Dictionnaire de théologie catholique/VOLTAIRE (François-Marie Arouet de), II. Œuvres

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II. Principales œuvres philosophiques et religieuses de Voltaire.

Il y a, d’après G. Lanson, op. cit., p. 223, trois éditions qui comptent des Œuvres complètes de Voltaire :
1° l’édition de Beaumarchais, dite de Kehl, « la Vulgate de Voltaire » : Œuvres complètes de Voltaire, 70 vol. in-8° et 92 vol. in-12, Kehl, 1784 et 1785-1787 ;
2° l’édition Beuchot, Œuvres complètes de Voltaire, 50 vol. in-8° et 2 volumes de Tables, Paris, 1828-1840 ;
3° l’édition Moland, reproduction de l’édition Beuchot, avec des adjonctions, surtout

dans la Correspondance, 50 vol. in-8o et 2 volumes de Tables, Paris, 1883. C’est l’édition citée ici. Quelques œuvres séparées ont des éditions critiques.

1° Les premières œuvres. — Après quelques petites pièces insignifiantes, Voltaire se révèle disciple des libertins du Temple, mais épicurien plutôt encore qu’incrédule. Voir : VÉpître à M. l’abbé Servien, prisonnier au château de Vincennes, 1714 (x, 217-218) ; VÉpître à M. le prince de Vendôme, 1717 (ibid., 240) ; VÉpître à M. l’abbé de Bussꝟ. 1716 (ibid., 237).

Cette année même, à côté de la note d’épicurisme, apparaît la note d’incrédulité, dans VÉpître à Mme de G… (ibid., 237). « Votre esprit éclairé pourra-t-il jamais croire d’un double Testament la chimérique histoire. » « Le plaisir est l’objet, le devoir et le but. La voix de la Nature est sa première voix (de Dieu) ; elle parle plus haut que la voix de nos prêtres. » L’on peut encore cependant relever dans son œuvre comme une perplexité devant le problème religieux. Dans son Épître aux mânes de Génonville (ibid., 265), il se demande : Notre esprit « naît avec nos sens… Périrait-il de même ? » Et il conclut : « Je ne sais, mais j’ose espérer que Dieu conserve pour lui le meilleur de notre être. »

2° Dans Œdipe.(ii, 7), l’incrédulité se fait âpre. Derrière les dieux, il vise le Dieu chrétien, celui du jansénisme du moins. Comme lui, les dieux ont des exigences qui martyrisent la nature, ils poursuivent les humains pour des crimes qu’ils leur ont fait commettre. Se souvenant de l’Histoire des oracles, Voltaire fait dire à l’un de ses personnages : « Au pied du sanctuaire, il est souvent des traîtres qui… font parler les destins. Ne nous fions qu’à nous. » Act. ii, 5. Les prêtres sont à redouter, donc à combattre : « Nos prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense ; notre crédulité fait toute leur science. »

3° L’Épître à Julie, 1722, écrite pour Mme de Ruppelmonde qui, au milieu d’une vie dissipée, se pose le problème religieux, ou, peut-être, pour lui-même. Cette Épître, perdue aujourd’hui, est devenue, retouchée sans doute, VÉpître à Uranie ou le Pour et le contre, 1732 (ix, 308). Nouveau Lucrèce, Voltaire veut « arracher leur bandeau aux superstitions ». S’inspirant des Trois façons de penser sur la mort de Chaulieu, il proteste cependant qu’il ne parlera pas « en épicurien uniquement soucieux de s’affranchir de la loi morale », mais à la lumière de la raison. Que voit-il dans le sanctuaire ? Un Dieu — le Dieu du jansénisme encore — un Dieu, qui n’est pas un père, comme le demande notre cœur ; il est cruel : il nous a donné des cœurs coupables, pour avoir le droit de nous punir ; inconséquent : il crée l’homme et il s’en repent ; il le fait périr par le déluge et il « tire de la poussière une race pire encore » ; il a « noyé les pères » et il « meurt pour les enfants ». Le Rédempteur ? Comment le croire Dieu ? Il est de race juive, « race odieuse » ; il connaît « les infirmités de l’enfance » ; « vil ouvrier », il prêche trois ans et périt du dernier supplice. Si encore son sang, le sang d’un Dieu, nous sauvait 1 Mais, toujours inconséquent et cruel, ayant versé son sang pour expier nos crimes, il nous punit de ceux que nous n’avons point faits », autrement dit. « de l’erreur d’un premier père ». Dieu frappe ceux qui ne savent pas, parce qu’il l’a voulu, « qu’autrefois le fils d’un charpentier expira sur la croix ». Le cœur dit que Dieu est tout autre et Voltaire conclut, disant à Dieu : « Je ne suis pas chrétien, mais c’est pour t’aimer mieux. » C’est là le Contre.

Le Pour est bref. L’on fait valoir, dit Voltaire, « le Christ puissant et glorieux », vainqueur de la mort, annoncé par les prophètes, glorifié par ses martyrs et par ses saints, qui promet et console. Vraiment, . si sur l’imposture il fonde sa doctrine, c’est un

DICT. DE TIIKOI.. r.ATIIOL.

bonheur encor d’être trompé par lui ». A Uranie de choisir ; mais la religion naturelle s’impose à qui réfléchit. « La sagesse éternelle l’a gravée dans nos cœurs » ; elle répond aux exigences de Dieu ; elle nous conduit à la vertu et « Dieu nous juge sur nos vertus, non sur nos sacrifices ».

4° La Ligue ou Henri te Grand, in-8o, Genève (Rouen), 1723, qui deviendra la Henriade, 1728 (vm, 43-263). Voltaire en avait conçu l’idée auprès de Caumartin, l’avait dédiée au roi en 1720, mais le privilège lui avait été refusé. Il en donna donc une édition clandestine en 1723. En Angleterre, il y ajouta un 10e chant, en modifia les 6e et 7e, par vengeance, y substitua partout au nom de Sully celui de Mornay. Ce fut la Henriade. Il en fit précéder l’apparition par un ouvrage intitulé An Essay upon the civil wars of France. And also upon the Epick poetry, Londres, 1726, traduit en français en deux ouvrages en 1728, le premier, Essai sur les guerres civiles en France, par l’abbé Granet, le second, Essai sur la poésie lyrique, par l’abbé Desfontaines. De la Henriade, Voltaire donnera, en 1728, à Londres, par souscription une édition de luxe, in-4o, dédiée à la reine et une édition plus simple, in-8o.

Envoyant la Henriade au P. Porée, Voltaire lui écrivait : « Je vous supplie de m’instruire si j’ai parlé de la religion comme je le dois » et dans son Idée de la Henriade, la préface du poème, il se vante d’avoir parlé avec une précision rigoureuse de la Trinité : « La puissance, l’amour avec l’intelligence, unis et divisés, composent son essence », ch. x, v. 623-625 ; de l’eucharistie : « Le Christ, de nos péchés victime renaissante, de ses élus chéris nourriture vivante, descend sur les autels… et nous découvre un Dieu sous un pain qui n’est plus. » Ibid., 489-493. Cela n’empêche pas la Henriade d’être une machine de guerre contre l’Église. « C’est dans la Henriade, écrit La Harpe, qu’il déclare aux préjugés, à la superstition, au fanatisme cette guerre qui n’admet jamais ni traité, ni trêve. » Cité par G. Ascoli, op. cit., 30 avril 1924, xi, p. 130. La matière y prêtait. Dans le sujet, « il trouvait, dit G. Lanson, op. cit., p. 19, de riches occasions de dire leur fait… à l’Église et aux moines. » Il condamne, exaltant la tolérance, « le fanatisme », par où il entend l’attachement à sa religion, d’où qu’il vienne. Mais il s’acharne contre le catholicisme. La Rome papale a hérité, dit-il, du fanatisme de la Rome païenne. C’est l’intolérance de Rome qui a fait la Saint-Barthélémy et armé le peuple de Paris « pour de vains arguments qu’il ne comprenait pas ». Ch. il. Il juge durement la papauté, entre autres Sixte-Quint, « qui devait sa grandeur à quinze ans d’artifice », ch. m ; les prêtres de Paris, qui, « loin de partager les malheurs publics, vivent dans l’abondance, à l’ombre des autels », abusant les fidèles, ch. x ; les moines : « sous l’habit d’Augustin, sous le froc de François », ils apprennent aux Français que « c’est servir leur Dieu que d’immoler leur roi ». Ch. iv ; cf. Essai sur les mœurs, c. xxxix (xiii, 334).

5° L’ode sur le fanatisme, 1732 (vm, 427), dédiée à la i sublime Emilie ». Apologie du déisme et condamnation des querelles dogmatiques. La raison condamne l’athéisme et le fanatisme, mais l’athée vaut mieux que le fanatique. Il y a des athées vertueux, Spinoza. Desbarreaux ; et l’on offense moins Dieu à l’ignorer qu’à le représenter « impitoyable, jaloux, injuste ». Il n’y a pas de fanatique vertueux. « Stupide, farouche », le fanatique est toujours prêt à immoler voyez l’Inquisition et le philosophe de Toscane, la Saint-Barthélémy ; aujourd’hui les jansénistes et les molinistes se combattent à coups de sophismes, faute de mieux. La vraie religion, c’est la charité de Belzunce.

T. - XV. — 107.

6° Les Lettres anglaises ou Lettres philosophiques. — 1. Publication. — L’ami de Voltaire, Thiériot, les publia d’abord, sans la 25e, en anglais, à Londres, sous ce titre : Letters concerning the english nation bu M. de Voltaire, in-8°, 1733. En 1734, parurent 5 éditions en français dont ces 3 principales : 1. Lettres écrites de Londres sur les Anglais et autres sujets par M. de V***, A Basle, in-8°. C’est le texte en français de l'édition anglaise. 2. Lettres philosophiques par M. de V***, Amsterdam (Paris), comprenant la 25e, imprimée clandestinement, si l’on en croit Voltaire. 3. Lettres philosophiques par M. de V***, Amsterdam (Rouen), in- 12, comprenant également la 25e. C’est l'édition avouée par Voltaire et qu’il retouchera dans les suivantes. L'édition citée ici est l'édition critique donnée par G. Lanson : Voltaire. Lettres philosophiques, 2 vol. in-16, Paris, 1909.

2. Sujets.

Ces Lettres sont consacrées : les 7 premières aux sectes religieuses en Angleterre : 4 aux quakers, la 5e aux anglicans, la 6e aux presbytériens, la 7e aux ariens ou sociniens ; la 8e et la 9e à l’organisation politique, la 10e au commerce, la 11e à l’insertion de la petite vérole ; les 6 suivantes aux représentants de la pensée et de la science anglaises : au chancelier Bacon, la 12e ; à M. Locke, la 13e ; à Newton, les 14e, 15e, 16e et 17e. Les 7 suivantes concernent les lettres et les gens de lettres : la tragédie, la 18e ; la comédie, la 19° ; les seigneurs qui cultivent les lettres, la 20e ; le comte de Rochester et M. Walter, la 21e ; M. Pope et quelques autres poètes fameux, la 22e ; la considération que l’on doit avoir aux gens de lettres, la 23e ; les Académies, la 24e. La 25e est ce que Voltaire lui-même appelle son Anti-Pascal. Lettres du 14 juillet 1733 à Thiériot (xxxiii, 361).

3. Valeur et idées principales.

D’après l’Avertissement, ces Lettres n'étaient nullement destinées à être publiées ; l’auteur y livrait simplement ses impressions à un ami. En réalité ce sont des lettres à thèse. Voltaire a tout fait pour connaître l’Angleterre ; il en a appris la langue, vu tous les milieux, il y a étudié les livres et les hommes ; mais dans le tableau que Voltaire fait de l’Angleterre, il y a de fausses estimations, des lacunes : il veut éveiller en France son désir d’une organisation nationale conforme « à la raison ». Ce dessein explique la 25e Lettre, critique des Pensées au nom de la raison.

Voici l’Angleterre religieuse. Elle vit en paix, non que l'État y impose les mêmes croyances, mais parce qu’elle a la liberté. « S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; il y en a trente et elles vivent en paix et heureuses », parce que libres. T. i, p. 70. Telle sera la conclusion des six premiers chapitres.

Aucune de ces religions cependant ne relève l’homme. On ne les enseigne que pour de vils motifs ; on ne les pratique pas sans se diminuer. Les quakers, que Voltaire connaît bien, ont vraiment une religion raisonnable : ils ont rejeté les rites, même les sacrements, d’ailleurs « d’invention humaine », p. 5, les prêtres, « ces hommes vêtus de noir », qu’il faut payer « pour assister les pauvres et enterrer les morts », p. 24 ; néanmoins i le quaker ne saurait être qu’un imposteur ou un idiot » ; un imposteur parce qu’il use de l'Écriture, où elle le favorise, p. 5 ; un idiot, par ses manières, p. 2, par son langage, p. 5, par son costume, p. 6. La raison ne saurait également qu’approuver la doctrine morale des quakers : leur charité envers les hommes, p. 6, qui fait qu’ils défendent la guerre, p. 7 ; leur respect pour les lois, p. 7 ; mais, ici encore, ils sont ridicules avec leur dédain de la politesse mondaine, leur crainte du serment, qui les empêche de servir l'État, leur hostilité à l'égard du luxe et du

plaisir, et surtout leurs tendances mystiques qui confinent à la folie (Lettre il). La naissance de leur religion, que Voltaire assimile visiblement, sans le dire, à la naissance du christianisme même, est l'œuvre d’un jeune homme sans culture, « saintement fou, p. 32, qui se livra à des tremblements et crut avoir le Saint-Esprit. On lui supposa le don des miracles pour la mort subite d’un juge intempérant, qui venait d’envoyer les quakers en prison. P. 35.

L'Église anglicane est en Angleterre ce qu’est l'Église catholique en France, une Église d'État. Derrière elle, Voltaire visera donc l'Église de France. Celle-là, dit-il, a gardé beaucoup de choses de celle-ci : des rites, t surtout celui de recevoir les dîmes », p. 61 ; l’ambition : ses chefs ont aussi « la pieuse ambition d'être les maîtres », ibid. ; l’intolérance, ici réduite par les lois, p. 62. Son clergé est néanmoins supérieur au clergé catholique par ses mœurs. Élevés « loin de la corruption de la capitale », p. 63, arrivant aux hautes situations âgés et pour leurs services et non pas jeunes et pour leur naissance, ses membres ne comptent pas parmi eux « cet être indéfinissable qui n’est ni ecclésiastique ni séculier, l’abbé » ; mariés, ils ne sont pas « de ces successeurs des Apôtres qui font publiquement l’amour ; …ils n’ont guère d’autre défaut que de s’enivrer… et ils remercient Dieu d'être protestants ». P. 64.

Voltaire en use avec les presbytériens comme avec les anglicans. Il les fait hypocrites et jaloux, protestant contre les richesses et les honneurs qui leur sont inaccessibles ; pédants, affectant la gravité, p. 73 ; odieux, parce qu’ils sont les créateurs du dimanche anglais, où ils défendent à la fois de travailler et de se divertir. Ibid.

On rencontre aussi dans le monde intellectuel des sociniens, ou ariens, ou antitrinitaires — Voltaire ne distingue pas — dont était Newton et que patronnait Clarke. Cf. ici, t. iii, col. 2-7. Voltaire ne parle pas des free-thinkers ou libres-penseurs anglais, dont est Bolingbrocke et qui lui sont très sympathiques.

Si le régime politique anglais, Lettre viii, ne représente pas l’idéal politique de Voltaire, du moins, il le juge supérieur au régime français du bon plaisir royal. Pour arriver à ce régime, le peuple anglais a dû s’affranchir des papes, qui « avec des brefs, des bulles et des moines, faisaient trembler les rois et tiraient à eux tout l’argent qu’ils pouvaient ». P. 102. L’Angleterre était alors « une province du pape ». P. 103.

Peut-être les Lettres les plus importantes sont-elles la xiie, consacrée à Bacon, la xiiie sur Locke, la xive sur Descartes et Newton : Bacon, Locke, Newton, les fondateurs d’une nouvelle conception de la connaissance du monde, basée sur l’expérience. Voltaire voit en effet dans Bacon le père de la philosophie expérimentale ; il loue l’auteur de l’Essai sur l’entendement d’avoir opposé l’empirisme aux idées innées ou à la vision en Dieu et au roman de l'âme substitué l’histoire, p. 168, acceptant d’ignorer ce que nous ne pouvons savoir, disant : « Nous ne serons jamais peut-être capables de connaître si un être matériel pense ou non », p. 170, ce que Voltaire traduit : « La raison humaine ne saurait démontrer qu’il soit impossible à Dieu d’ajouter la pensée à la matière. » Lettre à La Condamine, 22 juin 1734 (xxxiii, 436). Et « la sage et modeste philosophie de Locke, loin d'être contraire à la religion, lui servirait de preuve, si la religion en avait besoin, car quelle philosophie plus religieuse que celle qui, sachant avouer sa faiblesse, nous dit qu’il faut recourir à Dieu, dès qu’on examine les premiers principes ». P. 174. Newton a eu sur Descartes l’avantage » de vivre en pays libre et dans un temps où les impertinences

scolastiques étaient bannies et la raison seule cultivée ». T. ii, p. 5. Il a détruit « le roman ingénieux » de Descartes, p. 6, sur le système du monde. C’est que « Descartes estimait que ce qu’il pensait fortement et rationnellement lui livrait la nature absolue des choses et l’existence de ces choses. Pour Newton, point de savoir effectif qui ne se rattache à une expérience ».

La littérature anglaise, Lettres x ri u-xxii, fournit à Voltaire, elle aussi, l’occasion d’attaquer le christianisme. Présentant Shakespeare, il traduit la tirade de Hamlel et y parle « de prêtres menteurs », alors que Shakespeare n’en dit pas un mot. Dans l'édition des Lettres philosophiques de 1742, il loue Dryden d’attaquer prêtres et religieux. À propos des grands seigneurs anglais qui s’adonnent aux belles-lettres, Lettre xx, il citera un seul passage, celui où lord Hervey fait la critique du catholicisme en Italie et de la papauté. P. 122. Ce chapitre lui est aussi une occasion de vanter la nation, où chacun peut imprimer ce qu’il pense. Quelle différence avec la France !

4. La 25' Lettre. L' anti-Pascal de Voltaire. — Le 1° juillet 1733, il écrit à Cideville (xxxiii, 355) : « Une 25e Lettre… contient une petite dispute avec Pascal, ce misanthrope sublime. Ce n’est point contre l’auteur des Provinciales que j'écris ; c’est contre l’auteur des Pensées, où il attaque l’humanité beaucoup plus cruellement qu’il n’a attaqué les jésuites. » Cf. A Formont, juin 1733 (ibid., 348).

Après un préambule où il expose les mêmes idées et où, derrière Pascal, il vise les récents apologistes du christianisme, il passe à l’attaque sous couleur de réponse à telle Pensée ou de remarque. L'édition de 1734 comprend 87 remarques ; celle de 1742, dans Œuvres mêlées, 5 vol. in-12, Genève, en comprendra 65, plus 8 numérotées à part, portant sur les Pensées publiées par le P. Desmolets. On ne saurait omettre ici les 94 Remarques sur les Pensées, 22 sur le texte de Condorcet, 12 sur l'écrit attribué à Fontenellc, dont Voltaire accompagne, en 1778, la réédition qu’il donne de l'Éloge et Pensées de Pascal de Condorcet.

Pourquoi Voltaire s’acharne-t-il contre Pascal ? C’est que, cet apologiste du christianisme abattu, aucun autre ne comptera plus. Cf. la Lettre citée à Formont et ici, t. xi, col. 2192-2193.

J.-R. Carré groupe sous les chefs suivants les critiques de Voltaire, Réflexions sur V Anti-Pascal de Voltaire, in-12, Paris, 1935 :

a) Voltaire critique du pari (5e Remarque, t. ii, p. 191). — Sur le pari, cf. ici, t. xi, col. 2182 sq. S’inspirant de Bayle et de l’abbé de Villars, il lui reproche d’abord de porter sur un fondement faux : l’intérêt. Citant Pascal d’après une réimpression de 1714 de l'édition de Port-Royal, Voltaire était poussé dans cette voie par le titre même que cette réimpression donne au pari : « Qu’il est plus avantageux de croire. » Il écrit donc : « L’intérêt que j’ai à croire une chose n’est pas une preuve de sa vérité » ; en second lieu, d'être indécent et puéril : « On ne joue pas Dieu à pile ou face. » Enfin, et c’est une objection plus juste à faire à un janséniste : Étant donné le petit nombre des élus, « n’ai-je pas un intérêt plus visible à être persuadé » que Dieu n’existe pas ?

b) Critique de Pascal apologiste du sentiment ou du cœur, instrument de connaissance et de certitude. Cf. iii, loc. cit., col. 2133-213."., 2163-2175. Le disciple de Descartes n’accepte pas : 1° que la connais rationnelle soit déclarée incomplète, parce que la partie ne peut connaître le tout et que dans l’univers toutes choses dépendent l’une de l’autre (Fr. 72, édit. Brunschwicg). Il suffit, répond Voltaire, de connaître ce qui est à notre portée. Nous n’avons pas besoin

de connaître les rapports qu’il y a entre une araignée et l’anneau de Saturne. — 2° Que Pascal « ne se sente pas assez fort pour convaincre des athées endurcis de l’existence de Dieu » (Rem., vu (sur le texte de Desmolets), p. 242). — 3° Qu’il ait vu « dans l’obscurité même de la religion chrétienne une preuve de sa vérité » (Fr. 565 et 273. Voir loc. cit., col. 2141), et qu’il ait écrit : « Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment » (Fr. 274 ; Rem., xlviii, p. 220. Voir, loc. cit., col. 2169 sq.).

c) Critique de Pascal, introducteur du surnaturel.

— Voltaire déteste surtout en Pascal le défenseur d’un système de croyances s’appuyant sur des preuves historiques.

Des prophéties et des miracles, dans une Lettre à Maupertuis du 29 avril 1734, Voltaire disait : « Il n’y a pas une prophétie qui puisse s’expliquer honnêtement de Jésus-Christ. Son chapitre (de Pascal) sur les miracles est un persiflage » (xxxiii, 41). Ici, plus modéré, il s’en prend seulement au fragment où Pascal dit que les prophéties prouvent Jésus-Christ si elles ont deux sens. Fr. 642. Inspiré par l’Histoire des oracles de Fontenelle et par le Discourse oj the ground and reasons of the Christian religion de Collins, 1724, il répond, Rem., xv, p. 200-201 : « La duplicité est une faute et une telle théorie assimile les prophéties aux oracles païens. » Sur les miracles, il se contente de répondre au fragment 817 ( « que la croyance à des miracles faux prouve qu’il y en a de vrais » ) ceci : « La nature humaine n’a pas besoin du vrai pour tomber dans le faux. Personne n’a vu de loups-garous et tout le monde y croit ». Rem., xli, p. 217-218. Il proteste ensuite, Rem., lxiii, p. 237, contre cette affirmation de Pascal : « Toute religion qui ne reconnaît pas Jésus-Christ est notoirement fausse et les miracles ne lui peuvent de rien servir », au nom de l’honneur de Dieu, qui ne peut faire de miracles pour le soutien d’une fausse religion. Cf. ici Pascal, col. 2148 sq., et les articles Miracles, Prophéties du Dictionnaire philosophique, les Questions sur les miracles, etc.

Il n’accepte pas sans réserve la preuve par les martyrs : beaucoup de fanatiques étant morts pour l’erreur, il faut ici une enquête avant de conclure. Rem., xxxiii, p. 212. Et encore moins, le témoignage du peuple juif en faveur du Messie. Rem., vii, vin et ix, p. 194-195. Cf. Dernières remarques, lxxxii, lxxxiii, lxxxiv, lxxxv, lxxxvi. Pascal fait des Juifs les hérauts du Messie au milieu de l’humanité, mais, dit Voltaire, s’ils ont attendu le Messie, cela a été pour eux seuls ; il fait de leur loi la plus ancienne, la plus parfaite, le modèle des autres, mais, répond Voltaire, avant la loi de Moïse, il y avait la loi égyptienne et il est faux que les autres peuples aient emprunté quelque chose à la loi mosaïque, fin fin, à propos de la véracité des Écritures, base historique du christianisme, tandis que Pascal trouve dans leurs contradictions une preuve « visible que cela n’a pas été fait de concert », Voltaire insiste sur les contradictions des deux généalogies de Jésus-Christ dans saint Matthieu et dans saint Luc. Rem., xvi, p. 201-202.

d) Critique de la conception pascaliennc de l’homme.

— Le jansénisme en France, le puritanisme en Angleterre ont donné de l’homme une conception tragique. Shaftesbury, dans À l.rttrr roncerning Enthousiam, 1708, s’est élevé contre cette conception ; Voltaire s’attaquera à ce fragment 430, où Pascal parle » des grandeurs et des misères de l’homme si visibles qu’il faut nécessairement que la vraie religion > en donne l’explication et où il montre que cette explication est « dans le péché originel, « le sorte que l’homme est plus Inconcevable sans ce mystère que ce m] 34u ;

V0LTA1HE. PRINCIPALES Œl’VRES

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n’est concevable à l’homme ». Si le péché originel, répond Voltaire, Rem., iii, p. 187-188, est de foi, la raison me montre dans l’homme un être normal. Il n’est pas une indéchiffrable énigme. Il y a en lui, comme dans tous les êtres, du bien et du mal, mais s’il était parfait, il serait Dieu. D’ailleurs, le péché originel n’explique pas plus les soi-disant contrariétés de l’homme que la fable de Prométhée. Rem., i, p. 186 ; cf. Lettre à La Condamine, 22 juin 1734 (xxxiii, 486). Et ainsi, tombe cette preuve pascalienne de la vérité du christianisme qu’il explique seul l'énigme de l’homme. Cf. ici Pascal, loc. cit., col. 2131, et Sainte-Beuve, Port-Royal, t. iii, p. 402.

4. La condamnation et les réfutations des Lettres philosophiques et de l'Épître à Uranie. — « Comme instrument de combat contre le christianisme, contre les institutions politiques de la France, contre les mœurs et les idées d’Ancien Régime, ces petites lettres ont la valeur d’un événement historique. » Condorcet, Vie de Voltaire, i. Voltaire avait pressé leur publication, mais il ne les avait pas vu paraître sans appréhension. Il eut beau, après les tripotages dont on trouve le détail dans Maynard, op. cit., t. i, p. 183211, prétendre que ces Lettres avaient paru contre son gré, faire retomber la faute de leur publication sur son libraire, Jore ; le 20 mai 1734, une lettre de cachet l’exilait au château d’Auxonne. Prévenu, il se réfugiait finalement à Cirey. Le 10 juin, le Parlement, vengeant surtout Pascal, n’en condamnait pas moins son livre à être brûlé « comme scandaleux, contraire aux bonnes mœurs et au respect dû aux puissances ». Le livre sera mis à l’Index. Les Remarques sur les Pensées de 1778 le seront également, le 18 septembre 1789.

En 1735 parurent des réfutations des Lettres philosophiques, entre autres : a) Réponse ou critique des Lettres philosophiques de M. de V. par le R.P.D.P.B. (Le Coq de Villerey), Basle (Paris), in-12. Cf. DesnoiresterreS, op. cit., t. ii, p. 41. Le Coq répond surtout à la critique des Pensées. — b) Lettres servant de réponse aux Lettres philosophiques…, s. n. d. a. (abbé Molinier), s. 1. (Paris), in-12. Molinier combat surtout la matière pensante. — c) Réflexions sur quelques principes de la philosophie de M. Locke, à l’occasion des Lettres philosophiques de M. de Voltaire, par DavidRenaud Bouillier, ministre protestant réfugié, dans Bibliothèque française, t. xx.

7° Le Mondain, 1736 (x, 83). — Essai de morale sociale. Le bonheur est sur la terre et non dans l’audelà, dans les jouissances qu’assurent le progrès et le luxe et non dans l’austérité. Que l’on compare la vie des premiers hommes, « les ongles longs, un peu noirs et crasseux », vivant « de l’eau, du millet et du grain », avec la vie d’un honnête homme au xviiie siècle, et l’on ne parlera plus du bonheur <c tristement vertueux » de Salente, « manquant de tout pour avoir l’abondance », ni du Paradis terrestre : le Paradis « est où je suis ». Cf. La toilette de Mme de Pompadour ou les Anciens et les Modernes (xxv, 451).

Le Mondain fit scandale. Voltaire parut s'étonner qu’on l’eût pris au sérieux et s’efforça de faire croire que le texte avait été tronqué. Cf. Lettres à Thiériot du 24 novembre 1736 et à Cideville du 8 décembre (xxxiv, 171 et 184). Aux critiques il répondit en 1737 par une Défense du Mondain (x, 90) ; il y soutient que le progrès matériel et le luxe sont utiles au bonheur des individus et de la société ; et par une pièce sur l’Usage de la vie, ou savoir se modérer (x, 94).

8° Sept discours sur l’homme, 3 de 1734, 4 de 1737 (ix, 374). Pope, « le poète le plus élégant » de l’Angleterre, avait publié en 1733-1734 un Essay on Man, immédiatement traduit en français par Silhouette et

l’abbé Resnel : » Le Discours sur l’homme de Voltaire, dit Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, t. viii, p. 194, doit à Pope mieux que des points de départ. »

Ces sept discours sont la philosophie du bonheur auquel peut et doit prétendre l’homme. Le 1 er, p. 379388, prouve l'égalité des conditions en face du bonheur. « Il y a dans chaque profession une mesure de biens et de maux qui les rend toutes égales. » — Le 2e, De la liberté, p. 388-394, répond à cette question : « Le bonheur dépend-il de moi-même ou est-il un présent des cieux ? » ; en d’autres termes : « Suis-je libre… ou mon âme et mon corps sont-ils d’un autre agent les aveugles ressorts ? » Voltaire conclut en faveur de la liberté et invite à respecter la liberté d’autrui. — Le 3e condamne l’envie, p. 394-401. L’envieux, ennemi de soi-même, perd son temps en attaquant la vertu : ainsi « le fougueux Jurieu » en attaquant Bayle. Il aboutit à la calomnie ; tel le janséniste (Louis Racine), pour qui « Pope est un scélérat », parce qu’il a dit « que Dieu nous aime tous et qu’ici tout est bien ». (Voltaire ne pardonnait pas à L. Racine d’avoir pris contre lui le parti de Pascal). — Le 4e, dédié à M. Helvétius, prêche la modération en tout, condition du bonheur. — Le 5e, Sur la nature du plaisir, soutient que, loin de fuir le plaisir, comme le janséniste, sur les pas de Calvin, ce fou sombre et sévère », l’homme doit se dire que le plaisir auquel l’appelle la nature vient de Dieu : « C’est par le plaisir qu’il conduit les humains ». — Le 6e, Sur la nature de l’homme, établit que le bonheur parfait n’est pas de ce monde, mais que l’homme n’a pas à se plaindre de son état. « Despréaux et Pascal en ont fait la satire ». — Le 7e est Sur la vraie vertu. La vraie vertu ne consiste ni dans « l’insensibilité stoïcienne », ni dans les pratiques religieuses. Elle est, d’après le Christ lui-même, dans les pratiques que résume ce mot nouveau (de Bernardin de Saint-Pierre) : « la bienfesance ».

9° Traité de métaphysique (xxii, 189-230). — Composé en 1734 et dédié à Mme du Châtelet, qui le met sous clé, parce que dangereux. Il ne sera publié qu’après la mort de l’auteur. Quelles certitudes avons-nous sur Dieu et sur l’homme ?

1. Dieu.

Existe-t-il ? Voltaire aboutira à cette conclusion : « Cette proposition : Il y a un Dieu énonce la chose la plus vraisemblable que les hommes puissent penser et la proposition contraire est des plus absurdes. » La connaissance de Dieu n’est pas innée. Deux preuves la donnent. P. 194-195.

a) Preuve par les causes finales, « la plus naturelle et la plus parfaite pour les capacités communes ». Non seulement, il y a de l’ordre dans l’univers, mais le monde apparaît pénétré de finalité. « Quand je vois une montre dont l’aiguille marque les heures, je conclus qu’un être intelligent a arrangé les ressorts de cette machine, afin que l’aiguille marquât les heures. Ainsi, quand je vois les ressorts du corps humain, je conclus qu’un être intelligent a arrangé ces organes…, les yeux pour voir… » Cf. Les cabales, 1772. L’univers m’embarrasse… Mais de cette preuve je ne puis conclure que l'être intelligent et supérieur qui a façonné la matière l’a fait sortir du néant. Cette conclusion se tire de la preuve suivante.

b) Preuve par la contingence du monde. — « J’existe, donc quelque chose existe de toute éternité. Car ce qui est ou est par lui-même » et alors « il… est Dieu » ; ou : a reçu son être d’un autre, ce second d’un troisième… » et « celui dont ce dernier a reçu son être doit nécessairement être Dieu ». Il ne saurait être question d’une régression d'êtres à l’infini, car tous ces êtres n’auraient de leur existence, pris dans leur ensemble, aucune cause extérieure, pris individuellement, aucune cause intérieure, alors « qu’aucun n’existe par soi-même ». Il y a donc un être « qui 340 !)

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VOLTAIRE. PRINCIPALES ŒUVRES

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existe nécessairement par lui-même » et qui est ainsi infini en durée, en immensité, en puissance.

Le monde matériel — souvenir de Spinoza — n’est pas cet être nécessaire, car, s’il était d’une nécessité absolue, tous les êtres qui le composent seraient tels. Or rien n’est plus contraire aux faits. Ni le mouvement, ni la pensée, ni la sensation ne sont essentiels à la matière. Ils viennent donc « d’un Être suprême, intelligent, infini, cause originaire de tous les êtres ». On aboutit ainsi « au Dieu des philosophes et des savants ».

Mais, objecte-t-on contre la création : 1. Dieu ne peut avoir tiré le monde du néant, qui n’est rien, ni de soi, car le monde serait alors d’essence divine. 2. Le monde a été créé ou nécessairement ou librement ; si nécessairement, il serait éternel et créé, ce qui est contradictoire ; si librement, c’est encore une contradiction de supposer l'Être infiniment sage agissant sans une raison qui le détermine et l'Être infiniment puissant ayant passé une éternité sans faire usage de sa puissance.

A ces deux objections, Voltaire fait la même réponse. S’il m’est impossible de concevoir la création, cela ne l’empêche pas d'être. L’existence du Créateur m’est démontrée ; mais je ne suis pas fait pour comprendre ses attributs et son essence.

L’on avance aussi contre les causes finales : 1. « Tout se fait dans la nature suivant les lois éternelles, indépendantes, immuables des mathématiques. Il en résulte des effets nécessaires que l’on prend pour les déterminations arbitraires d’un pouvoir intelligent. » Les lois mathématiques sont immuables, répond Voltaire, mais il n'était pas nécessaire que telles lois fussent préférées à d’autres. — 2. Si l’on admet les causes finales, Dieu au fond est un Dieu barbare. « Il a donné la vie à toutes les créatures pour être dévorées les unes par les autres », et à quelles misères l’homme n’est-il pas soumis ? Si l’on objecte que notre idée de la justice est fautive, Dieu ne nous aurait ainsi faits que pour nous tromper, car c’est lui-même qui nous a donné cette idée. Voltaire répond : D’abord s’il y a un mal moral (ce qui me paraît une chimère), ce mal est tout aussi impossible à expliquer dans le système de la matière que dans celui d’un Dieu. D’autre part nos idées de la justice sont uniquement relatives à l’utilité sociale et notre œuvre ; elles n’ont donc aucune mesure commune avec la justice de Dieu. Enfin pour juger qu’une chose est imparfaite, il faut avoir l’idée de la perfection qui lui manque. « Mais qui aura une idée selon laquelle ce monde-ci déroge à la sagesse divine ? » P. 201.

En définitive l’opinion qu’il y a un Dieu ne va pas sans difficultés, mais l’opinion qu’il n’est pas se heurte à des absurdités. Les matérialistes en effet sont obligés de soutenir ces deux choses : 1. La matière existe nécessairement et par elle-même : donc elle a en soi essentiellement la pensée et le sentiment alors qu’un petit nombre de ses parties seulement ont cette pensée et ce sentiment, et que cette pensée et ce sentiment périssent à chaque instant ; ou bien il y a une âme du monde qui se répand dans les corps organisas. Alors cette âme est distincte de lui : « Chimères qui se détruisent. — 2. Le mouvement est essentiel a la matière, donc il n’a jamais pu augmenter ou diminuer et il n’y a aucune liberté ; mais une fatalité est ; mssi difficile ; i comprendre que la liberté.

2. L’homme. il n’y a pas qu'âne espèce d’hommes, c. i ; mais aux hommes de toutes espèces les idées viennent par les sens ; il n’y a pas d’idées innées ni de vision en Dieu, laquelle ne peut avoir que ce sens : Dieu pense en nous. C. m.

a) L’homme a-t-ll une âme ? — À s’en tenir ; i que dit la raison, les mêmes effets supposant une

même cause », les mêmes phénomènes se manifestent dans les bêtes et dans les hommes à proportion de leurs organes, l’on peut conclure que l'âme est un principe commun aux hommes et aux bêtes. Et comme on ne peut soutenir que l'âme pense toujours — cela est contraire aux faits — il semble qu’il faille conclure que la pensée est un attribut donné par Dieu à la matière : « Dieu a organisé les corps pour penser comme pour manger. » Ce raisonnement est confirmé par les anciennes croyances de l’humanité et, se souvenant du Pascal qu’il a combattu, Voltaire écrit : « Un des plus anciens livres qui soient au monde, conservé par un peuple qui se prétend le plus ancien peuple, me dit que Dieu même semble penser comme moi », puisque ayant donné leurs lois aux Juifs « il ne leur dit pas un mot de leurs âmes ». C. v.

b) Si ce qu’on appelle âme est immorlel, c. vi. — Il essaie quelques solutions : Dieu ayant attaché à une partie du cerveau la faculté d’avoir des idées, il peut conserver cette partie du cerveau avec sa faculté ; il peut aussi avoir donné aux hommes une âme simple, immatérielle et la conserver indépendamment de leur corps. Il conclut : « Je n’assure point que j’aie des démonstrations contre la spiritualité et l’immortalité de l'âme, mais toutes les vraisemblances sont contre elles. »

c) Si l’homme est libre, c. vil. — Sur ce point, comme sur le précédent, Voltaire s’inspire de Locke. Distinguant entre vouloir et agir, Locke définit la liberté le pouvoir de faire ce que l’on veut. À quoi Leibnitz objecte qu’il faut distinguer la liberté du faire et la liberté du vouloir. Celle-ci, Locke ne l’admet pas. Voltaire non plus. La liberté est uniquement pour lui le pouvoir de faire ce que l’on veut.

d) De l’homme considéré comme être sociable, c. viii. — L’homme était appelé à vivre en société par l’instinct de reproduction, d’où la famille, par le besoin, par un certain sentiment de bienveillance à l'égard de ses semblables. Mais ce sont surtout nos passions, l’orgueil en particulier, qui sont à l’origine des sociétés telles que nous les voyons aujourd’hui.

e) De la vertu et du vice, c. ix. — Ce sont là choses relatives. « La vertu et le vice, le bien et le mal moral est en tout pays ce qui est utile ou nuisible à la société », avec cette réserve cependant qu’il y a des sentiments dont l’homme ne peut jamais se défaire et qui sont la base de la société. Tels la bienveillance, la haine du manquement à la parole donnée, du vol. N’y a-t-il donc pas de bien en soi, indépendant de l’homme ? Mais y a-t-il du froid et du chaud, autrement que par rapport à nous ? Ne peut-on craindre alors que l’homme s’abandonne à toute la fureur de ses passions ? Non, car, sagement, le législateur a inventé les sanctions. Cédant à l’intérêt, tout homme raisonnable sera vertueux. Mais un esprit droit n’obéira pas seulement à la crainte des sanctions ; il aura le goût de la vertu, par la même raison que celui qui n’a pas le goût dépravé préfère l’excellent vin de Nuits à celui de Bue.

10° Éléments de la philosophie de Newton mis à la portée de tout le monde, par M. de Voltaire, in-8°, Amsterdam, 1738 (xxii, 393), dédié à Mme du Châtclet. La même année, une nouvelle édition, Londres (Paris), fera précéder les Eléments d' Éclaircissements nécessaires (xxii, 267). Ces Éléments comprennent 3 parties : i. Métaphysique, la seule qui intéresse ici. Voltaire y revient sur les questions qu’il a examinées dans le Traité de métaphysique et cela pour s’appuyer sur l’autorité de Newton. « Newton, dit-il, était persuadé de l’existence de Dieu. Toute sa philosophie (foute sa physique) conduit nécessairement à la connaissance d’un Etre suprême qui a tout créé, tout arrangé : la gravita

tion, les sens de révolution et de rotation des planètes du système solaire, faits primitifs pour nous, irréductibles à une nécessité logique. » Voltaire note avec joie que « de toutes les preuves de l’existence de Dieu, celle des causes finales fut la plus forte aux yeux de Newton, parce qu’il connaissait mieux que tous les desseins variés à l’infini qui éclatent dans les plus petites parties de l’univers ». C. i. Il félicite Newton d’avoir fait de l’espace et de la durée des attributs nécessaires, immuables de l'Être éternel et immense. Descartes niant la possibilité du vide était condamné à n’admettre d’autre Dieu que la matière. C. n. Newton fait de Dieu l'Être infiniment libre ; en d’autres termes, il soutient que Dieu a fait beaucoup de choses sans autre raison que sa volonté. A quoi Leibnitz objectait que rien ne se fait sans raison suffisante. Voltaire qui sympathise avec l’idée newtonienne ne tranche pas le débat. C. m.

De cette volonté libre, disent Newton et Clarke, Dieu a communiqué « une portion limitée » à l’homme, capable aussi « de vouloir quelquefois sans autre raison que sa volonté ». Contre cette vue s'élève Anthony Collins (1669-1722), dans son Discourse of Free-Thinking, 1713. Il soutient que l’homme est déterminé par des raisons d’agir. Voltaire admet la liberté d’indifférence dans les choses indifférentes, « de spontanéité dans tous les autres cas, c’est-à-dire que, lorsque nous avons des motifs, notre volonté se détermine par eux. Je fais volontairement ce que le dernier dictamen de ma volonté m’oblige de faire. » C. iv.

Enfin Newton fut aussi un fervent partisan de la religion naturelle, entendant par là « les principes de morale communs au genre humain ». Persuadé avec Locke que nos idées nous viennent par les sens, et tous les hommes ayant les mêmes sens, il concluait à la présence chez tous des mêmes sentiments, des mêmes notions grossières qui sont partout les fondements de la société et qui se résument en cette loi : « Fais ce que tu voudrais qu’on te fît, ou traite ton prochain comme toi-même. C’est de ce principe qu’il faisait le fondement de la religion naturelle, que le christianisme perfectionna ». C. vi.

Pour Newton enfin, l'âme est « une substance incompréhensible ». Il aurait accepté cette théorie de Locke que nous n’avons pas assez de connaissance de la nature pour oser prononcer qu’il soit impossible à Dieu d’ajouter le don de la pensée à un être étendu quelconque. Ennemi des systèmes d’ailleurs, il ne jugeait de rien que par analyse et, lorsque ce flambeau lui manquait, il savait s’arrêter et douter (xxii, 422).

11° Le siècle de Louis XIV, 1751 (xiv et xv) et Essai sur les mœurs, 1756 (xi, XII, xiii). — 1. Le siècle de Louis XIV. — Voltaire avait pris le goût de l’histoire au cours de ses études et l’avait développé chez les Caumartin. Il se fit la main avec l’Histoire de Charles XII, 2 vol. in-12, Basle (Rouen), 1731. Dès septembre 1732, il annonce son projet du Siècle de Louis XIV, cf. à Formont (xxxiii, 192). « Il commença cet ouvrage, dit A. Rébelliau, Introduction au Siècle de Louis XIV, édition annotée par A. Rébelliau et M. Marion, in-12, Paris, 1894, p. viii, dans un état d'âme violent, aigri, douloureux, surtout par esprit de réaction contre le siècle présent. » Cf. Lettre à Formont, derniers jours de 1732. De même que, dans les Lettres philosophiques, il vantait l’Angleterre pour mieux critiquer la France, il voulait exalter le siècle du Grand Roi, qu’il admirait d’ailleurs, pour le mieux opposer au régime du présent, médiocre et faible, à son gré. Vers 1738, le livre suivait ce plan : « D’abord les grands événements politiques et diplomatiques, les victoires et les conquêtes, puis la personne, les

mœurs de la vie de la Cour, puis le gouvernement intérieur et les institutions qui avaient augmenté le bienêtre de la nation, les affaires ecclésiastiques », rapidement traitées, en deux chapitres, « enfin la merveilleuse floraison des sciences, des lettres et des arts, la plus grande et la plus vraie gloire du Grand Roi » (J.-R. Carré, loc. cit., l « r juillet 1738, La philosophie de l’Histoire, p. 608). Cf. Lettre à l’abbé Du Bos, 30 octobre 1738 (xxxv, 30). En 1739, pour tâter l’opinion, il publia l’Introduction et une partie du c. I er de son livre, dans un Recueil de pièces fugitives en prose et en vers par M. de V., in-8°, s. 1. (Paris), 1740 (1739), où se trouvait également une Ode sur l’ingratitude, contre Desfontaines. Ce Recueil fut supprimé par arrêt du Conseil, le 4 décembre 1739, à cause de cette Ode. Voltaire feignit de croire que c'était à cause de ses chapitres d’histoire et il ne publiera le Siècle de Louis XIV qu'à Berlin en 1751, sous ce titre : Le siècle de Louis XIV publié par M. de Francheville, conseiller aulique de Sa Majesté et membre de V Académie royale des sciences et belles-lettres de Prusse, 2 vol. in-12, Berlin. Mais le livre s’est transformé. Sous l’influence de Frédéric, les préoccupations philosophiques de Voltaire se sont accentuées. Sans renoncer à faire l’apologie du siècle, il en réduit un peu la gloire : il diminue la part faite aux arts ; il accroît celle des anecdotes tendancieuses ou « des sottises de l’esprit humain ». Surtout, il rejette à la fin les affaires ecclésiastiques, leur consacre cinq chapitres au lieu de deux, comme étant l’envers d’un beau règne. « C'était un siècle de grands talents bien plus que de lumières », dira-t-il dans son Épître à Boileau, 1769 (x, 397), et qui laissait encore un progrès à accomplir. « Le livre était donc comme un groupement de tous les faits du xviie siècle, sous deux idées : d’un côté, la glorification de l’intelligence humaine, réalisant un progrès rationnel, infiniment supérieur à tout ce qui le précédait (cf. P. Hazard, La crise de la conscience européenne (1685-1715), 3 vol. in-8°, s. d. (1935), t. i, Préface) de l’autre « un fragment des folies de l’esprit humain, les hommes s’entre-déchirant dans des querelles qui portent sur des objets invérifiables. » J.-R. Carré, ibid. Cf. Rébelliau, op. cit., p. 20.

Si, en effet, on ne peut reprocher à un homme de son temps d’avoir soutenu un gallicanisme avancé, et c’est son cas, on peut blâmer Voltaire « de faire un exposé plus moqueur que fidèle des disputes religieuses du xviie siècle. S’il termine son livre par le chapitre, Disputes sur les cérémonies chinoises, c’est bien pour laisser cette impression que les manifestations du sentiment religieux sont des actes d’imposture ou d’imbécillité et ne peuvent aboutir qu'à de vaines ou funestes querelles ; l'éloge de Confucius et des Chinois vient en réalité pour diminuer le christianisme. Dans l’intention de Voltaire comme dans son inspiration, le Siècle de Louis XIV, entrepris pour lui-même, était devenu la suite de l’essai sur les mœurs. En 1756 et en 1761, d’ailleurs, le Siècle paraîtra conjointement avec l’Essai, devenu Essai sur l’histoire générale, 7 vol. in-8°, s. 1. (Genève). Cf. E. Bourgeois, Introduction à son édition du Siècle de Louis XIV, in-12, Paris, 1890.

En 1752, parut à Francfort Le siècle de Louis XIV par M. de Voltaire. Nouvelle édition, augmentée d’un très grand nombre de remarques par M. de la B. (La Beaumelle, un des ennemis que Voltaire s'était fait à la cour de Frédéric II), 3 vol. in-8°, 1753. Voltaire répondit par un Supplément au Siècle de Louis XIV, in-8°, Dresde, 1753, où il injurie son adversaire et qu’il fera réimprimer dans le Siècle politique de Louis XIV ou Lettre du vicomte Bolingbrocke sur ce sujet. Avec les pièces qui forment l’histoire du Siècle de M. F. de Voltaire et de ses querelles avec MM. d e

Maupertuis et La Baumelle, in-8o, 1753. Ce dernier ripostera par une Réponse au Supplément, in- 12, Colmar, 1754, qui deviendra dans une nouvelle édition Lettre de M. de La Beaumelle à M. de Voltaire, in-12, Londres.

2. L’Essai sur les mœurs.

A Cirey, dès 1740, Voltaire entreprit pour Mme du Châtelet un abrégé de l’histoire du monde. Le Mercure en donna des fragments, en 1745-1746, sous ce titre : Nouveau plan d’une histoire de l’esprit humain ; en 1750-1751, sous cet autre titre : Histoire des croisades. En 1753, Néaulme publia à La Haye, sans l’aveu de l’auteur, un Abrégé de l’histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequinl par M. de Voltaire, 2 vol. in-12, que l’auteur désavoua, puis compléta par un Essai sur l’Histoire universelle, tome troisième, in-12, Dresde. En 1756, Voltaire donnera de son œuvre un premier texte complet : Essai sur l’histoire générale et sur les mœurs et l’esprit des nations depuis Charlemagne jusqu’à nos jours, 7 vol. in-8o, s. 1. (Genève), qui englobait le Siècle de Louis XIV et un Essai sur le règne de Louis XV. En 1765, il publiera la Philosophie de l’histoire par jeu M. l’abbé Bazin, qui sera l’Introduction de l’œuvre. En 1769, dans la Collection complète des Œuvres de M. de Voltaire, 45 vol. in-4o, Genève et Paris, 1768, aux t. viii et ix, il donna le texte définitif de Tissai, sous son titre actuel : Essai sur les mœurs et l’esprit des nations. La Philosophie de l’histoire servait d’Introduction. Dans l’intervalle, en 1763, il avait publié des Remarques pour servir de supplément à l’Essai, in-8o, s. 1. (Genève).

Dans sa pensée, Avant-propos (xi, 158), et I ie Remarque, l’Essai doit s’opposer à l’Esprit des lois, et, plus encore, compléter et corriger le Discours sur l’histoire universelle : le compléter, parce que celui-ci s’arrête à Charlemagne, et surtout parce que, sous le nom d’Histoire universelle, il n’offre que l’histoire de trois ou quatre nations, « aujourd’hui disparues », laissant dans l’ombre « comme barbares » les Arabes, qui cependant ont changé la face de l’Asie, de l’Afrique et de la plus belle partie de l’Europe », dans le silence « les anciens peuples de l’Orient, Indiens, Chinois, si considérables avant que les autres nations fussent formées » ; le corriger, car il commet des cireurs : ne fait-il pas des Égyptiens, « peuple très borné », un peuple « policé » ? Ne sacrifie-t-il pas l’univers « oublié » au minuscule peuple juif, « faible et barbare », dont il fait le pivot de l’humanité. Plus que tout, Voltaire élimine de l’histoire toute finalité providentielle. Les événements « sont l’effet nécessaire des lois éternelles et nécessaires ». Rem., ix. Nous ne pouvons d’ailleurs nous placer au point de vue de Dieu mais seulement rattacher le cours des clioses à des causes vériflablea : de petits faits ou de grands hommes au milieu de circonstances favorables ; à des causes, plus difficilement saisissables. c’est vrai : les forces d’action et de réaction latentes en toute société et dépendant d’elle-même et le hasard, rencontre imprévue de certaines causes. C’est Irt sa conception de l’histoire. Son œuvre sera ainsi « l’histoire de l’esprit humain i, Rein., n. ou de l’humanité et de ses mouvements généraux plutôt que de ceux qui ont détenu l’autorité et « du détail des faits » sans importance d’ailleurs ni certitude. C. cxcvn. L’Essai, théoriquement, commence à Charlemagne ; en f ; iit. dana le* premiers chapitres ci surtoul dans la

Philosophie de l’histoire, Voltaire remonte aux origines.

Il est polygéniste ; les diversités de nues n’empêchent pas cependant une certaine unité de races de l’humanité, il a fallu de longs siècles pour que les hommes passent de l’état de brutes une civilisa tion rudimentaire et pour qu’ils arrivent à une cou

ception rudimentaire de l’âme, Philosophie de l’histoire, c. ii, iii, iv ; puis non à l’idée « d’un Dieu formateur, rémunérateur et vengeur », qui est « le fruit de la raison cultivée », mais à une religion faite de superstitions. « Avec le temps, chaque nation, même la juive, aura ses dieux particuliers ». C. v.

De grands peuples se forment. Dans l’Inde d’abord, étant donné les conditions du climat et le frein de la métempsychose. Ibid., c. xvi. Cf. Essai, c. m et iv ; dans la Chine, où vivait le théisme et qui devait recevoir les hautes leçons de Confucius, c. xviii ; cf. Essai, c. i et n. Surgissent ensuite l’Egypte et la Grèce où vivent l’idolâtrie, les oracles, la magie, les miracles, toutes choses qui supposent imposture et crédulité, mais où, « sous les doctrines ridicules », on retrouve la croyance à un Dieu suprême et à sa justice. C. xix-xxvii. Les Juifs viennent plus tard. Cette nation « ne compte que depuis Salomon, à peu près le temps d’Hésiode ». Leur histoire fourmille de contradictions ; leurs prophètes se livrent à de rebutantes excentricités ; leurs croyances sont empruntées. « Ils doivent tout aux autres nations », c. xxviiixxx. Derniers venus, les Romains, en qui l’amour de la patrie, vanté par Bossuet, consista, plus de quatre cents ans, à dépouiller les autres au profit de la masse commune. Policés avec le temps, ils furent les législateurs des autres peuples.

Alors que le reste de la terre poursuit sa voie, deux religions orientent l’ancien monde dans une direction nouvelle : l’islamisme qui provoquera en Europe, en Asie, en Afrique, une révolution profonde. Mahomet, i un enthousiaste qui appuya par des fourberies nécessaires une religion qu’il croyait bonne », la fit triompher, non parce qu’elle favorisait la volupté — à côté de la religion juive, celle-ci est sévère — mais par les armes, le courage, la tolérance, les dogmes rationnels et le respect des traditions, Essai, c v et vi ; le christianisme d’autre part. Il sort tout constitué d’un berceau de légendes. Constantin, un empereur souillé de crimes, fait de lui la religion dominante. C. viii, ix, x. Puis, tandis que, dans les Gaules, l’empire fait place au royaume barbare des Mérovingiens, c. xi, dans l’Italie, opprimée par les Lombards, les papes, dont l’autorité spirituelle ne repose que sur un calembour et des fables, c. viii, s’érigent en défenseurs de la cité, s’appuyant sur ce Pépin qui vient d’usurper l’autorité des Mérovingiens, le sacrant à Saint-Denis, mais ne recevant pas de lui, quoi qu’on ait dit, le territoire de Saint-Pierre. Usant de l’influence qu’assure la religion sur l’opinion, ils établissent ainsi leur puissance, c. xiii, cependant que l’Orient chrétien se perd en querelles théologiques.

Charlemagne, dont « la réputation est une des plus grandes preuves que les succès justifient l’injustice », ce « fils d’un domestique usurpateur », ce. dur ennemi de ses neveux, ce cruel conquérant des Saxons, vit l’Eglise rechercher son appui, en attendant qu’elle fît de lui un saint. II promit aux papes, par une donation que l’on pourrait mettre à côté de celle de Constantin, un Etat qui eût assuré leur indépendance et Léon III le sacra empereur d’Occident, espérant assn rer la paix de l’Eglise, de l’Italie et du monde par cette alliance entre l’Église romaine et l’empire.

I [élasl car » l’histoire… de ce monde n’est guère que l’histoire des crimes », c. xxiii, « à peine Charlemagne est il au tombeau qu’une guerre civile désole sa famille et l’empire ». Ibid. L’empire se brise en royaumes, les royaumes en seigneuries : c’est le régime féodal, i source de guerres, de violences, de rapines et de misères i, Rome et l’Église connaissent i des scandales et des troubles jamais égalés. (’.. xxiii. XXIV, xxx. XXXVII. L’Angleterre, sauf durant le règne d’Alfred le Grand n’est » qu’un théâtre de car

nage ». Les Normands peuvent désoler l’Allemagne, l’Angleterre et la France, les Musulmans déchirer l’Espagne et assiéger l’Europe. C. xxvii et xxvin. En Orient, d’horribles révolutions « dégoûtent » ; pas un empereur, si l’on excepte Julien, qui ne souille le trône « d’abominations », c. xxix, et finalement les Grecs se séparent de Rome. « Le patriarche de Constantinople n’est plus qu’un esclave ». C. xxxi.

C’est alors, au milieu du Xe siècle, que Jean XII instaure le Saint-Empire, en sacrant empereur des Romains, Othon, roi d’Allemagne. Si les deux puissances se fussent accordées, la face du monde eût été changée. Mais les papes s'étaient « donné un maître ». De là, jusqu’au xiir 3 siècle, les luttes sanglantes du sacerdoce et de l’empire, entre un Henri IV, un Frédéric II qui veulent régner en Italie, y faire et y défaire les papes, et un Grégoire VII, intransigeant et violent. Malgré ces conflits, « il semblait que les pays de la communion romaine fussent une grande république », la chrétienté. Ils s’entendirent pour mener contre l’infidèle « les croisades, une folie », contre l’hérétique une guerre « brutale et absurde », d’où sortit l’Inquisition, « cet autre fléau ». G. xlviii. Et il y eut ainsi, « dans le xue et le xiiie siècle, une suite de dévastations ininterrompues dans tout l’univers ». C’est là le vrai Moyen Age.

Avec le xive siècle, commence une ère nouvelle. L’Europe remplace la chrétienté. Les papes ont en effet ruiné la puissance impériale, mais leurs prétentions à l’hégémonie vont se briser à la résistance des rois ; ils finiront par n'être plus que des souverains italiens. C. lxv. Leur autorité spirituelle sera également atteinte par le Grand Schisme, c. lxxi, les conciles de Constance, c. lxxii, et de Râle, c. lxxvi. D’autre part, l’Italie où les républiques se transforment en principautés est un champ d’intrigues, « d’absurdités et d’horreurs » ; les souverains de France et d’Angleterre se font une guerre de Cent ans que dénoue « une servante d’auberge » de vingt-sept ans, « qui eut assez de courage et d’esprit pour jouer la comédie de l’inspirée ». C. lxxv-lxxx. En Orient, un empire turc s’installe à Constantinople, menaçant le sud-est de l’Europe et creusant un fossé plus profond entre Église orthodoxe et romaine.

Aux rivalités des souverains, le xvie siècle ajoute les luttes religieuses. « Un petit intérêt de moines », à propos « de la vente » d’indulgences dans un coin de la Saxe, « produit plus de cent ans de discordes… chez plus de trente nations », c. cxxvii, et fait perdre à l'Église latine d’immenses contrées. C. cxxxv. C’est que, d’une part, « la mesure était comble » ; et Voltaire refait à la mode de son temps le procès de l'Église romaine, justifiant en passant les moines transfuges, qui en se mariant « ne violaient pas plus leurs vœux que ceux qui… possédaient des richesses fructueuses » ; d’autre part, les chefs du mouvement furent les hommes qu’il fallait. Si Luther fut grossier, il eut la persévérance et « fut le prophète de sa patrie ». C. cxxviii. Zwingle « parut plus zélé pour la liberté que pour le christianisme ». C. cxxix. Voltaire ne ménage pas Calvin, « esprit tyrannique », jaloux, qui ne pardonna pas à Castellion d'être « plus savant que lui », cruel, on le vit bien avec Servet, mais désintéressé et travailleur infatigable. C. cxxxiv. Henri VIII, à qui Clément VII, pour toutes sortes de raisons humaines — il aurait sapé lui-même, en cédant, les fondements de la grandeur pontificale — ne pouvait accorder le divorce sollicité, ne tolérait aucune résistance et bientôt, avec Elisabeth, l’Angleterre, à qui d’ailleurs l’obédience romaine était lourde, eut un protestantisme à elle. C. cxxv-cxxvii, cxlvii-clxviii.

Pour se défendre, l'Église trouva les ordres religieux, cette milice du pontificat romain qui faillit « rester entre leurs mains ». Ils inondaient « les États chrétiens de citoyens devenus étrangers dans leur patrie et sujets du pape, se perpétuant aux dépens de la race humaine ». mais se jalousant, se faisant une guerre acharnée sous des prétextes théologiques, en réalité par ambition ; < ils ne purent empêcher la moitié de l’Europe de se soustraire au joug de Rome ». Pas même les jésuites, l’ordre « le plus politique de tous », que fonda « le moins politique des hommes », Ignace de Loyola, « sans lettres, un enthousiaste ». C. cxxxix-cxl ; cf. Rem., xi, Les moines. L’Inquisition ne servit « qu'à faire perdre au pape encore quelques provinces et à brûler inutilement des malheureux ». C. cxl. Le concile de Trente fut « sans aucun effet parmi les catholiques et parmi les protestants ». C. clxxxiii.

Aux dissensions religieuses se mêlent des conflits sociaux — les anabaptistes en Allemagne — des dissensions intestines : la France connaîtra quarante années de guerres civiles avec le massacre de la SaintRarthélemy, « préparé pendant deux années par Catherine de Médicis, « de concert avec les Guise » ; les assassinats de princes et de rois, c. clxx-clxxii, et l’héritier légitime, obligé de changer de religion, sans conviction. Et quand ce roi, « le plus grand homme de son temps », aura rendu à son royaume la prospérité par le pacifiant édit de Nantes et l’influence extérieure, un fanatique, sans complice, il est vrai, mais bien dans l’esprit du temps, l’assassinera et rendra la France « à la confusion », dans une régence. Il fallut « la rigueur hautaine » d’un Richelieu pour ramener l’ordre. Mêmes troubles en Angleterre, où l’on voit « un peuple faire périr son propre roi, au nom de la justice ». Le fanatisme lui donnera Cromwell, c. clxxxi, et troublera encore le règne de Charles II. C. clxxxii.

Enfin, sous le couvert de la religion, s’affrontent des nations rivales. Sous le prétexte de défendre le catholicisme, Philippe II, « si peu chrétien dans sa vie privée », tentait d’asservir la France, l’Angleterre, l’Italie ; il ne réussissait qu'à perdre les Pays-Bas. C. clxxiii-clxxvi. En Allemagne, la religion déchaînait la guerre de Trente ans, « un carnage », où la France marchait à côté des protestants pour em 1 pêcher l’hégémonie de la maison d’Autriche.

La découverte du Nouveau Monde et l'établissement de relations actives avec les Indes et l’ExtrêmeOrient « semblaient plus utiles mais ne furent pas moins funestes ». Avides, fanatiques, cruels, les conquérants firent le malheur des peuples conquis et, concédant des monopoles à des compagnies armées, créèrent de nouveaux motifs de guerre. C. cxli-clxvii.

Mêmes troubles civils et mêmes guerres dans le reste du monde : en Pologne, où Voltaire souligne la renaissance de l’arianisme, c. clxxxviii ; en Russie où « trente siècles n’auraient pu faire ce qu’a fait Pierre le Grand en voyageant quelques années », c. cxciii ; dans l’empire ottoman, qui connut au xvie siècle l’apogée de sa puissance, c. clix, que Lépante n'ébranla point, c. clx, mais qui semble arrêtée dans son expansion, c. clxi, clxii ; en Chine, désolée au xviie siècle par la conquête tartare et d’où le christianisme sera banni en raison des divisions de ses représentants, c. excv ; au Japon, fermé aux missionnaires. Cf. Le pyrrhonisme de l’histoire par un bachelier en théologie (1768), au tome iv de l'Évangile du jour (xxvii, 235).

Dans le c. cxcvii, intitulé « Résumé de toute cette histoire jusqu’au temps où commence le beau règne de Louis XIV », dans les Remarques. pour servir de supplément à l’Essai (xxxiv, 543), et dans les Pièces relatives à l’Essai, Voltaire conclut : L’histoire humaine est « un ramas de crimes, de folies, de malheurs ». , s

Résumé. C’est que, si « tout ce qui peut dépendre de la coutume est différent, tout ce qui tient à la nature humaine se ressemble d’un bout de l’univers à l’autre » et « la nature a mis dans le cœur des hommes l’intérêt, l’orgueil et les passions ». Ibid. Le progrès vers la civilisation est cependant possible mais il ne peut être que social : « Il y a un amour de l’ordre qui anime en secret le genre humain et qui a prévenu sa ruine totale. C’est un des ressorts de la nature qui reprend toujours sa force. » Ibid.

Par quels moyens établir l’ordre sauveur ? « Il n’y a que trois manières de subjuguer les hommes : les policer en leur donnant des lois ; employer la religion pour appuyer ces lois ; égorger une partie d’une nation pour gouverner l’autre ». Essai, c. xiii. Cette troisième manière s'écarte d’elle-même. De bonnes lois imposées au nom de la religion constitueraient le procédé le plus efficace, la religion étant l’opinion, laquelle est toute-puissante. Cf. Rem., vi et vu. Malheureusement les religions amènent des querelles, donc des désordres. Reste ainsi l’autorité d’un homme sage et sans préjugés, imposant des lois à des peuples déjà à demi sages et à demi sans préjugés. Cela ne peut être assuré que par le progrès de la raison : « la seule manière d’empêcher les hommes d'être absurdes et méchants c’est de les éclairer ». Rem., xv, p. 569.

Encore que Voltaire se défende de toute partialité, l’on peut redire de cette œuvre, pour tout ce qui concerne le christianisme, et en particulier le catholicisme, ce qui a été dit du Siècle de Louis XI V, suite d’ailleurs de l’Essai, que les préoccupations de la propagande philosophique et de la guerre contre « L’Infâme » y ont rendu Voltaire tendancieux et injuste envers les hommes, les papes par exemple, les institutions comme l’institution monastique, les époques, comme le Moyen Age, et l’ont amené à ne voir dans les seize premiers siècles chrétiens et même plus que « des temps de fureur, d’avilissement et de calamités », tous malheurs dont la religion est une cause.

C. CLXX.

Ce livre est à l’origine de la guerre entre Voltaire et le jésuite Nonnotte. Cf. ici, t. xi, col. 795-796. Nonnotte, en 1757, publia un Examen critique ou Réfutation du livre des mœurs, in-8°, Paris, qui deviendra, en 1762, les Erreurs de Voltaire, 2 vol. in-12, Avignon, plusieurs fois réédité et toujours augmenté. Voltaire y répondit, sous le nom de Damilaville, par des Éclaircissements historiques, auxquels il ajoutera une Addition aux observations littéraires, ouvrages publiés ensemble par l’auteur à la suite de son écrit, Un chrétien contre six juifs, 1770, sous ce titre : Incursion sur Nonotli ; et s’en vengea par la xxie et la xxiie des Honnêtetés littéraires, où il accuse Nonnotte de lui avoir offert, contre mille écus, de ne pas publier les Erreurs. Nonnotte ripostera par des Réponses aux Eclaircissements historiques et aux Additions, 1767. En 1797, il publiera encore un livre intitulé l’Esprit de Voltaire, qui, joint aux Erreurs, donnera V Esprit de Voltaire dans ses écrits, 3 vol. in-8°, Paris, 1820. Cf. Pal. Ilaydu. Un chapitre de la lulte de la Compaqnie de Jésus contre Voltaire. ClaudeFrançoit Nonotle, in-8°. Budapest, 1935. De Nonootte, dani ni plaisanteries, Voltaire ne sépare pas un autre jésuite. PatoulUet, qu’il accuse d’avoir écrit un mandement qui lui déplaît de M. de Montillet, archevêque d’Auch. Cf. i<i t. jci, col. 2251-2253.

Un anonyme avant publié, en 1755, une Critique <i<l’Histoire universelle de M. de Voltaire, au sujet de Mahomet ou du Mahomilitme, in-P 1, Voltaire répondit par une Lettre civile et honnête à l’auteur malhonnête de lu critique de /' Histoire universelle de M. de

oltaire, qui n’a jamais fait V Histoire universelle. Le tout un mi pi dr Mahomet,

En 1767, parurent trois réfutations de la Philosophie de l’histoire : 1° Défense des livres de l’Ancien Testament contre l'écrit intitulé la Philosophie de l’histoire, in-8°, Amsterdam, d’un chanoine de Rouen, Clémencet ; 2° Supplément à la Philosophie de l’histoire, in-8°, Amsterdam, d’un hellénisant, Larcher ; 3° Réponse à la Philosophie de l’histoire. Lettres à M. le Marquis de C***, par le P. Louis Viret, cordelier conventuel, in-12, Lyon. En 1766, l'évêque de Gloucester, Warburton, ami et disciple de Pope, qui avait publié à Londres, de 1736 à 1741, son fameux ouvrage, Divine Légation of Moses. Demonstraded of the Principles of a Religious Deist, 5 vol. in-8°, ayant donné une seconde édition de cet ouvrage et y contredisant les chapitres que l’Introduction à l’Essai consacrait à Moïse et à la religion juive, Voltaire lui répondit ainsi qu'à Larcher, dans la Défense de mon oncle (xxvi, 369).

12° La religion naturelle, poème en quatre parties. Au roi de Prusse, par M. V***, Genève (Paris), 1756, 24 p. in-12. Appelé aussi Poème sur la loi naturelle. Voltaire le composa à Berlin, pour rentrer dans les bonnes grâces de Frédéric II, qui d’ailleurs n’en fut pas satisfait. Il y a une loi morale, universelle, antérieure et supérieure aux morales qui reflètent ou les religions ou la vie des sociétés ; le respect de cette loi constitue la vraie religion. Elle seule peut assurer la tolérance, donc la paix sociale.

I rc partie. Dieu existe. Qu’il ait créé le monde ou « arrangé la matière éternelle », que notre âme soit « un de nos sens ou subsiste sans eux », il est. Quel culte attend-il de nous ? Tous les peuples lui en rendent un différent. « Cherchons donc par la raison si Dieu n’a pas parlé. » Dieu, par la nature, a ordonné l’homme à toutes ses fins. « La morale uniforme en tout temps, en tout lieu, parle au nom de ce Dieu. D’un bout du monde à l’autre, elle parle, elle crie : Adore un Dieu, sois juste et chéris ta patrie. « Autrement, comment expliquer le remords qui poursuit le coupable « en tout temps, en tout lieu » ?

I Ie partie. Cardan, Spinoza répondent : Le remords n’est qu’une illusion créée par l’habitude sociale. Non, riposte Voltaire : « Tous ont reçu du ciel avec l’intelligence ce frein de la justice et de la conscience. » Mais, insiste-t-on, l’enfant reçoit ses pensées de sou éducation : « Il n’a rien dans l’esprit, il n’a rien dans le cœur. » Voltaire reconnaît l’influence de l'éducation ; « mais, observe-t-il, les premiers ressorts sont faits d’une autre main ».

IIIe partie. Où en est-on aujourd’hui ? « L’univers est un temple où siège l'Éternel. Là chaque homme à son gré veut bâtir un autel. Tous traitent leurs voisins d’impurs, d’infidèles. Des chrétiens divisés les infâmes querelles, ont, au nom du Seigneur, répandu plus de sang que le prétexte vrai d’une utile balance n’a désolé jamais l’Allemagne et la France. (".'est que « de la nature on étouffe la voix ; que l’homme fit Dieu à son image. …injuste, emporté, vain, …barbare comme nous ». Hors de l'Église, point de salut. Mais i tant d’esprits élevés seront-ils donc damnés ? »

/ V" partie. « La paix que l’on trouble et qu’on aime est d’un prix aussi grand que la vérité même ». I.a paix religieuse, c’est au souverain à la maintenir dans ses États, non sans doute en portant la main sur l’encensoir, mais en imposant à tous, prêtres ou citoyens. ped de la loi.

Le poème se. termine par cette Prière : « () Dieu qu’on méconnaît, ô Dieu que tout annonce, mon cœur peut s'égarer, mais il est plein de toi. Kt je ne

puis penser qu’un Dieu qui m’a fait naître, quand nies jours sont éteints me tourmente à jamais. » Si l’on en croit le duc de Luynes, Mémoires. 1 et In

du 19 juillet 1757, cf. Desnoiresterres, op. cit., t. v, p. 119, Marie Leckzinska aurait déchiré la Religion naturelle, à la devanture d’un libraire. En tout cas, le poème fut brûlé par ordre du Parlement ; des critiques le condamnèrent parce qu’il en ressort que la raison suffît à l’homme, et que la religion est inutile et la tolérance nécessaire. Cf. la Parodie antidolique par M. P. A. A. A. P., in-12, La Haye, 1757 ; la Religion révélée par Billardon de Sauvigny, in-8°, Genève, Paris, 1758. L’Anli-Uranie ou le déisme comparé au christianisme, Épîires à M. de Voltaire, par le P. Bonhomme, in-8°, Avignon, 1763, soutient ces deux idées : 1° le déiste accepte des mystères tout comme le chrétien, mais il ne peut les défendre ; 2° on ne peut admettre Dieu sans admettre le péché originel, donc le christianisme. Autrement, Dieu est un monstre et l’athée a raison. Voir aussi, Erreurs de Voltaire, t. n.

13° Poème sur la destruction de Lisbonne, in-12 de 12 p., s. 1. n. d. (1756), publié aussi avec le précédent : Poème sur le désastre de Lisbonne et sur la loi naturelle, in-12, Genève, 1756 ; Candide, 1759. — Voltaire et l’optimisme. — La question de l’optimisme, soutenu par Shaftesbury et Pope, par Leibnitz et Wolf, était alors à la mode. Voltaire a été, jusqu’au Mondain, d’un optimisme pratique ; puis, à l'école de Pope et de Newton, d’un optimisme scientifique, soutenant en 1734, dans son Traité de métaphysique, que le mal est une conséquence nécessaire du mécanisme général. Mais la vie et les hommes lui étant devenus moins favorables, dans Zadig, il émettait un doute.

Zadig, d’abord publié sous le nom de Memnon, histoire orientale, in-8°, Londres (Paris), 1747, puis augmenté de quelques chapitres, sous le nom de Zadig ou la destinée, histoire orientale, dédiée à la belle sultane Spérasa (Mme de Pompadour), par Sadi, s. 1. (Nancy), in-12. G. Ascoli a donné de Zadig une édition critique avec une introduction et un commentaire, 2 in-12, Paris, 1929 (xxi, 3-94).

A la faveur d'événements qu’il invente, Voltaire y discute ces questions abstraites : L’homme ? Dieu ? La destinée humaine, le sens de la vie et du monde ? Le vrai bien ? Y a-t-il une morale dogmatique ? un bien social absolu ou seulement des biens relatifs ? L’homme peut-il réaliser -son sens de perfection et de bonheur ? Cf. Ph. Van Tieghen, Voltaire : Contes et romans, 4 in-8°, Paris, 1930.

Zadig illustre cette idée que l’homme ne doit jamais former « le sot projet d'être parfaitement sage », parce que, dans la vie, le destin semble se jouer de la raison et de la justice : courage, science, vertu provoquent sans répit les malheurs de Zadig, et la lâcheté, la sottise, l’infidélité assurent à d’autres succès et bonheur. Comment accorder cela avec les affirmations de la philosophie et la Providence des religions ? Au c. xviii, intitulé YHermite, l’ange Jesrad donne à Zadig la réponse de Dieu : « L’homme juge mal de la qualité et de la portée des événements. S’il en voyait la portée et les conséquences dernières, il comprendrait ce qu’il juge parfois monstrueux. Le mal concourt d’une façon obscure au bien général. Que l’homme patiente, se soumette et adore… — Mais… », répond Zadig, qui n’est point convaincu.

Les Mémoires de Trévoux, année 1748, n. 9, firent à Voltaire ces reproches : d’avoir fait murmurer Zadig contre la Providence, « bien que cela soit corrigé par l’affirmation que l’homme n’a pas à juger d’un tout dont il ne connaît pas la plus -petite partie », d’estimer à peu près également tous les cultes et que l’ange ait peint les passions comme quelque chose d’essentiel à l’homme et insinué que « tout ce qui est est tel absolument », ce qui est contraire à la liberté de Dieu. Quoi qu’il en soit, Voltaire se défendit d'être l’auteur

de Zadig. Cf. Lettre à d’Argental, 10 octobre 1748 (xxxvi). Mais en 1751, dans VÉpîlre dite des deux tonneaux, au roi de Prusse, il reprend les mêmes idées : « Dieu se joue à son gré de la race mortelle. Il y a deux gros tonneaux d’où le bien et le mal descendent en pluie éternelle sur cent mondes divers et sur chaque animal. » (x, 360).

En 1755, six mois après que l’Académie de Berlin eût mis au concours cette question : « On demande l’examen du système de Pope contenu dans la proposition : Tout est bien », la catastrophe de Lisbonne affermissait dans ses idées Voltaire qui venait de terminer l’Essai sur les mœurs, dont on a vu les conclusions. Dès le 16 décembre, il avait terminé son Poème sur le désastre de Lisbonne, qui circula imprimé mais désavoué par lui. En mars 1756, il en donnait une édition définitive (ix, 470).

Après ce désastre, peut-on admettre le « Tout est bien » des philosophes ? Ils avancent des explications à priori. Ce désastre : « est l’effet des éternelles lois, qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix », ou : « Dieu s’est vengé : leur mort est le prix de leurs crimes ». Ils disent encore : a C’est l’orgueil… qui prétend qu'étant mal nous pouvons être mieux. Tout est bien… et tout est nécessaire. » Vains propos. Le mal existe ; c’est un fait ; un Dieu juste existe, c’est une vérité indéniable. Peut-on concilier ces deux affirmations ? Que faire ? Se révolter ? Persister dans ces doctrines : « L’homme est né coupable et Dieu punit sa race — Ou le maître absolu de l'être et de l’espace… tranquille, indifférent, de ses premiers décrets suit l'éternel torrent — Ou la matière informe, à son maître rebelle, porte en soi des défauts nécessaires comme elle — Ou Dieu nous éprouve et ce séjour mortel n’est qu’un passage étroit vers un monde éternel. » Non. « Il n’appartient qu'à Dieu d’expliquer son ouvrage. » Laissons dire les métaphysiciens. Voyons le mal et espérons : « Un jour tout sera bien, voilà notre espérance. Tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion. « Voltaire se réfugie ainsi dans l’agnosticisme et l’espérance. Cf. la conclusion des Adorateurs (xxviii, 309) : « Espérons de beaux jours. Où et quand ? je n’en sais rien ; mais, si tout est nécessaire, il l’est que le grand Être ait de la bonté. » Solution qui ne satisfit personne. On sait la réponse que fit Jean-Jacques à Voltaire, le 18 août 1756, et la réplique de Voltaire, le 12 novembre. Cf. Desnoiresterres, op. cit., t. v, p. 133 sq. et ici t. xiv, col. 106. Mais la vraie réponse de Voltaire, ce fut Candide.

Candide ou l’optimisme traduit de l’allemand de M. le docteur Ralph, in-12, s. 1. (Genève), 1759. Dans la Seconde suite des Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie, in-8°, s. 1. (Genève), 1761, Voltaire introduit, p. 195-397, Candide avec les additions qu’on a trouvées dans la poche du docteur, lorsqu’il mourut à Minden, l’an de grâce 1769 (entre autres, au c. xxii, une longue diatribe contre Fréron). L. Morize a donné une édition critique de Candide, in-12, Paris, 1913. C’est l'édition citée.

Candide est la critique de l’optimisme selon le système de Leibnitz et de Wolf. Sur les lèvres de Pangloss, le précepteur qui enseigne au jeune Candide « la métaphysico-théologico-cosmonigologie », on retrouve les principes leibnitziens exposés déductivement, à la manière de Wolf. Le roman s’ouvre d’ailleurs en Westphalie.

Dans tous les pays d’Europe et du Nouveau Monde, Candide, victime des hommes et des choses, témoin des pires injustices, entend Pangloss lui répéter que, tout ayant sa raison suffisante, Dieu ne peut avoir créé et ne peut gouverner ce monde que pour la meilleure fin. Ainsi, non seulement tout est bien, mais tout est pour le mieux dans le meilleur des

mondes possibles. Devant un tremblement de terre à Lisbonne, Pangloss explique : Ce qu’on appelle le mal vient de ce que tout est lié dans la nature. « Les malheurs particuliers font le bien général, de sorte que, plus il y a de malheurs particuliers, plus tout est bien. » P. 27. Et à propos d’un homme qui se noie accidentellement : « La rade de Lisbonne a été formée exprès pour que cet homme s’y noie. Tout est bien. » Mais pour ce mot qui nie le péché originel et ses châtiments — c’est là en effet une des objections faites à l’optimisme — Pangloss est arrêté par l’Inquisition et pendu.

Quelle conclusion tirer de cet univers qui se définirait si bien incohérence, méchanceté, folie ? « Je suis manichéen, dira Martin à Candide. Je pense que Dieu a abandonné ce monde à quelques êtres malfaisants. — II y a pourtant du bien, dira Candide. » P. 143.

A Constantinople, où, pour finir, réunis, tous les acteurs du drame, discutent les choses, Martin dira : « Travaillons, sans raisonner, c’est le seul moyen de rendre la vie suffisante », Pangloss répétera : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles. Car enfin, si nous n’avions pas été chassés d’un château, … vous ne mangeriez pas ici du cédrat ». Alors Candide : « Cela est bien dit, mais cultivons notre jardin. » P. 223.

Eldorado est le seul pays heureux. C’est qu’il a la religion vraie, le déisme. « Pas de moines… qui disputent, qui gouvernent…, qui font brûler les gens qui ne sont pas de leur avis. » P. 128. À signaler aussi ces jugements sur le Paraguay : « Les Padres y ont tout et le peuple rien… C’est le chef-d'œuvre de la raison et de la justice. » P. 84-86. Son jugement touchant Paris et la France : « Toutes les contradictions…, vous les verrez dans le gouvernement, dans les tribunaux, dans les églises, dans les spectacles de cette drôle de nation. Jansénistes contre molinistes, gens du Parlement contre gens d'Église… c’est une guerre éternelle. » P. 153.

Candide fit scandale. Cette fois encore Voltaire se défendit d'être l’auteur. Cf. Lettres à Thiériot et à Thibouville des 10 et 15 mars 1759 (xl, 58 et 61). A Genève, Candide fut condamné par le Grand Conseil ; à Paris, l’avocat général, Joly de Fleury, le dénonça comme contenant « des traits et des allégories également contraires à la religion et aux bonnes mœurs ». L’abbé Guyon qui, en 1759, avait publié une critique générale des idées de Voltaire, dans L’oracle des nouveaux philosophes, pour servir de suite et d'éclaircissement aux œuvres de M. de Voltaire, 2 in-12, Berne, y ajouta, en 1760, une Suite de l’oracle des nouveaux philosophes, in-8°, Berne, où il critique entre autres Candide.

14° La Pucelle, 1762 (ix, 309). — À cette œuvre « d’irrévérence et de polissonnerie…, qu’il affectionna entre toutes ses œuvres, Voltaire travailla sans cesse sans jamais l’achever », G. Ascoli, op. cit., 15 juin 1924, vi, p. 419. Il la commença en 1730. De 1730 à 1755, des copies de chants plus ou moins nombreux circulèrent en France et dans les cours allemandes, bien que, dès 1730, Mme du Cbatelet se fût efforcée d’en empêcher la diffusion. En 1755, un éditeur de Lausanne, Grasset, tenta de faire imprimer à Genève une des copies les plus complètes. Voltaire le fit emprisonner, sous le prétexte d’interpolation et de falsili cation, en réalité parce que la copie en question renfermait des Vers Injurieux contre saint Louis, i grillant en enfer… et le méritant bien, homme pieux, sans être homme de bien. contre les Bourbons. contre le féroce Calvin, … l’orgueilleux sectaire », en enfer également, des allusions contre Louis el

Mme de Pompadour, contre Frédéric il. Trois éditions n’en parurent pas moins en 1756° : l’une à Paris,

14 chants, une autre à Louvain, une troisième, s. 1., toutes deux en 15 chants, trois autres encore en 1756. A force de mensonges, Voltaire, qui a même envoyé à l’Académie une lettre de protestation contre l’abus fait de son nom, le 14 novembre 1755, échappe à toute sanction. En 1762, il se décidera à donner une édition avouée, intitulée La Pucelle d’Orléans, Poème divisé en vingt chants avec des notes, in-8°, s. 1. (Genève). En 1771, il en donnera une édition en vingt et un chants, avec les notes de M. de Morea (Voltaire), in-8°, Londres ou s. 1. (Genève). Le fameux Chant de l'âne est le xxe.

Sur les origines et les commencements de Jeanne d’Arc, Voltaire adopte les imaginations de Girard du Haillon, qui vivait cent soixante ans après Jeanne d’Arc, et tout le long du poème, il rend ridicules ou odieux les dogmes, les hommes et les institutions de l'Église.

15° Le testament de Jean Mestier, in-8°, s. 1. n. d. (Genève, 1761), comprenant : 1° un Abrégé de la vie de l’auteur, p. 1-4 ; 2° V Avant-propos de l’auteur, p. 4-5 ; 3° l’Extrait des sentiments de Mestier adressé à ses paroissiens sur’une partie des abus et des erreurs en général et en particulier, p. 4-64 (xxiv, 293). — Mestier (1664-1729), curé d'Étrepigny-en-Champagnc, de 1692 à sa mort, avouait à ses paroissiens, dans son Avant-propos, n’avoir jamais cru. « Plus d’une fois, j’allais dessiller vos yeux, leur dit-il. mais une crainte… me contenait soudain. » Des copies de son manuscrit couraient à Paris, quand Thiériot le signala à Voltaire.

Ce n’est qu’en 1762 cependant, « qu’ayant plus que jamais l’Infâme en horreur », Lettre à Damilaville, 18 septembre (xlii, 238), et en pleine affaire Calas, il le publia. « Je ne crois pas que rien, écrira-t-il au même, le 10 octobre (ibid., 259), puisse faire plus d’effet que le testament d’un prêtre qui demande pardon à Dieu d’avoir trompé les hommes. » Il ne publia pas le manuscrit intégral, « trop long, trop ennuyeux et même trop révoltant » — il sera donné en 1864 à Amsterdam en 3 in-8° par Budolph Charles (B. C. d’Ablaing von Giessenburg) ; il corrigea également le style « dur, dense et cahoteux » des extraits qu’il publia. Surtout, il en transforma l’esprit. « Mestier était athée, communiste et libertaire. Son gros manuscrit est le réquisitoire le plus copieux et le plus enragé qu’on puisse imaginer contre le trône et l’autel. » L' Avant-propos se termine par ces mots, qu’approuve Naigeon, Dictionnaire de philosophie, t. iii, p. 239, art. Mestier, et dont Diderot a tiré deux vers connus : « Je souhaiterais que tous les tyrans fussent pendus avec des boyaux de prêtres. » « Il est possible même que Mestier n’en ait tant voulu aux prêtres que parce qu’ils étaient l’appui des rois… et perpétuaient l’injustice sociale. » « Voltaire bâillonna la voix révolutionnaire du bonhomme et grima ce farouche athée en prêcheur anodin d’un déisme bourgeois. » G. Lanson, dans Revue d’hisl. litl., 1912. p. 12 ; Cf. P. Bliard, Revue d’apologétique, 15 avril 1020 : l’n singulier adversaire de l’Eglise : 'le curé Jean Mestier, p. 88 sq.

Voltaire-Mestier invoque contre le christianisme les arguments suivants : 1° Si Dieu a donné aux hommes une religion, il a dû la marquer de caractères visibles. De tels caractères, le christianisme ne les a pas, puisque les christicoles sont toujours divisés, op. cit., p. 207-298. - 2° lue religion qui a pour fondement un

principe d’erreur ne peut être divine, or, le christianisme, le catholicisme RUTtOUt, en réclamant une foi aveugle sous le prétexte qu’il vient de Dieu, s’appuie sur le principe d’erreur de tous les Imposteurs religieux. P. 208 290. 3° Les quatre preuves extrinsèques qu’il Invoque de son origine divine : les miracles, l.i ordance entre la vie de Jésus (.ht M et les pm

phéties, la sainteté de sa doctrine et le témoignage des martyrs sont sans valeur. P. 299. D’abord, toutes les religions invoquent des preuves équivalentes. P. 300. Ensuite : a) Pour les miracles. Les témoignages qui les affirment sont dépourvus d’authenticité. Ceux qui les racontent les ont-ils vus de leurs yeux ? S’ils les ont vus, étaient-ils gens de probité, de critique, éclairés, sans préjugés ? Les miracles de Moïse sont suspects, parce que, élevé dans la sagesse des Égyptiens, où entraient astrologie et magie, il ne lui fut pas difficile d’en faire croire à une troupe « de voleurs et de bandits ». Ceux de Jésus-Christ le sont également, vu les intentions apologétiques de ses historiens, et parce que, si Jésus avait produit ces miracles, il n’eût pas été considéré comme un homme de néant. L’histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament montre ces livres altérés dans la suite des temps. D’autre part, ils sont indignes de Dieu. « Aucune pensée sublime », p. 305 ; des fables, des choses ordinaires ; les fameux prophètes « ressemblent beaucoup plus à des visionnaires et à des fanatiques qu'à des personnages sages et éclairés ». P. 306. S’il y a quelques belles maximes dans les livres de Salomon, leur auteur est incrédule, ibid. « Les fables d'Ésope sont plus ingénieuses que les paraboles. » P. 307. Les contradictions dont fourmillent les évangiles et la distinction arbitraire entre évangiles apocryphes et évangiles canoniques leur enlèvent toute valeur. Enfin les miracles de l’Ancien Testament sont indignes de Dieu, puisqu’ils supposent en Dieu une odieuse acception de personnes et « plus de soin du moindre bien des hommes que de leur plus grand ». P. 313-314. Et ceux de l'Évangile ne sont que des balivernes imitées du merveilleux païen. P. 315-318. — b) Faire état des prophéties, on ne le peut. Les prophètes de l’Ancien Testament furent des visionnaires ou des imposteurs. Impossible qu’ils viennent de Dieu, avec leurs extravagances, leurs querelles, leur langage : « ils font parler Dieu d’une manière dont un crocheteur n’oserait parler », p. 325 ; ajouter le démenti apporté par les faits à leurs prédictions touchant le peuple juif. P. 323. Les prophéties du Nouveau Testament n’ont pas été mieux réalisées. P. 325 sq. Pour établir une concordance entre les prophéties et la vie de Jésus-Christ, les christicoles parlent d’un sens allégorique, mais ce n’est « qu’un sens étranger, un subterfuge ». P. 329. — c) La doctrine. Le dogme de la Trinité n’est que contradiction : un seul Dieu, trois personnes, ne dépendant pas l’une de l’autre et la première engendrant les deux autres. P. 330-332. Le culte de Jésus-Christ : idolâtrie. Les païens n’auraient-ils pu dire que leurs dieux s'étaient incarnés ? Du moins, ils n’auraient pas divinisé des hommes de néant, p. 333-334, et des dieux de pierre valaient bien « des dieux de pâte et de farine ». P. 335. Ce dogme est « le comble de l’absurdité ». P. 336. La morale des christicoles « est la même au fond que dans toutes les religions », mais leur fanatisme a fait verser le sang des multitudes et rendu stérile une partie de l’humanité. P. 336. Que Dieu « si outragé par cette secte », ibid., nous rappelle à la religion naturelle à laquelle il nous a appelés en nous donnant la raison ». Ibid. C’est la première fois que Voltaire expose de telles idées dans leur ensemble. À partir de là elles seront son thème habituel. Le Testament fut mis à l’Index, le 8 juillet 1765. Sylvain Maréchal, « l’homme-sansDieu », publiera en 1789 le Catéchisme du curé Mestier. Cf. C.-A. Fusil, Sylvain Maréchal ou l’homme-sansDieu, in-16, Paris, 1936.

16° Le sermon des cinquante, in-8°, s. I. (Genève), 1749 (1762) (xxiv, 437). — Attribué à Dumarsais, à La Mettrie (op. cit., 437, n. 1) et par Voltaire dans ses Instructions à Antoine-Jacques Roustan (xxvii, 117 123 ; voir p. 119) à Frédéric II. Ce Sermon, qui fait partie de l' Évangile de la raison et du Recueil nécessaire, « dispenserait à la rigueur de lire les autres satires de Voltaire. C’est un concentré de tous les déistes anglais ». A. Monod, op. cit., p. 429.

Après une prière à Dieu « pour qu’il écarte de nous toute croyance infâme », p. 437, le Sermon pose ces principes. 1. La religion, « voix secrète de Dieu », doit unir les hommes et non les diviser. « Les points dans lesquels ils diffèrent sont de toute évidence les étendards du mensonge. » Or, c’est dans le seul théisme que s’accordent les peuples. 2. « La religion doit être conforme à la morale et universelle comme elle. Toute religion dont les dogmes offensent la morale est certainement fausse. » P. 438-439. L’Ancien Testament « avec tous ses traits contre la pureté, la charité, la bonne foi, la justice et la raison universelle, …ce tissu de meurtres, d’assassinats, d’incestes commis au nom de Dieu » ne peut donc venir de Dieu. C’est là le premier point. P. 439-444. Second point. Comment croire d’ailleurs « cette affreuse histoire sur les témoignages misérables qui nous en restent ? » P. 444. La Genèse, qui n’est pas de Moïse, n’offre qu’invraisemblance, les miracles de Moïse ne dépassent pas la magie égyptienne, « sauf sur l’article des poux ». P. 447. Les autres livres sont pleins d’extravagances. « Jamais le sens commun ne fut attaqué avec autant d’indécence et de fureur. » Ibid. Et quels fondements pour une religion que les prophéties, le Virgo concipiel d’Isaïe, les dires et gestes figuratifs d'Ézéchiell P. 447448. Troisième point : « Le Nouveau Testament est la digne suite de l’Ancien » et la religion chrétienne celle du peuple juif d’où elle est sortie. P. 449. Son fondateur est de la lie du peuple. Les évangiles s’efforcent de le grandir, mais, postérieurs à la ruine de Jérusalem, se contredisant, remplis « d’inepties », p. 450, ils ne méritent aucune créance. Sa secte lui survit, s’amalgame « je ne sais quelle métaphysique de Platon », p. 451, et le voilà le Logos ! On falsifie et, au bout de trois cents ans, le voilà dieu et « ses sectateurs poussent l’extravagance jusqu'à mettre ce dieu dans un morceau de pâte. » P. 452. Et l'Église répand sur le monde les superstitions, le fanatisme, les crimes et les massacres. Ibid. Il faut libérer les peuples : « les hommes seront plus gens de bien, en étant moins superstitieux ». P. 453. — Le Sermon fut mis à l’Index, le 8 juillet 1765. Voltaire ne pardonna pas à Rousseau, on l’a vii, de le lui avoir attribué dans ses Lettres de la montagne.

17° Le catéchisme de l’honnête homme ou dialogue entre un caloyer (basilien) et un homme de bien, traduit du grec vulgaire par D. J. J. R. C. D. C. D. G. (dom J.-J. Rousseau ci-devant citoyen de Genève), in-12, Paris, 1764 (1763) (xxiv, 523). — Voltaire tenait beaucoup à ce qu’il y eût un exposé critique populaire des croyances révélées en face de la religion naturelle. Lettre à Helvétius, 4 octobre 1763 (xliii, 5).

L’honnête homme, qui « lit dans le grand livre de la nature », p. 524, et « dans sa conscience », p. 530, la religion « qui convient à tous les hommes, ibid…, l’adoration d’un Dieu, la justice, l’amour du prochain, l’indulgence pour toutes les erreurs et la bienfaisance dans toutes les occasions de la vie », ibid., fait d’abord la critique de l’Ancien Testament : « il a de la peine à concevoir ce que ce Testament rapporte », faits, doctrine morale, prophétie, p. 523. Pourquoi d’ailleurs, si elle venait de Dieu, les chrétiens auraient-ils abandonné la loi juive ? p. 528. Puis la critique du Nouveau. Il ne peut être d’un Dieu venu sur terre pour tirer les hommes de l’erreur et du péché, puisque les hommes s’anathématisent au sujet de son interprétation. P. 528-529. D’ailleurs les données de ce livre se contredisent. « Je n’y vois pas que le Christ soit Dieu,

mais tout le contraire. » P. 530. Ni ses prodiges, ni ses paroles ne sont d’un Dieu, ni son origine. « Est-ce là Platon ? Socrate ? Confucius ? P. 531. On n’a cru en ces livres que par ignorance. P. 533. Enfin, le christianisme « de la bulle Unigenitus du jésuite Le Tellier », p. 535, n’est plus celui d’autrefois et Dieu ne change pas. Ibid. La morale de Jésus ? Combien les chrétiens l’ont corrompue ! De ce précepte de Jésus, aussi ancien que le monde et universel comme l’humanité : « Aime ton prochain », ils ont fait : « Déteste ton prochain », d’où des guerres, des brigandages sans fin. P. 535. On invoque les miracles. Mais comment croire au témoignage de livres qui se contredisent, qui sont postérieurs aux événements et qui, faits pour prouver la divinité de Jésus, aboutissent à le faire mourir en croix ? P. 536-537. Il faut une religion aux hommes, mais la vraie ; non une religion qui a besoin du bourreau, mais une religion « pure, raisonnable, universelle ». P. 537. L'établissement du christianisme enfin n’est nullement divin. Il s’est établi comme toutes les religions. P. 540. La seule vraie religion est la religion naturelle, faite pour tous les hommes. Ibid. Mais comme l'état des esprits exige que l’on choisisse une forme de christianisme, p. 538, c’est le protestantisme qui aurait les faveurs de l’honnête homme, car c’est de toutes les formes religieuses celle qui se rapproche le plus de l' Évangile, « tandis que les Romains ont chargé le culte de cérémonies et de dogmes nouveaux ».P. 539. Cf Volney, La loi naturelle ou catéchisme du citoyen français (1793), édition complète et critique (de Gaston Martin), in-8°, Paris, 1934. Réfutation : Abbé L. François, Examen du catéchisme de l' honnête homme, in- 12, Paris, 1764.

18° Saiil, tragédie tirée de l'Écriture sainte par M. de V***, in-8°, s. 1., 1755 (1763), drame traduit de l’anglais de M. Huel, dira une édition de 1768 (v, 575). D’Holbach donnera ce drame à la suite de sa traduction de l’ouvrage du free-lhinker anglais Peler Annett : David ou l’homme selon le coeur de Dieu, et ce titre dit bien le sens de la tragédie voltairienne. A Genève, Saiil fit scandale et, naturellement, Voltaire se défendit d’en être l’auteur. Lettres à Tronchin, 19 juillet 1763 (xliii, 520), du 21 à Damilaville (ibid., 521). Dans une Lettre à ce dernier du 14 août 1763, il l’attribuait à Fréron.

19° Traité sur la tolérance, à l’occasion de la mort de Jean Calas, in-8°, s. 1. (Genève), 1763 (xxv, 13). — « Ou les juges ont condamné un innocent, ou un père de famille et sa femme ont étranglé leur fils. Dans l’un et l’autre cas, l’abus de la religion la plus sainte a commis un grand crime. Il est donc de l’intérêt du genre humain d’examiner si la religion doit être charitable ou barbare. »

Suivant un procédé qui lui est cher, Voltaire juge d’abord de l’intolérance et de la tolérance d’après leurs conséquences sociales. En France, la Réforme qui avait fait œuvre d’assainissement mais qui niait certains dogmes « très-respectés » ou « très-profitables » se heurta à l’intolérance. Qu’en résulta-t-il ? le carnage, l' : issassinat, neuf années de guerres civiles. La tolérance, elle, est-elle dangereuse ? À priori, ne peut 'm dire La douceur ne saurait produire les

mêmes révoltes quc la cruauté? Et en examinant les

Liais de l’Europe "h ségne la tolérance, la Chine et

le Japon ou elle a toujours existé, l’on voit que la tolérance n’a jamais été source de carnage et de guerre. Aujourd’hui, où l’on en a assez des controverses théo logiques, OÛ commande la raison, malgré la lie des insensés.le S ; iint Médard « et les | roubles que provoqua la bulle Vnigenituê des jésuites Le Tellier et Dou citi, l’intérêt de l'État, l’humanité, la raison, la politique appellent la France > la tolérance. '.. i ci v.

L’intolérance ne saurait se réclamer du droit naturel iii, par conséquent, du droit humain, celui-ci ne pouvant « être fondé en aucun cas que sur le droit de nature ». Or, « le grand principe de l’un et de l’autre est dans toute la terre : « Ne fais pas ce que tu ne vou- « drais pas qu’on te fît. » L’intolérance est donc absurde et barbare. » C. vi. Ni les Grecs, c. vii, ni les Romains, c. viii, n’ont pratiqué l’intolérance. Il y eut moins de martyrs qu’on ne le dit et ils ne souffrirent pas pour leur seule religion. C. ix-x.

Mais alors « il sera permis à chaque citoyen de ne croire que sa raison ? Il le faut : la foi ne dépend pas de lui », dit Voltaire, qui s’en réfère à YEpistola de tolerantia de Locke — à la condition cependant que « ce citoyen respecte les usages de sa patrie ». Pas d’exception en faveur de l'Église catholique. « Plus la religion chrétienne est divine, moins il appartient à l’homme de la commander » ; elle n’a que faire de son appui. Et se souvenant encore de Locke, Voltaire demande : « Voudriez-vous soutenir par des bourreaux la religion d’un Dieu que des bourreaux ont fait mourir ? »

L’intolérance ne s’autorise pas davantage du droit divin positif. Dans le judaïsme, « on sera étonné de trouver la plus grande tolérance au milieu des horreurs les plus barbares ». C. xii et xiii. Et après avoir réfuté l’interprétation d’intolérance donnée à certains textes évangéliques — le Compelle intrare, par exemple, si exploité par Bayle — à des paroles ou à des gestes du Sauveur, Voltaire conclut : « Si vous voulez lui ressembler, soyez martyrs et non pas bourreaux. » Enfin, il invoque une série de paroles de Pères, de conciles, d'évêques en faveur de la tolérance. Dès lors comment expliquer l’intolérance actuelle ? Par l’intérêt. Dans un Dialogue entre un malade et un homme qui se porte bien, il montre un prêtre tourmentant un malade pour lui extorquer un billet de confession qui lui vaudra un canonicat. C. xii.

La répression de l’erreur n’est-elle jamais permise ? Elle l’est, si l’erreur devient crime, c’est-à-dire menace la société en inspirant le fanatisme. « Si les jésuites, par exemple, ont débité des maximes coupables, si leur institut est contraire aux lois du royaume, on ne peut s’empêcher de dissoudre leur compagnie et d’abolir les jésuites pour en faire des citoyens ». C. xviii. En dehors de ce cas, étant donné « la faiblesse du genre humain », il vaut mieux « l’entretenir dans les superstitions, pourvu qu’elles ne soient point meurtrières », que de le laisser vivre sans religion.

20° Le Dictionnaire philosophique portatif, in-8°, Londres (Genève), 1764, 73 articles, qui, considérablement augmenté, sera appelé, en 1769. La raison par alphabet, 2 in-8°, s. 1. (Genève), et. en 1770, le Dictionnaire philosophique, simplement. Mais de 1770 à 1772, Voltaire publiera les Questions sur l’Encyclopédie par des umuieurs. 9 in-8°, s. I. (Genève). À partir

de ce moment les deux ouvrages furent mêlés sous le litre de Dictionnaire philosophique. L'édition de Kehl, 1784-1787, y ajouta encore des opuscules et même les Lettres philosophiques. Depuis, l'édition Beuchot et les suivantes ont ramené le Dictionnaire philosophique à ce qu’il était en 1772 (xviii). Cf. le Dictionnaire philosophique. Introduction, par.1. Benda, 2 ln-12, Paris, s. d. (1Q36), p. xxm-xxiv.

1. Idées essentielles. Cet ouvrage, dit.1. Benda, En marge d’un Dictionnaire, dans lievue de l’aris. 1° mars 1936. p. 18 sq.. constitue un monument capl lai pour l’histoire politique et morale de la France. J’y crois saisir a leur source les principales idées qui

composent la mystique démocratique. P. 18.

Du point de nue politique, — a) l.'égalil arisme d’abord. L'égalité lui paraît en même temps la chuse

la plus naturelle et la plus chimérique. Cf. art. Maître et Égalité. — b) L’inviolabilité de la personne qui repose sur la dignité de l’homme en tant qu’homme et d’où découlent la liberté de la conscience et l’individualisme, ainsi que la volonté de fonder la législation sur la raison abstraite et non sur la coutume et l’histoire. — c) Le laïcisme, en ce sens qu’il refuse au prêtre en tant que prêtre un pouvoir politique — mais non le droit d’enseigner. Cf. art. Lois civiles et ecclésiastiques. Religion. — d) La conception du patriotisme — qu’il veut plus rationnel que mystique et à qui il reproche de comprendre toujours la haine de l'étranger (art. Patrie, sect. n) et une insuffisante horreur de la guerre, qui pour lui est toujours mauvaise. Art. Guerre.

Du point de vue intellectuel. — a) Anathème lancé sur la métaphysique et sur la spéculation désintéressée, au nom de la science pratique et du savoir concret. Art. Ame. Sect. n. — b) Mépris de la controverse théologique, « avec une ampleur d’information et une sensibilité historique qu’on ne trouvera plus chez certains de ceux à qui il va le transmettre, par exemple Renan ». — c) Cette idée que la philosophie doit consister uniquement dans la morale, dans ce qui nous rend meilleurs et nous console. Art. Matière..

Du point de vue philosophique proprement dit. — De lui découlent, sans qu’il l’ait voulu, trois articles organiques de la mystique républicaine : a) L’athéisme : Voltaire travaillant à détruire dans les Français la foi au Dieu traditionnel devait fatalement, malgré son déisme, éteindre en eux toute croyance en Dieu. — b) La négation du spiritualisme à laquelle mène tout droit la doctrine « que l'âme peut être supportée par la matière ». — c) La croyance au progrès nécessaire.

2. La condamnation du Dictionnaire.

Le 19 septembre 1764, Voltaire écrira à Damilaville : « Ce dictionnaire effarouche cruellement les dévots. — Je ne veux jamais qu’il soit de moi… Me nommer, c’est m'ôter désormais la liberté de rendre service » (xliii, 318). « On fera donc de cet ouvrage un recueil de plusieurs auteurs fait par un éditeur de Hollande » (ibid.). Il l’attribuera aussi à « un nommé Dubut, petit apprenti théologien de Hollande ». Au même, le 29 septembre (ibid., 329). Finalement, il reviendra à l’affirmation qu’il est « de plusieurs mains ». Mais il en avouera quelques articles. Au même, 12 octobre (346), à d’Argental et au président Hénault, 20 octobre (ibid., 355 et 356). A Genève, le livre sera condamné comme impie ; il sera brûlé à Paris, le 19 mars 1765, sans nom d’auteur, il est vrai, en même temps que les Lettres de la montagne. Un exemplaire sera brûlé avec La Barre, le 1 er juillet 1766. Voir col. 3398.

3. Les réfutations.

a) Le Dictionnaire antiphilosophique, pour servir de commentaire et de correctif au Dictionnaire philosophique, in-8°, Avignon, 1767, attribué à Coger, recteur de Sorbonne, et à Nonnotte, mais qui est de dom Chaudon, bénédictin de Cluny. Plusieurs fois réimprimé. — b) Remarques sur un livre intitulé Dictionnaire… par un membre de l’illustre Société d’Angleterre pour l’avancement et la propagation de la doctrine chrétienne. A. du Bos, in-8°, Lausanne, 1765.

21° Questions sur les miracles. — Vingt Lettres, dont seize au moins publiées séparément, la première étant intitulée Questions sur les miracles à M. le professeur Cl… (R. dans la Collection dont il va être parlé) par un proposant, s. 1. n. d. (Genève, 1765), in-8° de 20 p. Voltaire a signé plusieurs de ces lettres de noms empruntés : Beaudinet, Boudry, Euler, Covelle. - Ces vingt lettres parurent en un seul volume, en

1765, sous ce titre : Collection des lettres sur les miracles écrites à Genève et à Neufchâleau par M. le professeur Théro, M. Covelle, M. Néedham, M. Beaumont, M. de Montmolin, in-8°, Neufehâtel (Genève) (xxv, 358).

Le pasteur et professeur en théologie Cl(aparède) ayant publié au début de 1766 des Considérations sur les miracles de l'Évangile pour servir de réponse aux difficultés de M. J.-J. Rousseau dans sa IIIe lettre écrite de la montagne, in-8°, Genève, cf. ici t. xiv, col. 118-119 et 125, et l’abbé Sigorgne ayant rédigé des Lettres de la plaine en réponse à celle de la Montagne, in-8°, Amsterdam, 1765, Voltaire jeta ses Lettres dans la mêlée. Il s’y inspire des déistes ou des libres-penseurs anglais, en particulier du Discourse on the Miracles of Saviour de Woolston, 1727. Le point de départ en est le besoin « de nouvelles instructions », que créent les objections des incrédules, explique à Claparède Théro, un proposant ou futur ministre. Ces Lettres sont donc un exposé contradictoire, mais combien tendancieux ! de ces objections et des réponses de l’apologétique. Les trois premières lettres seules, cependant, rentrent strictement dans ce cadre.

Dans la Première, il distingue les miracles de NotreSeigneur, « les miracles des Apôtres » et « les miracles après le temps des Apôtres ». Dans les miracles de Jésus-Christ, il y a : 1. Ceux qui ont manifesté sa puissance et sa bonté. Il oppose à ces miracles dont « Grotius, Abbadie, Houdeville et Claparède font état » les objections de tous les penseurs incrédules, de Celse à La Mettrie : ces miracles n’ont aucune authenticité : les témoins qui les affirment sont les premiers chrétiens, coutumiers de l’imposture ou des esprits prévenus, croyant à la magie, p. 360-363 ; du côté de Dieu, ils contredisent sa sagesse : « Il n’est pas possible que Dieu ait fait de plus grands miracles pour établir la religion dans un coin du monde que pour établir la chrétienne dans le monde entier. » P. 363-364. Et pourtant les choses sont ainsi. 2. « Les miracles-types, symboles de quelque vérité morale », celui du figuier stérile, par exemple. Ce sont des paraboles en action. Or, les incrédules mettent l’enseignement de Confucius, de Pythagore, de Platon, au-dessus de l’enseignement de Jésus-Christ qui leur paraît « trop populaire et trop facile ». P. 364-365. 3. Les miracles promis par Jésus-Christ, ceux de la parousie : « avant que la génération présente soit passée », qui ne se sont pas accomplis, et « de la foi qui transporte les montagnes », qui ne s’accomplissent jamais. Cf. Douzième lettre, l’expérience de la comtesse de Hiss-PriestCra. P. 414-417.

Les miracles des Apôtres sont ou invraisemblables : l’ombre n'étant que « la privation de lumière », donc le néant n’a pu guérir ; ou inutiles et donc contraires à la sagesse divine : le monde n’en a pas été meilleur, « témoin les massacres… et tant de schismes sanglants » ; ou objets de scandale, donc contraires à la sainteté de Dieu, comme la mort d’Ananie et de Saphire. P. 366-368.

Les miracles après le temps des Apôtres sont de la même qualité. Ils ont d’abord ceci contre eux, qu’ils sont moins nombreux, de siècle en siècle, à mesure évidemment que les hommes voient plus clair. Aucun d’ailleurs n’a été constaté dan, s des conditions qui le rendent inattaquable. Ils sont enfin invraisemblables et contraires à la majesté divine. P. 368-370.

Pour finir, « cette grande objection » : l'Église ne voit plus de miracles et pourtant elle en a plus besoin que jamais ; elle est dans l'état le plus déplorable. Qu’elle fasse donc le miracle de créer la charité. P. 370-371.

La Deuxième Lettre rappelle d’abord que « Hobbes,

Collins, Bolingbroke et d’autres » philosophes jugent invraisemblable que Dieu dérange le plan de l’univers où tout s’enchaîne, où « la masse commune est invariable », par des miracles. Et pourquoi ? « Pour que dans ce petit tas de boue appelé la terre les papes s’emparent enfin de Rome, … que Servet soit brûlé vif à Genève. » Puis elle examine l’authenticité des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, donc des miracles. Pour l’Ancien, rien n’est moins démontré que l’existence de Moïse et que l’authenticité de ses écrits, et toute l’histoire des relations du peuple juif avec Dieu est un insoluble problème. P. 373-375. Pour le Nouveau, ses récits miraculeux sont également dépourvus d’authenticité. « Il faut au moins que les livres qui annoncent des choses si incroyables aient été examinés par les magistrats, que les preuves de ces prodiges aient été déposées dans les archives publiques, que les auteurs de ces livres ne se soient jamais contredits ». Or, les prodiges évangéliques n’ont jamais été juridiquement constatés avec la publicité la plus authentique, « … les évangiles se contredisent continuellement et les premiers chrétiens formèrent mille faux actes ». P. 375-379.

Troisième lettre. Et en faveur de quitant de miracles ? D’un Christ qui n’est pas celui de l’histoire, d’une doctrine qu’il n’a point annoncée, qui a été la source ininterrompue de divisions sanglantes et dont les meilleurs préceptes sont empruntés. P. 378-386.

Or un prêtre anglais, Needham — Voltaire le dit jésuite irlandais — qui concluait d’expériences mal faites à la génération spontanée des anguilles (cf. Voltaire, Des singularités de la nature, c. xx), ayant publié dans l’intervalle une Réponse d’un théologien au docte proposant des autres questions, in-8° de 25 p., s. n. d. a., où il examine la Seconde lettre, Voltaire tourne en dérision l’auteur, la Réponse et la génération spontanée des anguilles, dans les Quatrième, Cinquième et Sixième lettres, dans la Septième de M. Covelle, qui a fait ce miracle de résister avec succès au consistoire de Genève, et dans la Huitième… écrite pur le proposant. P. 394-401. Needham ayant publié une seconde brochure : Parodie de la troisième lettre du proposant adressée à un philosophe, in-12 de 25 p., dans la Neuvième lettre attribuée au jésuite des anguilles, ou galimatias dans le style du prêtre.Xeedham, Voltaire prête à Needham une explication grotesque de la Transfiguration et du miracle de Cana et lui fait dire par le professeur en théologie M. R. : « Nous ferions des miracles tout comme les autres si nous avions à faire à des sots, mais notre peuple est instruit et malin. » P. 405.

A partir de là, les correspondants traitent d’autres questions que les miracles. Ils attaquent le consistoire de Genève, l’intransigeance des Églises, etc. Dans la Onzième, le proposant définit la foi : o Elle consiste à croire ce que l’entendement ne saurait croire », donc l’absurde. Celui qui croit l’absurde peut, sous l’influence de la même volonté, commettre l’injustice. C’est là ce qui a produit tous les crimes religieux dont la terre a été Inondée. P. 412-413. Enfin, pour bien comprendre l’Evangile, dit-il, il faut « avoir recours à ce miracle toujours subsistant d’entendre le contraire de ce qui est écrit ». P. 407 et 413. I.a Douzième raconte l’expérience que lit la comtesse de la vanité des promesses faites pas.lésus-Christ à la prière. Dans la Treizième. M. Covelle dit à ses concitoyens que les miracles servent uniquement « à la fureur de dominer des hommes vêtus de noir qui veulent nous rendre Imbéciles pour nous gouverner ». Usons du droit i de tout homme libre de dire cl d’imprimer ce que nous pensons. La liberté de l ; i presse est la condition de toutes les aulres. Les prêtres n’en veulent pas, mais de prêtres, la l’enss I

vanie s’en passe. » P. 414-420. Les lettres Quatorzième, Quinzième et Seizième racontent les mésaventures de Rousseau à Moutiers-Travers et critiquent les pasteurs de Genève en la personne de Montmolin. La Dix-septième s’en prend à l’Église catholique. Needham y soutient que, « n’étant pas chrétiens », les païens sont incapables, sans miracles, de beaux sentiments. P. 432. II annonce : « Les élus ne doivent jamais ménager les réprouvés. » P. 434. Ainsi : « des coquins se bornent insolemment à l’adoration d’un Dieu, auteur de tous les êtres, … juste, … rémunérateur et vengeur, … qui a imprimé dans nos cœurs sa loi naturelle et sainte. Ils adorent ce Dieu avec amour ; ils chérissent les hommes ; ils sont bienfaisants. Quelle absurdité et quelle horreur ! » P. 435. La Dix-huitième annonce que Covelle va se faire ministre pour devenir quelqu’un et « combattre les prêtres de Genève avec des armes égales ». Il pourra « faire brûler saintement quelque Servet, en criant contre l’Inquisition des papistes ». Les Dix-neuvième et Vingtième s’en prennent encore à Needham qui a publié une troisième brochure, sur la Seizième lettre du proposant (aujourd’hui la Dix-septième).

22° Le philosophe ignorant, in-8°, s. 1. (Genève), 1766. À la suite de la première édition se trouvait un Supplément au Philosophe ignorant : André Destouches à Siane (dialogue) (xxiv, 47). — Ce livre se rattache au Traité de métaphysique. Voltaire y reprend avec, plus de netteté les questions de l’âme, de Dieu, de la morale.

De l’âme. — C. iii, Comment puis-je penser ? Il ne peut davantage, dit-il, affirmer la spiritualité de l’âme. P. 49. De la liberté, c. xiii. Suis-je libre ? Avec Collins, Discourse of free Thinking, 1713, il écrit : « Être véritablement libre, c’est pouvoir. Quand je puis faire ce que je veux, voilà ma liberté, mais je veux nécessairement ce que je veux, autrement, je voudrais sans cause… L’homme est en tout un être dépendant. » P. 57.

De Dieu. — 1. L’intelligence de Dieu, XV. « En apercevant l’ordre, les lois mécaniques et géométriques qui régnent dans l’univers, les fins innombrables de toutes choses, … je dois reconnaître une intelligence supérieurement agissante dans la multitude de tant d’ouvrages. » P. 59. — 2. L’éternité de Dieu, xvi et xx. La matière existant, « je ne puis rejeter l’existence éternelle de son artisan suprême… Une succession infinie d’êtres qui n’auraient point d’origine est absurde. » Mais « je suis porté à croire que le monde toujours émané de cette cause primitive est nécessaire », donc éternel. P. 67. — 3. Incompréhensibililé de Dieu, xvii. L’intelligence divine est-elle absolument distincte de l’univers, comme le sculpteur de la statue ? Est-elle l’âme du monde ? Mystère ! P. 60. — 4. Infinité de Dieu, XVIII. Cette intelligence est-elle Infinie en puissance comme elle l’est en durée ? Mystère encore. « Quelle idée puis-je avoir d’une puissance infinie ? » Ibid. — 5. Ma dépendance envers Dieu, xix et xx. « Tout est moyen, fin dans mon corps ; il est donc arrangé par une intelligence. » P. 61-62. « Mais j’adore le Dieu par qui je pense, sans savoir comme je pense. » P. 63. Sur tels de ces points « Spinoza, les scolastiques, Pascal. Leibnitz, C.udworth et d’autres » ont fait entendre des chimères. P. 65-70. Seul, Locke, « qui ne feint jamais de savoir ce qu’il ne sait pas » oITre < des fonds bien assures.. P. 74-75.

De la morale. 1. V a t-il une morale ? xxxi. fous

les hommes, Indépendamment de tout pacte, de toute loi, de toute religion… ont une notion grossière du Juste et de l’injuste. … acquise dans l’âge où la raison se déploie… Cette notion leur était donc nécessaire. .. L’intelligence suprême a donc voulu qu’il y ait de la justice sur la terre, sans quoi il n’y aurait

eu aucune société ». P. 78-79. — 2. Nature partout la même, xxxvi, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique. Ceci contre Locke, xxxiv, xxxv, et Hobbes, xxxvii. « Chaque nation eut très souvent d’absurdes et de révoltantes opinions » en métaphysique, en théologie, « mais s’agit-il de savoir s’il faut être juste, tout l’univers est d’accord ». P. 87. « Puisque tous les philosophes avaient des dogmes différents, il est clair que le dogme et la vertu sont d’une nature entièrement hétérogène. » P. 91-92. La conséquence logique serait la tolérance : « Qu’on soit du parti d’un évêque d’Ypres, qu’on n’a point lii, ou d’un moine espagnol, qu’on a moins lu encore, n’est-il pas clair que tout cela doit être indifférent au véritable bonheur d’une nation ? » P. 92. Mais les hommes aveuglés par l’ignorance se sont « égorgés, pendus, roués et brûlés » et « pour quelles sottises inintelligibles ! » P. 95. En ce siècle, l’aurore de la raison, « … quelques têtes de cette hydre du fanatisme renaissent encore… Quiconque recherchera la vérité risquera d'être persécuté ». Néanmoins, « la vérité ne doit plus se cacher devant ces monstres ». Ibid.

23° Les questions de Zapata, traduites par le sieur Tamponet, docteur de Sorbonne, in-8°, Leipsick (Genève), 1766 (1767) (xxvi, 173). — Zapata est un licencié nommé professeur de théologie à Salamanque. En 1629, il présenta à la junte des docteurs soixantesept questions.

Quarante-neuf portaient sur l’Ancien Testament : 1. Comment les Juifs que nous faisons brûler par centaines furent-ils pendant quatre mille ans le peuple chéri de Dieu ? — 2. Pourquoi Dieu a-t-il pu abandonner pour la petite horde juive le reste de la terre et ensuite abandonner cette même horde pour une autre pendant deux cents ans beaucoup plus petite et plus méprisée ? — 3. Pourquoi tant de miracles en faveur de cette horde et plus un seul aujourd’hui alors que nous sommes le peuple élu ? — 4. Comment les chrétiens brûlent-ils les Juifs en récitant leurs prières et, adorant le livre de leur loi, les brûlent-ils pour avoir servi leur loi ? — Les questions 5 à 50 exposent des difficultés sur les textes mêmes.

Dix questions (50-59) portent sur les évangiles, leurs contradictions et leurs invraisemblances.

Les sept suivantes (60 à 66) concernent l’histoire de l'Église : (60) Peut-on prouver que Pierre est venu à Rome ? (61) Pourquoi appeler symbole des Apôtres une profession de foi composée quatre cents ans après eux ? Les Pères ne citant que les évangiles apocryphes, n’est-ce' pas que les canoniques n’existaient pas ? (62) « N’est-ce pas triste que notre vérité ne soit fondée que sur des mensonges » (des premiers chrétiens)? (63) Pourquoi sept sacrements et le dogme de la Trinité, alors que Jésus-Christ n’a rien dit de cela ? (64-65) L'Église est infaillible, mais laquelle ? la latine ? la grecque ?… Le pape est-il infaillible, même un Alexandre Vf dans ses désordres ?

Les questions 66 et 67 sont des conclusions : Ne rendrais-je pas service en n’annonçant que la morale, c’est-à-dire l'Être suprême, principe de toute morale ? Ou dois-je annoncer les extravagances et les turpitudes du christianisme ?

Zapata n’eut pas de réponse. II se mit à prêcher Dieu simplement, séparant la vérité du fanatisme, enseignant et pratiquant la vertu. Il fut donc bienfaisant, modéré et … rôti à Valladolid, l’an de grâce 1631.

24° L’examen important de milord Bolingbroke, écrit sur la fin de 1736. Paru d’abord dans le Recueil nécessaire, in-8°, Leipsick (Genève), 1765. Paru à part, s. 1. (Genève), 1767 (xxiv, 195). Évidemment, le nom de l’auteur et la date sont supposés. — L’univers est partagé autour de la question religieuse, t À qui

croire ? » Il faut examiner. Un homme qui reçoit sa religion sans examen ne diffère pas d’un bœuf qu’on attelle. P. 197. En fait, Voltaire ne fait le procès que du christianisme.

Contre le christianisme, deux préjugés d’abord. Il est divisé en de multiples sectes. Or, l’humanité ne se divise pas autour des notions qui lui sont nécessaires, donc vraies. Dans le domaine religieux, elle ne se divise pas autour de la notion de Dieu : cette notion est donc vraie. Mais tout ce qui dépasse cette notion est source de division, donc erreur. P. 197-198. « La défiance augmente quand on voit que le but de tous ceux qui sont à la tête des sectes est de dominer et de s’enrichir. » P. 198. Sans s’arrêter à ces faits Voltaire examinera par lui-même le christianisme. Ibid. Avant-propos.

1. Examen du judaïsme, fondement du christianisme. — Le judaïsme vient-il de Dieu ? Mais comment Dieu aurait-il fait « son peuple chéri » d’une « horde d’Arabes voleurs », à qui il n’aurait même pas enseigné l’immortalité de l'âme. Les Grotius, Abbadie, Houteville ont beau affirmer le contraire : ni le Pentateuque n’est de Moïse, ni Moïse n’a existé ; si, par impossible, le Pentateuque était de lui, cela prouverait simplement que « Moïse était un fou ». C. ivi. Et les mœurs de ce peuple « ne sont-elles pas aussi abominables que les fables sont absurdes ? » C. vu et vin. « Toute l’histoire juive, dites-vous, ô Abbadie, est la prédiction de l'Église ; tous les prophètes ont prédit Jésus. » P. 216. Or, les prophéties ont deux sources : 1. la fraude : « Le premier prophète fut le premier fripon qui rencontra un imbécile » ; 2. le fanatisme. Ajoutez que l’histoire et les livres des prophètes sont « les monuments de la plus outrée et de la plus infâme débauche. » C. ix.

2. Examen du christianisme.

a) Son fondateur. — Il naquit en un temps où personne ne parlait de l’attente du Messie. Mais, paysan grossier, illettré, il voulut, par un fanatisme fréquent dans la populace, fonder une secte pour l’opposer à d’autres — tel, Fox — et se fit pendre. Ses disciples, comme les quakers à Fox pilorisé, demeurèrent fidèles à leur maître pendu et dans leur attachement le dirent ressuscité. C. x et xi.

b) La primitive Église et ses croyances. — « Les premiers Galiléens…, la canaille juive », gagnèrent « la canaille païenne », qui aimait les fables et la nouveauté. Ce fut l'œuvre surtout « de ce Paul au grand nez et au front chauve », qu’animait « la fureur de la domination… dans toute son insolence ». C. xii. Ici l’on entre dans la voie des faux. Chaque communauté « de ces demi-juifs, demi-chrétiens, voulut avoir son évangile. On en compta cinquante-quatre, mais il y en eut beaucoup plus », tous apocryphes, tous inventés, tous se contredisant, à ce point que la concordance que l’on tenta entre eux « est encore moins concordante que ce qu’on a voulu concorder ». C. xiii. Faux aussi ces vers sybillins qu’inventèrent les premiers chrétiens pour gagner la populace juive. C. xiv. Fausse et ridicule leur explication des prophéties pour gagner les Juifs. C. xv. Pour mieux réussir, on en ajouta aux anciennes, c. xvi, l’on fit prédire à Jésus la fin de ce monde et la Jérusalem nouvelle pour les temps présents, c. xvii ; l’on interpréta l’Ancien Testament comme une allégorie du Nouveau. C. xviii. Enfin l’on imagina des lettres de Pilate ; un décret de Tibère pour faire du Christ un Dieu ; l’on supposa le testament de Moïse et d’Enoch… C. xix et xx. Mais le platonisme fort en vogue fournit bientôt un aliment à la nouvelle secte et l’on eut Justin, Tertullien, Clément d’Alexandrie, Irénée avec des mystères et des dogmes absurdes, « l'édifie le plus monstrueux qui ait jamais déshonoré la raison ». P. 263. C. xxi-xxvi.

c) Le christianisme dans l’empire romain. — Si les chrétiens furent poursuivis dans l’empire, qui ne persécuta jamais personne pour ses croyances, ce fut seulement à partir du iiie siècle, en raison de leur fanatisme et de leur esprit de domination. Le nombre des martyrs d’ailleurs est minime — quoi qu’en disent des contes qui font pitié. C. xxvi. Contes aussi les miracles racontés des apôtres et des martyrs et « bêtises injurieuses à la divinité ». P. 272. C. xxviii. Pendant dix-huit ans Dioclétien les favorisa, mais leur insolence l’obligea à les abandonner à Galérius. C. xxviii. Avec Constantin, tout vice et cruauté, ils vont triompher, c. xxix ; mais leurs divisions vont éclater au grand jour, autour de leurs dogmes absurdes. « Qu’un Juif, nommé Jésus, ait été … consubstantiel à Dieu, cela est absurde et impie ; qu’il y ait trois personnes dans une substance, cela est également absurde ; qu’il y ait trois dieux dans un Dieu, cela est également absurde. » P. 279. Or, autour de ces absurdités, qui ne figurent pas d’ailleurs dans les évangiles, ariens et athanasiens luttent les uns contre les autres par tous les moyens. C. xxx et xxxi. Des successeurs de Constantin, un seul est digne de son rôle, Julien, le stoïcien, si sottement nommé apostat par des prêtres, p. 284, grand homme, qui, s’il eût vécu, eût amené les Romains à la seule religion digne de Dieu, la religion naturelle. C. xxxii et xxxin.

d) L'Église romaine à partir de Théodose. — Quelques (mots résument son histoire : « disputes théologiques, anathèmes et persécution », c. xxxv, « usurpations des papes » sur l’autorité des rois : surtout avec Grégoire VII, ils tentent de « ressembler aux califes qui réunissaient les droits du trône et de l’autel ». L’Angleterre a souffert par eux, c. xxxvi ; « excès épouvantables » dans la persécution de ceux qui ne partagent pas les croyances chrétiennes, c. xxxvii, i débauches obscènes », c. xxxviii.

Cette conclusion s’impose : « Tout homme sensé, tout homme de bien, doit avoir la secte chrétienne en horreur… La seule vraie religion est d’adorer Dieu et d'être honnête homme. » P. 298. Le peuple n'étant pas encore digne d’elle, il faut lui laisser son culte, mais contenir l'Église et éclairer les esprits : « plus les laïques seront éclairés, moins les prêtres feront de mal ». Il faut même « éclairer les prêtres et les amener à être citoyens ». P. 300.

25° Le dîner du comte de Boulainvilliers, in-8°, S. 1. (Genève), 1728 (1767) (xxvi, 531). —Voltaire l’attribue à Saint-Hyacinthe, un déiste mort en 1716. Cf. Lettres du I février 1768 à Damilaville et du 12 à M. le comte de Rochefort. Ce Dîner comprend trois Entretiens. L’un, p. 531-537. Avant-dîner, entre l’abbé Couet, qui avait été grand vicaire de Noailles. et le comte, opposé au catholicisme, lequel outrage le bon sens et la vertu, p. 532 : opposé à Jésus-Christ qui a dit :

Contrains-les d’entrer : je suis venu apporter le glaive et non la paix ; que celui qui n'écoute pas l'Église soit regardé comme un païen ; je leur parle en paraboles, afin qu’en (Montant ils n’entendent point », et dont le Discours sur la montagne prête à tailt de critiques. Épictète, au langage divin, peut-il être damné? demande le comte, d’où discussion sur la maxime :

Mors de l'Église, pas de salut. » P. 536.

Le second entretien, p. 537-552, Pendant le dîner, est entre l’abbé, le comte, la comtesse et l-'réret, sous le nom duquel Levesque de Burignv venait de publier son Examen critique des apologistes de la religion chrétienne, |n-8°, s. I, (Paris). 1766. Le comte et Fréret font la critique dis preuves du catholicisme. I.rs chrétiens sont des Juifs ; leur Dieu n’est-il pas né Juif ? i, p. 539 ; des idolâtres, témoin l’eucharistie. Ils appuient leur foi sur des preuves ridicules : les prophéties, « galimatias et obscénités., p. 542 ; lis

DICT. DE THBOL. CATHOL.

miracles : ceux de Jésus sont aussi ridicules que ceux de Moïse ; les martyrs : Pascal est-il donc certain des martyrs qu’il invoque ? la propagation du christianisme : elle n’est pas plus merveilleuse que celle de l’islamisme. L’histoire de l'Église enfin est « une suite épouvantable de massacres ». P. 549.

Le troisième entretien, p. 552-558, Après le dîner. Mêmes interlocuteurs. Il faut une religion aux hommes. Mais laquelle ? Le déisme est le seul vrai frein et la seule vraie consolation. Malheureusement les hommes en sont loin ; esclaves de la coutume, ils n’y seront pas amenés d’un seul coup. En attendant, certaines mesures pourraient les en rapprocher : « l’abolition des moines a peuplé et enrichi les États du Nord ». P. 554.

En post-scriptum, p. 558-560, figurent des Pensées détachées de l’abbé de Saint-Pierre, où sont dénoncés les excès de pouvoir de la papauté, la pauvreté de ses titres, les maux répandus par le catholicisme. Ce qu’il faut, ce sont des temples où Dieu soit adoré et la vertu recommandée et d’où tout le reste soit proscrit ; ce sont des curés, qui ne soient que maîtres de morale et soutiens des âmes, mariés d’ailleurs pour le bien de l'État. — De ce livre il y eut une réfutation : Le mauvais dîner ou Lettres sur le Dîner du comte de Boulainvilliers, in-8°, 1770, par le R. P. Viret, cordelier.

26° La profession de foi des théistes, par le comte Du… au R. D. (P ?), traduit de l’allemand, in-8°, s. 1. n. d. (Genève, 1768), réimprimé dans L'évangile du jour, sous le titre de Confession de foi (xxvii, 55). — Après une invocation au roi de Prusse, cf. Lettre de d’Alembert, 15 juin 1768 (xlvi, 64), « qui porte sur le trône la philosophie et la tolérance », et le souhait « que la vérité triomphe comme ses armes », Voltaire glorifie le théisme. Le théisme compte pour fidèles « plus d’un million d’hommes en Europe », dans toutes les professions qui honorent, « revêtus enfin de la puissance souveraine ». P. 55. C’est que cette religion est « divine ». Ibid. Elle est en effet l'écho de la raison universelle, aussi ancienne que le monde, faite pour unir tous les hommes ; donc de Dieu ; tout ce qui la dépasse divise ; donc est l’erreur. P. 56. Le théisme est pur des superstitions qui souillent toutes les autres religions ; pur aussi des croyances magiques qui leur ont inspiré, surtout à la juive, des sacrifices de sang humain, p. 61-64 ; du fanatisme qui a provoqué les croisades, lesquelles « dépeuplèrent l’Europe pour aller immoler des Turcs et des Arabes à Jésus-Christ » ; des massacres de chrétiens appelés hérétiques, la Saint-Barthélémy, p. 64-67 ; des mœurs vicieuses qui furent celles des patriarches et des Juifs et pour lesquelles l'Église a le pardon facile. P. 59-67. Les théistes ne troublent pas les États et n'ébranlent point les trônes avec des querelles religieuses, comme le catholicisme. P. 67-68. Ils ne sont même pas dangereux à l'Église ; ils imitent Jésus qui allait au Temple. Le séparant en effet de la religion chrétienne, ils font de lui « un théiste israélite ». P. 69. Seuls, ils sont de sa religion. Le christianisme, c’est « une foule de mensonges i, suivie d’une foule d’interminables disputes ». P. 70-71. Mêmes divisions dans toutes les religions. « Seul le théisme est resté immuable Comme le Dieu qui en est l’auteur ». P. 71.

Le théisme demande à toutes les religions de se tolérer entre elles. Il a un droit sur elles : « il est la source pure d’où sont nées < leurs eaux corrompues » - idée à laquelle les théistes d’alors tiennent beaucoup. Pourquoi le combattent-elles ? Par crainte'.' » Qu’elles se rassurent. Les théistes ne forment pas un corps…, ils n’ont point de fanatisme… et ils n’ont jamais prétendu ramener la justice par la violence. » P. 73. IN se bornent a souhaiter que dans les religions, ceux qui travaillent le plus ne soient plus les moins récom T. — XV.

108.

pensés » et que les États soient indépendants. P. 74. — Mis à l’Index, le 1 er mars 1770.

27° (Quatre) Homélies prononcées à Londres en 1765, dans une assemblée particulière, in-8°, s. 1. (Genève), 1767 (xxvi, 315), et Cinquième homélie prononcée à Londres le jour de Pâques, in-8°, s. 1. n. d. (Genève, 1769) (xxvii, 557). — Première homélie sur l’athéisme (xxvi, 315-329). — Dieu existe. Preuves : J’existe, donc quelque chose existe de toute éternité ; nous sommes intelligents, donc il y a une intelligence éternelle. P. 316. Objections : 1° Le mouvement étant essentiel à la matière, toutes les combinaisons sont possibles sans une cause extérieure. Ibid. Réponse : Il n’est pas prouvé, au contraire, que le mouvement soit essentiel à la matière. Le fût-il, cela ne prouverait pas contre l’intelligence qui dirige son mouvement. Ibid. Cela n’expliquerait pas non plus les êtres organisés, l’ordre et les lois des choses, ni surtout la sensation et l’idée. P. 317. 2° Il y a, convient Spinoza, « une intelligence universelle ». Ibid. Mais elle est immanente à la matière ; « Il n’y a qu’une seule substance, … l’universalité des choses, …à la fois pensante, sentante, étendue, figurée. » Réponse : « Il y a un choix dans tout ce qui existe » et le choix suppose « un maître qui agit par sa volonté ». L’intelligence suprême n’est donc pas « purement mécanique ». Ibid.

Cet être suprême nous est forcément incompréhensible. Il nous suffît d’ailleurs de savoir qu’il est notre maître et notre bienfaiteur. P. 318. Mais alors que conclure du mal qui inonde la terre ? Que Dieu n’existe pas ? Mais il est démontré. Qu’il est un être méchant ? C’est absurde et contradictoire. Qu’un mauvais principe altère ses ouvrages ? Cela soulève de grosses difficultés. Que le bien général est composé des maux particuliers ? C’est déraisonnable. Que le mal physique et le mal moral sont l’effet de la constitution de ce monde ? Cela est vrai mais n’explique rien. P. 319. Espérer une vie meilleure ? Boîte à Pandore, dit-on, et les Juifs, éclairés par Dieu même, « ne connurent jamais une autre vie ». P. 321. Mais qu’y a-t-il d’impossible à ce que « ce qui pense en nous survive à notre corps » ? Notre immortalité seule peut justifier la Providence ; Dieu est en effet rémunérateur et vengeur ou il n’est pas. P. 321. Ces principes se justifient d’ailleurs par leur utilité sociale. P. 322. Il semble aussi qu’ils soient un cri de la nature, tant ils furent universels. S’ils disparurent de chez les Juifs, ce ne fut que pour un temps. Il y eut, c’est vrai, des athées vertueux, Spinoza, La Mettrie, mais des athées « qui auraient en main le pouvoir seraient aussi funestes au genre humain que des superstitieux ». P. 329.

Deuxième homélie. Sur la superstition (329-338). — La superstition naquit le jour où l’homme fit Dieu à son image : « fier, jaloux, vindicatif, bienfaiteur capricieux, … le premier des tyrans ». Dès lors « l’histoire du monde est celle du fanatisme ». P. 330. Il y a des superstitions inofîensives, même bienfaisantes : la divinisation des hommes qui ont bien servi l’humanité, le culte de certains saints. Ils sont des exemples. P. 330-331. Mais le superstitieux en général est le bourreau de qui ne pense pas comme lui et, « depuis la consubstantialité jusqu'à la transsubstantialité », p. 333, termes incompréhensibles, tout a été sujet de disputes et a fait verser des torrents de sang. P. 333336. « Quiconque me dit : Pense comme moi ou Dieu te damnera, me dira bientôt : Pense comme moi ou je t’assassinerai. » P. 337. Heureusement en parlant, en écrivant, on peut guérir les peuples de la superstition.

Troisième homélie. Sur l’interprétation de l’Ancien Testament (339-349). — « Les livres gouvernent le monde… Le Pentateuque gouverne les Juifs et … il est le fondement de notre foi. » P. 339. Interprétés à

la lettre ses récits choquent le bon sens et le sens moral. Il faut donc les interpréter d’une manière allégorique, c’est-à-dire, ou tirer « de cette affreuse suite de crimes », p. 346, les leçons morales, ce qui est excellent pour nous, ou « regarder chaque événement comme un emblème historique et physique », ibid., et lui donner un sens prophétique mais cette interprétation, sans utilité réelle, « n’est qu’une subtilité de l’esprit et elle peut nuire à la simplicité du cœur ». Ibid.

Quatrième homélie. Sur l’interprétation du Nouveau Testament (349-354). — Ni authentique, ni vraisemblable, il n’est susceptible que d’une interprétation morale. Et alors, il est la condamnation, par l’humilité du Christ, de l’orgueil de ses ministres, p. 351, par ses paroles durant sa passion, de leur fanatisme et de leur intolérance sanguinaire. P. 352. Jésus « était un homme de bien, qui, né dans la pauvreté, parlait aux pauvres contre la superstition des riches pharisiens et des prêtres ; c'était le Socrate de la Galilée ». P. 353.

Cinquième homélie. Sur la communion (xxvii, 557).

— Ce sujet est l’occasion d’une longue diatribe contre l'Église romaine : ses prétentions orgueilleuses, p. 560 ; son amour de l’or « qui lui fait vendre des indulgences et recueillir des décimes », p. 561 ; son amour des guerres qu’elle appelle saintes. Ibid.

28° L’A. B. C, dialogue curieux, traduit de l’anglais, de M. Huet, in-8°, Londres (Genève), 1762 (1768), réimprimé avec des additions dans la Raison par alphabel, 6e édit., s. 1. (Genève), 1769, et au t. n de l'Évangile du jour (xxvii, 311). — Ce dialogue se compose de 17 entretiens. — 1 er Sur Grotius, Hobbes et Helvélius. L’auteur du De veritate religionis christianse liber (1636) et du De jure belli et pacis (1625) est dénoncé ici comme un franc pédant et un fort mauvais raisonneur, p. 312. — 2e Sur l'âme, p. 327-330. Voltaire y soutient ses thèses antérieures et conclut : « Occupons-nous donc seulement de notre intérêt qui est que nous soyons justes envers les autres, afin que tous puissent être le moins malheureux que faire se pourra ». P. 330. — 3e Si l’homme est né méchant et enfant du diable, p. 330-338. L’homme est loin d'être aussi « méchant que certaines gens le crient, dans l’espérance de le gouverner ». P. 332. L’idée du diable est née de l’ignorance des médecins attribuant les maladies à un mauvais génie, d’où « cette opinion que tous les hommes naissent endiablés et damnés ». P. 335. Les chrétiens ont repris des Juifs ce système « où tant de milliers d’enfants à la mamslle sont livrés à des bourreaux éternels » et d’après lequel « un être infiniment bon fait tous les jours des millions d’hommes pour les damner ». P. 336. D’où vient cette doctrine ? « D’une équivoque, comme la puissance papistique ». Ibid. « Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort. » Adam en mangea et vécut. Il fallut donc une autre mort, la damnation.

— 10e Sur la religion, p. 362-368. A-t-on le droit de parler contre la religion de son pays ? Si les premiers chrétiens n’avaient pas pris ce droit — et comment ! — jamais le christianisme n’eût été établi. N’y faut-il pas des ménagements ? Avant tout, il faut éclairer. Tout ce qui corrompt la religion pure et simple doit être attaqué sans merci — en particulier la théologie : elle « n’a jamais servi qu'à renverser les cervelles et quelquefois les États ». P. 367.

29° Collection d’anciens évangiles ou monuments du premier siècle du christianisme. Extraits de Fabricius, Grasius et autres savants par l’abbé B***(igesc), in-8°, Amsterdam (Londres), 1769 (xxvii, 450). — Évangiles canoniques et évangiles apocryphes sont de même origine, quelques-uns de ceux-ci sont même antérieurs. Mais d’après les visions d'Ézéchiel, i, 10

et de l’Apocalypse, iv, 7, il ne doit y avoir que quatre évangiles. Le concile de Nicée dans une consultation bouffonne obtint de Dieu la désignation de ces quatre. Les canoniques n’ont donc ni plus d’authenticité, ni plus de véracité que les autres.

30° Les droits des hommes et les usurpations des autres (des papes). Traduit de l’italien, in-8°, Amsterdam (Genève), 1768 (xxvii, 193-212). Le cri des nations, in-8°, s. 1. (Genève), 1769 (xxvii, 565-574).

— Contre les prétentions des papes à disposer des royaumes, à exercer sur certains sinon sur tous un droit de suzeraineté, contre les armâtes, les dispenses, pour aboutir à ces conclusions : Ces prétentions « grandes et ruineuses », p. 568, de « la plus énorme puissance qui ait jamais opprimé la terre et en même temps la plus sacrée », p. 569, ne reposent pas sur le droit divin : Jésus-Christ ne l’a pas établie, p. 568 ; saint Pierre n’a « jamais eu aucune juridiction sur les apôtres ; il n’a jamais été à Rome » et, y fût-il venu, « Rome n’a pas été le berceau du christianisme, c’est Jérusalem ». P. 569. — Elles ne reposent que sur des contes, p. 569, et sur des fraudes, p. 570. « Il n’y a qu’une puissance, celle du souverain. » P. 574. Que l’on cesse donc d’employer « ce mot dangereux les deux puissances ». P. 573. « On a chassé les jésuites, parce qu’ils étaient les principaux organes des prétentions de la cour de Rome. » P. 565. Bien, mais que l’on finisse une bonne fois avec ces prétentions. Ibid.

Cf. Fragment des instructions pour le prince roy<d de ***, 1752 (1767) (xxvi, 439-448) ; L’É pitre aux Romains, traduite de l’italien par M. le comte de Corbera, in-8°, s. d. (1768), mise à l’Index le 1 er mars 1770 (xxvii, 83-106).

31° Les Lettres d’Amabed, traduites par l’abbé Tamponnei, 1769 (xxi, 435). — C’est la critique des institutions et des dogmes de l’Église romaine par un étranger non chrétien de sens droit, comme l’entend Voltaire. Ayant eu à se plaindre, dans Goa, de l’inquisiteur, le dominicain Fa-tutto, Amabed, indigène du Maduré, va se faire rendre justice à Rome. Instruit dans la religion romaine, il la juge dans une série de lettres. Il fait la critique de la Bible dont certains récits le choquent ; puis à propos de Fa-tutto qui ne croit pas un mot de ce qu’il enseigne, des moines qui sont ou des victimes ou des abrutis, p. 461 ; des papes, qui ont fait d’une contrée autrefois très fertile et très belle « le cloaque de la nature », p. 465, dont le genre de vie « est exactement le contraire de ce que veut leur Dieu », p. 469, qui obligent « les hommes à croire des choses dont il n’a pas dit un seul mot » et qui servent par là leur ambition et leur avance. La parole du Christ : « Rendez à Dieu… » est devenue « Tout au pape » puisqu’il est le vicaire de Dieu et qu’il règne sur la ville des Césars. P. 171.

32° Discours de l’empereur Julien contre les chrétiens, traduit par M. le marquis d’Argens, avec de nouvelles notes de divers auteurs, in-8°, 1768 (xxviii, 10-64). Ce travail d’Argens avait paru en 1764. Voltaire le fait précéder d’un Avis au lecteur, loc. cit., p. 2, d’un Portrait de l’empereur Julien, paru déjà, à peu près intégralement, dans le Dictionnaire philosophique et qu’il attribue à l’auteur du Militaire philosophe (Naigeon), p. 2-8 ; d’un Examen du discours de l’empereur Julien contre les Galiléetw, p. 8-10 et qu’il fait suivre d’un Supplément au Discours de Julien par l’auteur du Militaire, philosophe, p. 64-68.

Ce Discours livre à Voltaire la critique du christianisme par un philosophe païen et un chef d’État, « égal en tout à Marc-Aurèle, le premier des hommes ». Suri ont. il lui fournit l’occasion de longues notes, un il dépasse les positions de Julien.

Julien estimait supérieur au récit mosaïque le récil « le la création du monde par le Dieu de Platon.

Voltaire — attribuant sa note à Damilaville — proteste que.Moïse n’a sans doute pas existé et que le Pentateuque n’est certainement pas de lui. Le lui attribuer est un de ces mensonges qui ont permis d’édifier « la plus exécrable tyrannie », celle du pape. P. 11, n. 1. Plus loin, p. 16, n. 1, il insiste sur l’ignorance où il voit les Juifs de l’immortalité de l’âme, « ce beau dogme qui est le plus sûr rempart de la vertu ». Il renchérit sur la critique que fait Julien-des récits du Pentateuque ; il les déclare « absurdes, blasphématoires ». P. 18, n. 2. En même temps, il oppose sa conception de la Providence générale à la théorie de Julien que « le Dieu suprême » gouverne le monde par l’intermédiaire de dieux créés. Il applaudit à Julien diminuant la valeur morale du Décalogue, p. 29, n. 1, ou posant « aux Galiléens » ces deux questions : Pourquoi vous ètes-vous séparés de nous, qui avions beaucoup plus reçu de Dieu, pour suivre les Juifs ? Et pourquoi, si les Juifs sont de Dieu, vous êtes-vous séparés d’eux ?

33° Dieu et les hommes par le docteur Obcrn. Œuvre théologique mais raisonnable, traduite par Jacques Aimon, in-8°, Berlin (Genève), 1769 (xxvin, 129248). — En société, l’homme a besoin d’un frein. C. i. Ce frein est l’idée de l’Être suprême, rémunérateur et vengeur, à laquelle la raison — et non la révélation — a conduit dès l’origine les hommes de bon sens. La religion appelée par cette notion est tout entière de l’ordre moral et se résume en ces mots : « Adore Dieu et sois juste. » C. i-m.

A cette notion, les peuples superposeront, à l’exception des lettrés chinois, une métaphysique absurde et des rites ridicules. C. iv-xiii. « Arabes vagabonds pendant plusieurs siècles », les Juifs n’eurent pour religion « qu’un amas confus et contradictoire des rites de leurs voisins », p. 106, jusqu’à la publication du Pentateuque par Esdras. D’où vient ce livre ? De Dieu, dit-on, par l’intermédiaire de Moïse. De Dieu ? « Mais il est étrange qu’un livre écrit par Dieu lui-même pour l’instruction du genre humain ait été si longtemps ignoré », p. 168 ; que l’immortalité de l’âme ne s’y trouve ni énoncée ni supposée, c. xx, et qu’il ait ordonné d’immoler des hommes. C. xxi. Pas une page de la Bible d’ailleurs « qui ne soit une faute contre la géographie ou contre la chronologie, ou contre toutes les lois de la nature, contre le sens commun, contre l’honneur, la pudeur, la probité ». P. 176. De Moïse ? Mais le texte seul apporte huit preuves que Moïse ne l’a pas écrit. P. 175. C’est d’ailleurs l’avis de Newton, de Leclerc, de Bolingbrocke. Moïse a-t-il même existé ? Nos Free-thinkers. d’Herbet de Cherbury à Woolston, en doutent et non sans raison. C. xxii. Peut-être n’est-il que le Bacchus dont les Arabes ont fait Misera. Et comment se fait-il que des choses, comme la création, qui intéressent toute l’humanité, « écrites par Dieu même », aienl été connues du seul Moïse « au bout de deux mille cinq cents ans » ? C. xxvii. Et comment dans la Bible inspirée n’y a-t-il pas « une page qui ne fùl un plagiat » des fables grecques ? P. 190.

Sous Hérode, les Juifs n’ayant plus a se défendre discutèrent. « On discuta sur le Messie, un libérateur qu’ils attendaient dans toutes leurs afflictions. P. L93. C’est un temps d’enthousiasme : les Juifs font des prosélytes. Alors paraît Jésus, sur lequel se taisent les vrais historiens et dont parlent seuls les évangiles qui l’exaltent et des livres hébreux qui l’insultent, tel le Toldas Irsrhul. t C’est le (ils reconnu d’un charpentier de Village, … né dans la lie du

peuple », p. 196, « un enthousiaste qui voulut se faire un nom dans la populace ». p. 197, et qui, comme Fox, nu d’un cordonnier de village, fonda une secte. Il mourut, dit on, crucifié comme blasphémateur.

Quoi qu’en ail dit « une foule de francs pensants », ]>. 201, lui attribuant la lettre des évangiles, « où ils trouvent des maximes odieuses », p. 203, il prêcha « la morale universelle ». Il n’a jamais songé à fonder une religion nouvelle et « le christianisme, tel que Rome l’a fait ». P. 203. Ce sont les disciples de Jésus, qui, rejetés par les Juifs, firent de leur secte une religion nouvelle. Pendant quatre siècles, aucune fourberie ne leur coûte ; ils inventent prophéties, miracles, martyrs, exploitent la crainte populaire de la fin du monde et l’espérance de la résurrection, empruntent au platonisme alexandrin sa métaphysique. C’est à Alexandrie que Jésus fut appelé le Verbe et que l’on fabriqua l’Évangile de Jean. C. xxxv-xxxviii. Ainsi commencèrent les dogmes chrétiens, bien différents de ceux de Jésus qui était de religion juive. C. xxxix. Plus de six cents querelles sortiront de ces dogmes inventés. C. XL. Autant Jésus fut humble, autant ses représentants le sont peut II fut un homme très doux ; or « neuf millions quatre cent soixante-huit mille huit cents personnes » furent « ou égorgées, ou noyées, ou brûlées ou pendues » en son noml P. 236. Faut-il donc abolir la religion chrétienne, son culte et ses prêtres ? Non, mais rendre ce culte moins indigne de Dieu en ne louant plus celui-ci « dans le barbare galimatias attribué au juif David », p. 241, en demandant aux prêtres de ne plus faire aux peuples que des discours de morale. P. 243.

Pour finir, une vingtaine d’axiomes : « Nulle société ne peut subsister sans justice, annonçons donc un Dieu juste. Si vous défiguriez cette probabilité consolante et terrible par des fables absurdes, vous seriez coupables envers la nature humaine. — Dieu parler ! Dieu écrire sur une montagne 1 Dieu devenir homme ! idées dignes de Punch. Voulez-vous que votre nation soit pensante et paisible ? Que la loi commande à la religion 1

34° De la paix perpétuelle par le docteur Godhearl. Traduction de M. Chambon, in-8°, s. 1. n. d. (Genève, 1769) (xxviii, 103-128). Réimprimé dans l’Évangile du jour. Mis à l’Index, le 3 décembre 1770. — La paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre est une chimère ; mais une paix perpétuelle est possible : celle de la tolérance. C. i, p. 108. C’est « des cavernes habitées par les premiers chrétiens » qu’est sorti « le monstre de l’intolérantisme ». v, p. 105. Ni Athènes ni Rome n’ont persécuté pour délit de croyance, ix et x, p. 107. Si Rome poursuivit les chrétiens, c’est pour les dangers qu’ils firent courir à l’empire, xiii, p. 110. D’un Dialogue entre un chrétien, un Juif et un sénateur, Marc-Aurèle conclut en effet : « L’empire n’a rien à craindre des Juifs, mais tout des chrétiens. » xv-xvii, p. 111-120. L’histoire du christianisme n’est que l’histoire de persécutions sanglantes autour de ses dogmes, xviii-xxiv, p. 120-125, des crimes où l’ambition a conduit les évêques de Rome. xxv. II y a « une différence infinie entre les dogmes et la vertu. Le dogme n’est nécessaire ni en aucun temps ni en aucun lieu ». xxviii, p. 127. « La vertu, c’est-à-dire l’adoration d’un Dieu et l’accomplissement de nos devoirs », l’est au contraire. Ibid. Les dogmes font du monde » un théâtre de carnage » ; la vertu fait « de l’univers un temple et des frères de tous les hommes ». Ibid. La paix perpétuelle sera donc quand on aura « détruit tous les dogmes qui divisent » et « rétabli la vérité qui les réunit ». xxxii, p. 127.

35° // faut prendre un parti ou le principe d’action. Diatribe, 1772 (xxviii, 517). — « Il ne s’agit que d’une petite bagatelle : savoir s’il y a un Dieu. » P. 518. Voltaire entend réfuter le Système de la Nature, paru en 1770. Cf. ici Holbach, t. vii, col. 21-30. « Tout est mouvement.., tout est action. Quel est le principe de cette action universelle ? Il est unique, puisque les lois

sont constantes et uniformes ; très puissant, très intelligent : cela découle de cette machine qu’il dirige ; nécessaire, puisque sans lui la machine n’existerait pas », et éternel, i et ii, p. 517-520.

Que puis-je savoir de lui ? Où est-il ? S’il anime tout, il est dans tout, « comme le mouvement est dans tout le corps d’un animal ». P. 521. Est-il infini ? Qu’importe ? Infini ou non, nous dépendons de lui. iv. Tous ses ouvrages sont éternels, puisqu’il est éternellement agissant, v, et nécessaire, bien qu’il les ait faits librement, « la liberté n’étant que le pouvoir d’agir ». vi. « Tous les êtres sont soumis aux lois éternelles », c’est-à-dire aux lois « du grand Être qui anime toute la nature », p. 524, même l’homme, viii, en qui « fait tout le principe universel d’action ». P. 526.

Mais l’âme ? C’est là un terme abstrait comme « mouvement ». x. Ou, en effet, l’homme est un dieu et alors il agit par lui-même ; ou il est « une machine, ainsi que tous les autres animaux… ayant reçu du grand Être un principe d’action que nous ne pouvons connaître », p. 530, « nécessairement, éternellement disposé par le maître ». L’animal obéit nécessairement à ce principe, mais volontairement, puisqu’il a une volonté, et librement, quand rien ne l’empêche de faire ce qu’il veut nécessairement, xii. Ainsi de l’homme. « La chaîne éternelle, comme l’a vu Leibnitz, ne peut être rompue. Un destin inévitable est la loi de toute la nature. » P. 532. L’homme n’est pas libre de vouloir, xiii. Ridicule est la liberté d’indifférence, xiv.

Le mal ? Dans les animaux d’abord ? Ici » les choses se passent de telle sorte que le grand Être est justifié chez nous de cette boucherie ou bien qu’il nous a pour complices ». P. 535. « L’animal appelé homme » compte « quelques minutes de satisfaction » pour « une longue suite de jours de douleurs ». P. 535. Des romans expliquent l’origine du mal, xvii ; mais le mot d’Épicure reste toujours : « Ou Dieu a voulu empêcher le mal et il ne l’a pas pu ; ou il l’a pu et ne l’a pas voulu ». P. 539. Que répondent les religions et les écoles ? L’athée : Puisque tout découle d’un principe nécessaire, le mal est inévitable comme le bien. Le manichéen : Il y a deux dieux, un pour le mal. Le païen : Ils ne sont pas deux, mais mille, sous un Dieu suprême. Ils auraient pu s’entendre, mais les prêtres s’en mêlèrent ; tout fut perdu ; les chrétiens se substituèrent à nous. Corrompus à leur tour, ils ont aujourd’hui besoin d’une réforme. Le Juif résume, à la Voltaire, l’histoire de l’humanité et de son peuple. Le Turc, prenant à parti le De veritate religionis chrisiianse liber de Grotius, exalte Mahomet, qui ne fit pas de miracles, à la manière de l’Évangile, « dans un village et dont on ne parle que cent ans après », ni à la manière de la Légende dorée et du cimetière Saint-Médard, et dont la religion est « sage, sévère, chaste et humaine », ainsi que tolérante. P. 547. Le déiste condamne l’athée qui, « de l’ordre admirable de l’univers ne conclut pas à une intelligence ordonnatrice », p. 548 ; le païen dont il préfère le polythéisme au culte des saints, mais qui multiplie « les êtres sans nécessité », p. 549 ; le manichéen, qui suppose inutilement un dieu du mal ; le Juif dont « les ancêtres l’ont emporté sur toutes les nations en fables, en mauvaise conduite et en barbarie ». Il loue le Turc de sa tolérance. Un citoyen demande à tous de s’entendre ; c’est une nécessité. Pour cela, qu’ils jettent au feu les livres de controverses, surtout des jésuites Garasse, Guinard, Malagrida, Patouillet, Nonotte et Paulian « le plus impertinent de tous ». P. 550.

36° Histoire de Jenni, ou le sage et l’athée, par M. Sherla. Traduit par M. Caille, in-8°, Londres (Genève). 1775 (xxi, 523). — Ce roman est dirigé contre les doctrines encyclopédistes qui étaient celles de Cou : î 4 4 1

    1. VOLTAIRE##


VOLTAIRE. PRINCIPALES ŒUVRES

3442

dorcet (Note de Condorcet dans l'édition de Kehl) et le Système de la nature.

A Barcelone, le grand Inquisiteur, pour des motifs qui n’ont rien de religieux ni de moral, veut faire brider un jeune prisonnier anglais, Jenni. Les Anglais, entrés dans la ville, délivrent Jenni et se conduisent avec modération. D’où supériorité du protestantisme. (', . i et ii. Kntre le père de Jenni, Freund, le sage, et le bachelier de Salamanque, dom Mingo y Medrosa, s'élève la controverse des mais. Sujet : l'Église romaine est-elle d’institution divine ? Ni l'Évangile, ni les Actes des Apôtres ne le disent, soutient Freund. Il faut s’en tenir a l'Évangile interprété par la raison et réduit à la morale : « Je crois avec Jésus-Christ qu’il faut aimer Dieu et son prochain, pardonner les injures et réparer ses torts. » Le bachelier s’avoue convaincu.

La seconde partie du roman est une longue discussion sur l’athéisme. Cela se passe en Amérique où vit Jenni, tombé sous l’influence d’un athée, Birton. Laissant de côté les preuves métaphysiques de l’existence de Dieu qu’a données Clarke, Freund invoque contre le Système de la nature les causes finales : Dans l’univers et dans le vivant, tout est art, harmonie voulue. P. 534. — Mais, objecte Birton : 1° Rien ne peut venir de rien : la matière est donc éternelle. — Qu’importe ? répond Freund, pourvu que vous reconnaissiez un maître de la matière et de vous. 2° Peut-on croire en Dieu en face du mal physique et du mal moral ? — Du mal physique, répond Freund, l’homme peut s’arranger et il faut voir aussi les bienfaits. Quant aux malheurs des hommes, presque tous sont de notre faute. — Birton insiste : Ou Dieu est impuissant ou il est barbare. La réponse est toujours la même : « Le mal ne saurait empêcher Dieu d’exister. Si Dieu dirige tout, il est alors responsable du mal. Sa Providence serait ridicule si elle s’exerçait à chaque moment sur chaque individu. Il est juste. Soyez donc justes. » P. 565-567. Mais, comme le dit le Bon sens d’Holbach, ne pouvait-il faire des lois générales n’entretenant pas tant de malheurs particuliers ? « Le Dieu contre lequel s’insurge d’Holbach est le Dieu des scolastiques et non le Dieu de Socrate. Et d’Holbach croit-il avoir anéanti le maître pour avoir dit qu’il a été souvent servi par des fripons ? » P. 567. En face de la nuit étoiléc qui arrache au sauvage Parouba le cri du psalmiste : « Les cieux annoncent la gloire de Dieu », Birton accepte qu’il existe un Dieu. P. 568. Mais, dit-il, s’il s’occupait de l’univers, il n’y ferait que des heureux. — Toutes les âmes honnêtes, répond Freund, sont convaincues que, si elles ne sont pas heureuses ici-bas, elles le seront un jour. La justice de Dieu le veut. Dieu peut récompenser éternellement ou punir. Et Freund précise : Je ne dis pas que Dieu vous punira à jamais ni comment ; mais « si vous avez abusé de votre liberté, il vous est impossible de prouver que Dieu soit incapable de vous en punir. Soit, dit Birton, mais je ne serai pas puni quand je ne serai plus. » Freund, l’inspirant peut-être du pari de Pascal, répond sans se prononcer : « Le. meilleur parti est d'être honnête homme, i P. 571-572.

Mois s’engage une discussion sur l’immortalité de l'âme. Tout périt, dit Birton, qui se souvient de Lucrèce. Rien ne périt, répond Freund ; tout

change Seulement. Pourquoi Dieu ne conserverait-il pas le principe qui nous fait penser et agir ? La croyance en un Dieu rémunérateur et vengeur est « le

seul frein des hommes puissants… et fie ceux qui Commettent adroitement des eiimes secrets. L’athée

et le fanatique sont les deux pôles d’un univers de confusion et de folie ». P. 673. Cf. sur les mêmes iin Die Lettrée de Memmius à Cicéron, 1771 (xxviii, 437).

37° Discours de Me Belleguier, ancien avocat. Sur le texte proposé par l’Université de Paris pour le sujet des prix de l’année 1773, in-8°, s. 1. n. d. (Genève, 1773). Réimprimé au t. x de V Évangile du jour (xxix, 7-18). — Coger, recteur de Sorbonne, avait mis au concours cette pensée : Non magis Deo quam regibus infesta est isla quæ vocatur hodie philosophia. Voltaire, qui ne lui pardonnait pas d’avoir écrit, contre le xve chapitre de Bélisaire, un Examen du Bélisaire de M. Marmontel, in-8°, Paris, 1767, s. m. d. a., poussé d’un autre côté par d’Alembert, lettre du 26 décembre 1772, lui joua le tour de traduire : Celle qu’on nomme aujourd’hui philosophie n’est pas plus ennemie de Dieu que des rois. Les véritables philosophes, soutient-il, sont en effet les défenseurs de l’idée de Dieu. Ils ne raisonnent point comme l’auteur du Système de la nature. Le cours des astres leur révèle « l'éternel géomètre, … un grain de blé… l'éternel artisan ». En eux, « l’homme moral qui cherche un point d’appui à la vertu », reconnaît la nécessité « d’un être aussi juste que suprême ». S’il y a eu tant d’athées chez les Grecs et les Romains, la faute en est aux prêtres qui rendaient la Divinité odieuse ou ridicule.

Quant aux gouvernements, « tous ont toujours avoué qu’un citoyen doit toujours être soumis aux lois de sa patrie ; qu’il faut être bon républicain à Venise et en Hollande, bon sujet à Paris et à Madrid, sans quoi ce monde serait un coupe-gorge ». Ce ne sont point des philosophes qui auraient condamné à être brûlée « cette héroïne champêtre », Jeanne d’Arc.

38° Un chrétien contre six juifs, in-8°, Londres (Amsterdam), 1777 ; et La Bible enfin expliquée par plusieurs aumôniers de S. M. L. B. D. P. (Sa Majesté le Roi de Prusse ? de Pologne ?), 2 in-8°, Londres (Genève), 1776. -- En 1769, l’abbé Guénée, cf. ici t. vi, col. 1893-1894, dans ses Lettres de quelques juifs portugais, allemands, polonais, à M. de Voltaire… in-8°, Paris, avait développé la respectueuse Apologie pour la nation juive…, in-12, Amsterdam, 1762, qu’un juif portugais, Isaæ Pinto, avait adressée à Voltaire, pour réfuter quelques-unes de ses accusations contre les juifs. A Pinto, Voltaire promit des rectifications dans une Lettre du 12 juillet 1762, de par tout le reste injurieuse et signée : Voltaire chrétien et gentilhomme ordinaire de la chambre du roi très chrétien ; puis il redoubla contre eux. Des Lettres de Guénée, il ressort que Voltaire, dans ses attaques contre les juifs est « 1° un controversiste de mauvaise foi, renouvelant éternellement des difficultés cent fois résolues », et comme si elles ne l'étaient pas ; 2° « un auteur très superficiel, réduit à copier les Tindal, les Bolingbrocke… ; 3° un écrivain sans jugement qui écrit au hasard, se contredit à chaque page ; 4° un homme… qui fait montre des plus vastes connaissances et qui est convaincu de l’ignorance la plus complète. Ignorance des langues » : du latin, « qu’il traduit comme un écolier » ; de l’hébreu, dont il parle et « qu’il ne sait même pas lire » ; du grec, qu’il écrit et traduit comme « un homme qui ne l’a jamais entendu. Ignorance des auteurs et des ouvrages, transformant un poème en un homme… Ignorance de l’histoire », confondant tout, i Ignorance des arts…, qu’il fait parade de connaître. … des usages et des coutumes des différents peuples. Préface de l'édi tion de 1781. Le livre eut du succès, quénée en donna quatre nouvelles éditions, 1771, 1772. 1776, 1781, sans parler de deux éditions BUbreptices. Vol taire se sentit touché. Lettre à d’Alembert du.s dé eembre 1776 (i.. I 18). Cette année-là il publia donc : Lc vieillard du mont C.auvasr aux juifs portugais, allemands et polonais ou Réfutation du livre intitulé : Lettres de quelques juifs, in-12. Par ce livre qui de ien

dra, en 1777, Un chrétien contre six juifs (xix, 499), il s’efforce de justifier ses accusations contre les juifs. Mais sa vraie réponse fut la Bible enfin expliquée (xxx, 1-386), composée d’une traduction plus ou moins paraphrasée qui est un travestissement, et de notes où il reproduit ses attaques antérieures. Plusieurs réfutations répondront à ce livre, entre autres : La Genèse expliquée… avec des réponses aux incrédules, 3 in-12. Paris, 1777-1778 ; V Exode expliqué, 3 in-12, 1780 ; les Psaumes, 1781, le Lévilique, 1785, par du Constant de la Molette ; L’autorité des livres de Moïse établie et défendue contre les incrédules, in-12, Paris, 1778, par du Voisin ; L’authenticité des livres du Nouveau Testament démontrée ou Réfutation de la Bible enfin expliquée par l’abbé Clémence, in-8°, Paris, 1782, et surtout, Réponses critiques à plusieurs difficultés proposées par les nouveaux incrédules sur divers endroits des Livres saints, 3 in-12, Paris, 1773, 1774, 1775 par Ballet.

39° Les dialogues d' Évhémère, in-8°, Londres (Amsterdam), 1777 (xxx, 465), et Histoire de l'établissement du christianisme (xxxi, 43). — Ces deux ouvrages résument, pour ainsi dire, la pensée religieuse de Voltaire, le premier, son déisme, le second son antichristianisme.

1. Dialogues d'Évehmère. — i. Il y a un Dieu « puissant et intelligent, nécessaire, éternel », créateur et rémunérateur. Il y a de l’art dans le monde et cet art, « la nature », mot abstrait d’ailleurs qui ne signifie rien autre que l’ensemble des êtres, ne suffit pas à l’expliquer. Que l’on n’objecte pas le mal. Dieu existe-t-il moins parce que nous souffrons ? Le mal est souvent le résultat de la nature des choses et Dieu n’est pas « extravagamment puissant », de même que ses œuvres sont nécessairement éternelles. ii. Mais ne peut-on dire que ce Dieu n’est ni assez libre, puisqu’il est lié par la nécessité, ni assez juste, puisque l’on voit « si souvent le vice triomphant et la vertu opprimée ? » Être libre, c’est faire ce que l’on veut et Dieu a certainement fait tout ce qu’il a voulu. Pour la justice, je suis en face du mystère. Y a-t-il une immortalité pour l’homme ? Y a-t-il un autre moyen de justifier la Providence ? Je ne sais. — iv et v. L’homme a-t-il une âme ? C’est encore le secret de Dieu. « Dieu m’a accordé le don du sentiment et de la pensée comme il m’a donné la faculté de digérer et de marcher. » Je ne sais rien de plus. « Le mot âme est un mot abstrait », sur lequel on ne s’entend pas et sur lequel seuls les charlatans ont des lumières.

2. L’Histoire de l'établissement du christianisme refait une fois de plus le procès des origines chrétiennes. Voltaire termine en se demandant : 1° En quoi le christianisme pouvait être utile ? Avec sa croyance à l’immortalité de l'âme, aux récompenses et aux peines éternelles, il pouvait aider l’homme à être juste. Les premiers chrétiens, « imitateurs en quelque sorte des esséniens », détestant » les temples, … les prêtres », parurent d’abord s’orienter dans cette voie. Mais bientôt ils eurent des prêtres, des temples, des dogmes et ils devinrent « calomniateurs, parjures, assassins, tyrans et bourreaux ». C. xxii. — 2° Quelle leçon morale tirer de cette Histoire ? « Après tant de querelles sanglantes pour des dogmes inintelligibles, quitter tous ces dogmes fantastiques et établir partout la tolérance. C. xxiii. Le dernier chapitre, xxvi, est un éloge du théisme. Il est le produit pur de la raison humaine. Il est « embrassé par la fleur du genre humain, c’est-à-dire par les honnêtes gens » d’une extrémité à l’autre de ce monde. « Les apparitions d’un Dieu aux hommes, les révélations d’un Dieu, les aventures d’un Dieu sur la terre, tout cela a passé de mode avec les loups-garous, les sorciers, les

possédés. » Il faut plaindre celui qui a perverti sa raison au point de croire encore à ces choses, mais s’il persécute, « il mérite d'être traité comme une bête féroce ».