Dictionnaire de théologie catholique/YVES DE PARIS
YVES DE PARIS, capucin du xvir 3 siècle. — Il est né à Paris vers 1590. De sa famille, de son éducation, de ses études, l’on ne sait à peu près rien. Il dut faire de bonnes humanités, voyagea sans doute en Italie où il connut, pour la combattre, la philosophie aristotélicienne et naturaliste des Padouans, où il connut aussi, mais pour l’adopter, du moins en partie, le platonisme de Florence. Il fit ensuite son droit à l’université d’Orléans, puis fut inscrit comme avocat au Parlement de Paris. Il resta dans le monde jusqu’en 1620 ; à cette date, sans qu’on sache pourquoi, il entra dans l’ordre des frères mineurs capucins. En raison de son âge et de la formation philosophique déjà reçue, il commença aussitôt ses études théologiques et fut ordonné en 1632, à quarante ans.
Aussitôt, il dut prendre la plume pour défendre la vie religieuse menacée. C’était l’époque des grandes batailles entre réguliers et séculiers. Déjà en 1625, plusieurs évêques, celui de Langres, celui de Poitiers et celui de Léon, s’étaient trouvés en conflit avec les religieux de leur diocèse, et l’assemblée du clergé de France avait essayé de promulguer un règlement des réguliers. Puis était survenue l’affaire des jésuites d’Angleterre et de leurs livres condamnés par la Sorbonne. A ce moment Jean-Pierre Camus, disciple
connu de saint François de Sales, écrivit un ouvrage, intitulé Le directeur désintéressé, où il prétendait montrer la supériorité du clergé séculier. Le P. Yves fut chargé de lui répondre et publia les Heureux succès de la piété. Le débat portait sur l’origine de la vie religieuse, l’un soutenant qu’elle est seulement de droit ecclésiastique, l’autre qu’elle est de droit divin, sur la nature de la pauvreté évangélique, l’un la faisant consister non dans la désappropriadon des cénobites, mais dans le dénûment de ceux qui vivent au jour le jour du travail de leurs mains, enfin sur l’obligation du travail manuel pour les moines. Le livre du P. Yves souleva une véritable tempête. Il faillit être condamné par la Sorbonne en 1633, par les évêques en 1634. Le roi empêcha, chaque fois, la condamnation. Les religieux voulurent alors prendre leur revanche et portèrent le procès en cour de Rome. La prudence pontificale arrêta les poursuites et, pour un temps, la querelle prit fin.
Le P. Yves, alors, put donner au public ses grands ouvrages. Il prend le libertin dans son incrédulité et il prétend le mener jusqu’au sommet de la contemplation, en passant par l’ascèse. D’où, trois parties dans son œuvre : l’une apologétique avec la Théologie naturelle, l’autre ascétique avec les Morales chrétiennes, la dernière avec Les degrés de l’amour divin. Seule, la première nous intéresse ici.
Deux tendances partageaient alors les apologistes. Les uns suivaient saint Augustin et, sans tomber pour autant dans le fidéisme, car ils ne niaient pas le pouvoir de la raison, commençaient par demander au libertin un acte de foi. Les autres, suivant saint Thomas, s’adressaient tout d’abord à la seule raison. Le P. Yves adopte cette méthode, avec embarras d’abord, à cause de ses adversaires, puis franchement, alléguant que, sur ce point, son ouvrage ne différait pas de la Somme contre les Gentils. Cependant, il demande à la raison tout autre chose que le Docteur angélique. En effet, il admet, en plus de la connaissance discursive, une connaissance intuitive qu’il appelle le sentiment. Tout homme, à sa naissance, possède en germe l’idée d’infini qui ne peut, comme telle, lui venir des créatures ; en même temps, il est poussé vers quelque chose qui le dépasse et qui seul peut le combler ; la rencontre de cette idée et de cet élan crée en lui une paix profonde que les païens ont connue dans une contemplation toute naturelle. C’est ce sentiment qu’il s’agit de faire revivre dans l’âme de l’incroyant. La nature d’abord vient à notre aide. Elle est réglée en effet par deux grandes lois, celle des sympathies et celle des contraires : tout être est attiré par celui qui le complète, tout être éprouve un mouvement de répulsion à l’égard de ce qui le supprime ou l’altère. Or, d’une part l’intelligence humaine est faite pour l’infini, de l’autre la nature est à l’image de Dieu ; il en résulte qu’elles se complètent et que la vue d’un beau paysage éveille en nous l’idée d’un créateur. D’où, chez le P. Yves, de magnifiques descriptions qui annoncent déjà celles de Fénelon et de Chateaubriand. La science elle aussi apporte son concours. Les quatre éléments sont régis par une triple loi, celle de la sympathie, celle des contraires et en plus celle de la médiation ; d’un élément à l’autre, il n’y
- i pas solution de continuité, mais l’on trouve toujours
un moyen terme qui tient des deux. De là, dans l’univers, une merveilleuse imité, d’autant plus que le monde céleste correspond au monde élémentaire et lui donne, fl.-ms s : i course circulaire, les forces dont il
a besoin suivant les différentes saisons. Mais cette unité merveilleuse ne peut s’expliquer sans l’intervention d’une unité supérieure, qui lui donne sa cohésion à chaque instant. Ainsi la science vient renforcer le sentiment pour démontrer l’existence de Dieu.
Il en est de même pour l’immortalité. L’homme, nous dit la raison, occupe le milieu du monde. Ainsi le veut la loi de la médiation. Par son corps il tient aux choses matérielles, aux êtres spirituels par son âme, et comme, en tout, la meilleure partie l’emporte, il s’ensuit qu’il ne peut mourir tout entier. Les opérations de l’esprit, mémoire, abstraction, imagination, confirment cette conclusion. Les passions, surtout l’amour, mais aussi le sens de l’honneur, ont quelque chose de relevé qui nous classe au-dessus des animaux. En même temps nous possédons une idée de l’immortalité qui ne peut nous venir du sensible et un vif désir de vivre sans fin dans un bonheur parfait qui ne peut venir que de Dieu. Là-dessus se greffe un argument familier au xviie siècle et que Pascal reprendra sous la forme du pari. Nous avons tout à gagner, rien à perdre, si nous vivons en croyant aux jugements de l’au-delà.
Ayant ainsi prouvé, par la raison aidée du sentiment, les grandes vérités de la théologie naturelle, le P. Yves entreprend l’étude des motifs de crédibilité. Ici, rien de bien original. Les arguments sont classiques et conformes aux exigences du temps.
Le P. Yves prit part à la lutte contre le jansénisme, à ses débuts. Il publia les Miséricordes de Dieu contre la Fréquente communion d’Ant. Arnauld, un Traité du souverain pontife contre Barcos et une Remontrance à la reine qui lui valut une réponse cinglante de Godefroy Hermant. On lui doit également des livres de philosophie, comme le Jus naturale ou, de morale sociale, comme le Gentilhomme chrétien, le Magistrat chrétien. Il mourut, en 1678, à peu près oublié.
Œuvrks principales. — Les Heureux succès de la piété, Paris, 1632 ; La théologie naturelle, 4 vol., Paris, 1633-1638 ; Les morales chrétiennes, 4 vol., Paris, 1638-1642 ; Les progrès de l’amour divin, 4 vol., Paris, 1640 ; Les miséricordes de Dieu, Paris, 1644 ; Traité du souverain pontife, Paris, 1643 ; Jus naturale, Rennes, 1653 ; Digestum sapientiæ, 4 vol., Paris-Lyon, 1643, 1674 ; La conduite du religieux, Rennes, 1654 ; Les vaines excuses du pécheur, Paris ; L’Agent de Dieu dans le monde, Paris, 1656 ; De l’indifférence des actes humains, Paris, 1640 ; Traité de la nécessité, Paris, 1651 ; Le gentilhomme chrétien, Paris, 1666 ; Le magistrat chrétien, Paris, 1688. — Le P. Alphonse de Chartres entreprit l’édition des Œuvres complètes. Deux tomes seulement furent publiés, Paris 16751680.
H. Breniond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. i. L’humanisme dévot, Paris, 1929 ; II. Husson, La pensée religieuse française de Charron à Pascal, Paris, 1933 ; Julien Kymard, L’argument de l’ordre dn monde dans la Théologie naturelle du P. Yves de Paris, dans Études franciscaines, t. xlviii, 1936, p. 280-300, 493-524 ; du mfme, Le P. Yves et Pomponazzi, ibid., t. xiiiv. 1037, p. 147-178 ; du niemo, Le sentiment de Dieu chez Ir P. Vus de Paris, ibid., t. Xf.ix, 1937, p. r>8L>-G31 ; du mfnie. Le P. Y’ves dr Paris et Ip rourant libertin, dnns Revue d’histoire ecclésiastique de l’ranee. 1030 ; P. Ch. Chesneiiu, Le V. Yves de Paris et son temps (1690-161$). I. La querelle îles évfques et des réguliers (1K2$1-$2/S38). H. L’apoloqcliqie. P :.ris. 1946.
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