Dictionnaire de théologie catholique/VERTU. Conclusion. Les vertus et la vie chrétienne

La bibliothèque libre.
Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 633-635).

Conclusion.

Les vertus et la vie chrétienne. — Une étude didactique sur les vertus ne saurait communiquer au lecteur le sentiment exact du rôle agissant des vertus dans la réalisation d’une vie vraiment chrétienne. Une brève conclusion, en forme de synthèse, orientant les esprits en ce sens semble donc nécessaire.

Le chrétien, c’est l’homme déchu, mais transformé par la grâce de Jésus-Christ. Mort par le péché, il est ressuscité à la vie par le baptême et cela, à l’imitation du Christ lui-même qui, enseveli dans le tombeau, en est ressuscité vivant et glorieux. C’est le même homme qui, hier encore, dirigeait d’ordinaire ses énergies naturelles vers le mal et qui, aujourd’hui, par la grâce du Christ, les dirige vers le bien.

La grâce du Christ 1 Elle « surélève toutes les puissances de l’âme et la sensibilité même, pour autant qu’elle peut participer de l’esprit. Principe de vie spirituelle, la grâce est aussi principe de notre totale spiritualisation. Elle épouse la structure de l’être humain en son entier. Aux grandes et nécessaires inclinations où se traduit l’élan foncier de la nature vers son bien connaturel et sa perfection, correspondent les vertus théologales. Elles sont aspiration vers la fin dernière, découverte initiale du Souverain Bien tel qu’il nous est promis, tension de l’être vers sa conquête. S’harmonisent avec cet élan les vertus morales, essentiellement surnaturelles elles aussi, par une adaptation de toutes nos puissances à l’orientation divine où nous entraînent foi, espérance et charité. Enveloppant pour ainsi dire le tout, les dons du Saint-Esprit font entrer l’âme à plein dans les exigences d’une charité dont le mouvement d’amour ne trouve qu’en Dieu même sa règle adéquate. » P. Menessier, Saint Thomas d’Aquin, Paris, 1942, p. 31.

Cette emprise totale de la surnature ne saurait être réalisée dans l’homme que progressivement. L’idéal proposé est le Christ lui-même, le Christ, chef de l’humanité par la grâce de la rédemption et qui veut vivre en nous par notre imitation de ses vertus. Que de fois l’apôtre Paul a répété la formule en Xristo ! Si, en bien des cas, cette formule ne signifie pas autre chose que vie chrétienne, conformité aux principes du christianisme, son sens profond se rapporte à la situation que crée notre appartenance au corps mystique du Christ. Faisant partie intégrante de ce corps, nous « revêtons le Christ », nous sommes « plongés dans le Christ », comme dit saint Paul. Et, par conséquent, on n’est vraiment chrétien qu’en se laissant diriger par « l’esprit du Christ ». C’est ainsi que souvent, chez saint Paul, la formule en Pneumati est l’équivalent de en Xristo.

Cet esprit du Christ ne se réalise pas dans l’homme par le seul exercice des vertus naturelles. Certes, ces vertus ont leur place marquée dans l’édifice de la vie chrétienne. On ne saurait vivre de l’esprit du Christ si l’on n’était en même temps honnête homme. A plusieurs reprises nous avons souligné l’accord qui doit régner, dans les actes humains, entre le plan naturel et le plan surnaturel, celui-là n’ayant d’ailleurs dans l’ordre actuel de la Providence de réelle

valeur méritoire que grâce à celui-ci. Vouloir s’en tenir aux seules vertus naturelles, comme répondant aux exigences et aux mœurs de l’époque actuelle, -sous le fallacieux prétexte qu’elles préparent mieux et avec plus d’ardeur l’homme à l’action, c’est, en réalité, faire fausse route et tomber dans un naturalisme destructeur de la vie chrétienne, naturalisme justement condamné par Léon XIII dans la lettre Testem benevolentise. Denz.-Bannw., n. 1971.

Mais, dans l’ordre surnaturel, l’esprit du Christ est tout d’abord esprit de renoncement, d’humilité, d’obéissance, qui va jusqu’à l’abnégation de soimême afin de se substituer aux autres dans le devoir de l’expiation et de la pénitence : « Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus : bien qu’il fût dans la condition de Dieu, il n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu ; mais il s’est anéanti lui-même, en prenant la condition d’esclave, en se rendant semblable aux hommes et, reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui, il s’est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix. » Phil., ii, 5-8. L’esprit du Christ exige qu’on se mette à l’école du Maître, pour en retenir la douceur et l’humilité. Matth., xi, 29. Ceux qui sont du Christ ont crucifié leur chair avec leurs vices et leurs mauvais désirs, dit encore saint Paul aux Galates, v, 24. Averti par des enseignements révélés, le chrétien se gardera donc de mépriser les vertus « passives », c’est-à-dire d’apparence effacée, pour ne cultiver que les vertus « actives » d’un apostolat tout extérieur. Cf. Léon XIII, lettre citée, Denz.-Bannw. , n. 1971. À plus forte raison la vie chrétienne ne saurait s’accommoder d’une religion paganisée où les intérêts temporels de la communauté humaine feraient oublier la destinée éternelle des individus. Pie XI l’a rappelé avec force : « Les valeurs plus générales et plus hautes que seule la collectivité peut réaliser sont voulues par le Créateur pour l’homme, pour son plein épanouissement naturel et surnaturel et l’achèvement de sa perfection. » Encycl. Mil brennender Sorge. Cet épanouissement naturel et surnaturel, cet achèvement de la perfection humaine seront l’œuvre des vertus chrétiennes, dont l’exercice est calqué sur le modèle des vertus du Christ.

Par une activité surnaturelle se dépassant sans cesse elle-même en intensité, le chrétien s’achemine vers l’idéal qui lui est proposé et qui ne sera atteint que dans l’autre vie. Les vertus de l’homme en marche sont les vertus humaines surnaturalisées et portées sur un plan supérieur : « La prudence, inspirée par la contemplation des réalités divines regarde alors avec mépris tout ce qui est du monde et oriente vers les seules choses de Dieu toutes nos pensées. La tempérance se désintéresse des requêtes de notre corps autant que le souiïre la nature et n’use que, dans cette mesure des choses d’ici-bas ; la force regarde sans nul effroi <ci arrachement du corps qu’exige l’accès aux réalités suprêmes ; quant a la justice, elle n’est plus en l’âme qu’un total consentement aux voies où nous entraîne une telle entreprise. » d’il », q. lxi, a. 5.)

De telles vertus sont déjà inspirées, dirigées par la charité. La charité nous fait aimer Dieu de tout notre Cœur, « le tout notre esprit, de toute notre âme, de toutes nos forces, et notre amour est sans défaut dès là qu’il ne reste plus rien en nos actes ou nos dispositions que nous ne rapportions à Dieu. Aimer Dieu de tout son cœur, c’est orienter vers lui tous nos actes et

fuir le péché ; aimer Dieu de tout son esprit. I | soumettre son intelligence à Dieu par la foi ; aimer Dieu de toute son âme, C’est aimer en Dieu tous ceux et tout ce qu’on aime ; aimer Dieu de toutes ses f, , i, .

faire en » ort< que tous nos actes extérieurs, nos

p « roli ures | fut leur vigueur ; i la source

du divin amour. Cf. S. Thomas, De perfectione vitæ spiritualis, c. v, édit. Vives, t. xxix, p. 119.

Cet exercice des vertus ne va pas sans le secours des dons du Saint-Esprit : l’inspiration divine qu’ils nous disposent à recevoir et à suivre sans résistance est indispensable à la conquête de la perfection. C’est par les dons que se réalise la parole de l’Écriture : erunt omnes docibiles Dei (Joa., vi, 45), docilité parfaite au mouvement divin vers l’idéal du Christ. Ici encore on touche du doigt pour ainsi dire l’identité foncière de l’in Christo et de Vin Spiritu de saint Paul.

Cette perfection s’accommode de la vie contemplative et de la vie active. « La vie contemplative est l’œuvre directe, immédiate de l’amour de Dieu… La vie active, par contre, est plus directement inspirée par l’amour du prochain… » saint Grégoire peut donc parler avec justesse du mérite plus grand de la vie contemplative, si on l’entend de la valeur de l’œuvre elle-même. « La vie contemplative, écrit-il, est d’un mérite plus grand que l’active. Car celle-ci travaille pour les besoins de la vie présente, portant au prochain une nécessaire assistance ; celle-là savoure intérieurement et goûte véritablement déjà le repos de la vie future. » In Ezech., t. I, homil. iii, n. 9, P. L., t. lxxvi, col. 809 B. Mais il se peut que telle personne trouve dans les occupations de la vie active plus de mérite que telle autre à vaquer à la contemplation : un surabondant amour de Dieu, le désir de procurer sa gloire en accomplissant sa volonté, lui font supporter pour un temps la privation de la douceur contemplative. Tel saint Paul quand il disait : Je souhaite d’être anathème, loin du Christ, pour mes frères. « L’amour du Christ avait à ce point submergé son âme, explique Chrysostome, que cela même qu’il mettait au-dessus de tout, être avec le Christ, il arrivait à n’en plus faire cas, sachant que tel était le bon plaisir de celui qu’il aimait. » De compunctione, t. I, n. 7, P. G., t. xlvii, col. 404. S. Thomas, II » -II", q. clxxxii, a. 2.

I. Ouvrages généraux : S. Thomas, Sum. Iheol., I’-II », q. i.ix-xi.vii ; In IIP" » Sent., dist. XXII I et XXXIII ; De virtuiibus in communi, q. i (unica) ; cf. De oirtutibus cardinalibus ; De caritate. De spe ; cf. Sum. Iheol., II a -II", q. i-xxvii ; In Ethicam (Arislot.), 1. II ; SuarcL, De gratin, 1. VI ; t. VIII, c. iv ; t. IX, c. iv ; I. XI, c. iii, v-vin ; cf. De fuie, spe et caritate (Opéra omnia, Paris, 18Ô8, t. ix et xii) ; Salmanticenses, Cursus théologiens, t. vi, tract. XII, De oirtutibus ; Lahousse, De virtuiibus theologicis, Bruges, 1899 ; A. Mazzella, De virtutibus infusis. Home, 1881 : Schifflni, De oirtutibus infusis, Fribourgen-B. , 1901 ; L. Billot, De Oirtutibus infusis, Home, 1905 ; Chr. Pesch, Prwlect. dogm., t. viii, Fribourg-en-B., 1910, /v virtutibus ; II. Lennerz, De oirtutibus theologicis (ad usimi auditorum), Rome, 1930 ; A. -A. Goupil, Les vertus, t. i et it, Paris, 1938 et 1935 ; E. Janvier, In vertu, Kxposition de la morale catholique, t. iv (earémo 1904) ; Th. Pègues, Commentaire français littéral de la somme théol, , t. viii, I. « vertu, Toulouse, 1913. — On consultera également les commentateurs du Maître des Sentences, aux dist. Indiquées, et ceux de saint Thomas, aux questions de la Somme : Cajétan, (ionet, lîilluart. VasqueL, Yalencia, etc., ainsi que les théologiens qui ont abordé le problème des vertus à propos du thème plus général de la grâce, de l’état surnaturel ou même de la vertu de foi : De LugO, De fuie dioina ; Hipalda, De ente surprrnnturali ; Coninck, De aclihus supernnliirulihns ; l.essius. De summo bono, etc. Chez les conlemporains, signalons tout particulièrement

les traités Di gratta de Van Noort.de Van der Meersch et de Lange. La plupart des manuels de théologie dogmatique

ou morale ont fait une place parfois un peu restreinte à la question des verlus.

I.a Somme de saint Thomas, édition de la Heouc des Jeunes, contient un certain nombre de volumes à consul

ter : Les vertus <2 vol.) du P. Bernard ; Les vertus sociales

îles PI’. I olghera et Iternard ; lu foi (2 vol.) du P. Flcr oard ; L’espérance, du P, Le Tilly ; I.a charité (2 voL)

du I'. Noble ; La relit/ion (2 vol.) par le P. Menessier ; La justice, t. i, par les PP. Gillet et Delos ; t. n par le I Spicq ; Lu prudence, par le 1'. Noble ; La force, par le P. Folghera ; Lu tempérance, par les PP. Folghera et Noble.

II. Travaux spéciaux.

F. Prat, La théologie de suint Paul, surtout le t. ii, Paris, 192 :  !  ; Biard, Les vertus théoloyales dans les épîtres de saint Paul ; Zychlinski, De supernaturali vitalitale gratim sanctifteantis virtutumque infusarum quiestio brevis, dans le Divus Thomas (Fribourg), t. iii, 11(25, p. 445-453 ; H. van Lieshout, La théorie platonicienne de lu vertu. Essai sur la genèse d’un article de la Somme théologique de S. Thomas (I » -II*, q. lxi, a. 5), Fribourg, 1926 (il s’agit de la distinction des vertus mor alesj ; cf. M. Wittmann ; Neoplatonisches in der Tuyendlehre des hl. Thomas, dans Philosophia perennis, Ratisbonne, 1930, t. i, p. 135-178 ; Dom Lottin, La connexion des vertus morales avant S. Thomas, Recherches theol. anc. médiévale, t. ii, 1930, p. 21-53 ; id., La théorie des vertus cardinales de 1230 à 1250, dans Mélanyes Mandonnet, t. ii, p. 233-259, Paris, 1930 ; Th. (liât, De subjecto psychico yratia' et virtutum, Rome, 1934 ; I). de Hoton, Les habitas, leur caractère spirituel, Paris, 1933 ; Limbourg, l’ont Wesen des natùrlichen und ùbernaturlichen Habitas, dans Zeitschrifl fur kuthol. Théologie, t. IX, 1885, p. 643-669 ; Ueber Vervollkommnungsfuhigkeit des Habitus, ibid., t. x, 1886, p. 107-141 ; l’eber Vermehrung und Verlust der Gnade und Tugenden, ibid., p. 277-312 ; Von dem Wirken des natùrlichen und ùbernaturlichen Habitus, ibid., p. 603628 ; A. Landgraf, Die Erkenntnis des Vebernatûrlichen in der Frùhscholastik, dans Scholastik, t. iii, 1928, p. 28-64 ; Studien zur Erkenntnis des Uebernalùrliclien in der Frùhscholastik, ibid., t. iv, 1929, p. 1-37, 189-220, 352-389 ; O. Lottin, Les premières définititions et classifications des vertus au Moyen Age, dans Revue des sciences phil. et théol., t. xvhi, 1929, p. 369-389, les textes p. 389-407 ; Th. Deman et F. de Lanversin, L’accroissement des vertus, dans le Dict. de spiritualité (Paris, Beauchesne), t. i, col. 138 sq. ; R. Garrigou-Lagrange, L’augmentation de la charité et les actes imparfaits, dans La vie spirituelle, t. xi, 1924-1925, p. 321-334 ; Perfection chrétienne et contemplation selon S. Thomas d’Aquin et S. Jean de la Croix, Saint-Maximin, 1929 (2 vol.) ; N.-D. Chenu, La surnaturalisation des vertus, dans Bulletin thomiste, 1932, p. 93*-96*.

Les ouvrages traitant du rôle des vertus dans l’ascèse chrétienne sont nombreux. Citons, entre cent : Mgr Gay, De la vie et des vertus chrétiennes, Paris, 1906 ; L. H. Krick, Les vertus chrétiennes, 2 vol., tr. Ir. de F. Buelens, Averbode, 1907 ; P. Lallement, La doctrine spirituelle, Paris, 1908 ; Dom Marmion, Le Christ, vie de l'âme, Paris, 1919 ; E. Thamiry, Les vertus théologales ; leur culte par la prière et la vie liturgique, Avignon, 1935 ; R. Garrigou-Lagrange, Les trois âges de la vie bienheureuse, Paris, 1938, t. i, part. I, c. iii, a. 1-3 ; enfin, on recourra avec profit à l’ouvrage classique et toujours d’actualité du P. J.-R. Terrien, La grâce et la gloire, surtout le t. i.

A. Michel.