Dictionnaire de théologie catholique/WARD William-George

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 991-995).

WARD William-George, philosophe et théologien catholique anglais (1812-1882). — Deux périodes sont à distinguer dans la vie de Ward, séparées par sa conversion au catholicisme (28 août 1845) : les années passées dans l’anglicanisme (1812-1845) et celles qui suivirent sa conversion (1845-1882).

I. Ward anglican (1812-1845). — William-George Ward naquit à Londres le 21 mars 1812. Il reçut sa première formation à l’école latine de Winchester et entra à Oxford en 1831. Il devint fellow de Balliol Collège en même temps que Tait, le futur archevêque de Cantorbéry, qui lui garda toute sa vie

une fidèle amitié. Il enseigna à Balliol les mathématiques et la philosophie. Entré à Oxford en disciple de Bentham et de Stuart Mill, il ne tarderait pas à se séparer de ce dernier et à critiquer sa « logique illogique ». II devait être toute sa vie un dialecticien redoutable, ne voyant rien en dehors de la logique, poussant ses déductions jusqu’aux conséquences les plus extrêmes, semblant prendre une sorte de plaisir à effaroucher les timides.

Ce tempérament influera sur ses préoccupations religieuses ; il le portera plus tard, quand il sera devenu catholique, à l’intransigeance dans les controverses que soulèveront les questions du pouvoir temporel et du pouvoir doctrinal du Saint-Siège. Dans sa recherche d’une religion vraie, logique, efficace, qu’il ne trouvait pas dans l’anglicanisme officiel, il se laissera d’abord séduire par les deux chefs de la nouvelle école libérale, Wathely et Arnold (cf. art. Oxford, t. xi, col. 1677). Il aimait leur élévation morale, leur doctrine lui plaisait en tant que réaction contre la religion tout extérieure de la respectability, contre le protestantisme formaliste, conventionnel et sans vie. Cf. Thureau-Dangin, La renaissance catholique en Angleterre, 9e éd., t. i, p. 166 sq.

Sans doute ne se rendait-il pas compte de prime abord de ce que cette doctrine libérale avait de dissolvant ; en tout cas, elle ne put satisfaire longtemps ce penseur épris de logique. Ce fut seulement en 1836, quand un ami l’eut décidé à aller par curiosité entendre Newman, puis à suivre les lectures que celui-ci donnait sur la via média dans la chapelle Adam de Brome, qu’il se rendit compte de l’insuffisance dogmatique et spirituelle de l’arnoldisme. Il se laissa gagner aux idées tractariennes et, bientôt, il n’y aura plus pour lui d’autre alternative que de se soumettre à l’Église sous une forme ou sous une autre ou de tomber dans un rationalisme sans limites.

Les Remains de Froude, publiés par Newman en 1838 (cf. supra, t. xi, col. 1687) le détachèrent d’Arnold. Il trouva dans cet ouvrage un haut idéal de sainteté ; l’exposé de l’idéal chrétien du Moyen Age, la critique des Réformateurs, la loyauté avec laquelle Froude allait droit au but lui plurent et l’attirèrent vers le mouvement tractarien, auquel l’attachèrent définitivement les lectures de Newman sur la nécessité d’une Église pour l’interprétation des Écritures. Newman reconnut tout de suite l’importance de l’entrée de Ward dans le mouvement : « La seule vraie nouvelle, écrivait-il à Bowden en mai 1839, est l’accession de Ward de Balliol aux bons principes. C’est une accession très importante. Je le connais fort peu, mais je ne puis pas ne pas l’aimer beaucoup, bien qu’il professe encore être un radical en politique. » Lett. and Corr. of J.-H. Newman, t. ii, p. 182, cité par Thureau-Dangin, op. cit., t. i, p. 169 sq.

Tout de suite, avec sa fougue habituelle, Ward prend position. L’attitude adoptée par les premiers chefs du mouvement, Newman, Keble, Pusey, ne lui suffit pas : ceux-ci voulaient insuffler à l’anglicanisme une nouvelle vie, conforme à l’idéal qu’ils s’étaient formé de l’Église primitive. Pour Ward et ses jeunes disciples, Faber, Oakley, Dalgairns, le christianisme primitif est séparé du protestantisme par un abîme infranchissable, tandis qu’il concorde avec l’Église romaine. Il faut choisir : conserver ou rejeter l’anglicanisme (cf. supra, t. xi, col. 1698). Ce n’est pas qu’il fût dès lors prêt à faire sa soumission à l’Église romaine : il avait trop confiance en Newman : Credo in Newmanum, disait-il ; mais il était séduit a par la consistance dogmatique de l’Église de Rome, par son principe d’autorité, par son idéal de sainteté, par ses habitudes de piété », qu’il ne trouvait pas dans l’anglicanisme. Thureau-Dangin, op. cit., t. i, p. 199. Il

avait dès lors acquis la conviction qu’aucune forme de protestantisme ne pourrait se développer dans le catholicisme et il tirait la conclusion que les décrets de Trente faisaient autorité, que l’Église d’Angleterre devait mettre ses articles d’accord avec eux ou renoncer à se prétendre un rameau de l’Église catholique.

Dans la controverse qui suivit la publication du tract 90, Ward intervint non pas tant pour défendre et expliquer le tract que pour poser de nouvelles questions et en tirer les conséquences les plus extrêmes. C’est le sens de ses deux opuscules : À few words in défense of tract 90 et À few words more in défense of tract 90. Dans le tract, Newman avait un peu forcé l’interprétation des xxxix articles ; Ward veut que cette interprétation soit forcée et qu’on entende la doctrine des articles dans un sens qui n’est pas le sens naturel. Newman avait parlé avec réserve, Ward déchire le voile et insiste en montrant à Newman où conduisent ses prémisses. Il fait ressortir le caractère anticatholique des Réformateurs, que Newman avait épargnés par égard pour Pusey. Il établit surtout que c’est la même autorité qui a fixé les définitions anciennes, les décrets de Trente et le système pratique de Rome : c’est la foi catholique. Or, l’Église d’Angleterre est un rameau de l’Église catholique. C’est pourquoi l’Église d’Angleterre tient toute cette doctrine et, si les articles ne l’enseignent pas, tant pis pour les articles. On doit les signer, non dans leur sens littéral et grammatical, mais dans « un sens qui n’est pas le sens naturel ». Cf. F. Warre Cornish, A History of the English Church in the nineteenth Cenlury, t. i, p. 287 sq.

Ward a dès lors de fréquents entretiens à Littlemore avec Newman qui, plus prudent et plus délicat, est souvent mis dans l’embarras par sa logique impétueuse. Lors des visites qu’il fait au collège d’Oscott et à Saint-Edmond, il acquiert quelque expérience de la vie de l’Église romaine.

En même temps, la tendance de sa pensée se manifeste dans les articles Arnold’s Sermons, Whately’s Essays, Goode’s Divine Rule, St Athanasius againsl the Arians, qu’il publia de 1841 à 1843 dans le British Critic. Ces publications lui attirèrent une protestation de William Palmer, de Worcester, qui exposa, en 1843, dans A Narrative of events connecled ivith the publication « Tracts for the Times » wilh reflections on exisling tendencies to Romanism, les griefs des anciens tractariens qui ne voulaient pas suivre les dangereuses directives du British Critic. L’éditeur de ce périodique suspendit sa publication. Ward, qui n’avait plus d’organe pour répondre, publia, en 1844, The Idéal of a Christian Church considered in comparison tvith existing Practice.

Dans cet ouvrage d’une logique implacable, il n’y a qu’un « syllogisme dont la majeure est que ce qui est ordonné et pratiqué par Rome est seul vrai et Juste ; la mineure, que les cérémonies, méthodes et règles communes de l’Église d’Angleterre sont opposées à celles de Rome ; la conclusion suit : Rome a raison et tout autre a tort ». W. Cornish, op. cit., t. i, p. 290. De fait, il accepte le dogme romain en entier ; il considère le schisme du xvi c siècle, la désertion de l’Église romaine, enmme un grand péché », et tient que l’Église d’Angleterre doit se « repentir dans l’aflliction et l’amertume du cœur et implorer humblement aux pieds de Rome pardon et restauration : toutefois il souscrit aux articles de l’Église d’Angleterre, exerce le ministère dans ses églises, croit que la grâce sacramentelle se trouve dans cette Église en vertu de la succession apostolique il exprime son

plaisir de voir tout le cycle de la doctrine romaine » professé dans l’Église d’Angleterre et provoque ses

opposants à le contredire : « Trois années se sont écoulées depuis que j’ai dit ouvertement que, en souscrivant les articles, je ne renonçais à aucune doctrine romaine ; cependant je conserve mon grade de fellow que je tiens en raison de ma souscription, et je n’ai reçu aucune censure ecclésiastique d’aucune sorte. » Cité par W. Cornish, op. cit., t. i, p. 289.

La joie évidente avec laquelle il établit ses comparaisons entre l’Église romaine et les communions protestantes, pour faire ressortir la supériorité de la première, fut particulièrement odieuse aux anglicans de tous les partis. L’Idéal d’une Église chrétienne était un manifeste qui ne pouvait laisser l’opinion indifférente ; il va soulever une tempête qui aura pour conséquence la condamnation de Ward et son exclusion de l’Université et aussi sa conversion définitive à l’Église romaine.

h’Edinburg Review d’octobre 1844 stigmatisa le livre de Ward comme 1’ « illustration pratique des principes des tracts du genre le plus odieux ». En décembre, Gladstone, tractarien modéré, exhorta, dans Quaterly Review, Ward à l’humilité. Au début de 1845, Ward fut cité devant le vice-chancelier, nouvellement élu, D r Symons, Warden de Wadham, et devant Y Hebdomadal Board. On demanda à Ward de rétracter six des passages les plus alarmants de VIdeal. Sur son refus, on décida de proposer à la Convocation : 1° de condamner le livre et de censurer l’auteur pour manque de bonne foi ; 2° de le priver de ses grades de B. A. et de M. A. ; 3° d’imposer à l’avenir à tous les gradués un test définissant le sens dans lequel les articles devaient être signés. Mais la Convocation n’avait pas autorité suffisante. L’imposition d’un nouveau test s’annonçait pleine de difficultés ; sa rédaction ne pouvait que demeurer ambiguë. Le candidat devrait affirmer qu’il signait les articles « dans le sens dans lequel je crois sincèrement qu’ils furent originairement rédigés et qu’ils me sont maintenant proposés par l’Université ». Quel était le sens adopté par l’Université ? Toutes les opinions y étaient admises. Aussi la troisième proposition fut-elle retirée, le 23 janvier 1845 et remplacée par une autre censurant les modes d’interprétation invoqués par le tract 90. Tait, tout en attaquant Ward dans un pamphlet, s’éleva contre cette nouvelle rédaction qui aurait pour résultat « l’exclusion des hommes les meilleurs parce que les plus consciencieux ». W. Cornish, op. cit., t. i, p. 292.

La discussion eut lieu le 13 février devant la Convocation de l’Université, réunissant environ 1500 membres. La première résolution censurant certains passages de l’Idéal fut adoptée par une majorité de plus de 300 voix ; la deuxième, retirant à Ward ses grades académiques, par une cinquantaine de voix de majorité ; quand on en vint à la troisième résolution, condamnant le tract 90, les proctors Guillemard de Trinily et Church d’Oriel (plus tard doyen de Saint-Paul) se levèrent et prononcèrent les mots Nobis procuraloribus non placet, ce qui, comme dans le cas de Hampden, l’unique autre cas au cours du xixe siècle, suspendit le vote ipso facto. Cf. W. Cornish, op.’cit., t. i, p. 292 sq. ; Thureau-Dangin, op. cit., t. ii, p. 300 sq.

Le coup était dur qui censurait le livre et privait l’auteur de ses grades académiques. L’idéal Ward » le supporta, non pas avec légèreté, comme le dit Manning, alors archidiacre de C.hichester. mais avec sa

bonne humeur habituelle. H quitta Oxford, fellow un dcrgraduiite de Balliol. Six semaines plus tard, il étonnait et amusait le monde qui apprenait que lui, le grand admirateur des choses romaines, y compris le célibat des prêtres, épousait I’.-M. Winglield, tille

d’un prébendier de l’église cathédrale de Worcester.

Il ne devait plus rester longtemps dans l’Église anglicane. Depuis plusieurs années, il était convaincu, il disait et répétait que l’Église romaine était la véritable Église. Mais il avait une telle confiance en Newman en qui il voyait « son pape », que, disait-il, « sans sa sanction, je ne puis remuer ». W. Ward, W.-G. Ward and the Oxford Movement, p. 241. Souvent aussi, il avait songé à une réunion en corps de l’Église anglicane à l’Église de Rome : dans une lettre écrite en collaboration avec Dalgairns et publiée dans l’Univers du 13 avril 1841, il avait exprimé ce désir d’union et engageait les catholiques du continent à ne plus songer aux conversions particulières, mais à leur présenter « ce que nous n’avons pas parmi nous, l’image d’une Église parfaite en discipline et en mœurs ». La réaction qui suivit la publication de son Idéal, blâmé aussi par les tractariens de la première heure, lui enleva sans doute ses dernières illusions sur la possibilité d’une telle réunion. L’autorité de l’Église, non moins que l’autorité de l’Université, s’était prononcée contre les principes du tract 90 qu’il avait ardemment soutenus. Il ne trouvait plus pour lui-même ou pour les autres dans les ordonnances de l’Église d’Angleterre cette grâce de soutien qu’il avait cru jadis qu’elle possédait.

Ce fut à la suite d’une intervention de sa femme qui, ayant reçu de lui la conviction que l’Église romaine était, la seule véritable Église, avait décidé de se faire recevoir dans cette Église, qu’il se résolut à son tour à faire le pas décisif : « Un peu plus tôt, un peu plus tard, dit-il à sa femme, cela ne fait pas de différence ; j’irai avec vous. » Le 13 août 1845, il annonçait sa décision à ses amis et, le 5 septembre, il était reçu dans l’Église catholique avec sa femme, dans la chapelle des jésuites, à Londres. Le 14 septembre, il était confirmé par Wiseman, à Oscott. Cf. J.-M. Rigg, W.-G. Ward, dans Dictionary of national Biography, t. lix, col. 346 ; W. Ward, W.-G. Ward and the Oxford Movement, p. 337-346.

II. Ward catholique (1845-1882). — 1° Ward professeur à Saint-Edmond (1851-1858). — Après sa conversion, Ward se retira à Old Hall à proximité du collège Saint-Edmond, qui servait de séminaire aux diocèses de Westminster et de Southwark. Il consacra son temps à l’étude de la théologie scolastique et des théologiens postérieurs au concile de Trente. Il publia un ouvrage serré sur les principes de la constitution de l’Église anglicane, démontrant qu’ils sont en contradiction, non seulement avec les principes de l’Église catholique actuelle, mais avec ceux de l’Église de tous les temps : The Anglican Church contrasted in every Principle of its Constitution wilh the Church of every Age, Londres, 1850.

En 1851, le cardinal Wiseman, qui avait à cœur d’utiliser les convertis de l’anglicanisme, le nomma lecturer de philosophie, puis professeur de théologie à Saint-Edmond. Beaucoup ne comprirent pas ce geste de l’archevêque confiant ce poste important dans le principal séminaire de l’Angleterre à un homme marié, récemment converti de l’anglicanisme au catholicisme. Des plaintes allèrent jusqu’à Rome. Pie IX répondit avec son humour accoutumé à un prélat qui lui signalait cette inconvenance : « L’objection est nouvelle ; on ne savait pas encore, Monseigneur, que le fait d’avoir reçu un sacrement de la sainte Église, que ni vous ni moi ne pouvons recevoir, dût empêcher quelqu’un de travailler à l’œuvre de Dieu. » Thureau-Dangin, op. cit., t. ii, p. 301. Pie IX, en 1854, lui conférait le diplôme de docteur en philosophie.

A cette œuvre de formation sacerdotale, Ward s’adonna tout entier, avec l’impétuosité parfois un peu intempérante de sa nature, aussi préoccupé de la

formation spirituelle et morale de ses élèves que de leur développement intellectuel. Il condensa une partie de ses enseignements dans The Relation of Intelleclual Power lo Man’s True Perfection considered in tivo Essays read before the English Académie of the Catholic Religion, Londres, 1858 (réimprimé dans Essays on Religion and Lilerature, 2e série, Londres, 1867). Sa science de la scolastique et sa piété se reflètent dans son ouvrage sur la nature de la grâce, publié deux ans après qu’il eut quitté sa charge de professeur : On Nature and Grâce, Londres, 1860. Quelques années plus tard, il publiait sur la question du Filioque une critique des vues de Ffaulkis : Strictures on M. Ffaulkis’s Letter to Archbishop Manning, Londres, 1869 (extrait de la Revue de Dublin).

Ward controversiste.

Ward avait dû quitter sa

chaire de théologie du séminaire-Saint-Edmond en 1858, sur l’intervention d’Errington, coadjuteur de Wiseman. Ses loisirs lui permirent de développer ses relations et de se lier d’amitié avec Fr. W. Faber et de se préparer aux polémiques qui rempliront le reste de sa vie. Il aura comme tribune la Revue de Dublin, fondée en 1836 par Wiseman et O’Connell. Ce fut Wiseman lui-même qui lui demanda cette collaboration, dans le but de contrebalancer le libéralisme du Rambler, libéralisme importé du continent, mais se rapprochant plus de celui de Dôllinger que de celui de Lacordaire et de Montalembert. Pleins d’idées généreuses et fécondes, les rédacteurs du Rambler ne surent pas éviter les exagérations et les témérités, adoptant comme de parti pris toutes les thèses opposées à la tradition, considérant ce qui venait de Rome comme démodé et vieilli.

Les idées du nouveau rédacteur de la Revue de Dublin étaient à l’opposé de celles de Richard Simpson, converti de 1845, et de lord Acton, catholique de naissance et disciple de Dôllinger, principaux rédacteurs du Rambler. Ward avait été attiré à l’Église romaine parce qu’il voyait en elle un puissant instrument d’autorité, qu’il opposait à l’anarchie doctrinale de l’anglicanisme. Aussi ne voyait-il de salut que dans la dictature spirituelle de l’Église catholique. Son tempérament le poussait à exagérer l’idée d’autorité, « il désirait que cette dictature s’exerçât à chaque moment pour résoudre d’autorité toutes les questions où se débattait la pensée moderne et il réduisait le rôle du croyant à attendre et à enregistrer docilement ces décisions toujours souveraines et infaillibles ». Thureau-Dangin, op. cit., t. ii, p. 323. « J’aimerais, disait-il, recevoir chaque matin à déjeuner, avec mon Times, une nouvelle bulle papale ». W. Ward, W.-G. Ward and the Catholic Revival, p. 14.

Bientôt la collaboration intermittente de Ward à la Revue de Dublin ne parut plus suffisante à Wiseman pour combattre efficacement les idées du Rambler, devenu en 1862 une revue trimestrielle sous le titre Rome and Foreign Review. Ward reçut du cardinal la pleine direction de la revue, sous l’autorité supérieure de Manning, alors prévôt de la cathédrale. Il conservera cette direction jusqu’en 1878. La revue, qui reçut de lui une nouvelle vigueur et l’empreinte de ses idées, devint un redoutable instrument de combat. Son but était la défense du Saint-Siège. Les polémiques de l’époque, à propos du Syllabus, du pouvoir temporel, du concile du Vatican, allaient fournir à Ward l’occasion de pousser à fond ses théories ultramontaines.

Après les congrès de Malines et de Munich (1863), il avait renoncé, sur l’intervention de Manning, à publier dans la Revue de Dublin un article contre les thèses soutenues à Malines par Montalembert sur

]’ « Église libre dans l’État libre », et sur la « liberté de conscience » ; il s’était contenté de répandre cet article dans son entourage. Par contre, il ne prit aucun ménagement dans son attaque contre le libéralisme théologique que Dôllinger affichait dans son adresse au congrès de Munich. Il dénonça les deux congrès, dans lesquels il voyait un effort pour « décrier la légitime autorité de l’Église en politique aussi bien qu’en philosophie ». Thureau-Dangin, op. cit., t. ii, p. 342.

Aussi laissa-t-il éclater sa joie quand Pie IX publia, en décembre 1864, le Syllabus, accompagné de l’encyclique Quanta cura, condamnant les diverses formes du libéralisme. Il donna aux propositions l’interprétation la plus absolue, celle qui pouvait le plus effaroucher, en plein accord non seulement avec les autres rédacteurs de la Revue de Dublin, mais avec les controversistes ultramontains du continent, et aussi avec Manning qui, « sans tenir compte des exagérations que, avec plus de réflexion et de sang-froid, il eût sans doute hésité à admettre, encourageait Ward, louait ses écrits, approuvait ses interprétations ». Thureau-Dangin, op. cit., t. ii, p. 343.

Ardent propagandiste, il aurait voulu voir tous ses amis accepter ses idées. Une approbation surtout lui eût été précieuse, celle de Newman, qui autrefois avait été « son pape ». Mais Newman avait une égale aversion pour le libéralisme de Dôllinger et pour les outrances de Ward, tout en étant d’accord avec ce dernier sur certains principes. Il reprochait aux rédacteurs de la Revue de Dublin de tendre « les principes jusqu’à ce qu’ils fussent près de se briser » et de présenter « les vérités dans la forme la plus paradoxale ». W. Ward, W.-C. Ward and the Catholic Revival, p. 197-199, 434-459.

Les reproches de Newman ne ramenèrent pas Ward à plus de sagesse. Dans la controverse sur l’infaillibilité, qui suivit l’annonce faite par Pie IX, le 26 juin 1867, d’un grand concile œcuménique et la publication de la bulle d’indiction, Ward prit rang, comme de juste, parmi les défenseurs de l’infaillibilité pontificale. Mais là encore son tempérament outrancier apparut dans la revendication d’une Infaillibilité à peu près illimitée, s’étendant à toutes les paroles, aux moindres directives du pape, dans les refus qu’il opposait aux théologiens d’examiner la portée des actes pontificaux, dans l’accusation de déloyauté qu’il portait contre ceux qui ne partageaient pas ses idées et qui, selon lui, minimisaient le dogme catholique. Ses attaques étaient justes quand il visait les anti-infaillibilistes d’Allemagne, disciples de Dôllinger, suivis par sir John (plus tard lord) Acton, dont les articles dans le North British Review louaient le livre de Janus (Dôllinger), contestaient l’infaillibilité et s’attaquaient au dogme de l’immaculée conception. Mail il fut trop dur vis-à-vis de ceux qui, tout en admettant ce privilège personnel du souverain pontife, ne croyaient pas sa définition opportune ou demandaient que les conditions en fussent précisées. C’était le cas de beaucoup en Angleterre, à la suite de Newman qui s’était plusieurs fois prononcé pour l’infaillibilité du pape, mais s’exerçant dans des conditions strictement limitées. Ils craignaient qu’une telle définition troublât et Inquiétât ceux des anglicans qui se trouvaient sur le chemin de Home. C’est ce qui donna à la controverse son àpreté. Ward s’y engagea avec d’autant plus d’intransigeance qu’il se voyait encouragé par Manning. Celui-ci

lui écrivit : Ce qu’il nous faut, c’est une entière netteté et l’affirmation des plus hautes vérités..le suis convaincu que l’audace est prudence et que notre danger est la demi-vérité. Il me semble que nous ne devons rien faire de plus pratique et de plus sur que

de poursuivre la ligne que vous avez commencée et de nous y tenir à peu près exclusivement. » W. Ward, W.- G. Ward and the Catholic Revival, p. 187 (cité par Thureau-Dangin, op. cit., t. ii, p. 343).

Ward ne tint aucun compte des remarques de Newman qu’il aurait voulu gagner à sa cause et entraîner dans la polémique menée par la Revue de Dublin. C’est cette revue, en effet, qui servait toujours de tribune à Ward ; mais pour donner une plus large diffusion à ses idées, les articles de la revue étaient souvent publiés à part ou réunis en volumes : The aulority of doctrinal décisions wich are not définitions of faith considered in a short séries of essays reprinled from the « Dublin Review », in-8°, Londres, 1866 ; A Letter to Father Ryder, A Second Lelter to Fathcr Ryder, in-8°, Londres, 1867 ; puis À brief Summary of the récent Controversy on Infallibility : being a reply to Rev. Father Ryder on his Postscript, in-8°, Londres, 1868 ; De infallibilitatis extensione thèses quasdam et quæstiones theologorum judicio subjecit W.-G. Ward, in-8°, Londres, 1869 ; The condemnalion of Pope Honorius : an Essay republished and newly arranged from the « Dublin Review », in-8°, Londres, 1879 ; Essays on the Church’s doctrinal autority, mostly reprinted from the « Dublin Review », in-8°, Londres, 1880.

L’adhésion humble et sincère que tous les catholiques anglais, même ceux qui avaient cru inopportune la définition de l’infaillibilité pontificale et qui l’avaient combattue, donnèrent au dogme promulgué par le concile, amena l’apaisement. La déconvenue de Ward devant le triomphe au concile du parti modéré fut compensée par un bref de Pie IX du 4 juillet 1870 qui louait ses efforts et lui accordait la bénédiction pontificale.

Ward ne tarderait pas d’ailleurs à reconnaître lui-même qu’il s’était laissé entraîner au cours de la lutte à des exagérations. Dans la brochure que Newman publia en 1874, sous forme de lettre au duc de Norfolk, en réponse au pamphlet de Gladstone, l’auteur avait relevé et désavoué les outrances de certains catholiques et fait de nombreuses réserves sur certaines de leurs thèses excessives. Ward était visé. Newman l’avait loyalement prévenu. Ward lui répondit : « Je suis de plus en plus convaincu que ma direction était la bonne ; mais je suis aussi de plus en plus convaincu que, de temps en temps, j’ai commis de graves erreurs de jugement, soit dans ce que j’ai dit, soit dans ma façon de dire. » L’excuse qu’il invoquait était sa séparation d’avec Newman, le seul qui pouvait suppléer ce qui lui manquait et « corriger les extravagances, les crudités, suggérer des vues opposées, signaler les exagérations de plume… » W. Ward, IV.- G. Ward and the Catholic Revival. p. 270 sq. À la fin de sa vie, il compléta cet aveu : « Je n’ai maintenant aucun doute que dans diverses parties de mes écrits j’ai été sur un ou deux points beaucoup trop loin. Cela était dû en partie, je l’admets, à réchauffement de la polémique ; mais c’était dû encore plus, je (lois, à un certain désir passionné de pousser tout de suite jusqu’au bout la logique, que je reconnais hautement être l’un de mes principaux défauts intellectuels. » W. Ward. W.-G. Ward and the Catholic

Revival, p. 261 (Thureau-Dangin, <>/<. cit., t. iii, l>. 184).

D’autres questions attirèrent encore l’attention de

Ward. l’usev avait publié successivement en 186°). 1869 et 1870. trois Eirrnikon sur la réunion de l’Église anglicane à l’Église romaine (cf. ici. PuSEYISMl. t. xui, col. 1366, 1384 sq.) : il prenait comme base de l’accord le concile de Trente, mais il se montrait

opposé au svsteme pratique du romanisme », surtoul à ce qu’il appelai ! la mariolfltrie. Dès l’apparition

du premier Eirenikon, Ward avait écrit à Pusey qu’il combattrait fortement ses idées. Cf. Liddon, Life of E.-P. Pusey, t. iv, p. 119. Il tint parole. Ses articles sur ce sujet, publiés dans la Revue de Dublin, sont réunis en volume sous le titre : Essays on devotional and scriptural subjects, Londres, 1879.

Après 1870, il reprit les controverses philosophiques, qu’il avait entamées alors qu’il était professeur à Saint-Edmond, contre Stuart Mill, Herbert Spencer et Bain qui, en psychologie, prônaient plus ou moins un déterminisme imbu de panthéisme. Ses travaux sur ce sujet ont été réunis par son fils Wilfrid, sous le titre : Essays on the philosophy of Theism, 2 vol., in-8°, Londres, 1884. Il y tente la reconstruction d’une métaphysique en opposition avec l’empirisme qui régnait alors. « Dans ces remarquables prolégomènes, il substitue à l’appel à l’expérience un canon de certitude essentiellement cartésien, mais tandis qu’il maintient que Vultimately indubitable est nécessairement vrai, il refuse d’admettre que Vultimately inconceivable soit nécessairement faux. Avec Kant (par coïncidence plutôt que par dépendance), il insiste sur les présupposés universels de l’expérience et de la science expérimentale : il place le fondement de la morale dans une intention de « bonté morale » et les « axiomes moraux » qui en résultent. Sur la question de la liberté et de la nécessité, il adopte un moyen terme, admettant le déterminisme pour autant que la volonté obéit à l’impulsion spontanée prédominante, mais trouvant place pour la liberté dans l’effort anti-impulsif ». J.-M. Rigg, W.-G. Ward, dans Dictionary of national Biography, t. lix, p. 347. Contre Tyndall, il publia un volume intitulé Science, Prayer, Free Will and Miracles, Londres, 2e éd., 1881. D’autres travaux sur divers sujets furent édités par son fils : Essays on Religion and Literature ; Witness on the Unseen, Londres, 1893.

Ward mourut à Londres le 6 juillet 1882, laissant le souvenir d’un défenseur des droits de l’Église et du Saint-Siège. On grava sur sa tombe l’inscription : Fidei propugnator acerrimus. L’intransigeance qu’il mit à défendre ses thèses les plus extrêmes ne nuisit pas à ses relations, grâce à son rare talent de société. Il était à la fois « le meilleur et le plus irritant des hommes, homme de chaude amitié et loyal à ses amis ». F.-W. Cornish, A History of the English Church in the nineteenth Century, t. i, p. 287. Aussi laissa-t-il une nombreuse correspondance, provenant des hommes les plus instruits d’Angleterre. Ce fut là une mine précieuse de renseignements pour son fils Wilfrid qui composa sa biographie. Ses mérites réels furent reconnus et loués par les évêques d’Angleterre, par Pie IX qui lui octroya le grade de docteur en philosophie, par Léon XIII qui lui conféra les insignes de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand.

Pour ce qui touche les relations de Ward avec le mouvement tractarien, voir la bibliographie des articles Oxford et Puseyisme. Wilfrid Ward, William George Word and the Oxford Movement, Londres, 1889 ; du même, W.-G. Ward and the Catholic Revival, Londres, 1893 ; du même, The Life and Times of card. Wiseman, 2 vol., Londres, 1897 ; A. Bellesheim, art. W.-G. Word, dans Kirchenlexikon, 2e éd., t.xii, col. 1213-1215, Fribourg, 1901 ; du même, II.-E. cardinal Manning, Mayence, 1892 ; E.-S. Purcell, Life of cardinal Manning, 2 vol., Londres, 1895 ; H. Hemmer, Vie du cardinal Manning, Paris, 1896 ; P. Thureau-Dangin, La Renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle, 3 vol., 9e éd., Paris, 1913 ; F. Warre Cornish, A History of the English Church in the nineteenth Centurꝟ. 2 vol., Londres, 1933-1935 ; J.-M. Rigg, W.-G. Ward, dans Dictionary of national Biography, t. lix, p. 344-348, Londres, 1899.

L. Marchal.