Dictionnaire de théologie catholique/VENGEANCE II. Le vice de la vengeance

La bibliothèque libre.
Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 542-543).

II. Le vice de la vengeance.

Description et analyse.

La vengeance, entendue au sens péjoratif du mot, est un sentiment bas et vil qui pousse l’homme à nuire à son prochain, parce qu’il croit avoir : i se plaindre de lui. C’est le mal rendu pour le mal et uniquement dans l’intention de nuire.

C’est là la forme la plus aiguë u vice de l’esprit de vengeance. Saint Thomas analyse ce sentiment à propos de la colère dont la vengeance lui semble Constituer l’élément formel. II"- M"", q. ci.vm. a. 2 ; Dr malo, q, xii. a. 1. i Désirer la vengeance en cou2 61 5

VENGEANCE

2616

formité avec la raison, c’est louable et c’est le zèle ; mais c’est péché que la désirer en désaccord avec la raison sur un point quelconque : personne, mesure, manière, fin : si la vengeance doit tomber sur un innocent, si elle est excessive, si elle est désordonnée, si elle n’est point voulue pour le maintien de la justice et l’amendement du coupable. » Sum. theol., loc. cit., trad. Folghera, La tempérance, Somme lliéol., édit. de la Revue des jeunes, t. ii, p. 66. Cette vengeance qui, d’une façon ou d’une autre, s’exerce injustement sur autrui constitue, en soi, un péché mortel. S. Thomas, De malo, q.xii, a. 3. C’est, au moins, une faute contre la justice. Mais la colère, qui prétend toujours venger une injustice commise par autrui, se complique fréquemment de haine ou d’envie ; et la haine veut du mal au prochain, uniquement pour lui causer du mal ; l’envie, de son côté, veut du mal au prochain par un sentiment d’amour-propre ou d’orgueil froissé. Sum. theol., II a -II aî, q. clviii, a. 4. En pénétrant dans la vengeance, ces sentiments la rendent plus coupable : péché à la fois contre la justice et contre la charité due au prochain, même aux ennemis. La haine, d’ailleurs, est faute plus grave que l’envie, et l’envie, faute plus grave que la colère. Id., ibid. Il y a donc des différences de degré, sinon de nature, dans l’esprit de vengeance : « Le vindicatif veut châtier, mais il ne veut pas d’autre mal à celui qu’il punit ; au fond, il ne demande pas mieux que de voir l’amendement de celui qu’il estime coupable. Il n’a pas cette volonté arrêtée du mal, ce parti-pris malveillant qui sont le fait du haineux et de l’envieux. » Folghera, op. cit., p. 339. C’est donc chez les gens envieux et surtout haineux que l’esprit de vengeance s’affirme implacable, prend les proportions les plus considérables et devient le plus coupable. Cf. Sum. theol., IIa-IIæ, q. clviii, a. 5, ad 2um ; Ia-IIæ, q. xlvi, a. 8. Il devient facilement cruauté, quand il excède dans la punition, soit en punissant un innocent, soit en infligeant un châtiment disproportionné. Si cette vengeance va jusqu’à faire souffrir uniquement pour le plaisir de voir souffrir, elle devient sauvagerie et bestialité. Sum. theol., II » -II*, q. clxi, a. 1 et 2.

En bref, c’est parce que la vengeance s’écarte des normes de la justice qu’elle devient vice. Et c’est sous l’influence de la colère, commandée par l’envie, l’orgueil, l’ambition, la haine, la cruauté, que s’opère cette déviation. Parfois le vice se pare des dehors de la vertu : la vengeance se couvre du sentiment de l’honneur à défendre, des intérêts de famille à sauvegarder, du patriotisme à exalter. De là, les rivalités entre particuliers, l’esprit de vengeance conduisant les adversaires aux pires injustices dans leurs relations ; les haines de familles se transmettant de génération en génération (la vendetta corse) ; l’hostilité irraisonnée contre les nationaux d’un autre État. Tout cela est fort éloigné de l’esprit du Christ.

Culpabilité. —

Puisqu’il y a des différences de degré et peut-être de nature dans les différentes manifestations de l’esprit de vengeance, on ne peut apprécier la culpabilité de la vengeance qu’en la rapportant aux sentiments qui l’inspirent. Cette culpabilité a déjà été étudiée à propos des vices qui sont à l’origine de la vengeance. Voir Colère, t. iii, col. 359 ; Envie, t. v, col. 132 ; Orgueil, t. xi, col. 1423-1427 ; cf. col. 1430-1431 ; Ambition, 1. 1, col. 941 et, en’ce qui concerne la haine, Charité, t. ii, col. 2262-2265. Quand la vengeance devient sauvagerie et bestialité, elle n’est plus seulement un péché, elle est un crime.