Dictionnaire de théologie morale - Pierrot/Introduction

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Texte établi par Jacques-Paul MigneAteliers catholiques du petit Montrouge (Ip. 7-21).
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INTRODUCTION.


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1. Il n’est aucun sujet qui ait plus attiré l’attention des hommes que la morale. Philosophes, législateurs, théologiens de tous les pays, de tous les temps, de toutes les religions, en ont fait l’objet de leurs méditations. Et, en effet, rien au monde n’est plus digne des réflexions du sage ; car les mœurs sont les premiers biens des familles et des peuples.

Les bonnes mœurs seules donnent à une nation de la grandeur, de la puissance et de la prospérité. Un empire ne possède de véritable félicité que lorsque la masse de ses citoyens possède cette virilité d’âme qui donne le désir sincère de connaître tous ses devoirs et la force de les accomplir. Les richesses du commerce et de l’agriculture, la magnificence des beaux-arts les jouissances de la vie ne peuvent sans les mœurs former un État florissant. Les nations sans mœurs, amollies par le luxe, énervées par les plaisirs, dégradées par les vices, guidées par l’intérêt personnel, peuvent avoir, par la prospérité matérielle, les apparences d’États puissants ; mais qu’on pénètre jusqu’à la source de la véritable force, on ne trouve qu’une extrême débilité. Et ici nous en appelons aux enseignements de l’histoire. Elle nous montre par les faits où git la véritable grandeur. Elle nous fait voir, d’un côté, de petits États résistant aux attaques des plus grands empires, s’élevant ensuite par degré et prenant enfin place parmi les premiers peuples du monde d’un autre côté, elle met sons nos yeux les plus vastes monarchies, soutenues par des millions de soldats, succombant sous les coups de quelques milliers d’hommes valeureux. D’où vient donc une telle différence ? Elle vient surtout de la différence des mœurs. Les grands empires s’étant laissé énerver par les plaisirs et la corruption, ont perdu leurs forces et ont dû succomber. Au contraire, les peuples qui avaient conservé toute l’énergie de la vertu, ont sans cesse grandi, parce qu’ils ont puisé sans cesse dans la vertu une force et un courage toujours renaissant. Tyr et Babylone élevèrent jadis une puissance colossale. Cette puissance ne reposait pas sur la vertu elle brilla un instant, comme l’éclair qui éblouit pour rejeter dans des ténèbres plus profondes. La corruption fut leur ruine ; le sol même qui avait porté ces villes célèbres sembla rougir de leur crime, il déroba pendant des siècles le lieu de leur existence. Rome et Lacédémone furent deux grandes cités pendant que ces deux villes eurent des mœurs ; toute leur puissance s’est évanouie avec la corruption.

Si du sommet des empires nous descendons dans les familles, nous y recueillons les mêmes enseignement* les trésors immenses s’épuisent, les plus beaux noms se flétrissent, la honte pénètre dans les plus nobles maisons, parce que les mœurs des grands se sont corrompues. Le pauvre s’est élevé, le fils de l’artisan s’est assis à côté des rois : c’est presque toujours à cause de sa sagesse de la conduite. S’il faut donner aux circonstances leur part dans l’élévation des hommes, il faut aussi confesser que les nouvelles fortunes, honnêtes et stables, sont ordinairement le produit d’une conduite bien réglée.

Ce n’est point assez de faire sentir l’importance de la morale, il faut encore en faire connaître les principes fondamentaux, en rechercher la source, en étudier l’histoire, en exposer les règles. Mais comme tout ce Dictionnaire est consacré à ce dernier point, nous nous contenterons, dans cette introduction, 1° de rechercher le fondement de la saine morale 2° nous ferons l’histoire de la morale ; 3" enfin nous indiquerons les sources où l’on doit puiser la bonne morale.

ARTICLE PREMIER.
de la base fondamentale de la morale.

II. Les grands édifices destinés à traverser les siècles doivent être établis sur des fondements inébranlables. La morale doit exister dans tous les temps, chez tout les peuples, résister à toutes les attaques des esprits et des cœurs corrompus elle doit donc avoir une base immuable pour défier les temps un fondement inébranlable pour braver les efforts de ses ennemis. Les sages se sont beaucoup occupés de cette base. Les uns ont essayé d’établir le fondement de la morale en dehors de la Divinité et de la religion. Leurs systèmes ont fait beaucoup de bruit. Nous devons les examiner d’abord, ensuite nous ferons connaitre la véritable base de la morale suivant la doctrine chrétienne,

§ Ier.
Systèmes de ceux qui établissent la base de la morale en dehors de la Divinité et de la religion.

III. Séparer la morale de la religion est pour nous quelque chose de monstrueux ; rien cependant ne paraît plus rationnel aux prétendus philosophes de notre siècle. Ils regardent même cette séparation comme une nécessité absolue, et établissent cette nécessité sur l’histoire de la religion.

Confondant la a véritable religion avec les cultes les plus faux, ils nous disent:Prenez l’histoire de toutes les religions lisez-y la multitude des divinités bizarres qui y sont nommées ; parcourez les rituels de tous les cultes, les prescriptions de tous les pontifes, les règlements disciplinaires et moraux des muphtis, des saliens, des bramines, des bonzes, des protopapas, des évêques, etc., etc., tous sont contradictoires, sans cesse variables, pour la plupart ridicules et cruels. Vouloir lier la morale à la religion, c’est donc vouloir lui faire mériter ces tristes qualifications, c’est l’assujettir à toutes les rêveries des imposteurs. Voyez les peuples qui n’ont pas encore été éclairés par une sage philosophie, qui n’ont d’autre principe de morale que leur


religion. Combien leur morale est vile et méprisable ! Qu’elle fait naître de dégoût ! D’où vient donc un tel avilissement ? Il n’a d’autre cause que l’alliance de la religion et de la morale. Pour rendre celle-ci sainte et pure, il faut la rendre indépendante des croyances religieuses.

Accordons un instant que l’histoire des religions prouve que leur alliance avec la morale a été funeste à celle-ci. Reste toujours la grande question du fondement de la morale, car il lui en faut nécessairement un. Le droit de commander emporte le devoir d’obéir ; ces deux idées sont corrélatives. Si la morale a des lois obligatoires, il y a donc une autorité qui en commande l’observation. Quelle est cette autorité ? Les systèmes sont nés en foule pour répondre à cette question. Nous allons exposer brièvement les quatre principaux.

1er Système. IV. La raison est le véritable fondement de la morale. Il est inutile, nous disent quelques philosophes, de faite intervenir l’autorité divine pour nous faire pratiquer la vertu et fuir le vice. Nous avons notre raison qui nous fait discerner le bien du mal, et qui nous donne des motifs suffisants pour pratiquer l’un et éviter l’autre écoutons la raison, et tous nos devoirs seront bien remplis.

Mais quelle est donc cette raison qu’on invoque avec tant de confiance, qu’on préconise comme la règle sûre de toute morale ? Est-ce la droite raison en général ? Mais c’est une abstraction de notre esprit, la raison n’a d’existence réelle que dans l’être raisonnable; vouloir donner ta raison en général pour règle de morale, c’est donner une chimère. Est-ce la raison individuelle ? Mais c’est dire à chaque homme:Descends dans ton âme, interroge-la, écoute ses leçons. Tout ce qu’elle te dira est bon, vrai, utile. Le sauvage entendra peut-être au fond de son âme qu’il doit tuer l’ennemi pris à la guerre pour manger sa chair ; c’est un acte de vertu. L’assassin qui a secoué tous les remords croit qu’il lui est utile d’assassiner le riche pour s’emparer de sa fortune, sa conscience est tranquille; il est vertueux. Ces affreuses conséquences nous font reculer d’effroi.

Et d’ailleurs, où s’est-il trouvé un homme qui ait une intelligence assez étendue, une âme assez ferme pour secouer tous ses préjugés d’enfance, pour oublier toutes les mauvaises leçons qu’il a reçues, pour heurter de front toutes les opinions de ceux avec lesquels il est obligé de vivre ? Quelques philosophes ont voulu faire parade de ce courage, mais c’est moins la raison que la vanité qui les a conduits. Et d’ailleurs, en voulant s’élever au-dessus de tous les préjugés, ne sont-ils pas tombés eux-mêmes dans les plus graves erreurs ? En lisant leurs livres, on ne peut s’empêcher de dire : Sottises pour sottises, autant vaut conserver celles des autres que d’en chercher de plus pernicieuses encore.

Supposons la raison parfaitement éclairée. Quelle sanction donne t-elle à ses prescriptions ? Que peut-elle opposer à ceux qui ne voudraient pas lui obéir ? Elle est un conseiller et non un maître ; elle fait voir le bien, elle manque de moyens pour le faire pratiquer. Son prétendu empire ressemble à celui d’un souverain qui, dépourvu de tout moyen de coaction, s’en rapporterait à la sagesse de ses sujets pour l’observation de ses lois. — Si les passions combattent les conseils, lequel des deux l’emportera ? Qu’y at-il dans la raison isolée et indépendamment de l’autorité qui nous la rende plus obligatoire que la passion ? Entre l’un qui me dit que telle action est louable, et l’autre qui me fait sentir que l’action contraire est agréable, quelle cause me fera préférer ce que je pense à ce que je sens, et la spéculation abstraite de mon esprit au sentiment ardent de mon cœur ? Le dictamen de la passion est plus vif, plus impérieux et tout aussi pratique que celui de la raison. — Certes, il n’est pas un sage qui n’appelât insensé celui qui se fierait entièrement à la raison de son fils en fait de morale.

Système. V. Nous trouverons peut-être une meilleure ressource dans le sentiment moral, dans cette espèce d’instinct qui nous fait admirer, aimer la vertu et détester le crime. Sans contester ici la réalité de ce sentiment, peut-il raisonnablement être présenté comme la base de la morale ? n’avons-nous pas les mêmes reproches à lui faire qu’à la raison ? Eclaire-t-il sur tous les devoirs ? Sommes-nous portés par notre nature à les distinguer, à les mirer comme le chien du chasseur qui poursuit son gibier ? Cette seule supposition est une absurdité. Le sentiment moral, cette espèce d’instinct, aura-t-il la force de faire observer la loi, quand les passions et les intérêts contraires entraîneraient au vice ? Il faudrait un goût bien décidé pour la vertu, pour se déterminer à la pratiquer dans ce qu’elle a de plus difficile, sans d’autre motif que l’amour qu’on lui porte. Et celui qui n’aurait pas ce goût, par quel ressort serait-il mû ?

Système. Par les lois, disent nos profonds raisonneurs, par la crainte des supplices, et par l’espoir des récompenses que la société peut établir l’homme en général craint plus le gibet que les dieux. — Mais toute législation humaine est nécessairement incomplète, incapable même de punir tous les vices qu’elle défend, et de récompenser tous les actes de vertu qu’elle prescrit.

VI. Si les principes des mœurs ne sont pas pris dans Dieu même et dans l’ordre qui l’a établi, et que sa providence maintient, on pourra bien faire des lois pour régler les actions des hommes et pour la police des sociétés, mais qui réglera son esprit, sa volonté et son cœur ? et si l’esprit et le cœur ne sont pas réglés par une autorité supérieure qui leur puisse commander, s’en faire obéir, que deviendront toutes les institutions humaines ? l’âme, partie principale de l’homme, sera sans règle intérieure, sans loi qui lui soit propre.

Si nous considérons la législation en elle-


même, combien de lois absurdes, injustes, pernicieuses chez la plupart des peuples ! D’ailleurs, les lois sont impuissantes sans les mœurs. Les esprits rusés savent les éluder, et les hommes puissants pensent impunément les braver. Il en a été de même dans tous les temps et chez toutes les nations.

Aucune société n’est assez puissante pour récompenser tous les actes de vertu qui peuvent être faits par ses membres ; plus les récompenses sont communes, plus elles perdent de prix. Et puis le législateur distinguera-t-il toujours le véritable mérite ? Comme cela arrive tous les jours, la vertu sincère ne demeurera-t-elle pas ignorée oubliée, tandis que la faveur tombera sur les coupables et sur les hypocrites ? Il n’y a qu’un tribunal où la vertu puisse espérer de trouver une appréciation et une récompense proportionnée à son mérite : c’est celui de Dieu, qui discerne sûrement la vérité, et ne fait ni faveur ni injustice.

Système. VII. Il y a enfin an quatrième principe de morale présenté par les incrédules, c’est l’intérêt personnel, le sentiment de l’honneur, le désir de la gloire, la crainte de s’avilir. – Remarquons d’abord que le principe de la morale doit être universel, qu’il doit s’étendre à tous les hommes et à toutes les actions. Combien de fois l’intérêt personnel ne commande-t-il pas le vice ? Combien de fois la pratique de la vertu n’impose-t-elle pas de grands sacrifices ? L’intérêt personnel soutiendra-t-il la vertu au milieu des railleries, des contradictions qu’elle est obligée d’essuyer ? — Le sentiment de l’honneur est là, dit-on. Mais l’honneur ne parle pas à tous les cœurs ; il y a des âmes qui y sont insensibles et qui ne reconnaissent d’autre bien que la satisfaction de leur intérêt personnel. Et d’ailleurs, l’honneur du monde est-il toujours d’accord avec les véritables principes ? Qu’y aura-t-il donc pour soutenir dans le bien, quand on aura contre soi tous les intérêts possibles ?

Nous sommes loin de méconnaître que ces divers sentiments aient une grande influence sur les actions des hommes. Pour qu’ils soient légitimes et bien réglés, ils doivent être dirigés par la religion, qui est la véritable base de la morale.

§ 11.
Du véritable fondement de la morale.

VIII. Tous les hommes véritablement sages ont enseigné que l’ordre moral repose essentiellement sur la Divinité. Et en effet Dieu en est la base la plus rationnelle, la plus solide, la plus appropriée à tous nos besoins. Dieu a établi l’ordre le plus admirable dans toute la nature. Il a pourvu avec une merveilleuse sagesse à la destination des êtres même inanimés, et aux moyens de l’atteindre ; il leur a donné des lois analogues à leur nature. Est-il croyable que le chef-d’œuvre de la création, que l’âme humaine serait le seul être abandonné sans aucune loi ? Etudiez les moindres créatures matérielles, vous y rencontrerez le plus bel ordre physique ; et dans celle des créatures où Dieu a imprimé le plus de traits de ses perfections, il n’aurait mis aucun ordre ? Dieu n’aime pas moins sans doute l’ordre moral (lue l’ordre physique et géométrique ; son autorité doit s’interposer également pour maintenir l’un et l’autre ses soins ne doivent donc pas moins s’étendre aux actions libres des créatures qu’aux mouvements aveugles des corps comme il y a des lois pour ceux-ci, il y en a aussi pour celle-là. (La Luzerne.)

S’il est impossible à l’astronome d’assister longtemps au jeu des astres sans apercevoir clairement une main toute-puissante qui donne à l’univers la coordination et la durée, il n’est pas plus possible d’étudier un instant l’esprit et le cœur de l’homme sans y trouver la main de Dieu qui dirige, règle et coordonne tous les mouvements moraux. Nous en trouvons la preuve dans les moyens donnés par la philosophie comme principe de la morale. Si, hors du sentiment religieux, ils sont incomplets, impuissants, sujets à de grandes illusions, dirigés par la vraie religion, ils ont cette plénitude d’étendue et d’autorité nécessaire pour rendre la morale puissante et féconde.

Sous la main de la véritable religion, la raison reçoit une force qu’elle ne possède pas par elle-même et dans notre état déchu. La révélation lui a été nécessaire pour comprendre et connaître l’ordre moral tout entier. C’est une vérité qui est démontrée à l’article Révélation. Mais lorsque la raison a été fortifiée par une saine instruction religieuse, qu’elle y a puisé une conviction profonde de l’existence d’un Dieu rémunérateur de la vertu et vengeur du vice, alors elle prend une nouvelle force, et la réflexion lui confirme et lui certifie les principes que l’instruction lui avait présentés ; elle les développe, dissipe les préjugés, éclaircit les difficultés elle multiplie même ces principes en tirant des conséquences qui, par leur certitude entière, deviennent elles-mêmes des règles de conduite.

IX. Loin de méconnaître l’instinct moral, la religion travaille sans cesse à le développer. Si, à la vue du malheureux qui souffre, nous sommes saisis d’un mouvement indélibéré de commisération, si nous désirons le soulager, la religion fortifie ce sentiment en nous montrant dans le malheureux l’image même de Dieu. Lorsque nous voyons ou que nous éprouvons un acte d’ingratitude, d’injustice, de méchanceté nous sommes saisis d’un mouvement subit de mépris et d’indignation la religion nous dit que le mal est détestable, que la peine qu’il nous cause doit nous engager à le fuir et à poursuivre le péché de notre haine, tout en aimant le bien qui se trouve dans le pécheur. Si le remords nous poursuit et nous engage à pleurer et à réparer nos fautes, la religion fortifie ces sentiments en disant que Dieu ne permet pas aux coupables d’anéantir les remords, que quand ils iraient se cacher au fond de la mer il y enverra le serpent pour


les déchirer par ses morsures (Amos, ix, 3).

La religion pousse les hommes dans la voie du bien par des mobiles plus puissants que la raison et le sentiment. Elle a trois mobiles qui comprennent tous les actes toutes les perfections et toutes les vertus, en sorte qu’il n’y a pas une loi, une perfection, un acte d’héroïsme qui n’y trouve sa raison d’être. Ces trois mobiles sont la crainte, l’espérance et l’amour.

X. La crainte est un puissant mobile d’action c’est celui que la loi civile emploie, pour maintenir les citoyens dans la ligne du devoir ; c’est aussi celui dont Dieu se sert à l’égard de l’homme. Il montre au prévaricateur de sa loi les flammes de l’enfer destinées à brûler le coupable pendant toute l’éternité. — Quoique très-puissante, la crainte est cependant un mobile très-imparfait. Dans ses rapports avec la législation civile, il est un moyen de répression très-incomplet : il ne peut s’étendre à toutes les violations de la loi. On peut échapper aux poursuites de la justice humaine. Considérée dans ses rapports avec la législation divine, la crainte n’a pas la même insuffisance. Le péché ne peut échapper à l’œil de Dieu ni à sa justice : la Divinité a toujours en main la puissance pour le punir. Aussi la crainte de Dieu embrasse tous les devoirs. Malgré toute son étendue, ce mobile est cependant encore imparfait. Celui qui est mû uniquement par la crainte ne fait aucune action magnanime.

XI. Il y a un second mobile c’est l’espérance d’obtenir une récompense de ses œuvres. Quoique plus grand et plus parfait que le précédent, ce mobile a aussi ses causes d’imperfection. L’homme, porté par sa nature à pourvoir aux besoins de sa félicité, poursuit son bonheur où il croit pouvoir le rencontrer c’est à ce besoin que nous devons la plupart des progrès sociaux et des perfectionnements des arts. Le désir d’obtenir les jouissances de la propriété, de la grandeur, de l’autorité, du plaisir, pousse sans cesse les hommes. Ce puissant mobile, tendant à ramener tout à l’intérêt personnel, manque de générosité. Agir pour soi, se constituer le centre de ses opérations, c’est rétrécir le rayonnement au lieu de l’élargir. Il faut qu’il soit tempéré par un autre mobile, qui est la perfection de tout principe d’activité, nous, voulons dire par l’amour.

XII. L’amour est le mobile le plus complet et le plus parfait de tous. L’amour profane a fait faire des prodiges ; l’amour de Dieu est plus grand, plus fort, plus fécond. Il n’y a pas un sentiment qu’il n’élève, pas une vertu qu’il ne fa<sc pratiquer, pas un progrès qu’il n’ait inspiré, pas un acte héroïque qu’il n’ait commandé, Nous voyons la puissance de l’amour de Dieu se manifester dans le courage des martyrs, éclater sur les chevalets, sous la griffe des bêtes féroces, au milieu des flammes. Il conduit la vierge timide et délicate au chevet du malade, dont elle se fait la mère et le soutien.

Ce n’est pas ici le lieu de donner a tous ces motifs les développements qu’ils exigent. Aux articles qui les concernent nous en ferons sentir toute la force. Mais les courtes observations que nous venons de présenter suffisent pour montrer que la religion est le seul fondement de la morale, qu’elle en est la base la plus solide, la plus complète et la plus puissante.

XIII. Avant de passer à la seconde partie de cette Introduction, nous devons répondre à une grande objection de nos adversaires. Ils veulent séparer la morale de la religion, parce que l’histoire nous présente une foule de cultes inhumains et bizarres, de divinités corrompues et corruptrices. Allier la morale à la religion, c’est donc vouloir l’unir à la corruption. Cette manière de raisonner est bien étrange. Lorsque nous demandons l’union de la morale et de la religion nous ne parions que de la religion véritable, qui ne peut pas être plus responsable des rêveries des imposteurs en fait de morale qu’en fait de dogme. Mais il n’y a rien de plus odieux que ces imposteurs qui nous parlent de morale, lorsqu’ils en détruisent jusqu’aux fondements et qui nous vantent leur système sans avoir posé la première pierre de l’édifice, Lorsqu’ils disent qu’en voulant lier la morale à la religion on les dénature l’une et l’autre, ils se montrent très-mal instruits c’est au contraire en voulant les séparer que les philosophes ont perverti l’une et l’autre. En méditant sur les sources de la perversité du paganisme, on y trouve précisément le besoin de se soustraire à l’autorité du Dieu vengeur du vice. Nos philosophes font mieux ils ne prennent pas la peine de changer les dieux, ils disent qu’ils ne se mêlent pas de morale. Il est dans l’antiquité un fait qui parle haut en faveur de l’alliance de la religion et de la morale. Il est constant que de tous les moralistes anciens les meilleurs ont été les pythagoriciens or, ils fondaient la morale et les lois sur la volonté de Dieu.Toutes les sectes qui ont fait profession de mépriser la religion se sont déshonorées par une morale détestable. Il en est de même de nos philosophes modernes, dit Dernier.

ARTICLE II.
histoire de la morale.

XIV. On s’occupe beaucoup de l’histoire des peuples ; mais il est une histoire beaucoup plus intéressante pour le monde c’est celle de la morale. En étudiant les mœurs de tous les temps et chez tous les peuples, on y recueillerait en passant quelque grand enseignement mais surtout on y apprendrait à estimer la loi de l’Evangile à sa juste valeur. Nous allons essayer de donner ici une esquisse légère de l’histoire de la morale. Nous regrettons que l’étendue de cette Introduction ne nous permette pas de la développer davantage. Pour mettre un peu d’ordre dans cette matière, nous ramenons à quatre chefs ce que nous allons dire de l’histoire de la morale. Nous en ferons connaître l’état, 1o sous les patriarches, 2o sous la loi de Moïse, 3o chez les païens, 4’sous la loi de l’Evangile.

§ Ier
De la morale des patriarches.

XV. Nous n’avons d’autre monument pour juger de la morale des patriarches, que la narration que nous en a faite Moïse. L’homme, suivant le récit de ce grand historien, ne fut pas obligé d’acquérir ses premières connaissances par la voie ordinaire Dieu se chargea de l’instruire,

L’histoire mosaïque avant le déluge est fort courte. Nous voyons Caïn et Abel offrir des sacrifices. Nous assistons au meurtre d’Abel ; nous y lisons le remords et l’effrayant désespoir du fratricide. Il y avait à cette époque des prédicateurs de justice et de religion qui annonçaient aux hommes la volonté de Dieu et sa loi, et qui les exhortaient, en son nom et par son autorité, à l’accomplir fidèlement et selon l’ordre et l’étendue de leur pouvoir. L’apôtre saint Pierre (Ep. II, cap. ii, v. 5) rend ce glorieux témoignage à Noé. Tel était aussi Enoch cet homme d’une vertu si éminente, et probablement encore plusieurs autres. Mais, malgré toutes ces admirables leçons, les hommes se laissèrent entraîner aux plus grands désordres ils méprisèrent la loi de Dieu, qu’ils ne pouvaient méconnaître ; ils se livrèrent à toutes sortes de débauches, de violences, de rapines et de méchancetés ; ils tombèrent dans une espèce d’athéisme négligeant et méprisant toute religion. C’est pourquoi saint Pierre appelle le monde de ce siècle pervers un monde sans Dieu. De si grands crimes attirèrent sur la terre le plus effroyable châtiment que l’imagination puisse concevoir tout fut détruit par le déluge, excepté Noé et sa famille.Le second père du genre humain reçut de nouvelles communications du Seigneur. Le récit de Moïse et les traditions juives nous laissent entendre que Dieu renouvela la publication de la loi morale. Quelle était la teneur de cette loi ? nous l’ignorons. Mais ces divins enseignements ne furent pas mieux suivis que les premiers, et nous assisterons à un effroyable égarement des mœurs. Voilà tout ce que nous pouvons dire de la morale primitive.

§ II.
De la morale judaïque.

XVI. L’abandon de la foi, la corruption des mœurs, l’oubli des vérités les plus saintes, avaient forcé le Seigneur à se choisir un peuple. Il avait confié à sa garde le dépôt sacré de sa doctrine. Mais bientôt la barrière devint impuissante, l’idolâtrie rompait les digues qu’on lui avait opposées. Le peuple hébreu chancela dans sa foi sur la terre d’Egypte. Non content de le tirer de la maison de servitude, le Seigneur voulut lui donner par écrit un code de lois. Ce code est un phénomène unique dans les annales du genre humain ; il embrasse tous les devoirs religieux, moraux, politiques et civils. Quoique faites d’un seul jet, ces lois sont si bien appropriées aux besoins du peuple pour lequel elles ont été formées, que durant quinze cents ans qu’a duré la nation juive, il n’a pas été nécessaire d’y faire de changements, malgré les états si divers où s’est trouvé le peuple déicide. Nous n’avons ici à nous occuper que de la portée morale de cette loi.

Pour donner plus de solennité à la promulgation de la loi morale, le Seigneur la publia au milieu de l’appareil le plus terrible. Ce fut aux éclats de la foudre que les échos du Sinaï répétaient sans cesse, et à la lumière éblouissante des éclairs, que Dieu promulgua les lois morales qui obligent indistinctement tous les hommes. Elles sont sommairement comprises dans dix commandements. Elles furent écrites sur deux tables de pierre pour servir de loi permanente à tout le peuple. Nous avons rapporté littéralement cette loi au mot Décalogue. Observons seulement ici que cette loi est simple claire, courte, propre à faire connaitre tous les principes de la loi naturelle, dont la connaissance est suffisante pour remplir les devoirs à l’égard de Dieu, à l’égard du prochain et à l’égard de soi-même.

Moïse développa plusieurs points de cette grande loi morale dans le cours de son code. Quelques-uns ont trouvé des adversaires. Tels sont, 1o la loi de mort portée contre les idolâtres 2o celles de la polygamie et du divorce. Nous examinerons la valeur des objections relatives à ces deux derniers points, aux mots Bigamie et Divorce. Bergier a répondu à celles qui concernent la mort prononcée contre les Chananéens. Voy. Dictionn. dogm., art. Chananéens.

Les plus saintes règles de morale ne rendent pas les hommes impeccables. Les Juifs violèrent souvent leur beau code de morale. Non-seulement la loi protestait sans cesse contre les violateurs, mais encore il paraissait souvent dans Israël des hommes de Dieu qui parcouraient les villes le Code de la loi à la main et rappelaient la nation à son devoir. il y avait une main invisible qui frappait le peuple lorsqu’il était sourd aux avertissements des prophètes. Les calamités la guerre, la famine, l’exil lui servaient de terribles prédicateurs. Revenant à l’observation Ce la loi, les Israélites voyaient aussi revenir les heureux jours. Les docteurs voulurent à leur tour se mêler de l’interprétation de la loi morale ; ils en pervertirent le sens. Au moment de la venue de Jésus-Christ, Jérusalem avait aussi ses écoles de philosophes qui dissertaient sur la vertu et corrompaient la morale. Elles n’étaient guère meilleures chez eux que chez les païens dont nous allons retracer l’histoire morale.

§ III.
De la morale chez les païens.

XVII. Le paganisme n’est pas le côté le moins curieux de l’histoire de la morale. C’est là qu’on a vu mettre en pratique les principes des ennemis de la révélation. On pourra juger par les fruits de l’excellence de la doctrine. Pour bien juger de la morale des païens, il est nécessaire de rechercher et d’étudier les diverses influences auxquelles elle était soumise. Or ces influences ne peuvent être que la loi religieuse la loi civile la coutume et les enseignements des sages Voilà croyons-nous, les seuls moyens dont se forma la morale des païens.

1o Influence de la religion sur les mœurs des païens.

XVIII. La plus grande influence morale dans le christianisme est certainement la religion. Elle montre à tous les hommes une loi descendue du ciel un œil invisible scrutant toutes les pensées, les désirs, les actions secrètes comme celles qui sont publiques soumettant tout à son jugement redoutable qui doit décider de tout avec une justice rigoureuse.

La sanction religieuse de l’autre vie a une immense influence sur tes déterminations du chrétien. Le païen avait aussi son Elysée et son enfer mais en dehors de ces idées la religion n’avait d’autre action sur les mœurs qu’une influence malheureuse. Uniquement renfermée dans un cérémonial extérieur, elle ne s’embarrassait ni d’éclairer l’esprit par la connaissance de la vérité ni de régler les actions des hommes par la pratique des devoirs moraux. Selon Varron l’office des prêtres se réduisait à apprendre aux hommes quels dieux ils devaient honorer, quelle espèce de sacrifice ils devaient offrir à chaque divinité. Les prêtres devaient encore diriger les fidèles dans l’observation des rites et des cérémonies. Chez les Romains, il est vrai, les prêtres avaient une certaine inspection sur les mœurs. (Cicer. de Domo sua.) Mais c’était un cas purement exceptionnel. Puffendorf observe à cet égard que celle institution religieuse des Romains était purement civile, qu’elle n’avait d’autre but que le bien public, mais qu’elle n’avait nullement pour dessein de former la conduite et les mœurs particulières.

La religion païenne était si éloignée de prescrire aucune maxime de morale ou d’inspirer aucune vertu sociale, que dans plusieurs occasions les rites religieux par lesquels on prétendait honorer les dieux et se les rendre favorables étaient tout à fait contraires aux bonnes mœurs, en sorte qu’au lieu d’encourager la pratique de la vertu, ils portaient au crime et à la débauche. Il faudrait faire un livre si on voulait rapporter dans le détail les cérémonies religieuses des païens qui étaient ridicules cruelles licencieuses, impudiques. Nous dirons seulement quelques mots de ces dernières. Nous nommerons d’abord les Bacchanales, où c’était une vertu de s’enivrer et de se livrer à tous les vices qui sont la suite de l’ivresse. De là ce mot d’Aristippe, rapporté par Empyricus : Une femme vraiment chaste le sera même dans le temple des Bacchanales. — Les Lupercales, fêtes de la plus grande antiquité chez les Romains, instituées en l’honneur du dieu Pan, se célébraient de la manière la plus immodeste. Les prêtres de ce dieu couraient comme des insensés par les rues et les places publiques, presque tout nus, frappant tout ce qu’ils rencontraient. – Et les fêtes des jeux floraux célébrées par des compagnies de filles prostituées, qui jouaient les pantomimes les plus lubriques, n’étaient-elles pas protégées, encouragées par les hommes les plus grave » ? — Kotys, la déesse de l’impudicité, avait des fêtes à Athènes, à Corinthe, à Chio, dans la Thrace, etc. Elles consistaient en débauches de toute espèce telles qu’elles convenaient à la déesse qu’on croyait honorer. Les prêtres d’une telle divinité, instruits dans l’art de la volupté la plus honteuse, mettaient alors leur science en pratique sous la protection de la déesse qu’ils servaient. — Et Vénus, l’impudique Vénus ! quelles prêtresses voulait-elle ? des courtisanes. On l’honorait en se livrant et en consacrant des jeunes filles à la débauche. A Babylone, toute femme du pays était obligée d’aller se prostituer, au moins une fois dans sa vie, à un étranger, sur l’autel de la déesse. Il y a quelque chose de plus révoltant encore. Telles sont les impuretés horribles que des hommes en Égypte commettaient publiquement et ouvertement avec les chèvres du dieu Pan. Tel était le culte public rendu aux parties honteuses qu’on promenait, et que les filles et les femmes étaient obligées de couronner. Nous avons vu une gravure représentant fidèlement un temple de Denderah, copiée par les savants qui suivaient l’expédition de Bonaparte. C’était quelque chose d’horrible : le temple était environné de statues entièrement nues, l’œil fixé sur les parties les plus honteuses.

Tirons le rideau sur ces horreurs, que l’on a de la peine à entendre et à raconter sans frémir. On ne comprend pas, après cela, comment des hommes ont pu être assez aveuglés par les préjugés pour oser dire, comme Voltaire (Siècle de Louis XIV), que « la religion des païens ne consistait que dans la morale et les fêtes ; la morale, qui est commune aux hommes de tous les temps et de tous les lieux les fêtes, qui n’étaient que des réjouissances et ne pouvaient troubler le genre humain. » Nous pensons avoir évidemment prouvé que la religion païenne devait avoir une influence pernicieuse sur les mœurs des peuples soumis à son empire.

De l’influence des lois civiles sur la morale des païens.

XIX. La législation civile et politique d’un grand nombre de peuples anciens fut très-remarquable par des vues élevées, propres à maintenir l’ordre dans la société. On ne peut nier qu’elle n’ait eu une grande influence sur les mœurs. Cependant ces lois ne peuvent être regardées comme une règle complète de la vie morale. Il leur manquait pour cela trois qualités importantes.

XX. 1° Elles ne réglaient pas tous les principes de morale. La législation s’occupait de régler les rapports des citoyens entre eux, mais elle ne leur traçait pas de règle de conduite personnelle. Le cœur, cette partie si importante de l’homme, n’avait pas de gouvernail. Il était abandonné à ses inspirations personnelles. C’était là un défaut immense.

XXI. 2° La sanction des lois était purement humanitaire et terrestre. La morale n’avait pas une protection suffisante, car on sait que la ruse peut inventer mille stratagèmes pour échapper à l’atteinte de la loi ; c’est ce qui soutient tous les jours les malfaiteurs.

XXII. 3° Les lois elles-mêmes renfermaient de grandes imperfections.

L’Égypte avait une législation très-remarquable. La plupart des législateurs y allèrent puiser les principes de leurs lois. Un savant auteur moderne (M. Goguel) a fait voir que, quoique les Egyptiens eussent quelques bonnes constitutions politiques, il régnait néanmoins dans leur gouvernement des abus et des vices essentiels, autorisés par leurs lois et par les principes fondamentaux de leur Etat.

Les Grecs sont comptés avec raison parmi les nations les plus savantes et les plus civilisées de l’antiquité. Les lois de Lycurgue ont été beaucoup vantées cependant elles semblent avoir un seul but, la guerre. Aussi, au rapport de Plutarque, des hommes judicieux pensaient que les lois de Lycurgue étaient propres à faire de bons soldats et des hommes vicieux. Et certes, la législation qui concerne les ilotes suffirait pour la condamner. Ces esclaves étaient réputés fort au-dessous des animaux domestiques. Des indécences impardonnables étaient tolérées à Lacédémone. Les hommes et les femmes se baignaient dans des bains communs. Il y avait des danses ou les jeunes gens et les filles étaient entièrement nus. Il y avait un vice plus affreux encore, c’était la pédérastie, prescrite, dit-on, par Lycurgue pour arrêter l’accroissement de la population. Aussi, au rapport de Xénophon, ce vice devint commun à toute la Grèce.

La législation romaine était peut-être la plus parfaite de toutes celles de l’antiquité. Les lois des douze tables paraissent avoir beaucoup d’analogie avec celles de Moïse elles étaient encore bien défectueuses. Elles permettaient la mort des enfants contrefaits elles donnaient au maître un droit si absolu sur ses esclaves, qu’il pouvait les jeter aux poissons pour les nourrir ; elles toléraient les spectacles des gladiateurs et la pédérastie elle-même.

Nous ne pousserons pas plus loin notre examen des législations païennes ; nous croyons que les considérations que nous venons de présenter sont une preuve évidente qu’elles ne présentaient pas une règle suffisante de morale ; que, faites uniquement pour régler les rapports des citoyens entre eux et avec l’Etat, elles ne réglaient pas les devoirs de l’homme à l’égard de la Divinité et ne lui traçaient pas à lui-même la ligne qu’il devait suivre.

De l’influence des mœurs sur la morale païenne.

XXIII. Il est certain que la coutume peut avoir une très grande influence sur les mœurs ; mais elle ne peut être regardée comme appartenant à la morale, qu’en tant qu’elle est consacrée et regardée comme étant bonne, sainte, conforme a la sagesse. Dans le christianisme il y a une infinité d’abus contre lesquels les moralistes ne cessent de s’élever il faut nécessairement les regarder comme immoraux et placés en dehors de la morale. Mais chez les païens il y avait des usages regardés comme bons et légitimes, qui violaient les plus saintes lois. Ainsi Sextus Empyricus rapporte que dans plusieurs contrées de l’Egypte, les femmes pouvaient se prostituer elles-mêmes, non-seulement sans se déshonorer, mais même avec gloire, la prostitution étant regardée comme quelque chose d’honorable et de glorieux. Nous avons déjà dit ce qu’étaient les mœurs des Grecs dans leurs fêtes religieuses. Eusèbe observe que les crimes les plus horribles contre nature ne déshonoraient personne, pas même les sages. Les mêmes vices régnaient chez les Romains, sans exciter plus de réprobation.

Saint Paul avait donc raison de citer, pour premier trait dans la peinture qu’il nous fait de l’étonnante corruption des païens, cette abomination énorme et commune, non-seulement parmi le peuple, mais encore parmi les grands et les philosophes. Il ne fallait pas moins qu’une loi divine, fortifiée de l’autorité de Dieu même et des menaces les plus terribles, pour détruire ces vices affreux, malgré la force d’une coutume invétérée, d’un exemple imposant et d’une philosophie d’autant plus imposante qu’elle était l’organe des passions.

De l’influence de la philosophie sur la morale des païens.

XXIV. Il est incontestable que la philosophie eut une très-grande influence sur la morale. Souvent cette influence fut heureuse. Aussi la philosophie a-t-elle reçu de très-grands éloges de la part des hommes éclairés. Cicéron dit qu’elle forme le cœur et l’esprit de l’homme, qu’elle déracine les erreurs et les vices qu’elle est la médecine de l’âme, qu’elle la guérit de toute affection déréglée, que si nous voulons être bons et heureux, elle nous fournira tous les secours dont nous avons besoin pour persévérer dans la vertu et dans la vie heureuse (Tuscul.).

Ces éloges sont grands ; à quelques égards ils n’ont rien d’exagéré. Les philosophes de l’antiquité parlèrent de la vertu avec toute la vivacité de l’enthousiasme comme ils flétrirent hautement le vice et firent connaitre les maux dont il est la source. Doit-on pour cela conclure que la philosophie présentait une règle bien sûre de morale ? Ce serait une grande illusion de se le persuader. Avant de déduire nos conséquences, expo’sons d’abord les principaux systèmes de la philosophie relativement à la morale. Le premier système est celui d’Epicure. Il a eu un très-grand nombre de partisans. Il adopta pour principe fondamental cette maxime affreuse, admise par d’autres sectes philosophiques Qu’il n’y a en soi ni bien ni


mal, ni vice ni vertu. Il ne prétendit pas moins conduire l’homme à la pratique du bien par cette seule règle de conduite L’homme doit rechercher le bonheur. Or, tout le bonheur de l’homme consiste dans la santé du corps et dans la tranquillité de l’esprit. De cette maxime il tirait pour conséquences que l’homme doit être ami de la tempérance et de la justice qu’il doit fuir l’ambition, la colère, l’adultère, parce que tout cela est propre à porter atteinte au bonheur. Il recommandait de cultiver l’amitié qui est une source de félicité. Tel est le fameux système d’Epicure qui a eu une si grande célébrité, et qui ne s’est pas renfermé dans les termes que son auteur voulut lui donner. Car les amis de la bonne chère, des plaisirs les plus vifs, ont reçu le nom d’épicuriens. Les conséquences furent terribles. Les Cyrénaïques prêchèrent les voluptés les plus honteuses ils y trouvaient leur bonheur, que pouvait-on leur dire ?

XXV. Les académiciens, les péripatéticiens, les stoïciens passaient pour d’excellents moralistes. Montesquieu exalte beaucoup la sagesse des stoïciens. « De toutes les sectes philosophiques, dit-il, il n’y en a jamais eu dont les principes fussent plus dignes de l’homme et plus propres à former les gens de bien, que ceux des stoïciens, et si je pouvais un moment cesser de penser que je suis chrétien je ne pourrais m’empêcher de mettre la destruction de la secte de Zénon au nombre des malheurs du genre humain… »

Cette école de philosophie avait poussé bien loin les principes de la morale, parce qu’elle avait établie sur son’véritable principe elle reconnaissait que la Divinité est la base de toute législation comme de toute morale ; que tout autre fondement est illusoire et mensonger. De là, les stoïciens déduisaient merveilleusement les règles des mœurs et les principes de la perfection. Ce serait cependant une très-grande erreur de se persuader que leurs écoles de philosophie présentaient une morale pure. Nous allons relever quelques-uns de leurs principes, et pour qu’on ne croie pas que nous avons été les puiser dans les livres de quelques disciples obscurs, nous choisirons ceux des maîtres. Platon, Socrate, Aristote, Cicéron, Plutarque passent à juste titre pour les plus grands moralistes du paganisme. Leurs principes sont cependant loin d’être purs. Platon méconnaît le droit des gens. Il prétend que tout est permis à l’égard des barbares. Il dispense les femmes de toute pudeur ; il veut qu’elles soient communes et que leurs laveurs servent de récompense à la vertu. Il établit que les femmes à quarante ans et les hommes à quarante-cinq pourront suivre leurs appétits brutaux sans frein et sans règle, et que s’il naît quelques enfants de ce commerce, ils seront mis à mort. (De Republ. lib. v).

Aristote ne blâme pas la morale de Platon il approuve la vengeance et regarde la douceur comme une faiblesse. Cicéron parle de la vengeance comme Aristote. Quoiqu’il ait établi de beaux principes de morale, il avoue que la base n’en est pas bien solide. Plutarque approuvait la licence que Lycurgue avait établie à Sparte et l’inhumanité des Spartiates.

L’étendue d’une introduction à un Dictionnaire ne nous permet pas d’étudier en particulier la momie de chacun des sages. Zoroastre, les Bramines, Confucius, etc., etc., avaient aussi leur principe des mœurs. Nous regrettons de ne pouvoir leur faire subir un examen particulier. C’est assez d’avoir parlé des plus sages. Nous terminerons cet article par quelques considérations qui feront comprendre l’insuffisance des écoles de philosophie pour fonder la morale.

De l’examen auquel nous venons de nous livrer, il résulte qu’il n’est pas un philosophe ou une secte philosophique qui ne renferme des erreurs, des omissions, des vices considérables. Il n’y en a donc pas une dont les écrits puissent servir de code de morale. Tout ce qu’on pourrait soutenir de plus vraisemblable ou de moins révoltant à ce sujet, c’est qu’il n’y a point de précepte ou de devoir moral prescrit par l’Evangile qui ne puisse se trouver en tout ou en partie dans les écrits de l’un ou de l’autre des philosophes païens. Et quand cela serait, quel avantage le peuple pourrait-il en retirer ? Comment la multitude grossière et ignorante pourrait-elle découvrir la règle de ses devoirs au milieu des productions volumineuses de toutes les sectes philosophiques ? Quel travail immense, quelle sagacité une pareille recherche n’exigerait-elle pas du plus savant des hommes 1 Eh bien supposons qu’on puisse rassembler les préceptes de différents endroits, qu’on en prenne quelques-uns de Solon et de Bias en Grèce, quelques autres de Cicéron en Italie et pour rendre l’ouvrage plus complet, allons jusque dans la Chine consulter Confucius et empruntons en Scythie les lumières du sage Anacharsis comment toutes ces pièces ramassées pourraient-elles faire un système complet de morale, qui soit reçu de tous les hommes du monde pour être la règle authentique de leur vie et de leurs mœurs ? Qui donnerait de l’autorité à un pareil recueil I Reçu aujourd’hui demain il deviendrait l’objet de la dispute et serait mis en lambeaux.

Les considérations que nous venons de présenter sur l’histoire de la morale du paganisme ont été en partie empruntées à Leland. Nous regrettons de n’avoir pu le suivre dans tous les détails qu’il nous donne sur ce sujet intéressant ; nous conseillons de lire tout son ouvrage, qui se trouve dans les Démonstrations évangéliques, tom. VII.

§ IV.
De la morale chez les chrétiens.

XXVI. La morale de l’Evangile offre à l’esprit une perfection étonnante, « La majorité des Ecritures m’étonne, a dit Jean-Jacques Rousseau, la sainteté de l’Evangile


parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe ; qu’ils sont petits près de celui-là. Se peut-il qu’un livre si simple et si sublime soit t’ouvrage des hommes ? » Non, il n’est pas des hommes, car le Fils de Dieu vint sur la terre pour établir le vrai sens de la loi et des prophètes, pour mettre dans un nouveau jour les préceptes de la morale et leur donner toute leur perfection, l’évidence et la force dont ils sont susceptibles avec une sanction convenable. 11 venait instruire les hommes dans la connaissance du vrai Dieu et de la véritable religion. Mais ce n’était là qu’une partie de la doctrine qu’il devait leur enseigner. Pour remplir entièrement l’objet de sa mission à cet égard, il leur donna un système complet de morale qui renfermait tous les devoirs dans leur juste étendue, confirmant et renforçant ses préceptes par une autorité divine, par les motifs les plus puissants et les plus persuasifs et par l’auguste exemple de sa vie. Tout le système moral de l’Evangile est développé dans divers articles de ce Dictionnaire. Nous nous abstenons ici d’en donner une notion plus complète.

ARTICLE III.
des sources de la bonne morale

XXVII. Les principes qui dirigent la morale doivent être l’expression de la volonté divine manifestée d’une manière quelconque, mais indubitable ; car, autrement, l’agent ne pourrait jamais parvenir à l’état de sécurité qu’exige sa nature morale. Or, la volonté de Dieu peut s’être manifestée ou dans la constitution de l’homme lui-même, ou par une révélation spéciale faite à quelques hommes et par eux communiquée à leurs semblables. Ces deux modes, énoncés d’une manière aussi générale, sont les seuls admissibles attendu qu’il est démontré par l’expérience, et qu’il résulte de la liberté que l’Etre suprême n’intime pas ses ordres immédiatement à chaque individu et dans tous les cas où il se trouve dans la nécessité d’agir.

La constitution de l’homme ne nous fournit pas une source suffisante de la saine morale. Comme être physique, l’homme est doué, ainsi que tous les animaux, du double instinct de sa conservation individuelle et de celle de son espèce ; comme être moral, il a en partage le sentiment du bonheur, le pouvoir de tendre vers lui, ou la liberté, le sens moral pour l’appréciation des moyens qui y conduisent, et la raison pour la recherche de ces moyens. Il trouve autour de lui, dans la nature physique, de quoi satisfaire son double instinct, mois avec une telle surabondance qu’il travaille bientôt à sa propre destruction et à celle de son espèce, s’il ne cherche à régler ses appétits ; et son désir du bonheur, s’il n’est convenablement réglé, le porte naturellement, chose presque incroyable, à ce double désastre. Il est clair que la liberté favorisera cette impulsion si aucune autre direction ne lui est imprimée. Restent le sens moral et la raison : nous avons vu dans la première partie de cette Introduction leur complète insuffisance ; nous ajouterons seulement deux courtes réflexions : la première, c’est que cette voie est impraticable pour la plupart des hommes, que le défaut d’intelligence ou les besoins ordinaires de la vie rendent incapables de méditation ; la seconde, c’est que quand bien même les philosophes seraient jamais parvenus, à force de recherches à dresser un Code de morale, ils auraient manqué de l’autorité suffisante pour l’imposer à leurs semblables. Quel est l’homme en effet qui consentirait jamais à enchaîner lui-même sa liberté s’il n’était persuadé par une voie quelconque qu’il regarde comme sûre, que les préceptes de morale qui lui sont proposés émanent de l’autorité de celui dont il a tout à craindre ou à espérer ? Au surplus, comment et sous la présidence de qui pourrait s’effectuer une association centrale de philosophes moralistes ? Quelle pourrait être la règle du choix des préceptes ? Qui est-ce qui les expliquerait et en ferait l’application aux cas innombrables, qui, vu la liberté humaine se présentent sous toutes les formes et se compliquent tous les jours de plus en plus ? Il est donc bien évident que tout enseignement naturel de morale pour la direction de la conscience est aussi impossible que l’est l’institution elle-même d’une morale purement philosophique.

Maintenant que nous avons démontré directement la gratuité et l’impossibilité de l’établissement de principes-règles de la conscience par une prétendue induction rationnelle, nous allons jeter un coup d’œil critique sur les principaux systèmes qu’a enfantés l’école rationaliste moderne, pour moraliser sans le secours de la révélation. Tout le monde sait que le père de cette école est Emmanuel Kant, philosophe allemand, qui, après avoir contesté la puissance de la raison spéculative, dans sa Critique de la raison pure, a eu la ridicule prétention d’arriver, au moyen de sa Théorie de la raison pratique, à tous les résultats de la morale commune. Il finit précisément par où il aurait dû commencer, et il commence par où il aurait dû finir s’il eût procédé par analyse. Mais il est évident qu’il a pris pour point de départ et pour guide la synthèse chrétienne, sans s’embarrasser des contradictions sans nombre qui s’offraient sur son passage, dans la direction du but qu’il s’était proposé. C’est en vain qu’il cherche à rentrer dans le monde nouménal ou des réalités, après avoir consacré l’idéalisme absolu : il prétend se considérer sous le rapport fondamental du mot (de lui-même) indépendamment de l’espace et du temps, comme si cette considération n’avait pas nécessairement lieu dans le temps dont les diverses parties sont intimement liées avec les modifications successives de l’âme, qui ont et commencement et fin, outre qu’elles ont entre elles un ordre qui n’est appréciable que dans le temps. Que d’efforts inutiles ne fait-il pas pour parvenir à la réalité de son âme et de ses opérations ? Son imagination malade accouche


enfin de la liberté ; il croit être sauvé au moyen de cet enthymème : L’homme est libre, donc une morale est possible, et l’homme en trouvera les règles dans sa conscience. » Nous avons démontré ci-dessus l’absurdité de la conséquence, et nous continuons de demander sur quels principes seront basées ces règles, prétendu fruit de la conscience, dont elles doivent être la racine. Il nous parle de la double tendance et à être heureux et à être vertueux. Mais qui lui adonné l’idée de vertu ? Il compare le choix de l’épicurien à celui du stoïcien, sans prendre garde que la satisfaction physique de l’un n’est pas plus douce et ne rend pas plus heureux que la satisfaction orgueilleuse de l’autre. Il veut que l’on reconnaisse, en l’étudiant, que le besoin d’être heureux doive être subordonné au précepte d’être vertueux. Mais en quoi consiste ce précepte d’être vertueux ? Quels en sont la nature, l’origine et l’objet ? Quelle en sera la sanction ? Cette subordination, ajoute-t-il, est commandée sous peine d’encourir le double mépris de soi-même et des autres. Nous demanderons encore sur quels principes sera fondée cette double appréciation. Après avoir fait observer suffisamment l’insuffisance des prémisses, nous pouvons nous abstenir de qualifier la conclusion de notre philosophe à l’impératif catégorique, et la rencontre du devoir, qui est la soumission à cet impératif. Il convenait de donner à la morale un but quelconque. Mais on ne le cherchera pas bien loin ; car on établit que la raison doit être son but à elle-même. Comme si l’homme pouvait agir sans aucun motif de crainte ou d’espérance ! Voilà un quiétisme d’un nouveau genre ! On y trouvera, non un excès de l’amour divin, mais seulement un défaut absolu et contre nature de l’amour de soi-même. Le philosophe allemand n’a pas été plus heureux dans l’établissement de la morale sociale que dans celui de la morale individuelle. Agis de telle sorte, se dit-il, que le motif prochain ou la maxime de ta volonté puisse devenir une règle universelle, dans la législation de tous les êtres raisonnables. Mais de quelle sorte faudra-t-il agir ? Comment l’impératif catégorique sera-t-il assez puissant pour porter l’homme à respecter, en dépit de ses intérêts actuels, la personne et le bien de son semblable ? La société, dans l’hypothèse des rationalistes, aurait-elle même été possible ? On nous répond que l’homme, pour se déterminer au devoir, a cette loi intérieure : L’homme n’est digne de bonheur qu’autant qu’il fait son devoir ; le vice est digne de punition, loi souvent démentie dans le monde phénoménal et ne pouvant recevoir son accomplissement que dans le monde nouménal d’où l’on conclut l’immortalité de l’âme, les peines et les récompenses d’une vie future, la nécessité d’un juge suprême d’une sagesse infinie, enfin l’existence de Dieu. Cette loi est féconde en résultats, mais quels en sont les éléments constitutifs ? Nous avons vu qu’il est impossible d’arriver, dans le système que nous combattons, à la notion du devoir. Mais en outre, comment faire l’association de l’idée de bonheur à celle de devoir, quand on ne peut naturellement sentir d’autres jouissances que celles du bien-être physique ou de l’orgueil, après surtout qu’on a admis l’opposition de deux tendances, dont l’une dit : Sois heureux, et l’autre Sois vertueux ? Comment concevoir que le vice soit divine de punition, quand on ne peut rationnellement reconnaître ni lois morales, ni sanction, ni législateur ? De quelles infractions l’homme prétendu vicieux pourrait-il être puni, et par qui ? Ce qui étonne surtout, c’est que l’induction philosophique, reconnue absolument impuissante et incapable d’arriver à aucun résultat dans la Critique de la raison pure, acquiert tout à coup, dans la Théorie de la raison pratique, une puissance magique de synthèse telle, qu’elle s’élève en un instant des conséquences les plus complexes au principe le plus simple. Ce principe, qui est Dieu. est déduit comme dernière conséquence, et cependant quel édifice rationnel de morale peut-on élever en dehors de cette pierre fondamentale ?

Nous ne suivrons point Fichte, Schelling et les autres disciples du philosophe allemand, qui ont successivement tenté de modifier de diverses manières le système de leur maître. Qu’il nous suffise de faire observer qu’ils n’ont, comme Kant, considéré le bien que par rapport à la liberté humaine et n’ont pas plus recherché que lui quelle est la nature du bien en soi. Nous allons porter un instant nos regards sur les théories les plus modernes des rationalistes. Moins imprévoyants que le chef de leur école, ils ont voulu éviter les embarras qu’il s’est crées dans sa Théorie de la raison pratique pour l’établissement, par voie de conséquence, des dogmes fondamentaux de la morale. Ils ont jugé, et avec raison, qu’il était beaucoup plus commode de prendre les choses à l’état où elles se trouvent dans une société civilisée par le christianisme, que de tenter de vains efforts pour s’élever rationnellement à la connaissance d’un Etre infini, créateur, de l’immortalité de l’âme. de la fin de l’homme, des moyens par lesquels il doit se diriger vers elle et de la nature du devoir, toutes vérités indispensables pour l’organisation de tout système de morale.

Nous commençons par M. Cousin, qui, grâce à sa position sociale plutôt qu’à son génie, est regardé comme le coryphée de l’école rationaliste française. Voyons comment il s’explique sur la nature du bien moral et sur l’origine des idées qui s’y rattachent. D’abord, dit-il (Leçons de 1829, III° vol., p. 2iî4), que dans l’entendement humain, tel qu’il est aujourd’hui, il y ait l’idée du bien et l’idée du mal tout à fait distincts l’un de l’autre, c’est ce que l’observation la plus superficielle, pourvu qu’elle soit impartiale, démontre aisément c’est un fait, qu’en présence de certaines actions la raison les qualifie de bonnes ou de mauvaises, de justes ou d’injustes, d’honnêtes ou de déshonnêtes. Et ce n’est pas seulement dam quelques hommes d’élite que la raison


porte ce jugement ; il n’y a pas un homme, ignorant ou instruit civilisé ou sauvage, pourvu qu’il soit un être raisonnable et moral, qui ne porte le même jugement. Nous demanderons d’abord à M. Cousin pour quel motif il ne cherche la notion de moralité que dans l’entendement humain tel qu’il est aujourd’hui. S’il ne regarde pas celle notion comme étant innée, ce que l’expérience combat victorieusement, quelle autre origine peut-il lui assigner qu’une révélation positive transmise de génération en génération avec plus ou moins de développement ou d’altération ; puisque l’induction philosophique ne peut, même dans notre siècle, conduire à un tel résultat ? Mais quelle théorie rationnelle prétend-il établir sur un fait qui est inexplicable dans ses principes ? Qu’il est aisé de philosopher naturellement, en se basant sur des principes d’origine surnaturelle 1 mais aussi, quel aveuglement de le faire sans s’en apercevoir, ou quelle mauvaise fui de ne pas vouloir en convenir Quel est le caractère des actions que la raison qualifie de bonnes ou de mauvaises, soit dans l’état de civilisation, soit dans l’état sauvage ? C’est ce qu’il eût été de la plus haute importance de déterminer, et c’est cependant ce que notre penseur n’a point fait, sans doute parce que la tâche lui a paru trop difficile. Encore, pourquoi telle action est-elle réputée bonne et telle autre mauvaise ? C’est précisément ce pourquoi qu’aurait dû chercher notre moraliste naturel, c’est là que doit être l’essence même du bien. Mais, prétendent quelques-uns, les idées simples, autant qu’indécomposables, sont inexplicables el claires par elles-mêmes, et telle est l’idée du bien. Si cette idée était aussi claire, les philosophes n’auraient pas fait pendant près de trois mille ans d’inutiles efforts pour la mettre en lumière. Quelle est la solution définitive à laquelle la raison soit jamais parvenue ? Qu’on ne nous parle pas d’une loi rationnelle a priori cela n’explique rien, et l’obligation morale qu’on en fait résulter est tout aussi imaginaire que [’impératif catégorique de Kant. Cependant M. Cousin a semblé aborder quelque part la question de la nature du bien ; mais ce n’est que pour faire de celui-ci un point de vue purement intellectuel, une simple abstraction qui n’est pas même une idée générale c’est l’être envisagé dans ses rapports avec la volonté, et par conséquent sous le point de vue pratique. Peut-on concevoir qu’une bonne action ne suit rien de réel, de positif ? Pourquoi donc faire des théories pour ne rien dire ? Pourquoi d’un autre côté méconnaître l’origine des seuls principes que l’on puisse invoquer en morale ? il nous est plus facile de trouver ces pourquoi qu’il ne l’est à M. Cousin de satisfaire à celui de la bonté des actions, sans avoir recours à la révélation divine.

M. Jouffroy fait consister le bien dans la fin des êtres. L’idée, dit-il (Cours de droit naturel, tom. 111, p. 101), par laquelle je tra~duis l’idée du bien, c’est celle de fin. Je dis qu’il est évident pour tout homme, d’abord qu’il a une fin, ensuite que cette fin est un bien ; que cette fin est précisément ce qui est caché pour lui sous le mot de son véritable bien. Je vous le demande, messieurs, est-il ou n’est-il pas vrai, sentez-vous qu’il y ait ou non équation absolue entre ces deux choses : la fin d’un être est son véritable bien ? N’est-ce pas une chose évidente que tout être a une fin : quelle est cette fin ? C’est son bien, son véritable bien ; c’est là en quoi consiste, pour tout être intelligent et libre, son véritable bien, et par conséquent son devoir. Quiconque va de toute sa force à la fin pour laquelle il a été créé fait ce qu’il doit faire. L’illustre professeur donne cette idée comme une merveille qu’il vient de découvrir ; écoutons saint Thomas sur cette matière. Après avoir défini la fin et conclu qu’elle est le principe des actions de l’homme : Inferes 2°, continue-t-il, finem et bonum idem esse matérialiter, quia voluntas non potest moveri nec allici, nisi a bono vero vel apparente, quod est ejus objectum adœquatum : differunt tamen formaliter, quia bonum dicitur prout est conveniens appetitui, finis prout movet ad média ; est enim id cujus gratia aliquid fit. (1-2, q. 1, 0. a. 3, 0.) Nous serions curieux de connaitre les principes naturels qui ont déterminé M. Jouffroy à admettre que l’homme a une fin. Cessons toutefois de les chercher, puisqu’il déclare, on en conçoit le motif, que la chose est évidente, et qu’il suppose comme une idée reçue que l’homme ait été créé pour une fin. Il interroge ses auditeurs et les invite à témoigner de l’évidence de la vérité qu’il se propose d’établir. Ceux d’entre eux qui se rappelaient encore leur catéchisme, devaient être aussi étonnés de ce nouveau genre d’évidence que de l’embarras du professeur de droit naturel. Quoiqu’il en soit, cette fin est dite le véritable bien de tout être intelligent et libre, et par conséquent son devoir. Comment la fin peut-elle être naturellement reconnue identique au véritable bien ? comment la fin est-elle le devoir ? c’est ce qu’il n’est pas facile de concevoir. Au moins saint Thomas, qui raisonne ostensiblement d’après les vérités révélées, après avoir dit que la fin et le bien sont matériellement identiques, ajoute-t-il qu’ils diffèrent formellement, c’est-à-dire dans leur manière d’être par rapport à nous, en ce que le bien est dit tel comme étant l’objet de nos désirs, et que la fin nous porte à l’emploi des moyens. Or c’est dans le choix volontaire de ces moyens, inculqués par la volonté suprême, que consiste le bien moral, lequel n’est autre chose que l’observance de l’ordre, que le docteur angélique définit ailleurs : Id quod est a principio cum cognitione finis. C’est encore à la ressource si commode de l’évidence que M. Jouffroy a recours pour l’établissement de son édifice moral. Le problème moral, dit-il, trouve sa solution dans un certain nombre de vérités évidentes par elles-mêmes, conçues a priori par la raison… On est toujours à se demander comment des hommes qui occupent de telles positions sont assez inattentifs pour confondre avec l’évidence l’enseignement traditionnel des sociétés chrétiennes.

M. Perron, professeur de philosophie à la faculté des lettres de Besançon, met à découvert dans son Essai d’une nouvelle Théorie sur les idées fondamentales de l’entendement humain, et le vide et les contradictions des systèmes philosophiques modernes. Examinons brièvement s’il a été plus sage, plus impartial, plus clairvoyant que ceux qu’il combat sur la question qui nous occupe. Il déclare (p. 282) accepter en entier la théorie de M. Jouffroy sur l’obligation morale, en substituant au mot fin celui d’ordre, qui, selon lui, exprime l’idée complète de bien. L’ordre, en effet, dit-il (p. 271), embrasse à la fois la fin, les moyens, leur disposition, leur usage et leurs rapports. Si l’ordre est le bien, comme il existe indépendamment de nous, en sera-t-il de même du bien ? qui dit ordre dit disposition de moyens dans un but quelconque, et par conséquent principe disposant. Nous demandons si le principe de l’ordre est dans l’homme ou hors de l’homme : s’il est dans l’homme, celui-ci est à soi-même sa fin, ce qui détruit toute morale s’il est hors de l’homme, comme il est identique au bien, celui-ci ne pourra se produire dans l’homme. Mais notre auteur n’a pas songé que l’idée de principe est aussi essentiellement renfermée dans la conception de l’ordre que celles de fin et de moyens. Cependant il fait entrer l’être dans l’ordre quand il a une fin, des moyens disposés pour l’atteindre, qu’il les y emploie régulièrement, et qu’il est avec les autres êtres dans des rapports convenables. Nous concevons que l’emploi des moyens disposés pour une fin établisse un être dans l’ordre, ce qui ne fait plus confondre, comme précédemment, celui-ci avec le bien ; mais on nous laisse toujours désirer l’établissement rationnel et du principe de l’ordre, et de la fin de l’homme avec les vérités qu’elle suppose, et des moyens disposés pour la fin et de l’existence de l’ordre moral lui-même. Nous nous trouvons donc dans la nécessité d’appliquer à M. Perron ses propres paroles. La philosophie moderne se contente de constater le fait de l’obligation morale, elle n’en recherche pas le pourquoi, la cause (p. 290).

Considérons maintenant si M. Perron a raison de s’élever comme il le fait contre la théorie de ceux qu’il appelle philosophes de l’école théologique, théorie qu’il regarde comme la plus faible, la moins philosophique. Des philosophes de l’école théologique, dit-il, ont fait consister le bien dans la volonté de Dieu : ce que Dieu veut est bien, ce qu’il ne veut pas est mal ; il n’y a plus, à proprement parler, de bien en soi, mais cela seul est bien ce qui est prescrit par la volonté divine (p. 258). Nous demanderons d’abord à notre critique de quelle source il fait dériver les moyens dont l’emploi régulier constitue selon lui un être dans l’ordre (p. 272). Sont-ils innés ? Mais ils devraient être universels pour les temps, les lieux et les âges, ce que la lecture et l’observation la plus superficielle sont loin de nous inculquer. Sont- ils le fruit de l’induction philosophique ? Mais la raison la plus forte de notre époque est impuissante à découvrir les éléments de l’ordre moral. Sont-ils tout simplement des résultats trouvés dans la société ? Mais à quelle source la société elle-même a-t-elle pu les puiser ? Nous savons que notre auteur, pour dissimuler son impuissance et se dispenser de prouver, a souvent recours au sens commun mais comme il n’y a naturellement dans le tout que ce qui se trouve dans les parties, on ne fait que reculer la difficulté, en prétendant attribuer à la raison générale ce qu’aucune raison particulière ne peut trouver. Reste donc une seule hypothèse possible, et c’est précisément celle de l’école dont la théorie déplaît si fort à notre rationaliste. Cette théorie admet, aussi bien que les adversaires de la révélation que la société est dépositaire des moyens que l’homme doit employer pour conformer ses actions à l’ordre établi ; mais aussi, elle reconnaît qu’elle les tient d’une intelligence et d’une puissance supérieures à celles de l’homme, quelle que soit du reste la manière dont cette puissance intelligente ait fait la manifestation de ces moyens lesquels ne peuvent être autre chose pour nous que l’expression de la volonté divine. Cette théorie est d’autant plus forte, d’autant plus philosophique, qu’elle ne laisse rien à désirer pour l’établissement soit de l’existence, soit des éléments de l’ordre. D’ailleurs, si les moyens à employer pour se conformer à l’ordre n’émanaient pas d’un être dont l’homme croie dépendre, ou n’étaient pas regardés comme l’expression de sa volonté, quel que soit le mode de manifestation que cet être supérieur ait adopté comment la liberté humaine pourrait-elle jamais se déterminer à en faire l’objet de son choix, et cela fort souvent contrairement soit au bienêtre physique, soit à la satisfaction si entraînante de l’amour-propre ? Faisons maintenant l’appréciation des difficultés que notre philosophe oppose à cette théorie. D’abord, dit-il (p. 259), elle enlève au bien toute son essence, elle le réduit à n’être plus qu’une loi, et cette loi est d’elle-même son objet.et son principe : car elle est la volonté de Dieu, qui n’a de principe qu’en soi, elle constitue le bien, qui n’existerait pas sans elle ensuite elle ne fait pas faire un pas d la question de savoir ce qu’est le bien. Fondés sur les motifs que nous avons déduits ci-dessus, nous soutenons que l’essence du bien moral ne peut consister en rien autre chose qu’en l’observance d’une loi, comme l’essence du mal ne peut résider que dans l’infraction à une loi. De plus, à l’exception de certains devoirs envers Dieu, auxquels l’homme peut se déterminer naturellement par l’unique mobile de la crainte, sans pouvoir s’assurer de leur bonté par la raison, aucun des objets de la morale n’est en soi ni bon ui mauvais ; car la même action considérée matériellement ou dans sa substance est réputée bonne ou mauvaise dépendamment des circonstances qui l’entourent. Or, comment déterminer la


moralité de ces circonstances sans l’intervention de lois, et comment se décidera agir conformément à cette détermination, sans la persuasion que ces lois émanent d’une puissance dont on dépend ? On ajoute que cette loi est à elle-même son objet et son principe. Il est clair cependant que les lois morales, en tant que manifestations de la volonté divine, ne peuvent être dites identiques ni à leur objet, qui est la direction de la liberté humaine dans tel et tel cas, ni à leur principe, puisqu’elles en sont les effets. On reproche à cette théorie de ne point faire faire un pas à la question de savoir ce qu’est le bien. Toutefois elle fait faire à la rai-on naturelle un pas de géant, en lui découvrant l’unique origine que puisse avoir le bien, origine qu’elle ne pouvait que soupçonner, comme elle le fit il, sus Platon, origine cependant qui constitue toute l’essence du bien moral, lequel ne peut être conçu, ainsi que nous l’avons vu précédemment, dans aucune autre hypothèse. M. Perron semble abandonner son objection fondamentale, pour exagérer la difficulté qu’il y a à savoir précisément ce que Dieu veut. Il soutient que Ja voix de notre conscience, de nos sentiments, de nos instinct naturels est trompeuse nous lui accorderons ici plus qu’il ne demande, s’il entend, comme toujours, une conscience formée par des moyens purement naturels. Il se prend ensuite à la parole sacrée, transmise ou écrite, donnée par les défenseurs de la théorie qu’il combat, comme moyen infaillible de connaître la volonté divine. Mais ce moyen lui-même, dit-il (p. 259), à combien de discussions n’est-il pas exposé ?… À quels abus, à quelles déplorables conséquences un pareil moyen ne peut-il pas aboutir ? Alors ce n’est plus Dieu qui parle, ce sont les hommes qui le font parler au gré de leur ignorance ou de leurs caprices. L’auteur raisonne fort juste, s’il s’adresse à une école théologique protestante ; mais ses paroles manquent de portée s’il les dirige contre les philosophes de l’école théologique catholique. En effet, nous avons établi, dans le Dictionnaire dogmatique la nécessité d’une autorité vivante et d’une autorité infaillible, pour l’enseignement de la morale ; or l’Église catholique seule se croit, et par ce fait est seule en possession de cette autorité ; d’où il résulte qu’il n’y aura jamais dans son sein ni discussions interminables, ni abus universels et de longue durée, relativement à la constatation de la volonté divine, dans les matières où il sera important qu’on la connaisse. La théorie de l’école Idéologique catholique satisfait donc, et à l’exclusion de toute autre, à toutes les conditions requises, soit pour l’établissement, soit pour l’enseignement des principes fondamentaux de la conscience. Quant au pourquoi de la volonté divine, qu’exige M. Perron, Dieu n’a pas jugé à propos de nous le faire connaître : seulement il nous a révélé qu’étant le principe et la fin de toutes choses, il a tout fait pour lui-même ; d’où nous devons conclure que pour ne pas nous écarter de cet ordre nécessaire, il faut que nous mettions nos actions en harmonie avec ses volontés, et que nous les lui rapportions. La question d’ailleurs est la même que celle-ci Pourquoi Dieu a-t-il voulu tout ce qui existe ? T Nous laissons l’honneur de la réponse à ceux qui prétendent tout découvrir par la raison.

Maintenant que l’insuffisance de la raison naturelle pour l’établissement des principes règles de la conscience est bien constatée, il nous reste à exposer la théorie catholique, tant sur la nature que sur la détermination précise du bien et du mal.

Nous savons par la révélation divine que la Parole toute-puissante a tiré toutes choses du néant (Gen. sc|i) nous apprenons par la même voie que l’auteur de cet univers a tout fait pour lui-même (Prov. xvi, 4), et que sa créature intelligente et libre doit tout opérer pour la gloire de Dieu (I Cor. x, 31). Nous connaissons donc le principe et la fin de tous les êtres créés, l’alpha et l'oméga, selon le langage des saintes Ecritures, c’est-à-dire que nous avons les deux éléments extrêmes de l’ordre. Quel sera l’élément moyen ? Doit-on le chercher ailleurs que dans la volonté de Dieu ? L’ordre, dans son acception la plus générale, est la disposition que fait un principe actif des moyens propres à lui faire obtenir la fin qu’il s’est proposée. Or, ces moyens, pourrait-on les découvrir sans interroger les volontés de celui qui les a disposés ? Tous les êtres inorganiques, et même les êtres organiques soit simplement vivants, soit animés, convergent vers leur fin d’une manière invariable, en vertu des attributions inhérentes à leur nature. Mais, comme il ne peut en être de même de l’homme, qui est doué d’une volonté libre, son créateur a dû l’établir dans l’ordre par des prescriptions positives, comme moyens de le diriger vers sa fin. C’est ce qu’il a fait en effet, ainsi que nous l’apprennent les livres saints, dès le commencement du monde, et c’est ce qu’il a continué de faire, dépendamment des besoins moraux de l’humanité, soit sous le régime patriarcal, soit sous la loi mosaïque, jusqu’à ce qu’il eût pourvu d’une manière définitive à l’établissement et au rétablissement de l’homme dans l’ordre, par une révélation plus explicite et par l’institution d’une autorité visible, infaillible, dépositaire de sa puissance. Cette autorité réside dans l’Eglise catholique, qui seule d’ailleurs se croit infaillible, et qui l’est véritablement. Cet enseignement est à la portée de toutes les classes de la société, qui doivent également s’établir dans l’ordre, et qui seraient dans l’impuissance de le faire sans ce moyen providentiel.

Il est clair, d’après ce qui précède, que l’essence du bien consiste nécessairement dans l’observance de l’ordre, et que celui-ci n’aurait pu être observé par l’homme, si l'auteur de la nature ne lui eût intimé ses volontés par des moyens quelconques. Voilà pourquoi Dieu qui trouva bon tout ce qu’il créa avant l’homme, immédiatement après


l’avoir tiré du néant, parce qu’il avait pourvu à l’observance de l’ordre par l’établissement des lois de la nature physique, ne trouve pas également bon le roi de la terre après le seul fait de sa production parce qu’il se réservait de lui faire connaître postérieurement les moyens qui devaient le conduire à sa fin (Gen. i).

Concluons aussi que la règle du bien n’est autre chose que la volonté de Dieu, exprimée dans sa parole soit écrite, soit transmise d’âge en âge, et présentée aux hommes, dans l’état actuel du genre humain, par l’Eglise catholique, pourvue à cet effet du privilège de l’infaillibilité. Il est donc impossible de trouver les véritables principes-règles de la conscience, avec la garantie qu’exige leur application, ailleurs que dans l’Ecriture sainte et dans les monuments de l’Eglise enseignante, lesquels sont les actes des conciles, les écrits des saints Pères, les décisions des souverains pontifes et les traités des théologiens ainsi que ceux des auteurs ascétiques approuvés par les premiers pasteurs de l’Eglise romaine.

XXVIII. L’autorité des écrivains sacrés est supérieure à toute autre autorité, elle ne forme pas seulement un sentiment probable, mais un jugement infaillible. Il n’est pas permis de douter de la sainteté des maximes de l’Evangile ; lorsque l’Ecriture s’explique sur quelque point, tout ce que doit faire le chrétien c’est d’admettre et de pratiquer. On a remarqué que tous les bons casuistes ont soin de s’appuyer sur l’Ecriture sainte ; ceux dont la morale a été taxée de relâchement ont plutôt compté sur les forces de leur intelligence que sur la parole de Dieu : ils sont tombés dans l’erreur. Ce serait tomber dans une grande illusion que de vouloir interpréter par la raison individuelle les règles de morale contenues dans les Ecritures. Au mot {{sc|Ecriture sainte, Bergier donne les règles d’interprétation de la sainte Ecriture.

L’Eglise est une arche sainte que Jésus-Christ, son pilote éternel, conduit sûrement au port ; c’est un guide assuré qui mène le fidèle à la haute perfection évangélique. Infaillible pour régler la foi et les mœurs des fidèles, l’Eglise est donc une source pure de la saine morale. Le pontife souverain, son chef sur la terre, le vicaire de Jésus-Christ, participe aussi au don de son infaillibilité. Lorsqu’il parle, c’est au chrétien de se soumettre à ses décisions. Voy. Dict. dogmatique, art. Eglise, Pape.

XXIX. Les saints Pères ayant fait une étude particulière des saintes Ecritures, et paraissant choisis de Dieu pour nous en donner l’intelligence, méritent d’être écoutés et consultés par préférence à tous les autres docteurs. On ne lit jamais les écrits de ces grands maitres sans se sentir plus porté à fuir le vice et à pratiquer la vertu. Quelques-uns d’entre eux ont porté bien haut les principes de la morale. Si l’exagération est toujours répréhensihle, il y a cependant quelque chose qui nous la fait aimer lorsqu’il s’agit du bien. Voy. Dictionn. dogmatique, art. Pères.

XXX. Les lois positives doivent être essentiellement justes et pour le bien public. Tout règlement injuste ou inutile n’est pas une loi. Etablies pour fortifier la loi morale, pour satisfaire aux besoins de la société, les lois positives sont aussi une source de saine morale. Nous consacrons dans ce Dictionnaire un article tout entier pour faire comprendre l’obligation qu’elles imposent.

XXXI. Les auteurs classiques ont aussi une grande autorité nous donnons, au mot Probabilité, des règles sûres pour ne pas s’égarer en les suivant. Nous observerons


seulement que quiconque est en état de s’instruire par lui-même, ne doit pas suivre en tout aveuglément les auteurs les plus estimés, dès que, sur la justesse de leur décision, il lui naît des doutes qui lui font craindre qu’ils ne se soient mépris. Il est difficile, surtout dans un long ouvrage, de ne pas s’oublier. Melchior Cano, qui lui-même en est un exemple, donne à ce sujet un avis très-judicieux ; c’est que ce serait une injustice de mépriser les auteurs et de leur faire un crime de ce qui est l’apanage de l’humanité comme ce serait aussi la plus haute imprudente de les croire eu tout sur leurs paroles.


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