisme qui est ici condamné ; mais sa condamnation même montre que les évêques tiennent le mystère de la Trinité pour indémontrable par la raison. Le concile de Cologne le dit expressément : « Bien que les saints Pères et les docteurs de l’Église se soient efforcés, pour l’instruction des fidèles, de chercher des images du très auguste mystère de la Sainte Trinité, néanmoins ils le proclament ineffable et incompréhensible d’une voix à peu près unanime ; et cela avec raison. » Part. II, tit. ii, c. tx, ibid., t. v, col. 285 a.

3. Le projet d’une constitution dogmatique sur la Trinité. —

Il s’agissait de donner une suite à la constitution De fide catholica, en y ajoutant une constitution De præcipuis mysteriis fidei. Le mystère de la Trinité était l’objet du c. i. Coll. Lac, t. vii, col. 553-554. Nous donnons les quatre paragraphes de ce chapitre avec les annotations afférentes.

I. Mysteriorum, quæ flde (Dominât ! profltemur, omnium supremum ipse Deus est, unus in essentia, trinus in personis, Pater et Filius et Spiritus s inctus. Hæc beata Trinitas secunduni sini cath » lle « B fldel veritatem unus est f)eus, propterea quod essentia seu substantia tribus communis re et numéro una est.

Des mystères que la lumière de la foi nous fait professer, le plus profond de tous est Dieu lui-même, un dans son essence, Irine dans les personnes, le Père, le Fils et le S lint-Ksprit. Selon la vérité authentique de la foi catholique, cette bienheureuse Trinité Ml un seul Dieu, parc qu l’essence ou substance commune aux trois personnes est réellement et numériquement une.

Explications : « Beaucoup d’auteurs, a notre époque, ont voulu avec la seule lumièn de la raison ou démontrer ou cnmpr -ndre entièrement le mystère de la Trinité : ils se sont parla plus ou moins détournés du droil chemin de la foi. Certains ne reconnaissent même plus niable et réelle de 1 met ion <l’personnes ; la plupart cependant font erreur en exposant leur senti ment sur l’unité divine. Ils expliquent l’origine des personnes de façon à multiplier, en même temps que les personnes, la nature ou substance divine. Et ils ne reconnaissent plus en Dieu qu’une unité d’espèce ou de rapport, et ils l’appellent qualitative ou dynamique. Trois personnes, disent-ils, sont autant de substances entre elles tout à fait égales mais inséparablement unies tant en raison de leur origine que de leur communauté de vie ou de conscience. »

C’est pourquoi le chapitre déclare que l’unité divine n’est ni dynamique, ni virtuelle, mais réelle, et qu’on doit l’appeler non qualitative, mais numérique. Les annotateurs se réfèrent au IV « concile du Latran. cap. Damnamus, voir col. 1727 ; au symbole d’Athanase ; au concile de Florence, décret pour les Jacobites, voir col. 1764 et à la lettre de saint Agathon au VI » concile : Quidquid de eadem sanctissima Trinitate essentialiter dicitur, singulari numéro tanquam de una natura trium consubstantialium personarum comprehendamus. Mansi, Concil., t. xi, col. 238.

II. Pater enim ab aeterno Filium générât, non aliam su » aequalem essentiam emanatione producendo, sed ipsam suam simplicissimam essentiam communicando ; pariterque Spiritus sanctus non multiplicatione essentiæ sed ejusdem essentiae singularis communicatione a Pâtre et Filio tanquam ab uno principio una spirationo aeterna procedit.

Car le Père engendre le Fils de toute éternité, non en produisant une autre essence égale à la sienne par voie d’émanation, mais en communiquant sa propre essence elle-même, parfaitement simple ; de même le Saint-Esprit procède du Père et du Fils comme d’un principe unique par une unique spiration, non par multiplication de l’essence, mais par communication de la même essence singulière.

La note indique simplement qu’on veut arracher la racine de l’erreur : « L’origine des personnes est ici exposée : on doit la concevoir, non par la multiplication, mais par la communication de l’essence, numériquement la même. » Et l’on renvoie au IVe concile du Latran, cap. Damnamus.

III. Hæc igitur una numéro essentia seu natura veraciter est Pater, Filius et Spiritus sanctus, très simul personae et singillatim quælibet carumdem ; ita ut persoiur inter se rcaliter distincts ; [sintl, natura autem seu essentia unum idemque sint. Cf. Lat. IV, cap. Damnamus.

Cette essence ou nature, numériquement une est donc vraiment le Père, le Fils et le Saint-Esprit, les trois personnes ensemble et chacune d’elles séparément ; de sorte que les personnes sont entre elles distinctes réellement, la nature ou essence demeure unique et ident ique.

« On définit ici la véritable relation de l’essence aux

personnes : l’essence, la même numériquement, est en chacune d ; ’s trois personnes et, partant, ne se distingue d’elles que virtuellement, tandis que les personnes se distinguent réellement entre elles. » Le texte projeté de la constitution renvoie au IVe concile du Latran, dans sa condamnation de l’erreur de l’abbé Joachim. Denz.-Bannw., n. 431-432.

IV. Et quoniam in Deo omnia unum sont ubi non obviât relationis oppositio (Conc. Florent. Dccr. pra Jacob, ), una est viiluutas I Operatio, qua Trinitas snerosanota cuncta extra se condldit, disponit et gubarnat. enim personie divlnse extra se secunduni originis relatlonei, quibui distinguant ! , indiirn quod sunt iiiiuui et ilngulare prlnclplum, opernntur.

En Dieu, tout est un là où il n’y a pas opposition des relations, comme l’a déclaré le concile do Florence (décret pour les Jacobites). Aussi, il n’y a qu’une volonté et une opération de la Trinité sainte dans la création, la disposition "l le gouvernement de toutes choses en dehors d’elle. Car les personnes divines n’agissent pas au dehors d’après les relations, d’origine qui les distinguent, mais en tant qu’elles constituent un principe unique et singulier d’opération.

« Il s’agit enfin de l’opération de Dieu ad extra. De

même qu’il n’y a qu’une nature, par laquelle les personnes opèrent, ainsi il n’existe qu’une opération, bien qu’il y ait trois opérants. Dans le Christ, c’est le contraire : un seul opérant et deux opérations. Cette vérité est définie depuis longtemps ; il a paru opportun cependant de la proposer à nouveau parce qu’elle est niée de nos jours par les mêmes qui placent en Dieu trois essences. On la propose à peu près dans les mêmes termes que dans la confession de foi de saint Agathon et du synode romain, confession reçue par le VIe concile œcuménique : (Patris, Filii et Spiritus sancti) una est essentia sive substantia, vel natura, idest una deitas, una selernitas… una essenlialis ejusdem sanctm et inseparabilis Trinitatis voluntas et operatio, quæ omnia condidil, dispensât et coniinet. » (Mansi, Concil., t. xi, col. 290.)

Ce texte est intégralement conservé sauf un mot (mis entre parenthèses) dans la correction proposée, col. 1632 d-1633 a.

Quatre canons étaient préparés, qui condensaient cette doctrine :

Can. 1. Si quls dixerit, sicut très personas, ita très essentias seu substanlias in Deo esse, A. S.

Si quelqu’un dit qu’en et Dieu, il y a trois essences ou substances, comme il y a trois personnes ; qu’il soit anathème.

Can. 2. — S. q. d., divinam substantiam non numéro, sed specie seu qualitate trium personarum unam esse, A. S.

Si quelqu’un dit que la substance divine des trois personnes est une et la même, non pas numériqueeandemque ment, mais spécifiquement ou qualitativement ; qu’il soit anathème.

Can. 3. — S. q. d., Trinitatem uiium esse non propter unius substantia ; singularitatem, sed propter Dei trium substantiarum sequalitatem et personarum ad se relationem, A. S.

Si quelqu’un dit que la Trinité est un seul Dieu, non en raison de la singularité de sa substance unique, mais à cause de l’égalité des trois substances et du rapport que les personnes ont entre elles ; qu’il soit anathème.

Can. 4. — Si quis, créationem aut quamvis aliam operationem ad extra uni personæ divinse ita propriam esse dixerit, ut non sit omnibus commuais, una indivisa, A. S.

Coll. Lac., t.vn, col.565B.

Si quelqu’un dit que la création ou tout autre opération ad extra est tellement propre à une des personnes divines qu’elle n’est pas à toutes commune, une et indivise ; qu’il soit anathème.

A propos de l’incarnation, un projet de définition existait touchant la notion de personne et visant la notion qu’en avait donnée Gunther ; cf. ici Hypostatique ( Union), t. vii, col. 556-557. Voir Coll. Lac., t. vii, col. 559 b ; can. 4, col. 566 c ; ainsi que le projet révisé, col. 1634 b et 1637 c.

VI. LE MODERNISME CATHOLIQUE ET LA CONDAMNATION DE PIE X. —

Indications générales. —

Le modernisme chez les catholiques est une infiltration du modernisme qui, après Schleiermacher, envahit le protestantisme libéral. Voir Modernisme, t. x, col. 2014 sq. C’est en raison de sa conception évolutionniste de la vérité religieuse, conception héritée du postulat philosophique de Hegel, que le modernisme a bouleversé la notion catholique du dogme. Les dogmes ne sont plus « des vérités tombées du ciel, mais une certaine interprétation des faits religieux (de l’expérience religieuse), interprétation que l’esprit humain s’est acquise par un laborieux effort ». Décret Lamentabili, prop. 22, Denz.-Bannw., n. 2022. Le progrès religieux est donc essentiellement immanent, au sens le plus strict du mot, et doit s’opérer dans l’humanité sans intervention extérieure. C’est, on le voit, la condamnation d’une révélation objective.

Quelle est donc la valeur des dogmes que l’Église propose à notre croyance ? Ces dogmes doivent être acceptés, certes, répondent les modernistes, mais « seulement dans un sens pratique, c’est-à-dire comme une règle commandant l’agir et non comme la règle du croire ». Prop. 26, ibid., n. 2026. Cette proposition, si elle ne présentait pas un sens exclusif, pourrait être interprétée en bonne part ; car le dogme, sans contestation possible, doit avoir une portée pratique et diriger notre conduite : « La foi qui n’agit pas, est-ce une foi sincère ? » De grands théologiens, comme Scot et Bossuet, sans oublier le protestant Leibniz, ont pu enseigner que la théologie est une science plutôt pratique que spéculative. La notion catholique du dogme n’entend pas supprimer ce qu’il y a de vrai dans la doctrine de l’expérience religieuse. Voir ici Expérience religieuse, t. v, col. 1814 sq. Mais le sens exclusif de la proposition moderniste modifie du tout au tout la question. Ce qui, chez les catholiques, est valeur d’application devient, pour les modernistes, valeur ou mieux pur symbolisme d’action. Et, en dehors de cette interprétation purement pratique, les représentations spéculatives que nous pouvons nous faire des vérités dogmatiques sont purement libres. Le catholique « n’est astreint par eux (les dogmes) qu’à des règles de conduite, non pas à des conceptions particulières ». Ed. Le Roy, Dogme et critique, p. 32.

Aussi les dogmes (et les modernistes y ajoutent les sacrements et la hiérarchie) « soit quant à leur notion, soit quant à leur réalité, ne sont que des interprétations et des évolutions de la pensée chrétienne qui, par des apports venus du dehors, ont accru et perfectionné le petit germe caché dans l’Évangile ». Prop. 54, Denz.-Bannw. , n. 2054. « Venus du dehors » ne signifie pas ici une révélation extérieure, mais un apport philosophique ou social. Pour plus de détails sur la foi et le dogme d’après les modernistes, voir M. Chossat, art. Modernisme, Foi et dogme, dans le Dict. apol. de la foi cath., t. iii, col. 618 sq.

Application de ces principes au mystère de la Trinité.

Puisqu’il s’agit, dans la pensée moderniste, de tous les dogmes sans exception, le dogme trinitaire ne saurait échapper à la double loi d’un évolutionnisme dû à des expériences religieuses sans cesse renouvelées et d’une interprétation purement pragmatique.

1. Loisy a présenté la théorie moderniste appliquée à la formation du dogme de la Trinité dans L’Évangile et l’Église et dans Autour d’un petit livre. C’est l’adaptation de la métaphysique de Platon et de Philon qui est, dit-il, à l’origine de ce dogme : « Dieu ne cesse pas d’être un et Jésus reste Christ ; mais Dieu est triple sans se multiplier ; Jésus est Dieu sans cesser d’être homme, le Verbe devient homme sans se dédoubler… On peut soutenir, au point de vue de l’histoire, que la Trinité, l’Incarnation sont des dogmes grecs… Il n’est pas étonnant que le résultat d’un travail si particulier semble manquer de logique et de consistance rationnelle. Cependant il se trouve que ce défaut, qui serait mortel à un système philosophique, est, en théologie, un principe de durée et de stabilité… L’orthodoxie paraît suivre une sorte de ligne politique, moyenne et obstinément conciliante, entre les conclusions extrêmes que l’on peut tirer des données qu’elle a en dépôt. Quand elle cesse de percevoir l’accord logique des assertions qu’elle semble opposer l’une à l’autre, elle proclame le mystère et n’achète pas l’unité de sa théorie par le sacrifice d’un élément important de sa tradition. Ainsi a-t-elle fait pour la Trinité, quand la consubstantialité des trois personnes divines eut triomphé définitivement. » L’Évangile et l’Eglise, p. 140-143.

Dans Autour d’un petit livre, le même auteur expose comment l’expérience religieuse est au début de ces évolutions :

Chaque étape de la foi est comme une épreuve et mi obstacle qu’elle surmonte par la force divine de son principe intérieur. La première de ces épreuves fut la mort ignominieuse de Jésus. Elle fut surmontée par la foi à la résurrection, qui fut dès l’abord la foi à la vie immortelle du crucifié, bien plus qu’au fait initial qui est suggéré à notre esprit par le mot de résurrection… La seconde épreuve fut l’entrée de la foi nouvelle dans le monde païen… S’inspirant de l’esprit bien plus que de la lettre (de l’Évangile), Paul trouve à l’Évangile un rôle, et à la personne de Jésus une signification universelle… Une nouvelle épreuve de la foi se présentait : quel était le rapport du Christ sauveur avec le Dieu éternel et l’économie de l’univers ? La spéculation judéo-alexandrine avait identifié le Dieu des Juifs au Dieu des philosophes grecs. Philon identifia le Logos, suprême raison et idées éternelles, à la Sagesse de l’Ancien Testament qui assistait le Créateur dans toutes ses œuvres. Paul assigne hardiment cette place au Christ éternel, image du Dieu invisible, par qui et pour qui tout a été fait, etc. L’auteur de l’épître aux Hébreux complète l’idée de Paul. Pour lui aussi, le Fils est la splendeur de la gloire divine, mais, dans sa mission terrestre, il est le grand-prêtre qui s’est fait semblable aux hommes ses frères, accomplissant finalement par une seule immolation, qui était sa propre mort, l’expiation de tous les péchés… Mais la vie de Jésus n’a-t-elle que cette importance morale ? L’auteur du quatrième évangile y découvre la révélation même du Logos, du Verbe divin, etc. P. 120-127, passim.

Mais le dogme de la Trinité n’est encore qu’esquissé. Loisy se demande si "le Verbe et l’Esprit, qui sont de Dieu, sont des personnalités distinctes du Père créateur » ?

Ce problème, répond-il, était assez ardu : le sens chrétien finit par le trancher dans le sens de l’affirmative. Mais aussitôt se posa la question du rapport entre le Père et les autres personnes divines, surtout celle du Verbe-Christ. Le Verbe est de Dieu et personnellement distinct du Père ; est-il Dieu absolument et, s’il est le premier-né de la création, comme l’a dit saint Paul, ne serait-il que la première des créatures ? Arius dit oui. Athanase et le concile de Nicée répondent non. Le Verbe devait être consubstantiel au Père, etc. Ibid., p. 127.

On voit comment, sous la poussée d’expériences religieuses éprouvées par divers auteurs et, par contre coup, par l’Église enseignante elle-même, s’est constitué peu à peu le dogme d’un Dieu unique en trois personnes. Mais la solution trouvée n’est pas définitive :

Le problème qui a passionné durant des siècles les penseurs chrétiens, se pose maintenant de nouveau. C’est beaucoup moins parce que l’histoire en est mieux connue, que par suite du renouvellement intégral qui s’est produit et qui se continue dans la philosophie moderne… N’est-il pas vrai que la notion théologique de la personne est métaphysique et abstraite, tandis que cette notion est devenue, dans la philosophie contemporaine, réelle et psychologique ? Ce qu’on a dit d’après la définition de l’ancienne philosophie, n’a-t-il pas besoin d’être expliqué par rapport à la philosophie d’aujourd’hui ? Ibld., >. 128.

2. Cette conception du dogme entraîne le second point de vue auquel s’arrêtent les modernistes : la valeur exclusivement pragmatique du dogme : Un Dieu en trois personnes, déclare G. Tyrrel — Père, Fils, Esprit — est une formule qui serait contradictoire si elle avait une valeur métaphysique et non purement prophétique et symbolique ; cette formule a une valeur d’imagination, de dévotion, et pratique ; elle indique d’une manière obscure une vérité qui ne peut se définir et qui cependant exclut l’unitarianisme l’arianisme, le trithéisme, le sabellianisme et toute autre impertinence de curiosité métaphysique. Trough Scylla and Charybdis, p. 343. La question serait de savoir si la valeur pratique accordée au dogme trinitaire n’exclut pas aussi d’autres « impertinences de curiosité métaphysique », telles, par exemple, que les définitions du concile de Nicée ? Ainsi, d’après Tyrrel, qui complète bien ici la pensée de Loisy, les formules religieuses n’expriment que les diverses réactions produites dans la conduite religieuse des hommes par l’idée des réalités divines :

A saint Pierre, le Christ s’est présenté tout à coup sous l’idée de Messie, de Fils du Dieu vivant. À l’auteur du quatrième évangile, comme Logos éternel… Dans chacun de ces cas le même ébranlement d’expérience religieuse donne une réaction mentale différente… Le théologien observera que le Christ en toutes circonstances a été placé dans la plus haute catégorie de glorification dont chaque intelligence se trouvait meublée… C’est parce que les hommes ont senti et éprouvé que le Christ était leur Dieu, leur Sauveur, leur pain spirituel, leur vie, leur voie, leur vérité, qu’ils l’ont conçu sous toutes ces formes et ces images, dont les unes sont plus adaptées que les autres à satisfaire le besoin qu’éprouve l’âme d’exprimer sa plénitude. » Ibid., p. 289.

Mais ces conceptions elles-mêmes, « en tant que révélées, n’ont pas de valeur théologique directe ; elles ne sont qu’une partie de l’expérience dont elles aident à déterminer le caractère ». Ibid. Ainsi donc, les formules religieuses, la formule trinitaire comme les autres, ne peuvent traduire la réalité que « par ce que nous devons être à l’égard de cette réalité ». Nous devons considérer en Dieu un Père, en Jésus-Christ un Fils de Dieu, dans le Saint-Esprit, l’esprit divin envoyé aux hommes pour leur sanctification. Mais nous ne sommes aucunement assurés que cette attitude prise par nous garantisse la vérité ontologique du mystère d’un Dieu à la fois un et trine.

Condamnations de l’Église. —

Ce sont des condamnations générales, formulées soit dans le décret Lamentabili dans les propositions condamnées et rapportées plus haut, soit surtout dans l’encyclique Pascendi. Résumant la doctrine de l’évolutionnisme doctrinal purement humain qui est à la base du système moderniste, Pie X conclut : « Ainsi la doctrine des modernistes, comme l’objet de leurs efforts, c’est qu’il n’y a rien de stable, rien d’immuable dans l’Église. » Et le pape indique que les modernistes ont eu des précurseurs, dont il suffit de rappeler les condamnations. « Dans l’encyclique Qui pluribus, Pic IX écrivait : « Ces ennemis de la révélation divine exaltent le progrès humain et prétendent, avec une témérité et une audace vraiment sacrilèges, l’introduire dans la religion catholique, comme si cette religion n’était pas « l’œuvre de Dieu, mais l’œuvre des hommes, une « invention philosophique quelconque, susceptible « de perfectionnements humains. » Denz.-Bannw., n. 1636. Sur la révélation et le dogme en particulier, la doctrine des modernistes n’offre rien de nouveau : nous la trouvons condamnée dans le Syllabus de Pie IX, où elle est énoncée en ces termes : « La révélation divine est imparfaite, sujette par conséquent à un progrès continu et indéfini, en rapport avec le progrès de la raison humaine. » Prop. 5, ibid., n. 1705. Plus solennellement encore, dans le concile du Vatican : « La doctrine de foi que Dieu a révélée n’a pas été proposée aux intelligences comme une invention philosophique qu’elles eussent à perfectionner, mais elle a été confiée comme un dépôt divin à l’Épouse de Jésus-Christ pour être par elle fidèlement gardée et infailliblement interprétée. C’est pourquoi aussi le sens des dogmes doit être retenu tel que notre Sainte Mère l’Église l’a une fois défini, et il ne faut jamais s’écarter de ce sens, sous le prétexte et le nom d’une plus profonde intelligence > C.onst. Dei Filins, c. iv, ibid., n. 1800. Et Pie X rappelle en terminant que c’est là le principe même du vrai développement du dogme, selon la formule de Vincent de Lér/bV par laquelle le concile lui-même conclut sn déclaration.


IV. Synthèse théologiue : de la renaissance a nos jours. —

Après l’étude et l’exposé Am doctrines hétérodoxes, il faut reprendre, en guise de synthèse théologique, l’exposé des doctrines profes sées par les auteurs catholiques. Nous suivrons ici, d’une manière générale, parce que les auteurs eux-mêmes l’ont [ait, l’ordre de la Somme théologique.

I. COUP D’ŒIL GÉNÉRAL.

— Au concile de Florence, le progrès dogmatique est terminé, jusque dans les formules. La théologie ne fera donc que reproduire et commenter la doctrine des chefs d’écoles et, si les auteurs s’avisent d’introduire quelques opinions personnelles, ce sera toujours sur des points se rattachant à la curiosité théologique plutôt qu’à la théologie elle-même.

L’école dominicaine est fidèle à saint Thomas. Au XVe siècle, Capréolus († 1444) représente cette fidélité dans un des derniers commentaires dominicains sur le Maître des Sentences. Cf. Th. -M. Pègues, Théologie thomiste d’après Capréolus. La Trinité, dans Revue thomiste, janvier 1902, p. 694 sq. L’introduction de la Somme comme livre de texte provoque l’apparition de nombreux commentaires. On se contentera de rappeler ici les principaux, ceux de Cajétan († 1534), l’inventeur d’une nouvelle théorie de la personnalité, de Bafiez († 1604), de Raphaël Ripa (tl612), de Jean de Saint-Thomas (î 1644), sous le titre de Cursus théologiens, de Godoy († 1677), sous le titre de Disputationes theologicse in primam partem Divi Thomæ, de Gonet († 1681) sous le titre de Clypeus theologise thomisticæ, de Gotti († 1742), sous le titre de Theologia dogmatica juxta mentem D. Thomse Aquinatis, enfin de Billuart († 1751), sous le titre de Summa S. Thomæ hodiernis academiarum moribus accommodaia sive Cursus theologise universalis. Ce dernier auteur donne un certain développement aux problèmes scripturaires et historiques ; il a même quatre « digressions historiques » relatives aux premiers conciles (Nicée et l’ojxooriaiov, la « chute » de Libère, le concile de Rimini, le I er concile de Constantinople et le procès du macédonianisme). On ne doit pas oublier les commentaires de Silvestre de Ferrare sur la Somme contre les Gentils, dont plusieurs chapitres ont trait aux problèmes trinitaires. Enfin, une place de tout premier rang doit être assignée, dans le Cursus theologicus des Carmes de Salamanque, au traité De Deo trino, paru en 1637, du P. Antoine de la Mère de Dieu. Si on peut regretter que la théologie positive n’y ait pour ainsi dire aucune place, en revanche les questions scolastiques y sont examinées et approfondies avec un luxe de précisions qu’on serait parfois tenté de trouver superflu. — La doctrine thomiste se retrouve également dans les ouvrages des deux grands professeurs de Douai, le commentaire sur les Sentences d’Estius (van Est) († 1613) et le commentaire In totam 7 am partem Summse S. Thomse de Sylvius (Dubois) († 1549).

L’école scotiste a de nombreux représentants ; mais, en général, ils sont fort peu cités dans les controverses agitées par les théologiens. Tous se réfèrent au Docteur subtil, dont l’autorité suffît à couvrir tous ses disciples. On trouvera cependant des mentions de François Lychet († 1520), en raieon de son remarquable Commentaire sur les Sentences, dont le 1. I er fut publié en 1518, de Jean de Rada († 1608), Sancli Thomse et Scoti controversiarum theologicarum quæstionum resolutio, Salamanque, 1586, de François Henno († 1713), dont la Theologia dogmatica et scholastica, Douai, 1706-1713, s’efforce de concilier Scot et saint Thomas, de Mastrius († 1673), de Jérôme de Monte Foitino († 1738), Summa theologica Scoti juxta ordinem Summse D. Thomse, rééditée en 1900. et surtout de Claude Frassen († 1711) dont le Scotus academicus, Paris, 1672, est pour ainsi dire le manuel autorisé de la théologie scotiste, en raison de la clarté de son exposition. Plus près de nous et fréquemment cité dans les manuels contemporains, Albert Knoll de Bozen, capucin († 1863), Insliluliones theologise, rééditées avec adaptation à notre époque, en 1908 (exposé sommaire).

La compagnie de Jésus est peut-être le milieu théologique qui nous offre le plus de variété en ce qui concerne les études trinitaires. Ses premiers grands docteurs Suarez, Molina, Vasquez, Tolet, Grégoire de Valencia, ont commenté, souvent avec liberté, parfois même en y ajoutant des aperçus nouveaux, le texte de la Somme. Suarez, lui aussi, est à l’origine d’une conception nouvelle de la personnalité. Certains auteurs de second plan, comme Arriaga et Amigo, ne sont cependant pas à négliger. Chez tous perce le souci d’adapter plus particulièrement la doctrine aux besoins des temps nouveaux et certains d’entre eux s’efforcent de trouver dans l’élément positif, Écriture et Pères, l’appui traditionnel nécessaire à l’exposé spéculatif. Les Commentaria ac disputationes in / » m partem S. Thomse de Trinitate, Lyon, 1625, de Diego Ruis de Montoya sont, au dire des meilleurs juges, un ouvrage qui se classe parmi les plus parfaits du genre pour son époque. Voir ici, t. xiv, col. 165. Cette tendance se retrouve également chez Becan, Summa theologise scholasticse, Mayence, 1623, et chez Tanner, Unioersa theologia scholaslica, speculativa, practica, ad melhodum S. Thomse, et, au xviir 3 siècle, dans la théologie des jésuites de Wurtzbourg. Au xixe siècle, Pcrrone, Kleutgen et Franzelin ne manquent pas, en abordant les questions trinitaires, de s’inspirer des mêmes principes. Dans Die Théologie der Vorzeit, Munster, 1867, Kleutgen avait préludé à son traité De ipso Deo, Ratisbonne, 1881. Franzelin, dans le De Deo trino, Rome, 1869, complété par son traité polémique De processione Spiritus Sancti, Rome, 1876, s’est orienté vers la recherche des données positives. En France, les Éludes de théologie positive sur la Sainte Trinité (4 vol.) du P. Th. de Régnon sont trop connues pour qu’il soit utile d’insister ; voir t. xiii, col. 2124. Mais il convient de citer également de Mgr Ginoulhiac († 187’5), l’Histoire du dogme catholique ; De Dieu considéré en lui-même, unité de sa nature, trinité de ses personnes, Paris, 1866, t. i-m.

Mais le grand initiateur de ce mouvement, tout spécialement pour le problème trinitaire, fut au xviie siècle l’incomparable Denys Petau, dans ses Dogmata theologica, dont les trois premiers volumes parurent en 1644. Le t. n est tout entier consacré au De Trinitate et a été longuement analysé ici t.xii, col. 1317-1318. Petau s’est appliqué à suivre la méthode de Maldonat qui, lui aussi, avait écrit un traité de théologie positive sur la Trinité, traité inédit mais dont Richard Simon nous a laissé une analyse assez détaillée dans sa Bibliothèque critique, t. î, c. vi, Amsterdam, 1708, p. 56-89. Une mention doit être accordée à Tiphaine, professeur à Pont-à-Mousson, en raison de sa théorie de la personnalité, exposée dans le De hypostasi. Voir son article.

Auteurs divers. — De Petau, il convient de rapprocher l’oratorien Thomassin, dont le traité De Trinitate est inclus, comme celui de Petau, dans un grand ouvrage, Dogmata theologica. Cf. ci-dessus, col. 799. Plus bref et moins fouillé, ce traité n’a pas la valeur de celui du savant jésuite ; sur certains points cependant, il constitue un utile recueil de textes patristiques, grecs et latins (processions divines, trinité des personnes dans l’unité de nature). On ne saurait non plus passer sous silence les travaux apologétiques de Bossuet où, soit contre Jurieu, soit à propos de certaines assertions de Richard Simon, l’évêque de Meaux expose en un sens orthodoxe les affirmations trinitaires des Pères des premiers siècles. Cf. Sixième avertissement sur les lettres du ministre Jurieu, et Défense de la tradition et des Saints Pères, t. III, c. i-xvi. Il convient également de citer bien des passages des Méditations sur l’Évangile, 2e part., et les Élévations sur les mystères, 2° semaine.

En Allemagne, nombreuses sont les monographies parues sur les questions trinitaires ; elles concernent surtout la pensée de certains auteurs particuliers ; comme œuvres de portée générale rentrant dans le cadre de cet article, signalons, de Diekamp, Ueber den Ursprung des Trinitâlsbekennlnisses, Munster-en-W. , 1910 ; de M. Schmaus, les études précieuses sur saint Augustin et sur le Moyen Age, Die psychologische Trinitâtslehre des ni. Augusiinus, Munster-cn-W., 1927, et Der Liber propugnalorius des Thomas Anglicus und die Lehrunterschiede zwischen Thomas von Aquin und Dans Scotus, Munstcr-en-W., 1930, ouvrage auquel nous nous sommes référé tant de fois dans la deuxième partie de cette étude.

Les sorbonnistes nous ont laissé quelques bons traités. Citons d’abord celui de Witasse († 1716), que Migne a inséré dans son Cursus theologicus, t. viii, col. 9-660, suivi de deux appendices, ajoutés par les éditeurs et donnant, le premier, des extraits de Thomassin sur l’unité et la fécondité divines et sur la circumincession des personnes, le second présentant une synthèse des vérités essentielles à expliquer au peuple. Avant Witasse, J.-B. du Hamel († 1706) avait donné un bon exposé trinitaire dans le t. n de sa Theologia speculativa et practica, Paris, 1640. Peu après Witasse, Toumely († 1729) publia ses Prselectiones theologicæ de mysterio Smse Trinitatis, Paris, 1726. Ces traités insistent beaucoup sur la divinité de la seconde et de la troisième personne, notamment sur la divinité de Jésus-Christ : préoccupation que justifie le souci de combattre l’hérésie socinienne.

Rien que le terme de notre étude ait été fixé en principe au concile du Vatican, il nous faut, pour n’être pas incomplet, dépasser cette limite. Tant de manuels ou de traités de théologie trinitaire ont été publiés dans la dernière partie du xixe siècle et depuis le début du xx°, qu’il serait injuste de ne pas au moins signaler ceux qu’on peut consulter avec avantage : manuels de Bartmann (aujourd’hui traduit en français), Diekamp (tr. en latin par Hoffmann, O. P.), Egger, Einig, Herrmann, Hervé, Hugon, Hurter, Jungmann, Katschthaler, Lahitton, Lercher, Lottini, Mancini, Mannes, Manzoni, Marchini (Ant.), Mazzella (Horat.), Mendive (Jos.), Minges (Part.) (manuel scotistr), Paquet, Pcsch (Chr.), Pohle, Prevel, Sala, Sanda, Se.houppe, Schwetz, Studium solesmense, Tanqucrey, Tcpe, del Val, Zaccherini, Zubizarreta. Les meilleurs traités sont : J. Kuhn, Die christliche Lehre von der gOttlichen Dreieinigkeil, Tubingue, 1857 ; Scheeben, Myslericn des Christentums, dans Dogmatik, t. i ; Stentrup, De SS. Trinitatis mysterio, Inspruck, 1888 ; Oswald, Die Trinitâtslehre, Paderborn. 1888 ; L. Billot, De Deo uno et trino, Rom- (6 « éd.), 1921 ; L. Janssens, Summa théologien…, t. iii, Tractatus de Deo trino, Fribourg-en-B., 1900 ; Buonpensirre, Comm. in / part. Snm. theol. S. Thomæ Aquinatis, t. ii, Vergare, 1930 ; Al. Janssens, De hl. Drievuldigheid (2° éd.), Anvers, 1925 ; A.-L. Lépicier, Tract, de SS. Trinitate, Paris, 1902 ; J. van der Meersch, Tract, de h’-o uno et trino, Bruges, 1928 ; J. Muncunill, Tract, de Deo uno et trino, Barc lune, 1928 ; Van Noort-Verhaar, Tract, de Deo uno et trino, Hilversum, 1028 ; J.-M. Pic’-irelli, De Deo uno et trino, Naples, 1902 ; l’omprn-Salten, Tract, de Deo uno et trino, Bois-le-Duc, 1904 ; A. « l’Aies, De Deo trino, Paris 1924 ; P. Galticr, De SS. Trinitate in se et in nobis, Paris, 1933 ; Hugon, O. P., Le mystère de la Sainte Trinité, Paris, 1931 ; Valentin Rr> ton, l.a Trinité, histoire, doctrine, piété, Paris, 1931. On voudrait, pouvoir renvoyer au traité, de petit volume, mais riche de doctrine et d’érudition du P. Mohn, S. J. ; Il n’est malheureusement publié qu’ad usum auditorum (à l’université grégorienne). Les études de théologie positive, scripturaire et patristique, se sont multipliées au cours de ces soixante dernières années ; on les a signalées au cours de la première partie de cet article. Nous ne rappellerons ( que les savants travaux de J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité (2 vol. parus) et, avant eux, le t. I er des Leçons de théol. dogm., de M. Labauche, Dieu.

II. SYNTHÈSE DOCTRINALE. —

La plupart des auteurs qui, depuis le concile de Florence, ont commenté la Somme de saint Thomas ont suivi scrupuleusement l’ordre du saint Docteur. Le progrès dogmatique est nul. Le progrès théologique se réduit à peu près aux conceptions nouvelles de la subsistence, proposées par Cajétan, Suarez, Tiphaine et Duns Scot. On a exposé longuement ces différents systèmes, voir Hypostase, t. vii, col. 4Il sq. On se contentera d’en marquer ici l’application aux problèmes trinitaires. Mais les perfectionnements apportés par la théologie positive ont incité d’excellents auteurs à suivre un ordre différent de celui de saint Thomas. Ils commencent par établir la révélation du mystère avant d’en aborder l’exposé scolastique selon la formule tripartite traditionnelle : processions, relations, personnes.

On n’insistera pas ici sur les explications données aux termes : substance, nature, personne, hypostase, dont l’usage est courant dans le traité de la Trinité. Voir Hypostase, col. 408, et bibliographie, col. 437.

Connaissance du mystère de la Trinité. —

1. Connaissance naturelle. —

Avant de se livrer aux spéculations dogmatiques, il est indispensable d’aborder le problème de la connaissance de la Trinité. Il faut d’abord affirmer qu’il est impossible à la raison de parvenir à cette connaissance par ses seules lumières naturelles. Tous les théologiens enseignent cette impossibilité, doctrine proche de la foi, en raison de la définition du concile du Vatican touchant l’existence de mystères cachés en Dieu, lesquels ne peuvent être connus de nous que par voie de révélation. Denz.-Bannw. , n. 1795 ; cf. n. 1816. Voir ci-dessus, col. 1796. La thèse contraire a été jadis soutenue par Raymond Lulle, voir col. 1739, que Vasquez cherche à excuser. Disp. CXXXIII. Ruiz, au contraire, appelle cette opinion ridicula, deliria somniantis et maie sani capitis, disp. XLI, sect. i. En général cependant les théologiens modernes interprètent bénignement les affirmations en ce sens rencontrées chez Claudien Mamert, saint Anselme, Richard de Saint-Victor et quelques autres. Cf. Janssens, op. cit., p. 412-417.

La raison est même incapable de démontrer apodictiquement la possibilité du mystère. Gonet, disp. VII, a. 1, § 4 ; cf. Janssens, p. 345 sq. ; Diekamp-Hoffmann, sect. I, 2, n. 2 et Ueber den Ursprung des Trinitâlsbekennlnisses, Munster, 1911 ; Billuart, Diss. proœmialis, n. 4 ; Kleutgen, n. 909 ; Franzelin, th. xvii-xviii. Une fois le mystère révélé, la raison peut l’éclairer par le moyen d’analogies prises dans les créatures. Franzelin, th. xix-xx ; Suarez, t. I, c. xi-xii. La théorie psychologique de saint Augustin trouve, à ce propos, grande faveur près de tous les théologiens. Cf. M. -T. Penido, La valeur de la théorie psychologique de la Trinité, dans Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, Paris, 1931, p. 258-345 ; Schmaus, Die psychologische Trinitâtslehre des hl. Augusiinus, Munster, 1927 ; F. Blachèrc, La Trinité dans les créatures, dans Revue augustinienne, 1903, t. ii, p. 114 sq., p. 219 sq.

Le théologien allemand Klce fait justement observer qui si, en Dieu, les processions des personnes divines sont fondées sur des raisons contraignantes issues de la vie divine elle-même, ces raisons ne sauraient nous apparaître, à nous, comme telles et la révélation peut reniement nous en manifester ce qu’il a plu a Dieu de nous faire connaître. Kalh. Dogmatik, 1835, t. ii, p. 109 sq. Aucune démonstration proprement dite du mystère ne nous est donc possible et l’on doit rejeter sur ce point les tentatives des semirationalistes et particulièrement de Gûnther et de Rosmini. Cf. Kleutgen, n. 929-942 ; Franzelin, th. xviii ; Piccirelli, n. 1130 ; Chr. Pesch, n. 494-495 ; Janssens, p. 334 sq.

2. Révélation. —

Aucune révélation proprement dite du mystère dans l’Ancien Testament. Les théologiens modernes, dès la fin du xviie siècle, mais surtout au xixe, se séparent ici nettement de leurs devanciers du Moyen Age. Dans les textes invoqués par ceux-ci, ils ne voient plus, et avec raison, que d’obscures indications. Voir J. Lebreton, op. cit., 1. 1, et ici, col. 1546 sq. Sur Gen., i, 26 ; ii, 22 ; xi, 7, voir G. Perella, Il domma trinilario nel Genesi, i-xi, dans Diuus Thomas de Plaisance, 1929, p. 280-304 ; 1930, p. 408 sq. Sur Gen., xviii, 1 ; Is., vi, 3, voir A. d’Alès, La théophanic de Membre devant la tradition des Pères, dans Rech. de se. rel., 1930, p. 150 sq. Cf. M.-J. Lagrange, L’ange de Jahvé, dans la Rev. biblique, 1903, p. 212 sq. ; D.-J. Legeay, L’ange et les théophanies dans la Sainte Écriture d’après la doctrine des Pères, dans la Rev. thomiste, 1902-1903. La personnification de la Sagesse a été beaucoup étudiée, mais sans conclusion ferme. Cf. J. Gûttsberger, Die gôttliche Weisheit als Persônlichkeit im A. T., Munster, 1919 ; P. Heinisch, Die persônliche Weisheit des A. T. in religionsgeschichtlicher Beleuchtung, Munster, 1923 ; A. Vaccari, Il concetto delta Sapienza nell’A. T., dans Gregorianum, 1920, p. 218 sq. La personne du Saint-Esprit resterait dans l’obscurité, nonobstant les multiples textes où est nommé l’Esprit de Dieu, si la révélation chrétienne n’était intervenue. Cf. Petau, t. II, c. vu ; Franzelin, th. vi-vn ; Chr. Pesch, n. 468 ; Billot, th. xvi, § 1.

C’est dans le Nouveau Testament que le mystère est formellement et explicitement révélé. Il faudrait indiquer ici tous les théologiens et les exégètes catholiques sans exception. L’ouvrage auquel on recourra de préférence est encore celui de J. Lebreton, t. i, p. 275 sq. et, plus spécialement sur saint Paul, F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1927, t. ii, p. 157175 ; 518-521. Certains auteurs (dont Diekamp) rejoignent ici les sorbonnistes en intercalant une véritable démonstration de la divinité du Christ, laquelle est une démonstration de la divinité du Verbe ; ils y ajoutent, bien entendu, la démonstration de la divinité du Saint-Esprit. Cf. Suarez, t. II, c. m-vi ; Wirceburgenses, n. 344-356 ; Kleutgen, n. 766-842 ; Hurter, n. 147-168. Ce fut, ici-même, un des thèmes développés à l’art. Fils de Dieu, t. v, col. 2388 sq., 2396 sq., 2398 sq., 2400-2407.

Deux textes ont donné lieu entre théologiens et exégètes à des controverses qui, heureusement, ont pris fin aujourd’hui. Le texte baptismal, Matth., xxviii, 19, si important pour la démonstration trinitaire, a vu son authenticité vivement attaquée par certains protestants. Cf. Conybeare, dans Zeitschr. fur die N. T. Wissenschaft, Giessen, 1901, p. 275 sq. ; son authenticité a été victorieusement démontrée par J. Lebreton, op. cit., t. i, note E, p. 599-610. — Le Comma johanneum, dont l’authenticité était révoquée en doute pour des raisons sérieuses admises d’un grand nombre d’exégètes catholiques, a provoqué de la part du Saint-Office deux décisions, 13 janvier 1897, 2 juin 1927, Denz.-Bannw., n. 2198 ; la dernière revient nettement en arrière et dirime la controverse en affirmant simplement l’authenticité « dogmatique « du texte, comme témoignage de la croyance traditionnelle de l’Église. Voir art. Verbe.

3. Tradition. —

La tradition des premiers siècles est, en effet, un argument sur lequel insistent les théologiens. La théologie positive, depuis la célèbre préface de Petau, voir ici, t.xii, col. 1327, s’est efforcée de montrer la continuité de cette tradition même avant le concile de Nicéc. Sans nous arrêter à d’intéressantes monographies comme celle de L. Choppin, Lille, 1925, il suffira, ici encore, de citer le monument élevé par J. Lebreton et dont le deuxième volume nous conduit jusqu’à saint Irénée. Quelques articles parus dans les Recherches ont amorcé le troisième, qui conduira l’argument de tradition jusqu’au concile de Nicée. L’œuvre du P. de Régnon, dans laquelle on peut signaler plus d’une lacune et où certaines retouches sont nécessaires, voir ici, t. xiii, col. 2124, est fréquemment utilisée pour les époques postérieures ; mais les études spéciales ne manquent pas, dont s’inspirent les théologiens contemporains. Les simples manuels eux-mêmes ont pu ainsi faire une large place (peut-être encore parfois trop restreinte) à la base positive. Voir, par exemple, celui de Diekamp, où la théologie positive est heureusement mêlée à la scolastique et dans lequel l’exposé traditionnel (scripturaire et patristique) occupe plus de 40 pages (p. 306-348). ou encore celui de Tanquerey-Bord, Paris, 1933, qui a fait de la partie positive l’élément principal du traité (p. 347-414), alors que l’exposé proprement scolastique n’occupe que 30 pages Les proportions sont mieux respectées chez A. d’Alès, dont les 100 premières pages sont consacrées à la révélation et à la tradition patristique.

La conclusion de cette étude préliminaire est l’affirmation de l’identité numérique de l’essence et de la trinité des personnes : identité numérique et trinité affirmées par l’Écriture, enseignées par la Tradition, consacrées par la définition de la consubstantialité des trois personnes distinctes. Cf. Petau, t. IV, c. xiii sq. ; Thomassin, c. ii, vii, xvii, xxvii, xxviii, dont s’inspirent nos auteurs plus récents. Voir en particulier Kleutgen, n. 843-865 ; Franzelin, th. i, vii, vin ; Scheeben, i, § 112, etc.

Cette part légitime faite à la théologie positive prépare avec une autorité accrue l’exposé scolastique sur les processions, les relations, les personnes.

Les processions divines (S. Thomas, I », q. xxvii).

1. Leur existence (a. 1). —

L’existence des processions en Dieu est enseignée par tous les théologiens postflorentins comme un dogme de foi, fondé sur l’enseignement de l’Écriture, des Pères, des symboles, des définitions conciliaires relatives à la génération du Verbe et à la procession du Saint-Esprit. Il y a deux processions et il n’y en a que deux (a. 2). Voir Processions, t. xiii, col. 649-651.

Tous admettent que les processions ont pour principe formel l’intelligence en ce qui concerne le Fils, la volonté en ce qui concerne le Saint-Esprit. Ibid., col. 655-658. On abandonne ainsi l’ancienne opinion d’Alexandre de Halès, de saint Bonaventure, de Durand de Saint-Pourçain, selon laquelle la seconde personne procéderait selon la nature intellectuelle du Père. La doctrine qui fait de l’intelligence elle-même le principe formel prochain du Verbe est omnino tenenda, déclarent les Salmanticenses. Disp. I, dub. ii, § 1, n 38.

Mais une controverse, toute scolastique, sur le principe formel immédiat partage les théologiens. Voir t. xiii, col. 658. À la seconde opinion, indiquée comme appartenant à saint Bonaventure, se rallient non seulement les Wirceburgenses, mais les scotistes Hcnno, Mastrius, Frassen, à la suite de leur maître, et les nominalistes Occam et Biel, ainsi que Molina, In 7° m part. Sum. S. Thomse, q. xxviii, a. 1. Voir également dans son commentaire sur la même question de la Somme, l’opinion presque similaire de Grégoire de Valencia. B i Il u art réfute Henno et les scotistes, dissert. II, a. 3 ; les Salmanticenses attaquent Molina, disp. I, dub. iii, n. 85. Suarez, on l’a vii, a réfuté Valencia. La troisième opinion relatée a pour elle la totalité de la phalange thomiste et, chez les jésuites, Suarez, t. I, c. vu ; Vasquez, disp. CXII, c. m ; Arrubal, disp. XCVII, cap. ult. : Granados, In / » > part. Sum. S. Thomæ, tract. II, disp. III, sect. iii, etc.

Une dernière précision plus subtile encore est proposée par les Salmanticenses. Les processions doivent-elles être conçues comme des émanations de la divinité ou comme des opérations ? Ils attribuent à Suarez, t. I, c. viii, n. 5, et à Molina, loc. cit., la première opinion, donnant l’autre comme l’opinion commune des thomistes, dub. iv, § 1, n. 111 ; cf. Gonet, disp. II, a. 2 ; Billuart, dissert. II, a. 2-3. On a pu constater plus haut que saint Thomas lui-même parle aussi bien d’émanations que d’opérations. Enfin, Kleutgen, à propos de ces discussions, fait observer qu’aux divergences relatives au principe formel immédiat répondent les mêmes divergences relativement au terme formel de la procession divine : relation ou propriété personnelle d’une part, nature connotant la relation d’autre part, n. 1072 sq.

2. Première procession selon l’intelligence : c’est une génération (a. 2). —

Tous les théologiens sont d’accord sur ce point qui est de foi définie : genitus, non factus (symbole de Nicée) ; Filius a Pâtre solo est, non factus nec creatus, sed genitus (symbole Quicumque), etc.

Génération selon l’intelligence, disent-ils maintenant, et non plus selon la nature intellectuelle. La définition de la génération, telle que l’a donnée saint Thomas, est unanimement acceptée : origo viventis a principio vivente conjuncto, in similitudinem naturæ ejusdem speciei, I », q. xxviii, a. 2. En Dieu, il ne peut être question que d’une génération d’ordre intellectuel : production d’un verbe, image parfaite du Père qui l’engendre.

Certains thomistes font ici remarquer que toute la force de l’argumentation repose sur l’affirmation de l’identité formelle en Dieu de l’esse et de Vintelligere et intelligi. Voir l’exposé de cette doctrine et les références dans les Salmanticenses, disp. II, n. 76 sq., qui y prennent l’occasion de développer la pensée empruntée par saint Thomas à saint Augustin : eo Verbum, quo Filius. Ibid., dub. iv. Il ne semble pas cependant que, pour être valab’e, l’argument requière absolument l’adhésion à cette opinion (laquelle cependant paraît bien réfléchir la pensée de saint Thomas). Il suffit d’admettre qu’en Dieu idem est esse et intelligere (il y a ident’té entre l’être et le connaître), sans qu’il soit besoin de préciser si cette identité est formelle ; et d’accepter que le Fils procède dans l’ordre de la connaissance : « La raison fondamentale qui fait que la procession du Fils est une génération… c’est qu’elle est selon l’intelligence. » Gonet, disp. II, n. 185. Le Verbe conçu par l’intelligence est la similitude de la chose exprimée, existant dans la même nature que lui, parce qu’en Dieu il y a identité entre intelligere et esse. Billuart, dissert. II, a. 5, dico 1°. La plupart des auteurs omettent donc, dans leur argumentation, la précision, exacte si on la prend sans exclusivisme, des Salmanticenses.

3. Deuxième procession selon la volonté : ce n’est pas une génération (a. 3 et 4). —

Que le Saint-Esprit procède selon la volonté (a. 3), les théologiens l’enseignent unanimement. Il est impossible de concevoir en un esprit d’autres opérations que celles de l’intelligence et de la volonté. Les difficultés ne surgissent que sur la manière d’interpréter cette doctrine exposée par saint Thomas dans l’a. 1. La plupart établissent avec le Docteur angélique un parallèle entre la procession selon l’intelligence qui produit un verbe et la procession selon la volonté qui produit, dans la faculté aimante, une impulsion, une tendance, un poids qui l’entraîne vers l’objet aimé. Un texte de saint Thomas, De veritate, q. iv, a. 2, ad l" iii, fait difficulté à ce sujet ; mais les thomistes l’interprètent à l’aide du De veritate.

q. x, a. 9, ad 7um et du De potentia, q. x, a. 2, ad ll um. Voir Salmanticenses, disp. III, dub. i, § vii, n. 18-19, et les autres nombreux auteurs qui y sont cités. Excellent exposé dans Jean de Saint-Thomas, disp. XV, a. 5.

Cette procession n’est pas une génération (a. 4) : assertion qui est de foi et entraîne l’assentiment unanime. Voir le symbole Quicumque, et les anciens symboles. Cf. Petau, t. VII, c. xiii-xiv. L’explication théologique de ce dogme est plus hésitante, du moins jusqu’à la systématisation thomiste. Cette hésitation, qui se marquait déjà chez les Pères, se manifestait également au Moyen Age dans les diverses opinions qu’on a relevées. Après le concile de Floience : on rencontre encore quelques auteurs (v. g. Martinon, S. J., disp. XXIV, sect. ix) indiquant comme raison de l’unique génération réalisée dans le Fils le fait que le Fils aurait reçu du Père une nature féconde, capable de produire avec le Père le Saint-Esprit, ce qui n’est pas le cas de la troisième personne. Les Wirceburgenses accueillent avec une certaine faveur cette explication, De Deo trino, n. 380, tout en faisant remarquer que les actes du concile de Florence ne paraissent pas admettre cette raison. Le Fils, en effet, n’y est indiqué comme coprincipe de la spiration active que parce qu’il est déjà le Fils : hoc ipsum, quod Spiritus sanctus procedit ex Filio, ipse Filius a Pâtre œternaliter habet. Voir col. 1763. Nous retrouvons aussi, chez des scotistes principalement, la raison jadis apportée par Scot après Alexandre de Halès, saint Bonaventure, Albert le Grand et saint Thomas à ses débuts : le Saint-Esprit n’est pas engendré parce qu’il procède selon la volonté et non selon la nature intellectuelle. Cf. Hcnno, disp. I, q. vi.

Une explication mieux accueillie est celle de Vasquez, disp. CXIII, c. vii, et de Torrès, In / » part., q. xxvii, a. 2 (4e partie du commentaire), reprise par les Wirceburgenses, loc. cit., dico 2°, et, plus tard, par Kleutgen, n. 1088 sq. et Franzelin, th. xxxi, suivant peut-être en cela Suarez, t. XI, c. v, qui semble vouloir fondre l’explication de saint Thomas et celle de Vasquez : la procession de la seconde personne est seule une génération, parce qu’elle produit, selon l’intelligence, l’image du Père.

Saint Thomas et son école se contentent de donner comme raison de la génération du Fils qu’il procède selon l’intelligence produisant le Verbe, lequel est l’assimilation de l’objet connu au sujet connaissant. L’Esprit n’est pas engendré parce qu’il procède de la volonté dont l’acte ne tend pas à reproduire l’objet dans le sujet, mais à faire tendre le sujet vers l’objet. Explication accueillie par tous les thomistes, déclarée suffisante par les Salmanticenses, disp. III, dub. iii, § 1, et longuement défendue par eux, § 2-8 ; dub. iv en entier, n. 99-173, magistralement exposée par Jean de Saint-Thomas, disp. XII, a. 7. Au point de vue positif, on consultera Petau, t. VII, c. xiii. Billuart, Gonet, Tourncly font une bonne présentation de l’argument.

Les relations divines (q. xxviii). —

On a exposé à Relations divines, t. xiii, col. 2135, comment la théologie, pour justifier l’existence de relations en Dieu (a. 1) s’appuie sur l’Écriture, les Pères et les conciles, concluant de son enquête que cette existence des relations en Dieu est article de foi ou tout au moins certitude très proche de la foi. Elle conclut également que ces relations divines ne peuvent être que subsistantes, c’est-à-dire substantielles et non accidentelles. Mais autre chose est l’affirmation doctrinale consacrée par le concile de Florence, autre chose est l’analyse métaphysique du concept de relation et sa comparaison en Dieu avec la substance divine, avec laquelle, en réalité, s’identifie nécessairement la relation subsistante. Un des meilleurs exposés philosophiques de cette question scol astique est celui de Billot, De relatione prseambula disquisitio, au début du commentaire sur I », q. xxviii, DeDeo Irino, Rome, 1926, p. 404-417.

1. Le problème métaphysique de la relation. —

Cet aspect de la question a été traité à Relations, col. 2141 sq. Deux grands courants de pensée ont été relevés, celui de saint Thomas, auquel se rattache l’exposé de Billot, et celui de Suarez, dont les applications aux relations subsistantes entraîne, en plus d’un domaine, des conclusions assez divergentes. Ibid., col. 2142-2145. Voir aussi Salmanticenses, disp. IV, dub. ii.

Nous devons ajouter ici quelques indications complémentaires, d’ordre bibliographique. La théorie de Suarez, appliquée au problème trinitaire, De Trinitate, t. III, c. ix, n. 369, a eu des antécédents au Moyen Age, chez Pierre Auriol, In 7um Sent., dist. XIX, q. n. Voir plus haut, col. 1751. On la retrouve chez Tolet, In J, m part., q. xxviii, a. 1, concl. 3 ; Grégoire de Valencia, ibid., q. xxvii, a. 1, disp. II, q. ii, punct. i ; Ruiz de Montoya, disp. IX, sect. v-vn ; Tanner, disp. IV, q. iii, dub. I et iv ; Arriaga, disp. XLVIII, sect. i ; XLIX, sect. i-iv, et plusieurs autres dont on trouve les noms dans Muncunill, n- 580-581. Cette opinion a été reprise récemment par Robles Dégano, La relacion y la Santissima Trinitad, Madrid, 1923, et dans Torneos metafisico, Avila, 1928, et réfutée par Ramirez, O. P., Boletin de teologia dogmatica, dans la Ciencia Tomista, 1923, p. 399 sq. Inutile de citer les théologiens partisans de l’autre opinion : l’école thomiste dans sa totalité.

2. Les rapports de la relation subsistante à l’essence divine (a. 2 ; cf. q. xxxix, a. 1-2). —

L’art. Relations, col. 2147, a indiqué les conditions que doit réaliser une opinion sur ce sujet pour être recevable dans l’exposé théologique du mystère. On ne peut donc accepter que très difficilement l’opinion scotiste d’une distinction formelle ex natura rei, col. 2146. En voir la discussion, non seulement dans Gonet indiqué col. 2147, mais encore dans les Salmanticenses, disp. V, dub. ii, § v-x, n. 38-70. La distinction scotiste n’est recevable qu’à la condition de n’y voir qu’une distinction virtuelle ; et il est possible que beaucoup de ses partisans l’entendent ainsi. Les trois opinions librement discutées sur la nature de cette distinction virtuelle ont été indiquées col. 2148-2149. — Dans le premier groupe (distinction virtuelle majeure), aux noms de Molina, Vasquez et Alarcon, on ajoutera Tolet, q. xxviii, a. 2, concl. 2 et 3 ; Becan, De Trinitate, c. ii, q. v ; Tanner, id., disp. IV, q. iii, dub. m ; Fr. de Lugo, id., t. II, disp. VIII, c. ii, n. Il ; Arriaga, disp. XLVIII, sect. i, m ; Buonpensiere, q. xxviii, a. 2, n. 170, 171. — Au troisième groupe (distinction virtuelle mineure), se rattachent Gajétan, In I* m part., q. xxvii, a. 3 ; q. xxxiv, a. 1 ; Banez, id., q. xxviii, a. 2, concl. 4 ; Ripa, id., q. xxxix, c. i-ii ; Jean de Saint-Thomas, disp. XIII, a. 2, n. 3 et 6 ; Gonet, q. xxvii, disp. III, a. 2 ; Billuart, dissert. III, a. 3 ; L. Janssens, q. xxviii, a. 2, p. 236. — Dans le second groupe, placé sous l’égide de Silvestre de Ferrare et de Suarez, il faut également placer Bellarmin, Controv. i*, De Christo, t. II, c. ix ; Ruiz de Montoya, disp. XIII, sect. i-iii ; Amigo, disp. XIX, sect. vi, n. 150 ; Van Noort, n. 205.

— À la remarque finale sur la possibilité d’accorder ces opinions, on peut ajouter l’appréciation suivante de Billuart : Hi et alii similes modi dicendi in idem fere redeunt et videtur inter eos esse queestio de nomine. Dissert. III, a. 3. De bons auteurs parlent donc simplement de distinction virtuelle, sans préciser. Cf. Kleutgen, n. 1049.

3. Perfection inhérente à la relation comme telle. —

Le problème de l’identité des relations avec l’essence divine pose immédiatement celui de l’élément perfectif qu’elles apportent ou non à cette essence. Question traitée à Relations, col. 2144-2145. On n’ajoutera ici que quelques compléments utiles.

Au point de vue doctrinal, l’unique précision à apporter concerne un aspect de la question sur lequel l’unanimité des théologiens devrait se faire. Les relations, envisagées comme telles, et par conséquent, dans leur distinction virtuelle de l’essence, impliquent une perfection infinie. Ne disons-nous pas, à la préface de la Trinité (voir S. Thomas, a. 2, sed contra) : « Nous adorons la propriété dans les personnes, l’unité dans l’essence, l’égalité dans la majesté. » C’est donc une terminologie tout au moins défectueuse qu’adopte l’école scotiste, en affirmant que les relations divines, comme telles, ne disent ni perfection, ni imperfection. Mais peut-être n’y a-t-il là qu’une question de mots. Cf. Salmanticenses, disp. VII, dub. i.

La discussion proprement scolastique, rappelée à Relations, concerne un autre aspect du problème : les relations considérées sous le rapport de l’esse ad expriment-elles une perfection apportée à l’essence divine ? — L’école de Suarez (col. 2144) comporte elle-même des nuances. Une première tendance, pleinement logique avec la conception métaphysique proposée de la relation par Suarez, suggère l’existence d’une perfection relative, s’ajoutant à la perfection absolue de l’essence. Elle admet en conséquence trois perfections relatives en Dieu. C’est ainsi que Suarez, poussant à l’extrême logique son système, admet dans la Trinité non seulement trois subsistences personnelles, mais trois essences relatives (c. v), trois unités personnelles (c. vu), trois vérités personnelles (c. vin), trois bontés ou perfections personnelles (c. ix). Il se demande même si, à ce compte, on ne doit pas multiplier personnellement les attributs négatifs et positifs de Dieu ? (c. xi-xii). La solution affirmative est adoptée avec la restriction de l’emploi des termes pris adjectivement, conformément aux indications du symbole d’Athanase (c. xi, n. 8, 12). Voir ici Noms divins, t. xi, col. 791. Se rapprochent plus ou moins de Suarez (car il y a encore bien des nuances) : Tolet, q. xxviii, a. 1, concl. 3, 4 ; Grégoire de Valencia, disp. II, q. ii, punct. i ; Tanner, disp. IV, q. iii, dub. iv ; Fr. de Lugo, t. II, dist. X, c. n ; Amigo, disp. XIX, sect. viii, n. 192-213 ; Arriaga, disp. XLIX, sect. m ; Silv. Maurus, t. II, q. cix, n. 10-69 ; Muncunill, n. 1125-1145. — Une seconde tendance, tout en admettant le principe suarézien d’une perfection impliquée par l’esse ad comme tel, n’en tire pas les extrêmes conclusions logiques à l’égard d’une multiplication en Dieu des perfections relatives : « De ce que chaque perfection ou personne puisse être appelée une « chose » et qu’ainsi trois relations, trois « choses » sont dites en Dieu, cependant on ne saurait parler de trois bontés ou de trois perfections, parce qu’en réalité tout cela s’identifie avec l’essence en laquelle les relations s’intègrent pour constituer la déité ; et de cette intégration, mie seule perfection résulte. » Vasquez, disp. CXXII, c. vi. Ruiz, qui accepte ce point de vue, fait opportunément observer que, si des perfections relatives existaient comme telles et s’ajoutaient à la perfection essentielle, il y aurait dans la Trinité une perfection supérieure à celle de la divinité seule. Ce qui est insoutenable. À cette thèse se rallie en substance Franzelin, th. xxv, n. 3 ; Chr. Pesch, n. 628-630.

Cette seconde tendance, on le voit, se rapproche beaucoup de l’opinion thomiste. Mais celle-ci, à son tour, affecte deux tendances. Certains dominicains affirment que la relation considérée formellement, c’est-à-dire selon l’esse ad, n’inclut aucune perfection ; mais la relation divine, même considérée sous cet aspect, inclut une perfection infinie, souveraine, unique, parce qu’elle renferme implicitement l’essence divine. C’est la thèse de Bafiez, q. xxviii, a. 2, concl. 3 ; de Jean de Saint-Thomas, disp. XIII, a. 3, n. 8-20 ; de Contenson, De Trinitate, t. III, dissert, ii, c. ii, spec. 3 ; de Gotti, De Trinitate, q. iii, dub. iii, § 1-2. Voir l’exposé dans les Salmanticenses, disp. VI, dub. i, § 1, n. 5. — Une tendance plus conforme à la métaphysique de la relation est celle que nous avons indiquée à Relations, col. 2145, en l’attribuant à l’école thomiste en général. La perfection de la relation divine lui vient, non de son esse ad, mais de son esse iii, par lequel elle s’identifie à l’essence. Bien que les relations divines soient infiniment parfaites et, comme telles, adorables, elles n’ajoutent cependant aucune perfection à l’essence dont précisément elles tirent toute leur perfection. Citons : Chez les dominicains : Capréolus, In I am Sent., dist. XXVIII, a. 1, ad 2um, contr. 5 concl. ; Silv. de Ferrare, Cont. Gentes, t. II, c. ix ; Cajétan, q. xxviii, a. 2, ad 3 un > ; Ripa, q. xxviii, a. 2, dub. n ; Nazarius, q. xxviii, a. 2, controv. 2 ; N. Arnou, q. xxviii, a. 3, c. iv, § 1-4 ; Godoy, q. xxviii, tract. X, disp. LXXVIII, § 3-4 ; Gonet, tract. VI, disp. III, a. 5, § 1-4 ; Billuart, dissert. III, a. 5. Chez les scotistes, à la suite de Scot, In / um Sent., dist. VIII, q. iv, n. 23 et Quodl. v, q. v : Rada, controv. xxvii ; Mastrius, In I am Sent., disp. VII, q. i, a. 1-4 ; Frassen, disp. II, a. 2, q. m ; Montefortino, q. xxviii, a. 2, q. n ; Henno, disp. II, q. iii, concl. 2. On n’oubliera pas cependant que cette concordance accidentelle du scotisme et du thomisme laisse subsister les divergences plus considérables signalées ailleurs, col. 1749. Les Salmanticenses se rattachent à cet enseignement, disp. VI, dub. ii, § 1-15. Chez les jésuites : Molina, q. xlii, a. 6, disp. II, concl. 2 ; Bellarmin, De Christo, t. II, c. xii ; Becan, De Trinitate, c. ii, q. vi ; Billot, th. xxxix ; Kleutgen, n. 1083.

4. Nombre et distinction des relations divines (q. xxviii, a. 3, 4). —

Tous s’accordent à reconnaître en Dieu quatre relations réelles subsistantes et seulement trois personnes. On a indiqué ici, Relations, col. 2149-2150, les degrés de certitude de cette affirmation en la décomposant en ses éléments. Il serait superflu d’y revenir.

Les personnes considérées en commun (q. xxixxxxii). —

1. Personnes et relations divines. —

La définition que Boèce a donnée de la personne : « substance individuelle de nature raisonnable » est, en général, acceptée de tous ; mais on la complète par l’idée d’incommunicabilité (q. xxix, a. 1). On n’a pas à revenir sur l’exposé fait à Hypostase, t. vii, col. 409 sq. ; mais à dessein, nous laissons de côté, dans cette synthèse de l’enseignement catholique, les notions hétérodoxes relevées à Hypostase, col. 424-436, dont il a été fait, plus haut, col. 1793, mention suffisante. On rappellera d’un mot que les théologiens à la suite de saint Thomas (a. 2) ont approfondi la notion de prrsonne à l’aide des notions d’essence, d’hypostase et de subsistence. Cf. Hypostase, col. 408. Depuis le concile de Florence, seule la notion de subsistence a été l’occasion d’un progrès (très relatif d’ailleurs) d’ordre théologique. L’exposé philosophique du mystère de l’incarnation a incité certains théologiens, comme Cajétnn tt Suarez, à concevoir la subsistence comme un mode substantiel, se surajoutant à la substance cllt -même, tandis ( ; u’au xviie siècle, le jésuite Tiphaine revenant presque à la conception scotiste ne voulut y voir que la substance concrète considérée dans sa totalité. Sur ces conceptions, outre l’article Hypostase, col. 411-42°, voit Th. de Régnon, lUudes, t. I, p. 20 1 sq, Les répercussions de cet systèmes dans le problème trinitaire sont de moindre importance, mai. se traduisent néanmoins par des nuances non négligeables.

En premier lieu, on constate cette répercussion à propos de l’élément constitutif de la personne divine. Voir Relations, col. 2152. Mais les nuances qui divisent les théologiens apparaissent ici plutôt verbales et, partant, rendent assez délicat le classement des auteurs. À l’art. Relations, nous avons essayé de les grouper en deux tendances. Le problème plus mûrement examiné, nous serions incité à les répartir en trois classes : 1° Ceux qui admettent que l’esse ad implique par lui-même une réalité : en conséquence, ces auteurs ne voient pas la nécessité de placer le constitutif de la personne ailleurs que dans cet esse ad. C’est ainsi qu’aux côtés de Durand de Saint-Pourçain se rangent Suarez et tous ceux qui se rattachent à la métaphysique suarézienne de la relation. Citons : Amigo, disp. XX, n. 55 ; Pesch, n. 602 et P. Galtier. — 2° Ceux qui admettent que l’esse ad n’exprime par lui-même aucune réalité, mais que cette réalité vient de l’esse iii, et ils se subdivisent en deux catégories. Les uns placent le constitutif de la personnalité divine formellement dans l’esse ad ; toutefois, disent-ils, cet esse ad peut être considéré en tant que relation supposant à relation, et sous cet aspect il distingue seulement les personnes ; mais l’esse ad peut être aussi considéré comme le sujet se référant à un autre sujet ; et, sous cet aspect, il constitue la personne. Solution de Cajétan, q. xl, a. 1 ; de Jean de Saint-Thomas, disp. XVI, a. 1, n. 24-25 ; de Gonet, de Billuart, dissert. VI, a. 2. D’autres, tout en partant du même principe, admettent plus simplement et avec moins de subtilité que la personne est constituée en Dieu par la relation considérée comme subsistante ; donc, par l’esse ad connotant l’essence divine avec laquelle il s’identifie dans l’esse in. Solution de Bafiez, q. xl, a. 3, concl. 1 ; des Salmanticenses, disp. XVIII, dub. iv, § 3-6 ; de Capréolus, In I am Sent., dist. XXVI, q. i, § 3 ; de Silvestre de Ferrare, qu’on retrouve chez Billot, A. d’Alès, van der Meersch, etc. On comprend que les théologiens partisans de cette deuxième solution trouvent entre leur théorie et celle de Suarez une certaine affinité. Aussi les Salmanticenses, loc. cit., n. 68, rapprochent de Silvestre de Ferrare Vasquez, disp. CXXVII, c. ii, Suarez, loc. cit., Ruiz, disp. XXXII, sect. vu et alii plures, tam inira quam extra scholam divi Thomæ.

En second lieu, en fonction de leurs systèmes particuliers, les théologiens ont agité le problème de la subsistence absolue et des subsistenecs relatives en Dieu. On n’a rien à ajouter à ce qui a été dit à Relations, col. 2153-2155.

2. Pluralité des personnes en Dieu (q. xxx, a. 1-4).

La pluralité des personnes en Dieu n’apporte aux théologiens presque aucun élément de désunion. Il est trop évident, étant donnée la Révélation, qu’il faut placer en Dieu plusieurs personnes distinctes (a. 1), qu’il n’y a que trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit (a. 2) et que ce nom de personne est commun aux trois, non certes comme le genre ou l’espèce sont communs aux individus, mais comme indiquant en Dieu d’une manière vague — la seule que nous puissions avoir en parlant de Dieu — l’individualité caractéristique de la personnalité (a. 4). Deux points seulement ont pu retenir leur attention.

Ils se demandent d’abord pourquoi en Dieu trois personnes seulement, alors qu’on compte quatre relations subsistantes. Mais tous l’exposent en rappelant la règle promulguée a Florence : aucune distinction possible en Dieu là où n’intervient pas’opposition des r. lations. I.a spiration active étant commune au Père et au Fils ne peut constituer une personne. Ainsi s’expriment les commentatean de la q. xxx, a. 2, ad 1°". Le fait que la’piration active s’identifie avec la paternité et la filiation la constitue relation personnelle ; mais le fait qu’elle ne s’oppose pas à ces deux relations l’empêche d’être personne distincte dans sa subsistence propre. Cf. Suarez, t. V, c. viii, n. 5-6.

Ils se demandent ensuite, en commentant l’a. 3, quelle idée expriment les termes numéraux relativement aux personnes qu’ils désignent. Tous admettent avec saint Thomas (q. xxx, a. 3) qu’ils n’ont qu’une signification transcendantale ; ils « signifient simplement les personnes dont on les affirme, en y ajoutant simplement une négation », la négation de l’identité d’une personne avec les deux autres personnes. Cette signification transcendentale est sauvegardée dans l’expression « trinité », employée pour désigner les trois personnes dans l’unité de nature et, par sa forme même, excluant la signification quantitative du terme « triple », qu’il n’est pas permis d’employer (a. 1). C’est pour avoir manqué à ces règles de langage que les jansénistes de Pistoie ont mérité un blâme en parlant d’un Dieu « distinct en trois personnes » au lieu d’un Dieu en trois personnes distinctes. Denz.-Bannw., n. 1596. Cf. ici t.xii, col. 2222

Ces affirmations communément admises sont cependant le point de départ de subtiles discussions, sur lesquelles il est impossible de s’arrêter. Les Salmanticenses ne leur consacrent pas moins d’une disputatio (la Xe) en 5 dubia. On pourra s’y référer. Saint Thomas et les commentateurs se contentent d’y rattacher quelques brèves discussions sur l’emploi de substantifs et d’adjectifs et notamment des mots alius et solus en parlant de la Trinité. La doctrine reçue a été exposée à Noms divins, t. xi, col. 790, 791-793 ; cf. t. i, col. 282-283. On consultera également Jean de Saint-Thomas, disp. XIV, a. 4.

3. Connaissance des personnes divines (q. xxxii). —

En commentant la q. xxxii, les théologiens rappellent à la suite de saint Thomas, que le mystère de la sainte Trinité est un mystère proprement dit, inaccessible à la raison humaine. Ils font en général le procès des auteurs du Moyen Age qui ont voulu entreprendre une démonstration rationnelle du mystère ; ils interprètent cependant en bonne part Richard de Saint-Victor et surtout saint Anselme. Saint Thomas avait brièvement parlé de la doctrine platonicienne du Verbe, a. 1, ad l um. C’est surtout à la fin du xixe siècle et au début du xxe que nos théologiens ont mis au point cette question. Voir Fils de Dieu, col. 23792386, avec les références bibliographiques.

On a vu que plusieurs auteurs du xixe siècle, en Allemagne et en Italie, col. 1794 sq., avaient tenté de reprendre une démonstration rationnelle de la Trinité. La théologie catholique n’a pas manqué d’adapter à la réfutation de leurs tentatives la doctrine traditionnelle transmise par saint Thomas et les autres docteurs : Franzelin, Kleutgen, Pesch, Janssens s’en sont inspirés dans leurs controverses.

Un autre passage de saint Thomas a retenu l’attention des commentateurs ; c’est l’ad 2um, qui justifie certaines raisons de convenance apportées pour prouver le mystère. Elles montrent simplement qu’une vérité posée, admise, reconnue, s’accorde avec la raison, l’expérience, les faits. C’est ainsi que saint Thomas interprète en bonne part les raisonnements de l’école bonaventurienne touchant la bonté divine qui doit se manifester nécessairement dans la procession des personnes ineffables ; ou encore la possession d’un bien non partagé qui ne saurait rendre heureux. Signalons les heureuses applications faites des raisons de convenances par Bossuet, Sermon pour la fête de la Très Sainte Trinité (l’Église, image de la Trinité), éd. Lebarq, t. ii, p. 48 sq. ; Élévations sur les mystères, 2e semaine (en entier) ; 12e semaine, viii-x ; Méditations sur l’Évangile, La Cène, I" partie, 5 « , 6e, 84e 86e jours (sur les fêtes) ; 2e partie, 19 « -25e jours (sur le Saint-Esprit), 58e -59e jours (unité du Père et du Fils ; unité des fidèles dans le Christ) ; 70e -71e jours (la Trinité par rapport à nous). Voir aussi Monsabré, Conférences de Notre-Dame, carême 1874, conꝟ. 10 et 11.

Enfin, un certain nombre de théologiens, cf. Billot, th xv, ad 3um, rattachent à cette question de la connaissance de la Trinité le fait que Dieu a créé l’âme humaine à l’image de la Trinité et que les êtres inanimés eux-mêmes en présentent des vestiges. Cette question a d’ailleurs été traitée par saint Thomas dans la Somme, I », q. v, a. 5 ; q. xlv, a. 7 ; q. xcvii, a. 5-8. C’est aux commentaires de ces questions qu’il faudra se reporter. Cette similitude d’image est très réelle, même quant aux propriétés des personnes divines (se rappeler la théorie psychologique de saint Augustin ) procédant selon l’intelligence et la volonté, mais elle ne nous est pas connue avant la révélation du mystère et, dès lors, ne saurait nous mettre sur le chemin d’une connaissance certaine de la Trinité. Billot, th. xv, se référant à saint Thomas, In Boetium, De Trinitate, q. i, a. 4, ad 6um ; cf. Taymans d’Eypernon, Le mystère primordial, Paris, 1946.

La connaissance par voie de raisonnement étant impossible, il est dom nécessaire, concluent nos théologiens, de recourir à la voie de la révélation. Et c’est ici que les commentateurs de la lettre de saint Thomas intercalent les données de la théologie positive, scripturaire et patristique. V. g. Billot, th. xv, p. 490-527.

4. Les notions divines (q. xxxii, a. 2-4). —

On se référera à l’art. Notion (dans la Trinité), t. xi, col. 802-805. Les notiois sont les notes ou propriétés par lesquelles nous discernons une personne de l’autre dans la Trinité. Il est donc logique que leur étude intervienne ici dans la connaissance des personnes divines.

Il est à remarquer que, dans l’a. 4 de cette question, saint Thomas déclare que la doctrine des notions divines n’appartient à la foi qu’indirectement et qu’ainsi elle laisse une certaine liberté aux opinions. C’est ce qui explique certaines divergences chez les théologiens quant à l’appréciation des notions et des propriétés en Dieu. Voir art. cit., col. 803-804. Cf. Suarez, 1. VII. C’est surtout sur la notion d’innascibilité que portent les controverses, dont on aura un aperçu très suffisant dans la disp. XI des Salmanticenses et dans Jean de Saint Thomas, disp. XIV, a. 3. On rapprochera de cette question sur les notions divines la q. xli sur les actes notionnels, dont un aperçu a été donné, Notion, col. 804-805. Ces questions sont généralement peu commentées ; voir cependant Suarez, 1. VI.

Les personnes considérées en particulier. —

1. Le Père (q. xxxiii). —

On se reportera à l’art. Père, où se trouve exposée la doctrine des théologiens relativement aux noms de * principe », de « Père », d’ « inengendré », propres à la première personne. Voir t.xii, col. 1188-1192. C’est surtout au point de vue de la révélation et de la tradition patristique que la personne du Père est étudiée. Voir Petau, t. V, en entier ; Thomassin, c. x-xv. À la personne du Père, Petau rattache la question de la génération du Fils (c vivm ) et Thomassin l’explication du texte Pater major me est. Suarez consacre au Père tout le livre IX.

2. Le Fils (q. xxxiv-xxxv). —

a) Le Fils est vraiment engendré, voir Fils de Dieu, col. 2471-2473, et plus haut, col. 1809. On l’appelle aussi Verbe ou Image. Cf. Petau, t. VI, c. i-m, v-vn. C’est sur ces deux expressions, auxquelles saint Thomas a consacré deux questions, que portent principalement les commentaires théologiques.

b) À propos du « Verbe », les commentateurs de la question xxxiv, a. 1-2 (à part de rares exceptions, cf. Antoine, De Trinitate, t. ii, a. 6) déclarent qu’il faut abandonner le concept de certains anciens théologiens et même de saint Thomas dans sa jeunesse (In 7um Sent., dist. XXVIII, q. ii, a. 2) accordant au mot « verbe » une signification essentielle, que saint Thomas, dans la Somme, a définitivement répudiée. La connaissance commune aux trois personnes ne se termine pas, en effet, au Verbe ; c’est la connaissance du Père qui, véritable diction, produit le Verbe personnel. Cf. Ruiz, disp. LX, sect. VI. Ce qui n’empêche pas les théologiens de dire que Dieu voit toutes les créatures, ou que les élus, par la vision intuitive, les connaissent dans le Verbe, Verbe étant pris ici pour l’essence divine. Cf. Vasquez, disp. II, c. ii-m ; Platel, De Deo, n. 78 ; Piccirclli, De Deo uno et trino, n. 495 ; Pesch, n. 522 ; Billot, th. xxii. Ainsi, avec saint Thomas, a. 3, il est juste de dire que le Verbe est la cause exemplaire de toutes choses, en raison de l’essence absolue qui lui est commune avec le Père et le Saint-Esprit. Cette causalité exemplaire est une appropriation, tout comme au Père est attribuée la causalité efficiente et au Saint-Esprit la causalité finale. Sur les appropriations dans la Trinité, voir, outre l’art. Appropriations, t. i, col. 1171-1177, Ruiz, disp. LXII, c. iv et vu ; Salmanticenses, q. xxxix, a. 8 (simple note) ; Franzelin, th. xiii ; Scheeben, § 124 ; Hurter, n. 222 ; Kleutgen, n. 1106 ; Pesch, n. 639 ; Galtier, n. 381 ; d’Alès. p. 228233 ; Van der Meersch, n. 856 ; Diekamp-Hoffmann, p. 387 ; Billot, th. xxxiv. Au sujet de l’appropriation au Verbe de la création, ce dernier auteur fait remarquer que cette doctrine est corroborée par la ponctuation de Joa., i, 3-4 : sine ipso jactum est nihil. Quod factum est in ipso vita erat., ponctuation peut-être plus traditionnelle que celle de la Vulgate. Th. xxii, ad 2 U1B, note. Voir art. Verbe.

c) Puisque la procession du Fils est dans l’ordre du « connaître » divin, les théologiens se sont demandé quel est l’objet de cette connaissance, lorsque le Père, de toute éternité, produit le Fils (q. xxxiv, a. 3). La réponse obvie semble bien être que le Verbe procède selon la connaissance que Dieu a nécessairement de toutes choses, c’est-à-dire de la connaissance de l’essence divine et de ses attributs, des personnes divines, et de tous les possibles et, de plus — mais cela d’une manière simplement conséquente au décret libre de Dieu touchant la création — de la connaissance des choses créées. Cf. Dickamp, § 18, n. 2. Les théologiens ont voulu cependant apporter quelques précisions à cette doctrine générale, précisions auxquelles lis Salmanticenses consacrent toute la disp. XII, n. 1-131. Si l’on veut résumer brièvement les opinions, on s’en tiendra au schéma suivant : a. Tous, sans exception, admettent que le Verbe procède de la connaissance de l’essence divine et des attributs. Mais s’en tiennent là Scot et les scotistes. In /" Sent., dist. XXXII, q. i ; In II am Sent., dist. I, q. i, a. 2 : Verbum procederee cognitione ipsius essentiæ divinee tantum et non ecognitione divinarum personarum. Frassen s’efforce cependant de montrer que Scot est d’accord avec les thomistes, Scotus academicus, tract. III, disp. I, a. 3, q. ii, concl. 2. — b. Vasquez, à la connaissance de l’essence, ajoute celle du Père et du P’ils, mais non celle du Saint-Baprft et dis créatures possibles ou réelles. Disp. CXI. II et CXLIII. — c. Le même Vasquez, disp. (XI. III, n. 33 et Arrubal, disp. CCXII, c. v, affirment que la procession du Verbe n’implique pas, en soi, la connaissance des choses possibles, Dieu connaissant sa toute-puissance, non par rapport à son objet, mais par rapport à la perfection même qu’elle implique.

— d. Enfin, la plupart des thomistes ne conçoivent pas que la procession du Verbe implique, par elle-même, la connaissance des créatures : les créatures ont été librement voulues par Dieu et réalisées dans le temps. Cependant, on peut admettre que cette connaissance est concomitante ou conséquente au décret éternel relatif à la création. Salmanticenses, loc. cit., n. 128131 ; cf. Gonet, disp. IX, a. 3, § 1 ; Billuart, dissert. V, a. 3 ; Hugon, Tractatus dogmatici, t. i, q. vii, n. 4. Suarez, qui suit ici les thomistes, n’accepte la connaissance des choses créées qu’au titre de « fondement matériel » et non au titre d’ « objet matériel » de la science de vision, t. IX, r. vu. Molina et Vasquez sont sur ce point d’accord avec Suarez. Aussi d’autres thomistes disent-ils simplement que la procession du Verbe implique également la connaissance des créatures. Billot, th. xxiii ; Janssens, p. 508 ; van der Meersch, n. 772-773 ; Galtier, n. 336-337. Saint Thomas n’écrit-il pas expressément : Pater, intelligendo se, et Filium, et Spiritum Sanctum, et omnia alia, quæ ejus scienlia continentur, concipit Verbum, q. xxxiv, a. 1, ad 3um ? Sur tous ces points, voir outre les Salmanticenses. loc. cit., Sua-ez qui, au t. IX, donne un bon aperçu d’ensemble des controverses et L. Janssens, De Deo trino, p. 496 sq. Pour les sources patristiques, voir Ruiz, disp. LX, sect. iv-v ; LXII, sect. n ; LXIII, sect. ni.

d) L’image est un terme personnel, propre au Fils (q. xxxv, a. 1-2). Cf. Salmanticenses, disp. XIII. Les théologiens précisent ici deux points : a. La notion d’image est appliquée au Fils par Col., i, 15 ; cf. Hebr., i, 3 ; et par bien des Pères, voir Petau, loc. cit., c. v et vi. Elle convient proprement à la divinité, c’est-à-dire au Fils. Voir ici Fils de Dieu, col. 2474-2475, nonobstant l’opinion contraire, aujourd’hui abandonnée, de Durand de Saint-Pourçain, In J um Sent., dist. XXVIII, q. iii, n. 5, que réfutent les Salmanticenses, loc. cit., dub. i, § ii. — b. Mais la notion d’image a été aussi appliquée au Saint-Esprit, surtout par les Pères grecs. On cite surtout Grégoire le Thaumaturge, Expositio fidei, P. G., t. x, col. 985 A ; S. Athanase, Ad Serapionem, i, n. 20-24, t. xxvi, col. 577, 588 B ; S. Cyrille d’Alexandrie, Thésaurus, assert. 33, t. lxxv, col. 572 AB ; S. Basile, De Spiritu sancto, n. 23 et 47, t. xxxii, col. 109 B, 153 A ; S. Jean Damascène, De fide orth., t. I, c. xiii, t. xerv, col. 856 AB. Cf. Petau, t. VII, c. vu ; de Régnon, t. iii, p. 320 sq. ; d’Alès, p. 143, 145-146. Par sa procession, en effet, le Saint-Esprit est semblable au Père et au Fils. Telle est l’explication donnée de cette formule par saint Thomas, Cont. errores Grsecorum, c. x. On trouve quelque écho de cette doctrine chez Capréolus, In I" m Sent., dist. XXVI, q. ii, concl. 6° ; et chez P. Auriol, voir ci-dessus, col. 1 750. Nos théologiens font observer que le terme d’image ne peut être appliqué au Saint-Esprit que d’une manière impropre : au sens strict l’image n’est telle que lorsque la ressemblance avec l’original lui vient en vertu de son origine même ; ce qui est le cas pour le Fils, engendré du Père en une nature semblable, et non pour l’Esprit Saint, chez qui la ressemblance est réalisée pour ainsi dire per accidens relativement à la spiration. Cf. Salmanticenses, disp. XIII, dub. n ; Ruiz, disp. LXIV, sect. vi ; Pesch, n. 588.

3. Le Saint-Esprit (q. xxxvi-xxxviii). —

a) Le nom du Saint-Esprit, donné dès le début du christianisme à la troisième personne, indique bien la procession selon la volonté : Le substantif Spiritus implique, dans les choses matérielles, l’idée d’impulsion, de mouvement… Or, le propre de l’amour est de pousser et d’entraîner la volonté vers l’objet aimé. Quant au mot « saint », il s’applique à tout ce qui a Dieu pour but et la troisième personne procède par mode d’amour. Le nom d’Esprit-Saint lui convient parfaitement. S. Thomas, a. 1. C’est cette vérité qu’expriment unanimement l’Écriture, les Pères, les théologiens. Voir de Régnon, op. cit., t. iv, p. 287-384.

Deux autres noms ont été choisis pour désigner l’Esprit-Saint : Amour et Don. L’Esprit-Saint est dit « Amour » (q. xxxvii, a. 1-2) par application du texte de saint Paul : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. » Rom., v, 5. L’amour est une impulsion de celui qui aime vers l’être aimé. Or, le Père et le Fils ne peuvent s’aimer sans produire le Saint-Esprit qui est l’expression personnelle de leur amour, comme le Verbe est l’expression personnelle de la pensée du Père. — Enfin il est dit « Don » (q. xxxviii, a. 1, 2) et ce nom est emprunté à plusieurs textes de l’Écriture, Act., ii, 38 ; vin, 20 ; II Cor., i, 22 ; v, 5 ; Eph., i, 14 ; Rom., viii, 15-16. Ce nom est personnel au Saint-Esprit, comme l’Image l’est au Verbe, en tant qu’il marque dans le Saint-Esprit l’origine première de toutes les communications surnaturelles faites aux créatures. Cf. Petau, t. VIII, c. m.

Sur les autres appellations métaphoriques du Saint-Esprit : le « nœud » du Père et du Fils (S. Augustin, De Trinitate, t. VI, n. 5, P. L., t. sur, col. 928) ; le « baiser » du Père et du Fils (S. Bernard, In Canlica, serm. viii, n. 2, P. L., t. clxxxiii, col. 811) ; la « source vive », Joa., iv, 13, 14 ; vii, 38, 39 (cf. S. Cyrille de Jérusalem, Cat., xvi, n. 12, P. G., t. xxxiii, col. 934) ; la « force de Dieu », Luc, xxiv, 49 (cf. S. Cyrille d’Alexandrie, Thésaurus, assert. 34, P. G., t. lxxv, col. 603) ; le « doigt de Dieu », Matth., xii, 28, Luc, xi, 20 (cf. Cyrille d’Alexandrie, loc. cit., col. 575) ; le « sceau » et « l’onction de Dieu » (S. Athanase, Ad Serapionem, i, n. 22, 23, P. G., t. xxvi, col. 582, 583), voir Pesch, n. 572-577 et Ruiz, disp. LXXVI. D’ordinaire, les théologiens se contentent d’énumérer ces dénominations sans les commenter longuement.

b) Le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. —

Sur ce point, abondants sont les commentaires : la controverse dogmatique avec l’Orient donne ici aux théologiens un aliment substantiel. Consacrée par le concile de Florence (décret d’union), cette doctrine est accueillie comme un dogme de foi et exposée comme telle par tous. Voir ici Esprit-Saint, t. v, col. 762 sq., et Filioque, t. v, col. 2309 sq.

Nos théologiens latins rejettent comme téméraire la restriction jadis formulée par Durand de Saint-Pourçain, In J um Sent., dist. XXIX, q. ii, et Grégoire de Rimini, ibid., dist. XII, q. i, sur la propriété et l’exactitude du terme tanquam ab uno principio. Cf. Banez, In 7 am part., q. xxxvi, a. 4 ; Ruiz, disp. LXX, sect. i, n. 14, et tous les modernes. Mais, sous cette unité de doctrine ferme, le vieil antagonisme des opinions persiste. Si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils, s’en distinguerait-il réellement ? La réponse communément reçue le nie : n’est-ce pas l’opposition des relations qui fait en Dieu la distinction des personnes ? C’est là, on l’a vii, le sentiment de saint Thomas, qu’appuie l’immense majorité des théologiens de toute école, même Suarez, à qui cependant une conception particulière du principe « spirateur » suggère quelques hésitations. Cf. Salmanticenses, disp. XV, dub. m et iv. D’ailleurs l’hypothèse contraire, envisagée par Scot et quelques nominalistes, n’est qu’une hypothèse et ne mérite pas qu’on s’y arrête. Salmanticenses, loc. cit., dub. iii, n. 71-150 ; Jean de Saint-Thomas, disp. XV, a. 3, n. 21 sq. C’est au point de vue nettement dogmatique que Gonet a repris le problème, en fonction de la position des Grecs qui affirment énergiquement que le Saint-Esprit procède du seul Père et que néanmoins il se distingue du Fils. L’art. 1 de la disp. X, consacré à ce sujet, est à lire attentivement ; il constitue un heureux mélange de la théologie spéculative et de la théologie positive, si complètement développée par Petau, 1. Vil, c. ix.

c) Le Saint-Esprit, amour commun du Père et du Fils (q. xxxvii, a. 2). —

La procession du Saint-Esprit ab ulroque, selon la volonté, est une procession d’amour. Les théologiens se posent une question : comment envisager, au point de vue personnel, ce mutuel amour du Père et du Fils ? Le meilleur commentaire qui ait été fait de cette q. xxxvii, a. 2, est peut-être celui de Jean de Saint-Thomas, disp. XV, a. 5.

Des cinq manières dont saint Thomas déclare qu’on peut entendre cette affirmation, on doit en retenir surtout deux : l’amour en Dieu peut être ou essentiel ou notionnel. Pris essentiellement, l’amour en Dieu est absolu et commun aux trois personnes. Et, en ce cas, le Saint-Esprit ne peut être l’amour mutuel du Père et du Fils, puisque c’est par leur essence que s’aiment le Père et le Fils. C’est donc notionnellement que doit être entendu l’amour mutuel producteur du Saint-Esprit. S’aimer, en ce sens, n’est donc pas autre chose, pour le Père et le Fils, que « spirer », c’est-à-dire être le principe unique dont procède l’Amour-personne, comme « dire » n’est pas autre chose que produire le Verbe. Voir Suarez, t. XI, c. m ; Salmanticenses, disp. XVI, dub. i ; Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 3-4 ; Franzelin, th. xxix, § 3 ; cf. J. Slipyj, Z)e amore mutuo et reflexo in processione Spiritus sancti explicando, dans Bohoslavia, Lwov, 1923, p. 97 sq.

Puisque la procession du Saint-Esprit est dans l’ordre de l’amour, les théologiens se sont demandé quels sont les objets de cet amour. Mêmes hésitations et divergences se retrouvent ici, que nous avons trouvées à propos de l’objet de la connaissance dont procède le Verbe. Voir ci-dessus, col. 1817. Cf. Ruiz, disp. CXI, sect. n-vi ; Suarez, t. XI, c. ii-m ; Salmanticenses, disp. XV, dub. vi ; Billot, th. xxviii et corollaire ; Pesch, n. 570-571.

d) La procession du Saint-Esprit par le Fils. —

Les théologiens se sont demandé si la formule grecque « procéder du Père par le Fils » était admissible. Saint Thomas l’avait interprétée bénignement. I », q. xxxvi, a. 3. Suarez montre en quel sens elle peut être retenue. L. X, c. iii, n. 4 sq. Franzelin apporte encore plus de précisions, th. xxxvi. Voir Salmanticenses, disp. XV, dub. i, § 1 ; Kleutgen, n. 1000-1010 ; Pesch, n. 541543 ; Diekamp-Hoffmann, § 19, p. 369 ; Billot, th. xxvi, ad 2um ; L. Janssens, p. 595-601.

Nous laissons délibérément de côté certaines questions plus subtiles agitées à propos de la procession du Saint-Esprit, nous contentant de renvoyer aux Salmanticenses, disp. XV, dub. m-v ; à Jean de Saint-Thomas, disp. XV, a. 4 ; à Suarez, t. X, c. m-vi ; à Ruiz, disp. LXXI.

Rapports des personnes à l’essence (q. xxxix). —

Cette question de la Somme est assez brièvement commentée par les théologiens. En réalité elle constitue soit une simple conclusion de ce qui a été dit touchant la relation subsistante en Dieu, soit des applications pratiques concernant la terminologie à retenir.

1. Conclusions des principes touchant la relation subsistante en Dieu. —

Puisqu’en Dieu personne et essence s’identifient dans la réalité, il faut se garder d’envisager l’essence divine par rapport à la personne, comme nous le faisons quand il s’agit des objets de notre connaissance sensible. En ceux-ci, nous considérons l’essence concrète et réalisée non comme un individu subsistant, mais comme un principe de subsistence, laquelle se réalise par l’existence propre, distincte des autres existences. Si nous voulons concevoir l’essence divine telle qu’elle est concrètement, nous ne pouvons la concevoir, au contraire, que comme une essence subsistante en soi. C’est la seule manière de conserver intacte la doctrine scolastique de la relation subsistante, réelle grâce à son identité avec l’essence. Si donc nous comparons en Dieu personne et essence, c’est par une sorte d’abstraction, tout entière conforme aux exigences de notre esprit et nullement fondée dans une exigence de la réalité. Il faut toutefois maintenir que les relations réelles qui constituent les personnes, réelles grâce à leur identité avec l’essence, sont cependant distinctes entre elles, en raison de leur opposition. A. 1. Il s’ensuit donc que, tout en se distinguant entre elles, les personnes ont la même essence. A. 2.

2. Terminologie. —

De là suivent les règles concernant l’emploi des termes essentiels abstraits et concrets. A. 3-7. Se reporter à Noms divins, t. xi, col. 790, 791-792, et à Abstraits et concrets (Termes), t. i, col. 282. Enfin, ces principes sont nécessaires pour justifier certaines appropriations aux personnes des noms essentiels ; voir Noms divins, col. 790-791 et Appropriation, t. i, col. 1708.

Rapports des personnes avec les relations ou propriétés (q. xl). —

C’est encore par une sorte d’abstraction que nous pouvons faire cette comparaison. La relation ou la propriété (paternité, filiation, spiration ) n’est plus considérée ici comme substance, mais comme une forme s’ajoutant à la personne pour la perfectionner ; c’est pourquoi nous l’envisageons non plus sous l’idée de Père, mais sous l’idée de paternité. La relation ainsi envisagée d’une manière abstraite prend le nom de propriété. Quoique s’identiflant en réalité avec la notion, la propriété existe en Dieu indépendamment de nous, tandis que la notion répond à une question de notre intelligence. Cf. Notion, t. xi, col. 803.

Au sujet des propriétés divines, les théologiens posent trois problèmes qu’on résumera ici brièvement.

1. L’existence des propriétés, paternité, filiation, procession, est admise par tous et considérée comme une vérité si certaine que l’assertion opposée (autrefois soutenue par Prévostin) doit être considérée comme une témérité ou une erreur. La propriété, en effet, est affirmée par les conciles comme distinguant les personnes. Voir IVe concile du Latran, Denz.-Bannw. , n. 428 ; concik de Tolède, 17>j’d., n. 275 sq. C’est qu’en réalité ces propriétés s’identifient avec les personnes ; mais, par une abstraction de notre esprit, « nous les considérons comme des formes individuelles constituant les personnes, en tant que la personne est prise pour un être subsistant en une nature commune ». Billot, th. xxxv. Cf. Salmanticcnses, disp. XVIII, dub. i.

2. Propriétés absolues ou relatives ? —

Il s’agit ici évidemment de propriétés relatives, puisque, selon notre manière de comprendre, elles servent à constituer et à distinguer les personnes. Doctrine unanimement enseignée aujourd’hui, contre l’opinion de quelques anciens scolastiques, Robert Grossetête, Jean de Ripæt autres. Voir col. 1731. Toutefois, il existe une propriété relative non personnelle, c’est la spiration active, commune au Père et au Fils. S. Thomas, a. 1, ad l nm ; Jean de Saint-Thomas, disp. XV, a. 4 ; Billot, th. xxxv, corollaire.

3. Comment les propriétés relatives distinguent les personnes. —

Il est préférable de dire que c’est non seulement par leurs origines, mais encore par leurs relations opposées. Sans doute, en réalité, c’est l’origine qui fait la relation ; mais, selon notre manière de concevoir, l’origine s’exprime comme un acte, la relation comme une forme. L’acte n’apparaît pas à notre reprit comme constitutif de la personne ; la forme ko contraire est intrinsèque à l’être. Les adversaires « le cette doctrine était nt Hichard de Saint-Victor et saint Bonaventure, qui ne veulent voir dans les propriétés Bf des relations d’origine. Cf. Salmantlcenses, disp. XVIII ; Suarez, t. VI, c. i, vi-vn ; 1. VII en entier ; controverse suffisamment résumée, dans Billot, th. xxxvi.

Les personnes comparées aux actes notionnels (q. xli). —

Voir ici Notion, t. xi, col. 802-805. Les Salmanticenses se contentent de quelques notes ajoutées au texte de saint Thomas. Suarez est plus prolixe, cꝟ. t. V, c. ix-x ; t. VI, c. m-v ; Jean de Saint-Thomas, disp. XIV, a. 3 ; disp. XVI, a. 1 et 2 ; Billot, th. xxxvii, xxxviii.

Comparaison des personnes entre elles (q. xlii). —

Cette comparaison établie en vertu des principes métaphysiques de la relation subsistante, fait ressortir la parfaite égalité des personnes : aucune perfection ne peut se trouver en une qui ne se rencontre dans l’autre ; également puissantes, également éternelles, puisqu’identiques par leur essence (consubstantielles), elles ne se distinguent que par l’opposition de leurs relations. C’est à la fois la doctrine de la consubstantialité et de la circumincession des personnes divines. Voir ces deux mots. Doctrine conservée même par les théologiens qui enseignent que les relations comme telles (selon leur esse ad) comportent une certaine perfection relative. Cette doctrine explique en apparence plus facilement comment la paternité, qui est une perfection, ne se trouve pas dans le Fils, nonobstant l’égalité parfaite des personnes et leur circumincession. Mais cette explication n’est pas une difficulté spéciale dans l’opinion thomiste : selon le concept métaphysique donné de la relation par cette opinion, tout ce que la paternité représente de perfection, le Fils le possède. Mais la paternité ne saurait être dans le Fils, en raison de l’opposition relative d’origine. C’est selon l’opposition d’origine et pas autrement qu’existe en Dieu la distinction des personnes.

Quant à la circumincession, que certains théologiens présentent comme le point le plus profond du mystère trinitaire, elle n’est, on le voit, qu’une simple conclusion de la théorie des relations subsistantes. Cf. Billot, th. xli, note. Sur la circumincession, voir Suarez, t. IV, c. xv, xvi ; Pesch, n. 642 sq. ; Piccirelli, n. 1357 sq. ; Galticr, n. 387-389 ; d’Alès, p. 249-257. Ce dernier auteur a une note philologique sur Circumincessio, intéressante à consulter. Voir A. Deneft’e, Perichoresis, circumincessio, circuminsessio, dans Zeitschr. fur kath. Theol, 1923, p. 499 sq.

La doctrine de la comparaison des personnes entre elles amène forcément, comme conclusion de la synthèse trinitaire, la difficulté issue du principe d’identité comparée. On a vu comment la formule thomiste montre l’impossibilité de trouver dans le mystère de la Trinité une contradiction avec les exigences du principe d’identité. Voir Relations, col. 2155-2156. Scot pense éviter la difficulté grâce à la distinction modale ex natura rei. Cependant Suarez et Molina, qui admettent dans la relation comme telle une véritable perfection, apportent des solutions décevantes, voir col. 2155. Ruiz trouve une échappatoire en se réfugiant dans la différence entre l’infini et le fini. Voir t. xiv, col. 165. C’est le cas de répéter ici ce que Molina disait pour justifier la science moyenne : O altitudo diviliarum sapientise et scientiæ Deil Sur toutes ces solutions, voir E. Buytærs, Le principe d’identité comparée et le mystère de la Trinité, dans Rev. augustinienne, t. i, 1909, p. 729 sq.

10° Appendice : l’unité d’opération de la Trinité « ad extra ». —

L’article suivant sur les missions visibles et invisibles des personnes divines serait moins facilement intelligible, si nous n’ajoutions ici quelques indications doctrinales sur l’unité d’opération de la Trinité ad extra. Voir Ad intra, ad extra, t. i, col. 398.

Il n’est pas rare, en effet, que la Saintc-Fcril ure elle-même approprie aux personnes de la Trinité certaines opérations ad extra : au Verbe, la création, Joa., i, 3 ; Hcbr., i, 10 ; a l’Fisprit-Saint, l’incarnation, Matth., i, 18, 20 ; Luc, i, 35 ; la continuation de la rédemption, Joa., xiv, 16, 17 ; Rom., v, 5 ; I Cor., xii, 11 ; l’inspiration des Écritures et des prophètes, II Petr., i, 21. Il est impossible cependant de rapporter ces opérations diverses à une personne déterminée. Le dogme catholique exige que toute opération divine ad extra, émanant de la nature divine comme telle, soit numériquement une, comme la nature elle-même.

Les conciles sont formels sur ce point. Après le symbole Quicumque qui, professant que le Père est tout puissant, le Fils tout puissant, le Saint-Esprit tout puissant, refuse cependant de reconnaître en Dieu trois tout puissants et ne confesse qu’un seul tout puissant, les conciles I er du Latran, XIe de Tolède, IVe du Latran, et le concile de Florence (dans le décret pro Jacobitis) sanctionne sous diverses formes l’unité d’opération ad extra de la part des personnes divines. Denz.-Bannw., n. 39, 254, 284, 428, 704. L’erreur contraire devait même être directement condamnée au concile du Vatican. Voir le schéma, Coll. Lac., t. vii, col. 554 ; ci-dessus, col. 1798.

1. L’Écriture elle-même enseigne que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint opèrent en toutes choses par une seule et même opération. Cf. Joa., v, 17, 19, 21, 22 ; I Cor., xii, 4-7. Les textes de Matthieu et de Luc rapportant au Saint-Esprit l’œuvre de l’incarnation ne sont d’ailleurs pas aussi expressifs qu’ils paraissent dès l’abord en faveur de l’appropriation. L’Esprit-Saint s’y trouve indiqué sans l’article. Et, de plus, les interprétations des anciens Pères sont si divergentes qu’on pourrait plutôt en conclure une confusion des personnes qu’une appropriation. Voir A. d’Alès, p. 275 et 98-99.

2. Les Pères, non seulement nient qu’une personne divine puisse agir séparément, mais ils affirment catégoriquement que l’opération des trois est une comme une est leur nature. De là, fréquemment, chez les Grecs, cette formule : le Père, par le Fils dans le Saint-Esprit, opère toutes choses. Voici quelques références principales (indiquées par A. d’Alès, p. 275) : S. Irénée, Cont. hær., IV, xx, 1, P. G., t. vii, col. 1032 ; S. Athanase, Ad Serapionem, i, 31, t. xxvi, col. 600 D-601 A ; Cont. arianos., orat. ii, 31, col. 212 BC ; S. Cyrille de Jérusalem, Cat., xvi, 24, t. xxxiii, col. 952-953 ; S. Basile, De Spir. sancto, viii, 21 ; ix, 22 ; xvi, 37-38, t.xxxii, col.l06, 108, 133-136 ; ibid., xxii, 53, col.165 D ; Epist., clxxxix, 7, t. xxxii, col. 693 ; S. Grégoire de Nazianze, Orat., xxviii, n. 31 ; xxix, n. 11-12, t. xxxvi, col. 72 C, 116-120 ; S. Grégoire de Nysse, Quod non sint très dit, t. xlv, col. 125 D, 129 A ; De commun, not., col. 180 ; Didyme, De Trinitate, t. II, c. vii, t. xxxix, col. 529 ; S. Jean Chrysostome, In Joannem, homil. lxxxvii, n. 3, 4, t. lix, col. 471-472 ; In Rom., homil. xiii, n. 8, t. lx, col. 519 ; S. Cyrille d’Alexandrie, De Trinitate, dial. vi, t. lxxv, col. 1053-1057 ; Adv. Nestor., t. IV, c. i-ii ; t. V, c. vi, t. lxxvi, col. 172180, 240 ; S. Jean Damascène, De fide orth., t. I, c. xiv, t. xciv, col. 860 C. Chez les Latins : S. Hilaire, De Trinitate, t. II, c. i, P. L., t. x, col. 50 D-51 A ; S. Augustin, De Trinitate, t. V, n. 14, 15, t. xlii, col. 920-921 ; cꝟ. t. I, n. 5, 8, col. 824 ; Cont. serm. ar., c. xv, col. 694 ; Epist., clxiv, n. 17 et clxix, t. xxxiii, col. 716, 742-748 (en entier) ; S. Léon le Grand, Serm., lxiv, n. 2, t. liv, col. 358 C ; Victor de Vite, De persecutione vandalica, t. III, n. 12, t. lviii, col. 228 AB ; Fulgence de Ruspe, Ad Thrasimundum, t. II, c.xix-xx : t. III, c. xxxv ; cꝟ. t. II, c. xi, xv, t. lxv, col. 267-268, 300, 257-258, 263 C ; Epist., xiv, n. 10, ibid., col. 401 C.

3. La raison théologique exige qu’il en soit ainsi. Il n’y a en Dieu qu’une seule toute puissance ; il ne peut donc y avoir qu’un seul principe d’action, une seule opération. Quale esse, taie operari. D’ailleurs, la théorie métaphysique de la Trinité nous rappelle qu’en Dieu « tout est un, là où n’existe pas l’opposition des relations ". Or, dans l’opération ad extra, l’opposition des relations ne saurait exister.puisque celle-ci ne concerne que le développement intérieur de la vie divine. Cf. S. Thomas, I », q. xlv, a. 6 et surtout l’ad 2°" », où, tout en expliquant les appropriations aux personnes dans l’œuvre de la création du monde, il maintient que la puissance créatrice est, comme la nature divine, commune aux trois personnes.


V. Appendice : le culte de la Trinité.

Le culte de la Trinité s’impose aux fidèles à un double titre. Tout d’abord, en raison de la majesté divine qui commande, de la part de l’homme, l’adoration et la reconnaissance ; ensuite, à cause même de l’importance du mystère trinitaire pour la vie chrétienne.

Le culte de latrie est dû à la divinité comme telle. Les personnes divines, la Trinité n’ayant qu’une même divinité, c’est donc d’un culte de latrie que chaque personne ou les trois personnes dans l’unité divine doivent être adorées. Voir Culte, t. m col. 2407, 2414. Toutefois cet aspect général de la question soulève certains problèmes particuliers que l’Église a résolus au cours des siècles.

L’importance du mystère pour la vie chrétienne réside essentiellement dans la nature de notre fin dernière. Cette fin consiste dans la vision de Dieu face à face, c’est-à-dire connu dans le mystère de sa trinité. Voir Conc. de Florence, décret Pro Grmcis, Denz.-Bannw., n. 693 et plus haut, col. 1763 ; et ici Intuitive (Vision), t. vii, col. 2368. Il est indispensable de connaître le but vers lequel nous nous dirigeons, afin de nous disposer par avance au bonheur qui nous est réservé. Le mystère de la Trinité doit donc en réalité diriger nos aspirations et nos désirs. C’est la raison invoquée par Pierre Lombard pour placer l’étude de la Trinité au début de ses Sentences. Voir col. 1719.

Précisions apportées à ces notions générales. —

1. Par rapport au culte dû à Dieu.

On a expliqué à Culte, t. iii, col. 1314, la difficulté théologique que pouvait soulever le mystère de la Trinité relativement au culte dû à Dieu. Le culte est dû à la personne. Si, au point de vue naturel, Dieu nous apparaît personnel, on peut se demander comment, après la révélation du mystère trinitaire, l’adoration peut encore s’adresser à Dieu comme tel, uniquement considéré dans sa nature et abstraction faite des personnes. La réponse a été que nous faisons abstraction, non de la personnalité divine, mais de la distinction des personnes. Ce qui ne nous empêche pas, d’ailleurs, de diriger notre adoration, soit vers la Trinité tout entière comme un tout personnel, soit vers chacune des personnes de la Trinité : la nature divine, dit Léon XIII, « étant la même pour chaque personne, on doit également à chacune, comme à un seul et vrai Dieu, la gloire éternelle due à la majesté divine ». Encycl. Dioinum illud munus, 9 mai 1897, éd. de la Bonne Presse, t. v, p. 145.

Historiquement, la difficulté n’a pas été directement soulevée pour le Fils. Dès lors que la consubstantialité du Fils fut définie au concile de Nicée, son droit à un culte d’adoration fut expressément reconnu. Mais c’est à l’occasion de l’adoration due au Saint-Esprit que la doctrine de l’Église a dû s’affirmer progressivement. Ce progrès a été indiqué à Culte, col. 2414-2415. Voir : 1. L’anathématisme de saint Damase, en 380, n. 22, Denz.-Bannw., n. 80. 2. Le symbole dit de Nicée-Constantinople, rappelant que l’Esprit-Saint est coadoré et conglorifié avec le Père et le Fils, ibid., n. 86. 3. Le IIe concile de Constantinople (553), can. 1, ibid., n. 213. Et la conclusion est que la même adoration est due aux trois personnes, soit prises conjointement, dans l’unité de leur nature, soit prises individuellement, mais non exclusivement. « Le danger, dit encore Léon XIII, dans la foi ou dans le culte, est de confondre entre elles les personnes divines ou de diviser leur nature unique ; car la foi catholique vénère un seul Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l’unité. » Id., ibid.

Aussi, pour éviter de diviser la nature, l’Église s’est toujours refusée, dans son culte extérieur, à les séparer, t Innocent XII, continue Léon XIII, refusa absolument, malgré de vives instances, d’autoriser une fête spéciale en l’honneur du Père. Que si l’on fête en particulier les mystères du Verbe incarné, il n’existe aucune fête honorant uniquement la nature divine du Verbe, et les solennités de la Pentecôte elles-mêmes ont été établies dès les premiers temps, non en vue d’honorer exclusivement le Saint-Esprit pour lui-même, mais pour rappeler sa descente, c’est-à-dire sa mission extérieure. Tout cela a été sagement décidé, afin que la distinction des personnes n’entraînât pas une distinction dans l’essence divine. » Id., ibid.

Léon XIII marque par quelques exemples le souci qu’a toujours eu l’Église, dans le culte rendu aux personnes de la Trinité, d’affirmer l’unité de la nature divine dans la distinction des personnes. D’abord, l’institution d’une fête spéciale de la Trinité, rendue obligatoire dans l’Église universelle par le pape Jean XXII ; ensuite, la dédicace à la Sainte Trinité de tant d’églises et d’autels ; enfin, l’approbation d’un ordre religieux fondé, sous le vocable de la Trinité, pour la délivrance des captifs. Le pape remarque aussi que, dans les prières adressées à l’une des trois personnes, on fait ordinairement mention des autres : « Dans les litanies, une invocation commune accompagne l’invocation adressée séparément à chacune des trois personnes. Dans les psaumes et les hymnes, la même louange est adressée au Père et au Fils et au Saint-Esprit ; les bénédictions, les cérémonies rituelles, les sacrements sont accompagnés ou suivis d’une prière à la Sainte Trinité. Et Léon XIII confirme sa doctrine par l’enseignement de saint Paul, Rom., xi, 36, commenté par saint Augustin, De Trinitate, t. I, c. vi, n. 10, P. L., t. xlii, col. 826.

Aucune fête spéciale n’honore donc une personne divine prise à part et considérée dans sa seule nature divine. Les fêtes en l’honneur de la deuxième et de la troisième personne ont pour objet non uniquement leur nature divine, mais leur manifestation personnelle dans une mission visible sur terre. Mais la mission impliquant nécessairement la relation d’origine qui unit les personnes dans la Trinité, voir plus loin, col. 1832 sq., l’adoration s’adressant à une personne en raison de la mission accomplie par elle parmi les hommes implique l’unité de la nature dans la trinité des personnes. En adorant le Verbe incarné, dans sa conception, dans sa naissance, dans sa passion, dans sa résurrection, dans la gloire de son ascension, dans sa royauté ou son sacerdoce, dans son amour divin et humain symbolisé par son cœur sacré, nous ne le séparons pas en réalité du Père qui l’a envoyé et dont il procède, ni du Saint-Esprit auquel, par appropriation, est attribuée l’œuvre de l’incarnation du Verbe et de la sanctification des hommes. En adorant le Saint-Esprit, dans sa mission visible de la Pentecôte, nous adorons également le Père et le Fils dont il procède et qui sont à l’origine même de sa mission.

Autre justification de l’hommage rendu à une personne particulière : la loi des appropriations. Non, dit encore lr pape, que toutes les perfections et toutes les œuvres extérieures ne soient communes aux personnes divines ; …mais parce que, en vertu d’une certaine comparaison et, pour ainsi dire, d’une affinité entre les enivres et les propriétés des personnes, telle oeuvre est attribuée ou, comme on dit, appropriée, à Mie personne plutôt qu’à telle autre… : il s’en suit que le Père, principe de toute la divinité, cf. S. Thomas, I*, q. xxxix, a. 7, est en même temps la cause créatrice de l’universalité des êtres, de l’incarnation du Verbe et de la sanctification des âmes : de lui sont toutes choses ; l’Apôtre dit de lui (Rom., xi, 36) à cause du Père. Le Fils, Verbe, image de Dieu, est en même temps la cause exemplaire que reflètent toutes choses dans leur forme et leur beauté… ; il est pour nous la voie, la vérité, la vie, le réconciliateur de l’homme avec Dieu : par lui sont toutes choses. L’Apôtre dit par lui à cause du Fils. Le Saint-Esprit est la cause finale de tous les êtres… ; bonté divine et amour mutuel du Père et du Fils, il complète et achève par une impulsion forte et douce les opérations secrètes qui ont pour résultat final le salut éternel de l’homme : en lui sont toutes choses ; l’Apôtre dit en lui à cause du Saint-Esprit. » Id.. ibid., p. 145. C’est sur cette appropriation au Saint-Esprit de la sanctification des hommes par l’incarnation, et de la conception virginale qui en est le principe ; de la fondation de l’Église et de l’effusion des grâces dont la manifestation de la Pentecôte fut le premier symbole ; de l’assistance accordée à cette Église jusqu’à la consommation des siècles, soit dans l’enseignement de la vraie foi, soit dans le gouvernement des âmes, de la communication des grâces par les sacrements et tout particulièrement le baptême et la confirmation ; enfin, de l’inhabitation de la divinité dans l’âme juste ; c’est sur tous ces motifs que Léon XIII fonde le culte spécial rendu au Saint-Esprit qui, si le Christ est le chef et la tête de l’Église, peut véritablement en être appelé le cœur ; car « le cœur a une certaine influence cachée et c’est pour cela que l’on compare au cœur le Saint-Esprit qui vivifie et unit l’Église d’une façon invisible ». Lettre Provida malris, 5 mai 1895, éd. cit., t. iv, p. 209. Cf. S. Thomas, III », q. viii, a. 4, ad 2 uæ.

Mais, même dans les actes de culte ainsi appropriés à l’une ou l’autre personne, nous ne les séparons pas dans notre adoration : les liturgistes font en effet remarquer que la forme classique des oraisons est toujours une prière au Père, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, vivant avec lui dans l’unité du Saint-Esprit.

2. Par rapport à la vie chrétienne. —

a) La forme trinitaire du baptême. —

L’importance du mystère de la Trinité pour la vie chrétienne apparaît dès l’initiation de l’homme à cette vie. Le baptême, qui est l’acte essentiel de cette initiation, ne peut être validement conféré sans la forme trinitaire, indiquée à Matth., xxviii, 19. Voir, sur les discussions relatives à ce tte forme, t. ii, col. 182-185, cꝟ. 228. Et cette forme est tellement essentielle au baptême qu’à partir du v c siècle, après toutes les controverses concernant le baptême conféré par les hérétiques, elle devient la pierre de touche de la validité du baptême. Voir col. 232. On connaît la prière touchante de l’Église au moment des funérailles d’un chrétien : elle prie Dieu d’éviter à l’âme du défunt un jugement de vengeance, et la raison qu’elle en donne à Dieu est que le défunt, dum viveret, insignitus est signaculo sanctse Trinitatis. Rituel romain, tit. vi, c. iii, n. 7, prière Non intres de l’absoute.

b) La nécessité de la foi en la Trinité pour être sauvé.

Saint Thomas propose cette vérité en ces termes :

On ne peut croire explicitement à l’incarnation du Christ (foi qu’il estime nécessaire au salut) s ; uis croire à la Trinité, paiVe que le mystère de l’incarnation implique que le Fils de Dieu a pris ehair, qu’il a régénère le monde par la tîrflce du Saint-Esprit et qu’il a été conçu lui-même par l’opération < 1 1 1 S : iint-F.si>rit. Aussi la foi en la Trinilé. avanl la venue de.lésus-Christ a-t-elle été comme la foi en l’incarnation, explicite chez le* hommes plus éclairés et Implicite et enveloppée de certaines ombres chez ceux rpii l’étaient moins. C’est pour cette raison aussi qui-, sous la loi de graco, tous les hommes sont tenus de croire explicilein ni au mystère de la Trinité et que nul ne peut renaître en Jésus-Christ dans le baptême autrement que par l’invocation des trois personnes divines. II*-II", q. II, a. 8.

Certains auteurs semblent avoir exagéré la portée de cette doctrine en exigeant d’une manière absolue, pour tout homme vivant après la venue du Christ en ce monde, la foi explicite en la Trinité. Voir ces auteurs cités par Coninck, De act. supernat., disp. XIV, n. 134 ; dont on peut rapprocher R. Martin, De necessitate credendi et credendorum, dont on trouvera l’analyse dans Chr. Pesch, De fide, n. 458. La thèse de cet auteur est que, même sous la Loi ancienne, la foi aux mystères de l’incarnation et de la Trinité fut nécessaire de nécessité de moyen. Il corrige cependant cette affirmation absolue par un aliqualiter, lequel ne concerne d’ailleurs que les hommes moins éclairés de l’Ancien Testament.

Ce qui semble plus exact et plus conforme au gouvernement sage et miséricordieux de la Providence, c’est, comme l’insinue saint Thomas, que, sous la Loi nouvelle, la foi au mystère de la Trinité est nécessaire de la même nécessité que le baptême d’eau. Donc : nécessité de moyen relative, la foi explicite pouvant, en cas d’impossibilité absolue, être remplacée par une foi in voto, contenue dans la foi explicite aux deux articles requis conformément à Hebr., xi, 6. Cf. Denz.-Bannw. , n. 1172. C’est là l’opinion moyenne de Suarez, De fide, disp. XII, sect. iv, n. 18, 19 ; de De Lugo, id., disp. XII, n. 106, 107 ; des Salmanticenses, id., disp. VI, dub. I, n. 82 ; opinion que saint Thomas lui-même avait indiquée en quelques mots, loc. cit., a. 6, ad l am, et qu’on trouve chez les meilleurs auteurs récents de théologie soit dogmatique, soit morale. Cf. Billot, De virtutibus infusis, Rome, 1905, p. 331 ; Vermeersch, Theologia moralis, t. ii, n. 10 ; Lehmkuhl, id., t. i, n. 277 ; Ballerini, Opus morale, t. ii, n. 20 ; Chr. Pesch, De fide, prop. xxx, n. 448 sq., etc. Voir également Reg.-M. Schultes, Fides implicita, Geschichte der Lehre von der fides implicita und explicita in der kalholischen Théologie, 1. 1, Ratisbonne, 1920, p. 86 sq.

Que la foi explicite au mystère de la Sainte Trinité soit de nécessité tout au moins de précepte, et cela principalement en vue de la justification et de la préparation aux sacrements, cela résulte : implicitement de la déclaration du concile de Trente touchant le fondement de la justification, lequel est « un mouvement de foi », sess. vi, c. vi, viii, Denz.-Bannw., n. 798, 801 ; or, le mystère de la Sainte Trinité est le fondement de toutes les vérités à croire ; explicitement, de la réprobation par Innocent XI des propositions laxistes, n. 64 et 65, Denz.-Bannw., n. 1214, 1215. De cette réprobation, en effet, il résulte qu’un homme ne saurait être absous s’il ignore le mystère de la Trinité et celui de l’incarnation, et qu’il ne suffit pas d’y avoir cru une fois dans la vie. L’Église demande donc une connaissance et une foi explicites au moment de la réception du sacrement.

Que la foi explicite au mystère de la Sainte Trinité soit de nécessité de moyen relative, cela semble résulter de la réponse suivante du Saint-Office (25 janvier 1703, renouvelée le 30 mai 1898).

Utrum, ante quam adulto conferatur baptismus, minister ei teneatur explicare omnia fldei nostræ mysteria, presertim si est moribundus, quia hoc perturbaret mentem illius. An non sufflceret, si moribundus promitterot fore, ut, ubie morbo convalesceret, instruendum se effet ? promettre au moribond de

On demande si, avant de conférer le baptême à un adulte, le ministre est tenu de lui expliquer tous les mystères de notre foi, surtout dans le cas où cet adulte serait à l’article de la mort et qu’on craindrait de lui apporter ainsi du trouble. Ne serait-il pas suffisant de faire s’instruire s’il vient à se relever de sa maladie ?

Resp. : Non sufflcere promissionem, sed missionarium tene.ri adulto, etiam moribundo, qui incapax omnino non sit, explicare mysteria fldei, quæ sunt neces- « aria necessitate medii, ut sunt præcipue mysteria Trinilatis et incarnationis. (Acta S. Sedis, t. xxx, p. 700, nota).

Cette promesse ne saurait suffire. Le missionnaire est tenu d’expliquer à l’adulte, même moribond, qui n’est pas absolument incapable de l’entendre, les mystères de la foi qui sont nécessaires de nécessité de moyen, tels principalement les mystères de la Trinité et de l’incarnation.

Ainsi, selon la pensée du Saint-Office, la foi explicite, lorsqu’elle est possible, est requise de l’adulte avant de recevoir le baptême, parce que cette foi est, comme la foi en l’incarnation et en d’autres vérités moins importantes que la réponse n’indique pas explicitement, nécessaire de nécessité de moyen pour le salut.

Ces indications générales suffisent à montrer l’importance pratique de la foi en la Trinité. Toute la vie chrétienne en doit être imprégnée ; c’est là le sens des nombreuses pratiques recommandées par l’Église, signe de la croix, invocations et prières auxquelles fait allusion Léon XIII dans sa lettre Divinum illud munus. Il s’agit, en effet, de développer en nous l’image de la Trinité ; cf. S. Augustin, De Trinitate, t. IX, c. i, P. L., t. xlii, col. 959-961, en attendant l’épanouissement radieux de cette image dans la gloire de la vision béatiflque.

La fête liturgique de la Sainte Trinité. —

Léon XIII déclare, on l’a vii, que « pour maintenir ses enfants dans l’intégrité de la foi, l’Église a institué une fête de la Sainte Trinité ». C’a été, en effet, le résultat heureux de cette institution, finalement sanctionnée par Jean XXII.

Primitivement, on ne sentait pas le besoin d’une telle fête. Le culte catholique tout entier n’est-il pas un hommage à la Trinité ? « La messe, sacrifice du Fils incarné, est offerte à Dieu, donc aux trois personnes divines ; on la commence par In nomine Patris, etc. ; on la continue par le Gloria in excelsis Deo, le Sanctus ; le Gloria Patri…, hommage à la Trinité, y est souvent répété ; le canon de la messe s’achève par une admirable doxologie : est tibi Deo Patri, etc. » On pourrait ajouter la belle prière à la Trinité qui suit l’offertoire. « À l’office, après Deus in adjutorium, on chante Gloria Patri qui termine chaque psaume ; on le trouve aux versets, aux répons ; les hymnes ont pour dernière strophe une doxologie à la Trinité ; le Te Deum, hommage à la Trinité, achève les matines commencées ainsi que prime par la récitation du Credo : Je crois en Dieu un et trine ; les bénédictions qui précèdent les leçons du i effet du n » nocturne sont à la louange de la Trinité. Les sacrements, les exorcismes, les bénédictions sont accomplis en son nom… Tout le culte est donc ordonné à la gloire du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; chaque jour est la fête de la Trinité tout entière, à plus forte raison chaque dimanche. » L.-A. Molien, La prière de l’Église, t. ii, Paris, 1924, p. 541.

On lira dans Molien, op. cit., p. 542-545, l’origine de la fête de la Trir.ité. La messe de la Trinité, vraisemblablement composée par Alcuin, était primitivement une messe votive, pour les dimanches où il n’y avait pas d’office propre. Quand la messe d’ordination du samedi après la Pentecôte n’eut plus lieu au cours de la nuit du samedi au dimanche, mais fut reportée à l’après-midi du samedi et même au samedi matin, tout naturellement on combla le vide par la messe de la Trinité. Certaines Églises, et notamment celle de Liège, l’une des premières sinon la première, considérèrent dès lors le dimanche octa%’e de la Pentecôte comme le siège d’une fête en l’honneur de la Sainte Trinité. Cf. dom Lambert Beauduin, L’origine de la fête de la Sainte Trinité, dans Les Questions liturgiques et paroissiales de Louvain, t. ii, 1911-1912, p. 380-383 ; cf. dom Joseph Kreps, t. viii, 1923, p. 139-140. Au XIIe siècle, Rupert de Deutz parle de la messe en l’honneur de la Trinité comme d’une messe partout connue et d’institution carolingienne. L’usage s’en établit peu à peu en Gaule, en Germanie, dans les Pays-Bas et en Angleterre. Des synodes diocésains émettent le vœu qu’on célèbre partout la fête. Cîteaux l’adopte en 1271 ; Cluny l’avait déjà adoptée auparavant. Mais l’Église romaine se refusait à sanctionner l’usage. Alexandre III († 1181) le rejette expressément. Lettre à l’évêque de Terdon, P. L., t. cc, col. 1349. Sicard de Crémone († 1215) dit bien dans le Mitrale, P. L., t. ccxiii, col. 385-387, que Grégoire VII aurait approuvé une fête de la Sainte Trinité le dernier dimanche de l’année ecclésiastique ; mais on n’a pas retrouvé cet acte. Voir dom Beauduin, art. cit., p. 382. Personnellement, Sicard rejette l’usage comme contraire à la pratique romaine, col. 386. Malgré cela, la fête continua d’être célébrée un peu partout dans les pays où elle avait pris naissance et Jean XXII, condescendant à l’usage de son pays d’origine, la France, retendit en 1334 à l’Église universelle en la fixant à sa date habituelle du dimanche octave de la Pentecôte. L’acte pontifical d’institution est introuvable dans le Bullaire et dans Mansi ; mais tous les auteurs sont d’accord sur ce point. Cf. dom Beauduin, ibid., p. 382. Et la fête est bien à sa place : « Après avoir célébré l’avènement du Saint-Esprit, nous chantons le dimanche suivant la gloire de la Sainte Trinité, car aussitôt après la descente de ce divin Esprit commencèrent la prédication et la croyance et, dans le baptême, la foi et la confession au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Rupert de Deutz, De divinis officiis, I. XI, c. i, P. L., t. clxx, col. 293 B.

Cette étude, étant elle-même d’un caractère général, doit par les indications qu’elle renferme, se servir de bibliographie. Il sera néanmoins utile d’indiquer quelques travaux susceptibles de fournir au lecteur d’utiles orientations.

En ce qui concerne les scolastiques, la marche des Idées et la suite des auteurs est, dans l’ensemble, bien indiquée dans le manuel de Patrologie du P. Cayré, t. ii ; et l’on trouvera de précieux renseignements dans Grabmann, Die Geschichte der schalastischen Methode. On se référera également aux Études du P. Th. de Régnon, maintes fois signalées au cours de l’article, au De Trinitate de Petau, la doctrine patristique y étant souvent rapprochée de la systématisation scolastique. L’ouvrage monumental de dom Ceillier renferme d’Intéressantes vues générales et particulières, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, éd. Vives, t. xiv (i et ii). Enfin, sur l’ensemble des écoles du Moyen Age, il est indispensable de consulter M. Sehmaus, Der « Liber propugnatorius » des Thomas Anglicens und die Lehrunterschiede zwischen Thomas von Aquin und Duns Scotus"", Munster, 1930, et, sur un objet plus restreint, A. Stohr, Die llauplrlchtungen der speculatiuen Trinitätsiehre im XIII. Jahrhundert, dans Theol. QuartaUehrift, 1925, p. 113 sq. — Ces vues très générales ne dispensent pas de recourir aux monographies concernant chaque auteur, indiquées soit dans la bibliographie des articles qui leur sont consacrés, soit dans cette étude au fur et a mesure que leurs noms se sont présenté-..

Pour les controverses relatives à la procession du Saint-Esprit, touchées ici dans nue mesure très restreinte conformément au plan même de l’article, il suffira de se reporter aux deux articles Esprit-Saint (La procession de l’) et Filioque, et aux bibliographies copieuses qu’ils comportent. Les articles concernant Photius}}, et le Schisme d’Orient fournissent également un appoint utile, ainsi que l’étude de J. SlipyJ, Die Trinitätslthre des byzantinischen Patriarchen Photios, Inspruck, 1921 et surtout, pour la suite de la controverse, après le concile de Florence, l’ouvrage du P. Jugie, Theologla christianorum orientalium, t. ii, Paris, 1932 ; du même, De processione Spiritus sancti ex fontibus revelationis et secundum Orientales dissidentes, le.coll. Lateranum, t. ii, 1937.

L’exposé général des thèses protestante et rationalistes est suffisamment fait aux articles Trinité, Antitrinitaires et Unitaires de l’Encyclopédie des sciences religieuses de Lichtenberger. Le complément sera donné dans Trechsel, Die protestantischen Antitrinitarier vor Faustin Socin, Heidelberg, 1839 et par l’ouvrage déjà vieilli, mais suffisant pour les époques et la matière que nous avons étudiées, de I.-A. Dorner, Histoire de la théologie protestante, tr. fr. Paumier, Paris, 1870. Voir également L. Gouget, La Sainte Trinité et les doctrines antitrinitaires, 2 vol., Paris, 1905.

Sur le culte de la Trinité : Schwickavius, De augustissima et SSma Trinitate cognoscenda, amanda, laudanda, libri tredecim, Mayence, 1619 ; De Bugis, Traclatus de adorandæ Trinitatis mysterio, Lyon, 1671 ; Nadasi, Spirationes theologicee ad unum et trinum Deum in 52 hebdomadas distribulse. Vienne, 1756. L’ouvrage du P. Charles van den Abeele, Introduction à l’amour égal envers les trois personnes divines a été réédité dans la Petite Bibliothèque chrétienne sous le titre : La plus auguste des dévotions, 1875 et La Très Sainte Trinité et l’esprit chrétien, 1883. Plus récemment le P. Laborde, S. J., a publié, en deux volumes, Dévotion à la Sainte Trinité, Paris-Tournai, t. i, 1922 ; t. ii, 1925. L’ouvrage comprend quatre parties : i. Considérations générales, ii. Nos rapports avec la Sainte Trinité, iii. Historique de la dévotion à la Très Sainte Trinité, iv. La Très Sainte Trinité dans l’âme des saints. Fréquemment le P. Laborde rappelle un des fondements de la dévotion envers la Trinité : l’habitation des personnes divines dans l’âme juste. Les ouvrages concernant cette habitation (voir l’article suivant) renferment donc, eux aussi, de précieuses indications relatives à cette dévotion. On recourra également aux études concernant la dévotion au Saint-Esprit, notamment à C. Friethofï, O. P., De Spiritus Sancti recta invocatione dans l'Angelicum, 1930, p. 314 sq.

E. A. Michel.