Dictionnaire de théologie catholique/VOLTAIRE (François-Marie Arouet de), III. Idées

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III. Les idées de Voltaire.

Il s’agit des idées du roi Voltaire, du Voltaire de Ferney. À ce moment, elles sont arrêtées et ne varieront plus. Ni dans son esprit, ni dans ses œuvres, elles ne prennent cependant la rigueur d’un système ; elles ne se traduisent même pas en formules sereines, immuables. « Voltaire n’a jamais été un théoricien en chambre, mais un terrible sensitif, impressionnable et mobile », un propagandiste toujours en attaque. « Ce grand esprit, a dit Faguet, Dix-huitième siècle, p. 219, est un chaos d’idées claires. » Son œuvre est une cependant par son but dominant : en finir avec « l’Infâme » et faire triompher la religion naturelle. Voltaire est-il original ? Ses idées sont celles de tous les « philosophes », mais il les possède à fond et toutes et il en a fait quelque chose de très personnel.

I. CONDITIONS DE CERTITUDE D’APRÈS VOLTAIRE.

Sa théorie de la certitude est éparse dans son œuvre. Qu’est-ce qui assure une certitude légitime ? L’autorité? Non : Voltaire condamne la soumission de l’esprit à toute autorité, surtout à la Révélation. Les lumières naturelles ? Oui : « la nature donnant à chaque être la portion qui lui convient. » Le Philosophe ignorant, iv, . M’est-il nécessaire de savoir ? Les vérités ainsi atteintes s’affirment nécessaires, à. tout le moins utiles à l’homme. Vaines les recherches au de la : elles portent sur des choses qui ne sont pas nécessaires au genre humain. Ibid., xxv, Absurdités. Et la nature étant partout la même, les vérités qu’elle fait connaître sont universelles, « catholiques », disait Spinoza, c’est-à-dire acceptées par tous les esprits vraiment humains. Ibid., xxxi, y a t-il une morale ? xxxii, Utilité réelle. Dès lors les notions au sujet desquelles les hommes se contredisent n’ont aucune garantie de vérité.

Quelles sont ces lumières de la nature ? Il n’y a à parler ici ni des idées innées, cf. ibid., xxix, De Locke, ni du « cœur », au sens de Pascal, iii, au sens de Rousseau, de « l’instinct divin. » La seule source de nos connaissances est l’expérience. Traité de métaphysique, iii, Que toutes nos idées nous viennent des sens. Nature est synonyme de raison individuelle, théorique et pratique. Mais par ce mot de raison, comme tout son siècle, Voltaire n’entend plus la faculté sereine qui conçoit les idées claires ; la raison devient la faculté agressive, critique, dont Bayle a dit, Commentaire philosophique, Œuvres diverses, 1737, t. H, p. 368 : « La raison est le tribunal suprême qui juge en dernier ressort et sans appel de tout ce qui nous est proposé. » Et d’après quels principes ? Simplement, d’après ces principes de sens commun qui avaient eu cours chez les libertins de sa jeunesse et auxquels il joignait quelques principes, clairs pour tous, de la critique de Bayle, de l’empirisme de Locke, de la science de Newton, de la doctrine des Free-thinkers anglais. Dans l’ordre théorique ou du savoir, devront être rejetées comme fausses toutes les affirmations qui, en elles-mêmes ou dans leurs conséquences, ne s’accorderont pas avec ces principes. Dans l’ordre moral, devront être rejetées toutes les affirmations contraires à la conscience morale humaine. Et comme Voltaire, on va le voir, ramène la métaphysique à la morale, les seules vérités certaines, même en religion, sont celles qui font partie de la loi morale naturelle ou qui en assurent le respect. Le critérium moral joue donc le rôle prépondérant dans la détermination de la vérité. Conséquence : autonomes et antérieures aux religions, la raison et la conscience morale sont juges de la foi et de la vérité.

II. MÉTAPHYSIQUE : L’AGNOSTICISME, LE POSITIVISME ET le moralisme de voltaire. — En métaphysique, il est agnostique et positiviste. Il n’est pas exact de dire avec Faguet, op. cit., p. 232 : « Voltaire est impénétrable à l’idée qu’il peut y avoir quelque chose de mystérieux », ou avec Brunetière, Études critiques, iv, Voltaire, p. 320 : « Il n’a pas senti… que notre intelligence se heurte de toutes parts à l’inconnaissable. » On connaît sa boutade : « La métaphysique contient deux choses : la première, tout ce que les hommes de bon sens savent ; la seconde ce qu’ils ne sauront jamais. » Lettre au prince royal de Prusse, 17 avril 1737 (xxxiv, 249). Cf. Lettre du 26 novembre 1738 à M. des Alleurs (xxxv, 51 sq.). Voir aussi : Dictionnaire, art. Bien ; Bornes de l’esprit humain ; Métaphysique ; et Jenni (xxi, p. 385). Ce qui lui semble fou à la lettre, c’est la prétention d’atteindre l’absolu, de définir adéquatement Dieu, l'âme, la matière, de ramener à l’unité parfaite l’ensemble des êtres et des choses, tous leurs détails, tous leurs aspects. Les systèmes peuvent rendre l’univers intelligible, mais leurs conséquences ne coïncident pas avec les faits. Platon, Dictionnaire, art. Platon, Aristote, « un très grand et très beau génie », (ibid., art. Roger Bacon, Aristote, Cartésianisme ; XIIe Lettre philosophique, t. ii, p. 155 ; VIe Dialogue d'Évhémère ; Lettre citée, à M. des Alleurs ; Le philosophe ignorant, v), lui paraissent absurdes en métaphysique. De même Descartes : « au lieu d'étudier la nature, il voulut la deviner ». Siècle de Louis XIV, édil. cit., p. 546. Spinoza « qui bâtit son système sur l’abus le plus monstrueux de vaines abstractions », Le philosophe… xxiv ; Leibnitz, « un charlatan et le Gascon de l’Allemagne », Lettre à d’Alembert, 23 décembre 1768 (xlvi, 202) ; cf. Éléments de la philosophie de Newton, Ve partie, c. vu ; et plus que tous les autres, Malebranche. Ibid. Et « en creusant cet abîme (tout est Dieu), la tête lui a tourné ; il devint tout à fait fou ». Dictionnaire, art. Idées, sect. n ; cf. Lettre à M. L. C, décembre 1768 ; Traité de métaphysique, c. n.

Avec tout son siècle, il avoue pour maîtres, Newton, qui « marque le passage du transcendant au positif », par « l’avènement de la physique expérimentale », donc de la science positive, et Locke « qui dit : Abandonnons les hypothèses métaphysiques ; … elles n’ont jamais abouti. Contentons-nous de savoir ce que nous pouvons savoir ». Il prétend donc être, comme eux, soumis aux faits et se taire où l’expérience ne parle pas.

Il ramène d’ailleurs, on l’a vii, « autant qu’il le peut, sa métaphysique à la morale ». Lettre au prince royal de Prusse, octobre 1737 (xxxiv, 320). Les seuls problèmes métaphysiques dont il s’occupe vraiment sont ceux qui intéressent la conscience morale — et dans la mesure et le sens où ils lui paraissent l’intéresser — et qui constituent les problèmes de la religion ou morale naturelle, Dieu, l'âme, la loi morale. Peu importe, dira-t-il, de savoir si c’est la matière ou un principe distinct qui pense en nous. - Cette question est absolument étrangère à la morale. Le philosophe, xxix, De Locke.

1° Dira. Voltaire déiste. — 1. Dieu rxisle. - « Vol taire est très sérieusement déiste. Il croit fortement à l’existence d’un Être suprême et tout-puissant, architecte de l’univers. Il est resté « dans cette mode des libertins de sa jeunesse », dont lénelon disait, Lettres sur divers sujets … de religion, V, 178 : i ils se font honneur de reconnaître un Dieu créateur, dont la sagesse saute aux yeux dans ses ouvrages », et des déistes anglais, encore que, comme il a élé dit plus haut, entre leur déisme, » d’une extraordinaire affinité avec les Livres saints —, et le sien, dégagé de tout rapport avec la Révélation, il y ait bien des nuances. Contre ses con temporains athées, Voltaire, dans son Traité de métaphysique, prouve Dieu. D’abord par la contingence du monde. Il reprendra cette preuve dans la Première homélie. Sur l’athéisme, et dans le Dictionnaire, art. Dieu, sect. i ; art. Ignorance, sect. n. Ensuite par les causes finales : l’univers et chaque être sont ordonnés à une fin et cela appelle, à l’origine des choses, une intelligence puissante, non, il est vrai, un être nécessaire. Dans la suite, il traduira cette preuve qui lui tient le plus à cœur : « Tout est art » dans la nature, et il assimilera l’univers à une horloge, exigeant donc « un Dieu, éternel géomètre ». Cf. Le philosophe ignorant, xv ; l’Homélie citée ; Histoire de Jenni, c. vin ; Dialogue entre Lucrèce et Posidonius, Premier entretien ; Second dialogue d'Éuhémère sur la divinité ; Dialogue entre le Philosophe et la Nature. Pour ces preuves, il s’appuie sur Newton : « Toute la philosophie (la physique) de Newton conduit nécessairement à un Être suprême qui a tout arrangé librement. » Éléments de la philosophie de Newton, c. i. En effet, pour Newton, « le dessein ou plutôt les desseins variés à l’infini, qui éclatent dans les plus petites parties de l’univers… étaient l’ouvrage d’un artisan habile ». Éléments, ibid.

Voltaire avancera encore cette troisième preuve : la nécessité pour l’ordre social d’un Dieu rémunérateur et vengeur. Dictionnaire, art. Dieu, sect. v ; Histoire de Jenni, loc. cit., p. 573. Cette croyance est « le lien de la société, le premier fondement de la sainte équité, le frein du scélérat, l’espérance du juste. Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer ». Épîlre à l’auteur des Trois Imposteurs (x, 402). Mais, on le verra, cette preuve n’a pas de véritable valeur aux yeux de Voltaire. Il avancera aussi la preuve du consentement universel, quand il fera du déisme la source et le fond de toutes les religions positives. Il dira, Profession de foi des théistes, Introduction : Au roi de Prusse : « Il y a chez tous les peuples qui font usage de leur raison des opinions universelles qui paraissent empreintes par le maître de nos cœurs : telle est la persuasion de l’existence d’un Dieu et de sa justice miséricordieuse ». Cf. Le philosophe, xxxiii, Consentement universel est-il preuve de vérité?

2. Réfutation des objections et procès de l’athéisme. — a) Si l’on accepte, dit l’athée, la matière éternelle et douée de mouvement, nul besoin d’un premier moteur et d’un ordonnateur du monde. Cf. le Système de la nature, d’Holbach, les Principes de la nature, 1725, de Colonne, la Philosophie de la nature, 1769, par Delisle de Sales, le Code de la nature, 1755, attribué à Diderot et qui est de Morelli le fils…, tous ouvrages Indiqués par Voltaire au Second dialogue déjà cité d' Évhémère. — Réponse : Même si le mouvement est essentiel à la matière, ce qui n’est nullement prouvé, comment expliquer sans l’action d’une intelligence suprême la fixité et la régularité des infinies combinaisons du mouvement, leur obéissance à des idées directrices toujours identiques ? et surtout la sensation et l’intelligence ? Traité, c. ii, Réponse aux objections.

b) Objection du mal. Contre les causes finales. Voir plus loin.

c) Objection de Bayle, cf. ici, t. ii, col. 484-491 et t. v, col. 2074-2075, soutenue principalement au § 118 de la Continuation des pensées sur la comète. contre la nécessité pour la morale sociale de l’idée de Dieu Qu’une société d’athées pourrait subsister. Cf. Toland, Adéisidœmon. Distinguant entre la popu lace et une société de philosophes, Voltaire sou tient que. | r la première, la croyance en un Dieu

rémunérateur et ^'engeur est un frein nécessaire. Dictionnaire, art. Athéisme, sect. i ; distinguant ensuite entre athées de cour, détenteurs du pouvoir, et athées de cabinet ou de spéculation, il affirme : L’a

théisme est un monstre très pernicieux dans ceux qui gouvernent ; il l’est aussi dans les athées de cabinet, quoique leur vie soit innocente, parce que, de leur cabinet, ils peuvent percer jusqu'à ceux qui sont en place. » Ibid., sect. iv. Cf. Homélie sur l’athéisme ; Jenni, cxi. À l’article Dieu du même Dictionnaire, sect. iv et v, il s’occupe particulièrement du Système de la nature, cf. ici, t. viii, col. 21-30, où d’Holbach affirme que « l’ordre et le désordre n’existent point », puisque toutes choses sont rigoureusement nécessaires.

Conclusion de Voltaire : « Dans l’opinion qu’il y a un Dieu, il y a des difficultés ; dans l’opinion contraire, il y a des absurdités. » Traité, loc. cit. Il y a donc un Être suprême, nécessaire, éternel par conséquent, organisateur de l’univers, auteur de l’ordre des choses et donc rémunérateur et vengeur. « C’est la chose la plus vraisemblable », s’il n’y a pas certitude totale. Ibid., Conséquence nécessaire. Cf. Éléments de la philosophie de Newton ; Homélie sur l’athéisme ; Jenni.

3. Ce qu’est Dieu. Agnosticisme de Voltaire. — Pouvons-nous aller plus loin dans la connaissance de l'Être suprême ? — Non, répond Voltaire avec Descartes, mais dans des sentiments différents. « Il y a l’infini entre Dieu et nous. » Dialogue entre Lucrèce et Posidonius. Dieu est donc pour nous inaccessible et incompréhensible. Nous n’avons aucun jugement à porter sur son œuvre et son action : « Il n’appartient qu'à lui d’expliquer son ouvrage. » Bien qu’il n’y ait ni deux sagesses ni deux justices, nous ne pouvons toujours saisir la sagesse des actes divins. Probablement que l’intelligence suprême comprend toutes les vérités à la fois et que nous nous traînons à pas lents vers quelques-unes. Homélie citée.

4. Le panthéisme de Voltaire.

Certes il approuve, sinon dans son expression, du moins dans son fond, la critique que le Dictionnaire de Bayle fait de Spinoza. Lui-même reproche au philosophe hollandais d'être un athée, Le philosophe ignorant, xxiv, de taire « les desseins marqués qui se manifestent dans tous les êtres », et d’avoir « supposé le plein, quoiqu’il soit démontré en rigueur que tout mouvement est impossible dans le plein ». Ibid. et Dictionnaire, art. Dieu, sect. iii, Examen de Spinoza. Il condamne même le cartésianisme, pour avoir « conduit Spinoza et beaucoup de personnes à n’admettre d’autre Dieu que l’immensité des choses ». Éléments, c. i. Néanmoins, « répudiant tout anthropomorphisme, il tend de plus en plus à un panthéisme, où apparaît comme un souvenir de Malebranche ». G. Ascoli, op. cit., 30 avril 1925, xi, p. 160. Se demandant, en effet, si l’intelligence suprême qui préside à l’univers « est quelque chose d’absolument distinct de l’univers, comme le sculpteur l’est de la statue, ou si cette âme du monde est unie au monde et le pénètre », il se réfugie dans l’ignorance. Le philosophe, xvii. Mais se demandant dans II faut prendre un parti, iv : Où est le premier principe ? Est-il infini ? il répond : « Il est dans tout ce qui est, comme le mouvement est dans tout le corps d’un animal. Mais je ne vois aucune raison pourquoi cet Être nécessaire serait infini. Sa nature me paraît d'être partout où il y a existence ». Puis, « il n’y a pas un seul mouvement, un seul mode, une seule idée, qui ne soit l’effet immédiat de cette cause universelle toujours présente ». Tout en Dieu. Comment tout est-il action de Dieu ? Enfin, l'Être suprême, le grand Être nécessaire, apparaît lui-même soumis à des lois nécessaires : « il a tout fait nécessairement ». // faut prendre un parti, vi, Que l'Être éternel a tout arrangé volontairement.

5. Dieu est-il libre ?— En 1737-1738, dans des lettres au prince royal de Prusse, Voltaire soutient en Dieu le principe d’une liberté qui n’est plus seulement le

pouvoir d’agir, comme le veut Locke, mais le pouvoir de choisir. Dieu, disent les négateurs de sa liberté, « est forcé par une nécessité de nature à vouloir toujours le meilleur ». Cela n’est point, répond Voltaire. D’abord y a-t-il « le meilleur », antécédemment à la volonté divine. Puis cette nécessité — de vouloir toujours le meilleur — n’est en Dieu qu’une nécessité morale, donc contingente. Cette nécessité n’abolit pas plus sa liberté que la nécessité d'être présent partout. Lettre d’octobre 1737 (xxxiv, 330). Plus tard, soutenant que « la cause universelle est nécessairement agissante, … et tous ses attributs nécessaires », Tout en Dieu, Comment tout est-il action de Dieu ?, si le divin géomètre « a tout fait nécessairement », il semble bien que ce soit par une nécessité de nature. Mais revenu à cette définition que vouloir c’est pouvoir, Voltaire proclame Dieu « le plus libre des êtres », parce que « très puissant ». // faut prendre un parti, loc. cit.

Conséquences : Peut-on parler de création ? En 1734, dans son Traité de métaphysique, il ne se prononce pas entre la création ex nihilo et par libre choix de Dieu et d’autre part la création éternelle, nécessaire, qui lui semblait impliquer contradiction. Il conclut de la création : « Il nous est impossible d’en concevoir la manière, mais elle n’est pas impossible en soi ». v. Réponse à ces objections. Plus tard, il est amené par sa conception de Dieu à cette conclusion : « l’essence de l'Être éternel étant d’agir », et nécessairement, il a donc toujours agi et le monde, sans être nécessaire en lui-même, est le produit nécessaire et éternel de la puissance divine. Cf. Le philosophe, xiv ; // faut prendre un parti : v, Que tous les ouvrages de l'Être éternel sont éternels ; Lettres de Memmius, iii, vu.

Peut-on parler de Providence ? Puisqu’il croit aux causes finales, Voltaire croit à la Providence. Mais, avec sa conception de Dieu, il ne peut croire à la Providence particulière : dans le dialogue Sur la Providence (xx, 294 sq.), le philosophe dit à sœur Fessue : « La providence de Dieu serait ridicule, si, dans chaque moment, elle descendait à chaque individu » ; il ne peut prétendre retrouver tous les desseins de la Providence générale dans « la profonde géométrie avec laquelle l’univers est arrangé, le mécanisme inimitable des corps organisés, le nombre prodigieux des moyens certains qui opèrent des fins certaines ». Discours de l’empereur Julien (xxviii, 23, n. 2). Néanmoins ne peut-on objecter le mal ?

6. La Providence générale et le mal.

Le Tout est bien est une plaisanterie métaphysique. Le fait est là : le mal existe. Depuis Candide, cette question que Bayle a exposée avec tant de force a, pour ainsi dire, obsédé Voltaire. Dieu « ne pouvait-il pas, dira Birton, Jenni, c. ix, faire en sorte que ses lois générales n’entraînassent pas tant de malheurs particuliers » ? Bepoussant les explications qu’ont données du mal les philosophies et les religions, voir en particulier // faut prendre un parti, xvii sq., Voltaire ne voit qu’un refuge : l’agnosticisme. Sans doute, le mal est une nécessité des choses que la puissance divine, conditionnée elle-même par cette nécessité « et circonscrite dans sa nature », Dialogue cité d' Évelimère, n’a pu empêcher. « Il ne reste donc que d’avouer, sans comprendre, que Dieu, ayant agi pour le mieux, tout est le moins mal qu’il se pouvait. » Dictionnaire, art. Puissance (Toute-puissance) ; Bien ; Jenni, c. ix ; Lettres de Memmius, iii, vu sq.

7. Prière et miracle.

Si Dieu est tel, et « si une mathématique générale dirige toute la nature », Tout en Dieu, « la seule prière qui puisse convenir à Dieu est la soumission », Sermon des Cinquante (xxiv, 438). La prière qui demande est chose vaine, et, comme le dit Maxime de Tyr, si elle demande à Dieu de faire le contraire de ce qu’il a résolu, le sollicitant

d'être inconstant, elle lui manque de respect ; si elle lui demande une chose injuste, elle l’outrage. Dictionnaire, art. Prières.

Le miracle en général paraît en lui-même, à Voltaire, impossible et impliquant contradiction. N’est-il pas « la violation des lois mathématiques, divines, immuables, éternelles » ? Dictionnaire, art. Miracles. A tous égards, le miracle apparaît contraire à la sagesse divine. Alors que le cours régulier des choses proclame la gloire de Dieu, le miracle, à supposer qu’il fût possible, serait, de la part de l'Être suprême, l’aveu que « cette immense machine du monde », qu’il a faite aussi bonne qu’il a pu, a besoin d'être retouchée. Ibid. D’un autre côté, Dieu ne fait rien sans raison et quelle serait la raison du miracle ? Le bien de l’humanité? Mais qu’est l’humanité par rapport « aux êtres qui remplissent l’immensité » ? Autant dire que « en faveur de trois ou quatre centaines de fourmis sur un petit amas de fange », Dieu intervertira le jeu de ces ressorts immenses qui font mouvoir tout l’univers. À plus forte raison, s’il ne s’agit que de quelques-uns. « Dieu n’a aucun besoin de ce changement pour favoriser ses créatures : il a tout prévu. » Invoqué en faveur d’une religion, le miracle va contre son but : « Si je voyais un miracle, a dit un philosophe, je me ferais manichéen », ibid., ou il ne prouve rien : « Quelle religion n’a pas ses miracles ? » Dialogue entre un caloyer et un homme de bien ; cf. Sentiments de Jean Mestier, c. iii, Conformité des anciens et des nouveaux miracles. Dès lors, pour affirmer un miracle, il faut être ou la victime d’une illusion, par ignorance ou par fanatisme, comme ces témoins des miracles des convulsionnaires, « qui les avaient vus, parce qu’ils étaient venus dans l’espérance de les voir », Siècle de Louis XIV, édit. cit., p. 714, ou, et c’est, on le verra, la solution préférée de Voltaire, des imposteurs. « Une chose improbable en elle-même ne peut devenir probable par des histoires ». Questions sur les miracles. Lettre IIe, p. 375. En conséquence, pour servir de preuve, un miracle doit avoir été « bien constaté », scientifiquement dirions-nous, être certifié par d’authentiques et incontestables témoignages. La supercherie chez les thaumaturges, l’ignorance et la crédulité chez les témoins n’expliquent-elles pas la croyance aux miracles du passé? Dictionnaire, loc. cit., N’a-t-on pas vu de nos jours un magistrat remettre au roi « une liste de cinq à six cents miracles i en faveur des convulsionnaires ? » Dieu et les hommes, c. xxxvi, Fraudes innombrables des chrétiens. Il faudrait par exemple que le miracle, annoncé à l’avance, fût fait devant les académies des sciences et de médecine, dans les conditions requises d’une observation sereine. Dictionnaire, ibid. En somme, il faudrait prendre le contre-pied « de ce que l’on fait à Rome quand on canonise un saint » : cent années après au moins, on réclame les témoignages touchant les miracles du saint. De quels témoins se contente-t-on alors, de quels miracles ? Dieu et les hommes, loc. cit.

2° L'âme. — 1. Y a-t-il dans l’homme un principe spirituel et immortel ? — Dans V E pitre a (irrnonville, 1719, Voltaire espère que Dieu conserve pour lui le plus pur de notre être et n’anéantit point ce qu’il daigne éclairer » ; il a sans doute, encore, la notion traditionnelle de l’Urne. Mais dès qu’il connaît « les doutes de Locke sur l'âme spirituelle, Dictionnaire, art. Ame, scet. II, il se réfugie dans l’agnosticisme cf. XIII' Lettre philosophique, el il s’y maintiendra. Partant de ces deux faits que les animaux produisent des opérations analogues ; i celles de l'âme et qu’ainsi, entre eux et l’homme, il semble n’y avoir pas une différence radicale de nature mais une dif férence de degré ; « que la pensée n’est pas l’essence de mon entendement », puisque je ne pense pas toujours ; en face aussi de la tradition antique que l'âme est corporelle et de certains accidents physiologiques ; se refusant à imaginer « dans notre corps un petit dieu nommé âme libre », il définira l'âme « un terme vague, indéterminé, qui exprime un principe inconnu d’effets connus ». Dictionnaire, loc. cit. Jusqu’au bout, sans jamais faire profession d’un matérialisme absolu, il se demandera si l'âme n’est pas simplement une faculté attribuée par le Créateur à notre être, comme ses autres facultés. Cf. Le philosophe, c. xxix, De Locke ; Le principe d’action, xi. Examen du principe d’action appelé âme ; L’A. B. C, 2e entretien, De l'âme ; De l'âme par Soranus, Ml A (xxix, 329) ; Lettre III de Memmius, xiv, Courte revue des systèmes sur l'âme ; Traité de métaphysique, c. V, Si l’homme a une âme et ce que ce peut être.

De quelle nature est le principe de notre pensée ? Nous ne pouvons donc le savoir. Est-il immortel ? Ici encore, nous ignorons. « Que le grand Être veuille… nous continuer les mêmes dons après notre mort, qu’il puisse attacher la faculté de penser à quelque partie de nous-mêmes qui subsistera encore, ce n’est pas impossible. » Lettre citée de Memmius, xvii, De l’immortalité. Quelle vaisemblance cependant que « les hommes aient encore des idées quand ils n’auront plus de sens » ? Traité, c. vi, Si ce qu’on appelle âme est immortel. « Pour que je fusse véritablement immortel, il faudrait que je conservasse mes organes, mes membres, mes facultés. » Les tombeaux enlèvent cette espérance. Lettre de Memmius, ibid. Vraiment, pour croire les âmes immortelles, « il faudrait les voir ». Traité, loa. cit. « Je n’assure point, conclut-il, ibid., que j’aie des démonstrations contre la spiritualité et l’immortalité de l'âme, mais toutes les vraisemblances sont contre elles ».

2. Que devient alors la croyance aux récompenses et aux peines éternelles et par conséquent au Dieu rémunérateur et vengeur ? — Comment soutenir après cela qu’il y a dans une autre vie des récompenses et des châtiments ? (à vrai dire. Voltaire ne l’a jamais cru. Cf. Dictionnaire, art. Enfer ; A. B. C., 17e entretien [xxxvii, 396]) et même, « puisque la terre est couverte de scélérats heureux et d’innocents opprimés », Homélie citée, que Dieu est rémunérateur et vengeur ? Dieu est indifférent aux actions des hommes ; Voltaire l’enferme dans le gouvernement du monde suivant les lois nécessaires de sa nature et des choses. Il soutient néanmoins les deux dogmes pour leur utilité sociale. — Il dit bien que » l’on chantait publiquement sur le théâtre de Rome : Post morlem nihil… et que ces sentiments ne rendaient les hommes ni meilleurs ni pires », Dictionnaire, art. Ame, sect. ix ; néanmoins il proclame habituellement cette croyance « la plus utile au genre humain ». Jenni, c. xi. « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer », É pitre des Trois… Imposteurs (x, 403). Il semble que cette doctrine soit « un cri de la nature ». Homélie citée.

Mais alors comment Dieu pourait-il être juste ? et qu’est un Dieu qui ne peut être juste ? Voltaire se tire de la difficulté en invoquant encore une fois notre ignorance. « Je me tiens dans un respectueux silence sur les châtiments dont il punit les criminels et sur les récompenses des justes. » Dialogues d' Êvhémère. iv. Si un Dieu qui agit ne vaut pas mieux que les dieux d'Épicure. | Je ne vous dis pas …comment Dieu vous punira, car personne n’en peut rien savoir : je vous dis qu’il le peut. » Jenni, c. x.

3. L’homme est il libre ? — Même évolution dans les Idées de Voltaire sur la liberté de l’homme que sur la liberté de Dieu. Dans la correspondance avec le prince royal de Prusse, il examine cette objection

du fatalisme : « notre volonté est nécessairement déterminée par le jugement de notre entendement ; ce jugement… par la nature de nos idées, nos idées ellesmêmes ne dépendent pas de nous. » Considérant le sentiment » que rien ne peut affaiblir », car Dieu lui-même l’a mis dans notre cœur, de notre liberté, le fait que « nous avons la faculté de suspendre nos désirs et d’examiner ce qui nous semble le meilleur afin de pouvoir choisir… et le pouvoir d’agir ensuite conformément à ce choix », Voltaire, tout en refusant à l’homme la liberté d’indifférence, lui reconnaît, cette réserve faite, le libre arbitre. À cette occasion, il réfute l’objection de la prescience divine, « le plus terrible argument qu’on ait jamais apporté contre notre liberté ». La prescience de Dieu, dit-il, n’est pas la cause des choses, « mais elle est elle-même fondée sur leur existence ». La connaissance des choses par Dieu n’a aucune influence sur elles et la prescience divine n’est qu’une connaissance. Nos difficultés ici proviennent de notre ignorance. « Je ne puis concevoir l’accord de la prescience et de la liberté ; mais dois-je pour cela rejeter la liberté? » Enfin Dieu a-t-il pu créer des êtres libres ? S’il l’a pu, peut-il sans contradiction, les empêcher d'être libres ?

Or, déjà, en t749, il écrivait à Frédéric II, adversaire de la liberté : « J’ai bien peur que vous n’ayez tristement raison. » D’après le Dictionnaire, art. Francarbitre et Chaîne ou génération des événements ; le Philosophe, xiii, Suis-je libre ? ; Il faut prendre un parti, xiii, De la liberté de l’homme et du destin, la liberté n’est plus que le pouvoir d’agir : « Quand je peux faire ce que je veux, je suis libre. » Mais ma volonté est nécessitée par les motifs ; et ces motifs avec leur propre force nécessitante ne dépendent point de nous. « Tout événement présent est né du passé et est père du futur. La chaîne éternelle ne peut être ni rompue ni mêlée. La crainte d'ôter à l’homme je ne sais quelle fausse liberté, de dépouiller la vertu de son mérite et le crime de son horreur a quelquefois effrayé les âmes timides, mais … éclairées, elles sont bientôt venues à cette grande vérité que tout s’enchaîne, que tout est nécessaire. » // faut prendre un parti, loc. cit. L’homme est ainsi un fragment de l’ordre universel. Cf. Dialogue entre un brachmane et un jésuite. Sur la nécessité et l’enchaînement des choses (xxiv, 53).

4. La philosophie de l’histoire.

Étant donné cette conception de Dieu et de l’homme, il ne saurait plus être question d’un dessein particulier de la Providence réalisé par l’humanité. L’historien n’a d’autre tâche que de retrouver la chaîne ou génération des événements. Comme le principe de cet enchaînement lui échappe — comment se placerait-il au point de vue d’un Dieu dont il ne connaît pas la nature ? — l’histoire ne peut être pour lui qu’un enchaînement de hasards, c’est-à-dire de faits déterminant d’autres faits mais non prévisibles d’avance et par raison. Ces faits déterminants sont ces faits multiples, quasi impondérables parfois, qui provoquent la formation lente et l’usure des institutions, et, survenant en un milieu favorable, de petits événements et surtout de grands hommes, dont certains sont des causes historiques privilégiées. Théorie des quatre grands siècles.

Quelle impression d’ensemble laisse l’histoire du monde ? Étant donné que « l’intérêt, l’orgueil et toutes les passions » sont « dans le cœur des hommes », Essai, c. cxcvii, Résumé, l’histoire, à part certaines époques privilégiées, celles des grands hommes, c’està-dire, des hommes qui ont été vraiment utiles à l’humanité, « est une suite presque continue de crimes et de désastres ». Ibid. Où va l’humanité? S’achemine-t-elle vers le progrès ? Trois choses le

i font espérer : l’amour de l’ordre qui fait que l’humanité respecte la loi, Essai, loc. cit., le progrès de la raison qui éclaire chaque jour davantage les chefs et les sujets, et assurera la tolérance, et enfin l’action I des grands hommes. Le despote éclairé sera l’instrument de ce progrès, dans la mesure où il est possible.

La loi morale.

Les sociétés observent des lois

morales qui diffèrent d’après leur religions, leurs lois, leurs coutumes. Il n’en faut pas conclure cependant j avec Locke qu’il n’y a pas une morale, mais uniquement des morales variables. Le philosophe, xxv, Contre Locke. S' « il n’y a point de notions innées, … Dieu nous a donné à tous une raison… qui nous apprend à tous… qu’il y a un Dieu et qu’il faut être juste. » Ibid. Les hommes peuvent se tromper dans la pratique, mais chacun d’eux a l’irrécusable certitude de relever d’une loi morale universelle qui lui dicte sa conduite. « La morale uniforme en tous temps, en tous lieux, à des siècles sans fin, nous parle au nom de Dieu ». La loi naturelle, I Te partie. Indépendamment de toute religion, de toutes les lois, il y a donc le bien et le mal.

Comment se déterminent-ils ? Ce ne peut-être du point de vue de Dieu. « Point de bien ni de mal pour Dieu, ni en physique, ni en morale. » Dictionnaire, art. Bien et mal. « Il n’y a point de bien en soi et indépendamment de l’homme », pas plus que « du froid et du chaud ». Traité de métaphysique, c. ix, De la vertu et du vice. C’est donc d’après la nature humaine, « nullement viciée par un soi-disant péché originel et nullement tragique », que se déterminent le bien et le mal. Or, l’homme, quoi qu’en ait dit Rousseau, est essentiellement un être social. Traité de métaphysique, c. viii, De l’homme considéré comme être social. « Le bien et le mal moral est donc ce qui est utile ou nuisible à la société. » Traité, c. ix, De la vertu et du vice. Le bien social peut varier de pays à pays, d'époque à époque, dans le détail et dans les lois qui le fixent, le principe n’en est pas moins universel, parce que inscrit dans la nature de l’homme social. Partout, la vertu c’est la justice vivifiée par la bienveillance, autrement dit, l’habitude de respecter, avec les lois, les droits des autres, en recherchant ce qui peut leur plaire. Ibid., cf. Septième discours sur l’homme. Sur la vertu. À la base de cette morale, il y a donc la conscience sociale. La morale ainsi comprise appelle avant tout la tolérance et constitue le vrai lien social et politique.

Voltaire, à la suite de Bayle, sépare donc la morale de toute religion positive. Dieu n’a sur la morale que cette influence d’avoir fixé les caractères fondamentaux de la nature humaine d’où elle découle, et l’homme n’est tenu à l’endroit de Dieu qu'à l’obligation d’adorer en lui l’architecte de l’univers et de respecter les lois de la nature humaine. Morale, théisme, religion se confondent donc.

Conclusion : le déisme de Voltaire. Des quatre classes de déistes que distinguait Clarke, Voltaire rentre dans celle « qui admet Dieu, la Providence (générale), le caractère obligatoire de la loi morale, mais qui refuse d’admettre l’immortalité de l'âme et la vie future ».

/II. voltaire ET LE christianisme. — 1° La religion et les religions. Toutes les religions positives sont des superstitions. — Il y a dans l'œuvre de Voltaire une Histoire des religions, conforme au savoir de son temps évidemment, mais destinée à dénigrer, à travers toutes, le christianisme. Leurs dogmes à toutes dépassant les croyances de la religion naturelle, ses exigences, celles de la raison morale, elles sont « des superstitions », et « la superstition est à la religion ce que l’astrologie est à l’astronomie, la fille très folle d’une mère très sage ». Traité de la tolérance, c. xx,

S’il est utile d’entretenir le peuple dans la superstition. « Le théisme est le bon sens ; les autres religions sont le bon sens perverti. » Dictionnaire, art. Théisme. Il peut se rencontrer dans les superstitions des croyances utiles, mais, dans leur ensemble, imposant des dogmes absurdes, des cérémonies puériles ou révoltantes, provoquant des divisions, des persécutions, « elles outragent l’existence de Dieu et rendent la nôtre affreuse ». Seconde homélie. Sur la superstition. L'évolution religieuse de l’humanité fut en effet la suivante : la raison conduisit l’humanité au théisme, et les passions du théisme universel à des superstitions différentes. « Toutes les sectes sont différentes parce qu’elles viennent des hommes ; la morale est partout la même parce qu’elle vient de Dieu. » Ibid.

2° De toutes les superstitions la plus funeste est le christianisme. — C’est la conclusion de cette histoire des religions, dont il vient d'être parlé.

Bien au-dessus du christianisme est d’abord la religion chinoise. Gardant le goût des libertins de sa jeunesse pour la Chine et pour Confucius, qu’ont fait connaître le Confucius, Sinarum philosophus, 1687, les Nouveaux Mémoires sur l'état présent de la Chine, 3 in-8°, 1696-1701, du P. Lecomte, l’Histoire de l’empereur de la Chine en faveur des chrétiens, 1698, du P. de Gobien — n’admettant ni la théorie de Collins, Lettre à Dodwell sur l’immortalité de l'âme, Londres, 1709, que les Chinois sont panthéistes à la manière de Spinoza, ni cette autre, qu’accepta la Sorbonne le 18 octobre 1700, cf. Siècle de Louis XIV, c. xxix, Cérémonies chinoises, que les Chinois sont athées, Voltaire met au-dessus de toutes les autres la religion chinoise, celle des disciples de Confucius, les lettrés chinois — non celle du peuple, qui n’a pas échappé à la superstition mais qui laisse aux lettrés la direction du pays. Il fait siennes ces deux vues de Boulainvilliers, Vie de Mahomet, 1730, p. 180-181, que les Chinois, privés de la Révélation, ont néanmoins une civilisation admirable et, Réfutation des erreurs de Spinoza, 1731, p. 303, qu’ils ont une religion « fondée sur le seul devoir naturel ». Les Chinois, dit Voltaire, sont depuis deux mille ans le premier peuple de la terre dans la morale et dans la police » ; et « jamais les lettrés n’ont eu d’autre religion que l’adoration d’un Être suprême. Leur culte fut la justice ». Siècle, édit. cit., p. 739 et 743. Ils ont la religion idéale. Cf. Dictionnaire, art. Chine ; Essai sur les mœurs, c. i et ii.

L’islamisme même, bien que Voltaire fasse en définitive de M&homet « un imposteur, un hardi charlatan », du Coran « un recueil de révélations ridicules, une rapsodie », lui paraît supérieur au christianisme. S’inspirant de l’orientaliste hollandais, A. Roland, La religion des mahométans, 2 in-8°, La Haye, 1712, traduction française, 1721, et de Boulainvilliers, Vie de Mahomet, 1730, il justifie l’islamisme des accusations portées par Grotius dans le De veritate religionis christianæ liber, 1636, et il le proclame « plus sensé que le christianisme, puisqu’on n’y adorait point un Juif, qu’on n’y tombait point dans le blasphème extravagant de dire que trois dieux font un Dieu ». La religion d’Allah, « si on n’y avait pas ajouté que Mahomet est son prophète, eût été aussi belle, aussi pure que celle des lettrés chinois. C’eut été le simple théisme. Examen important, c. xxxiv, Des sectes des chrétien » Jusqu'à l’itablissemet de l’islamisme. Cf. Le dîner du comte de Boulaltwilllen, Second entretien : Dictionnaire, art. Alcoran, Arcol et Marot, Mahométans.

3° Kl dans le christianisme, le catholicisme, « L’Infâme ». Bien qu’il eût blfltné <. ; 1 1 % i 1 1 de son intolérance et qu’il ne pardonnât pas aux pasteurs de Genève leur opposition, il préfère le protestantisme

au catholicisme. « C’est peut-être celle de toutes (les religions) que j’adopterais le plus volontiers, si j'étais réduit au malheur d’entrer dans un parti », parce que, « si elle se trompe comme les autres dans le principe », la religion protestante est, comme le christianisme primitif, dégagée « des cérémonies et des dogmes » inventés par le catholicisme et que « les protestants sont partout soumis aux magistrats ». Catéchisme de l’honnête homme (xxiv, 538). Pour ces raisons et d’autres semblables, « toutes choses égales d’ailleurs, un royaume protestant doit l’emporter sur un royaume catholique ». Instruction pour le prince royal de ***, (xxvi, 442). Parmi les protestants, toute sa sympathie va aux quakers. Si certains travers les rendent ridicules, du moins, ils sont tolérants et ils donnent « un modèle étonnant de morale, de police et de charité ». Vraiment en eux revit le christianisme primitif. Dictionnaire, art. Église primitive et Quakers ; Lettres anglaises, i et n.

4° Critique du christianisme, tel que l’entend l'Église romaine. — 1. Histoire de ses origines. — a) Critique de la religion juive. — « Le christianisme est fondé sur le judaïsme. Voyons donc si le judaïsme est l’ouvrage de Dieu. » Examen important, c. i, Des livres de Moïse. Ainsi s’explique l’acharnement de Voltaire contre Israël. Cf. H. Emmerich, Dos Judentum bei Voltaire, in-8°, Berlin, 1930. S’inspirant du Traclalus theologicopoliticus de Spinoza, des Origines judaicæ dont Toland fait suivre V Adeisidœmon, du Discours sur les fondements de la religion chrétienne de Collins, in-8°, Londres, 1724, que d’Holbach traduisit, en 1768, sous ce titre : Examen des prophéties, in-12, Londres ; se souvenant de ce principe de Shaftesbury, que le ridicule est la pierre de touche des doctrines, il s’efforce de détruire les preuves qu’avancent de la vocation du peuple de Dieu les apologistes, principalement Abbadie, Traité de la vérité de la religion chrétienne, 2 in-8°, Rotterdam, 1684, t. i, m c section : Où l’on établit la vérité de la religion judaïque (cf. ici t. i, col. 7-9), et aussi Houteville, 1688-1742, La vérité de la religion chrétienne prouvée par les faits, in-4°, Paris, 1722 ; l’Anglais Sherlock, L’usage et les fins de la prophétie, traduit de l’anglais, in-8°, Amsterdam, 1729. Cf. Examen, c. vii, Les mœurs des Juifs. Aucune de ces preuves ne lui paraît résister à la critique.

a. Dernier venu entre les peuples, le peuple juif n’a aucune valeur humaine. — Avec Huet, les apologistes faisaient des Juifs les maîtres intellectuels et spirituels des autres peuples et de Moïse la source de toute la sagesse humaine dans le monde antique. En réalité, dit Voltaire, « la nation juive est des plus modernes », Essai, Introduction : Des Juifs au temps où ils commencent à être connus, et « les Juifs ont tout pris des autres nations ». Ibid. : Si les Juifs ont enseigné les autres nations. Cf. Examen important, c. v, Les Juifs ont tout pris des autres nations, et c. VI, De la Genèse. Histoire de rétablissement du christianisme, c. i, Que les Juifs et leurs livres furent longtemps ignorés des autres nations. « Le dogme de l’immortalité de l’Ame, embrassé depuis si longtemps par toutes les nations dont ils étaient environnés », leur fut « toujours inconnu. Dictionnaire, art. Moïse. Et qu’aurait donné à des peuples constitués « une horde d’Arabes vagabonds "7 Dieu et les hommes, c. xiv. Des Juifs et de leur origine. < Leurs mu’tirs étaient aussi abominables que leurs contes absurdes. » Examen, c. vu. Des mœurs des Juifs. I.a sagesse divine paraît en faute dans le rôle prêté à Dieu auprès de ce peuple. Cf. Questions de Zapata, 2 et 3.

b. MoïêC est. semble-t-il, une création tardive de l’imagination juive. - Filleau de la Chaise, dans le Discours sur les preuves des livres, le Moïse, publié

en 1672, à la suite des Pensées, affirmait : « Si Moïse a été et qu’il ait écrit le Pentateuque, la religion judaïque est véritable et Jésus-Christ est le Messie. » Or, riposte Voltaire, « tout est si prodigieux en Moïse qu’il paraît un personnage fantastique, … notre enchanteur Merlin ». Examen important…, c. ii, De la personne de Moïse. Loin que, comme le veut Huet, d’après lui aient été créés Bacchus, Osiris, Tryphon, c’est lui qui l’a été d’après eux. Dictionnaire, art. Moïse, c. i ; Examen, loc. cit. ; Dieu.et les hommes, c. xxiii, Si Moïse a existé et c. xxiv, Si l’histoire de Moïse est tirée de celle de Bacchus.

c. En tout cas, Moïse n’est pas l’auteur du Pentateuque, fondement, grâce à la Genèse surtout, de la religion juive, Dieu et les hommes, c. xxvii, De la cosmogonie de Moïse, et de la foi chrétienne. Troisième homélie. L’Ancien Testament. Laissant de côté les théories moins radicales de Richard Simon, de Leclerc et d’Astruc, il fait sienne la thèse de Spinoza : des désignations de localités, des allusions historiques ou géographiques, des raisons matérielles rendent impossible l’attribution du Pentateuque à Moïse. Examen, c. iv, Qui est l’auteur du Pentateuque ? Dieu et les hommes, c. xxii, Que Moïse ne peut avoir écrit le Pentateuque ; Dictionnaire, art. Moïse, sect. n et m.

d. Et les livres de l’Ancien Testament ne viennent pas de Dieu. — La Bible, avait dit Abbadie, op. cit., p. 202-205, a d’incontestables caractères de divinité ; entre autres, « on y trouve les doutes de la raison éclaircis et les mouvements de la conscience satisfaits ». La Bible, répond Voltaire, « ce tissu de meurtres, de vols, d’assassinats, d’incestes, de massacres », cette rapsodie de contes invraisemblables pillés chez les voisins, ce livre « sans raison et sans pudeur », qui ne donne même pas « à un peuple de voleurs » le frein de l’immortalité, offense à chacune de ses pages la conscience morale universelle et la raison universelle qui viennent de Dieu. Sermon des Cinquante, 1 effet 2e point ; Examen, c. iii, De la divinité attribuée aux livres juifs ; La Bible enfin expliquée ; Les Questions de Zapata, 10-44.

e. Ce que valent et prouvent les prophéties et les miracles de l’Ancien Testament. — La Bible, disait encore Abbadie, est divine parce qu’elle renferme des prophéties et que les prophéties accomplies ne peuvent être contestées. Se souvenant de l’Histoire des oracles de Fontenelle, Voltaire explique : « Les prophéties n’ont jamais été réalisées dans leur sens clair. Pour leur trouver un accomplissement, il a fallu leur inventer un sens spirituel ou allégorique, « sens imaginaire et subterfuge des interprètes ». Sentiments de Jean Mestier, c. iv, Prétendues visions et révélations divines, et c. v, § vii, Du Nouveau Testament. Ces prophéties d’ailleurs ne sauraient venir de Dieu, tant elles offensent la conscience morale et la raison, vrais juges de la vérité. Elles « font parler Dieu d’une manière dont un crocheteur n’oserait parler et annoncent l’avenir en d’ignobles mises en scène ». Ibid. « Dieu n’a pu ordonner à un prophète d'être débauché et adultère. » Quatrième homélie, De l’Ancien Testament. « Les prophètes juifs ont été aux yeux de la raison les plus insensés de tous les hommes. » Dieu et les hommes, c. xxxiii, De la morale de Jésus. Et il rapproche les prophètes d’Israël de ces exaltés des Cévennes, qui, à la fin de 1706, étonnèrent Londres par leurs crises prophétiques et furent tournés en dérision par Shaftesbury, Lettres sur l’enthousiasme, et de ce Jurieu qui, en 1686, dans son Accomplissement des prophéties, 2 in-8°, Rotterdam, annonçait aux réformés persécutés qu’en 1689 ils rentreraient dans leurs foyers, la France ayant rompu avec le pape, puis reporta l'événement en 1690,

le tout garanti par l' Apocalypse. Dictionnaire, art. Prophètes et Prophéties, sect. n.

Quant aux miracles de l’Exode, du livre de Josué, … s’appuyant sur Boulanger, Recherches sur l’origine du despotisme oriental, 1761, et L’antiquité dévoilée (remanié par d’Holbach), sur P’réret (Lévesque de Burigny), Examen critique, 1766, sur Bolingbrocke (luimême), sur Collins, Woolston…, dans sa Bible enfin expliquée, il soutient qu’ils sont des phénomènes naturels ou des imitations de la fable et des absurdités. La sagesse divine ne pouvait d’ailleurs faire de miracles en faveur d’un tel peuple. Examen important, c. vii, Des mœurs des Juifs ; Questions de Zapata, 3e ; cf. Dictionnaire, art. Miracles, sect. m ; Questions sur les miracles, Première lettre, loc. cit., p. 363 ; Sermon des Cinquante, Deuxième point.

b) Critique directe du christianisme, œuvre humaine et des moins bonnes. — a. Les documents sur lesquels il s’appuie, évangiles et Nouveau Testament, sont des œuvres d’imposture. — Ces livres, « digne suite » de l’Ancien Testament, Sermon des Cinquante, Deuxième point, font partie de ces innombrables documents supposés, créés par l’enthousiasme des premiers chrétiens et leur volonté de propagande. Examen important, c. xix, Des falsifications et des livres supposés ; Dieu et les hommes, c. xxxvi, Fraudes innombrables des chrétiens. Derniers parus sur cinquante à tout le moins, les évangiles canoniques ne méritent pas plus de créance que les autres, proclamés apocryphes. Ils n’ont ni authenticité : « ils ne furent écrits que longtemps après les auteurs dont ils portent le nom » ; ni autorité : ils viennent « de faussaires ignorants » ; ni intégrité. Dieu et les hommes, c. xxxvi, Fraudes innombrables ; Sentiments de Jean Mestier, c. i. Ils fourmillent de contradictions, Sentiments, ibid., d’erreurs chronologiques, d’erreurs historiques, comme le recensement de Cyrinius, Examen, c. vi, Les Évangiles, de fausses prophéties, Dieu et les hommes, loc. cit., de faits invraisemblables, Questions de Zapata, 53-59, de prodiges imités de la fable, Sentiments de Jean Mestier, c. ii, De la conformité des anciens et des nouveaux miracles, sans parler i de la bassesse et de la grossièreté du style et du défaut d’ordre ». Ibid., c. i.

b. Le Christ de l’histoire n’a rien de transcendant. — « Tout ce qu’on conte de Jésus est digne de l’Ancien Testament et de Bedlam. » Examen, c. x, De la personne de Jésus. Il fut un Juif et de la lie du peuple, …le fils reconnu d’un charpentier de village, un paysan grossier de la Judée, plus éveillé sans doute. Comme Jésus attaquait les prêtres, « ceux-ci contraignirent Pilate à le faire pendre ». Examen, loc. cit., et c. xi, Ce qu’il faut penser de Jésus.

Le Christ ne fut pas le fondateur du christianisme, mais un théiste. Il fut un « de ces gens de la lie du peuple qui firent les prophètes chez les Juifs pour se distinguer de la populace et celui qui a fait le plus de bruit ». Sermon des Cinquante : « Il faisait peu de cas des superstitions judaïques. Théiste israélite, comme Socrate fut un théiste athénien, …il n’institua rien qui eût le moindre rapport avec le dogme chrétien ; il ne prononça jamais le nom de chrétien. Les théistes seuls sont de sa religion. » Profession de foi des théistes. « Le christianisme du temps de Constantin est plus éloigné de Jésus que de Zoroastre. » Dieu et les hommes,

C. XXXIII.

Le christianisme a été commencé par les disciples de Jésus. Très attachés à leur maître et « ulcérés de son supplice », ses disciples imaginèrent, par enthousiasme, de le dire ressuscité, imposture qui prit sur la populace. Établissement du christianisme, c. vi, Des disciples de Jésus. L’influence première revient à ce Saul « au grand nez et au front chauve », qui, non

sur une apparition du Christ — « il n’y eut jamais de légende plus fanatique, plus digne d’horreur et de mépris que celle-là » — mais « par fureur de domination, se joignit à la secte 'naissante ». Tous cependant n'étaient encore que des Juifs. Examen, c.xii, De l'établissement de la secte chrétienne et particulièrement de Paul ; Dictionnaire, art. Paul.

c. Le christianisme a pris consistance et forme sous l’action de forces naturelles, dont certaines réprouvées par la conscience morale. — Doctrinalement. Voltaire, contre Huet, Houteville, … accepte la thèse de l’origine platonicienne du dogme chrétien, de la Trinité en particulier, par l’intermédiaire des Juifs d’Alexandrie, principalement de Philon : « La philosophie de Platon, dit-il, fit le christianisme. » Établissement du christianisme, c. ix, Des Juifs d' Alexandrie et du Verbe. Socialement. Le christianisme se propage et s’organise sous l’action de faux documents, dont les évangiles, qui rendent les premiers chrétiens, quoi qu’en disent « Grotius, Abbadie, Houteville, … imposteurs et superstitieux, … donc méprisables » (Questions sur les miracles. Première lettre, et Examen, c. xx, Des principales impostures des premiers chrétiens), sous l’action aussi de la croyance à la fin du monde toute prochaine, Établissement du christianisme, c. x, et de cinq autres causes principales : l’attrait de la liberté des élus de Dieu, qui donnait aux chrétiens une mentalité de rebelles ; la puissance de l’or : exclus des charges publiques qui exigeaient que l’on sacrifiât aux dieux, les chrétiens s’adonnaient au négoce » ; la paix dont ils jouirent tant qu’ils ne troublaient pas l’ordre public ; la conscience de leur système doctrinal ; enfin l’abolition des sacrifices, choses rebutantes et prêtant à des abus sacerdotaux, pour des pratiques religieuses fraternelles. Ibid., c. xiii, Des progrès de l’association chrétienne. Il ajoute, Épitre aux Romains, loc. cit., p. 93, les déclamations contre les riches et la communauté des biens. Dans la suite les empereurs assureront le triomphe du christianisme. Essai sur les mœurs, c. viii, ix, x.

2. Vanité des soi-disant motifs de crédibilité. Si une religion est divine, dit Mestier, il faut qu’elle puisse « le faire voir par des preuves claires ». Or, le christianisme « n’est qu’une source fatale de divisions parmi les hommes ». Sentiments, c. i. Puisque ces preuves ne réalisent pas l’unité autour d’elles, elles sont vaines : « Nos christicoles, continue Mestier, prétendent cependant que ce serait « une témérité et une folie de ne pas vouloir se rendre » à leurs motifs de. crédibilité et ils en invoquent quatre : les prophéties, la sainteté de la morale chrétienne, le témoignage des saints martyrs et surtout les miracles. » Ibid.

Un fait, a d’abord posé Mestier, annule ces preuves : c’est que toutes les religions les invoquent. H les examine néanmoins.

a) Les miracles irrecevables. — Des choses comme les miracles, » improbables.. puisque « la nature s’y dément ». ne peuvent être acceptes, surtout lorsque « le salut du genre humain » est en question, que sur d’irrécusables témoignages. Questions sur les miracles. Deuxième lettre, p. 375. Or » il y aurait plus de raisons de croire aux miracles d’Apollonius racontés par Philostrate », un homme cultivé, écrivant pour une impératrice non moins cultivée, qu’aux miracles de .Jésus, racontés par des ignorants, gens de la lie du peuple ». Sentiments dr Mestirr. lor. cit. ; cf. Questions sur 1rs miracles, lor. rit. et Lettre première. Certains

d’ailleurs sont si Invraisemblables ceux <iu tiyuier desséché, des deux mille cochons qu’on a du en faire les symbole ! de quelque vérité morale. Questions sur les miracles. Lettre première, p. 363 : Des miracles typiques. Les miracles des apôtres n’ont pas plus d’authenticité ; comme ceux de l'évangile, ils parais

sent inutiles : l’humanité n'étant pas devenue meilleure par le christianisme, et quelques-uns révoltent la raison et parfois, comme celui d’Ananie et de Saphire, la conscience morale. Ibid., Des miracles des apôtres. Enfin les miracles postérieurs sont « des balivernes », des fables inventées, à l’imitation des anciens. Mestier, c. n et iii, Conformité des anciens et des nouveaux miracles. On a d’ailleurs une idée de ce qu’ils sont par les miracles des convulsionnaires, Siècle de Louis XIV, loc. cit., ou des prophètes des Cévennes. Dieu et les hommes, c. xxxvi, Fraudes innombrables.

b) Les prophéties du Nouveau-Testament, « imposture et bêtise du fanatisme », comme ceux de l’Ancien. Examen important, c. xvi, Des fausses prédictions. Elles ne se sont pas réalisées, témoin la prophétie de la fin du monde, ibid. et c. xvii, De la fin du monde, la promesse que la foi transportera les montagnes, Sentiments de Mestier, c. v, § ii, Du Nouveau Testament. Cf. Questions sur les miracles, 12e lettre, l’expérience de la comtesse, loc. cit., p. 415-416.

Quant à la concordance entre les prophéties de l’Ancien Testament et la personne de Jésus-Christ, qui fait dire à Pascal : « La plus grande des preuves de Jésus-Christ sont les prophéties », fr. 706, Voltaire ne l’accepte pas. Ou les prophéties en question sont des faux inventés tout exprès, Examen important, c. xvi, Des fausses citations dans les évangiles ; — ou on les détourne de leur sens : il s’en prend spécialement à la prophétie d’Isaïe sur la Vierge qui enfante, comme l’avait fait déjà Collins, op. cit., p. 40 sq. ; cf. Dictionnaire, art. Prophéties, sect. m ; — ou bien on leur prête, avec ce Pascal qui voit dans tout l’Ancien Testament « deux sens », fr. 678, un littéral et charnel et un spirituel qui concerne le Messie, « un sens caché », fr. 571. Déjà, dans la 25e des Lettres philosophiques, Rem. xii et xvi, toc. cit., t. ii, p. 197-198, 200-201, Voltaire s'était élevé contre cette théorie. « Celui qui donne deux sens à ses paroles veut tromper les hommes ». Et cela est indigne de Dieu. Ibid., p. 200. Cf. Sentiments de Mestier, c. v, § n déjà cité ; Examen, c. xviii. Des allégories.

c) La sainteté de sa morale ? « Leur morale (des christicoles), dit Mestier, elle est la même au fond que dans toutes les religions, mais des dogmes cruels en sont nés et ont enseigné la persécution et le trouble. » Sentiments, c. vi. Les erreurs de la morale. Pour Vol taire, Jésus a enseigné la morale universelle ; il a dit : « Aimez Dieu et votre prochain. » Dictionnaire, art. Morale. Mais autre est la morale des chrétiens. Ils l’ont rendue dépendante de leurs dogmes — d’où ils ont conclu : « Les chrétiens ont une morale, les païens n’en avaient pas. » Lebeau, Histoire du Bas Empire, cité par Voltaire, ibid. Voltaire répond que la morale est séparée « des superstitions » et que les païens comme Socrate et autres ont pratiqué la morale éter nelle, la seule vraie. Les chrétiens ont abouti à l’intolérance qui a rendu le christianisme anti-social. Cf. Dieu et les hommes, c. XXII, De Jésus et des crimes commis en son nom : Dialogue entre un prêtre et un ministre protestant (xxiv. 134). « Jésus n’est pas chrétien. Dieu cl les hommes, c. xxxill. De la morale de Jésus. Ainsi se sont introduits dans sa morale des préceptes qui la corrompent, l’opposent à l’amour du prochain. ibid., et Diner de linulainvillicrs. I" entretien, cou (luisent au fanatisme ou à l’absurdité, ibid., 2 r entretien, et avilissant l’Ame font mourir les corps de faim ». Dieu et les hommes, lor. cil. « La silreté du pardon » par la confession « aplanit d’ailleurs toutes les voies de l’iniquité ». Dtner de Boulalnvilliers,

ntretlen.

d) l.e témoignage des martyre. ».le ne crois que les

histoires dont les témoins se feraient égorger ». a

dit Pascal, Pensées, fr. 593. Voltaire anéantit ainsi cette preuve : Les récits des martyrs sont des contes « qui font pitié », Examen important, c. xxvi, Des martyrs ; Etablissement du christianisme, c.xii, Martyrs supposés ; il n’y eut jamais d’ailleurs de ces grandes persécutions qu’ont affirmées les historiens chrétiens : ces violences n'étaient point dans les traditions de l’empire. Qu’il y ait eu des chrétiens, des chrétiennes même, frappés de peines et de peines sévères, qui s’en étonnerait, en considérant les gestes de leur fanatisme, leur prétention d'être les seuls représentants de la vraie religion et de détruire toutes les autres et leur esprit de sédition. Cf. Dictionnaire, art. Martyrs et Église : Des martyrs de l'Église ; Essai sur les mœurs, c. viii.

3. Reproches que mérite le catholicisme.

Il n’y a pas à distinguer ici entre jansénisme et catholicisme orthodoxe. Si Voltaire donne parfois des croyances catholiques la formule janséniste parce qu’elle les rend plus odieuses, c’est bien au catholicisme purement et simplement qu’il en veut. II lui reproche :

a) L’absurdité de ses dogmes, « l'édifice le plus monstrueux qui ait jamais déshonoré la raison ». Examen important, c. xxv, D’Origène à la Trinité. Les dogmes, « un galimatias », ne viennent pas de JésusChrist, Dieu et les hommes, c. xxxix, Des dogmes chrétiens absolument différents de ceux de Jésus ; ils sont nés de l’imagination des Pères travaillés par le platonisme. Examen important, toc. cit. ; cf. la critique faite par Mestier des dogmes de la Trinité et de l’incarnation, Sentiments, c. vi, Des erreurs de la doctrine ; et l’exposé ridicule de l’incarnation, Dialogue entre l’empereur de la Chine et frère Rigolet. Le dogme de l’eucharistie est « un excès de bêtise et d’aliénation d’esprit ». Profession de foi des théistes, Des superstitions. « C’est la plus ridicule et la plus monstrueuse idolâtrie. » Le dîner de Boulainuilliers, 2e entretien. Cf. le Dialogue cité plus haut et Cinquième homélie sur la communion. Il poursuivit de ses sarcasmes la bulle Unigenitus, en qui il ne montre qu’une intrigue de jésuites et un intérêt politique. Cf. Dictionnaire, art. Bulle.

b) L'Église antisociale. Son rôle social condamné par la conscience morale. — Pascal donnait, comme preuve du christianisme, la sainteté, la hauteur, l’humilité d’une âme chrétienne, en d’autres termes, les bienfaits de la foi dans les âmes. Mais l’orientation de la morale depuis le début du siècle et ces paradoxes de Bayle : « l’inutilité des croyances est prouvée par l’expérience, le croyant ne se montrant pas moralement supérieur à l’athée » ; d’autre part, des paradoxes comme ceux-ci : « le christianisme selon Jésus désarme les fidèles, selon l'Église les rend féroces, donc impropres à la vie sociale en l’un et l’autre cas » avaient amené les apologistes à vanter les bienfaits sociaux de leur foi. Cet argument, Voltaire le leur enlève.

Certes, que la religion joue un rôle social, il ne le nie pas, s’opposant à Bayle ; que le catholicisme, en qui, la plupart du temps, il résume le christianisme, soit utile à la société, il le nie et il s’efforce de prouver qu’il lui fut, et combien 1 funeste. Les papes, après avoir établi leur autorité temporelle, l’ont justifiée par une série de fausses donations, Dictionnaire, art. Donations ; Essai sur les mœurs, c. xiii, Origine de la puissance des papes, Prétendues donations au Saint-Siège ; tout comme leur pouvoir spirituel par un jeu de mots : Tu es Pierre, et par ce mensonge que Simon Barjone est mort évêque de Borne, Dictionnaire, art. Pierre (saint) ; Rome (cour de) ; cf. Conseils raisonnables à M. Bergier, c. xvii (xxviii, 44), et encore par les Fausses Décrétales (xxvii, 96 sq.) et Épître aux Romains, art. viii, les neuf impostures prin I cipales sur lesquelles repose l’autorité de l'Église romaine. « À la faveur des divisions des princes et de l’ignorance des peuples », Examen important, c. xxxii, I Des usurpations papales, les papes n’ont cherché qu'à satisfaire leur ambition en dominant les souverains, provoquant ainsi les luttes du Sacerdoce et de l’Empire, Dictionnaire, art. Pierre (saint), leur avidité, j en exigeant d’eux les sommes nécessaires à leur vie j de plaisir et de luxe. Examen, loc. cit. En même temps,

leur intolérance et les querelles théologiques — il y en

i eut » plus de six cents » — entretenaient parmi les peuples des troubles et des guerres « plus destructrices que les inondations des Huns, des Gots, des Vandales », Établissement du christianisme, c. xxii, ainsi que les ambitions rivales des chefs religieux : « quarante schismes ont profané la chaire de saint Pierre et vingt-sept l’ont ensanglantée ». Dictionnaire, loc. cit. Et quelle intolérance sanglante ! Sans qu’ils aient cru « ces odieuses chimères qui ont mis les chrétiens au-dessous des brutes » Examen important, c. xxxviii, Excès de l'Église romaine (xxvi, 298), « ces monstres », ibid., ont fait périr dans les supplices des millions d’hommes, parce que ces hommes ne pensaient pas comme eux. Dieu et les hommes, c. xlii, De Jésus et des meurtres commis en son nom. « Depuis le concile de Nicée jusqu'à la sédition des Cévennes, il ne s’est pas écoulé une seule année où le christianisme n’ait versé le sang. » Dîner de Boulainuilliers, 2e entretien (xxvi, 548). « Cet enfer sur la terre a duré quinze siècles. » Établissement du christianisme, c. xxii, En quoi le christianisme pouvait être utile. Cf. Conseils raisonnables…, v, loc. cit., p. 88. « Joignez, dit Mestier, Sentiments, c. vi, Des erreurs (xxiv, 336), aux hommes… égorgés, ces multitudes de moines et de nonnes devenues stériles par leur état. Voyez combien de créatures sont perdues et vous verrez que la religion chrétienne a fait périr la moitié du genre humain. » Cf. Dictionnaire, art. Vœux : « Tous les moines ont fait vœu de vivre à nos dépens, d'être un fardeau à leur patrie, de nuire à la population, de trahir leurs contemporains et la postérité. » Et Dîner de Boulainuilliers, 3e entretien, loc. cit., p. 537 : « Les moines sont des forçats volontaires qui se battent en ramant ensemble. » Cf. Remarques de l’Essai sur les mœurs, xi et Fragment des instructions pour le prince royal de *** (xxvi, 441).

Conclusion : Rien ne justifie la foi et tout la condamne : 1° En elle-même, elle ne rentre pas dans nos moyens légitimes de connaître, Dictionnaire, art. Foi, sect. ii ; et « une créance aveugle est un principe d’erreurs et de mensonges ». Mestier, Deuxième preuve (xxiv, 299) ; 2° Dans son objet, « elle ne sert, suivant le mot de Bayle, qu'à ruiner le peu de bon sens que nous avons reçu de la nature ». L’on croit, en effet, des choses contradictoires et impossibles, Dictionnaire, ibid. ; 3° Les motifs de crédibilité invoqués se retournent contre elle ; 4° Ses conséquences sont funestes. On ne peut proposer le christianisme sans imposture ni l’accepter sans sottice.

IV. IDÉES CONSTRUCTIVES DE VOLTAIRE, LA SOCIÉTÉ A RÉALISER DANS L’ORDRE RELIGIEUX ET MORAL. —

S’il n’y a pas une forme immuable de la société idéale, le bien étant relatif, cf. Dictionnaire, art. Bien, souuerain bien ; Chimère, sect. i, il y a cependant des principes immuables d’après lesquels toute société doit se constituer pour assurer le bonheur de ses membres. Ces principes sont les lumières de la raison, de la nature et de l’histoire, autrement dit de l’expérience.

1° Sa religion. Il faut acheminer la société uers le théisme, religion idéale. — « Une nation… a besoin de l’adoration d’un Dieu. » Toutes l’ont senti : « Il n’y a jamais eu une nation qui n’ait reconnu de divinité. » Dieu et les hommes, c. iii, Un Dieu chez toutes les nations civilisées, p. 134. Mais la seule religion qui réponde à ce rôle social, c’est le théisme. Avec sa maxime si simple : « Mortels, il y a un Dieu juste, soyez justes », ibid., c. ii, Remède…, il joue son rôle de frein et de consolation, sans diviser jamais. Expression de la raison universelle, comme le prouvent : son antiquité : il fut la religion des premiers hommes ; son universalité : il fut le fond de toutes les religions, Profession de foi des théistes (xxvi, 56) ; ses tenants : il est la religion des sages antiques, Dieu et les hommes, loc. cit., p. 133. Et, comme il n’impose pas de ces dogmes qui divisent, parce qu’ils viennent des hommes, Instructions pour le prince royal de ***, iii (xxvi, 444), « il est aussi impossible que cette religion pure et éternelle produise du mal, qu’il était impossible que le fanatisme chrétien n’en fît pas ». Examen important. Conclusion, loc. cit., p. 298. Cf. Dictionnaire, article Religion, section i.

En attendant, il faut garder le christianisme, mais le soumettre à l’État et faire du clergé un corps de fonctionnaires salariés. — Le déisme compte en Europe « les hommes qui pensent », Dîner de Boulainvilliers, Pensées détachées (xxvi, 560), et jusqu’à des rois, Profession de foi (xxvii, 55) ; mais la masse, « la canaille », Dîner…, loc. cit., reste dans la superstition. « Les hommes ne s’éclairant que par degrés », L’A. B. C., Dixième entretien : Sur la religion (xxvii, 367), et « la religion n’étant instituée que pour maintenir les hommes dans l’ordre », Dictionnaire, art. Droit canonique, « il y aurait du danger et peu de raison à vouloir faire tout d’un coup du christianisme ce que l’Angleterre a fait du papisme ». Examen…, loc. cit., p. 299. Il faut donc le laisser vivre mais le soumettre au régime qu’imposent d’une part les évidences de la raison et d’autre part les méfaits historiques dont il s’est rendu responsable. « S’il est deux autorités suprêmes, il en résultera des guerres civiles, … l’anarchie, … malheurs dont l’histoire nous présente l’affreux tableau. » Dictionnaire, art. Droit canonique. « L’allégorie des deux glaives est le dogme de la discorde. » Ibid., art. Lois, sect. ii. « Religion dangereuse, celle qui se dirait indépendante ; elle serait nécessairement aux prises avec les magistrats et les souverains. » Idées de la Mothe le Vayer, ii (xxiii, 489). Si l’Église domine, c’est le règne de la superstition et de l’intolérance sanglante. « Le plus absurde despotisme est celui des prêtres, et le plus criminel est sans contredit celui des prêtres de la religion chrétienne. » Idées républicaines, v (xxiv, 414). Cf. Dictionnaire, art. Bulle. Mais, « selon la raison, selon les droits des peuples et des rois, dans une religion, … tout ce qui intéresse l’ordre civil doit être soumis à l’autorité du prince et à l’inspection des magistrats ». Dictionnaire, art. Droit canonique… C’est insulter la raison de prononcer ces mots : « gouvernement civil » et « gouvernement ecclésiastique ». Il faut dire : « gouvernement civil » et « règlements ecclésiastiques », et aucun de ces règlements ne doit être fait que par la puissance civile, Idées républicaines, xii, loc. cit., p. 415. « Toute monarchie, toute république n’a que Dieu pour maître : c’est le droit naturel. » Cri des nations (xxvii, 570). « Toute religion, en effet, est dans l’État, … et, s’il en était une qui établît quelque indépendance en faveur des ecclésiastiques, en les soustrayant à l’autorité souveraine et légitime, cette religion ne saurait venir de Dieu, auteur de la société. » Dictionnaire, loc. cit. ; cf. ibid., art. Prêtres : « De toutes les religions celle qui exclut le plus positivement les prêtres de toute autorité civile, c’est sans contredit celle de Jésus… Les querelles du Sacerdoce et de l’Empire n’ont donc été, de la part des prêtres, que des rébellions contre Dieu et les hommes et un péché continuel contre le Saint-Esprit. »

Conséquences : 1. L’Église n’a d’autorité que sur les âmes et uniquement pour les choses spirituelles, ibid., sect. i, mais dans ce domaine encore le souverain a des droits. « S’il n’est point le juge de la vérité du dogme », il a le droit d’en connaître, « soit quant à la nature de la doctrine, si elle avait quelque chose de contraire au bien public, soit quant à la manière de la proposer ». Ibid., sect. v, De l’inspection du dogme. Il a de même le droit de surveiller l’enseignement religieux et les formulaires de prières, ibid., sect. iii, Des assemblées ecclésiastiques ou religieuses ; de s’opposer à la publication des bulles, « toute bulle étant un attentat à la dignité de la couronne et à la liberté de la nation », Dîner de Boulainvilliers, Pensées détachées (xxvi, 560) ; à celle des canons des conciles, « les droits des pontifes de Rome n’étant à cet égard que conventionnels ». Dictionnaire, loc. cit.

2. Aucune assemblée religieuse ne peut se tenir sans son autorisation, pas même les conciles nationaux qui ne peuvent d’ailleurs délibérer que sous la direction de ses commissaires et dont il doit approuver les canons. Ibid. « C’est au magistrat encore à maintenir la discipline » nécessaire à l’Église et « à y porter les changements que le temps et les circonstances peuvent exiger ». Ibid. Il doit donc surveiller l’administration des sacrements, ne pas tolérer que le pasteur « de son autorité privée » refuse publiquement l’eucharistie, mette des conditions d’intolérance à l’extrême-onction et à l’inhumation. Il a le droit d’empêcher la collation des ordres sans fonctions, de séculariser le mariage, le mariage avec tous ses effets naturels ou civils étant indépendant des cérémonies religieuses et ces cérémonies n’étant devenues nécessaires dans l’ordre civil que parce que le magistrat les a adoptées. » Ibid., sect. vi.

3. « Le royaume de Jésus-Christ n’étant point de ce monde, … les ecclésiastiques ne peuvent tenir de lui ni autorité, ni juridiction ; ils ne peuvent tenir quelque juridiction que d’un souverain, sans doute imprudent, mais qui doit surveiller l’usage qu’ils en font. L’histoire de l’Église est sous un certain aspect l’histoire des attentats risqués par elle contre l’autorité des souverains. Ibid., sect. vii, Juridiction des ecclésiastiques. L’Église ne peut donc porter que des peines spirituelles. L’excommunication par elle-même ne peut priver sa victime de ses droits « d’homme et de « citoyen » ; elle ne peut donc priver de ses droits un souverain — qu’il serait d’ailleurs « monstrueux » d’avilir ainsi, vu sa fonction sociale. L’excommunication ne peut même avoir ses effets spirituels que si elle respecte les formes dans lesquelles le magistrat a jugé bon qu’elle soit portée. » Ibid., sect. iv. Des peines ecclésiastiques.

4. Pour la même raison, l’Église n’a pas davantage par elle-même, et de droit divin, le droit de posséder. Elle ne peut posséder que « du consentement du souverain ». Ses biens ne sont « ni sacrés, ni intangibles ». Ils n’ont d’autre garantie que la loi civile et cette garantie peut leur être retirée pour leur sécularisa tion. En tout cas, ils n’ont à escompter aucun privilège. Ils doivent subir le contrôle de l’État et proportionnellement les charges communes. Ibid., sect. ii, Des possessions des ecclésiastiques. Cf. ibid., art. Biens il’Église.

5. Le clergé doit être réduit au clergé utile, corps de fonctionnaires salariés. Le meilleur gouverne ment est s ; ms contredit celui qui n’admet que le

nombre de prêtres nécessaire : le superflu n’est qu’un fardeau dangereux. Dtner de Boulainvilliers, Pensées

détachées, loc. ni., p. 559. i Rien de pins inutile ipi’un cardinal » avec ses « cent mille écus de rente », ibid., si ce n’est « ces abbés qui ont quatre cent mille livres de rente », Dictionnaire, art. Abbé, ou les moines, « ces troupeaux de fainéants tondus, blancs, gris, noirs… », Instructions pour le prince royal, ii, loc. cit., p. 441. Mais « rien n’est plus utile qu’un curé qui tient registre des naissances, qui procure des assistances aux pauvres, console les malades, ensevelit les morts, met la paix dans les familles et qui n’est qu’un maître de morale », Dîner…, loc. cit. ; cf. L’A. B. C, loc. cit., p. 365. Le souverain a tout pouvoir pour réduire le clergé aux membres utiles, et même pour délier des vœux de religion, ces vœux n’étant que « conditionnels » et subordonnés « au vœu inaltérable et imprescriptible qui unit l’homme en société avec la patrie et avec le souverain ». Dictionnaire, loc. cit., sect. iii. Des assemblées ecclésiastiques. Le souverain devrait également imposer le mariage aux prêtres, qui seraient alors meilleurs citoyens et donneraient à l’État des enfants élevés avec honnêteté, et aussi, leur interdire de prêcher autre chose que la morale,

« prêcher la controverse étant sonner le tocsin de la

discorde ». Dîner…, loc. cit. « Ministres de l’autel, ils ont droit à vivre de l’autel et à être entretenus par la société, tout comme les magistrats et les soldats. C’est donc à la loi civile à faire la pension proportionnelle du corps ecclésiastique. » Dictionnaire, loc. cit., ii, Des possessions…, en veillant « à mettre les curés à l’abri du besoin, afin qu’ils n’aient d’autre soin que celui de remplir leurs devoirs ». Dîner…, ibid. Cf. Dictionnaire, art. Catéchisme du curé, le portrait du curé de campagne selon Voltaire. Voltaire dépasse ainsi le gallicanisme politique. Il en est déjà à la Constitution civile du clergé.

La société sécularisée doit reposer non plus sur le droit divin et les principes évangéliques mais sur le droit naturel qui établit d’abord le droit de l’homme à la liberté. — Il y a un droit naturel. « Voltaire entend ce mot dans le sens où son siècle l’entend depuis Grotius, De jure belli et pacis, 1625, Spinoza, Tractatus theologico-politicus, 1670, l’Éthique, 1677, Pufendorff, De jure naturæ et gentium, 1672, De officio hominis et civis juxta legem naturalem, 1673, Cumberland, De legibus naturæ, 1672, Locke, Deux traités de gouvernement, 1689, … c’est-à-dire comme un droit fondé sur l’ordre immanent de la nature et auquel ne sauraient être opposés ni le droit divin positif, expression d’une volonté personnelle de Dieu, ni le droit humain. » Traité sur la tolérance, c. vi, Si la tolérance est de droit naturel ou de droit humain (xxv, 39-40). De cet ordre découle ce fait « qu’à chaque être humain sont attachées certaines facultés inhérentes à sa définition et avec elles le devoir — donc le droit — de les exercer suivant leur essence ». P. Hazard, loc. cit., t. ii, p. 50. L’homme a ainsi un droit absolu à diverses libertés :

1. La liberté de la personne et de la propriété, à laquelle s’oppose l’esclavage, « cette dégradation de l’espèce humaine », Dictionnaire, art. Esclaves, sect. i, « esclavage de la personne, esclavage de biens, esclavage de la personne et des biens » que subissaient encore en France, « sous le nom de mortaillables, de mainmortables, de serfs de glèbe, des sujets du roi ». Cf. ses Écrits pour les habitants du Mont-Jura et du pays de Gex et pour l’entière abolition de la servitude en France (xxvii, passim) et Dictionnaire, loc. cit., sect. iv. De là encore, le crime « des meurtres juridiques que la tyrannie, le fanatisme — il vise l’Inquisition — l’erreur et la faiblesse ont commis avec le glaive de la justice ». Dictionnaire, art. Arrêts notables. De là aussi la nécessité de réviser le code des délits et des peines, de supprimer la question et la torture, d’adoucir l’exécution des arrêts… Cf. Commentaire sur le livre (de Beccaria) des délits et des peines (xxv, 539) ; Prix de lu justice et de l’humanité (xxx, 532) ; Dictionnaire, art. Torture et art. Crime ; Instructions pour le prince royal, iv, loc. cit., p. 445 ; L’A. B. C., 15e Entretien, De la meilleure législation, loc. cit., p. 385 sq.

2. La liberté de la pensée et de la presse, ou comme il dit, d’imprimer. — « Point de liberté chez les hommes sans celle d’exprimer sa pensée. » L’A. B. C., 9e Entretien, Des esprits serfs, loc. cit., p. 360. Depuis la Lettre philosophique XX, Sur les seigneurs qui cultivent les lettres, édit. cit., t. ii, p. 119, où il loue l’Angleterre de ce que « chacun peut y faire imprimer ce qu’il pense sur les affaires publiques », jusqu’à la fin, il ne cessera d’appeler cette liberté. Il a trop souffert d’en être privé, pour qu’il en soit autrement. Il invoque en sa faveur le droit naturel : « il est de droit naturel de se servir de sa plume comme de sa langue, à ses périls et risques », Dictionnaire, art. Liberté d’imprimer ; l’intérêt des nations : cette liberté, où elle existe, « met toute la nation dans la nécessité de s’instruire », Lettre philosophique, loc. cit., p. 120, et dans le progrès. Dictionnaire, art. Liberté d’imprimer. Un livre n’a jamais fait de mal. « Ce n’est pas l’Alcoran qui a fait le succès de Mahomet, c’est Mahomet qui a fait le succès de l’Alcoran… Rome n’a point été vaincue par les livres ; elle l’a été pour avoir révolté l’Europe par ses rapines, ses exigences et ses excès. » Dictionnaire, loc. cit.

3. La liberté de conscience, la tolérance. — Il la réclame parce qu’elle lui fournit une arme contre l’Infâme, mais aussi pour elle-même. Il entend par là — s’inspirant de Locke, Epistola de tolerantia, 1689 — qu’il est loisible à chacun d’avoir ou de ne pas avoir telle ou telle croyance, sans être puni de ne pas la professer ou contraint de le faire, par le magistrat — tolérance civile — ou même sans avoir à redouter les censures d’une Église. La liberté de conscience est, à ses yeux, un droit naturel, comme la liberté de penser dont elle est un aspect, auquel ne sauraient être opposés le droit humain « lequel ne peut être fondé, on l’a vii, que sur le droit de nature », Traité de la tolérance, c. vii (xxv, 40), et encore moins le droit divin chrétien. L’esprit de charité, dit-il avec Locke, étant une marque caractéristique du Christ, Traité cité, c. xiv, Si l’intolérance a été enseignée par Jésus-Christ, loc. cit., « de toutes les religions, la chrétienne est celle qui doit inspirer le plus de tolérance », Dictionnaire, art. Tolérance, sect. iii, à Genève, Sermon prêché à Basle par Josius Rosetti, 1768 (xxvi, 582), comme à Rome. La tolérance est d’ailleurs une conséquence de la fraternité humaine : avant tout autre chose, nous sommes hommes, Traité de la tolérance, c. xxiii, Prière à Dieu, et nul d’entre nous n’a le monopole de la vérité :

« nous sommes tous pétris de faiblesses et d’erreurs ».

Dictionnaire, ibid. La tolérance maintient ainsi la paix des empires et aide à leur prospérité. Combien la France a perdu à révoquer l’édit de Nantes ! Traité sur la tolérance, Post-scriptum, et combien elle gagnerait à revenir sur cette révocation ! Ibid., c. v, Comment la tolérance peut être admise. En Angleterre, « où chacun peut aller au ciel par le chemin qui lui plaît », Lettres philosophiques, v, Sur la religion anglicane, édit. cit., t. i, p. 61, « trente sectes vivent en paix, heureuses », ibid., p. 77 ; et de là,

« s’est formée la grandeur de l’État », ibid., x, Sur le commerce, p. 120. Cf. Instructions pour le prince royal, ii, loc. cit., p. 142. Le souverain devra donc
« ne persécuter jamais personne pour ses sentiments

sur la religion », ibid., iii, loc. cit., p. 443, « n’employer jamais la contrainte pour amener les peuples à la religion », Dictionnaire, art. Droit canonique, mettre dans l’impossibilité d’être intolérantes les Églises, en particulier l’Église romaine « qui a fait nager l’Europe dans le sang pendant des siècles », Instructions, loc. cit., en usant de son autorité qui est « sans partage », Dictionnaire, ibid. En d’autres termes, « que la loi d’État commande à la religion » et « que l’homme d’État soit théiste », Dieu et les hommes, Axiomes, loc. cit. (xxviii, 244 et 243). « Une bonne religion honnête, … bien établie par acte du parlement, bien dépendante du souverain, voilà ce qu’il nous faut et tolérons toutes les autres. » L’A. B. C., 10e entretien, loc. cit., p. 365. Cf. L. Robert, Voltaire et l’intolérance religieuse, Paris, 1905.

4. La liberté politique. Despotisme ? République ? Régime parlementaire anglais ? — « La véritable loi fondamentale » de toutes les nations « est d’être libres ». L’A. B. C., 13e entretien, p. 381. Et « être libre », en ce sens, « c’est ne dépendre que des lois ». Dictionnaire, art. Gouvernement, sect. vi. « Le gouvernement civil est la volonté de tous exécutée par un seul ou par plusieurs, en vertu des lois que tous ont portées. » Idées républicaines, xiii, loc. cit., p. 416 : « Le meilleur gouvernement est celui qui conserve le plus qu’il est possible à chaque mortel ce don de la nature », la liberté. L’A. B. C., 15e entretien, De la meilleure législation, loc. cit., p. 588. D’après ces passages, et si l’on s’en réfère aux Lettres philosophiques. Lettre 8e, Sur le Parlement, édit. cit., p. 89-91, au Dictionnaire philosophique, art. Gouvernement, sect. vi, Tableau du gouvernement anglais, il aime le gouvernement anglais parce qu’il assure à tous les citoyens la liberté sous la protection des lois qu’ont faites leurs représentants ; ils sont ainsi à l’abri de l’arbitraire et peuvent avoir les idées religieuses qui leur plaisent. L’A. B. C., loc. cit., p. 386-387 ; cf. Instructions pour le prince royal, loc. cit., p. 442. Le despotisme éclairé de Frédéric II, de Catherine II, est loin de lui déplaire, non seulement parce qu’il trouve vanité à ses relations avec ces deux souverains, mais parcequ’il juge ceux-ci acquis au philosophisme, hostiles à l’Église, gagnés à la tolérance. Cf. Profession de foi des théistes, loc. cit., p. 551 ; Dictionnaire, art. Puissance, sect. i, Les deux puissances ; Lettre sur les panégyriques par Irénée Aléthès, 1767 (xxvi, 306 sq., 312-313). Le despote éclairé est d’ailleurs la condition du progrès. Voir col. 3411. « Un véritablement bon roi, — il dit cela à propos de Louis XIV — est le plus beau présent que le ciel puisse faire à la terre. » Commentaire sur l’Esprit des lois, 1777 (xxx, 455). La monarchie française est loin de lui déplaire. Il n’a rien de révolutionnaire. Il tendrait plutôt à fortifier son absolutisme : il n’admet pas, contrairement à Montesquieu, de lois fondamentales la limitant ; Dictionnaire, art. Loi salique (xix, 608) ; Commentaire sur l’Esprit des lois, [i. 157 ; il vent voir réduits à l’obéissance ces corps intermédiaires, dont parle encore Montesquieu, et qui limitent l’autorité royale : les parlements : il ne leur pardonne pas leur jansénisme, leur orgueil ; il dénonce les cruautés, les abus, les erreurs de la justice ; il dénonce nomme une absurdité la vénalité des charges qui assure l’indépendance de la magistrature ; Commentaire, p. 425-426 ; Dictionnaire, art. Esprit des lois (xx, p. 2-3) ; il applaudit en conséquence à la fameuse réforme de Maupcou. Cf. Très humbles et très resperliiruses remontrances du grenier à sel (xxviii. loi) ; Réparue aux remontrances sur la cour des Aides, ibid., p. 387 : I, ’Equivoque, ibid.. p. 122-423 ; la tragédie Les lois de MtttOS, 1773 ; Histoire du l’orientent de Paris. 1769, le Chapitre i.xrx. ajouté

eti 177°), juge favorablement l’œuvre de Maupcou.

Il n’admet pas davantage le clergé. On a VU plus haut comment il conçoit les rapports de l’Église et de l’État. Col. 3461. Cf., Commentaire, iv. loc. ni., p. lit,

DICT. DB TIIF.OL. CATIIOL.

la critique de cette pensée de Montesquieu : « Le pouvoir du clergé est convenable dans une monarchie, surtout dans celles qui vont au despotisme. » Dès 1749, il avait pris parti pour Machault d’Arnouville, qui voulait appliquer l’impôt du vingtième au clergé comme aux roturiers, dans sa Lettre sur l’impôt du vingtième (xxiii, 305). Extrait du décret de la Sacrée Congrégation de Rome à rencontre d’un libelle intitulé Lettre pour le vingtième, ibid., 463 ; La voix du sage et du peuple (xxiii, 436). Pour la noblesse, il condamne ses prétentions dès les Lettres philosophiques, cf. Lettre X, Sur le commerce, édit. cit., p. 121. les privilèges dans l’affaire du vingtième, l’extension ridicule par les anoblissements, surtout de magistrats, au c. xcvm de l’Essai, et qu’il ne sépare jamais des deux autres ordres dans ses attaques. « C’est ici, écrit-il encore en 1776, à propos de la condamnation par le Parlement de la brochure de Boncerf, Inconvénients des droits féodaux, la cause de l’Église, de la noblesse et de la robe… L’Église excommuniera les auteurs qui prendront la défense du peuple, fera brûler auteurs et écrits, et, par ce moyen, ces écrits seront victorieusement réfutés. » Lettre du R. P. Polycarpe, prieur des bernardins de Chézery <i M. l’avocat général Séguier (xxx, 333-338). Cf. ses écrits à propos des serfs du Mont-Jura.

On relève aussi dans son œuvre l’éloge du gouvernement républicain et démocratique, « le plus tolérable de tous, parce que c’est celui qui rapproche le plus les hommes de l’égalité », Idées républicaines, xliii, loc. cit., p. 424, mais « la démocratie ne lui semble convenir qu’à un tout petit pays ; encore fautil qu’il soit heureusement situé. » Ibid., xlv, ibid., p. 425.

Voltaire et l’égalité.

Des attaques de Voltaire

contre les classes privilégiées, et de passages comme celui-ci : « Être libre et n’avoir que des égaux est la vraie vie, la vie naturelle de l’homme », L’A. B. C, 6e entretien, Des trois gouvernements, loc. cit., p. 648, l’on aurait tort de conclure qu’il rêva l’égalité des hommes. L’égalité lui paraît à la fois la chose la plus naturelle », puisque tous les hommes ont les mêmes droits naturels, « et la plus chimérique », puisque, étant données « la lâcheté et la bêtise des uns », la friponnerie et l’audace des autres, dans l’état social. elle n’est pas possible. Dictionnaire, art. Égalité. Elle n’est même pas désirable : à côte de ceux qui possèdent, « on a besoin d’hommes qui n’aient que leurs bras et leur bonne volonté ». Ibid., art. Propriété. Et dans une république, « ceux qui n’ont ni terrain ni maisons n’ont pas plus le droit d’avoir leur voix qu’un commis payé par des marchands n’en aurait à régler leur commerce ». Idées républicaines (xxiv. 413). Il aura des paroles dures contre « la canaille qui n’est pas digne d’être éclairée ». Lettre à Frédéric II, 5 janvier 1707. Cf. à d’Alembert, 1 février 1707 : mais c’est quand il voit en elle la force principale de « l’Infâme ». Cf. Dictionnaire, art. Superstitions, sect. v.

Sur toutes ces questions, voir fï. Faguet, Lit politique comparée’le Montesquieu, Rousseau ri Voltaire, ln-12,

Paris, 1902 ; A. Hayct rt Fr. Albert, Les écrivain » poliliques <ln.Y 17/Psiccle, ln-12, Paris, l’.IOI ; il. Sec. L « idées

politiques en France au XVIII’siècle, ln-8°, Paris, 1923 ; A. Maihiez, Les nouveaux courants d’idées dans lu littérature

française à la fin ilu X VIII’siècle, dans.Annules île la Révolution française, mai-juin 1935, p. 13 iq.

Voltaire et l’idée de pairie. Invoquant l’ar ticle Pairie du Dictionnaire, les plaisanteries de Vol taire dans sa lettre de mai 1759 à Frédéric II, à propos de RoSbach XL, 101), d’autres lettres au même, son attitude et ses propos dans toutes les affaires, celles de Pologne, par exemple, OÙ est atlcinl le prestige de la France et où grandissent la puissance et le prestige de Frédéric II et de Catherine II, É. Faguet conclut : « Voltaire n’avait pas l’idée de ce que peut être la patrie, ni aucun sentiment patriotique…, il n’aime pas les gens qui aiment leur pays ; … cela lui semble un fanatisme aussi condamnable et aussi absurde que les autres. » Op. cit., p. 6-7. É. Faguet exagère, disent les admirateurs de Voltaire. Ils sont obligés cependant de reconnaître que Voltaire, comme tous les « philosophes », se jugeait citoyen du monde avant d’être français, que son désir de flatter Frédéric II et Catherine II et sa haine de « l’Infâme » lui dictèrent en la matière des propos regrettables. Cf. A. Mathiez, Pacifisme et nationalisme au XVIIIe siècle, loc. cit., janvier-février 1935, p. 4-6. Peut-être É. Faguet avait-il donné la note juste quand il avait écrit de Voltaire : « Ce n’est pas qu’il en veuille précisément à la France. Il n’en tient pas compte. Que d’énormes monarchies qui ne risquent pas d’être catholiques et dont il espère naïvement qu’elles seront

« philosophiques » se forment dans le monde, il lui

suffit. » Dix-huitième siècle, 7e édition, in-12, Paris, 1890, p. 235.

Voltaire et la guerre. Pacifisme de Voltaire. — Toute guerre est « fléau et crime », Dictionnaire, art. Guerre ; fléau, parce qu’elle traîne à sa suite la peste et la famine, ibid. ; crime, parce qu’elle est

« l’art de surprendre, tuer et voler ». L’A. B. C.,

5e entretien, De la manière de perdre sa liberté, loc. cit., p. 343. « Le crime de la guerre consiste à commettre un grand nombre de crimes au front de bandière. » Ibid., 11e entretien, Du droit de la guerre, loc. cit., p. 368. « Le mal qu’elle ne fait pas, c’est le besoin et l’intérêt qui l’arrêtent. » Ibid., p. 372. » Il n’y a pas de guerre juste », ibid., quoi qu’en ait dit Montesquieu, Esprit des lois, l. X, c. ii, cf. Dictionnaire, loc. cit. Une guerre juste, « cela paraît contradictoire et impossible ». L’A. B. C., loc. cit. Il n’y a qu’un seul remède, tant la guerre « est le partage affreux de l’homme » Dictionnaire, ibid., c’est « de se mettre en état d’être aussi injuste que ses voisins », autrement dit de se faire craindre. Et ce lui est une occasion de parler avant J. Benda de la « trahison des clercs », en entendant ce mot en son sens restreint. La religion naturelle condamne la guerre puisqu’elle condamne l’injustice ; « la religion artificielle encourage à toutes les cruautés » de la guerre. « Chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux », et de tous ces prédicateurs qui multiplient leurs sermons « à peine en trouverez-vous deux qui osent dire quelques mots contre ce fléau et ce crime de la guerre qui contient tous les fléaux et tous les crimes ». Dictionnaire, loc. cit. — Sur tous ces points, cf. H. Sée, art. cit. et Les idées politiques en France au XVIIIe siècle, in-12, Paris, 1920.