Dictionnaire de théologie catholique/WÉNILON DE SENS

La bibliothèque libre.
Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 998-999).

WÉNILON DE SENS, archevêque de cette ville de 850 à 865. — Il intéresse le théologien parce qu’il a été mêlé aux polémiques sur la prédestination, soulevées au ixe siècle par l’affaire de Gottescalc. Voir l’art. Prédestination, § iv, Les controverses sur la prédestination au IXe siècle, t.xii, col. 2901-2935, auquel se rapportent les références suivantes.

Wénilon (ou Guanelon), clerc de la chapelle royale, avait été promu au siège métropolitain de Sens par le roi Charles le Chauve, à l’égard de qui il se comporta longtemps en sujet loyal. Quand, en 848, l’Aquitaine, qui avait d’abord essayé d’un souverain particulier, se rallia à Charles et que les proceres laïques et ecclésiastiques l’eurent reconnu pour souverain à Orléans, c’est Wénilon qui sacra le nouveau roi. Annales Berlin., an. 848, P. L., t. cxv, col. 1401 et Libellus proclamationis, t. cxxiv, col. 897. Nous verrons que plus tard ce loyalisme subit une éclipse qui eut un certain retentissement dans les affaires dogmatiques.

A partir de 849, Wénilon est mêlé à la grande querelle prédestinatienne ; il assiste cette année-là au concile de Quierzy (voir t.xii, col. 2906) qui condamna Gottescale à l’emprisonnement perpétuel à Hautvillers ; nous n’avons pas de précision sur l’attitude que prit alors Wénilon ; il est probable qu’il se rallia aux vues d’Hincmar de Reims et approuva la condamnation du moine en rupture de ban. Mais, au cours des années suivantes, son opinion devait changer, tout spécialement après la publication par Jean Scot en 851 de son traité De prædestinatione. Ibid., col. 2911. Ce livre, qui voulait venir à la rescousse d’Hincmar et accabla 1 le malheureux Gottescalc, produisit exactement l’effet inverse. Son pélaglanlsme avéré, son rationalisme patent liguèrent contre.Jean et contre I lincuiar, son inspirateur, les plus savants des augustiniens. Wénilon semble avoir été le premier à se rendre compte de l’esprit du livre : il en fit des extraits qu’il envoya à son suffragant Prudence de Troyes, afin que celui-ci en dit son sentiment. Voir la préface de Prudence à son gros traité De preedati natione contra Joannem Scotlum, P. L., t. cxv, col. 1009. Comme ! dans son ouvrage, Prudence réfute un

bien plus grand nombre de propositions de Scot que

n’en avait signalé Wénilon, il est difficile de dire quelles étaient les idées de l’Érigène qui avaient particulièrement choqué l’archevêque de Sens. Wénilon ne devait plus se départir de cette attitude hostile à Hincmar et favorable à l’augustinisme le plus strict. Il n’avait pas à assister au concile de Valence (855) qui groupa les évêques des ressorts de Lyon, de Vienne et d’Arles. Il n’y a pas de chance que les 19 syllogismes de Scot condamnés par cette assemblée soient les propositions extraites par Wénilon du livre de l’Érigène. Mais en 856, quand se réunit à Sens l’assemblée qui devait élire le nouvel évêque de Paris (col. 2925), c’est Wénilon qui soumit aux évêques les quatre propositions envoyées par Prudence empêché et que devrait souscrire, s’il voulait être accepté par les prélats, le candidat de Charles le Chauve. Ces propositions expriment d’une manière tranchante la doctrine augustinienne sur la ruine du libre arbitre à la suite du péché d’Adam, la double prédestination, l’application restreinte de la rédemption, la volonté salvifique restreinte. Nul doute que ces doctrines, qui étaient celles de la partie la plus avertie de l’épiscopat franc n’exprimassent la pensée intime de Wénilon. Président de l’assemblée électorale, Wénilon engageait ici toute son autorité. Il aurait donc pu grandement contribuer à les faire, adopter par l’assemblée de Savonnières (concilium Tullensc primumj, qui en juin 859 groupa les épiscopats des royaumes de Charles le Chauve, de Lothaire II et de Charles de Provence (cf. col. 2926) ; de concert avec Rémi de Lyon, il aurait pu mettre en échec l’antiaugustinisme dont Hincmar se faisait le champion. Mais à cette réunion de Savonnières Wénilon n’assistait pas et pour cause. L’année précédente il avait gravement manqué à ses devoirs envers Charles le Chauve. Lors de la campagne entreprise à l’automne de 858 par Louis le Germanique contre son frère Charles, Wénilon, loin de soutenir les intérêts de son suzerain légitime, s’était rallié à l’envahisseur. Après avoir reçu Louis à Sens comme un libérateur, il accourut auprès de lui à Attigny, où le Germanique s’était installé, et mit tout en œuvre pour lui rallier les proceres tant civils qu’ecclésiastiques du royaume de France. Hincmar, au même temps, s’était montré loyal à Charles le Chauve et c’est en partie grâce à son secours que celui-ci avait pu sortir du mauvais pas où il était engagé. Quand, en janvier 859, il eut contraint le Germanique à repasser le Rhin, il entendit tirer vengeance de l’archevêque félon. Le concile de Savonnières, qui réunissait l’épiscopat de toute la France à l’ouest du Rhin, n’était pas rassemblé seulement pour régler des questions religieuses ; il s’agissait avant tout, pour Charles le Chauve et ses deux neveux, de liquider les questions politiques qu’avait soulevées la brutale intervention du Germanique. Wénilon y était cité pour répondre de sa conduite et, dans un Libellus proclamationis adversus Wcniloncm, le roi avait rassemblé les divers chefs d’accusation contre lui. Texte dans Mon. Germ. lusL, Capitularia, t. ii, p. 450-453 ; cf. P. L., t. cxxiv, col. 897. Il s’y plaignait tout spécialement de ce que l’archevêque eût agi pratiquement comme s’il avait pu déposer le roi. Or, continuait Charles, faisant ainsi à l’épiscopat une concession énorme, personne n’a le droit de déposer le roi sans la décision préliminaire des évêques. A qua rri/ni sublimiltilr supphinttiri vcl pro/îci <i nullo

debuercun, saltem sine audieniia et judîcio episcopo rum quorum mtnisterlo in regem sum consecratus… quorum paternis correplionibus et castigatoriis fudiciis mr subdere fui pondus ri in pressente sum subditus.

P. !.., I. cxxiv, col. 897.

Saisi de cette plainte, le concile ne voulut pas. néanmoins, puisque Wénilon ne s’était pas présente.

examiner l’affaire au fond. II accorda un délai à l’archevêque et lui fît connaître par lettre synodale la plainte portée contre lui ; en même temps, il lui signifiait qu’une commission des archevêques de Lyon, Rouen, Tours et Bourges était formée, devant laquelle il devrait comparaître dans les trente jouft. En fait, sur les instances de Hérard de Tours, Wénilon s’entendit directement avec le roi : Guanilo, episcopus Senonum, absque audientia episcoporum Karlo régi reconciliatur, disent les Annales Derliniani, an. 859. P. L., t. cxv, col. 1418.

Mais, s’il rentra en grâce, Wénilon n’exercera plus désormais dans l’Église du royaume de Charles l’action doctrinale que nous avions antérieurement constatée ; au concile de Thuzey (cf. t.xii, col. 2929), c’est Hincmar qui mène l’assemblée. Favori de Charles le Chauve qui préside la réunion, il réussit, bien qu’étant de la minorité, à faire accepter par tous le singulier manifeste que l’on a étudié t.xii, col. 2930. Sur les deux problèmes de la prédestination et de la volonté salviflque, les deux opinions si divergentes des augustiniens et de leurs adversaires se juxtaposaient plus qu’elles ne se conciliaient. On est très loin des formules augustiniennes si tranchantes qu’en 856 Wénilon imposait à Sens à la signature d’Énée de Paris ! Et c’est un peu la politique qui est responsable de cette demi-déroute de l’augustinisme intégral. On perd un peu de vue Wénilon après ces événements ; il a dû mourir en 865.

Se reporter pour la bibliographie à l’art. Prédestination, , col. 2933 ; les autres textes importants ont été signalés ici. Ajouter É. Amann, L’époque carolingienne (= Fliche-Martin, Hist. de l’Église, t. vi), p. 292 sq. ; p. 320 sq.

Parmi les lettres de Loup de Ferrières, il en est une dizaine adressées à Wénilon, dans P. L., t. cxix, epist. xxix, xxxi, lxxiii et lxxiv, lxxxii, xcvm (nomination d’Énée de Paris), cxxiv (après Savonnières), cxxvi ; elles montrent les bons rapports qui existaient entre le célèbre abbé et l’archevêque. La lettre lxxxi, P. L., t. cxix, col. 543 est au contraire adressée par Loup, au nom de Wénilon, à l’archevêque de Lyon, Amolon, pour lui recommander la candidature au siège d’Autun, de Bern, un chapelain de la cour royale, désigné par Charles le Chauve. Cette lettre jette le jour le plus intéressant sur les nominations épiscopales à l’époque carolingienne.

É. Amann.